La saisie à base doctrinale du soi d’une personne

Révision

Nous avons parlé des considérations incorrectes, et si nous pensons en termes de considérations incorrectes du « moi », d’une personne ou d’un soi, que ce soit par rapport à nous-même ou à d’autres, ce qui est faux ici, c’est de considérer qu’il y a un « moi » séparé d’un corps et d’un esprit. Quelle sorte de relation ce « moi » entretient-il avec un corps et un esprit ? Nous imaginons peut-être, ou nous avons le sentiment, bien que ce soit incorrect, qu’il y a un « moi » qui habite dans le corps, qui habite dans notre tête comme si c’était sa maison.

Nous pensons éventuellement que le « moi » est quelque chose qui possède ou habite le corps, exerce un contrȏle sur lui et l’utilise, nous pensons que c’est comme s’il y avait un « moi » assis à un tableau de commande devant un écran d’ordinateur, avec des informations qui entrent par des yeux et par des écouteurs, un « moi » aux manettes dans une centrale de contrȏle. Nous lui demandons : « Que dois-je faire maintenant ? », ou « que dois-je dire maintenant ? », puis nous appuyons sur un bouton et la main bouge et fait ceci ou cela, ou la bouche dit ceci ou cela, etc. « Je dois me sortir du lit le matin. Le réveil sonne, je dois aller au travail », comme si un « moi » à l’intérieur devait maintenant pousser un bouton pour que le corps sorte de son lit ! Il peut sembler que ce soit le cas, mais c’est une vue incorrecte.

Quand nous nous mettons à analyser ces choses, il est intéressant de voir que nous avons différents types de ressentis et que nous avançons pratiquement les mȇmes arguments que les femmes qui défendent leur droit à l’avortement. « C’est mon corps, il est à moi, je fais ce que je veux avec mon corps, c’est mon choix ». Sur quoi cette pensée repose-t-elle ? Le propos ici n’est pas d’examiner s’il est okay ou pas okay d’avorter, ce n’est pas du tout notre propos. Nous parlons ici de l’attitude envers le corps, comme s’il était une possession, c’est « le mien », nous parlons de notre ressenti d’avoir un « moi » séparé du corps et de l’idée que ce « moi » peut faire ce qu’il veut avec son corps.

Ce type d’attitude envers nous-mȇme, envers notre corps, aurait pu nous être inculqué, on aurait pu nous apprendre quelle relation entretenir avec notre corps, mais en fait ce sentiment ou cette croyance en un « moi » séparé jaillit automatiquement… et pourtant, cette considération est incorrecte. Ce qui est correct, c’est qu’il y a une personne, laquelle est une imputation sur un corps et un esprit, etc., laquelle personne n’est pas une entité séparée d’un corps et d’un esprit. À l’instar du corps qui change d’instant en instant et de son âge qui change aussi d’instant en instant, au fur et à mesure que le corps, l’esprit et les ressentis changent d’instant en instant et que nous prenons conscience des choses de différentes manières et faisons différentes choses, instant après instant, de mȇme y a-t-il un « moi » qui change, lequel « moi » n’est pas séparé de tout le reste, pas plus qu’il n’est une entité qui les habite. 

La saisie d’un « impossible moi » 

Nous avons parlé des divers types de considérations incorrectes et maintenant nous pouvons en regrouper quelques-uns. Nous faisons tous l’expérience de ce qu’on appelle « la saisie d’un impossible soi », d’un « impossible moi ». Or il y a un type de saisie dont le support est doctrinal, et un type de saisie qui jaillit automatiquement. Dans le bouddhisme, quand nous parlons de « la saisie à base doctrinale d’un impossible moi », nous parlons d’une certaine idée du « moi » que nous avons éventuellement acceptée et adoptée car elle nous a été enseignée : une idée qui, précisément, vient d’un système de pensée indien non bouddhique. 

L’assertion indienne non bouddhique de l’atman

Les systèmes philosophiques et religieux indiens parlent d’atman. Je pense que la traduction la plus proche que l’on puisse faire est « ȃme ». L’atman est une ȃme qui va d’une vie à une autre. La croyance en une ȃme n’est pas automatique, il faut donc qu’elle nous soit inculquée. Une telle ȃme présente certaines caractéristiques qui forment un lot. Quand je parle de « lot » je parle d’un groupe de trois caractéristiques spécifiques qui viennent ensemble.

Une caractéristique de l’atman est qu’elle est statique. Nous ne parlons pas ici de quelque chose d’« éternel » parce que, selon le bouddhisme aussi, le continuum mental n’a ni commencement ni fin, mais là n’est pas notre propos. Dans le contexte de la pensée indienne non bouddhique de l’atman, « statique » caractérise un « moi » qui ne change pas d’instant en instant, c’est un « moi » qui reste pareil. Autrement dit, ce « moi » n’est affecté par rien. Il est comme un bagage sur un tapis roulant allant de l’enfance à la vieillesse et d’un corps à un autre corps. 

Une autre caractéristique est que l’atman ne comporte pas de parties ; c’est ce que signifie le mot « Un ». « Un » implique « monolithique », non composé de parties. Il est soit de la taille de l’univers comme dans l’idée de « Atman est Brahma, je suis l’univers », soit comme une minuscule étincelle de vie ou quelque chose de semblable. En tout cas, une de ses caractéristiques est de ne pas avoir de parties, c’est-à-dire d’être monolithique. 

La troisième caractéristique est que l’atman peut exister séparément d’un corps et d’un esprit, c’est-à-dire dans un état de libération. Ainsi l’atman vient dans un corps, est statique, n’a pas de parties, habite dans un corps, le contrȏle, l’utilise et ainsi de suite, puis passe dans un autre corps jusqu’à atteindre la libération de la renaissance, et continue ensuite d’exister de son cȏté. 

La saisie à base doctrinale

Le bouddhisme effectue certaines différenciations qui ne sont peut-être pas assez claires, je vais donc expliquer un peu plus. 

Nous avons déjà rencontré certains aspects de l’existence impossible d’une telle ȃme lors de notre discussion sur les considérations incorrectes, en particulier lorsque nous considérons incorrectement que quelque chose de statique est non statique. C’est comme s’il y avait un « moi » statique, toujours pareil et permanent, non affecté par quoi que ce soit. Nous pourrions croire que nous existons de cette façon, soit parce qu’on nous a inculqué une telle croyance, soit parce que nous en faisons automatiquement l’expérience. C’est la mȇme chose pour ce qui est de la croyance que nous continuons d’exister sans corps après notre mort. 

Nous pourrions également avoir, dans un système religieux chrétien ou non chrétien qui nous a été enseigné, l’idée d’une âme possédant toutes ces qualités. Ce type de croyance peut mener à beaucoup d’émotions perturbatrices. Cependant, quand nous parlons de « saisie à base doctrinale d’un impossible moi », nous parlons d’un « moi » qui possède l’ensemble des trois spécificités d’un impossible « moi » tel qu’il est exposé dans le système non bouddhique indien. Or, il faut que celui-ci nous soit enseigné, car ces trois caractéristiques ne forment pas un « lot » qui jaillit automatiquement.

Vous suivez ? À l’origine, le Bouddha enseignait à un public indien, donc il parlait de la vue incorrecte de l’atman, ou ȃme, qui leur était familière. On peut cependant trouver aussi différents aspects d’une telle âme dans des religions et dans des philosophies non indiennes. Quand on sait à quoi renvoie tel ou tel terme technique employé dans le bouddhisme, on ne se laisse pas déstabilier par ce qui pourrait jaillir automatiquement ou qui aurait pu nous être inculqué, etc. 

Cela dit, comment comprendre ce qui va d’une vie à l’autre puisque le bouddhisme défend aussi le concept de la renaissance ? Je ne suis pas expert en théologie chrétienne mais je suis sûr que, au sein même de la chrétienté, on trouve différentes vues sur la nature de l’âme. Néanmoins, le bouddhisme ne serait pas non plus d’accord avec la conception chrétienne, c’est-à-dire avec l’idée que l’âme est créée par Dieu. Je ne sais pas si les chrétiens disent que l’âme, une fois créée, est éternelle, qu’elle ne change pas et qu’il y a une seule vie après celle-ci, le ciel ou l’enfer. Ce sont là d’autres vues qu’il nous faudrait réfuter. 

Si je soulève tous ces points, c’est parce qu’il y a une grande confusion chez nous, les Occidentaux, quand nous étudions ces thémes, car beaucoup d’émotions perturbatrices basées sur une vue incorrecte du « moi », laquelle nous a été inculquée, peuvent se manifester. Mais « la saisie à base doctrinale d’un impossible moi » traite uniquement de la conception du soi telle qu’elle est enseignée dans les systèmes indiens non bouddhiques : l’hindouisme, le jaïnisme, etc. 

En tant qu’Occidentaux, nous pourrions objecter : « Je n’ai étudié ni l’hindouisme ni le jaïnisme, en quoi suis-je concerné ? Je ne crois pas à ces choses, je n’en ai jamais entendu parler, comment se peut-il que dans la présentation des Étapes graduées de la Voie il faille me débarrasser de ce genre de vue incorrecte à base doctrinale ? ». On pourrait répondre à cette objection que chaque caractéristique de l’âme énoncée dans l’hindouisme ou dans le jaïnisme est fondée sur une considération incorrecte. Et si nous examinons notre propre conception d’une âme ou notre croyance qu’il n’y a pas d’âme – « je deviens néant après ma mort » – d’autres types incorrects de considérations sont aussi impliqués dans ce cas. Le bouddhisme examine toutes les conceptions incorrectes possibles que nous pourrions avoir, pas seulement celles de l’Inde antique. 

La question qui se pose dans ce contexte est la suivante : qui croyons-nous être ? « Suis-je une âme, suis-je autre chose, suis-je mon corps, suis-je mon esprit ? Que suis-je ? Sur quoi repose mon égoïsme qui fait que je veux être le premier ou la première, qui fait que je veux obtenir ce que je veux, qui fait de moi la personne la plus importante au monde, ou qui fait que je veux être la chose la plus importante dans ta vie ? » Quelles sont les caractéristiques de ce « moi » ?

Quand on croit à ce type de « moi », un « moi » solide, alors on a le sentiment que « je dois toujours arriver à mes fins ». Ensuite surviennent la saisie, puis l’avidité, l’attachement et ainsi de suite. Si je n’arrive pas à mes fins, c’est la colère. On devient jaloux « tu ne m’aimes pas, tu aimes quelqu’un d’autre que moi ». On devient orgueilleux « je suis quelqu’un d’extraordinaire ». On devient la proie d’un vacillement indécis : « Que choisir ? Il y a 150 sortes de petit-déjeuners de céréales, laquelle va faire mon bonheur ? Je veux faire le bon choix, choisir celle qui va faire mon bonheur ». « Quel ordinateur ou quel smartphone dois-je acheter ? Il y a des milliers de choix, je veux faire le bon choix pour moi ». Mais QU’EST-CE QUE CE « MOI » ? 

Questions à propos du « soi »

Chez les chrétiens, on essaie d’avoir un « je » éthique qui ne veut pas posséder trop de choses, alors qu’y a-t-il de spécial ici ? Lutter contre l’égoïsme semble être commun à toutes les voies spirituelles…

C’est vrai, mais la question qui se pose ici est la suivante : « Quand nous avons réfuté une conception incorrecte du « moi », l’avons-nous suffisamment réfutée ? » Autrement dit, dans d’autres systèmes – même au sein du bouddhisme on trouve plusieurs systèmes – on réfute certaines caractéristiques impossibles, mais si l’on ne va assez en profondeur pour pouvoir réfuter toutes les vues erronées, un niveau subtil d’égoïsme est toujours à mȇme de se manifester.

Par exemple, nous pourrions être extrêmement généreux et faire beaucoup de choses pour une autre personne ou pour nos enfants ; de ce fait, il semble que nous ne soyons pas égoïste. Néanmoins, nous voulons être apprécié, nous voulons être remercié. Nous rappelons à la personne ce que nous avons fait : « J’ai fait tellement de choses pour toi, et tu n’apprécies pas ! ». Sous cette générosité se trouve encore le sentiment d’un « moi » solide, quand bien même ne serions-nous pas tellement égoïste. 

De plus, nous pouvons jouer les martyrs : « C’est moi le martyr, c’est moi le saint, je vais faire tant de choses pour le monde ! ». Ou encore : « Pour vaincre mon égoïsme, je vais me fouetter et me flageller parce que je suis mauvais, je suis égoïste ». Certes, nous pouvons être très généreux et très serviable envers tout le monde tout en nourrissant une telle croyance, mais celle-ci relève encore d’un état d’esprit très perturbé, nous croyons encore à un « moi » coupable et mauvais, à un moi solide. C’est un exemple extrême, mais c’est pour montrer que nos conceptions incorrectes peuvent être très subtiles.

Pourquoi devrions-nous renoncer à l’atman ?

Attention ! Nous ne nions pas le « moi conventionnel ». Peu importe qu’on l’appelle âme ou atman, le nom qu’on lui donne n’a pas d’importance. Il y a un moi conventionnel, le bouddhisme ne le réfute pas ; le bouddhisme ne dit pas qu’il n’y a rien. La question qui se pose est : « Comment existe le moi ? » Sans l’expérience du moi conventionnel, rien ne pourrait nous motiver. Pourquoi voudrions-nous atteindre l’illumination ?

Sur la base d’une vue correcte du moi conventionnel, nous menons une vie ordonnée. Nous nous levons le matin ; nous nous habillons ; nous vivons notre vie, nous prenons soin des autres. Mais y a-t-il un dualisme d’un « je » et d’un « moi » dont il me faut prendre soin, comme s’ils étaient deux choses différentes ? Ou encore : « Je dois me retenir et me maîtriser pour ne pas être égoïste », comme s’il y avait un « moi » juge et contrôleur, et un autre « moi » fauteur de trouble ? Cette sorte de conception est très névrotique et conduit à des sentiments de culpabilité.

En psychanalyse, c’est le « surmoi »…

Ce surmoi est-il séparé, existe-t-il tout seul de son côté ? Parle-t-on de deux « moi », d’un moi et d’un surmoi ? C’est très bizarre.

Le bouddhisme parle en termes de facteurs mentaux. Tous sont inclus dans les cinq agrégats, lesquels suivent un schéma de classification comprenant les nombreux composants non statiques divers qui constituent notre expérience. Exemple : à un instant d’expérience, il peut y avoir la conscience auditive du son d’une sonnerie de réveil et le son que nous entendons, et le facteur mental du ressenti qui l’accompagne, lequel peut être un ressenti plutôt pas très heureux, ainsi que le facteur mental de discernement qui différencie le son de la sonnerie du réveil d’avec le son des gazouillis d’oiseaux à l’extérieur ou de celui de la ciculation automobile sous nos fenêtres. Le tout peut être accompagné des facteurs mentaux de la paresse et de la colère, comme dans : « Je ne veux pas me lever ! », comme s’il y avait un « moi » séparé de toutes ces choses qui serait obligé de se lever maintenant. Néanmoins, ces choses peuvent aussi être accompagnées de l’expérience du facteur mental de l’intention de se lever et du facteur mental de la discipline. 

De nombreux facteurs mentaux sont impliqués instant après instant après instant… c’est tout, il ne se passe rien d’autre. On n’a pas besoin d’un « moi » séparé, assis à un tableau de commande avec des sons d’alarme entrant par des écouteurs et qui, poussant le bouton de la discipline, fait advenir la discipline et pense : « Je dois me sortir du lit pour aller travailler ». Ça ne marche pas comme ça.

Avec une compréhension correcte des agrégats et des facteurs mentaux et sans un « moi » existant séparément, nous nous levons tout simplement. Nous nous levons sans un fatras de pensées inutiles du genre : « Ouhou ! Je ne veux pas me lever maintenant et je dois me forcer à me lever et pourquoi moi, pourquoi faut-il toujours que je me lève pour aller travailler ? » Non seulement toutes ces pensées sont bonnes pour la poubelle, mais en plus elles sont en général éprouvées avec un certain degré de souffrance. 

Entendre l’alarme du réveil me rend malheureux, et alors ? Même s’il y a une certaine souffrance à cet instant… « Aucune importance, je n’y suis pas attaché, je ne plonge pas dedans » alors à cet instant, l’habitude de la discipline et l’habitude de la motivation font que je me lève. 

Maintenant, je vous le demande : « Qu’est-ce que « moi » ? Qui s’est levé ? » C’est moi qui me suis levé, ce n’est pas quelqu’un d’autre. Il y a un soi qui est une imputation sur le continuum de cette séquence d’instants composée de toutes ses parties changeantes, « moi », et ça fonctionne. Ce n’est comme si un corps tout seul sortait du lit, c’est moi qui sors du lit. Il n’y a pas deux choses séparées, un corps et un « moi ». « Mon corps sort du lit, mais moi je ne veux pas sortir du lit » ? Non, ça ne marche pas comme ça. Il faut une profonde analyse pour pouvoir comprendre la cause de notre malaise quand nous devons nous lever le matin. 

Questions et discussion sur la réincarnation

Vous connaissez les deux incarnations de Serkong Rinpotché. Qu’est-ce qui vous rappelle le premier Serkong Rinpotché ? Qu’ont-ils en commun ? Que voyez-vous dans son continuum qui soit identique à celui de son incarnation précédente ?

Là nous abordons un vaste thème. Il nous faut considérer « les continuums » et, d’abord, le continuum d’une vie. Si nous regardons le continuum d’un moi ou de quelqu’un d’autre, ou de mon professeur Serkong Rinpotché, il ne fait aucun doute que pas une seule cellule de son corps – je parle de l’ancien Serkong Rinpotché depuis sa naissance jusqu’à sa mort – qui soit restée la même toute sa vie durant. Tout change. Il est vraiment étonnant de considérer la quantité de nourriture qui a été absorbée et la quantité de déchets qui en est ressortie. Son corps changeait d’instant en instant, rien ne restait pareil. De plus, la quantité de connaissance qu’il amassait changeait d’instant en instant. Il n’était en aucun cas le même à l’âge de deux ans et à l’âge de soixante ans.

Tout changeait, et pourtant il y avait une continuité, il y avait un continuum. Comment la continuité était elle maintenue ? Dans le bouddhisme c’est une très grande question qui fait l’objet d’analyse et d’explications à différents niveaux de profondeur. Est-il devenu quelqu’un d’autre quand il est passé de l’enfance à l’âge adulte ? Non. C’est la même question quand on considère deux vies et quand on en considère une seule. Pour résumer : il y a un continuum instant après instant après instant et rien ne reste pareil. Une personne, un individu, est une imputation sur la base d’un continuum.

Qu’est-ce qui maintient le continuum, sur quoi est-il basé ? Il est basé sur une séquence de cause à effet. C’est très simple. Nous mettons de la nourriture dans la bouche, l’instant suivant il y a la sensation de la nourriture qui descend, puis il y a la sensation de la faim qui s’apaise, etc. Il y a une séquence causale. Cela a du sens, et le « moi » est purement et simplement une imputation sur cette séquence causale. 

Sur ce continuum se trouvent aussi diverses habitudes, lesquelles sont aussi des imputations. Qu’est-ce qu’une habitude ? « J’ai l’habitude de boire du café ». Qu’est-ce que cette habitude ? Je ne bois pas de café à chaque instant de mon existence, mais à diverses occasions il y a une séquence de boire du café et, sur cette base, nous disons qu’il y a une habitude. C’est une façon de mettre les mêmes séquences ensemble. Une habitude est-elle quelque chose de solide ? Peut-on la trouver ? Non. Existe-t-elle ? Oui. Produit-elle des effets ? Oui. Étant donné que j’ai l’habitude de boire du café, je vais sans doute boire une autre tasse de café demain.

Quand on parle d’un continuum d’une vie à une autre comme dans l’exemple de mon professeur Serkong Rinpotché, que trouvons-nous qu’ils ont en commun, à part de porter le même nom ? De quoi y a-t-il une continuité ? Il y a une continuité de certaines habitudes, de certains instincts. Si l’on regarde notre histoire, en particulier sur plusieurs vies, il y a tellement d’habitudes, tellement de choses différentes ! Tout ne va pas arriver en même temps. 

À l’âge de trois ans, j’avais des habitudes que je n’ai plus maintenant. C’est très clair. En tant que bébé, j’avais l’habitude de faire mes besoins dans ma culotte et de me barbouiller de nourriture car je n’arrivais pas à la mettre dans ma bouche quand je mangeais tout seul. Ces habitudes se répétaient quand j’étais bébé. Depuis, j’ai perdu ces habitudes, je ne les ai plus, du moins espérons-le ! Pour ce qui est de Serkong Rinpotché, il y a des habitudes identiques à celles qu’il avait dans sa vie précédente, par exemple, un sens de l’humour, etc.

Nous pouvons objecter que beaucoup de gens ont un sens de l’humour et que ce n’est pas nécessairement la continuité du sens de l’humour d’une vie précédente. C’est exact. Mais ce qui a été convaincant pour moi, c’est la familiarité dont il témoignait avec les personnes qu’il avait connues dans sa vie précédente. Nous avons toutes et tous pu faire l’expérience de rencontrer quelqu’un avec et d’avoir tout de suite le sentiment de connaître cette personne depuis toujours. Nous nous sentons automatiquement proches d’une certaine personne ou, inversement, nous ressentons une grande distance car nous éprouvons instantanément de l’aversion. 

J’ai rencontré le jeune Serkong Rinpotché quand il avait quatre ans. Il est venu à Dharamsala et quand je suis entré dans sa chambre pour le saluer, son intendant lui a demandé : « Tu sais qui c’est ? » Et le petit garçon a répondu : « Ne sois pas stupide ! Évidemment, je sais qui c’est » et instantanément, dès le début, il était très familier avec moi, très affectueux et proche. Il se comportait différemment selon les personnes. Et cela, de la part d’un enfant de quatre ans ! À quatre ans, on ne peut pas faire semblant. Ce sentiment d’intimité était présent, exactement comme dans sa vie précédente. Certes, c’est légèrement différent à chaque instant, l’intimité n’est qu’une imputation sur cette continuité, mais c’était très convaincant pour moi.

Il y a encore d’autres choses dont il se souvient de sa vie antérieure. Une fois, alors que nous regardions ensemble la vidéo de l’enregistrement d’un enseignement qu’il avait donné dans sa vie précédente, il dit : « Ah ! Je me rappelle avoir dit ceci, je me rappelle avoir fait cela ». Pourquoi m’aurait-il menti ? Il n’aurait eu aucune raison de le faire.

Nous arrivons maintenant à une discussion sur la présentation de Nagarjuna. S’agit-il de la même personne, complètement identique à celle qu’elle était lors de sa vie précédente ? Non. Est-elle complètement différente ? Non, pas complètement. Elle est un continuum, une continuité. Y a-t-il quelque chose de solide qui passe d’une vie à une autre, comme un bagage sur un tapis roulant ? Non. Y a-t-il un continuum ? Oui, il y a une continuité. La personne n’est ni la même, ni différente, ni complètement la même, ni complètement différente ou étrangère.

Pourquoi certains souvenirs de Rinpotché de sa vie passée sont plus clairs que d’autres ?

C’est la même question que : « De quoi nous souvenons-nous dans cette vie ? » Se souvient-on de tout ce qu’on a mangé dans notre vie ? Se souvient-on même de chaque mot prononcé il y a 30 secondes et pouvons-nous exactement les répéter ? 

Pourquoi nous souvenons-nous de ceci et non de cela ? C’est une question difficile. Je suppose que c’est lié à l’intérêt que nous portons à quelque chose et à notre degré d’attention. Y avait-il sur le moment une émotion forte ou pas très forte ? S’il y avait une émotion forte, on tend à s’en souvenir mieux. Ou bien quelque chose nous rappelle une chose antérieure, et si l’on ne tombe pas sur quelque chose qui nous le rappelle, alors on ne s’en souvient pas. 

Il y a beaucoup, beaucoup de facteurs qui font que nous nous souvenons de quelque chose, tout dépend des circonstances. C’est pareil en ce qui concerne les habitudes. Il y a tellement d’habitudes ! Toutes les habitudes ne se manifesteront pas dans la vie prochaine, certaines oui, d’autres non. Tout dépendra des circonstances. Si j’avais l’habitude de manger des mangues et que je suis né à un endroit où il n’y en a pas, je n’en mange pas. Je n’y pense même pas. 

Je ne suis pas convaincu par votre explication. Les impressions les plus profondes dans l’esprit de Rinpotché devraient concerner la partie la plus récente de sa vie passée, parce que ce sont les plus proches. Pourquoi Rinpotché se souvient-il d’un enseignement qu’il a donné, mais pas du plus récent ?

On ne se souvient pas forcément des évènements les plus proches. Il y a des choses dont on se souvient et d’autres dont on ne se souvient pas. Cela dépend de très, très nombreux facteurs. L’on pourrait se rappeler une ronde enfantine apprise dans notre petite enfance et ne pas se rappeler où nous avons posé nos clés hier soir. En fait il est très difficile d’analyser et d’expliquer vraiment pourquoi l’on se souvient d’une chose en particulier et non pas d’une autre. 

Mais alors c’est complètement arbitraire ?

Non, on ne peut pas dire que ce soit arbitraire ou que nos souvenirs soient le fait du hasard. Il faut qu’il y ait certaines circonstances. Le jeune Serkong Rinpotché ne se souvenait pas de tout. Nous avons regardé différentes vidéos des enseignements de son prédécesseur, mais il ne se souvenait que d’un seul enseignement, celui-ci lui semblait un peu plus familier. Pourquoi ? Je ne sais pas. Je ne sais pas ce qu’il se passait dans sa tête pendant qu’il donnait cet enseignement. Vous posez une question à laquelle il est très difficile de répondre, parce que c’est la même sorte de question que : « Si nous avons, depuis des temps sans commencement, accumulé tant de potentialités karmiques qui peuvent donner toutes sortes de résultats, pourquoi une potentialité karmique particulière arrive-t-elle à maturation à tel instant et non à tel autre ? » C’est la même question que : « Pourquoi avons-nous tel souvenir et non pas tel autre ? ».

Le bouddhisme explique que les choses n’arrivent pas sans cause, comme si n’importe quoi arrivait à n’importe quel moment et comme s’il n’y avait pas de séquence ni de sens dans ce qui arrive. Ce n’est pas le cas. Si les choses dépendent de circonstances, quelles sont ces circonstances ? Ce pourrait être quand je rencontre quelque chose d’identique à quelque chose que j’ai connu auparavant. Ce pourrait être l’influence d’une autre personne. Ce pourrait être une influence météorologique. Ce pourrait être l’influence de tant de choses différentes ! 

Comment se souvient-on du nom de quelqu’un ? Il nous arrive si souvent d’oublier le nom de quelqu’un ! Nous connaissons son nom, nous savons que nous savons son nom, mais nous ne nous en souvenons pas. Cela m’arrive souvent, alors que fais-je dans ce cas ? Je passe l’alphabet en revue, je l’énonce lettre après par lettre dans ma tête. Je prononce chaque lettre de l’alphabet et, en général, cela agit comme déclencheur et je me rappelle le nom. La même chose s’est produite hier. Je n’arrivais pas à me rappeler le nom d’un ami en Lettonie, alors j’ai passé l’alphabet en revue et quand je suis arrivé à la lettre K, ma mémoire s’est déclenchée : « Ah ! Il s’appelle Karlis ». Diverses choses peuvent nous rappeler quelque chose ou nous aider à le faire. Dans le cas présent, dire la lettre K était une circonstance. Nous pouvons créer des circonstances pour nous rappeler quelque chose, soit consciemment comme dans mon exemple, soit simplement en voyant quelque chose ou quelqu’un qui déclenche un souvenir.

Il y a d’autres choses pour lesquelles je n’ai pas besoin d’appliquer une méthode pour m’en souvenir. L’habitude est maintenant si forte que chaque fois que je vois Massimo ou Claudia, je n’ai pas besoin de passer l’alphabet en revue pour me rappeler leurs noms. Je m’en souviens. Il y a cependant une circonstance qui fait que je me rappelle leurs noms – je les vois tous les jours pendant cet enseignement. Mais un an plus tard, il est possible que je ne me souvienne pas du tout du nom de la personne qui a traduit pour moi en Italie. Pas de souvenir.

De plus, il faut aussi être intéressé. Une fois je suis resté chez un ami pendant quatre mois. J’utilisais tous les jours la salle de bain. Un jour nous sommes allés dans un magasin pour acheter un rideau de douche et mon ami m’a demandé : « Quelle couleur on prend ? Quelle couleur irait bien avec les murs ? » Je n’avais aucune idée de quelle couleur étaient les murs. J’avais utilisé la salle de bain tous les jours. Alors mon ami m’a demandé : « De quelle couleur sont les murs de la chambre que tu occupes ? ». Je n’en avais aucune idée parce que cela ne m’intéressait pas. J’occupais cette chambre depuis plusieurs mois mais je n’avais aucune idée de la couleur des murs. Je n’y avais jamais fait attention, alors comment aurais-je pu m’en souvenir ?

Si quelque chose est important pour nous, comme : « Où ai-je garé ma voiture ? », nous nous en souvenons. Si ce n’est pas important pour nous : « Je ne me rappelle pas où j’ai garé ma voiture », nous avons un gros problème.

Si vous deviez mourir ce soir, la chose la plus récente que vous avez faite est de donner cet enseignement, alors pourquoi n’en auriez-vous pas le souvenir à l’âge de deux ans ?

Il y a beaucoup de circonstances. Je devrais de nouveau apprendre, je devrais de nouveau étudier. Le support réel physique du cerveau, entre autres choses, ne serait pas assez développé. Je n’aurais pas les compétences linguistiques qui me permettraient de répéter cet enseignement. Ce n’est pas parce que quelque chose s’est passé récemment que nous nous en souvenons. Pouvez-vous vous rappeler et répéter exactement mot pour mot ce que vous venez de dire ? La plupart d’entre nous n’en sont pas capables. Ou pouvez-vous répéter exactement mot pour mot ce que vous venez juste d’entendre ? 

C’est très difficile. Il faut vraiment avoir une intention très forte pour pouvoir le faire. Si l’on est interprète, on se rappelle ce que la personne vient de dire. Si l’on est enseignant et que quelqu’un nous demande : « Pouvez-vous répéter ce que vous venez de dire ? Je n’ai pas compris ? », il est très embarassant de devoir répondre : « Je ne me rappelle pas ce que je viens de dire ». Pour pouvoir répéter quelque chose, il faut s’en souvenir. C’est une question de motivation. La motivation est quelque chose d’important. 

Ai-je bien compris ? Quand vous avez rencontré l’actuel Serkong Rinpotché, vous avez reconnu certaines habitudes de l’ancien Serkong Rinpotché, mais rien de sa personnalité ?

Je n’ai pas dit qu’il n’y avait rien de sa personnalité. J’ai dit qu’il y avait une continuité, mais une continuité de l’ensemble. Il n’a pas la même personnalité, mais je n’ai pas non plus la même personnalité que quand j’étais adolescent. Certaines choses sont pareilles et d’autres sont très différentes. 

Des choses telles que l’amour et la compassion devraient être continuellement manifestes dans la vie d’un bodhisattva. Mais d’après ce que vous dites, seule une série de causes et de circonstance imprime le continuum, rien d’autre ?

Oui, tout ce qui se manifeste repose sur des causes et des circonstances. J’essayais d’illustrer le fait que, par exemple, je pourrais rencontrer une centaine de personnes très aimantes, mais pourquoi telle personne serait-elle la continuité de la précédente incarnation de mon maître et non pas telle autre ? Le seul fait que quelqu’un manifeste de l’amour ne signifie pas pour autant qu’il soit la continuité de la vie antérieure d’une personne en particulier.

Avec les tulkous, les lamas réincarnés, c’est très spécial car, en fait, quelqu’un les reconnaît et leur donne le nom de leur prédécesseur, au moins le nom général à l’instar de « Serkong ». Ils ont aussi un nom personnel qui est différent. Que se serait-il passé si personne n’avait reconnu l’enfant, si personne ne l’avait trouvé et que je l’aie rencontré ? Ce serait la même chose. Il y aurait toujours ce sentiment d’intimité. 

J’ai rencontré beaucoup de gens dans ma vie avec qui, instantanément des deux côtés, nous avons ressenti une grande familiarité. C’est arrivé. J’enseignais dans une pièce d’une centaine de personnes et mon regard se posait encore et encore sur la même personne qui se trouvait tout au fond de la salle. Mon attention se tournait tout le temps vers elle et, soudain, à la fin de l’enseignement, cette personne est venue me parler et c’était le début d’une très grande amitié. 

C’était pareil avec l’ancien Serkong Rinpotché. Nous étions dans un groupe de gens et il disait : « Cette personne là-bas, donne-moi son nom ». Et l’on pouvait être sûrs qu’une très forte relation se nouait. Nous n’avons pas besoin de savoir quelle était la vie antérieure de la personne et quel était son nom, nous faisons simplement ce genre d’expérience. Pour ma part, j’en ai fait l’expérience, indubitablement, et vous avez peut-être fait l’expérience de quelque chose de semblable, une amitié instantanée, un sentiment instantané d’intimité avec quelqu’un. Pourquoi ? Est-ce seulement basé sur le désir ? Trouvons-nous la personne attirante ? Pas forcément.

Avec le jeune Serkong Ronpotché, c’était vraiment extraordinaire. Il est né dans la vallée de Spiti, du côté indien de la chaîne de l’Himalaya. L’ancien Serkong Rinpotché était pratiquement considéré comme le saint de la vallée. Il avait ravivé le bouddhisme dans cette région et tout le monde avait une photo de lui dans sa maison. Or, ce petit enfant, à un an et demi ou deux ans, alors qu’il venait à peine d’apprendre à parler, allait vers la photo, la pointait du doigt et disait : « C’est moi ! » 

Quand les personnes qui avaient été proches de son prédécesseur se mirent à la recherche de sa réincarnation, le petit garçon a reconnu l’un des membres du comité de recherche, s’est jeté dans ses bras et connaissait son nom. À la suite de quoi il n’aspirait à rien d’autre qu’à partir pour Dharamsala. Il avait le sentiment, c’est ce qu’il m’a dit plus tard, qu’il y avait là-bas quelqu’un d’important qu’il devait absolument rencontrer, et cette personne était le Dalaï-Lama. Quand il a quitté le Spiti pour Dharamsala, il avait quatre ans. Jamais il ne réclamait ses parents, jamais il ne peurait. Ses parents n’étaient en aucun cas méchants ou épouvantables, ils étaient très gentils. Alors comment une telle situation peut-elle advenir ?

Ces évènements mis bout à bout m’ont convaincu que le jeune Serkong Rinpotché est bien la réincarnation de l’ancien Serkong Rinpotché. La question de la renaissance m’a taraudé pendant très, très longtemps. Je suis dans le bouddhisme depuis 45 ans maintenant, mais il m’a fallu véritablement dépasser la question de la simple croyance en la renaissance. Il est très difficile de ressentir dans ses tripes la réalité de la renaissance. On peut y croire intellectuellement, mais qu’en est-il du plan émotionnel ou affectif ? C’est un sujet difficile, mais mon expérience m’a convaincu. Néanmoins, le second Serkong Rinpotché est-il la mȇme personne que son prédécesseur ? Est-ce le mȇme ? Non. Ça ne marche pas comme ça. 

Résumé

Bon, nous allons nous arrȇter ici pour ce soir. Peut-être pouvons-nous prendre quelques minutes avant de partir, juste pour essayer de digérer ce dont nous avons parlé aujourd’hui. Essayons de nous en souvenir. Laissez-moi créer une circonstance pour vous aider dans ce sens. Je vais donc récapituler les points principaux.

Nous parlions de la vacuité, vous vous rappelez ? Ensuite nous avons parlé d’un « impossible moi » et nous avons dit qu’une telle chose n’existe pas. Nous pourrions penser qu’un tel moi existe et ressentir son existence, mais cela ne correspond à rien de réel. 

Puis nous avons parlé de Serkong Rinpotché sur deux vies. Les deux personnes portent le mȇme nom. Sont-elles exactement pareilles ? S’agit-il d’une personne statique qui passe d’une vie à l’autre, non influencée par quoi que ce soit, avec pour conséquence un jeune Rinpotché qui devrait se souvenir instantanément de chaque mot qu’il a prononcé dans sa vie antérieure ? Non, une telle chose n’existe pas, ce type de personne n’existe pas. Une personne est affectée par son lieu de naissance et par les personnes qui l’éduquent ; toutes sortes de choses exercent une influence dans cette vie. Y a-t-il une personne, en l’occurrence Serkong Rinpotché, qui soit séparée de toutes ces choses, séparée de ces deux corps ? Non. Et en admettant que ce soit le cas, où est cette personne ? Qui est-elle ? Y a-t-il un Serkong Rinpotché qui vivait dans l’ancien corps et qui vit maintenant dans le nouveau corps ? Non, c’est impossible.

Nous tendons à penser de cette façon : « Qui serai-je dans ma prochaine vie ? », comme s’il pouvait y avoir un Alexander Berzin qui va renaître dans un corps de chien, Fifi-le-caniche. Je me réveille et, comme dans un film de Hollywood : « Ȏ mon Dieu ! Me voici caniche ! » et tout le monde m’appelle Fifi-le-caniche et me met du vernis rose sur les griffes ou autre chose de ce genre. Ça ne marche pas comme ça. Il n’y a pas de « moi » solide dans une autre vie qui est le mȇme que le « moi » dans cette vie, mais qui se trouve dans un autre corps C’est impossible.

Alors dans ce cas on ne peut pas adresser de prières à Serkong Rinpotché, parce qu’il n’est plus là ?

Il y a un continuum. Bien que cette chaise ne soit pas solide et que mon corps ne le soit pas non plus, je ne passe pas à travers la chaise. Bien qu’il n’y ait pas de Serkong Rinpotché qui soit solide, passant d’une vie à l’autre comme un baggage sur un tapis roulant, on peut lui adresser des prières et en recevoir des bienfaits. Shantidéva a traité ce sujet en termes d’accumulation de force positive en adressant des prières à un Bouddha déjà décédé, ou à un stoupa. C’est parce qu’il y a un continuum. 

Pourriez-vous être plus précis ?

On pourrait être plus précis, c’est vrai, absolument. C’est pour cela que nous n’avons pas encore abordé notre discussion sur la désignation mentale. Il nous faut creuser davantage la question pour pouvoir établir l’existence du « moi » en tant qu’imputation sur un continuum individuel d’agrégats en changement constant.

Votre présentation de la réincarnation est inhabituelle pour moi. J’ai compris qu’il n’y a pas de Serkong Rinpotché qui s’est réincarné, mais seulement des parties de lui, de toutes petites parties ?

Un nez s’est réincarné ?

Ce n’est pas Rinpotché qui s’est réincarné, mais une toute petite partie de son continuum ?

Êtes-vous en train de dire que Rinpotché ne s’est pas réincarné dans son ensemble, ou que l’ensemble ne s’est pas réincarné, mais seulement une petite partie ou quelque chose comme ça ? Non. Il n’y a pas non plus d’habitude trouvable. Qu’est-ce qu’une habitude ? Il n’y a rien de trouvable, rien de solide, que ce soit une habitude, un nez, un Serkong Rinpotché ou autre, qui passe d’une vie à l’autre. Rappelez-vous notre exemple de l’habitude : « J’ai bu du café hier, j’ai bu du café aujourd’hui et je boirai du café demain ». Comment mettons-nous tout cela ensemble ? On dit qu’il y a une « habitude ». Une habitude n’est pas quelque chose de solide. Il en va de mȇme en ce qui concerne une personne qui continue d’une vie à l’autre. Cette personne est un individu, elle existe, mais pas comme quelque chose de solide. Je vous demande d’y réfléchir. 

[Méditation]

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