La sexualité des points de vue bouddhique et occidental

Beaucoup de facteurs et de problèmes peuvent nous amener à avoir une relation sexuelle avec la compagne ou le compagnon de quelqu’un d’autre. Une attirance pour la personne, un désir ardent et une obsession sexuelle sont les plus évidents, mais à y regarder de plus près nous découvrons des facteurs supplémentaires comme, par exemple, l’insatisfaction et l’ennui dans notre vie sexuelle actuelle, ou la confusion quant à la manière d’exprimer notre affection ou de réagir face à la beauté, et beaucoup d’autres encore. En traitant les causes sous-jacentes, nous évitons de nous laisser entraîner par nos fantasmagories sexuelles, évitant du même coup les problèmes qui ne manqueraient pas d’en résulter.

On m’a demandé de parler aujourd’hui de l’éthique sexuelle dans le bouddhisme. De toute évidence, la sexualité est un sujet de grand intérêt, surtout lorsque l’on vit tous ensemble dans une communauté à la campagne, comme vous qui êtes ici, où il peut y avoir beaucoup de confusion au sujet de la sexualité et des relations sexuelles. Beaucoup de souffrance peut découler de notre propre comportement sexuel imprudent ou de celui de notre partenaire. Il peut donc être utile d’aborder les conseils offerts par bouddhisme dans ce domaine.

J’aimerais que la conversation d’aujourd’hui soit plutôt informelle. Donc je parlerai un peu et, au fur et à mesure que nous avancerons, n’hésitez pas à poser des questions. Plus tard, dans l’après-midi, je pense qu’il serait bien d’avoir une discussion autour de questions et d’échanges d’idées.

L’héritage éthique occidental

En règle générale, l’approche de l’éthique dans le bouddhisme est très différente de l’approche occidentale. Dans la culture occidentale, nous avons essentiellement un mélange de deux systèmes éthiques : l’un nous vient de la culture biblique et l’autre de la Grèce antique.

De cette culture biblique provient un ensemble de lois concernant l’éthique, qui ont été énoncées par une autorité supérieure. « Être éthique » signifie alors, fondamentalement, obéir aux lois. Si nous obéissons aux lois, nous sommes « bons », nous sommes de « bonnes gens » et nous serons récompensés au ciel. Si nous n’obéissons pas à ces lois, nous sommes « mauvais » et serons punis dans l’au-delà. Ainsi, l’éthique est vraiment une question d’obéissance à cette autorité supérieure. Nous nous demandons constamment « que faut-il faire, que dois-je faire ? ». Il y a toujours cette idée de « devoir », de « falloir. « Je dois faire ceci et cela mais je ne le fais pas, donc je suis mauvais, je suis coupable ». Nous manquons de confiance en nous et d’assurance parce que nous voulons constamment une réponse à « ce qu’il faut faire », à « ce que je dois faire ».

Dans la Grèce antique aussi il existait une liste de lois, mais celles-ci n’étaient pas des commandements proclamés par une autorité divine : elles étaient créées par les citoyens. Selon ce système, des représentants des citoyens forment ensemble un corps législatif et légifèrent dans l’intérêt et pour le bien-être de la société. Ensuite, une fois encore, c’est une question d’obéissance car il faut suivre les lois. Et en agissant ainsi, ce n’est pas comme si nous étions simplement des personnes de bonne moralité car maintenant, en plus, il s’agit de devenir de « bons citoyens ». Si nous ne suivons pas les lois, nous sommes de « mauvaises gens » et nous devons payer une amende ou aller en prison.

Ainsi, notre éthique occidentale est un mélange de ces deux systèmes qui sont tous deux fondés sur l’obéissance aux lois. L’éthique bouddhique ne fonctionne pas du tout comme cela. En tant qu’Occidentaux, nous sommes déroutés lorsque nous abordons le bouddhisme parce que nous voulons que le bouddhisme nous dise ce qu’il faut faire et ce qu’il ne faut pas faire. À cause de cela, lorsque nous regardons les enseignements du bouddhisme sur l’éthique, nous avons tendance à les comprendre comme quelque chose qui ressemble à des commandements bibliques ou à des lois juridiques.

L’éthique bouddhique et le renoncement

Le fondement de l’éthique bouddhique est complètement différent. L’éthique bouddhique repose sur l’enseignement principal du Bouddha – les quatre nobles vérités ou les quatre faits de la vie. Pour l’essentiel, la vie est dure, la vie est difficile. Mais il y a une cause à cela, et si nous voulons nous débarrasser des difficultés de la vie, il faut en éliminer la cause. Ainsi, ce que le Bouddha a enseigné dans ce contexte est que certains types de comportements vont nous causer des problèmes et du malheur et que si nous voulons éviter de souffrir, nous devons nous réfréner d’avoir ces types de comportements. Mais si nous sommes indifférents à la quantité de problèmes que nous nous créons, c’est O.K. Allez-y, continuez d’agir de cette façon. C’est le choix de chacun.

Le Bouddha n’a pas donné de commandements d’ordre moral comme il en existe dans la Bible. Le Bouddha n’a jamais dit : « Tu dois faire ceci ou cela et si tu ne le fais pas, tu es mauvais ». Par contre, le Bouddha a dit : « Si tu fais ceci ou cela, tu vas te créer des problèmes. Si tu ne veux pas de ces problèmes, arrête de faire ceci ou cela ». Si nous continuons de faire ce qui va nous attirer des problèmes, cela ne fait pas de nous quelqu’un de « mauvais ». Si nous continuons d’agir d’une façon qui va nous attirer des problèmes, nous sommes des idiots et c’est triste. Et si nous arrêtons d’agir de cette façon, nous sommes des sages. C’est tout.

Donc, l’éthique bouddhique soulève la question du choix de nos actes. Dans la formation bouddhique, nous visons à développer des attitudes constructives, comme celle du renoncement. Nous regardons nos problèmes et nous décidons : « Ce n’est pas drôle. Je n’en veux plus ». Ainsi, avec le renoncement, nous décidons avec détermination de nous libérer de ces problèmes. Pour être plus précis, nous décidons de nous en libérer nous-mêmes car personne, hormis nous-mêmes, ne va nous en libérer. Par conséquent, nous devons pousser le renoncement jusqu’aux causes mêmes des problèmes qui se trouvent en nous. Nous allons cesser de créer de telles causes afin que les problèmes qui en découlent cessent d’apparaître.

Par exemple, si nos problèmes proviennent de nos colères terribles ou de notre attachement obsessionnel, alors, étant donné que nous voulons cesser de faire l’expérience de ces problèmes, nous y renonçons, à eux et à leurs causes. Nous développons la détermination qui nous amène à penser : « Je vais essayer de changer. Je veux vraiment me défaire de mon mauvais caractère et de ma colère. Je veux vraiment me défaire de mon attachement. Je vais faire tout mon possible pour y parvenir. » Sans la volonté d’abandonner les traits négatifs de notre personnalité, il est impossible que nous fassions le moindre progrès dans la pratique bouddhique.

Le simple fait de réciter et d’effectuer le rite d’une pouja (puja) sans être prêts à abandonner notre attachement ou notre colère n’aura guère d’effets sur les traits destructeurs de notre personnalité, comme celui de la colère, parce que nous n’allons pas appliquer à notre vie quotidienne les attitudes mentales positives qui sont cultivées dans la pouja. Le rite va seulement être quelque chose que l’on fait à côté, pour le plaisir, comme on regarde le soir un programme à la télé. Donc, si nous sommes intéressés par la libération de nos problèmes, le sujet de l’éthique bouddhique devient central.

Être honnête sur ses objectifs

Il est important d’éviter d’être hypocrite dans la pratique du bouddhisme. Que diraient la plupart des personnes qui viennent en contact avec le bouddhisme, si elles étaient honnêtes envers elles-mêmes, de leurs objectifs ? La plupart des gens ne visent pas vraiment l’illumination. Pas même la libération. La plupart des gens veulent juste rendre leur situation samsarique ‒ leur vie normale de tous les jours − un peu meilleure.

Cela dit, c’est O.K. Le Bouddha a enseigné des méthodes pour améliorer le samsara, c’est-à-dire : comment obtenir une meilleure renaissance. Cela fait partie de l’enseignement du bouddhisme. Mais la plupart d’entre nous ne croient même pas aux vies futures. Alors comment aspirer à les améliorer ? Nous voulons améliorer notre samsara seulement pour le temps de cette vie, tout de suite. Là aussi, c’est O.K. Mais nous ne devrions pas faire semblant et être malhonnêtes et dire que « je suis en train de travailler à devenir un bouddha pour le bien de tous les êtres doués de sensibilité » lorsque ce n’est pas du tout notre but en réalité. Certes, l’éthique que nous devons suivre pour atteindre l’illumination et celle qui nous permet d’améliorer notre samsara sont la même, mais si nous sommes réalistes et honnêtes quant à nos objectifs, nous n’aurons pas trop de difficultés à suivre l’éthique bouddhique.

Une difficulté à laquelle nous sommes confrontés ici est, une fois encore, le fait que la plupart d’entre nous abordent le bouddhisme à partir d’une culture judéo-chrétienne. Nous avons donc tendance à penser : « Je devrais faire des efforts (il faudrait que je fasse des efforts) pour atteindre l’illumination, parce qu’alors je serais quelqu’un de bien, un bon disciple, un bon bouddhiste. Mais si je ne fais pas d’efforts pour devenir un bouddha et aider tout le monde et si je pense seulement à améliorer mon samsara, je suis mauvais ; je suis un mauvais disciple, un mauvais bouddhiste ». L’insistance est de nouveau mise sur les verbes « devoir », « falloir ». Nous portons notre regard sur ce que nous « devrions » faire, sur ce qu’il « faudrait » que nous fassions.

Ce n’est pas ainsi dans le bouddhisme. Dans le bouddhisme, nous progressons de la manière qui nous convient, au stade où nous nous trouvons. Il n’y a pas de « devrais », de « faudrait ». Il n’y a pas de « si tu fais ceci ou cela tu es bon et si tu es à un niveau moins avancé c’est mal ». Nous ne pouvons pas dire que « c’est bien d’être un adulte et c’est mal d’être un enfant. Alors, même si tu es un enfant spirituel, tu devrais être un adulte spirituel et te comporter en tant que tel ».

La principale difficulté, donc, lorsque l’on veut suivre l’éthique bouddhique, est d’essayer de comprendre la relation entre la cause et l’effet comportementaux : la relation entre notre comportement et le niveau de bonheur ou de souffrance que nous éprouvons en conséquence. C’est un point crucial. Sans la conviction de l’existence de cette relation, il n’y a pas de raison de suivre le système éthique bouddhique.

Le comportement destructeur et ses effets

Si nous nous penchons sur ce que le bouddhisme appelle un « comportement destructeur », nous voyons qu’il s’agit d’un comportement qui est motivé par la colère, par l’attachement ou l’avidité, ou par la naïveté. Ce sont là les principales émotions perturbatrices : des émotions ou des états mentaux qui perturbent la paix de l’esprit et nous font perdre la maîtrise de nous-mêmes. Certaines explications rajoutent que le comportement destructeur est, en outre, toujours accompagné de l’absence d’un sens de dignité personnelle sur le plan éthique, ainsi que de l’absence de préoccupation sur la manière dont notre conduite se reflète sur autrui, comme nos parents ou nos professeurs spirituels. Ce qui est certain du point de vue du karma, c’est qu’un comportement motivé par de telles émotions perturbatrices et de tels états d’esprit va produire de la souffrance. Il va « mûrir » sous forme de souffrance.

Maintenant, il faut comprendre ce que signifie cette affirmation. Ce n’est pas si simple. Nous ne parlons pas ici des effets de nos actions sur autrui, parce qu’ils sont incertains. Nous pouvons, avec beaucoup d’amour, offrir des fleurs à quelqu’un, et voilà que cela provoque chez cette personne une terrible crise d’allergie qui la rend très malade ! Également, nous pouvons voler la voiture de quelqu’un, ce qui rend cette personne extrêmement heureuse parce qu’elle voulait justement s’en débarrasser et qu’elle peut maintenant recevoir l’argent de l’assurance pour s’en acheter une nouvelle. Ainsi, les effets de nos actions sur les autres ne sont pas certains : on ne peut savoir si elles produiront du bonheur ou du malheur pour autrui. Bien que nous essayions, évidemment, d’éviter de faire du mal aux autres, nous ne pouvons jamais prévoir ce qu’ils vont éprouver. Nous préparons un plat délicieux pour notre invité(e) et il ou elle s’étrangle et meurt. Comment savoir ce qu’il va se passer ?

En revanche, selon les enseignements du bouddhisme, nous pouvons être sûrs du résultat que nos actions ne manqueront pas d’avoir sur nous. Nous ne parlons pas ici de l’effet immédiat. Si nous violons quelqu’un, nous pouvons faire l’expérience du plaisir immédiat procuré par l’orgasme au moment du viol. Nous ne parlons pas du niveau de bonheur résultant immédiatement de l’acte. Nous parlons de quelque chose dont nous faisons l’expérience à long terme ‒ l’effet à long terme sur notre esprit et sur ce dont nous ferons l’expérience en général dans le futur en tant que résultat de propensions et d’habitudes que nous accumulons.

Par exemple, nous pouvons avoir une liaison extraconjugale et, sur le moment, nous ressentons du bonheur en compagnie de cet autre partenaire. Plus tard, dans cette vie ‒ laissons ici de côté les problèmes de relations de couple dans des vies futures ‒ nous aurons, sans aucun doute, beaucoup de problèmes de famille. Ainsi, nous ne parlons pas du plaisir immédiat que nous pouvons retirer d’une liaison sexuelle ; nous parlons de l’effet à long terme.

La motivation derrière le comportement sexuel

La question principale à élucider lorsque l’on parle de l’éthique bouddhique sur la sexualité est donc celle de la motivation qui sous-tend notre comportement sexuel. L’activité sexuelle, en tant qu’acte, n’est pas tellement différente de l’acte de manger, dans le sens où il s’agit d’une fonction biologique liée au type de corps que nous avons. Si nous avons ce type de corps, il va avoir faim. Nous devrons le nourrir. De même, si nous avons ce type de corps, il va y avoir des hormones sexuelles. Il va y avoir une fonction biologique relative à la sexualité dont il faudra nous occuper. Néanmoins, il y a une grande différence entre satisfaire son appétit sexuel et satisfaire son appétit de nourriture. Nous pouvons vivre sans sexualité, mais nous ne pouvons pas vivre sans nourriture.

L’activité sexuelle, comme manger, peut être motivée par une émotion ou attitude mentale qui est perturbatrice, constructive ou neutre. Selon la motivation, l’acte d’avoir un rapport sexuel ou de manger devient, lui aussi, destructeur, constructif ou neutre. Par exemple, si nous mangeons sous le coup d’une avidité et d’un attachement démesurés – nous goinfrant comme des cochons ‒ c’est autodestructeur. Si nous mangeons parce que nous avons besoin de prendre des forces pour nous occuper de notre famille – afin d’avoir assez de force et d’énergie pour pouvoir travailler et ainsi de suite – c’est une motivation positive et l’acte de manger devient alors constructif. Si nous mangeons simplement parce qu’il est l’heure de manger et que tout le monde mange, alors c’est un acte neutre sur le plan éthique.

La même chose est vraie pour la sexualité. Si nous avons un rapport sexuel sous le coup d’un attachement et d’un désir démesurés, ou sous celui de la colère, comme les soldats qui violent les femmes et les filles de leurs ennemis, c’est destructeur. Si nous avons un rapport sexuel pour prodiguer de l’affection et aider quelqu’un – s’il s’agit d’une personne appropriée – dans l’espoir que la personne se sentira un peu mieux après, alors c’est constructif. Si nous avons un rapport sexuel simplement parce que nous ne pouvons pas nous endormir et que cela nous permettra de nous fatiguer pour nous endormir plus vite, alors c’est neutre.

Le résultat de ce dont nous faisons l’expérience est différent selon la motivation. « Destructeur » signifie qu’il nous causera des problèmes dans le futur. Pour la plupart des gens, la motivation négative qui rend l’acte sexuel destructeur, en faisant ainsi une cause de problèmes futurs, est en général l’attachement et le désir ardent. Ce sur quoi nous avons besoin de travailler dans le contexte du renoncement n’est pas l’acte sexuel en soi, mais l’attachement et le désir ardent.

Prenons un exemple. Supposons que nous recherchions le parfait orgasme. Une telle quête nous amène à être toujours insatisfaits de nos expériences sexuelles. Nous en recherchons toujours une qui soit mieux. Nous brûlons toujours d’envie pour autre chose et ne pouvons jamais vraiment apprécier ce que nous avons. Une telle mentalité nous rend frustrés et malheureux. Elle conduit à ne jamais avoir d’expérience sexuelle satisfaisante.

Il en va de même si nous recherchons le partenaire sexuel parfait. Nous ne trouverons jamais le partenaire parfait. Nous serons toujours insatisfaits ; notre attitude nous rendra toujours malheureux. Une activité sexuelle aiguillonnée par ce genre d’attitudes est destructrice : elle est autodestructrice. Quand nous disons que quelque chose est destructeur, c’est toujours autodestructeur.

Donc, voici ce à quoi il faut renoncer : au mythe du parfait partenaire et du parfait orgasme et au désir ardent qu’il fait naître. Notre désir ardent est fondé sur la confusion naïve selon laquelle « quelque part au-dehors se trouve le partenaire parfait avec qui j’aurai l’orgasme parfait ». C’est un mythe. Un conte pour enfants. Une telle chose n’arrivera jamais. Désolé.

Avoir une relation sexuelle avec le partenaire de quelqu’un d’autre

Il faut aborder la sexualité avec une attitude plus réaliste. Lorsque nous recherchons dans les enseignements quels types de comportements sexuels sont destructeurs, nous trouvons toutes sortes de listes, mais sur toutes ces listes la relation sexuelle avec le partenaire de quelqu’un d’autre est mentionnée. Forts de cette constatation, nous devons essayer de comprendre en quoi c’est un acte destructeur, pourquoi il va nous causer des problèmes. Il y a deux situations dans lesquelles il peut se produire : soit nous avons déjà une liaison sexuelle, soit nous n’en avons pas. Voyons la première.

Si nous disons que cet acte est destructeur parce que nous allons avoir des ennuis avec notre propre partenaire – il ou elle en sera blessé(e) – ou si nous disons que le ou la partenaire de l’autre personne pourra en être blessé(e), de la souffrance peut en effet se produire à ce niveau. Mais ce n’est pas certain. Peut-être sommes-nous dans une relation où notre partenaire dit que c’est d’accord. Peut-être que l’autre personne aussi est dans une relation où son partenaire dit que c’est d’accord. C’est en effet possible.

Mais nous devons faire preuve de grande sensibilité à ce sujet, parce que notre partenaire peut dire : « Oh ! C’est d’accord si tu as des relations sexuelles avec quelqu’un d’autre, ça m’est égal », mais en fait, l’homme et la femme qui parlent ainsi, tiennent peut-être simplement ce langage parce qu’ils ne veulent pas nous perdre. S’ils objectaient, ils pourraient nous perdre ; ils ont donc le sentiment qu’il vaut mieux se taire et dire que c’est d’accord. Mais au fond d’eux-mêmes, ils sont très blessés. Il faut donc que nous soyons extrêmement réceptifs aux sentiments de notre partenaire pour savoir s’il ou elle est vraiment sincère en disant être d’accord.

Et si c’est d’accord seulement dans un sens : c’est d’accord pour notre partenaire si nous avons une relation sexuelle avec quelqu’un d’autre, mais ce n’est pas d’accord pour nous si notre partenaire a une relation sexuelle avec quelqu’un d’autre ‒ de toute évidence, il y a là quelque chose d’instable. Et penser à propos de la personne avec qui nous avons une relation sexuelle que « tant que son partenaire ne s’en aperçoit pas ‒ et il ou elle ne s’en apercevra pas – c’est O.K. » est une vue courte des choses. Inévitablement, le partenaire de l’autre personne s’en apercevra.

Selon les textes bouddhiques, le principal résultat d’une relation sexuelle avec le ou la partenaire d’autrui est que nos propres relations deviendront instables. Nos partenaires se montreront infidèles. Même si nous n’avons pas de partenaire actuellement, cela pourra arriver dans nos relations futures. De plus, bien que l’infidélité de notre partenaire puisse ne pas se produire dans cette vie, les conséquences de notre adultère peuvent prendre la forme, dans cette vie, d’un divorce avec tous les problèmes qui l’accompagnent.

Selon les textes, une autre chose qui se passe lorsque nous entretenons une relation sexuelle avec le ou la partenaire d’autrui est que cela devient une cause pour commettre beaucoup d’autres actions destructrices. Par exemple, nous sommes amenés à mentir à propos de notre liaison. Nous pouvons peut-être même en arriver à tuer ou à voler si quelqu’un se met à nous faire chanter, pour ne pas que notre partenaire l’apprenne ou pour ne pas perdre notre travail. Nous nous sentons obligés de nous débarrasser du maître chanteur pour ne pas qu’il nous dénonce. Une grossesse non souhaitée avec le partenaire extraconjugal peut nous amener à faire avorter le fœtus. De telles choses peuvent arriver, même si, bien entendu, il n’est pas certain qu’elles se produisent.

Dans la discussion sur les partenaires sexuels inappropriés, les textes bouddhiques classiques ne semblent pas faire de différence si nous avons déjà un partenaire sexuel et si nous n’en avons pas. Je pense cependant que nous dirions, surtout dans le contexte de notre société occidentale contemporaine, que des conséquences négatives telles que celles que je viens de mentionner se produiraient dans les deux situations. De même, les textes classiques ne mentionnent pas les conséquences négatives qui adviendraient si, ayant déjà un ou une partenaire, nous avions une relation sexuelle avec quelqu’un d’autre qui n’en ait pas ou dont les relations sexuelles ne seraient pas limitées par ses parents ou par des vœux. Mais je pense que, là aussi, nous dirions que le même type de conséquences douloureuses se produirait.

L’insatisfaction

Une analyse en profondeur révèle que c’est l’insatisfaction qui rend destructeur le fait d’avoir une relation sexuelle avec le partenaire de quelqu’un d’autre. Si nous avons déjà un partenaire, c’est notre insatisfaction latente qui nous amène à en chercher un autre. Et même si nous n’avons pas de partenaire, nous sommes poussés à avoir une relation sexuelle avec le ou la partenaire de quelqu’un d’autre parce que nous ne nous satisfaisons pas de la recherche d’un partenaire avec lequel il serait approprié d’entretenir une telle relation. Peut-être que nous n’avons même pas essayé.

L’insatisfaction est le principal coupable derrière presque toutes les formes de comportements sexuels inappropriés qui sont mentionnées dans les textes classiques, telles que les relations sexuelles par les orifices inappropriés du corps, à des moments inappropriés, dans des endroits inappropriés et ainsi de suite. Le problème derrière tout cela, c’est l’insatisfaction. Par exemple, disons que nous pouvons avoir des rapports sexuels la nuit, dans l’intimité de notre chambre à coucher, quand personne ne risque d’arriver et de frapper à la porte. Mais cela nous laisse insatisfaits, ce n’est pas assez excitant. Alors nous décidons de le faire sur notre terrasse en plein milieu de la journée, quand n’importe qui peut arriver et nous voir, causant ainsi toutes sortes de gênes et de scandales. Ou nous avons peut-être un rapport sexuel à midi, au beau milieu du salon, quand les enfants peuvent entrer à tout moment et nous voir, ce qui pourrait gravement les traumatiser.

L’insatisfaction peut prendre beaucoup de formes. Pour l’essentiel, nous sommes insatisfaits de ce que nous avons et nous voulons plus. Par exemple, nous avons établi un certain code de conduite sexuelle avec notre partenaire concernant les positions et les manières de faire. Ce n’est pas la peine d’être stricts et puritains du genre « une-seule-position-un-point-c’est-tout », mais disons que nous avons instauré un certain répertoire.

D’abord, pour qu’un tel répertoire soit approprié, il ne saurait inclure des formes de rapports sexuels conventionnellement destructeurs pour notre partenaire ou pour nous-mêmes. Si notre répertoire établi consiste à enchaîner notre partenaire et à le ou la torturer avant ou pendant l’acte sexuel, alors un tel comportement sadomasochiste est inacceptable. Ou si nous avons des relations sexuelles non protégées avec quelqu’un qui est susceptible de nous transmettre une maladie sexuellement transmissible ou à qui nous pouvons transmettre une telle maladie si nous sommes nous-mêmes contaminés, est également un acte destructeur et inacceptable. Les formes d’actes sexuels doivent être, au niveau conventionnel, des formes raisonnables et saines.

Bien sûr, il peut y avoir de nombreuses opinions, à la fois individuelles et culturelles, sur quelles formes de rapports sexuels sont raisonnables et saines et quelles formes sont destructrices, mais laissons cette discussion de côté. Ce qui rend ici l’acte sexuel destructeur est le fait que nous soyons insatisfaits du modèle réciproquement non destructeur sur lequel nous nous sommes mis d’accord et que, par exemple, nous ayons besoin de consulter des manuels de pratiques sexuelles exotiques et ésotériques pour essayer une centaine de positions différentes dans le but de rendre les rapports sexuels plus excitants. Nous pensons peut-être même : « Faisons l’amour en nous tenant sur la tête ! » car nous sommes en quête d’un plaisir idéal que nous ne trouverons jamais, jamais. Nous recherchons une sorte d’expérience sexuelle idéale, mais ce n’est qu’un mythe, comme le mythe du partenaire parfait et de l’orgasme parfait. Ces choses n’arriveront jamais.

Voici le véritable fauteur de trouble : l’insatisfaction, ce désir d’avoir plus, encore plus ; d’avoir mieux, encore mieux. Ce désir est dû à la saisie envers le « MOI, MOI, il m’en faut plus ». Particulièrement dans des endroits comme celui-ci, loin de la ville, dans une communauté où de chaleureux liens d’affection ont été tissés et où l’on se sent proches les uns des autres et où parfois des personnes déjà en couple ont des relations sexuelles avec d’autres personnes qui sont aussi en couple, il est important d’analyser la motivation d’un tel comportement. Il est important de se demander si ce n’est pas dû à de l’insatisfaction avec son ou sa propre partenaire et à la recherche de quelque chose de mieux, encore mieux, toujours mieux.

Si ce comportement est fondé sur une telle attitude mentale, alors il est autodestructeur. Inévitablement, il va nous causer des problèmes et du malheur. Quant à savoir s’il sera source de bonheur ou de malheur pour notre nouveau ou nouvelle partenaire et pour notre ancien ou ancienne partenaire, c’est une autre question. Mais en ce qui nous concerne, cela ne manquera pas de nous causer des problèmes. Nous avons le choix. Si nous voulons continuer d’être malheureux et frustrés – parce que ce type de recherche condamne à la frustration – alors allons-y, continuons, c’est notre choix. Mais si nous voulons en finir avec cette situation malheureuse, avec cette anxiété causée par une frustration constante et par la recherche permanente de quelque chose de mieux, alors il faut nous abstenir de cette sorte d’activité.

Le « corps merveille de beauté » et l’amour libre

En plus, nous pouvons aussi nous leurrer sur ce qui constitue un comportement sexuel innocent. En Occident, nous avons cette idée du « corps merveille de beauté ». Le culte du corps est peut-être un héritage qui nous vient de la Grèce antique et de la Renaissance. Vous connaissez cette attitude : « le corps jeune d’une telle beauté et d’une telle perfection… » au point de presque le vénérer. Avec ce genre d’attitude envers le corps, nous considérons le rapport sexuel comme une chose merveilleuse et belle et nous croyons qu’il va vraiment apporter un grand bonheur à l’autre personne et à nous-mêmes. Nous parlons ici de l’idée typiquement occidentale de « l’amour libre » entretenue par certains.

Par exemple, nous pouvons déjà avoir une relation sexuelle avec un ou une partenaire et puis, lors d’une fête, rencontrer quelqu’un que nous trouvons attirant et sexy. Il se peut que nous pensions : « En fait, je ne suis pas insatisfait(e) avec mon (ou ma) partenaire. Mais voici un corps tellement beau que je dois le caresser ! Faisons l’amour pour célébrer la beauté de nos corps ! Faire l’amour ensemble sera d’une telle beauté ! ». Il se peut même que nous pensions : « Faire l’amour sera d’une telle spiritualité ! ». Une pensée à ce point naïve est vraiment un cas d’auto-illusion. Derrière cette croyance que la liberté sexuelle est complètement innocente et belle, et même spirituelle, peuvent se cacher beaucoup de désir, d’avidité et d’attachement, soutenus par notre adoration naïve du « corps merveille de beauté ».

En tant qu’Occidentaux, la plupart d’entre nous n’aiment pas les enseignements du bouddhisme qui attirent notre attention sur ce qui est sous la peau, dans l’estomac, dans les intestins et ainsi de suite. Mais si nous ignorons la réalité de ce qui se trouve dans le corps, nous devenons victimes du mythe du « corps merveille de beauté », et le corps devient alors un objet de désir obsessionnel.

Le bouddhisme explique que le désir ardent est une émotion perturbatrice fondée sur une conception fausse de son objet. Plus précisément, elle est fondée sur l’exagération des qualités positives ou du caractère attrayant de son objet. Dans le cas où cet objet est le corps, le désir ardent considère quelque chose qui est fondamentalement sale, comme quelque chose de propre et de merveilleux. Passez donc une semaine en été sans vous laver ou sans vous brosser les dents et vous verrez combien le corps est propre ! Ou encore, le désir ardent considère quelque chose qui va foncièrement créer des problèmes, comme une source de bonheur ultime. Ou quelque chose qui est impermanent, comme permanent. Ou quelque chose qui est sans essence solide, comme quelque chose qui a une essence solide. Quand nous agissons sous l’influence de conceptions aussi naïves et fausses, nous nous créons bien des problèmes.

Aussi, encore une fois, si nous voulons éviter que de la souffrance résulte de notre comportement sexuel, il faut que nous évitions d’idéaliser l’acte sexuel. Cela ne signifie pas qu’il faille cesser d’avoir des relations sexuelles, cela signifie qu’il ne faut pas les idéaliser. Autrement dit, soyez réalistes à propos du corps de l’autre personne et du vôtre. Souvent les pieds transpirent et sentent mauvais. C’est la réalité. Alors ne faites pas comme si cela n’existait pas. Ne faites pas comme si le corps était toujours aussi beau et merveilleux que s’il sortait tout droit d’un film d’Hollywood, car ce n’est pas le cas !

Et un rapport sexuel ne va pas procurer le bonheur ultime, ni à l’autre ni à nous-mêmes. Donc, si nous pensons : « Ah, je vais coucher avec cette autre personne et ça va ainsi régler tous ses problèmes et la rendre heureuse », ou encore : « Ça va régler tous mes problèmes et me rendre heureux », c’est un mythe. Cela n’aura pas cet effet, évidemment. Cela nous soulagera peut-être temporairement l’un ou l’autre d’une certaine tension, mais soyons réalistes : le soulagement n’est que temporaire, il n’a rien de profond. Ce n’est donc pas la peine d’en faire toute une histoire. Et de toute évidence, il ne va pas durer. Alors inutile de nous faire des illusions à ce sujet.

Et si nous sommes allongés en tenant l’autre personne dans nos bras, eh bien, le bras de dessous va finir par s’engourdir. Toutes sortes de choses désagréables ne manqueront pas de se passer. Il faut les accepter comme faisant partie des problèmes d’ordre général du samsara. Nous avons ce type de corps qui est mêlé de confusion et qui cause des problèmes. La même chose est vraie à propos des relations sexuelles : elles aussi vont causer un tas de problèmes. Donc, si nous projetons de l’idéalisme et du romantisme sur la sexualité, nous allons nous attirer beaucoup de déboires. Il faut être réaliste à ce sujet.

Bref résumé

Voilà pour ce qu’il me semble être quelques-uns des points cruciaux de l’éthique sexuelle bouddhique concernant la manière de réduire au minimum la quantité de problèmes et de souffrance que nous nous créons à nous-mêmes du fait de notre comportement sexuel. Nous devons examiner très honnêtement la motivation de notre activité sexuelle, tant avec nos propres partenaires qu’avec les partenaires d’autrui, si nous sommes attirés par ce type d’activité. Nous devons également examiner de près la façon dont nous considérons la sexualité. Est-ce que nous l’idéalisons ? Ou en avons-nous une vision plus réaliste ? Si nous sommes intéressés par la libération de nos problèmes ‒ ou même sans nous intéresser à un but aussi élevé, si nous sommes simplement intéressés par l’amélioration de notre samsara et la réduction de nos problèmes dans cette vie – alors nous devons tâcher d’éviter les comportements sexuels qui sont motivés par une émotion perturbatrice ou par une quelconque fantasmagorie. Ensuite, bien sûr, nous devons faire de notre mieux pour ne pas causer de problèmes à l’autre personne du fait de notre comportement sexuel, bien qu’il soit très difficile de garantir les effets que nos actions auront sur autrui.

Rappelez-vous, il n’y a rien dans l’éthique bouddhique qui dise : « Tu dois faire ceci et tu ne dois pas faire cela ». Ce n’est qu’une question de vouloir cesser de nous créer des problèmes, et d’avoir une compréhension réaliste de la cause et de l’effet comportementaux.

Le témoignage d’affection

Avant d’ouvrir la séance de discussion, un dernier point concerne la question du témoignage d’affection. Que nous soyons dans une relation et que nous ayons un(e) partenaire ou pas, si nous ressentons une grande affection pour quelqu’un d’autre, quelle est la manière appropriée de montrer notre affection ? Certaines personnes peuvent penser que la seule véritable démonstration d’affection passe en quelque sorte par la sexualité. Peut-être pas en s’engageant véritablement dans un rapport sexuel au point d’en arriver à l’orgasme, mais peut-être par des interactions intentionnellement excitantes sur le plan sexuel ‒ excitantes pour nous-mêmes, pour l’autre, ou pour les deux. Mais il est évident qu’il ne nous viendrait pas à l’idée d’employer ces méthodes avec tous ceux pour qui nous éprouvons de l’affection. J’ai beaucoup d’affection pour mon chien, par exemple, et je lui manifeste souvent mon l’affection par des caresses, mais il ne me viendrait pas à l’idée d’avoir un rapport sexuel avec lui ou de l’exciter sexuellement.

Cette question du témoignage d’affection commence à devenir intéressante lorsque nous nous mettons à observer combien elle peut être influencée par des données culturelles. Par exemple, quand les Occidentaux voyagent en Inde ou au Moyen-Orient, ils restent parfois confondus par les signes d’affection des populations locales, parce qu’en Inde et au Moyen-Orient, deux amis du même sexe vont se promener en se donnant la main, ou vont se tenir très longtemps par la main. En Occident, une telle conduite serait interprétée différemment, mais en Inde et au Moyen-Orient ces démonstrations d’affection n’ont pas de connotation sexuelle. Dans ces cultures, se tenir la main est un geste d’affection et d’amitié approprié entre personnes du même sexe, alors que dans la culture américaine ou britannique, le même geste serait considéré comme ayant une connotation sexuelle et, donc, comme un comportement inapproprié pour des hétérosexuels.

Un autre exemple : dans les cultures d’Europe occidentale, quand un homme salue une femme, il l’embrasse sur les joues, une, deux, trois, ou même quatre fois selon sa culture, sans la moindre connotation sexuelle. En fait, l’homme ne fait qu’appuyer sa joue contre celle de la femme et ne touche pas réellement son visage avec ses lèvres. Mais en Inde, par exemple, les hommes ne feraient jamais une chose pareille. En fait, dans le Moyen-Orient islamique, les hommes se saluent de cette façon, mais là aussi, sans aucune connotation sexuelle.

Un autre point intéressant est que les Occidentaux semblent avoir la compulsion de dire « je t’aime », comme si exprimer notre amour par des mots pouvait le rendre réel, comme si les mots pouvaient prêter une véritable existence à notre amour. Et si tu me dis que tu m’aimes, alors cela aussi fait de l’amour une réalité. D’un autre côté, si tu ne me dis pas « je t’aime » ou si tu ne le dis pas assez souvent, cela implique que tu ne m’aimes pas vraiment. Il est intéressant de voir, du point de vue de la vacuité, combien nous imaginons faussement que les mots peuvent créer ou prouver la véritable existence de nos émotions.

Mais si nous regardons la société indienne traditionnelle, les gens ne disent pas « je t’aime », ils ne se le disent même pas entre époux ni ne le disent à leurs enfants. En tibétain, il n’existe même pas d’expression pour dire « je t’aime ». On témoigne son amour et son affection par des actes, non par des mots.

L’intérêt de ces observations est de nous amener à nous demander si nous avons besoin d’avoir un contact sexuel avec quelqu’un pour lui exprimer notre affection. Si nous pensons que c’est le cas, il est possible que nous nous trompions nous-mêmes. Il est possible que notre motivation soit due, en fait, non seulement à de la naïveté, mais aussi au désir ardent. Ici, la naïveté consisterait à penser que « je dois coucher avec toi pour te témoigner et te prouver mon affection. C’est le seul moyen véritable d’exprimer mon amour ». Même si nous ne pensons pas d’une façon aussi extrême, nous ressentons peut-être la compulsion d’exprimer notre amour en embrassant passionnément la personne sur les lèvres. C’est un important sujet de réflexion. L’acte d’embrasser passionnément quelqu’un sur la bouche exprime-t-il et montre-t-il vraiment notre amour, et est-ce la seule façon de l’exprimer ? C’est un point très intéressant, vraiment, surtout si nous poussons de plus en plus profondément l’analyse des motivations de notre activité sexuelle.

Mais peut-être est-ce assez pour une première présentation. Passons maintenant à quelques sujets de discussion.

La sexualité, l’amusement et la variété

Question : Qu’en est-il de l’amusement ? La sexualité est aussi une partie de plaisir et quelque chose de beau pour les deux partenaires. De plus, pour reprendre l’analogie avec la nourriture et la faim, je n’ai pas envie de vivre tous les jours uniquement de pain et d’eau. Alors j’essaie parfois de cuisiner un bon repas ou d’aller manger dehors de temps en temps, juste pour rendre les choses intéressantes en y ajoutant de la variété. N’est-ce pas une attitude raisonnable pour rester en bonne santé et être satisfait ?

Berzin : Deux points se dégagent de ta question. Le premier concerne le côté ludique de la sexualité. Oui, les rapports sexuels peuvent être une partie de plaisir. Le problème commence quand nous idéalisons la sexualité et quand nous nous imaginons que c’est le truc parfait pour nous rendre heureux. L’attitude qui causera le moins de problèmes est celle qui consiste à apprécier la sexualité pour ce qu’elle est, sans lui accorder plus d’importance qu’elle n’en a. Certes, c’est une partie de plaisir. Mais ce n’est pas le bonheur éternel et idéal. Manger est agréable, manger est même un plaisir, mais quand nous avons fini de manger, au bout de quelques heures seulement nous avons de nouveau faim. La même chose est vraie pour les rapports sexuels.

Quant au second point, il concerne l’analogie avec la lassitude que nous éprouverions à nous nourrir tout le temps de pain et d’eau. Donc, il serait naturel de vouloir de temps en temps quelque chose de plus intéressant. Une telle idée de la sexualité en dit long sur les rapports sexuels que nous avons avec notre partenaire. S’ils nous paraissent avoir le goût de pain et d’eau, c’est que quelque chose ne va pas dans notre relation. Expérimenter des formes exotiques de sexualité – comme cuisiner un bon plat – ou coucher avec quelqu’un d’autre pour varier – comme sortir pour aller manger ‒ ne résoudra pas le problème. Au contraire, il est probable qu’il s’en trouvera aggravé.

Réponse : J’ai pris cet exemple simplement à cause de ton analogie entre l’appétit de nourriture et l’appétit sexuel. Il est bon et beau de vivre de pain et d’eau, mais si nous voulons garder le côté amusement, ce n’est pas pour tous les jours.

Berzin : Voilà qui soulève une question très intéressante. Qu’est-ce que l’amusement ? L’amusement est une chose très difficile à définir. Quelqu’un pourrait-il donner une définition de l’« amusement » ? Je me souviens d’une fois, juste pour donner un exemple, avec mon professeur Serkong Rinpotché, en Hollande. Nous étions chez des gens très riches qui avaient un grand yacht. Ils l’avaient ancré dans un minuscule lac hollandais. Un jour, ils nous ont emmenés faire un tour. On avait l’impression de naviguer dans une baignoire. On ne pouvait rien faire d’autre que de tourner en rond dans ce petit lac, à la queue leu leu, derrière une cinquantaine d’autres gros bateaux qui en faisaient autant. Le seul commentaire en tibétain que me fit Serkong Rinpotché sur cette sortie a été : « C’est ce qu’ils appellent de l’amusement ? ».

Donc, qu’est-ce que l’amusement ? Est-ce de l’amusement que de tourner sur un manège de montagnes russes qui nous rend malades et morts de trouille ? Est-ce vraiment le bonheur ?

L’insatisfaction et l’ennui

Quoiqu’il en soit, revenons sur le point concernant les relations sexuelles et les tentatives pour les rendre intéressantes, ce qui nous mène à la discussion sur l’ennui, ce qu’il est et pourquoi il survient. Je pense que l’ennui se manifeste du fait d’avoir trop de choix et, donc, de s’attendre à avoir de la variété. La société occidentale contemporaine nous inculque dès l’enfance à nous attendre à avoir le choix. On demande toujours à l’enfant occidental : « Qu’est-ce que tu veux ? Comment veux-tu t’habiller aujourd’hui ? Qu’est-ce que tu veux manger aujourd’hui ? ». Dès son plus jeune âge, on lui apprend à faire des choix parmi une grande variété de possibilités. Tout naturellement, l’enfant finit par s’attendre à avoir toujours un éventail de choix à sa disposition.

Prenons, par exemple, les supermarchés occidentaux et le nombre de chaînes à la télévision. Il y a des centaines de choix possibles. Le fait que nous nous attendions à trouver quelque chose d’intéressant parmi la variété disponible fournit à l’ennui une base de développement rapide car nous ne sommes jamais satisfaits de ce que nous avons. Nous espérons toujours trouver quelque chose de nouveau ou de différent qui sera encore plus intéressant ou plus délicieux.

Il semble que cette attente de variété, avec l’ennui qui l’accompagne souvent, déteigne sur nos attitudes occidentales contemporaines envers la sexualité. En tant qu’Occidentaux modernes, il semble que nous aimions la variété dans notre sexualité car nous avons tendance à nous ennuyer si nous faisons toujours la même chose. Cette variété peut s’exprimer à travers le choix de différentes positions avec notre partenaire, ou à travers le choix de partenaires différents. Nous devons donc réfléchir au rôle de l’ennui dans notre quête d’un plaisir sexuel plus grand et nous interroger sur ce qui est intéressant et sur ce qui ne l’est plus, sur les limites respectives de ces deux catégories et pourquoi.

Quant à la question de savoir comment faire, dans le monde occidental d’aujourd’hui, pour gérer au mieux l’attente et le besoin de variété que nous avons acquis, je pense que, comme nous le disions auparavant, l’instauration d’un répertoire avec notre partenaire sexuel habituel peut être la solution, plutôt que d’avoir des aventures sexuelles en dehors de notre relation. Si, avec notre partenaire, nous n’optons pas pour une position seulement mais, disons, pour un répertoire qui en contient plusieurs, alors cela nous donne un petit peu de variété. Ce qui pose problème, malgré cette variété avec notre partenaire, c’est la recherche constante d’une nouvelle et parfaite façon de faire l’amour. Une telle quête est fondée sur de l’insatisfaction et sur une frustration permanente qui nous empêchent d’apprécier ce que nous avons. Cette attitude est un fauteur de troubles.

Je ne pense pas que nous puissions dire qu’avoir des rapports sexuels dans différentes positions avec notre partenaire soit destructeur de façon inhérente et que cela « mûrira » sous forme de malheur et de souffrance. Le problème se trouve dans l’attitude mentale d’ennui et d’insatisfaction et dans la recherche sans fin de quelque chose de plus intéressant, de plus amusant. C’est vrai aussi si nous envisageons de goûter avec un autre partenaire, même une fois en passant, quelque chose de différent qu’on espère plus amusant, puis de retourner à notre régime sexuel habituel.

Question : Peux-tu dire en dire plus sur l’insatisfaction ?

Dr. Berzin : L’insatisfaction et l’attente sont étroitement liées. Elles proviennent de la projection et de la saisie envers quelque chose qui n’existe pas. Ici, la projection que nous faisons est celle du partenaire idéal, parfait. Il va y avoir un prince charmant ou une princesse charmante sur son cheval blanc et il ou elle sera parfaite. Nous ferons l’amour et il y aura des fanfares de trompettes et des feux d’artifices en arrière-plan, et nous aurons gagné le jackpot. C’est une pure fantasmagorie. C’est quelque chose qui n’arrivera jamais. L’insatisfaction provient de notre croyance en ce mythe, en ce conte de fées où le prince charmant et la princesse charmante nous attendent quelque part et où « l’orgasme jackpot » existe.

L’allègement d’une situation domestique difficile

Quand nous avons une relation sexuelle avec quelqu’un qui ne partage pas notre vie quotidienne avec tous ses tracas et qui n’est pas fatigué à la fin d’une dure journée passée au travail ou avec les enfants, c’est beaucoup plus facile. Il y a plus de légèreté dans les relations que nous avons en dehors de notre partenaire habituel et il y a une grande différence de qualité dans l’expérience sexuelle.

Eh bien, quelle est la motivation ?

Le soulagement et l’allègement de notre situation...

Bon, encore une fois, je pense qu’il existe différentes manières de détendre la situation. Il faut considérer la cause et l’effet. Nous pouvons courir, faire du sport, aller au cinéma, nous masturber dans la salle de bains ou avoir un rapport sexuel avec une prostituée, une personne célibataire ou le partenaire d’autrui. Dans notre quête visant à alléger notre situation, lequel de ces choix serait le moins destructeur, lequel serait le plus destructeur ? Sont-ils tous égaux ?

Une forme d’inconscience ou d’ignorance porte sur les causes et les effets karmiques. Nous pensons peut-être que nos actions n’auront pas de conséquences, ou alors, tout simplement, nous ne voulons pas y penser. Or, il faut que nous pensions aux effets de notre comportement dans cette situation, non seulement sur nous-mêmes, mais aussi sur notre partenaire, sur le partenaire de l’autre personne s’il y en a un ou une, et sur les enfants impliqués. Il faut même penser aux conséquences sur la communauté dans son ensemble, puisque vous vivez en vase clos dans cette petite communauté. Dans certains cas, quand nous goûtons à un fruit exotique et retournons ensuite au pain et à l’eau, il arrive que nous soyons encore plus malheureux qu’avant.

Bien sûr, cela dépend beaucoup de la situation individuelle. Mais il faut vraiment que nous examinions notre motivation, toutes les personnes impliquées et leurs sentiments et, à un niveau plus élémentaire, la relation avec notre partenaire. Nous devons passer en revue les conséquences de tous les choix dont nous disposons. Ce n’est pas facile. Est-il possible d’obtenir ce soulagement, cet allègement de la situation autrement qu’en recherchant et qu’en ayant un rapport sexuel avec quelqu’un d’autre ? Ou est-ce la seule manière possible ? Et si nous pensons que c’est la seule manière de faire, alors la question très importante à se poser est celle du pourquoi, pourquoi est-ce la seule ? Est-ce que le rapport sexuel est une manière de témoigner de l’affection à l’autre personne parce que nous éprouvons de profonds sentiments envers elle ? Ou aurions-nous un rapport sexuel avec quiconque en aurait envie et serait disponible ? Cette question aussi est intéressante.

De plus, nous devons prendre en considération le niveau de pratique spirituelle que nous visons. Visons-nous la libération totale ou l’illumination ? Auquel cas, nous voulons éviter tout ce qui sera susceptible de causer de la souffrance ou de limiter notre capacité d’aider les autres. Donc, nous nous abstenons de toute aventure extraconjugale car cela causerait certainement davantage de problèmes, ce qui, au final, détournerait la confiance que les autres pourraient avoir en nous. Ou visons-nous l’amélioration de notre samsara ? Dans ce cas, nous essayons d’opter pour la moins lourde des actions destructrices et, mieux encore, nous tâchons de trouver une solution neutre sur le plan éthique. La même chose reste vraie si nous ne suivons pas de chemin spirituel.

Les relations insatisfaisantes

Si nous visons la libération, par exemple, cela signifie-t-il qu’il faille rester dans une situation où nous nous sentons insatisfaits ou même vraiment malheureux ? Comment savoir qu’il est temps de sortir de la relation ?

Quand une relation est mutuellement destructrice et que nous n’arrivons pas à remédier à cette situation, il est temps, sans aucun doute, de mettre un terme à la relation. Les enseignements bouddhiques ne disent jamais qu’il faut rester dans une situation mauvaise ou négative. Mais il est important d’être honnête avec l’autre personne. Si nous voulons sortir de la relation, sortons de la relation. Ne restez pas dans la relation tout en étant avec quelqu’un d’autre en même temps, parce que cela ne va faire qu’empirer la situation.

Je pense que l’une des raisons à l’insatisfaction et aux immenses problèmes dans les relations est qu’on entame une relation en s’attendant à ce qu’elle dure toujours. Tu sais, cette idée que nous resterons ensemble « jusqu'à ce que la mort nous sépare »…

Du point de vue du bouddhisme, nous pensons selon un nombre incalculable de vies passées et futures. Une relation proche avec quelqu’un n’est pas cantonnée à une seule vie. Si nous avons une relation forte avec quelqu’un, c’est en raison d’une relation karmique provenant de vies antérieures. De même, lorsque nous mettons fin à une relation en décidant de nous séparer, la relation karmique n’est pas remise à zéro pour autant. Ce n’est pas comme si nous ne devions plus jamais nous rencontrer, ou comme si nous ne devions plus jamais avoir de relations avec cette personne dans des vies futures. On ne peut pas jeter quelqu’un aux ordures comme on jetterait un vieux chou qui a pourri.

Alors, si notre partenaire et nous-mêmes décidons qu’il vaut mieux mettre fin à notre relation, par exemple, en divorçant ou en cessant de vivre ensemble ou d’avoir une vie sexuelle commune, il vaut mieux essayer de le faire sur une note positive que sur une note négative. Si possible, nous essayons de maintenir ensuite, en quelque sorte, une relation amicale avec la personne, même si ce n’est qu’au niveau de l’attitude mentale. C’est particulièrement important quand des enfants sont impliqués. Et si nous restons tous les deux dans la même petite communauté, alors, quand nous nous rencontrons, essayons de nous montrer amicaux. Si nous sommes hostiles l’un envers l’autre, cela aura inévitablement un effet négatif sur notre entourage.

Si je comprends bien, le lien karmique avec une personne ne prend pas fin lorsque l’on met un terme à la relation intime avec cette personne ? La relation change simplement d’expression ? Le lien change de forme, donc, même quand je suis mesquin et hostile envers mon ancienne partenaire, j’ai toujours un lien avec elle ? Donc, tu dis qu’il vaut mieux avoir des interactions en quelque sorte positives mais moins intenses et intimes tout en gardant en tête l’idée d’un enchaînement de vies et d’une continuation du karma, ce qui permet à la relation de changer de forme ? Ai-je bien compris ?

Oui, bien que cela puisse ne pas être facile, surtout si c’est notre partenaire qui a initié la rupture et si nous nous sentons encore blessés ou tristes. Mais d’une certaine façon, nous devons surmonter cette douleur et essayer de développer un cadre mental plus positif. Le principal est de continuer à vivre notre vie sans rester pris dans des pensées relatives au passé. De toute façon, nous n’avons pas le choix. La vie continue.

Si nous nous identifions encore au membre d’une relation insatisfaisante ou mauvaise, nous continuerons de nous sentir blessés et d’entretenir des sentiments négatifs envers notre ancien partenaire. Mais si nous avons commencé un nouveau chapitre dans notre vie, auquel nous nous identifions – que ce soit un nouveau chapitre en tant que célibataire ou en tant que partenaire dans une autre relation – nous nous retrouverons dans un cadre émotionnel beaucoup plus stable. Avec une plus grande stabilité émotionnelle et davantage de confiance dans notre capacité de vivre notre vie, nous serons en mesure d’avoir une sorte d’attitude positive envers notre ancien partenaire. Nous serons capables de nous concentrer davantage sur ses qualités positives plutôt que sur ses défauts et sur les difficultés que nous avons eues ensemble.

Exprimer un sentiment de proximité avec tout le monde

Ne sommes-nous pas reliés et connectés avec tout et tout le monde d’une certaine manière ? Nous retirons simplement davantage de cette connexion lorsque nous avons une relation de couple avec une certaine personne.

Nous en revenons à la question que j’ai soulevée auparavant concernant la façon dont nous exprimons ce sentiment de proximité et s’il faut l’exprimer en couchant ensemble, en se tenant la main, en mangeant ou en sortant ensemble, ou quoi que ce soit d’autre.

Cette question sur le témoignage d’affection est vraiment épineuse. Parce que, selon la réponse conforme au Dharma, nous devrions montrer de l’affection d’une manière telle que l’autre puisse la recevoir au mieux et la comprendre sans fausse interprétation. Il faut que notre affection soit communiquée de la manière qui convient à l’autre personne, n’est-ce pas ?

Maintenant, c’est chose facile avec certains êtres. Je peux témoigner de l’affection à mon chien en lui caressant la tête ou en lui donnant un os. Ce sont des marques d’affection appropriées envers un chien : le chien peut comprendre et apprécier. Mais je n’aurais pas idée de témoigner de l’affection à mon chien comme je le ferais envers un être humain, bien que parfois je puisse avoir envie de le serrer dans mes bras. Mais mon chien n’aime pas vraiment être serré dans mes bras. C’est une façon inappropriée de montrer de l’affection à un chien. Les chiens, d’un autre côté, se font des démonstrations d’affection, surtout s’ils sont sur le point d’avoir un rapport sexuel, le mâle mordillant le cou de la femelle. Mais ce serait là un témoignage d’affection inapproprié de la part d’un être humain envers son chien ou envers d’autres êtres humains.

De même, chez les êtres humains, les démonstrations d’affection appropriées et inappropriées varient si ce sont des hommes, des femmes, des enfants, des adultes, des Indiens, des Italiens, des Allemands, des Britanniques, des Américains, des Japonais, et ainsi de suite. Les différences ne sont pas seulement fonction de la personne à qui nous adressons des marques d’affection, elles diffèrent aussi selon que nous sommes un homme, une femme, un enfant ou un adulte, selon la position sociale de chacun dans la vie, les circonstances de la rencontre, les personnes autour de nous, etc. Cependant, nous pensons souvent inconsciemment que « mes sentiments sont authentiques et solidement existants et je dois les exprimer à ma façon à moi ». Il y a ce grand MOI, MOI, MOI ici, qui nous amène à agir avec compulsion.

Cette saisie envers un « moi » solide est extrêmement difficile à surmonter. Elle est extrêmement difficile à surmonter, parce que nous nous leurrons en pensant que nos témoignages d’affection font de nous quelqu’un d’aimant. Jamais nous ne pensons qu’ils puissent mettre l’autre personne mal à l’aise ou qu’ils puissent être destructeurs. Nous pensons que nous sommes une personne aimante et que si l’autre n’accepte pas nos démonstrations d’amour et d’affection, cela signifie qu’elle nous rejette.

D’un autre côté, si nous témoignons de l’affection à l’autre personne d’une façon telle qu’elle puisse accepter et comprendre nos sentiments, mais sans que cette façon corresponde à ma façon, cela nous laisse insatisfaits. La démonstration d’affection ne nous paraît pas authentique. Par exemple, disons que ma façon de témoigner de l’affection passe par un contact physique avec l’autre personne, comme de la serrer contre moi, et disons que c’est la seule façon de faire que je ressens comme étant authentique. Voilà qui posera un grand problème si je suis un homme et si je ressens de l’affection pour une femme musulmane traditionnelle qui n’est pas mon épouse.

Le besoin de méditer pour gérer l’urgence du désir

Que faire dans la situation où il faut gérer le désir dans l’immédiateté de l’instant où il apparaît, avec cette saisie envers le plaisir qui arrive tout à coup ? Par exemple, nous rencontrons quelqu’un ; nous nous sentons proches et il y a un courant qui passe entre nous. Alors il arrive que nous ressentions une attirance mutuelle et que nous ayons sexuellement envie l’un de l’autre. C’est une situation très courante qui, je pense, est connue de tout le monde. Il est facile de comprendre, de partager et de suivre toutes les idées que tu as exposées. Mais à l’instant que j’évoque, nous n’en voulons pas. Nous nous fions à l’émotion qui nous envahit et nous pensons qu’il est bon de s’y abandonner. Alors comment pouvons-nous la gérer sur le moment ? Comme tu l’as déjà dit, la sexualité elle-même n’est pas le problème ; c’est avec l’émotion qui est derrière qu’il faut travailler.

Eh bien ! Vous savez, ce problème n’est pas limité aux rapports sexuels. Par exemple, les enfants font des bêtises et, sur le moment, nous nous mettons en colère et leur crions après. Intellectuellement, nous savons que cela ne va servir à rien ; ce n’est pas la meilleure façon de répondre à la situation. Mais l’immédiateté de la situation est tellement forte que nous nous laissons instinctivement emporter par la colère, tout simplement, et nous nous mettons à hurler. C’est la même chose quand on couche avec quelqu’un. Pour ce qui est de la gestion de l’émotion du moment, il n’y a pas de grande différence entre ces deux situations.

Dans les deux cas, la seule chose qui aide est d’avoir beaucoup médité. Avec la méditation, nous prenons l’habitude bénéfique d’être attentifs, conscients de ce qui se passe, d’appliquer des forces d’oppositions, et ainsi de suite. Lorsque nous aurons acquis suffisamment de familiarité avec ces techniques, nos nouvelles habitudes se réveilleront à l’instant où le désir apparaîtra, et nous serons capables de les suivre.

Le « syndrome du chien affamé » et comment nourrir le démon

Il y a un autre facteur qui peut jouer sur notre difficulté de contrôler le désir sexuel qui apparaît tout à coup au moment où nous sommes avec quelqu’un. Cela peut ne pas concerner tout le monde, mais certains ont l’impression que « voilà l’occasion d’avoir un rapport sexuel » et, de ce fait, ils se sentent inconsciemment comme des chiens affamés. Qu’ils aient déjà un partenaire sexuel ou pas, ils pensent : « Si je ne profite pas de cette occasion, il n’y en aura plus ». Alors, même si la personne en question n’est pas le meilleur choix, ils ou elles prennent quand même tout ce qui est à prendre. Une variation de ce syndrome arrive souvent avec la crise de la quarantaine et le sentiment que c’est la dernière chance avant d’être trop vieux et de perdre de son pouvoir de séduction.

Si nous avons fait l’expérience de ce type de syndrome, il peut être très révélateur d’examiner pourquoi nous nous sentons comme un chien affamé. Nous devons explorer la saisie envers un « moi » solide qui sous-tend notre sentiment d’être affamé d’affection – des attitudes telles que : « je mérite de recevoir de l’affection », « pourquoi tout le monde reçoit de l’affection et pas MOI », « personne ne m’aime », et ainsi de suite.

Une méthode utile pour surmonter ce syndrome est la méthode développée par Tsultrim Allione : « nourrir le démon ». C’est une adaptation de la pratique bouddhique du chöd qui consiste à trancher l’attachement au soi en donnant son corps en nourriture aux démons.

La méthode consiste à placer un coussin en face de nous, puis à nous asseoir en face du coussin. Ensuite nous identifions un problème émotionnel que nous avons, comme par exemple celui d’être affamés d’affection. Ce sentiment d’être affamés nous a poussés de manière vaine et compulsive à rechercher de nouveaux ou nouvelles partenaires. Nous imaginons et essayons de ressentir que le problème est tapi en nous, comme une sorte de démon qui nous hante. Ensuite, nous essayons d’imaginer à quoi il ressemble. Quel genre de forme a-t-il ? De quelle couleur est-il ? Est-il visqueux ? A-t-il un millier de bras et de mains qui cherchent toutes à saisir quelqu’un ? A-t-il un dos hérissé de pointes et découvre-t-il des crocs acérés ? Est-il grand et gros, petit et maigre ?

Nous imaginons alors que le démon sort de nous pour prendre place sur le coussin qui est en face de nous, puis nous lui demandons : « Qu’est-ce que tu veux ? ». Ensuite, soit nous imaginons que le démon nous répond, soit nous allons vraiment nous asseoir sur le coussin et, tout en regardant l’endroit où nous étions assis auparavant, nous répondons : « Je veux de l’affection. Je veux pouvoir recevoir de l’affection sans que personne ne s’y interpose ni ne me mette des bâtons dans les roues » ou quoi que ce soit d’autre voulu par le démon.

Enfin, nous retournons là où nous étions assis, si toutefois nous avions changé de place et, en imagination, nous nourrissons le démon. Nous lui donnons tout ce qu’il veut – dans ce cas, de l’affection physique – nous nous donnons à lui en nourriture. Nous nourrissons le démon en quantité illimitée, jusqu'à ce qu’il soit rassasié. Cette technique peut être très efficace. Tsultrim Allione a constaté les grands bienfaits de cette méthode, en particulier chez les patients souffrants du sida ou du cancer. Elle a l’air de renforcer le système immunitaire. Essayez-la donc maintenant, avec n’importe lequel de vos problèmes.

[Méditation]

Les effets de nourrir de démon

Avez-vous des commentaires ou des questions sur cette pratique ?

J’ai découvert une grande richesse en effectuant cette pratique. Je me suis vraiment sentie capable de tout donner, alors que normalement je n’ai pas ce sentiment. Mais en pratiquant cette méditation, j’ai vraiment eu l’impression d’avoir tellement de choses à donner ! Je pense que c’est un effet secondaire important. En plus de nourrir le démon et de gérer le problème, cette méditation apporte également la sensation qu’il y a tant de richesses à donner !

Ce sentiment de richesse rappelle celui qui intervient dans la pratique tantrique, lorsque nous consacrons les offrandes. D’abord, avec notre compréhension de la vacuité, nous purifions les objets que nous offrons, comme les fleurs, l’encens, les bougies et la nourriture. Puis nous les transformons en nectar et autres formes pures. Et, finalement, nous les multiplions pour qu’elles deviennent disponibles en quantités infinies de sorte que nous puissions faire des offrandes de façon illimitée. Elles ne s’épuiseront jamais. Si nous intériorisons vraiment ce processus quand nous faisons des offrandes, alors, dans la pratique de nourrir le démon, nous ressentons que nous avons une quantité infinie d’affection à donner, ou d’attention, ou quoi ce se soit d’autre que veuille notre démon en particulier.

J’ai aussi trouvé qu’il est très facile de donner au démon ce qu’il veut. Dès qu’il le reçoit, il disparaît. Mais comment ce peut-il ? Au début, nous nous identifions tellement au démon qui est en nous que nous ne voulons rien donner à personne. C’est vraiment bizarre.

C’est bizarre, effectivement. Ça marche, parce que nous donnons au démon ce que nous-mêmes voulons et ce dont nous avons besoin, et c’est très thérapeutique. Donner aux autres ce dont nous avons nous-mêmes besoin est ici la solution. Par exemple, si nous avons eu une mauvaise relation avec l’un de nos parents, ou avec les deux, la seule manière efficace de surmonter cette situation consiste à être un bon parent pour nos propres enfants et d’autres enfants. Nous devons leur donner ce que nous aurions voulu que l’on nous donne mais, espérons-le, pas de façon névrotique mais de façon positive. Cela peut être très thérapeutique. Beaucoup de gens appliquent cette méthode en donnant à leurs enfants les avantages matériels et les possibilités dont ils ont manqué quand ils étaient enfants. Mais il est plus important psychologiquement de leur accorder l’attention et l’affection qui ont pu nous manquer.

Donner au démon me procure un sentiment de grande satisfaction.

Je pense que c’est parce que nous obtenons de cette pratique, l’assurance que nous sommes capables de donner. Nous avons vraiment quelque chose à offrir, et le fait d’être capables de le donner à quelqu’un qui l’accepte, à savoir le démon, nous prête un plus grand sentiment de valeur personnelle.

Une raison plus profonde pour laquelle cette pratique marche est que, dans un sens, comme dans la pratique du chöd, nous tranchons le « moi » solide. Nous tranchons le « moi » solide parce que nous identifions notre problème au démon qui représente l’identité du « moi » solide. Par exemple, si le démon veut être aimé, nous lui offrons amour et compréhension illimités jusqu’à ce qu’il soit rassasié et s’en aille ; du coup, le « moi » solide qui s’identifiait au démon n’est plus là non plus, ce qui devient l’occasion pour nous de renforcer un sentiment plus sain du « moi ». Ayant démontré à nous-mêmes que nous sommes capables de donner, notre sentiment de valeur personnelle, s’appuyant maintenant sur ce sentiment sain du « moi », devient plus fort, ce qui nous permet d’être libres de donner à autrui ce dont nous avions désespérément besoin. C’est tout l’intérêt de la pratique du chöd qui consiste à trancher le « moi » solide.

En faisant cet exercice, mon démon était le sentiment d’angoisse que je ressens en moi et qui me pousse à essayer compulsivement de découvrir ce que les autres attendent de moi. Ce que j’ai donné au démon était l’espace d’être lui-même, sans avoir tout le temps à plaire aux autres. C’était très libérateur.

C’est un bon exemple de la manière dont nous pouvons gérer le problème latent qui pourrait nous pousser à avoir des rapports sexuels en dehors de ceux que nous avons avec notre partenaire. Nous avons peut-être l’impression qu’au sein de notre relation de couple, nous devons toujours faire ce que notre partenaire attend de nous. Alors nous ressentons de la claustrophobie et nous devons chercher compulsivement à l’extérieur un partenaire avec qui nous pouvons nous détendre. Comme quelqu’un l’a dit au début, nous pouvons nous amuser sans avoir toutes les pressions et les problèmes que nous ressentons à la maison. Mais si nous donnons au démon et, donc, à nous-mêmes, l’espace pour être nous-mêmes, notre sentiment de claustrophobie commence à disparaître et nous pouvons être plus détendus, même dans une situation domestique difficile. Cela nous permet également de donner de l’espace à notre partenaire.

Ainsi, des pratiques de méditation comme celles-ci sont très utiles pour gérer l’insatisfaction dans nos relations sexuelles qui pourrait nous pousser à rechercher compulsivement toujours plus, plus, et encore plus. Cette compulsion est un démon, donc nourrissez le démon !

Gérer notre attirance physique pour la beauté

Pensez-vous qu’être attiré par d’autres personnes soit presque toujours le signe d’une insatisfaction dans nos relations ?

Non, pas nécessairement. Il est possible de retirer un immense plaisir devant la beauté de quelqu’un sans que cela nous rende nerveux pour autant, dans la mesure où nous ne saisissons pas la personne. Jouissez juste du spectacle de la beauté. Nous n’avons pas besoin de toucher tout ce que nous trouvons beau, par exemple, un beau coucher de soleil ou un feu de camp…

Voir et jouir de la beauté n’a rien de dérangeant. Mais quand notre esprit est plein de la saisie qui a pour fondement le sentiment d’un « moi » solide qui se sent éventuellement privé d’amour, alors effectivement, cela nous dérange de rencontrer la beauté chez quelqu’un d’autre. Cela montre que nous ne pouvons pas apprécier cette beauté d’une manière pure, libre de confusion.

Dans la pratique du tantra, nous effectuons encore une autre transformation en ce qui concerne les offrandes : nous imaginons que nous sommes capables de les apprécier d’une manière pure, sans aucune confusion. C’est pour, entre autres, prendre cette habitude bénéfique que nous faisons de telles profusions d’offrandes lors des rites tantriques. Nous imaginons que nous apprécions ces offrandes sans perturbation aucune, d’une manière libre de confusion, à la manière d’un bouddha. Puis nous essayons effectivement de les apprécier de cette manière. Avec assez de pratique et de familiarité, nous serons capables d’apprécier la beauté de quelqu’un sans que cela nous mette mal à l’aise. Nous n’avons plus l’impression de devoir toucher la personne ou d’avoir une rencontre sexuelle avec elle. En fait, avec cette attitude plus détendue et ouverte, notre plaisir est plus grand.

Pour comprendre ce que je veux dire ici, pensez à la situation de détente que nous éprouvons au spectacle d’un oiseau sauvage qui s’ébat dans les champs, sans vouloir nous en saisir pour le posséder comme « mien ». Si nous nous saisissons de sa beauté, nous nous contractons. Nous essayons de l’attraper et si nous y réussissons, nous le mettons en cage, chez nous. Le pauvre oiseau est maintenant en prison ! Quel bonheur pensez-vous qu’il éprouve ?

L’impulsion de toucher quelqu’un

Nous avons affaire ici à différents sens. On pourrait résumer l’ensemble par « regarder c’est bien, toucher c’est mal ». En quoi le sens du toucher fait-il une telle différence, surtout si l’on peut entourer quelque chose de sa main pour en sentir la forme ?

Voilà une question très intéressante et très importante. En matière d’analyse de la vacuité, est-ce que le fait de toucher quelque chose le rend réel ? Est-ce que le fait de toucher quelque chose nous rend réels ? Il faut creuser cette idée. Après tout, nous sommes des personnes psychologiquement perturbées qui ressentent le besoin compulsif de tout toucher, comme les vêtements sur les cintres d’un magasin.

Quant à tenir quelque chose dans sa main, si nous réfléchissons à la saisie envers une existence réelle, la saisie est une manière forte pour s’agripper mentalement à un objet. Quand, en plus de cet agrippement mental, nous tenons physiquement quelque chose dans la main, alors notre saisie physique vient renforcer notre saisie mentale. C’est pourquoi nous nous sentons rassurés lorsque nous nous tenons à quelque chose ou lorsque nous serrons quelqu’un dans nos bras, ou quand quelqu’un nous serre dans ses bras. Même le simple fait de nous enrouler dans une couverture nous procure un sentiment de sécurité ! Bien que, dans la théorie cognitive bouddhique, nous disions que la conscience visuelle s’empare des images, la conscience auditive des sons, et ainsi de suite, nous ne faisons pas consciemment l’expérience de la cognition en tant qu’agrippement physique à son objet.

Il y a aussi une grande différence entre toucher ou tenir un morceau de tissu, et toucher ou tenir la main de quelqu’un, ou caresser une partie de son corps. La différence a trait au besoin biologique et psychologique qu’ont les humains et la plupart des animaux d’avoir un contact physique avec un autre être vivant et de rechercher de l’affection. Les médecins ont démontré qu’un manque de contact humain et d’affection freine gravement le développement d’un enfant. Chez les adultes aussi, surtout chez les personnes âgées, le contact physique et l’affection jouent un rôle important pour renforcer le système immunitaire et avoir une bonne santé et une bonne longévité. Donc, pour ce qui est de vouloir toucher quelqu’un ou le serrer contre nous, il y a des facteurs biologiques qui contribuent à cette impulsion.

Néanmoins, il y a une différence entre un contact physique sain et la recherche obsessionnelle ou compulsive de celui-ci. Nous devons toujours exercer une discrimination entre les manières appropriées et inappropriées d’avoir des contacts physiques, et agir en fonction de la grande variété de personnes que nous rencontrons et connaissons.

L’impulsion d’éprouver le plaisir de l’orgasme

Quelquefois ce n’est pas assez prendre quelqu’un dans ses bras. Tout d’un coup, on passe à l’acte sexuel. Que faire quand nous sentons que prendre quelqu’un dans nos bras n’est pas assez ?

Nous devons examiner très attentivement notre impulsion d’éprouver l’orgasme. Chez les hommes, l’orgasme annonce la fin de leur plaisir sexuel. L’expérience de l’orgasme est un relâchement extatique de la tension qui s’est accumulée avant et pendant l’acte sexuel, mais elle ne met pas seulement fin à la tension, elle met fin aussi à l’extase. Donc, si l’homme recherche un plaisir prolongé dans l’expérience sexuelle, avoir un orgasme est une auto-défaite. Dans le cas des femmes, bien qu’elles puissent faire l’expérience d’orgasmes multiples et que l’extase ne se termine pas avec le premier, il n’en reste pas moins que l’énergie extatique, de toute façon, se termine aussi une fois relâchée.

Donc, la question intéressante est de savoir ce que voulons vraiment. Voulons-nous cet orgasme qui clôturera alors toute l’expérience, ou voulons-nous l’échange d’affection et le contact physique qui le précèdent ? Pour beaucoup de gens, l’affection et le contact physiques sont plus importants que l’orgasme final, surtout en vieillissant. Même si ce n’est pas aussi spectaculaire, c’est plus satisfaisant à bien des égards. Et si l’on dit qu’après l’orgasme nous pouvons toujours restés allongés ensemble et continuer dans l’échange d’affection, eh bien, c’est peut-être le cas, mais en général les fumeurs ont l’impression qu’il leur faut une cigarette et la plupart des gens, en général, tombent rapidement de sommeil.

Il est très intéressant de comparer l’orgasme avec une démangeaison. Si, pratiquant la méditation sur l’attention, nous focalisons notre attention sur une démangeaison, nous découvrons qu’une démangeaison procure en réalité une sensation extatique, mais d’une telle intensité que nous ressentons le besoin compulsif de nous gratter pour l’éliminer ! La sensation d’extase est trop forte, alors nous la détruisons. Ce qui se produit avec l’orgasme est assez similaire. Au fur et à mesure que le plaisir sexuel s’intensifie à l’approche du paroxysme de l’orgasme, nous sommes compulsivement poussés à porter le plaisir jusqu’au point où il va prendre fin. En réalité, nous sommes en train de détruire la conscience extatique comme on en finit avec une démangeaison. C’est très intéressant.

L’intérêt d’analyser notre élan compulsif d’éprouver un orgasme est de nous aider à nous contenter d’échanges d’affection plus appropriés avec les partenaires d’autres personnes, ou avec les gens en général qui sont extérieurs à notre relation de couple. Il n’est pas nécessaire que des sentiments d’affection envers quelqu’un conduisent à l’acte sexuel et à l’orgasme.

Gérer la tension sexuelle

J’ai lu dans un journal que tomber amoureux et faire l’amour dans cet état d’esprit euphorique libère dans le corps certaines hormones qui provoquent une accoutumance, ce qui nous rend « accro » à ces états d’esprit euphoriques. Dans une relation où nous ne sommes plus amoureux de notre partenaire et où faire l’amour n’est plus particulièrement excitant mais est devenu une simple routine, la libération d’hormones n’est plus aussi forte. Donc, nous nous mettons à la recherche d’une expérience plus « planante », ce qui nous pousse à chercher un autre partenaire plus excitant, en dehors de notre relation.

Pensez à l’exemple des deux aimants. Si l’on tient deux aimants à faible distance l’un de l’autre, la tension et, dans un sens, l’excitation, est plus forte que si les aimants sont en contact. Si nous recherchons la sorte d’euphorie hormonale décrite dans les journaux, alors il peut être beaucoup plus excitant d’être en compagnie de quelqu’un que nous trouvons attirant mais qui serait un partenaire sexuel inapproprié, plutôt que de se retrouver ensemble au lit.

Pensez-y : lorsque nous ressentons une forte attirance pour quelqu’un, quand nous regardons cette personne, elle occupe pratiquement tout le champ de notre attention. Mais si nous la tenons dans nos bras pendant un temps prolongé, nous regardons le mur ou le lit, pas la personne ; ou nous avons les yeux fermés. Et tandis que l’embrassade continue, dans la plupart des cas, nous nous mettons à ressentir un léger ennui. Notre esprit commence à vagabonder. Il est très difficile de garder notre attention focalisée sur l’autre personne. Nous pouvons peut-être même commencer à fantasmer sur quelqu’un d’autre. D’un autre côté, si nous nous tenions à une certaine distance de la personne, nous serions très focalisés sur elle et il y aurait entre nous comme une tension magnétique,

L’astuce consiste à jouir de cette tension magnétique sans l’obsession de la détruire comme nous détruirions une démangeaison ou la tension croissante d’un orgasme. C’est comme surmonter le fait d’être chatouilleux. Beaucoup de gens deviennent fous quand on les chatouille, mais en réalité, en craignant les chatouilles, nous nous empêchons de profiter de l’agréable sensation d’être chatouillés ! Ce qu’il faut faire, c’est décider que nous ne sommes pas chatouilleux. Si nous comprenons que ce n’est qu’une question d’attitude, nous ne nous identifions plus à quelqu’un qui craint les chatouilles. Grâce à ce changement d’attitude, nous pouvons nous détendre et apprécier la sensation procurée par les chatouilles.

Nous pouvons faire de même avec la tension que nous ressentons à la vue d’un bel étranger qui nous excite et nous allume, ou avec la tension que nous ressentons en sa compagnie si nous devenons amis, ou même avec celle que nous ressentons ensemble au cours d’échanges amicaux. Nous pouvons simplement apprécier le plaisir de l’excitation – que nous le décrivions ou non comme une poussée d’hormones – sans devoir le détruire par un comportement sexuel inapproprié.

Je pense avoir eu ce genre d’expérience au yoga dans les exercices à deux. Parfois, nous touchons notre partenaire et il est bon de toucher, mais nous appelons cela un « contact vide ». C’est une sorte de contact où l’attention est portée sur les mains et sur les sensations, mais sans pousser ni tirer, et sans la pollution de l’attirance et de l’attachement. Il s’agit juste d’être dans le contact et de ressentir la proximité, la chaleur et l’intention bienveillante qui s’en dégagent. Je peux beaucoup apprécier cette forme de contact, sans pour autant qu’il devienne sexuel.

C’est un bon exemple de ce dont nous avons parlé. Donc, comme vous le voyez, il est possible, par de tels moyens, de gérer les impulsions qui débouchent sur un comportement sexuel inapproprié.

Résumé

Voilà, me semble-t-il, quelques points cruciaux de l’éthique bouddhique sexuelle dont le but est de diminuer les problèmes de toutes sortes, liés à notre comportement sexuel. Il faut analyser très honnêtement les motifs de nos relations sexuelles avec nos propres partenaires, mais aussi avec les partenaires d’autrui si nous sommes attirés par une telle activité. Il convient aussi d’examiner notre conception de la sexualité. Est-ce que nous l’idéalisons, ou avons-nous une approche plutôt réaliste ? Si nous voulons en finir avec les problèmes de toutes sortes – et même sans poursuivre un but aussi ambitieux, si nous voulons simplement améliorer le samsara et avoir moins de problèmes dans cette vie – nous essayons d’éviter une conduite sexuelle motivée par une émotion perturbatrice ou par une fantasmagorie. Et puis, de toute évidence, il faut faire de notre mieux pour que notre conduite sexuelle ne cause pas de problèmes à autrui, bien qu’il soit très difficile de dire avec certitude quels effets auront nos actes sur une autre personne. Rappelez-vous : dans l’éthique sexuelle bouddhique, rien ne dit que « tu dois faire comme ceci et tu ne dois pas faire comme cela ». Il s’agit seulement de vouloir cesser de créer des problèmes et d’avoir une compréhension réaliste des causes et des effets comportementaux. 

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