Différences dans les circonstances
À l’époque actuelle, notre situation en tant que bouddhistes à l’Ouest est réellement tout à fait différente de la structure classique qui prévalait au Tibet. Pour commencer, la plupart d’entre nous ne sont pas des religieux. Au Tibet et dans les sociétés bouddhiques traditionnelles, quelqu’un qui voulait s’engager sérieusement dans l’entraînement bouddhique devenait moine ou nonne. Les chefs de famille laïcs n’avaient pas grand accès aux enseignements. La majorité d’entre eux était illettrée et ne pouvait lire les textes. Ils allaient à l’occasion entendre des discours, et le reste à l’avenant ; mais ils ne recevaient pas l’entraînement détaillé accessible aux religieux.
En fait, l’enseignement de la méditation à des laïcs est un phénomène très récent qui a commencé en Birmanie dans la première partie du vingtième siècle. Je ne pense pas que cela remonte plus loin que le dix-neuvième siècle. Dans la tradition tibétaine, la méditation n’était pas généralement enseignée aux laïcs. Hormis le fait d’assister à certains enseignements comme mentionné plus haut, les laïcs récitaient principalement des mantras, mémorisaient quelques prières, faisaient des circumambulations, offraient des lampes à beurre – ce genre de choses.
Aujourd’hui, en Occident, il existe de nombreuses différences. Non seulement la majorité des étudiants ne sont pas des religieux, mais, en ce qui nous concerne, nos vies comportent beaucoup d’autres aspects et engagements. En tant que religieux, nous n’aurions que le Dharma pour étude, la pratique et les rituels comme objet principal, et ce serait là tout ce que nous ferions. De plus, nous, les Occidentaux, avons déjà reçu une éducation. Nous n’abordons pas le Dharma en tant qu’enfants non éduqués. Nombre d’entre nous n’avons pas de contact étroit avec les grands maîtres spirituels, et nous ne vivons certainement pas avec eux comme le font de nombreux jeunes novices dans les monastères tibétains. De plus, dans la plupart des cas, nous devons payer pour les enseignements. Nous ne vivons pas dans des sociétés qui soutiennent les institutions bouddhiques et les monastères par des offrandes. Malgré tout, on doit payer des loyers, les gens ont besoin d’assurances pour la santé, la nourriture, etc. La situation est donc, naturellement, très différente pour nous.
La plupart d’entre nous ont un contact très limité avec les grands maîtres actuels. Nous avons peut-être eu la bonne fortune d’assister à un des grands enseignements donnés par Sa Sainteté le Dalaï-Lama. Occasionnellement, certains grands maîtres peuvent se rendre dans notre ville, et nous assistons alors à leurs enseignements au sein d’une large audience. Le reste du temps, ce qui est disponible pour nous dans nos villes, c’est un maître moins expérimenté et qualifié, qu’il s’agisse d’un guéshé tibétain, d’un khenpo, d’un moine éduqué ou d’une nonne. Parfois, nous ne disposons même pas de cette opportunité, et nous avons juste des étudiants plus âgés pour conduire des discussions.
Différents niveaux de maîtres
Il n’y a pas lieu de se plaindre ; c’est la réalité de notre situation. Le défi est d’en tirer le meilleur parti, et c’est pourquoi nous devons reconnaître et accepter pour nous-mêmes les différents niveaux de maîtres à mesure que nous progressons le long de notre itinéraire spirituel. La majorité d’entre nous n’ont pas l’opportunité d’être capables de consacrer tout notre temps à la pratique bouddhique. Nous avons des familles à soutenir et nous devons gagner notre vie, etc. Nous devons être réalistes à ce sujet.
Quand, disons-le, notre enseignant local n’est pas tout à fait de la qualité de Sa Sainteté le Dalaï-Lama, si nous adoptons une attitude réaliste, cela nous aide à ne pas être déçus. Considérons que même si nous étions capables d’être avec Sa Sainteté tout le temps et de recevoir de lui des enseignements privés, cela se passerait à un niveau tellement avancé – sans doute bien au-dessus de nos têtes – que nous ne serions pas en mesure d’entrer vraiment en relation avec lui et de tirer le meilleur parti de sa direction.
Je me souviens de la toute première fois où je suis allé en Inde, en 1969 ; j’avais déjà complété le cursus pour mon doctorat à Harvard, et avais déjà étudié les différentes langues d’Asie, y compris le tibétain et le sanscrit. Toutefois, le bouddhisme était principalement enseigné comme une science, un sujet mort. À cette époque, nous apprenions seulement à lire le tibétain ; le professeur n’avait pas une idée claire de la manière de le prononcer. Ce fut seulement en Inde que je fus pour la première fois capable d’étudier le tibétain parlé et les fondements du Dharma avec des maîtres qualifiés.
Originellement, quand j’ai rencontré les grands maîtres – Sa Sainteté et les maîtres de Sa Sainteté – la perception que j’en avais était qu’ils étaient pareils à des chevaux galopant très, très vite. J’avais l’impression que je ne pourrais chevaucher sur aucun d’entre eux. Ils parlaient trop vite dans une langue que je ne pouvais pas vraiment comprendre ; et ce dont il parlait était de très loin trop rapide et avancé. Mais j’aspirais puissamment à être capable de monter ces chevaux et à m’entraîner pour parvenir au niveau où je pourrai véritablement les comprendre et tirer parti d’une chevauchée sur pareils incroyables pur-sang.
Si nous sommes sur un manège, nous n’avons pas besoin d’un pur-sang ; un cheval de bois suffira pour faire un tour. C’est de cette manière que nous travaillons d’abord avec nos enseignants locaux. De toute évidence, la relation avec ces maîtres doit être respectueuse, et le reste à l’avenant ; malgré tout, avec les grands maîtres que nous pourrions rencontrer seulement une ou deux fois dans notre vie, il ne s’agit pas tout à fait du même genre de relation. Sans doute, il se peut que nos maîtres de Dharma locaux ne soient pas aussi inspirants pour nous ; mais, néanmoins, nous pouvons apprendre beaucoup d’eux. Ils peuvent nous aider à nous exercer.
Ce qui est important quand on rencontre les grands maîtres de notre temps, même si nous ne les rencontrons pas très souvent, c’est d’avoir quelqu’un qui nous inspire vraiment. Il n’a pas besoin d’être avec nous tout le temps, car, comme je l’ai dit, il se peut qu’il galope si vite que nous ne puissions même pas tenir la cadence.
L’autre point réellement important sur lequel on doit insister, c’est que la relation avec un maître spirituel n’est pas comme une relation qu’on pourrait avoir à l’armée. Il ne s’agit pas de dire « oui, monsieur » puis d’obéir à l’aveugle. Nous devons avoir très bien examiné le maître. Nous devons faire cela avant de nous engager réellement et nous soumettre à la direction de cette personne, même si cela se passe à distance. Auparavant, nous pouvons bien sûr aller à ses enseignements, ses conférences, etc. ; mais, c’est très différent de l’attitude qui consiste à prendre réellement cet engagement.
Devenir un disciple
Il y a peu de chance dans la tradition tibétaine traditionnelle qu’un élève demande à un maître : « Puis-je être votre disciple ? » et que le maître l’accueille chaleureusement et l’étreigne, et qu’aussitôt l’élève soit désormais son disciple bien-aimé. Il s’agit là d’une version romantique de ce à quoi ça ressemble. Même dans le cas d’une sorte de reconnaissance mutuelle due à une connexion dans une vie antérieure, il n’y a pas de fanfare spectaculaire.
Un bon exemple est fourni par mon expérience avec Tsenshap Serkong Rimpotché, le maître principal avec lequel j’ai étudié. Bien que je l’eusse rencontré quelques fois auparavant, quand je me suis vraiment installé à Dharamsala et l’ai rencontré à nouveau, juste après lui avoir parlé, il a dit : « Restez ici dans un coin de la pièce et regardez la façon dont j’interagis avec les gens. » C’était juste tout à fait naturel, sans en faire toute une histoire. « Maintenant, vous voici. Et, bien sûr, vous êtes là. » Puis il a commencé à m’entraîner simplement.
Je suis aussi extrêmement proche de la jeune réincarnation de Serkong Rimpotché. Je me rappelle que quand j’ai traduit pour lui la première fois à un enseignement privé, j’ai dit : « Comme c’est merveilleux de traduire à nouveau pour vous. » Utilisant sa réplique favorite, il a répondu : « Rien de spécial – bien entendu, vous traduisez à nouveau pour moi. À quoi vous attendiez-vous ? » Il n’y a pas d’histoire à faire à propos de quoi que ce soit. Il s’agit là d’une attitude très utile ; sans quoi, on tourne tout en une sorte d’inflation dramatique de soi-même et le gourou en un gros délire égotique.
Trouver un maître racine
Établir une profonde relation avec un maître est similaire à ce que Tsongkhapa décrit comme étant les circonstances pour développer la bodhichitta. Il dit qu’il y a des gens qui ont un très fort instinct pour la bodhichitta ; ils sont juste naturellement attirés vers ce genre d’aspiration et de méditation. Il y en a d’autres qui doivent faire de gros efforts dans cette vie pour développer ce type d’aspiration. Il explique que pour ceux qui en ont l’instinct, leur développement de la bodhichitta sera plus facile et plus stable. Cela ne veut pas dire que si nous n’avons pas cette attirance instinctive, nous ne puissions pas développer la bodhichitta, mais que ce sera plus difficile.
Nous pouvons relier cela au fait de trouver un maître spirituel, un soi-disant « gourou racine », celui dont l’inspiration sert de racine pour ancrer et nourrir notre croissance spirituelle. Parmi nous, certains seront très naturellement attirés vers un maître, et c’est une indication très importante à surveiller. Mais choisir un maître spirituel ne devrait pas simplement reposer sur le fait que cette personne se trouve être le maître de votre centre de Dharma local, ou que lui ou elle soit le fondateur du centre de Dharma ou de l’organisation à laquelle vous allez. De même, cela ne devrait pas reposer sur la réputation ou le charisme – le genre d’emballage associé à certains de ces maîtres.
Il n’y a aucune raison au monde pour que tous dans un centre de Dharma soient connectés avec le fondateur ou les maîtres qui s’y trouvent. Si le maître de notre centre local est le seul disponible dans notre ville et si, parmi toutes les alternatives, elle ou lui est le meilleur, alors très bien. Nous pouvons tirer profit du fait de venir au centre et d’étudier avec de tels maîtres, pas de problème. Mais nous devons garder un œil ouvert sur celui ou celle qui pourrait être notre maître racine, celui ou celle que nous trouverons le plus inspirant.
Comment savez-vous que vous avez une connexion instinctive avec quelqu’un ? Une indication est qu’il arrive que nous soyons juste à un endroit quand cette personne s’y trouve, et cela arrive souvent. Quand nous allons la voir sans avoir été annoncé, elle n’est pas absente. D’autres indications sont qu’elle agit presque comme un aimant dans le sens où nous ne pouvons pas détacher nos yeux de cette personne. Ce n’est pas la même chose que quand nous éprouvons un désir ardent ou concupiscent pour une belle personne. C’est d’une qualité très différente. Il ne s’agit pas d’une expérience perturbante ou bouleversante. Voir cette personne nous fait nous sentir plus calme, plus confortable, plus à l’aise, et joyeux d’une façon très sereine. Il ne s’agit pas de surexcitation ; c’est juste un sentiment adéquat.
Nous avons tous fait ce genre d’expérience s’il nous est arrivé d’acheter une paire de chaussures. Nous essayons différents modèles, faisons quelques pas, et il y a une paire qui nous semble aller comme il faut. Elle est confortable. Il s’agit du même genre de sensation avec le maître spirituel – cela semble juste, cela nous correspond. Mais, comme avec la bodhichitta, il se peut qu’il n’y ait personne pour qui nous éprouvions ce puissant lien instinctif venant d’une connexion dans une vie antérieure. Dans ce cas, nous devons vraiment faire beaucoup d’effort pour établir une relation avec le maître le plus qualifié auquel nous pouvons accéder, indépendamment du degré d’inspiration que nous lui accordons. Comment faisons-nous cela ? En étant un chercheur très sérieux et sincère qui veut réellement apprendre comment pratiquer et se transformer.
Je me souviens de quand je suis allé en Inde en 1969 et ai rencontré Sa Sainteté le Dalaï-Lama pour la première fois. Cela se passait seulement dix ans après que les réfugiés tibétains se furent échappés du Tibet, et contrairement à aujourd’hui, il était beaucoup plus facile de rencontrer et d’échanger vraiment avec Sa Sainteté et ses maîtres. J’étais très ému en réalisant que tout ce que j’avais étudié à propos du bouddhisme tibétain à l’université, comme s’il s’était agi d’un sujet mort tel que l’égyptologie, était véritablement vivant et réel. Il y avait là quelqu’un qui savait véritablement la signification de tout ça et qui l’incarnait. C’était une révélation à même de transformer la vie.
La deuxième ou troisième fois que j’ai rencontré Sa Sainteté, j’ai dit de manière directe : « Je m’offre à vous. J’ai beaucoup de défauts ; mais donnez-moi l’opportunité de m’entraîner et je vous servirai le restant de ma vie pour promouvoir vos œuvres. » J’étais très sincère à ce propos, et Sa Sainteté m’a donné toutes les occasions pour être en mesure de rester en Inde afin de recevoir le meilleur entraînement possible.
Après avoir commencé à passer de plus en plus de temps avec Serkong Rimpotché, j’utilisais le dicton classique : « S’il vous plaît, dressez-moi comme un âne afin que je devienne un être humain. » Mon bagage était celui d’un étudiant hautement intelligent de l’université d’Harvard, très arrogant, avec une aptitude très restreinte à interagir socialement avec les autres. En un certain sens, j’étais horrible et, je dois le dire, très arrogant, et je devais vraiment apprendre à me relier aux autres gens. C’était ce que je demandai à Serkong Rimpotché de m’enseigner. C’est la raison pour laquelle il me réprimandait le plus souvent et me traitait d’« idiot » chaque fois que j’agissais comme tel. Au cours des neuf années passées à le servir comme traducteur et à organiser ses déplacements à l’étranger pour ses enseignements, etc., il m’a remercié seulement deux fois. Pour moi, cela a été très utile. Il avait coutume de dire : « Vous pensez que vous êtes tellement intelligent, n’est-ce pas ? Or vous ne l’êtes pas. » Il ne ratait jamais une occasion de faire remarquer quand je disais ou faisais quelque chose de stupide, en particulier en présence d’un grand nombre de gens. Et, de mon côté, je ne me suis jamais mis en colère une seule fois parce que je reconnaissais que c’était là sa façon de m’entraîner et que j’appréciais son immense bonté de prendre tout ce temps et d’endosser le tracas pour le faire.
La question n’est pas juste d’être très courageux et émotionnellement fort afin d’endurer ce genre d’entraînement. Pour se transformer, on doit déployer des efforts de son côté. Même s’il se peut qu’il y ait une certaine connexion karmique instinctive venant d’une vie antérieure, nous ne pouvons rester passifs. Si nous faisons la demande d’avoir l’opportunité d’être entraîné, nous devons vraiment suivre cet entraînement et ne jamais nous plaindre ni nous mettre en colère. De la sorte nous établissons la relation correcte.
Les textes bouddhiques traditionnels disent également d’aider le maître. Si on veut établir une relation étroite, nous devons offrir notre aide. Nous pouvons nous entraîner pour devenir le traducteur du maître, pour transcrire ses enseignements ou pour organiser ses déplacements. C’est comme cela qu’on se rapproche du maître. Faites quelque chose. Ne vous attendez pas à ce que vous puissiez vous contenter de rester assis dans le public et que le maître vous verra, viendra vers vous et vous distinguera pour vous accueillir.
Nous devons être totalement sincères. Cela veut dire que nous nous sommes suffisamment bien examinés pour savoir si, oui ou non, nous sommes assez forts pour, comme ils le disent, endurer la relation avec le maître spirituel. Pour utiliser une précédente image, sommes-nous assez forts pour monter ce cheval au grand galop ?
Faites-le simplement !
En bref, cela ne sert à rien de nous plaindre de n’avoir pas accès à ces grands maîtres spirituels. Cela ne serait pas productif. Si nous voulons vraiment avancer, nous devons fournir des efforts pour cela. Considérez tout ce que les grands maîtres du passé ont enduré, comment ils marchèrent du Tibet jusqu’en Inde pour étudier avec les maîtres indiens, apprendre leurs langues, etc. Nous avons beaucoup de chance de ne pas avoir à faire tout cela.
Si on compare la situation du bouddhisme et les études tibétaines aujourd’hui avec celle d’il y a cinquante ans quand j’ai commencé, c’est incroyablement plus facile maintenant. Juste un exemple, il n’y avait quasiment rien de disponible pour apprendre la langue tibétaine ou la prononciation. Il existait seulement un livre, qui essayait d’expliquer la grammaire tibétaine en latin, ce qui n’avait absolument aucun sens. Quand je suis allé en Inde, j’ai dû deviner la structure sonore du langage parlé. Rien pratiquement n’avait été traduit. Voyez tout le matériel disponible de nos jours. En fait, cela pose un nouveau problème ; nous nous plaignons qu’il y en a trop et ne savons pas par où commencer !
Il n’y a aucune raison pour quiconque de se plaindre ou de se désoler de vivre dans un lieu éloigné. Aujourd’hui, nous sommes à Moscou pour ces conférences ; donc, Moscou n’est pas un endroit si obscur pour le bouddhisme comme c’était le cas jadis. Il y a beaucoup plus de maîtres qui viennent ici que quand nous avons commencé à nous rencontrer à la fin de la période soviétique. Allons ! Si nous voulons le faire, si nous sommes vraiment sérieux, faisons-le simplement. Si nous sommes vraiment sérieux, les maîtres nous prendront au sérieux.
Questions
Les qualités d’un maître spirituel
Vous avez mentionné le fait qu’il existe de nombreux niveaux de maîtres spirituels. Quelles sont les qualités auxquelles nous devrions faire attention quand nous sommes à la recherche d’un maître ?
Oui, il y a de nombreux niveaux de maîtres spirituels et il existe différentes listes de qualifications. Pour chacun des niveaux suivants, le maître a besoin de qualifications supplémentaires en plus de celles des niveaux précédents. Les plus importantes sont :
- La discipline éthique
- Un bon niveau de concentration
- La pacification, pour une grande part, de ses émotions perturbatrices
- Un grand enthousiasme à enseigner et de la joie à le faire
- Avoir plus de connaissance et d’expérience dans la pratique du Dharma que nous n’en avons
- Comme seule motivation, avoir le souhait sincère d’aider les étudiants, avec bonté, compassion, etc.
- Posséder l’honnêteté et ne pas faire preuve d’hypocrisie, ne jamais prétendre avoir des qualités qu’on n’a pas
Ainsi que de nombreux textes le disent, trouver un maître qui possède toutes ces qualifications est extrêmement rare. Mais, pour le moins, la personne doit avoir certaines des qualités de cette liste, et plus de qualités positives que de négatives. Les qualités les plus importantes sont d’être une personne possédant une éthique, d’être animé par la motivation sincère d’aider les autres, d’avoir plus de connaissance et d’expérience que nous n’en avons, et d’être honnête à ce propos. Ces qualités sont très, très importantes. Enfin, la personne ne doit pas être hypocrite.
Tester un maître potentiel
Concernant les qualités spirituelles que nous recherchons chez un maître spirituel, l’une est qu’il ait une motivation correcte, celle de la bodhichitta. Mais comment pouvons-nous vérifier si une personne a la bodhichitta alors que nous-même ne l’avons pas encore développée ?
Quand on examine les qualifications, le terme qui apparaît dans les listes signifie bienveillance, bonté (brtse-ba). La liste est utilisée en général pour un précepteur qui confère des vœux, et elle ne comporte pas la bodhichitta comme qualification car elle doit être valide tant pour les maîtres du Hinayana que pour ceux du Mahayana. Dans la liste des qualifications spécifiquement requises pour un maître mahayaniste, de toute évidence, pour celui ou celle qui confère les vœux de bodhisattva, il est correct de dire que cette personne doit avoir la bodhichitta.
Comment avons-nous connaissance de ces qualités si nous-mêmes ne les avons pas réalisées ? L’analogie souvent utilisée est celle de notre incapacité à voir un poisson nageant en eau profonde mais de notre aptitude à détecter sa présence par les rides qu’il cause à la surface de l’eau. Donc, en termes de bienveillance, est-ce que le maître porte un réel intérêt à ses divers étudiants et disciples, pas juste aux mécènes fortunés, mais en particulier aux plus pauvres et aux plus modestes ? Est-il concerné par leur bien-être, etc. ? Ou se contente-t-il de les exploiter pour l’argent, la réputation, les faveurs sexuelles, etc. ? Et à quoi travaille-t-il en termes de bodhichitta ? Travaille-t-il à devenir un bouddha lui-même ? Continue-t-il d’aller à des enseignements ? À faire des retraites de méditation ? Ou bien essaie-t-il juste de devenir le plus grand, le plus renommé des maîtres à la tête d’un grand empire ? Travaille-t-il réellement à être bénéfique aux autres ? Telles sont les choses qu’on doit vérifier, comme on examine les rides à la surface d’un lac.
Nous devons en juger par nous-mêmes d’après notre propre interaction avec le maître, et interroger les autres également d’après leurs interactions personnelles avec lui (ou elle), puis évaluer en faisant usage de discernement. Et, souvenez-vous, pour évaluer chez quelqu’un la réalisation de n’importe quelle bonne qualité, regardez l’effet qu’elle devrait avoir eu sur cette personne. Quelle transformation a-t-elle opérée ?
Les maîtres qui agissent contrairement à l’éthique
Que devrais-je faire si une personne que je considère comme un de mes maîtres depuis plus de quinze ans commence soudain à se comporter d’une façon étrange que je trouve inacceptable ? Devrais-je utiliser une telle personne comme source d’information et continuer de lire, d’écouter et d’assister à ses conférences ? Devrais-je continuer à considérer cette personne comme étant un de mes maîtres alors que je considère certains de ses actes comme inacceptables ?
Il est dit très clairement dans de nombreux textes que si nous nous sommes engagés dans une relation avec un maître spirituel, peut-être prématurément, sans avoir réellement très bien examiné la personne sur une longue période, et que plus tard nous découvrons qu’elle possède de sérieuses tares, nous devrions maintenir du respect pour les bienfaits que nous avons pu recevoir de ce maître, mais que nous devrions nous tenir à distance respectueuse.
Les textes disent aussi de façon claire que tout au long de la relation avec le maître spirituel, nous ne devrions jamais nous départir de notre discernement. Si le maître nous demande de faire quelque chose de non conforme à l’éthique ou d’incorrect, nous devrions dire non, mais sans colère et sans l’incriminer. Comme alternative, nous pouvons dire : « Vous m’avez demandé de faire une chose non conforme à l’éthique ou déraisonnable » – cela n’a pas besoin d’être immoral, cela peut être déraisonnable – « pourriez-vous expliquer, s’il vous plaît, pourquoi vous avez dit ça ? Quelle est votre pensée derrière cela ? »
Je vous ferai part de mon expérience personnelle à ce sujet. Une fois, Sa Sainteté le Dalaï-Lama m’a demandé, ainsi qu’aux deux Rimpotchés avec qui je traduisais de petits ouvrages pour lui, de traduire L’Océan de la connaissance infinie (Shes-bya kun-kyab), cette énorme encyclopédie bouddhique écrite par Jamgon Kongtrul. Maintenant, imaginez un peu, ce projet a été entrepris quelques années plus tard par le groupe de traduction de Kalu Rimpotché. Ils ont travaillé dessus pendant, disons, je ne sais pas, les vingt-cinq dernières années, et ils ne sont toujours pas arrivés au bout en dépit du fait d’avoir de nombreuses équipes travaillant sur différentes sections. Quand Sa Sainteté nous a envoyé sa requête, nous ne nous sommes pas contentés d’obéir sans poser de question, au lieu de cela, à l’audience suivante que nous avons eue avec lui, nous avons demandé très poliment à Sa Sainteté : « Un très grand merci pour votre confiance dans nos capacités de traducteurs, mais ce projet est tellement immense que cela nous prendra probablement le reste de nos vies pour en venir à bout. Pourriez-vous, s’il vous plaît, nous expliquer votre pensée là-dessus ? Pourquoi aimeriez-vous que nous passions le reste de nos vies à traduire cette encyclopédie ? » Sa Sainteté a ri et a répondu : « Bon, j’avais pensé qu’il serait bien de le traduire, mais vous avez peut-être raison. C’est une tâche trop énorme à entreprendre pour vous trois. » Il nous en a donc excusé.
Mais, par la suite, il y a d’autres choses que Sa Sainteté m’a demandé de faire qui semblaient impossibles – ce que j’appelle souvent les « missions impossibles » – toutefois, usant de mon discernement, je les ai acceptées. En me fondant sur mon expérience antérieure, j’étais confiant dans le fait que Sa Sainteté est à même de voir les causes et les effets karmiques, et quelles connexions les gens ont entre eux. Laissez-moi donner un exemple.
Un jour, Sa Sainteté m’a demandé : « Je veux que vous me trouviez et fassiez venir à Dharamsala un maître soufi noir d’Afrique de l’Ouest. » Il était très précis. Et ce fut incroyable : je fus réellement en mesure de trouver un tel maître sans pratiquement aucun effort. Peu après cette audience, alors que j’étais en tournée de conférence en Europe, j’ai rencontré un diplomate allemand qui avait servi en Afrique. Je lui ai demandé s’il ne connaissait personne correspondant à cette description. Il m’a dit : « Oh, j’ai un bon ami qui est le chef soufi héréditaire de Guinée » – un pays d’Afrique de l’Ouest. J’ai pris contact avec l’homme, or il s’est trouvé justement qu’il se rendait en Inde pour suivre un traitement ayurvédique qui se terminerait exactement à la date de mon retour en Inde, et qu’il serait à Dehli au moment même où j’y serai. Or il s’est trouvé qu’il avait quelques jours de libre en plus, j’ai donc pu l’accompagner jusqu’à Dharamsala pour rencontrer Sa Sainteté. Et c’est ce que j’ai fait.
Bien que vous puissiez plaisanter et dire que c’était juste une pure coïncidence que tout ait marché si facilement, de toute évidence Sa Sainteté était capable de connaître toutes les causes à même de faire advenir pareille chose. J’ai donc fait usage de mon discernement pour évaluer ce qu’il était possible pour moi de faire quand mon maître spirituel me demandait de faire quelque chose pour lui : traduire une encyclopédie ou trouver et lui amener un maître soufi d’Afrique de l’Ouest. Comme le Bouddha lui-même l’a conseillé, examinez toujours tout, comme quand vous achetez de l’or.