Quand sommes-nous prêts pour le tantra ?

Le tantra est une pratique avancée

Pour notre dernière session ensemble, parlons un peu du tantra. Nous devons également ramener le tantra à un niveau réaliste.

Souvent, les Occidentaux, quand ils abordent les enseignements tantriques du bouddhisme tibétain, tombe dans l’un des deux extrêmes suivants. L’un est d’éprouver de la frayeur et de ne vouloir à aucun prix s’engager dans le tantra. L’autre est de vouloir instantanément sauter à pieds joints dedans. Ces deux extrêmes ont chacun leurs défauts.

Le tantra est une pratique extrêmement avancée. Ce n’est pas quelque chose dont on doit avoir peur ni une chose dans laquelle s’engager prématurément. Dans nos pratiques bouddhiques relatives au niveau des soutras, les niveaux initiaux, fondamentalement ce que nous faisons, c’est apprendre à développer de très nombreuses qualités différentes qui nous aideront soit à améliorer notre samsara, à obtenir la libération, soit à devenir un bouddha afin de pouvoir aider les autres aussi pleinement qu’il est possible. Atteindre ces objectifs requiert de développer la concentration, l’amour et la compassion, une compréhension correcte et profonde de l’impermanence, du vide, du renoncement, etc. Toutes ces choses sont absolument nécessaires comme causes pour atteindre ces buts. Bien que nous puissions décrire le tantra de diverses façons, un des aspects de la pratique du tantra, c’est qu’il est un moyen de réunir toutes ces qualités ensemble et de les pratiquer en même temps.

De toute évidence, nous ne pouvons pas pratiquer toutes ces choses simultanément si nous ne les avons pas développées, une par une, au préalable. Se lancer dans la pratique du tantra sans avoir d’abord développé ces qualités dégénérera tout bonnement en la pratique d’un rituel sans profondeur ni contenu. Pour vraiment obtenir un bénéfice profond d’un rituel, il doit être vu comme une structure permettant d’assembler toutes les qualités que nous avons développées.

Par exemple, nous devons donner à nos vies la direction sûre et positive du refuge. Que faisons-nous avec la pratique d’un rituel tantrique ? Tout simplement cela : nous allons dans cette direction sûre en essayant de nous développer grâce au rituel. Nous n’accomplissons pas le rituel comme un amusement ou, comme quand on va à Disneyland, comme une diversion ou une échappatoire à nos vies ordinaires. Nous utilisons plutôt la pratique rituelle comme un moyen pour nous aider dans notre développement personnel afin d’atteindre les divers objectifs bouddhiques. Ces objectifs sont les Trois Joyaux de Refuge : ce qu’a enseigné le Bouddha, ce qu’il a achevé pleinement, et ce que le Sangha hautement réalisé a atteint en partie.

La nécessité d’avoir le renoncement

Le renoncement est un autre élément extrêmement nécessaire dans toute pratique tantrique, nous devons donc insister sur ce à quoi il fait référence. Le renoncement possède deux aspects. L’un est une détermination à se libérer de nos problèmes. Cet aspect nous permet d’utiliser la pratique tantrique comme méthode pour nous libérer de nos problèmes en atteignant l’illumination. Si nous n’avons pas cet aspect du renoncement, la détermination à se libérer, nous serons incapables de nous appliquer les pratiques en tant que parties intégrales de notre chemin spirituel.

L’autre aspect du renoncement est l’empressement à abandonner non seulement notre souffrance mais les causes de notre souffrance. C’est très important. Si nous ne sommes pas déterminés à abandonner les causes de notre souffrance, il n’y aura aucun moyen pour nous de devenir libres de cette souffrance, peu importe combien nous voulons nous en libérer. La cause de notre souffrance n’est pas quelque chose de banal, malheureusement, comme d’aller au cinéma ou de manger du chocolat, ou même de s’adonner au sexe. C’est quelque chose qui embrasse tout notre vie. Sur un plan, ce sont tous les traits de caractère négatifs de notre personnalité – toute notre colère, notre attachement, notre arrogance, notre jalousie, etc. Si nous allons un peu plus en profondeur, c’est notre confusion – c’est toute la conception fausse que nous nous faisons de nous-mêmes et de tout dans la vie.

Plus profondément encore que cela, ce dont nous devons réellement nous débarrasser, c’est de notre type d’esprit ordinaire qui fait apparaître les choses d’une façon qui n’est pas en accord avec la réalité. Sur les bases de ces prétendues « apparences impures », notre ignorance du fait qu’elles sont illusoires et fausses nous pousse alors à croire qu’elles sont vraies. Tout nos problèmes viennent de là.

Le problème ce n’est pas l’esprit en lui-même ; c’est l’activité ou fonctionnement de l’esprit comme fabricateur d’apparences trompeuses et notre croyance erronée que ces apparences sont vraies. Et ainsi, de même, la cause de nos problèmes n’est pas les apparences trompeuses que l’esprit produit. C’est une grosse erreur de penser que les problèmes résident dans les apparences en elle-même. Penser cela est une erreur qui vient de la mauvaise compréhension du mot tibétain nangwa, qui peut signifier à la fois « apparences » ou « fabriquateur d’apparence ». 

Quand on parle de se débarrasser des « apparences ordinaires » ou « apparences duelles », nous ne parlons pas d’un nom ; nous ne parlons pas d’apparences qui se situeraient « là-bas ». Nous parlons d’une manière d’être conscient d’une chose ; nous parlons d’un verbe. Spécifiquement, on parle de la fonction de l’esprit qui fait que les choses apparaissent d’une façon qui n’est pas en accord avec la réalité. C’est de cela que nous essayons de nous débarrasser ; c’est de cela dont nous essayons d’obtenir la véritable cessation. Or, malheureusement, la vie est dure – notre esprit fait constamment apparaître les choses de façons aberrantes, sans qu’il y ait de commencement à cela.

Par exemple, même si nous avons une certaine compréhension de l’impermanence et d’un soi non solide, toutefois, quand nous nous levons le matin et regardons notre reflet dans le miroir, notre esprit le fait apparaître comme si nous étions la même personne que nous étions la veille au soir, une personne identique. Il nous semble que nous sommes permanents. Ou bien, nous venons juste de nous cogner le pied et l’esprit manifeste la chose comme s’il y avait un « moi » séparé du pied : « J’ai heurté « mon » pied. » Notre esprit conceptuel, fondé sur notre langage, fait apparaître les choses ainsi.

Ce que nous devons chercher à abandonner, c’est tout ce processus de l’esprit faisant apparaître les choses de cette façon – façon avec laquelle, malheureusement, nous sommes terriblement familiers – ainsi que toute la confusion, tous les problèmes, et autres soucis qui en découlent. Si nous ne sommes pas désireux d’abandonner cela, comment pouvons-nous possiblement opérer une transformation de notre soi, de l’image de nous-même, et de toutes ces choses, avec le tantra ?

Sans la volonté d’abandonner notre image ordinaire de nous-mêmes, qui est l’image d’un « moi » solide doté d’une espèce d’identité concrète, se générer alors sous la forme d’une certaine déité, c’est la porte ouverte à la schizophrénie plutôt qu’à la libération. Nous aurions toujours cette idée folle, totalement agressive et prégnante de nous-mêmes. Nous ajouterions à cela l’exagération comme quoi « je suis une déité ». Nous pouvons alors aisément avoir la folie de dire, par exemple : « Si je suis en colère : il s’agit de mon aspect courroucé en tant que déité. » Ou bien nous pourrions faire l’amour avec n’importe quelle personne que nous rencontrons parce que : « Je suis telle déité avec sa parèdre, et c’est une haute pratique tantrique que de faire l’amour avec tout le monde. » Tout cela représente un grand danger qui peut se produire si nous nous lançons simplement dans le tantra sans avoir le fondement de cette détermination à nous libérer – ce renoncement à l’image de notre soi ordinaire.

Et pour renoncer à cette image de soi, il est absolument nécessaire d’avoir une compréhension correcte du vide (de la vacuité) ; car sans cela, comment pouvons-nous opérer une transformation de notre conception de nous-mêmes ? Sans une compréhension correcte, nous pouvons devenir complètement délirant, et penser d’une façon très bizarre : « Tout n’est qu’un mandala parfait autour de moi et tout le monde est un bouddha », et alors nous ne faisons même plus attention en traversant la rue et sommes renversés par une voiture.

En outre, il est absolument nécessaire d’avoir de l’amour et de la compassion, ainsi que l’esprit de bodhichitta. Nous faisons toutes ces pratiques pour être en mesure d’aider les autres et par souci des autres. La bodhichitta nous anime réellement et nous pousse à appliquer tout cela comme une méthode pour traiter avec le monde et les autres. Sans elle, il est très facile de nous égarer dans un Disneyland bouddhique, totalement déconnectés de nous-mêmes et perdus dans quelque bizarre contrée imaginaire.

Quand nous faisons les pratiques du tantra, nous imaginons que nous avons tous ces bras et ces jambes et sommes entourés de lumières de cinq couleurs, etc. Chacune de ces choses est une représentation des diverses compréhensions, des diverses qualités telles que l’amour, la compassion, les cinq sortes de conscience profonde, etc. En imaginant ces choses sous une forme graphique, comme d’avoir de multiples bras et jambes, cela nous aide à générer tous ces aspects simultanément. C’est dans ce sens que le tantra est une pratique très avancée et requiert une prodigieuse préparation pour être à même de la faire correctement.

Le besoin de pratiques préparatoires préliminaires

Quand nous parlons d’autres types de préparations, telles que les prosternations et la répétition du mantra de Vajrasattva en cent syllabes, cela vient en plus de ce dont nous venons juste de discuter. Elles nous aident à accumuler le potentiel positif pour réussir dans notre pratique tantrique et à nous purifier du potentiel négatif qui empêcherait cette réussite de se produire. Mais faire ces pratiques préparatoires préliminaires seulement pour elles-mêmes, sans également leur associer ces facteurs d’amour, de compassion, de concentration, de vacuité, etc., cela ne suffira pas pour nous apporter le succès. Par exemple, nous pourrions faire 100 000 prosternations avec pour motivation une quelconque raison névrotique. Cela pourrait être pour plaire à notre maître ; cela pourrait être pour rejoindre le club des « gens spéciaux » ; cela pourrait être comme punition pour avoir été une « mauvaise personne » ; ou des choses de cet ordre.

Ces pratiques préliminaires doivent être faites non seulement sur la base de tous ces divers aspects du Dharma, comme l’amour et la compassion, mais elles doivent également viser à approfondir le développement de ces aspects en nous. C’est semblable à ce dont nous avons discuté déjà dans la manière de faire progresser notre compréhension du vide ou de tout autre sujet, et comment, pour ce faire, il est nécessaire d’accumuler beaucoup de potentiel positif et de nettoyer certains blocages mentaux. Ces pratiques telles que les prosternations nous aident à générer l’énergie positive pour être capable de faire s’assembler tous les aspects du Dharma. Si ces aspects, que nous devons assembler, nous font défaut, l’énergie positive en elle-même issue des pratiques préliminaires ne sera pas suffisante.

Le cadre pour accumuler du potentiel positif et pour éliminer les obstacles peut être une forme traditionnellement structurée, mais ce n’est pas obligatoire. Cela peut être de prendre soin de nos enfants ; cela peut être de travailler dans un hôpital – cela peut être n’importe quelle action constructive ou positive que nous faisons de manière répétée. Voici un exemple traditionnel : le Bouddha avait un disciple très difficile sans grande capacité intellectuelle. Comme pratique préliminaire pour cette personne, le Bouddha lui fit balayer le temple pendant plusieurs années tout en récitant : « Poussière va-t-en ; poussière va-t-en. » Telle fut la pratique préliminaire de cette personne. Le Bouddha ne lui fit pas faire de prosternations. Nous devons donc être un peu souples et comprendre que la chose importante est le processus-même d’accumulation et de purification. La structure de ce processus peut être adaptée à la mesure de chaque individu.

Le maître spirituel et la prise de vœux

Par ailleurs, nul besoin d’être effrayé par le tantra et de se dire : « Je ne veux vraiment pas m’engager dans ce genre de pratique. » Mais, en ce qui concerne la pratique, nous devons faire attention à son propos et la faire correctement. Pour cela, la relation avec le maître spirituel est très importante car, une fois encore, ainsi que nous l’avons mentionné, quand nous voyons le maître comme l’une de ces déités, ces formes de bouddha, cela marche aussi en sens inverse : cela nous permet de voir ces figures-de-bouddha en tant qu’êtres humains. Autrement dit, nous apprenons ce que veut dire véritablement traduire toute cette pratique tantrique dans la vie humaine. C’est très important. Sans quoi, nous pouvons nourrir des idées vraiment bizarres sur ce que signifie se visualiser sous ces formes tout au long de la journée.

Un autre point très important avec le tantra est de prendre certaines séries de vœux – les vœux de laïc, les vœux de bodhisattva, et, dans les plus hautes classes de tantra, les vœux tantriques. Mais on doit veiller à éviter de prendre des vœux en pensant qu’on existe comme un « moi » solide et en se disant : « Je devrais faire ceci, et je ne devrais pas faire cela. » La compréhension du vide est donc très importante pour être en mesure de prendre des vœux de manière non névrotique, en sorte de ne pas introduire des sentiments de culpabilité à propos de ce que nous avons fait dans le passé ou de ce que nous pourrions faire dans le futur, ou bien des sentiments de perte de contrôle du fait de la prise de tels vœux, ou encore en se disant : « Maintenant j’ai donné le contrôle à quelqu’un d’autre et dorénavant je suis l’esclave de ce maître. » Si nous pensons ainsi pour ce qui est de la question du contrôle, nous pouvons alors devenir tellement effrayés de prendre des vœux que nous ne nous engagerons jamais dans le tantra en aucune façon.

Pour surmonter tout cela et pour être capable de prendre et de garder des vœux d’une façon non névrotique, une fois encore nous avons besoin de la compréhension de la vacuité. Encore et encore, afin de pratiquer le tantra, nous avons besoin du renoncement, de l’esprit de bodhichitta, et de la compréhension du vide. Si nous nous sommes correctement préparés, alors le tantra est extrêmement important car il nous permet de faire s’assembler toutes ces choses. Il est donc approprié d’être très précautionneux et soigneux et de ne pas se lancer dans cette pratique avant d’y avoir été préparés, mais nous devons également éviter de penser : « Je ne serai jamais prêt et je ne voudrai donc jamais m’engager dans ce genre de pratique. » Nous devons suivre une sorte de voie médiane dans notre approche.

Quand notre compréhension est-elle suffisante ?

Quand savons-nous : « Maintenant, j’ai une compréhension suffisante du vide, de la bodhichitta, du renoncement pour m’engager vraiment dans le tantra » ? Ce n’est pas si facile. Tout d’abord nous nous connaissons nous-mêmes mieux que quiconque ne nous connaîtra jamais. Se dire : « Oh, c’est le gourou qui sait », etc., c’est réellement avoir une vision romantique de toute la situation. Cela devient une méthode pour se détourner d’endosser la responsabilité de nos vies, ce qui est faire preuve d’un grand manque de maturité. Bien sûr, si nous avons une relation étroite avec un maître spirituel, discuter avec lui, etc., peut s’avérer très utile. Nous devons éviter de penser de manière très arrogante : « Je n’ai pas à prendre conseil ni à demander avis auprès de mon maître. » Mais peu d’entre nous ont une relation personnelle étroite avec un maître, ce n’est donc pas si facile. Je pense que nous devons regarder à l’intérieur et être honnêtes avec nous-mêmes, et ne pas jouer à des jeux d’auto-illusion tels que : « Je suis à un stade tellement avancé que… », etc.

Je pense que la chose principale est de se concentrer en nous-mêmes – et à mon avis nous sommes seuls à pouvoir en juger – pour savoir combien forte est notre compassion, laquelle déterminera ensuite la force de notre bodhichitta. Autrement dit, dans quelle proportion suis-je réellement concerné par les autres et en capacité de les aider ? Si ce sentiment est assez puissant, il peut conduire à ce qu’on ait un fort renoncement et une forte boddhichitta. « Je dois laisser tomber toutes les causes qui m’empêchent d’aider les autres, et je dois développer toutes les bonnes qualités en sorte d’être en mesure de les aider le plus possible. » 

Le seul moyen pour que nous puissions éventuellement laisser tomber les causes de nos limitations et développer toutes nos bonnes qualités, c’est d’obtenir une pleine et correcte compréhension du vide et de ne pas s’accrocher à un concept solide du « moi » – « je suis si épouvantable, je ne peux rien faire » ou « je suis tellement merveilleux, je suis le cadeau de Dieu au monde, je n’ai besoin de rien apprendre ». Au lieu de cela, nous tâchons d’obtenir une compréhension de la relation de cause et d’effet.

Quand nous comprenons le vide, nous respectons naturellement la causalité – la manière développer les qualités pour aider les autres. Avec cette réelle et puissante détermination à aider les autres – « je dois laisser tomber les causes de ma souffrance. Je le veux. Non pas que “je doive” les abandonner, mais que je “veuille” réellement et aie besoin de faire cela » – nous sommes motivés et poussés, d’une manière altruiste, à le faire. Et nous réalisons que pour être capables d’aider réellement les autres, nous devons suivre la loi de cause et d’effet. Nous devons accumuler toutes les qualités afin d’être de la meilleure aide possible pour les autres, et cela ne peut se faire que grâce au processus de la causalité, lequel ne peut opérer que sur la base du vide.

Sur la base de cette motivation et de cette compréhension, nous devons alors examiner ce qui se passe dans la pratique du tantra, de quoi s’agit-il ? Nous devons être confiants dans le fait que le tantra offre les méthodes les plus puissantes pour se débarrasser de ce qui nous empêche d’aider les autres et de développer les qualités grâce auxquelles nous sommes en mesure de les aider du mieux possible. Autrement dit, nous devons être persuadés que la pratique tantrique est le moyen le plus efficace pour accomplir les objectifs de l’illumination et d’aider au mieux les autres. 

Quand nous avons la motivation appropriée et une certaine compréhension de la vacuité, ainsi qu’une évaluation et une compréhension du processus de la pratique du tantra, de telle sorte que nous avons une certaine confiance en lui et une idée de ce que nous allons en faire, alors nous sommes prêts pour nous engager dans la pratique du tantra. Nous sommes alors attirés vers lui d’une manière très positive et constructive, et nous l’utiliserons de même d’une manière constructive et positive.

Vidéo : Guéshé Tashi — « Quand est-on prêt pour le tantra ? »
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Points à garder à l’esprit avant de s’engager dans le tantra

En bref, je pense que nous sommes les meilleurs juges de nous-mêmes pour savoir combien sincère est notre souhait d’aider les autres, ou si ce sont juste des mots vides de sens. Si nous pratiquons le tantra avant d’être prêts, nous courons nombre de terribles dangers. Nous pouvons vraiment devenir psychologiquement perturbés et confus si nous pratiquons juste un rituel vide pour une raison névrotique. Une telle pratique incorrecte peut facilement servir de base pour une prodigieuse inflation de nous-mêmes avec, d’une part, d’étranges fantasmes, de l’arrogance, et le reste à l’avenant, d’autre part, elle peut servir de base à une désillusion parce que la pratique du rituel n’accomplit en réalité rien du tout. Quand nous nous contentons de respecter un engagement de faire une certaine pratique rituelle tous les jours et que nous sommes désillusionnés car nous ne savons pas comment l’appliquer dans nos vies, notre pratique quotidienne devient alors un complet supplice que nous prenons comme une obligation, un devoir : « Je dois le faire ». Nous en éprouvons bientôt une forme de ressentiment et cela devient très désagréable. Si nous sommes correctement préparés et avons l’attitude appropriée envers le tantra, alors la pratique est extrêmement bénéfique. Mais cela requiert de faire réellement s’associer tous les éléments du Dharma ensemble. 

Nous devons également garder à l’esprit qu’une fois qu’on s’est engagé dans la pratique du tantra, notre pratique évoluera. Nous devons éviter de tracer une ligne solide autour d’elle et penser qu’elle doit être la même chose stupide jour après jour : « Je récite ce rituel, mais je pourrais tout aussi bien le réciter à l’envers. » La pratique évolue avec le temps. Il s’agit d’un processus plutôt que d’une tâche ennuyeuse d’avoir à réciter une même chose pour le reste de l’éternité. Bien que l’éthique, le renoncement, la bodhichitta, la concentration et la compréhension du vide soient des choses que nous voulons avoir pour toujours, notre niveau de réalisation de ces qualités évoluera au fur et à mesure que nous utiliserons la pratique rituelle pour les faire s’assembler.

Mais, gardez toujours à l’esprit que, de même qu’une des caractéristiques du samsara est de passer par des hauts et des bas, notre pratique tantrique y sera également sujette. Elle ne se développe jamais de manière linéaire allant s’améliorant de jour en jour. Nous devons faire preuve de patience et de persévérance.

Avez-vous des questions ?

Les initiations

À l’Ouest, il arrive très souvent qu’on prenne des initiations et qu’on doive ensuite faire des rituels sans avoir toutes ces compréhensions ; et le fait qu’on doive avoir ces compréhensions ne vous est pas expliqué avant de prendre l’initiation.

Oui, malheureusement cela arrive bien trop souvent. Voyez-vous, un des problèmes est que toutes ces initiations sont données et que nous, en tant qu’Occidentaux, nous les prenons de la façon suivante : « Maintenant je devrais faire ceci et je ne devrais pas faire cela. » Un Tibétain ne les aborde pas de cette façon. Quand ces initiations sont données, l’attitude des Tibétains ordinaires est : « J’y participe afin d’implanter des graines ou des instincts sur mon continuum mental pour les vies futures. » La plupart n’ont aucune intention de pratiquer le tantra dans cette vie.

Mais attention, je parle des laïcs tibétains ordinaires. Ils emmènent leurs bébés et même leurs chiens aux initiations. Ils estiment que quiconque, y compris le bébé et le chien, en assistant à l’initiation, se voit implanter des graines sur son continuum mental pour les vies futures. C’est ainsi qu’ils voient la chose. Mais nous, en tant qu’Occidentaux, nous ne pensons pas réellement de cette façon. Nous allons aux initiations et même si nous n’avons aucune idée de ce qui se passe durant la cérémonie et que nous sommes totalement inconscients en ce qui concerne le processus au cours de l’initiation, après coup nous nous disons : « Oh mon dieu ! J’ai pris cet engagement et maintenant je dois faire ceci et si je ne le fais pas, j’irai dans un enfer vajra ! »

Il s’agit d’une mauvaise compréhension du vide et de la coproduction conditionnée. Les choses n’arrivent pas de leur propre côté. Recevoir une initiation dépend de ce que font aussi bien la personne qui donne l’initiation que celle qui la reçoit. Par exemple, afin de prendre véritablement une initiation, nous devons prendre les vœux très consciemment, en pleine conscience de ce que nous faisons. Si nous ne le faisons pas, nous ne sommes guère différents du chien qui se trouvait là.

Le point intéressant est de savoir si oui ou non le chien se voit implanter des instincts du fait d’être là ? Selon la littérature classique, il semblerait que oui, car le chien fait l’expérience d’être présent. Il y a donc une forme d’impression sur son continuum mental même si celle-ci est plutôt faible. Nous aussi nous pouvons être là et en tirer une certaine impression de par notre présence. À l’Ouest, nous appelons cette sorte de prise d’initiation une « bénédiction ». Mais agir ainsi ne veut pas dire que nous avons véritablement reçu l’initiation, et par-dessus le marché nous avons tous ces engagements et vœux qui vont avec. À moins d’accepter très consciemment les engagements et les vœux, nous ne les avons pas reçus.

Il n’y a rien de mal à recevoir une initiation à la manière dont la recevrait un Tibétain – comme une sorte d’événement inspirant susceptible de créer une impression qui, à un moment donné dans le futur, sera quelque chose que nous pourrons utiliser pour notre bénéfice et celui des autres. Nous devons éviter d’être prétentieux et de penser : « Maintenant je suis quelqu’un de très avancé. Maintenant je suis un vrai pratiquant tantrique », alors que le fait d’avoir assisté à une initiation n’a eu lieu simplement qu’à un niveau superficiel et que nous ne nous sommes pas réellement engagés consciemment à quoi que ce soit. Nous devons avoir la volonté d’accepter le fait que « nous y sommes allés au même niveau qu’un chien, et que c’est bien ainsi ».

Néanmoins, avoir assisté à une initiation au niveau d’un chien peut s’avérer malgré tout très inspirant et utile – cela ne pose pas de problème. Mais c’est notre côté prétentieux qui nous rend peu disposés à accepter simplement qu’il ne peut y avoir que ce niveau de bénéfice qui en découle. De toute évidence, nous pouvons être confus et penser : « Si je collectionne à la ronde le plus d’initiations possibles, je serai quelqu’un de vraiment très avancé. » C’est également un peu stupide, n’est-ce pas ? Même si nous collectionnons les initiations de façon compulsive parce que nous les trouvons inspirantes et utiles, il est important de ne pas nous considérer comme de grands pratiquants tantriques. L’humilité est toujours nécessaire en ce qui concerne tous les aspects de la pratique du Dharma.

Résumé

Tout ce que le Bouddha a enseigné, il l’a fait pour aider les gens à surmonter les difficultés qu’ils rencontrent dans la vie. En ayant cette pensée, quand nous rencontrons des points dans les enseignements qui semblent, pour le moment, inaccessibles ou non pertinents quant à l’idée que nous nous faisons de notre chemin spirituel, nous devons prendre garde de ne pas les écarter. L’approche classique de ces questions peut être trop avancée pour notre niveau actuel, ou peut-être que nos idées sur elles sont passées à côté.

Quand nous identifions les problèmes et la confusion que nous avons avec de tels enseignements, nous pouvons alors appliquer des méthodes réalistes pour les aborder. Quand nous utilisons des méthodes irréalistes pour essayer d’atteindre des objectifs que nous ne comprenons pas réellement, nous nous égarons dans la confusion et pouvons même finalement laisser tomber. Mais avec des méthodes pratiques, réalistes, adaptées à notre niveau actuel, nous pouvons obtenir des résultats réalistes. Pour ce faire, nous devons dégonfler les ballons de nos fantasmes au sujet des enseignements bouddhiques et les ramener à un niveau plus terre-à-terre.

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