Renoncer aux souffrances du samsara

Les souffrances des plans supérieurs d’existence

Une véritable personne spirituelle, ou pratiquant(e) du Dharma, est quelqu’un qui travaille pour être capable d’en faire bénéficier ses vies futures et au-delà. Dès lors, à un niveau initial, une telle personne suivrait l’éthique de s’abstenir de commettre les dix actions destructrices. Elle s’engagerait dans des actions constructives afin d’obtenir une meilleure renaissance, etc. Ce faisant, une telle personne fait montre d’un niveau initial de motivation. Prenant refuge en donnant ainsi une direction sûre et positive à sa vie, une telle personne sera, de fait, en mesure de réaliser une renaissance en tant qu’être humain ou comme dieu. Mais se contenter juste de cela n’est pas suffisant. C’est pourquoi même si une telle personne renaît comme être humain ou comme dieu, ces situations tombent dans la catégorie des types compulsifs d’existence, et les genres de bonheur qu’elle obtient sont des formes de bonheur mondain et périssable.

En fait, tous ces états auxquels on parvient sont juste des exemples des véritables souffrances et des vrais problèmes. Sur la base d’une renaissance comme être humain ou comme dieu, il est possible d’avancer et de réaliser un état d’esprit calme et posé, un état de shamatha, de quiétude mentale. Et sur la base d’un tel état d’esprit calme et posé, il est possible de renaître dans l’un des plans supérieurs d’existence, l’un des royaumes les plus élevés. Grâce à un tel état, par exemple, si nous renaissons sur le plan des formes célestes (le royaume de la Forme), nous n’avons aucune des émotions perturbatrices manifestes ou attitudes associées au plan des désirs sensuels (le royaume du Désir). De même, si nous renaissons sur le plan des êtres sans forme (le royaume du Sans-Forme), nous n’avons aucune des émotions perturbatrices manifestes ou attitudes associées au plan des formes célestes. Au fur et à mesure que nous montons de plus en plus haut dans les plans d’existence des divers royaumes divins, les états deviennent, l’un après l’autre, plus raffinés. Par exemple, le sol dans la région où de tels plans existent est fait de pierres précieuses. Les corps des divers êtres sont exquis et beaux, et les divers caractères distinctifs deviennent encore plus merveilleux à mesure qu’on monte de plus en plus haut.

Toutefois, même si nous renaissons dans l’un de ces plans supérieurs d’existence, où tout est si aimable et plaisant, nous avons encore un genre d’existence compulsive. Nous devons toujours faire l’expérience des problèmes récurrents incontrôlables du samsara. Nous pouvons renaître par exemple dans l’un de ces plans supérieurs, mais alors surgit la situation récurrente incontrôlable d’avoir à tomber dans une renaissance d’un niveau inférieur. Puis, à nouveau, nous pourrions renaître dans un plan plus élevé, passant par des hauts et des bas ; mais, en fait, nous passons la plupart du temps dans les divers états des pires renaissances. Ce n’est pas du tout une situation satisfaisante, elle est semblable, par exemple, à quand nous montons en haut d’un gratte-ciel élevé ; une fois que nous sommes en haut, la seule chose qui nous reste à faire est de redescendre.

Nous pouvons voir que de renaître en tant qu’être humain ou comme dieu ne possède nullement d’essence réelle et implique seulement des problèmes récurrents incontrôlables. En se fondant sur cette compréhension et réalisation, il se pourrait qu’un doute s’élève dans notre esprit, à savoir que peut-être il n’est pas besoin de renaître sous cette forme et de préserver l’éthique de s’abstenir des dix actes destructeurs afin de renaître comme être humain ou comme dieu. Mais la question est de ne pas se satisfaire de simplement réaliser une de ces meilleures renaissances, mais plutôt de souhaiter une telle renaissance afin d’être mieux capable d’être bénéfique aux autres, renaissance où nous pourrons progresser spirituellement. Nous serons incapables d’accomplir aucun de ces deux objectifs à moins d’atteindre une telle renaissance.

Les circonstances les plus favorables d’une renaissance humaine

Si, quand nous renaissons en tant qu’être humain, nous jouissons d’une longue vie, avec une grande force physique, une puissante influence positive sur les autres et une grande richesse de ressources à notre disposition, cela nous permet d’être d’un plus grand bénéfice pour autrui. Par exemple, si nous avons une vie courte, alors, même si nous sommes intensément intéressés dans les pratiques spirituelles du Dharma, et que nous nous y consacrons, il sera très difficile de mener notre entraînement et nos pratiques à leur terme. Si nous souffrons de maladies sévères ou d’afflictions physiques, cela nous handicapera aussi grandement. Cela peut même nous empêcher de prendre l’habit monastique et de devenir moine ou nonne ; il est donc également très important et utile d’avoir une bonne santé.

D’autre part, si nous renaissons dans une bonne famille et sommes quelqu’un de très influent, nous serons alors naturellement capables non seulement d’avoir des circonstances favorables pour faire nous-mêmes des progrès, mais nous serons également dans une position où les autres nous écouteront. Nous serons en mesure de leur fournir des encouragements le long de leur chemin spirituel. C’est pourquoi, si nous souhaitons avoir ce type de renaissance humaine, il est nécessaire d’accumuler les diverses causes qui la feront advenir. Pareilles causes incluent le fait de témoigner un grand respect envers nos parents et envers tous ceux qui possèdent de grandes compétences et des bonnes qualités.

En outre, si nous avons une très belle apparence et un corps séduisant, les autres seront naturellement attirés par nous. Ils se rendront là où nous sommes et voudront écouter ce que nous disons. Pour obtenir cela, les causes sont, par exemple, de méditer sur la patience et la tolérance et d’en accumuler l’habitude, de ne jamais se mettre en colère, et de faire des offrandes de nourriture, de fleurs, de décorations et de parures aux diverses statues et représentations du Bouddha. De même, nous devons offrir de la nourriture et des vêtements à ceux qui sont très pauvres et malades. De cette façon, nous accumulons les causes pour avoir une belle apparence.

Si nous possédons une grande endurance physique et une grande force de volonté, nous serons en mesure d’accomplir de grandes choses et serons capables de mener toutes nos pratiques et nos efforts à leur terme. Les causes pour cela sont d’entreprendre diverses actions mentales et physiques que les autres ne peuvent même pas imaginer faire et de les mener à bien.

Il est également important d’avoir une parole crédible, afin que les autres prennent ce que nous disons au sérieux, qu’il s’agisse d’êtres humains ou de dieux, ou de quiconque nous écouterait. Si nous avons de la crédibilité, cela nous permet de leur apporter une grande aide. La cause pour cela est d’être très honnête dans ce que nous disons, de ne pas mentir, de ne pas se servir d’un langage rude, et de ne commettre aucune autre action destructrice de la parole. Par exemple, il se pourrait qu’on ait deux personnes qui disent exactement les mêmes mots ayant exactement le même sens, mais les gens écouteront l’une mais pas l’autre. La différence vient des diverses sortes d’actions que de telles personnes ont commises dans le passé. Celle qui a fréquemment menti et proféré des paroles vaines et oiseuses – personne ne fera attention à ce qu’il ou elle dit.

Telles sont toutes ces actions causales qui font advenir ces bonnes qualités comme résultat. C’est la raison pour laquelle il est nécessaire d’accumuler toutes les causes pour renaître avec un corps humain qui possède tous ces caractères distinctifs. Il est donc important d’accomplir toutes ces actions causales car si nous renaissons, par exemple, dans une famille ou une société de criminels ou de gens extrêmement négatifs, il nous sera très difficile pour notre pratique spirituelle de surmonter cet obstacle. Même si nous disposons de diverses excellentes qualités, il est important de ne pas avoir d’autres facteurs qui viendraient gêner leur pleine utilisation. Pour que cela advienne, nous devons offrir diverses sortes de prières telles que : « Puissé-je toujours avoir une précieuse renaissance humaine pleinement dotée de toutes les qualités positives et conditions favorables. Dans toutes mes vies, puissé-je ne jamais renaître dans des situations dans lesquelles j’aurais à surmonter une grande quantité d’obstacles. Puissé-je toujours être en position d’aider les autres et ne jamais, dans aucune de mes vies, renaître comme quelqu’un qui cause beaucoup de mal et de trouble aux autres. » Telles sont les genres de prières que nous devons faire afin de renaître avec un précieux corps humain jouissant de toutes les qualités positives et des circonstances propices pour les utiliser.

La détermination à se libérer du samsara

Mais nous ne devons pas nous satisfaire simplement de réaliser une précieuse renaissance humaine avec toutes ces qualités positives. La raison en est qu’aussi splendide puisse être une vie, elle comporte toujours des problèmes récurrents incontrôlables. En fait, peu importe combien agréable elle peut sembler, il y a toujours des problèmes et de la souffrance. Toute situation récurrente incontrôlable dans laquelle nous pourrions renaître – situations samsariques – ne comporte rien que des problèmes. Il est important d’en être conscient et d’y penser : « Peu importe ma richesse, peu importe les nombreuses choses positives qui peuvent m’arriver dans ma vie, malgré cela j’aurai toujours à faire face à de nombreux problèmes. » Si nous réfléchissons très sérieusement aux différents problèmes et souffrances qui existent, nous développerons une attitude grâce à laquelle nous souhaiterons nous en libérer dans leur totalité. Sur la base de ce puissant souhait d’être délivrés de tous les problèmes et de toutes les souffrances, nous travaillerons en vue de réaliser un état de libération. Et c’est une chose, une fois encore, que nous pouvons faire sur la base de cette précieuse renaissance humaine que nous avons.

Cette question est traitée ici dans le texte par la stance suivante :

(5) Les splendeurs d’une existence compulsive, quand bien même on s’y adonne, ne sont jamais suffisantes ; porte d’entrée de tous les problèmes, elles sont impropres à rassurer mon esprit. Conscient de ces pièges, je fais la requête d’inspiration de développer un intérêt assidu pour l’extase de la libération.

Les pièges et les problèmes du samsara

La première ligne, « les splendeurs d’une existence compulsive, quand on s’y adonne, ne sont jamais suffisantes », fait référence au premier type de problème auquel nous tous devons inévitablement faire face, peu importe la renaissance dans laquelle nous nous trouvons. Le problème est que, peu importe le nombre de choses splendides que nous pourrions avoir – peu importe la quantité de richesses ou de plaisir que nous avons – personne ne ressent jamais que c’est assez ; cela ne suffit jamais. C’est comme quand on a très soif et qu’on boit de l’eau salée : peu importe la quantité d’eau salée que nous buvons, cela ne va pas étancher notre soif. C’est la même chose quand quelqu’un éprouve un grand nombre de plaisirs, etc. Parce qu’il est entravé par la situation récurrente incontrôlable du samsara, il ne ressent jamais qu’il en a assez. Il en veut toujours de plus en plus. Quand quelqu’un parvient à une position ou un rang élevé, il ne pense jamais que c’est suffisant ; il veut toujours s’efforcer d’occuper une position de plus en plus haute. C’est une situation que tout le monde rencontre : peu importe la richesse qu’on a, la quantité de choses qu’on a accumulé ou construit, tout le monde en veut de plus en plus. Mais toutes ces choses finissent juste par périr. Peu importe combien de choses nous accumulons ou édifions, tout cela finira par s’effondrer.

Plus nous possédons, et plus cela nous cause de problèmes, comme il est dit ici : « c’est la porte d’entrée de tous les problèmes ». Par exemple, si nous avons une fortune d’un million de livres, nous avons alors tous les soucis qui y sont associés, comme de ne pas la perdre, etc. Cela occasionne simplement beaucoup de tracas. Il y a des gens qui n’ont que cinq ou six livres, juste de quoi acheter un repas, et ils sont plutôt heureux comme ça. Leur esprit est libre. Tandis qu’il y a des gens qui ont une grande quantité d’argent, malgré tout ils s’y accrochent très fort et ne sont même pas désireux de dépenser et de jouir même de cinq ou six livres. Donc, plus nous en avons, et plus nombreux sont les problèmes que cela tend à apporter : nous devenons avares, etc.

Et peu importe la quantité d’amis et de connaissances que nous avons autour de nous, l’issue finale du fait de réunir des amis est que tout le monde se sépare et rentre chez soi. L’issue finale de toutes les choses qui s’assemblent, c’est de se séparer et de suivre leur propre chemin. Peu importe la hauteur à laquelle nous montons, l’issue naturelle est de redescendre. Par exemple, quand ce château dans lequel nous nous trouvons a été construit, c’était un très bel édifice, et avec le temps il est tombé en ruine. Comme il est dit dans le texte, pareilles choses « sont impropres à rassurer mon esprit ». Peu importe la splendeur d’une chose, elle ne recèle que des pièges.

On trouve également divers autres problèmes, peu importe le genre de renaissance dans laquelle nous nous trouvons. Il y a le problème de ne jamais être satisfait. On l’a déjà mentionné. Il y a aussi le problème de ne jamais avoir aucune certitude dans la vie. Quelqu’un peut être un grand personnage officiel, avoir une position très élevée, puis, à la fin de sa vie, être ruiné et devenir très pauvre. C’est une chose que l’on peut voir se produire même au cours de cette seule vie. De même, quelqu’un qui pouvait être un ami dans la première partie de notre vie, peut s’avérer plus tard être notre pire ennemi. Ou bien, quelqu’un que nous haïssions au début de notre vie et considérions comme notre ennemi peut changer et devenir notre meilleur ami plus tard. Donc, de la même façon, il n’y a aucune certitude de statut pour que quiconque soit un ami ou un ennemi. En outre, peu importe combien nous désirons que certaines choses arrivent, ou désirons les obtenir, nous avons fréquemment de grandes difficultés à obtenir ce que nous voulons et c’est le contraire qui se produit habituellement. En fait, on dirait que toutes les choses que nous ne voulons pas ne font que se déverser en pluie sur nos têtes.

Les souffrances d’une renaissance humaine

En ne parlant que des humains et des souffrances dont ils font l’expérience, il y a tous les problèmes liés au fait de vieillir et au grand âge. À mesure que nous devenons de plus en plus vieux, nous contractons des maladies de plus en plus graves. C’est une chose que nous pouvons constater de nos propres yeux. Il y a aussi les souffrances et les problèmes liés au fait d’être malade. C’est une chose que nous pouvons voir tout autour de nous : il y a un grand nombre de gens malades. Quand nous-mêmes tombons malades, nous endurons toute la souffrance et le malheur d’être malade, tout comme les autres.

Il y a également la terrible souffrance qui nous échoit au moment de mourir. Peu importe la qualité des médicaments et des médecins de l’hôpital où nous nous trouvons au moment de la mort, aucun d’entre eux ne sont d’un secours quelconque. À ce moment-là, le mal-être et la souffrance que nous endurons est la pire sorte de souffrance que nous aurons. S’il n’existait pas une chose telle que la renaissance, tout irait bien. Quand on mourrait, ce serait la fin, mais en fait il n’en est pas ainsi. Il y a des renaissances futures. Nous devons en prendre une.

Avant de prendre renaissance, nous mourons, et immédiatement après, nous passons dans l’état intermédiaire, le bardo. Là, si nous avons accumulé une grande quantité de potentiels négatifs, nous allons faire l’expérience d’un grand nombre de choses effrayantes, être terrifiés et souffrir grandement. Peu importe combien nous avons travaillé au cours de notre vie à essayer de construire une sécurité matérielle autour de nous, accumulant une grande quantité de richesse et de biens, au moment de la mort nous allons devoir tout laisser derrière nous. Nous ne pouvons rien prendre avec nous – ni amis, ni compagnons, ni proches ; personne ne peut venir avec nous. Nous devons aller dans la période intermédiaire seuls, par nous-mêmes. Ayant accumulé une grande quantité de potentiels négatifs tout au long de notre vie, nous trouverons que c’est une expérience extrêmement terrifiante. La souffrance que nous endurerons alors sera très douloureuse.

Quant aux êtres dans cette période intermédiaire, nous aurons la forme d’un humain d’environ la taille d’un enfant de huit ans. L’état intermédiaire précédant cette vie est déjà passé ; c’était avant de naître. La période intermédiaire à laquelle nous serons confrontés après notre mort est la période intermédiaire avant notre prochaine renaissance. Donc, si nous devons renaître en tant qu’être humain, alors, dans cet état intermédiaire qui suit notre mort, nous prendrons une forme similaire à celle que nous aurons dans notre prochaine vie. Ceci est dû au fait que l’état d’existence intermédiaire et l’état d’existence de la prochaine renaissance sont tous les deux propulsés par le même karma de projection qui nous projette dans notre prochaine renaissance.

Pour des raisons purement auspicieuses, j’ai parlé d’être un humain dans cette vie et de renaître en tant qu’humain dans notre prochaine vie. Mais de toute évidence, ce n’est pas toujours le cas. Nous pouvons passer de n’importe quel état de renaissance dans n’importe quel autre. Mais, si nous devons renaître à nouveau en tant qu’être humain, à la fin de cet état d’existence intermédiaire, nous aurons à passer par l’existence du moment de la conception. Nous nous trouverons alors à l’intérieur de la matrice d’une mère, et la souffrance et le malaise que nous y éprouverons seront très intenses. Nous serons enfermés et confinés dans ce petit espace pour une période de plus de neuf mois – neuf mois et dix jours. Si on pense à être enfermé dans un très petit réduit sans fenêtres et sans portes pendant neuf mois, imaginons juste comme nous serions malheureux – combien nous n’aimerions pas être confiné ainsi pendant cette durée. Rien que pour ça, quand on y pense, la souffrance d’être confiné dans une matrice est effrayante.

Puis, pensez à tous les problèmes auxquels un enfant doit faire face. Ce n’est pas drôle d’être un bébé : on ne peut ni parler, ni marcher, et nous n’avons aucun contrôle sur nos intestins. Nous nous souillons sans arrêt et ce n’est pas drôle du tout. Puis, à mesure que nous devenons un petit peu plus vieux, en tant qu’enfant, nous devons passer par tout le processus d’aller à l’école. Cela, également, comporte beaucoup de problèmes et n’est pas très plaisant.

Telles sont les genres de situations qui reviennent de façon incontrôlable. Nous passons par ce cycle encore et encore. C’est de cela qu’il s’agit dans le samsara, de l’existence récurrente incontrôlable ; et même si nous renaissons à nouveau en tant qu’être humain, nous devrons en repasser par ce cycle récurrent incontrôlable encore et encore. Parfois les choses se passeront bien et parfois non. En fait, la plupart du temps les choses ne marcheront pas très bien. De fait, nos vies seront juste pleines de souffrances et de problèmes. Si nous avons des choses – de l’argent, des biens, des amis, de la renommée, etc. – le fait de les avoir et de les garder nous posera des problèmes, et si nous n’avons pas ces diverses choses que nous voulons, nous aurons des problèmes du fait de ne pas les avoir et de souhaiter les avoir. En bref, d’une façon ou d’une autre, que nous ayons ou non des choses, nous sommes perdants ; nous avons toujours des problèmes et de la souffrance. 

La véritable source de tous les problèmes

Maintenant, ce que nous devons regarder, c’est : quelles sont les causes, quelle est la racine de tous ces divers problèmes et souffrances ? Si le cas s’avérait que les problèmes ne possédaient aucune cause, il n’y aurait aucun moyen de s’en débarrasser. Mais en fait ils ont une cause. Si on demande : « Quelle est la racine ou quelle est la chose sur laquelle repose tous nos problèmes ? », nous verrons qu’ils viennent tous de la véritable source de tous les problèmes, à savoir notre comportement compulsif ainsi que nos émotions et attitudes perturbatrices. La chaîne de nos problèmes survient pare que nous agissons impulsivement, tel est le karma. Nous agissons impulsivement parce que nous avons diverses émotions et attitudes perturbatrices ou illusions. D’où viennent-elles ? Elles surgissent toutes parce que nous nous accrochons aux choses comme si elles existaient selon des modes impossibles – par exemple, comme si elles avaient des identités vraies, trouvables, inhérentes, établies de manière indépendante, de leur propre côté. Ce genre d’inconscience ou d’ignorance avec laquelle nous nous saisissons des choses comme si elles possédaient de vraies identités trouvables est la racine de tous nos problèmes. Quand nous nous accrochons de cette façon, c’est ce qui fait que tout va de travers ; telle est la racine de tous nos problèmes et souffrances.

Le Bouddha lui-même a fait tourner la roue du Dharma par trois fois et a mis en route trois cycles de transmission de mesures préventives. C’est un fait bien connu. Le premier cycle de transmission concernait les quatre faits considérés comme vrais par les êtres hautement réalisés : les Quatre Nobles Vérités. Des quatre faits considérés comme vrais par des êtres hautement réalisés, les aryas, le premier d’entre eux concerne les vrais problèmes ou véritables souffrances ; le deuxième est la véritable source de tous les problèmes ou souffrances, à savoir le comportement compulsif et les émotions perturbatrices. Ceux-ci découlent de la saisie des choses comme si elles avaient des identités véritables.

Se débarrasser de la saisie des identités véritables

En fait, les choses ne possèdent aucune identité vraie, trouvable, inhérente, établie indépendamment de leur propre côté. Quand nous projetons que les choses possèdent de telles identités, alors qu’en fait elles n’en possèdent pas, et que nous croyons que ce que nous percevons est vrai, c’est ce qu’on veut dire ici quand on parle de se saisir des choses comme si elles avaient de vraies identités. Il s’agit d’une cognition déformée, car c’est s’accrocher à quelque chose d’impossible qui n’existe pas ; il n’existe rien de tel que des identités véritables. Essayer de se saisir des choses comme s’il y avait de telles identités est une distorsion. Cela ne fait référence à rien de réel ; cela ne correspond pas à la réalité. C’est pourquoi, si nous pouvons développer la compréhension comme quoi il n’existe rien de tel que des identités véritables, ce sera l’antidote direct à l’inconscience ou ignorance avec laquelle nous nous saisissons des choses comme si elles en avaient. Donc, la compréhension et l’état d’esprit grâce auxquels nous réalisons qu’il n’existe rien de tel que des identités vraies affecteront négativement le genre d’attitude avec laquelle nous nous saisissons des choses comme si elles avaient de telles identités. 

Si on demande : « Comment cette compréhension affecte cette attitude distordue ? », c’est parce qu’une fois que nous avons puissamment accumulé en tant qu’habitude mentale la réalisation qu’il n’existe rien de tel que des identités véritables, nous éliminerons automatiquement cette attitude qui consiste à se saisir des choses comme si elles en avaient. La raison en est que la croyance qu’une chose existe et la réalisation qu’elle n’existe pas et n’a jamais existé sont mutuellement exclusives. Grâce à ce processus, quand nous ne nous saisissons plus des choses comme si elles avaient des identités véritables, nous n’aurons plus aucune émotion ou attitude perturbatrice.

C’est comme de couper les racines d’un arbre, l’arbre tombe et les feuilles et les branches ne pousseront plus. Quand nous éliminons cette saisie des choses comme si elles avaient des identités vraies, cela élimine la totalité des 84.000 sortes d’émotions et attitudes perturbatrices qui s’élèvent à partir de cette méconnaissance de la réalité. Autrement dit, dans la mesure où les 84.000 attitudes perturbatrices s’élèvent toutes de la saisie des choses comme si elles possédaient de vraies identités, quand nous réalisons qu’il n’existe rien de tel que des identités véritables, cela extirpe et élimine la racine de toute souffrance. Donc, la compréhension qu’il n’y a rien de tel que des identités vraies est la racine authentique de la libération. Il est donc extrêmement bénéfique de nous accoutumer à cette compréhension et de l’accumuler en tant qu’habitude bénéfique. Dès lors, tous nos problèmes et toutes nos souffrances cesseront de s’élever. 

Les couples purificateurs et perturbateurs au sein des quatre nobles vérités

Cet état dans lequel tous nos problèmes ont cessé de s’élever, cet état d’absence ou de cessation de nos problèmes, est comme un « véritable arrêt », une « véritable cessation ». Si on se demande : « Comment se débarrasse-t-on de ces problèmes ; comment réalise-t-on cet état de véritable cessation des problèmes ? », on le réalise grâce à un cheminement mental au moyen duquel on comprend qu’il n’existe pas une chose telle qu’une identité véritable à propos de quoi que ce soit. Une telle compréhension constitue un véritable chemin – la quatrième noble vérité. Donc, la chose qui cause la cessation de tous nos problèmes est un chemin grâce auquel nous avons la conscience discriminante qui fait que nous voyons qu’il n’existe rien de tel que des identités véritables – autrement dit, la conscience discriminante du vide ou de l’absence totale d’identités véritables. Cet authentique chemin est une cause qui a pour résultat une véritable cessation de nos problèmes, en sorte qu’ils ne reviennent jamais. Donc, les vrais chemins et les vraies cessations sont arrangés de telle sorte que les premiers font office de cause et les seconds de résultat.

Mais nous devons distinguer soigneusement quel genre de résultat constitue une véritable cessation. C’est le résultat d’une séparation, qui est un type particulier de résultat. Ce n’est pas le genre de résultat qui est produit ou réuni par des causes et des conditions, comme l’est la réalisation de cette véritable cessation. Bien plutôt, la véritable cessation elle-même est le genre de résultat qui est un phénomène statique non conditionné. En tant que résultat séparatif, c’est une absence statique d’une chose qui ne dépend pas de causes et de conditions et qui ne change jamais.

Donc, les véritables cessations et les vrais chemins sont la face purificatrice des quatre faits considérés comme vrais, les Quatre Nobles Vérités. Et quand nous considérons la face perturbatrice de ces vérités, cela fait référence aux deux premières vérités. Ici, les véritables causes de tous les problèmes sont établies comme une cause, et les vrais problèmes eux-mêmes en sont le résultat.

Il existe un mantra appelé « l’essence de la coproduction conditionnée (rten-‘brel snying-po) que nous récitons fréquemment : Om ye dharma hetu prabhava, hetun teshan tathagathohya vadate, teshanca yo nirodha, evam vadi maha-shramanaye svaha. C’est une phrase sanskrite qui veut dire : « Om, tous les phénomènes, quels qu’ils soient, qui tirent leur origine d’une cause, l’Ainsi Allé a en fait parlé de leur cause ; et, quelle que soit leur cessation, cela, de même, a été énoncé par le Grand Ascète, Svaha. » Ce mantra fait référence à ces deux relations de cause et d’effet au sein des Quatre Nobles Vérités.

Le Bouddha a réalisé un état de totale lucidité et de pleine évolution – il a réalisé l’illumination. Une fois qu’il eut lui-même réalisé l’illumination, il enseigna aussi à ses divers disciples le chemin pour réaliser la libération de toutes leurs souffrances. Il leur enseigna ces quatre faits considérés comme vrais par des êtres hautement réalisés. Si nous suivons ces enseignements et ces instructions concernant les Quatre Nobles vérités, il est possible de véritablement réaliser un état de libération, tout comme le Bouddha. 

S’intéresser à réaliser la libération

Nous avons vu que tous les problèmes sont des choses que nous ne voulons certainement pas, et que tous assurément nous voulons avoir le bonheur. En outre, nous voulons un genre de bonheur qui soit stable et dure longtemps. Le seul type de bonheur de cette sorte est le bonheur qui consiste à réaliser un état de libération – la délivrance par rapport à toutes nos souffrances et à tous nos problèmes. Non seulement nous sommes intéressés par le fait de réaliser la libération du samsara, mais également nous sommes convaincus que la libération est une chose qui peut véritablement advenir. Mais la réalisation d’un état de libération de la souffrance ne survient pas sans cause. Au contraire, il survient définitivement d’une cause : la cause est d’obtenir la conscience discriminante grâce à laquelle nous voyons qu’il n’existe pas une chose telle qu’une identité véritable pour quoi que ce soit. Si nous obtenons cette compréhension et ainsi faisons advenir la cause pour la libération en développant cette conscience discriminante, nous pouvons réellement atteindre le bonheur que nous avions désiré. Nous pouvons réaliser l’état de libération de longue durée, le bonheur d’un état de libération totale de tous nos problèmes et de toutes nos souffrances. Si nous souhaitons réaliser cet état de libération, nous devons développer un intérêt vif à son sujet. 

Comment développons-nous ce vif intérêt ? Comment réalisons-nous véritablement cet état ? C’est, avant toute chose, en ayant ce qu’on appelle « une conscience discriminante supérieure », parfois appelée « entraînement à la sagesse supérieure ». Afin d’obtenir cet entraînement, auparavant nous devons avoir un entraînement à la concentration d’absorption supérieure. Or, pour obtenir cela, nous devons nous entraîner d’abord à l’autodiscipline éthique supérieure. L’autodiscipline éthique et la concentration d’absorption agissent comme fondements stables pour obtenir une conscience discriminante supérieure. Cet entraînement à l’autodiscipline éthique supérieure implique de garder diverses séries de contraintes en vue de la libération individuelle – ce sont les vœux de pratimoksha.

Les contraintes d’engagement, ou vœux, en vue de la libération individuelle et l’importance de préserver l’éthique

(6) Je fais la requête d’inspiration de prendre à cœur, avec pleine conscience, vigilance et grand soin, les pratiques induites par cette pure pensée motivante en vue de la libération individuelle, racine des enseignements.

Il y a huit séries de contraintes d’engagement, ou vœux, en vue de la libération individuelle – trois pour les laïcs et cinq pour celles et ceux qui ont pris l’habit monastique. Parmi ces cinq séries de vœux pour les gens qui ont pris l’habit, il y a la série pour les moines pleinement ordonnés, laquelle comporte deux cent cinquante deux contraintes d’engagement. Le lignage d’ordination pour les nonnes pleinement ordonnées dans la tradition Mulasarvastivadin n’est plus en vigueur au Tibet, néanmoins il y a les deux séries de contraintes d’engagement pour les moines novices et les nonnes novices, ainsi que la série de vœux pour les nonnes en période probatoire. Il y a aussi les deux séries de vœux pour les laïcs – ceux pour les hommes et ceux pour les femmes, et également les vœux pour une journée. Il existe donc huit niveaux différents de contraintes d’engagement, ou vœux, en vue de la libération individuelle. Quels que soient ceux que nous promettons de garder – nous devons les préserver très purement et soigneusement, même au prix de notre vie.

Quel que soit le genre de discipline éthique dans laquelle nous nous engageons et que nous promettons de préserver – même s’il s’agit juste de suivre l’autodiscipline éthique de nous abstenir des dix actes destructeurs – nous devons la préserver très purement et soigneusement. Garder l’autodiscipline éthique de cette façon est la racine de tous les accomplissements que le Bouddha a indiqués. Cela peut faire advenir la libération individuelle pour quiconque préserve ces diverses contraintes d’engagement. C’est pourquoi on les appelle « les contraintes d’engagement, ou vœux, en vue de la libération individuelle ». Tel est le sens du mot sanskrit pour les désigner : pratimoksha.

Si nous ne gardons aucune sorte de discipline éthique décente ou de moralité, il n’y a aucun moyen pour que nous renaissions en tant qu’être humain ou comme dieu. Par exemple, même si nous pratiquons une grande générosité – disons que nous avons une pièce comme celle-ci pleine d’argent et de biens et que nous les distribuions chaque jour à des milliers de personnes – malgré tout, si nous n’avons pas été une personne morale et n’avons pas gardé une autodiscipline éthique décente, alors en conséquence de notre générosité il se peut que nous renaissions riche, mais pas nécessairement comme un être humain fortuné. Nous pourrions renaître dans un des pires états de renaissance, par exemple comme animal plein de richesses tel qu’un naga (un genre de créature mi-homme, mi-serpent) ou tel qu’un fantôme avide qui a une grande quantité de biens et de joyaux. Il existe des fantômes avides tenaces, par exemple, qui vivent dans des palais en or. Mais, par le pouvoir de leur avarice excessive, ils sont obligés de tailler des morceaux de leur propre chair et de les manger, car ils n’ont rien d’autre à manger. Pareilles choses existent et elles surviennent comme résultat d’avoir été généreux sans être une personne éthique.

Mais si nous avons effectué les mêmes genres d’actes généreux tout en gardant une très stricte autodiscipline éthique, alors comme résultat nous renaîtrons comme être humain et serons en mesure de jouir d’une grande quantité de richesses. En outre, nous serons capables d’utiliser ces ressources que nous avons pour continuer d’être une personne généreuse et d’accumuler des potentiels positifs de plus en plus puissants afin de continuer de progresser spirituellement. Donc notre comportement éthique et généreux donnera des fruits encore et encore. Tandis que, si nous sommes généreux sans conduite éthique, alors le résultat sera de ne pas renaître en tant qu’humain, mais dans l’un des pires états. Ce que nous avons fait donnera juste un résultat en termes de richesse que nous pourrions avoir dans ces pires états mais nous ne serons pas en position d’accumuler aucun potentiel positif supplémentaire sur cette base.

Suivre complètement l’entraînement à l’autodiscipline éthique, jusqu’au plus petit détail de ce que le Bouddha a enseigné, est, bien entendu, la meilleure façon de pratiquer le Dharma. Mais même si nous ne pouvons pas faire cela, si nous suivons les racines types de l’éthique enseignées par le Bouddha, nous renaîtrons parmi le cercle de disciples du prochain enseignant universel, le cinquième Bouddha de cet éon, Maitreya. Il s’agit là d’une caractéristique spéciale indiquée par le Bouddha.

Dès lors, l’autodiscipline éthique est le cœur ou l’essence de toutes les pratiques bouddhiques. Afin d’obtenir la libération, nous avons besoin de l’entraînement à la conscience discriminante supérieure grâce à laquelle nous comprenons qu’il n’existe rien de tel que des identités véritables. Afin d’obtenir cette réalisation, nous avons besoin de l’entraînement à la concentration d’absorption supérieure. Et pour cela, nous avons besoin de l’entraînement à l’autodiscipline éthique supérieure. Tel était l’objet de la discussion dans ce dernier verset.

Résumé de la motivation de portée intermédiaire

Désormais, nous avons progressé grandement par rapport à notre point de départ en tant que personne de portée initiale. Auparavant, nous nous intéressions juste à améliorer nos vies futures et à renaître comme être humain ou comme dieu. Mais maintenant nous voyons que peu importe le lieu où nous renaissons, celui-ci comporte seulement des problèmes récurrents incontrôlables. Nous avons développé le souhait d’obtenir la libération de toutes les souffrances et de tous les problèmes, quels qu’ils soient. Il s’agit du niveau intermédiaire de motivation grâce auquel nous souhaitons obtenir un état de libération de toutes les situations récurrentes incontrôlables du samsara.

Si nous développons ces divers chemins indiqués ici, nous pouvons trancher la racine de tous nos problèmes. Nous pouvons réellement réaliser l’état de libération d’un être libéré. En bref, si nous nous engageons dans toutes les pratiques indiquées ici et les faisons dans le but de nous libérer nous-mêmes de nos propres problèmes individuels, tel est le véritable niveau de motivation d’une personne de portée intermédiaire.

Le besoin de poursuivre jusqu’à un niveau avancé de motivation

Mais il n’est pas suffisant d’être délivré de tous nos problèmes juste pour nous-mêmes. Certes, il est très plaisant d’être un être libéré, un Arhat, et de ne pas avoir d’attitudes ni d’émotions perturbatrices. On acquiert toutes sortes de pouvoirs de perception extrasensorielle, les cinq différents pouvoirs d’émanation, etc., mais être juste délivré des problèmes pour soi seul ne fera jamais l’affaire. Aussi, de même que les gens ordinaires ne sont pas satisfaits de ce qu’ils ont, un pratiquant spirituel qui pense à la situation de se libérer seulement soi-même ne s’en satisferait pas ; ce n’est pas assez.

Le problème, ici, c’est que nous sommes incapables, dans ce simple état de libération, de combler les besoins de tous les autres, de tous les autres êtres limités, de tous les êtres sensibles. Et comment serons-nous véritablement en mesure d’aider tous les autres avec des corps et des esprits limités ? Le seul moyen de pouvoir aider ces êtres limités, c’est si nous-mêmes devenons totalement lucides et pleinement évolués, si nous devenons nous-mêmes un bouddha. Être simplement un être libéré, un Arhat, n’est pas suffisant. En tant qu’Arhat, nous n’avons toujours pas la capacité d’aider tout le monde.

Comment se fait-il qu’en tant que personnes libérées nous soyons toujours incapables de combler les besoins de tous les autres ? Oui, il est vrai que, dans cet état, nous avons éliminé tous les obscurcissements issus des émotions et attitudes perturbatrices – nous n’en avons plus. Mais il existe une autre série d’obscurcissements à côté des obscurcissements émotionnels. En fait, il existe deux séries d’obscurcissements, et nous n’avons pas éliminé les seconds – les obscurcissements cognitifs concernant toutes les choses connaissables. Du fait que nous avons toujours des obscurcissements concernant toutes les choses connaissables, lesquels empêchent l’omniscience, nous n’avons toujours pas rempli parfaitement nos propres desseins. Si nous ne l’avons pas fait, et n’avons pas réalisé le plus haut état que nous-mêmes puissions réaliser, comment pourrions-nous être capables de faire cela pour les autres ? Et comment se fait-il que nous n’ayons pas rempli nos propres desseins ? C’est que, même si nous avons réalisé un état de libération, nous n’avons toujours pas réalisé notre potentiel maximum à son niveau le plus haut ; nous n’avons pas réalisé l’état d’un bouddha. 

Définition générale d’un cœur consacré à la bodhichitta

Quel besoin avons-nous de réaliser un état d’illumination ? Quel besoin avons-nous de réaliser un état de totale lucidité et de plein épanouissement, un état de purification totale et de complète croissance ? La raison pour réaliser ces choses est d’être capable d’aider tous les autres le plus possible. Quand nous développons une pleine dédicace envers cet objectif, cet état d’esprit est connu comme un cœur consacré à la bodhichitta. Ce que nous visons, alors, ce sont les intentions de tous les autres êtres et ce que nous cherchons à faire c’est de combler ces intentions du mieux qu’il est possible. De plus, notre esprit est focalisé sur notre propre future illumination individuelle, que nous n’avons pas encore atteinte, mais que nous pouvons atteindre, et qui, une fois que nous l’aurons atteinte, nous permettra de combler toutes les intentions des autres. Si nous n’avons pas un cœur consacré, orienté de cette façon, nous n’aurons pas réalisé le véhicule à l’esprit vaste du Mahayana. Même si nous avons obtenu une compréhension correcte du vide ou de la réalité, si nous n’avons pas ce cœur consacré à la bodhichitta, nous ne serons pas en mesure de réaliser le plein état d’un bouddha. 

Cette sorte de cœur consacré à la bodhichitta est quelque chose auquel nous devons nous atteler. Développer sincèrement cette dédicace n’est pas une chose que nous pouvons obtenir en un instant comme de presser sur un bouton. Sur quoi donc repose cette sorte de cœur consacré à la bodhichitta ? Il repose sur la compassion pour lui servir de base ou de racine. Et donc la grande compassion est la principale chose sur laquelle nous devons d’abord méditer puis accumuler en tant qu’habitude bénéfique de l’esprit.

La compassion

Qu’est-ce que la compassion ? C’est un état d’intense préoccupation bienveillante grâce auquel nous souhaitons que tous les êtres soient délivrés de leurs problèmes ou du malheur. Telle est la compassion. Le souhait que tout le monde soit heureux est ce qu’on appelle « l’amour ». Et quand on a une attitude qui fait qu’on pense : « Moi-même, je vais faire quelque chose dans ce sens ; je vais moi-même travailler à apporter le bonheur à tous et éliminer la souffrance de tout un chacun », cet état est appelé « résolution exceptionnelle ». Mais, même si nous avons cet état dans lequel nous prenons la résolution que nous-mêmes allons apporter le bonheur à tous et éliminer leur souffrance, en fait nous n’avons pas cette capacité. En vérité qui l’a ? Seul un bouddha pleinement illuminé, quelqu’un de totalement lucide et de pleinement évolué, possède cette aptitude. En somme, quand nous dédions notre cœur en vue d’être à même de réaliser cet état afin de véritablement pouvoir en faire bénéficier tous les êtres, de leur apporter le bonheur et d’éliminer leur souffrance, c’est ce qu’on appelle avoir un cœur consacré à la bodhichitta.

L’état de résolution exceptionnelle ainsi que le cœur consacré sont tous deux le résultat du fait d’éprouver une grande compassion, avec l’amour pour cause. Il est très important d’accumuler de la compassion en tant qu’habitude bénéfique de l’esprit – autrement dit, de méditer dessus – car cela agira comme la racine pour faire advenir ces grands états de l’esprit et du cœur. Si nous accumulons la compassion en tant qu’habitude bénéfique de l’esprit, cela nous purifiera automatiquement d’une grande quantité de potentiel négatif que nous aurions préalablement accumulé.

Le développement de la compassion selon Asanga

Des deux grands pionniers des enseignements à l’esprit vaste du Mahayana, l’un était Asanga. Il dépensa une grande somme d’effort durant des années, essayant d’obtenir la réalisation de pouvoir actualiser et contempler directement la figure-de-bouddha de Maitreya. Le lieu où il fit cette retraite se trouvait près du monastère de Nalanda, dans une grotte très proche du Pic des Vautours. Pendant douze ans, il fit d’intenses pratiques pour actualiser la manifestation de Maitreya. Il pratiqua d’abord pendant trois ans, puis abandonna et descendit de sa grotte, puis il y retourna et continua pendant trois autres années. Il continua ainsi par bonds de trois ans jusqu’à un total de douze. 

Quand il redescendit de sa grotte, plutôt déçu et démoralisé, après douze années sans résultats, il vit un grand chien affligé d’une terrible maladie de peau – un état dans lequel il n’avait plus de pelage, juste la peau à nu avec des plaies ouvertes pleines d’asticots dans la partie inférieure de son corps. Malgré tout, le chien aboyait avec férocité. Voyant ce chien dans une condition aussi misérable, Asanga développa une grande compassion à son égard, car, à le regarder, non seulement il avait perdu ses poils, mais sa peau était couverte de terribles plaies. Et non seulement cela, mais les plaies étaient infestées d’asticots, grouillant les uns sur les autres, avec un aspect absolument horrible. Aussi, mû par sa compassion pour ce pauvre animal, il décida d’essayer de faire quelque chose. Il se rendit dans la ville locale et se munit d’un couteau aiguisé. Il revint et voulut ôter les asticots du chien mais de telle sorte que les asticots ne meurent pas. Il tailla donc un morceau de sa propre chair et le posa sur le sol comme source alternative de nourriture sur laquelle placer les asticots qu’il aurait enlevés du chien. Or, il ne voulait pas blesser les asticots en les ôtant de l’animal avec ses doigts, il se pencha donc doucement pour les enlever des plaies avec sa langue.

Il ferma les yeux, se pencha, sortit sa langue pour essayer d’attraper les asticots, mais il fut incapable d’entrer en contact avec le chien. Il ouvrit alors les yeux et vit devant lui, là où se trouvait le chien, Maitreya lui-même dans toute sa splendeur. Il se saisit d’un pan de la robe de Maitreya et demanda : « J’ai travaillé dur pendant douze ans, essayant d’obtenir une vision de vous. Comment se fait-il que je n’aie jamais été capable de faire cela jusqu’à présent ? » Maitreya dit : « En vérité, j’étais juste à tes côtés tout le temps pendant ces douze années. C’est juste que tu étais trop aveugle pour me voir. Ton esprit était trop obscurci. Mais la circonstance de ta grande compassion a agi comme cause pour ôter ces obscurcissements, tu es donc maintenant capable de me voir. Comme preuve que j’ai été juste en face de toi tout ce temps, regarde le bas de mes habits. Là, tu verras sur mes robes tous les crachats et la morve que tu as produit au cours des années. »

Asanga était maintenant tellement ravi d’avoir vu Maitreya pour de vrai qu’il le plaça sur ses épaules et se rendit en ville, laquelle était assez grande, et se mit à parader à la ronde en criant devant tout le monde : « Venez tous voir le glorieux Maitreya ! » Les gens sortirent de chez eux, mais personne n’était capable de voir qui que ce soit sur les épaules d’Asanga. Tous se dirent : « Pauvre Asanga, il a travaillé tellement dur à faire ses pratiques intensives qu’il est devenu presque fou. » Alors Maitreya emmena Asanga avec lui dans la Terre Pure de Tushita. Là, il lui enseigna les cinq traités de Maitreya, après quoi Asanga les ramena sur terre. La lignée de la pratique exhaustive vient de là.

C’est ce qui est indiqué ici dans ce verset :

(7) Tout comme je suis tombé dans l’océan de l’existence compulsive, de même, tous les êtres errants y sont tombés aussi – eux qui ont été mes mères. Voyant cela, je fais la requête d’inspiration de faire grandir en moi l’objectif de la bodhichitta suprême afin de prendre la responsabilité de libérer ces êtres errants.

Résumé

Ce verset traite de quelqu’un ayant une motivation de portée avancée. Au début, quand nous avions une motivation de niveau initial, nous pensions à toutes les souffrances de la mort et de la renaissance dans un des pires états d’existence. Puis, quand nous avons progressé au niveau d’une personne de motivation intermédiaire, nous avons réfléchi à tous les problèmes et à toutes les souffrances impliquées dans n’importe laquelle des situations récurrentes incontrôlables du samsara, et nous avons développé une détermination à nous en libérer totalement : nous avons développé le renoncement.

Il y a deux sortes de détermination à être libre : la détermination à se libérer des problèmes grâce à laquelle nous nous détournons de l’obsession pour les choses de cette vie, et la détermination à se libérer grâce à laquelle nous nous détournons de notre obsession pour les choses des vies futures. Quand nous développons ce second type de détermination à nous libérer, en s’appuyant sur le fait d’avoir réfléchi en propre à tous nos problèmes et à ce que ce serait pour nous d’en être délivrés, nous renversons cette détermination centrée sur nous-mêmes en la dirigeant sur tous les autres et nous pensons à leurs problèmes. La détermination à se libérer de cette façon deviendra un état de détermination à ce que tout le monde soit libéré de ses souffrances et de ses problèmes. De la sorte, nous développons un état de grande compassion grâce auquel nous souhaitons que tous les autres soient délivrés de leurs souffrances. Cette grande compassion agira comme base à partir de laquelle nous pouvons aller dans la direction d’obtenir une résolution exceptionnelle de prendre la responsabilité du bien-être d’autrui ainsi qu’un cœur consacré à la bodhichitta, grâce auquel nous nous consacrons à combler les besoins de tous les autres et à réaliser un état d’illumination pour ce faire. Tels sont les stades progressifs à travers lesquels nous nous entraînons.

Nous continuerons demain avec les points restants auxquels il est fait référence ici à mesure que nous avancerons plus avant à propos de ce verset.  

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