Comment faisons-nous vraiment confiance à un maître spirituel ? Comment nous relions-nous à lui ou à elle ? Cela est abordé dans le cadre de nos attitudes et aussi de notre comportement envers le maître. Nous pouvons commencer à comprendre beaucoup à ce propos en extrayant le sens plein des deux mots tibétains utilisés pour décrire l’attitude correcte.
Conviction ferme dans les bonnes qualités de notre maître
Le premier terme est le mot tibétain « mopa » (mos-pa), un de nos facteurs mentaux. On trouve la définition des facteurs mentaux dans les textes de l’abhidharma. Les Tibétains suivent deux versions, l’une par Vasubhandu, l’autre par Asanga. Il est toujours important de regarder les définitions. Ne vous reposez pas juste sur ce qu’un traducteur ou un dictionnaire propose comme étant le mot équivalent.
Le mot « mopa » est défini par Vasubandhu comme « l’appréhension d’un objet de concentration possédant de bonnes qualités ». Que veut dire « appréhension », en tibétain tog-pa (rtogs-pa) ? C’est un mot difficile à traduire et la plupart de gens n’ont pas une idée claire de son sens même en anglais. « Appréhender » une chose veut dire la connaître avec exactitude et de façon décisive. Dans le cas présent, on se réfère aux bonnes qualités du maître. « Avec exactitude » signifie que nous connaissons quelles sont vraiment les bonnes qualités du maître, non pas celles que nous projetons ou imaginons. « De façon décisive » signifie que nous sommes totalement certains à leur propos. Ça n’est pas incertain comme de penser : « Peut-être que le maître possède ces bonnes qualités, peut-être que non. » En se fondant sur l’expérience, l’examen, etc., nous en sommes complètement convaincus.
Asanga définit « mopa » comme « ferme conviction ». Il insiste sur l’aspect de conviction, pas nécessairement sur les bonnes qualités. Mais dans l’acception de Vasubandhu, on parle de ferme conviction dans les bonnes qualités du maître.
Quelles sont ces bonnes qualités ? Elles sont données dans la liste des qualifications pour un maître spirituel. Est-il une personne éthique ? A-t-il atténué ses émotions perturbatrices au moins dans une grande proportion ? Est-il authentiquement concerné par le bien-être de ses étudiants ? Est-il très bon et compatissant ? La liste est longue. Nous devons examiner si oui ou non il possède ces bonnes qualités.
La cognition valide
Comment savons-nous avec certitude qu’il a ces bonnes qualités ? Pour cela, nous nous tournons vers Chandrakirti et sa présentation des trois critères pour déterminer la validité d’un étiquetage mental. Quand on étudie le Dharma, on doit toujours assembler plusieurs pièces du puzzle.
(1) D’abord, on examine : existe-t-il une convention pour cette bonne qualité ? Est-elle conventionnellement acceptée comme une bonne qualité ? Oui ; les textes standards acceptent conventionnellement qu’avoir un fort sens de l’éthique, être honnête, et ainsi de suite, sont les qualifications pour un maître spirituel. Il est également conventionnellement accepté que nous pouvons nous fier à une personne éthique et honnête. Il est aussi conventionnellement accepté que nous ne devrions pas faire confiance à une personne malhonnête. Ce sont là juste des conventions communes que la plupart des gens approuvent.
Être connu ou avoir une grande renommée n’est pas conventionnellement accepté comme une qualification pour être un maître spirituel ou pour que nous lui confiions notre développement spirituel. Sa Sainteté le Dalaï-Lama déclare toujours que les tulkus, les lamas réincarnés, ne doivent pas s’appuyer juste sur le renom de leurs prédécesseurs ; ils doivent démontrer leurs qualifications dans cette vie. Ce n’est pas une convention correcte que quelqu’un soit un grand maître simplement parce qu’il a le titre de Rimpotché. De fait, à la conférence sur les tulkus en 1988, Sa Sainteté a dit que s’il ne tenait qu’à lui, il se débarrasserait de tout ce système de tulkus, car c’est trop souvent la porte ouverte à des abus. Il reprocha à tous les jeunes tulkus d’être des paresseux.
C’est là le premier critère pour valider notre ferme conviction que notre maître spirituel possède certaines bonnes qualités. La qualité doit s’accorder à la convention généralement acceptée de ce que sont les qualifications d’un maître spirituel digne de confiance.
(2) Le deuxième critère est que notre appréhension comme quoi le maître possède telle qualité ne soit pas contredite par un esprit qui connaît de façon valide la vérité conventionnelle. Décortiquons ici les termes techniques : « cognition valide » et « vérité conventionnelle ». « Cognition valide » veut dire cognition non frauduleuse, qu’elle soit une cognition directe, ce qui veut dire une expérience personnelle, ou une cognition par inférence (par déduction). La « vérité conventionnelle », elle, est ce qu’un esprit non illuminé découvre quand il scrute au moyen d’une cognition valide l’apparence superficielle des objets.
Nous pouvons observer comment le maître se comporte et nous pouvons demander aux autres quelle est leur expérience personnelle avec ce maître afin de corroborer ce à quoi nous avons personnellement assisté. Ce que nous observons et ce que les autres rapportent ne doit pas contredire le fait que le maître possède cette bonne qualité. En outre, ce que nous pouvons déduire à partir d’une évidence irréfutable ne doit pas contredire également cette conclusion. Par exemple, si le maître possédait la bonne qualité d’être une personne éthique, alors toute personne ayant examiné soigneusement le comportement de ce maître verrait qu’il est quelqu’un d’éthique. Personne ne pourrait trouver une évidence contraire. Mais supposons que nous voyons cette personne agir de manière complètement non éthique. Quand les autres observent le comportement de ce maître, ils rapportent également que lui, ou elle, agit de façon terrible. Voir le maître agir d’une façon complètement horrible contredirait le fait que telles bonnes qualités soient présentes. Il ne devrait pas y avoir de contradictions.
(3) Le troisième critère est que notre appréhension comme quoi le maître possède cette bonne qualité ne devrait pas être contredite par un esprit qui connaît validement la vérité la plus profonde, le vide (la vacuité). Un tel esprit qui connaît le vide sait que les bonnes qualités d’un maître ne sont pas auto-établies ou trouvables de manière inhérente à l’intérieur de la personne, etc. Elles se sont manifestées en dépendance de toutes sortes de causes, de conditions et d’autres facteurs. Si nous pensons que le maître est comme une sorte de dieu, une sorte d’être transcendant sur un piédestal, que ses bonnes qualités sont établies solidement, de manière inhérente, à l’intérieur de lui, et qu’il n’y aurait aucun moyen pour que nous puissions devenir ainsi, ce point de vue est évidemment faux. Il est contredit par un esprit qui comprend validement le vide et la coproduction conditionnée. Nous avons tous la possibilité d’augmenter nos bonnes qualités ; nous pouvons les accumuler et les renforcer par une prodigieuse somme de dur travail. C’est ainsi que les maîtres ont atteint leurs réalisations. C’est ainsi que le Bouddha est devenu un bouddha. Il est très important de ne pas penser que ces bonnes qualités sont impossibles à atteindre en ce qui nous concerne. Nous devons avoir une attitude réaliste quant à la manière dont on développe les bonnes qualités.
Dès lors, le premier ingrédient de l’attitude que nous devons avoir envers un maître bien qualifié, c’est la ferme conviction et la confiance qu’il possède les bonnes qualités requises. Du fait que nous avons cette conviction, nous lui faisons confiance. C’est un point très important. Nous avons confiance en ce qu’il dit. Nous avons confiance dans le fait qu’il ne va pas nous laisser tomber.
Cela devient très délicat, n’est-ce pas ? Beaucoup parmi ces maîtres n’ont pas de temps pour nous ; ils sont très occupés à voyager de par le monde. Ils ont des milliers de soi-disant étudiants ou adeptes. Que ces derniers soient vraiment des disciples est quelque chose d’autre. Malgré tout, nous avons confiance dans le fait qu’ils ont les bonnes qualités, et nous pouvons être inspirés par eux. Il se peut que nous ayons besoin d’un maître moins qualifié pour nous donner réellement nos instructions de tous les jours. Il s’agit là d’un autre niveau de maître.
Voir le maître comme un bouddha
Distinguer
Cela nous conduit au sujet très délicat qui consiste à distinguer (reconnaître) le maître comme étant un bouddha. « Distinguer » (’du-shes) est un autre facteur mental souvent traduit par « reconnaissance », lequel ne rend pas tout à fait compte du sens du mot. Qu’est-ce que distinguer veut dire réellement ? Sa définition formelle est « le facteur mental fonctionnant sans interruption qui prend un trait caractéristique non commun de l’objet manifesté d’une cognition non conceptuelle ou le trait composite de l’objet manifesté d’une cognition conceptuelle et lui assigne une signification conventionnelle ». Autrement dit, dans ce qui apparaît dans notre champ de vision, d’écoute, etc., et dans notre paysage mental, le facteur mental de la distinction différencie des traits caractéristiques non partagés de groupes de pixels, de formes colorées, de sons, etc., comme constituant des objets individuels conventionnels. Le fait d’identifier ce que sont les objets et leur attribuer des noms est fondé sur ce facteur mental fondamental. Ce facteur fonctionne tout le temps ; sans quoi nous ne pourrions pas donner un sens à tout ce que nous percevons ou pensons. Il s’agit de l’un des cinq agrégats.
Un exemple simple est, dans notre champ de vision, la façon dont nous sommes capables de distinguer certains traits caractéristiques non communs partagés par les pixels et les formes colorées d’un objet conventionnel comme étant distincts des traits caractéristiques non communs d’autres objets conventionnels autour de lui – par exemple le trait caractéristique de la tête d’une personne comme étant distinct du mur qui se trouve derrière. Si nous ne pouvions pas distinguer les objets des autres objets qui se trouvent autour d’eux, il n’y aurait aucun moyen pour nous de fonctionner dans la vie. Nous sommes capables de distinguer la tête de quelqu’un du mur qui se trouve derrière car il y a certains traits caractéristiques de cette collection de pixels et de formes colorées pour lesquels il est conventionnellement accepté qu’ils appartiennent aux traits caractéristiques d’une tête et non à ceux d’un mur.
Dans le bouddhisme, nous avons l’exemple de fantômes qui perçoivent une chose comme du pus, d’humains qui la voient comme de l’eau, et de dieux comme du nectar. Ce n’est pas qu’il y ait un liquide véritablement existant qui soit comme un vide et que, par le seul fait de l’étiquetage mental, les fantômes le désignent comme du pus, les humains comme de l’eau, et les dieux comme du nectar, et, à cause de leur karma, que le liquide fonctionne ainsi pour eux. Cela ne se passe pas ainsi. Sans quoi, nous pourrions projeter n’importe quoi dessus. Comment explique-t-on cela ?
Traits caractéristiques non communs
Tsongkhapa ou peut-être son disciple Kédroup Djé – je ne me souviens plus dans quel commentaire cela se trouve – explique que, conventionnellement, les objets ont des traits caractéristiques, mais qu’après analyse ils ne peuvent être trouvés du côté de l’objet. Qu’est-ce que cela veut dire ?
Conventionnellement, tous les phénomènes validement connaissables sont appelés « dharmas ». Dans ce contexte, un « dharma » est défini comme quelque chose qui détient des traits caractéristiques. Il existe donc des traits caractéristiques des choses ; mais les traits caractéristiques n’ont pas, par eux-mêmes ou en conjonction avec une désignation [un étiquetage mental], le pouvoir de faire d’une chose ce qu’elle est. Bien entendu, cela est incroyablement difficile à comprendre. Diable, qu’est-ce donc que cela veut dire ?
Pour aider à clarifier ceci dans le cadre de l’exemple des traits caractéristiques du pus, de l’eau et du nectar, utilisons l’exemple d’une douzaine d’œufs. Douze œufs peuvent être divisés en quatre groupes de trois, trois groupes de quatre, deux groupes de six, et six groupes de deux. Y a-t-il quelque chose du côté des douze œufs qui leur permette d’être divisés ainsi ? Si c’est le cas, où cela se trouve-t-il ? Ils peuvent malgré tout être divisés de toutes ces façons en dépendance du plan conceptuel de la personne qui veut faire une omelette de deux œufs, de trois œufs, peu importe.
Nous devrions dire que les douze œufs ont les caractéristiques d’être divisés de toutes ces différentes façons. Mais l’existence de ces différentes caractéristiques peut seulement être établie en dépendance des traits composites des concepts « divisible par trois », « divisible par quatre », etc., au moyen desquels ils peuvent être mentalement étiquetés. Un « trait composite » (bkra) est le trait caractéristique d’une catégorie, dérivé d’un amalgame des traits caractéristiques de tous les articles qui entrent dans la catégorie – par exemple, tous les articles qui peuvent être divisés en trois ou en quatre.
Conventionnellement, les douze œufs possèdent bien tous ces traits caractéristiques, mais aucune de ces caractéristiques ne peut être trouvée du côté des œufs comme ayant le pouvoir – soit par elles-mêmes, soit en conjonction avec une désignation – de les rendre divisibles de ces diverses manières. Pensez-y. En vérité, c’est assez profond. Où dans ces douze œufs, ou encore dans l’intervalle qui les sépare, se trouve le trait caractéristique qui les rend divisibles par trois ou quatre ? Chacune de ces façons d’étiqueter les douze œufs, toutefois, est valide. Chacune remplirait les trois critères de validité de Chandrakirti. De la même manière, étiqueter une chose comme du pus, de l’eau, ou du nectar est également valide pour chacun de ces trois types d’esprit – qu’il soit celui d’un fantôme, d’un humain ou d’un dieu.
Nous pouvons appliquer cette analyse au fait de voir notre maître comme un bouddha. Qu’est-ce qu’un bouddha ? Un bouddha est quelqu’un qui possède toutes les bonnes qualités. Notre maître possède lui aussi diverses bonnes qualités. Nous en sommes convaincus. C’est un fait exact. Notre maître peut également avoir des qualités négatives ou des défauts, dans la mesure où il est difficile de trouver un maître qui n’a que des bonnes qualités. Cependant, nous ne pouvons pas trouver les traits caractéristiques d’aucune de ces deux sortes de qualités [bonnes ou mauvaises] du côté du maître. Mais, en se fondant sur le comportement de la personne, etc., nous pouvons dire de manière correcte que le maître possède à la fois des bonnes qualités et des défauts.
Maintenant la question est : quel trait caractéristique allons-nous distinguer ? Comme dans le cas de la configuration mentale d’un fantôme, allons-nous distinguer et étiqueter seulement les traits caractéristiques des qualités négatives ? Si nous le faisons, nous verrons le maître comme une personne horrible, qui n’a pas de temps à nous consacrer, et nous tomberons dans un état d’esprit très négatif. Ou bien, avec la configuration mentale de quelqu’un qui voit un bouddha, allons-nous distinguer et étiqueter seulement les traits caractéristiques des bonnes qualités ?
Le Cinquième Dalaï-Lama déclare très clairement dans son texte sur le lam-rim, tout comme Tsongkhapa l’indique également : nous ne devrions pas être naïfs et nier les défauts de notre maître. Mais nous devons réaliser qu’il n’y a aucun bénéfice à se focaliser uniquement sur les défauts. Cela conduit seulement à se plaindre ; alors que si on se concentre sur les bonnes qualités, on peut en tirer une grande inspiration.
Tendances
Les bonnes qualités, de concert avec le corps, la parole, l’esprit et les activités, constituent les caractères des cinq familles de bouddha dans l’une des présentations de la nature-de-bouddha. Tous, nous avons ces cinq caractères à leur niveau de base ordinaire. Cela veut dire que tous nous avons les bonnes qualités, de même que leurs tendances (littéralement, leurs « graines ») sur nos continuums mentaux. Ces tendances donnent naissance aux manifestations de ces bonnes qualités de manière intermittente. Avant l’illumination, elles ne s’élèvent pas tout le temps, de manière continue.
Concernant les tendances, extrapolons certaines de leurs caractéristiques de la discussion sur le karma. Une des facettes d’une tendance est sa capacité a donné lieu à un résultat quand les circonstances sont présentes. À cause de cette facette, nos continuums mentaux ont sur eux, sous forme d’imputations, les résultats non-encore-advenus de ces tendances. Nous ne devrions pas penser, cependant, que les résultats non-encore-advenus sont déjà déterminés et fixés, siégeant quelque part dans nos continuums mentaux, attendant juste de surgir quand les circonstances sont là. On ne peut pas les trouver après examen minutieux ; néanmoins, les résultats non-encore-advenus ont des traits caractéristiques conventionnels qu’on peut distinguer.
Analysons la chose maintenant dans le cas de notre maître spirituel. Nous avons une ferme conviction en les bonnes qualités qu’il ou elle possède. Ces bonnes qualités se manifestent chez notre maître seulement de temps en temps, ce qui veut dire que, quand elles se manifestent, elles s’élèvent à partir de leurs tendances, lesquelles sont des imputations sur leurs continuums mentaux. Les tendances pour ces bonnes qualités possèdent également la facette d’être capables de donner naissance à leurs manifestations dans leur plénitude tout le temps, quand les circonstances sont complètes pour que notre maître manifeste l’illumination. Cela signifie qu’il s’agit des qualités non-encore-advenues d’un bouddha et d’un bouddha non-encore-advenu en tant qu’imputations sur le continuum mental de notre maître, avec des caractéristiques que nous pouvons distinguer.
Nous ne sommes pas naïfs, toutefois, comme je le dis parfois en plaisantant, dans le sens où nous pensons que notre maître est un être omniscient qui connaît le numéro de téléphone de tout le monde sur la planète, et peut traverser les murs, se multiplier en un milliard de formes, parler toutes les langues, etc. Nous ne sommes certainement pas assez naïfs pour penser que le maître possède toutes ces qualités dans leur pleine manifestation maintenant. L’imputation sur le continuum mental de notre maître est celle d’un bouddha non-encore-advenu, et non celle d’un bouddha-présentement-advenu. Nous sommes à même de distinguer ce bouddha non-encore-advenu car nous avons une ferme conviction dans sa base, à savoir les bonnes qualités du maître.
Si mon analyse est correcte, cela explique comment nous pouvons validement distinguer notre maître comme étant un bouddha. Nous faisons cela en nous focalisant sur ses bonnes qualités et leurs tendances comme un des traits de sa nature-de-bouddha. Nous distinguons cet aspect de ces tendances d’être en mesure de donner naissance aux bonne qualités illuminées d’un bouddha une fois que le réseau de force positive et de conscience profonde [sagesse] du maître sera complet. Comme les dieux qui font l’expérience d’un liquide comme étant du nectar, nous faisons alors l’expérience du maître tel qu’un bouddha non-encore-advenu, bien qu’ordinairement le qualificatif de « non-encore-advenu » ne soit pas mentionné mais juste celui de bouddha.
Voir les défauts de notre maître n’est pas fiable
Les textes standards sur l’engagement confiant envers un maître spirituel nous enseigne : « Quand le maître apparaît avec des défauts, réalisez cette apparence comme non fiable. » Nous pouvons comprendre de telles déclarations en utilisant la même analyse que celle qui vient d’être expliquée. Quand on distingue ce qui nous apparaît comme les caractéristiques de défauts chez le maître, alors, au lieu d’être comme les dieux qui perçoivent du nectar, nous sommes comme des fantômes percevant du pus. La distinction faite par les fantômes des traits caractéristiques du pus est valide tout comme celle des traits caractéristiques des défauts de notre maître, mais elle n’est pas fiable.
Que signifie « non fiable » ? Cela ne veut pas dire « incorrect » ; cela signifie « ce sur quoi on ne peut s’appuyer ». Ici, on ne parle pas de s’appuyer sur l’apparence des traits caractéristiques comme trouvables du côté du maître et ayant le pouvoir de par eux-mêmes d’établir la personne comme un maître bon ou mauvais de manière inhérente. Les deux sortes d’apparences ne sont pas fiables. Notre maître n’est pas établi de façon véritable comme étant un bouddha ou un démon. Le conseil est donné de ne pas se fier sur l’apparence des défauts car agir ainsi n’est d’aucun bénéfice. Cela ne fait que nous déprimer et crée un état d’esprit plein de récriminations. Cela ne nous fera avancer nullement sur notre chemin spirituel. Au lieu de cela, sans nier les défauts et sans être assez naïfs pour penser que le maître est déjà un bouddha omniscient, présentement advenu, qui peut parler toutes les langues de l’univers, etc., il est plus bénéfique de distinguer les traits caractéristiques des bonnes qualités de notre maître comme étant celles d’un bouddha.
Dans toutes les listes des qualifications d’un maître spirituel, aucune n’inclut le fait que le maître doive véritablement être un être illuminé. Cette qualification n’est jamais présente. Ne prenez pas à la lettre cet enseignement qui consiste à considérer le maître comme un bouddha ; au lieu de cela, comprenez-le dans un contexte plus large. Dès lors, nous pouvons recevoir la plus grande inspiration de notre maître.
Par ailleurs, être en mesure de distinguer les traits caractéristiques des bonnes qualités de notre maître comme étant celles d’un bouddha nous aidera sur le chemin du tantra pour distinguer les facteurs de notre propre nature-de-bouddha comme étant ceux des diverses figures-de-bouddha que nous nous imaginons être. Tandis que nous réalisons que le fait d’être réellement cette figure-de-bouddha n’est pas encore advenu, nous imaginons que cela est déjà arrivé afin de répéter [à l’avance] le fait d’être un bouddha.
S’imaginer comme des bouddhas dans la pratique du tantra
S’il vous plaît, rappelez-vous le sens de ce dernier point, en particulier dans le tantra. Si nous pouvons distinguer les qualités d’un bouddha chez notre maître, nous pouvons faire de même avec nous. Il s’agit exactement du même processus. Dans le tantra, on s’imagine comme un bouddha, même si nous savons que cela ne s’est pas encore produit. Dans la mesure ou notre « moi » conventionnel est une imputation sur notre continuum mental dans son entier, il s’agit d’une imputation valide de ce point non-encore-advenu tout au long de la ligne de notre continuum. Dû à cela, nous pouvons validement désigner ce bouddha-non-encore-advenu comme étant « moi ». Cela s’appelle « arborer la fierté de la déité ». Comme pour notre maître, l’imputation est fondée sur la facette de nos tendances pour les bonnes qualités à donner naissance à un résultat quand les circonstances appropriées seront remplies.
En général, dans le tantra, nous visons à distinguer tout le monde comme des bouddhas et toute chose comme une terre pure. Dans ce contexte, la personne qui nous a appris à lire et la personne qui la première nous a donné des informations sur le bouddhisme seraient correctement distinguées comme des bouddhas. Ce serait la même chose pour un chien ; ceci est dû au fait que nous nous focalisons sur les qualités de la nature-de-bouddha de tous les êtres et sur le fait que tout le monde a la capacité d’être un bouddha. De cette manière, on se focalise sur la bouddhéité non-encore-advenue de tous les êtres, laquelle ne s’est pas encore produite maintenant. Toutefois, comme on l’a souligné, cela ne veut pas dire qu’ils sont déjà des bouddhas, pas plus que nous ne le sommes quand nous nous visualisons en tant qu’un bouddha et le désignons comme « moi ».
Niveaux de distinction de nos maîtres comme des bouddhas
Avant de nous impliquer dans le tantra, il existe différents niveaux de ce que cela veut dire que de se relier à notre maître comme à un bouddha. D’un point de vue prétendument hinayaniste, les maîtres sont comme le Bouddha. De nos jours, le Bouddha n’est plus là pour nous enseigner, mais, comme le Bouddha, les maîtres spirituels nous enseignent et nous aident à atteindre la libération. Pour que cela fonctionne, bien sûr, nous devons, dans ce même contexte du Hinayana également, avoir la ferme conviction et la confiance dans les bonnes qualités du maître telles que spécifiées dans les textes. D’un point de vue mahayaniste, nous considérons nos maîtres comme des émanations d’un bouddha – émanés pour nous enseigner et nous aider. Toutefois, du point de vue du tantra, ce n’est pas comme s’ils étaient un bouddha ou de simples émanations d’un bouddha. Selon les textes, les distinguer comme des bouddhas n’est juste qu’un dispositif habile pour nous aider. Les textes disent qu’ils sont des bouddhas. Nous devons comprendre ce que cela veut dire.
Selon Sa Sainteté le Dalaï-Lama, la seule situation dans laquelle le maître doit littéralement être un bouddha est quand il confère la quatrième initiation au cours d’une initiation de l’anuttarayoga tantra à un disciple parvenu au stade final du chemin et sur le point de devenir un bouddha. La raison en est que la quatrième initiation donne au disciple le pouvoir de connaître les deux vérités simultanément, de façon manifeste et non conceptuelle. Seul un bouddha possède pareille cognition, et donc seul un bouddha peut donner à quelqu’un d’autre le pouvoir de l’obtenir également.
Dans toutes les autres situations du tantra, bien que le fait de distinguer le maître comme un bouddha soit une cognition valide, cela ne doit pas être pris à la lettre. Tout examen valide révélerait que le maître spirituel, même un maître tantrique, n’est pas omniscient, ne peut parler toutes les langues de l’univers et ne peut s’émaner sous un milliard de formes. À nouveau, c’est similaire à l’analogie qui consiste à dire que pour les fantômes, c’est du pus ; pour les humains, c’est de l’eau ; pour les dieux, c’est du nectar. Toutes trois sont des cognitions valides. Donc, ne pensez pas secrètement que le fait de distinguer le maître comme un bouddha est un dispositif habile mais trompeur. Il est valide.
Que pouvons-nous apprendre ?
Ce qui découle du fait de distinguer notre maître comme un bouddha est qu’une fois que nous sommes convaincus que le maître est uniquement concerné par notre bien-être et que c’est la seule motivation derrière son interaction avec nous – et c’est exact – alors nous considérons tout ce qu’il fait comme un enseignement. Nous pensons automatiquement : « Que puis-je apprendre de cela ? »
Il y a une histoire classique dans les Jatakas, les récits des vies antérieures du Bouddha, dans laquelle un maître dit à ses disciples d’aller voler pour lui. Le Bouddha était l’un de ses disciples. Tous les autres partirent pour voler, mais le Bouddha s’en abstint. Quand le maître lui demanda : « Ne voulez-vous pas m’être agréable ? Pourquoi n’allez-vous pas voler ? » Le Bouddha dit : « Comment le fait de voler peut-il plaire à quiconque ? » Le maître dit : « Ha ! Vous êtes le seul à avoir compris la leçon. »
Il y a aussi l’exemple de Serkong Rimpotché quand il enseigna délibérément une chose totalement incorrecte dans ses instructions sur le vide à un groupe de moines occidentaux et quand, à la session suivante, il leur dit : « Allons ! Ce que j’ai dit était complètement incorrect. N’utilisez-vous pas votre intelligence et votre discernement ? Pourquoi n’avez-vous pas posé de question ? »
En tant que disciple raisonnable, nous n’aurions jamais réagi à l’explication incorrecte de Serkong Rimpotché en pensant qu’il était stupide et ne connaissait rien au vide. Ça n’aurait pas été la réaction correcte. La réaction correcte est de se dire : « Quelle est la leçon qu’il essaie de nous enseigner en donnant une explication erronée ? »
Je me souviens d’un exemple, il y a des années de cela, où je me plaignis à Serkong Rimpotché à propos de Nagarjuna et de sa manière d’écrire les textes. Je disais qu’ils étaient dans un style vague, avec beaucoup de « ceci » et de « cela », et peu clairs quant à ce à quoi ils se réfréraient. Comme il le faisait souvent, il me réprimanda. « Ne sois pas aussi arrogant. Crois-tu que Nagarjuna était incapable d’écrire un texte clair ? Il l’a écrit exprès de cette façon. Tu es complètement arrogant. » Puis, il expliqua que c’était écrit de cette façon afin que les étudiants clarifient par eux-mêmes le sens. Il s’agissait d’un procédé d’enseignement.
Une autre fois, je me rappelle que Rimpotché m’expliquait les mathématiques utilisées pour les calculs en astrologie tibétaine. La façon de compter des Tibétains est très différente de notre arithmétique : addition, soustraction, division, multiplication, etc. « C’est réellement étrange », fis-je remarquer à Rimpotché. À nouveau, il me réprimanda : « Tu es tellement arrogant. » L’arrogance était l’une de mes plus grandes émotions perturbatrices. Il expliqua : « C’est différent. Ce n’est pas étrange ; c’est juste différent. »
La leçon est que quand nos maîtres nous font remarquer nos fautes et nous réprimandent, nous devons considérer cela comme une leçon qu’ils nous donnent, plutôt que comme une indication comme quoi ils sont courroucés.
Appréciation de la bonté de nos maîtres
Le deuxième aspect d’une attitude saine envers notre maître spirituel est l’appréciation de sa bonté (gus-pa). On traduit parfois ce terme par « respect ». Bien que dans certains contextes il puisse signifier respect, si on examine vraiment la définition et l’emploi de ce mot dans le cadre de la relation avec un maître spirituel, il se réfère réellement à l’appréciation de sa bonté. Bien sûr, si nous apprécions sa bonté et sa patience à nous instruire, cela implique que nous éprouvons du respect pour lui à cause de cette bonté.
Nous pouvons également avoir ce genre de reconnaissance pour la bonté des maîtres qui nous ont enseigné à lire et à écrire, ou pour les professeurs qui nous ont communiqué des informations sur le bouddhisme à l’université, indépendamment de leur motif. Peu importe leur motif d’ailleurs, que ce soit comme un travail ou pour gagner de l’argent, ou pour toute autre raison. Quant à la manière de se relier et de se comporter avec eux, il s’agit en bref de soutenir leur travail, de les aider et d’être respectueux. À l’école, par exemple, nous n’interrompons pas la classe, ou manquons d’attention, ou échouons à faire nos devoirs à la maison. Nous pratiquons en accord avec ce qu’ils enseignent.
Ce sont là des principes généraux qui s’appliqueraient à n’importe quel maître. Nous ne devrions pas penser que cela concerne juste un maître tantrique d’un autre monde, ou quelque chose comme ça. Ce sont les lignes de conduite générales pour apprécier combien il est incroyable que nous ne soyons pas nés en tant que ver de terre – un exemple communément utilisé pour illustrer le fait d’être sans espoir et impuissant à améliorer notre condition parce que nous sommes incapables d’apprendre quoi que ce soit. Tout ce qu’on nous a enseigné qui nous permet de fonctionner comme être humain est dû à l’incroyable bonté des autres. Qu’en serait-il si nous avions grandi totalement isolés de tous les autres et que personne ne nous ait même enseigné à parler ? Nous ne saurions pas comment parler, n’est-ce pas ? Ce sont là véritablement des lignes de conduite très pragmatiques.
Si on regarde les exemples classiques de la relation entre le maître et l’élève – la façon dont Marpa a traité Milarépa, etc. – on voit souvent que le maître frappe l’élève, crie après lui, ou le réprimande. J’ai eu beaucoup de chance d’avoir eu ce genre de relation avec Serkong Rimpotché. Bien qu’il ne m’ait jamais frappé, assurément il m’a beaucoup grondé quand j’agissais comme un idiot. Vous devez être très fort et mûr pour être capable de supporter ce genre de relation. Ne jamais se mettre en colère après le maître, en un sens, fait partie du contrat de la relation maître-élève dans le bouddhisme. Rappelez-vous que passer ce contrat tacite se fait avec la pleine compréhension, des deux côtés, que le maître ne va pas abuser de nous ou nous causer du tort en aucune façon.
Laissez-moi vous donner un exemple des méthodes puissantes que Serkong Rimpotché utilisait avec moi, méthodes si bonnes et efficaces. Excepté pour les enseignements de Kalachakra, Serkong Rimpotché n’était jamais d’accord pour m’enseigner quelque chose à moins que je ne le traduise pour quelqu’un d’autre. Il ne m’enseignait pas en privé. Tout ce que j’ai appris de lui devait se faire dans le cadre d’une étude afin d’en faire profiter les autres, pas juste pour mon propre bénéfice. C’était un moyen incroyablement bon pour m’aider à grandir.
Cependant, il semble qu’en général, pour les Occidentaux, être aussi strict ne soit pas la bonne méthode. La majorité des Occidentaux souffrent d’une mauvaise estime d’eux-mêmes. Mon problème était l’arrogance, pas la piètre estime de soi. La question pour les Indiens, les Tibétains et les Chinois n’est pas souvent le manque d’estime de soi ; il semble que ce soit plutôt un phénomène occidental. La plupart des Occidentaux ont besoin qu’on les renforce dans leur sentiment que ce qu’ils font est bien. Malgré tout, comme je l’ai dit, mes maîtres, aussi bien Serkong Rimpotché que Guéshé Ngawang Dhargyey, se servaient de cette image de ne pas devenir comme un chien qui attend qu’on lui donne une tape sur la tête et qu’on lui dise – « Bon chien, c’est bien » – et alors nous remuons la queue.
Les trois types de conviction
Si on récapitule, le premier aspect d’une attitude saine envers notre maître spirituel, c’est d’avoir une ferme conviction dans ses bonnes qualités. On a ce terme général de « depa » (dad-pa) qu’on traduit souvent par « foi ». Cela peut se révéler être une traduction très trompeuse car « foi » implique habituellement une foi aveugle. Le terme signifie plutôt « croire qu’un fait est vrai ». On parle d’un fait, et non de la croyance au Père Noël ou de la hausse de la bourse. Il ne s’agit pas de ça. Il faut que ce soit un fait et que nous croyions qu’il est vrai. Dans le contexte d’être convaincu des bonnes qualités de notre maître, le fait qu’il ou elle possède ces bonnes qualités doit être un fait ; et nous devons être catégoriques à ce propos.
Il y a trois sortes de façons de croire qu’un fait est vrai, comme le fait de croire en les bonnes qualités de notre maître :
- Croire à un fait fondé sur la raison – reposant sur une évidence, qu’elle soit d’ordre logique ou d’observation.
- Croire de façon lucide un fait à propos d’une chose clarifie notre esprit des émotions perturbatrices. Croire qu’il est vrai que notre maître possède des bonnes qualités nous débarrasse des doutes, de la jalousie, de l’arrogance (« Je sais mieux que vous »), de la colère (« Vous n’avez pas assez de temps pour moi »), et du fait de s’accrocher à notre maître avec avidité et possessivité (« Je vous veux juste pour moi, moi, moi et pour personne d’autre »). Quand nous sommes pleinement convaincus des bonnes qualités de notre maître, nous réalisons que de telles attitudes égocentriques sont absurdes. Le maître est là pour être bénéfique à tous, pas seulement pour nous.
- Croire un fait doublé d’une aspiration le concernant – en étant pleinement convaincu et respectueux de ces bonnes qualités chez notre maître, nous aspirons à essayer d’être comme lui. C’est ce que nous souhaitons imiter.
Il y a là un autre point pertinent. Comme il a été mentionné auparavant, il n’est pas nécessaire que toutes les personnes qui se rendent dans un centre du Dharma aient besoin de ressentir que le fondateur de l’organisation à laquelle appartient le centre doive être leur maître spirituel. Mais si nous trouvons que ce maître nous inspire, « aspirer à développer ses bonnes qualités » ne veut pas dire que nous devons faire toutes les pratiques dans lesquelles le maître s’engage. Simplement parce que le maître pratique tel ou tel yidam ne veut pas dire qu’une telle pratique nous convienne. De toute évidence, chacun possède un karma complètement différent. Au cours de renaissances sans commencement, nous avons étudié avec de nombreux maîtres différents dans de nombreuses traditions différentes. Nos instincts nous poussent vers nombre de choses différentes, et non pas seulement vers ce qu’un maître particulier pratique.
Il est certain que la généralité des enseignements et des pratiques de notre maître nous sera naturellement utile, mais pas nécessairement dans le détail. Par exemple, Serkong Rimpotché était non seulement un incroyable maître tantrique et, comme Sa Sainteté, un maître dans les quatre classes de tantra, mais il était également un des maîtres partenaires de débat de Sa Sainteté. Cela voulait dire qu’il était le meilleur débatteur de son monastère. Mais pour moi, venant du milieu universitaire de Harvard, j’étais déjà absurdement logique, rationnel et intellectuellement très agressif. Mes maîtres savaient, tout comme moi, que si j’étudiais le débat, cela aurait pour résultat que je devienne ce que j’appellerais un « monstre débatteur ». Un monstre débatteur est quelqu’un qui ne sait jamais quand s’arrêter de débattre et qui ne fait pas la différence entre le moment où c’est approprié et le moment où ça ne l’est pas. Peu importe ce que les gens disent, si c’est illogique, une telle personne bondit et passe à l’attaque, comme dans un débat. C’est cela un monstre débatteur.
C’est pourquoi, bien que Serkong Rimpotché fût un maître de débat, il ne m’a jamais encouragé à étudier le débat, ni ne me l’a enseigné. Cela n’aurait pas été utile à ma personnalité. Ce n’était pas ce dont j’avais besoin. J’avais besoin, sans aucune pitié, qu’on me fasse constamment remarquer quand j’agissais comme un idiot.
Il existe donc différentes sortes de ferme conviction.
La bonté de notre maître spirituel
Le deuxième aspect d’une attitude saine envers notre maître spirituel consiste à apprécier sa bonté. Il existe de nombreuses descriptions de la manière dont le maître est bon. Le Bouddha n’est plus là aujourd’hui pour nous instruire. De nos jours, c’est le maître qui nous enseigne. À cet égard, les textes disent que nos maîtres sont meilleurs que les bouddhas.
Une des merveilleuses qualités d’un maître réellement qualifié est qu’il prend tout le monde au sérieux. Si nous sommes sincèrement intéressés à apprendre, même si nous sommes à un niveau très bas, il nous prend au sérieux et nous enseigne à notre niveau. Par exemple, un jour un hippie vraiment drogué vint voir Serkong Rimpotché et lui dit : « S’il vous plaît, enseignez-moi les six yogas de Naropa. » Rimpotché ne l’a pas rabroué parce qu’il était drogué, pas plus qu’il ne l’a chassé, rien de tout ça ; au lieu de cela il l’a pris très au sérieux. L’effet de prendre les gens au sérieux est que les personnes elles-mêmes commencent à se prendre au sérieux. Rimpotché a dit : « Très bien. Si vous voulez faire ça, voilà par quoi il faut commencer. » Il lui dit ce qu’il devait faire d’abord afin d’être éventuellement en mesure d’étudier les six yogas de Naropa. Ceci est un exemple de ce que veut dire prendre quelqu’un au sérieux. Ce n’est pas faire preuve de bonté que d’enseigner les six yogas de Naropa à quelqu’un de complètement impréparé. Ce n’est pas se montrer bienveillant.
Chérir notre maître spirituel
Katchen Yéshé Gyaltsen, le tuteur du Septième Dalaï-Lama, a donné des précisions sur ce sentiment d’appréciation de la bonté du maître dans son ouvrage Montrer clairement les consciences primaires et les facteurs mentaux. Il dit que cela signifie que nous estimons et chérissons le maître et sa bonté. « Estimer » veut dire que nous avons un grand respect à son égard. Il introduit cette connotation dans le mot : le respect. « Chérir » signifie un genre d’amour attentionné. Cela amène au jour toute la discussion de savoir s’il est approprié ou non d’aimer notre maître. Aimons-nous réellement notre maître ? Si c’est le cas, de quelle sorte d’amour s’agit-il ?
Nous avons déjà vu que nous avons ce type de croyance dans les bonnes qualités de notre maître, croyance qui nettoie notre tête des émotions perturbatrices à son sujet. C’est pourquoi, quand nous disons que nous chérissons et aimons notre maître, cela ne veut certainement pas dire avec un désir ardent et luxurieux comme avec une espèce de partenaire sexuel, ou que nous sommes possessifs et voulons le maître pour nous seul. Cela ne veut certainement pas dire ça. La définition de l’amour dans le bouddhisme est « le souhait que les autres soient heureux et aient les causes du bonheur ». Est-ce que nous souhaitons que le maître soit heureux ? Assurément, nous le souhaitons.
En termes de comportement avec le maître, c’est une pratique commune que de lui faire des offrandes, de lui donner des choses pour lui être agréable. Or ce qui lui est le plus agréable, c’est notre pratique. Est-ce que cela rentre dans le cadre de vouloir que le maître soit heureux ? C’est un peu délicat ici parce que, comme il est dit, on veut plaire à notre maître ; mais la vérité est que les bouddhas possèdent l’équanimité ; ils se comportent comme le tigre vis-à-vis de l’herbe. Nous ne voulons pas lui plaire d’une façon puérile, en quête d’approbation comme dans l’exemple de notre maître nous donnant une tape sur la tête en disant : « Bon garçon ! Bonne fille ! » et que nous remuions la queue. De manière attentionnée, nous aimons notre maître en nous souciant qu’il ou elle ait une nourriture correcte, qu’il ou elle soit confortable, jouisse d’un juste repos, et du reste. Nous avons de la sollicitude pour notre maître. N’est-ce pas là un aspect de l’amour ?
« Chérir » dans le cadre de l’entraînement en sept points (cause et effet)
Or Katchen Yéshé Gyaltsen emploie le mot qu’on traduit habituellement par « chérir ». En quel autre endroit ce mot apparaît-il ? On le trouve dans les enseignements sur la bodhichitta, dans le processus causal en sept points pour développer la bodhichitta.
- Cela commence par une étape zéro, non comptée dans les sept points. Il s’agit de l’équanimité grâce à laquelle nous n’éprouvons pas d’attraction, de répulsion ou d’indifférence envers quiconque. Elle a pour effet de niveler notre attitude envers tout le monde.
- Ensuite, nous distinguons le trait caractéristique comme quoi tout le monde à un moment donné a été notre mère.
- Puis, nous nous rappelons la bonté de l’amour maternel, la bonté que d’une certaine façon nous avons reçue de tout le monde. Souvenez-vous, nous apprécions la bonté que nous avons reçue de notre maître spirituel. Mais, au cours d’innombrables vies, tout le monde nous a instruit. À un moment ou à un autre, tout le monde a été notre maître.
- Ensuite, vient ce qu’on traduit ordinairement par « payer en retour cette bonté ». Nous devons faire très attention avec ce terme afin d’éviter tout sentiment de culpabilité pour ne pas avoir contribué [financièrement] ou pour avoir une dette à solder. Ce n’est pas de cette attitude que nous parlons ici, mais plutôt que nous voulons tout naturellement rééquilibrer la situation.
Ce qui s’ensuit automatiquement de cette attitude, c’est que nous éprouvons un amour chaleureux. « Amour chaleureux » (yid-‘ong byams-pa) est un terme difficile à exprimer. Littéralement, le terme tibétain est « amour qui vient à l’esprit aisément ». À ce stade, dans l’explication de cet amour, on trouve le mot que nous sommes en train d’explorer. Nous chérissons l’autre personne, la voir nous procure un grand plaisir, et si quoi que ce soit de mal lui arrivait, nous serions malheureux. Ce type d’amour découle automatiquement de l’étape précédente, sans avoir à faire de méditation supplémentaire. Cela n’aurait pas de sens si nous traduisions l’étape précédente par « payer en retour la bonté ». Se sentir coupable ou redevable ne procurerait pas de plaisir à voir tout le monde, à les chérir, ou encore à se sentir malheureux si quoi que ce soit de mal leur arrivait. En conséquence, ça ne peut pas vraiment être la connotation correcte de cette étape précédente.
Nous pouvons pousser l’analyse un peu plus en profondeur. Quel est l’état d’esprit qui se tient derrière la volonté de contrebalancer la bonté en étant bon à son tour envers quelqu’un ? Il s’agit d’un profond sentiment de gratitude. Nous reconnaissons et apprécions vraiment sa bonté, et nous sommes tellement reconnaissants à son sujet. Nous ressentons : « Je vous suis tellement reconnaissant pour toute l’aide que vous m’avez apportée que quand je vous vois, je me sens juste lumineux. J’éprouve tellement de plaisir à vous voir. Je vous chéris et veux que vous soyez heureux. Ce serait terrible si quoi que ce soit de mal vous arrivait. » Tout cela est le fruit de cette gratitude, de cette reconnaissance, à la lumière de combien on a été bon à notre égard.
Nous avons ce terme « chérir » également dans le contexte d’égaliser et d’échanger nos attitudes à propos de soi et des autres. Au lieu d’avoir cette attitude envers nous-même : « Je suis tellement génial ; je suis uniquement concerné par moi », nous avons cette attitude envers les autres. Nous nous préoccupons d’eux autant que nous avons été préoccupés de nous-mêmes de manière égocentrique. Il s’agit du même terme.
Donc, quand nous abordons cette discussion sur ce que veut dire aimer notre maître, nous en venons à ce terme « chérir ». C’est ce que nous trouvons dans les textes. Il n’y entre aucune émotion perturbatrice. Quand nous sommes avec notre maître, ou simplement pensons à lui, cela nous « réchauffe le cœur » et nous remplit de joie.
Par exemple, dans la pratique de Vajrayogini, il y a un moment où nous imaginons que notre maître vient se poser sur notre tête et se dissout en nous. On trouve quelque chose de similaire dans presque toutes les pratiques. Ce sur quoi on insiste là, c’est de ressentir un plaisir et une joie intense à nous fondre avec le maître. Cela ne veut pas dire nous fondre sexuellement ; cela signifie fondre les bonnes qualités du corps, de la parole et de l’esprit du maître avec les nôtres. C’est là tout l’enjeu du gourou-yoga. Dans la pratique de Vajrayogini, ce sentiment incroyable de plaisir et de joie s’étend jusqu’à remplir l’univers. Puis, avec la compréhension de la vacuité de cette joie, notre esprit devient de plus en plus subtil.
Pour ce qui est de chérir notre maître, la question est d’avoir cet incroyable sentiment de plaisir et de joie quand nous le voyons ou pensons juste à lui (ou à elle), sans même parler de s’engager dans la pratique du gourou-yoga. Le corollaire naturel, bien sûr, est que nous voulons prendre soin de notre maître, et que nous nous sentirions très malheureux si quelque chose de funeste lui arrivait. Nous voulons qu’il dispose des ressources nécessaires pour aider les autres. Nous voulons prendre soin de lui s’il tombait malade, etc.
Il n’est pas vraiment facile d’éprouver cette joie, en particulier si nous effectuons cette dissolution comme faisant partie de notre pratique quotidienne au cours d’une sadhana, une pratique de récitation tantrique. Comment la développons-nous si nous avons vraiment une relation correcte avec un maître spirituel ? C’est en appréciant la bonté de notre maître, laquelle génère un prodigieux sentiment de gratitude et conduit automatiquement à cet état d’esprit très joyeux d’amour chaleureux.
Inspiration tirée du maître
Ce qui découle de tout ça, c’est la pratique ordinaire appelée « faire des requêtes », ou solwa deb (gsol-ba ‘debs) en tibétain. On la trouve dans tous les types de pratique. Que demande-t-on ? Bien évidemment, nous ne demandons pas une Mercedes-Benz, rien de la sorte. On lit souvent dans les traductions : « Bénissez-moi pour faire ceci ou cela. » Ce n’est pas une traduction exacte de ce que nous demandons car cela vient d’un point de vue religieux traditionnel différent. Le terme que l’on traduit par « bénédiction » recèle la connotation d’inspiration, illuminant et élevant notre esprit vers plus d’énergie, « chingyilab » (byin-gyis rlabs) en tibétain. Dès lors, en fait, ce que nous demandons, c’est de l’inspiration. « Inspirez-moi pour être plus compatissant et avoir une plus grande compréhension de mes parents ou de mes enfants », ou pour tout ce pour quoi nous avons besoin d’inspiration. Nous devons appliquer nos requêtes aux situations courantes de notre vie de tous les jours.
S’il vous plaît, ne pensez pas à l’inspiration comme à une espèce de ballon de football que notre maître détient et qu’il nous lance. De nouveau, grâce à la ferme conviction dans les bonnes qualités de notre maître, nous nous rappelons et passons en revue celles-ci, sa patience, sa compréhension des autres. Observant et réfléchissant à cela, nous sommes inspirés à suivre cet exemple et à essayer d’être ainsi.
Une fois que notre maître a trépassé, il me semble d’après mon expérience que son inspiration devient encore plus forte. Nombreux sont les gens qui ont confirmé ce sentiment. Serkong Rimpotché est mort en 1983. Quand notre maître est vivant, il se trouve souvent dans un autre endroit, et nous pouvons donc penser qu’il est plutôt distant et éloigné. Mais une fois qu’il est décédé, il est beaucoup plus intériorisé. Nous ressentons que notre maître est avec nous tout le temps.
En vérité, qu’est-ce qui est avec nous ? Ce sont les valeurs et les exemples de comportements de notre maître. Quand je suis confronté à une situation difficile, j’examine la chose et me dis : « Comment Serkong Rimpotché gérerait cette situation ? » « Que ferait-il ? » Ou bien, je me demande : « Comment Sa Sainteté le Dalaï-Lama traiterait cette situation ? » Nous pouvons tous tirer de l’inspiration pour essayer d’être comme nos maîtres. C’est très utile. Évidemment, faire cela requiert d’avoir une familiarité avec la manière dont notre maître affrontait différentes situations. Souvent, nous n’avons pas cette chance, mais, si nous l’avons, alors c’est fantastique.
Ainsi, de nombreux textes parlent de l’importance de faire des requêtes. C’est pourquoi il est important de comprendre ce que cela veut dire, quelles sont nos demandes et pourquoi. L’inspiration qu’on tire de notre maître est souvent appelée la racine du chemin. C’est ce qui nous donne de l’énergie ; elle nous enracine et nous confère de la stabilité. Nous savons que d’autres ont suivi ce chemin spirituel avant nous. Nous ne sommes pas seuls.
Question concernant la transmission orale
Pouvez-vous dire quelques mots sur la question de la transmission orale en général et, plus spécifiquement, comment toutes les transmissions orales remontent jusqu’au Bouddha Shakyamouni ? Si nous avons reçu une transmission orale pour une pratique particulière de la part d’un maître, devrions-nous aspirer à recevoir des transmissions orales pour cette même pratique de la part d’autres maîtres également ?
La coutume de la transmission orale est née dans le contexte de l’Inde ancienne, quand originellement aucun des enseignements n’était couché par écrit. La seule façon d’apprendre les enseignements était de les avoir entendus du Bouddha Shakyamouni lui-même ou de les avoir entendus récités par des générations ultérieures de disciples. Cela impliquait la mémorisation ; quelqu’un les avait mémorisés et ensuite d’autres les ont entendus encore et encore afin de les mémoriser également. Même de nos jours, on peut voir parmi les Tibétains que tous apprennent par cœur les textes avant de les étudier. Ils mémorisent les poujas également.
Il y a trois sortes de consciences discriminantes qui s’élèvent : d’abord celle de l’écoute, puis celle de la réflexion, enfin celle de la méditation. Au début, on doit être très clair quant aux mots des enseignements qu’on entend. Nous devons discriminer le fait qu’ils soient exacts ; tels sont les vrais mots des enseignements et nous les avons entendus correctement. Alors nous pouvons commencer à y réfléchir et essayer de les comprendre.
À cause de cela, nous devons d’abord avoir reçu la transmission orale de quelqu’un qui a mémorisé l’enseignement correctement. Nous l’entendons et pendant l’écoute nous devons bien sûr être attentifs et ne pas nous endormir, etc. Puis, finalement nous pouvons mémoriser les mots et transmettre l’enseignement aux générations suivantes. Tel est le contexte dans lequel cette coutume de la transmission orale a pris naissance.
J’avais l’habitude de penser que la personne qui donnait la transmission orale devait vraiment comprendre le texte ; et, de ce fait, la personne qui le recevait s’en trouvait inspirée. Si la personne qui récite ce texte le comprend vraiment, cela nous donnerait confiance afin que nous puissions à notre tour le comprendre. Mais j’ai découvert que c’était incorrect.
Le père du précédent Serkong Rimpotché, le premier Serkong Dordjétchang, était l’un des plus grands yogis du début du siècle dernier. Il faisait partie du lignage du Kalachakra. Un des textes les plus difficiles de Tsongkhapa est le Drang-nges legs-bshad snying-po, ou, en français, L’Essence de la bonne explication des sens définitifs et interprétables. Bien qu’il existe une lignée de transmission orale remontant à Tsongkhapa lui-même, Serkong Dordjétchang eut une vision de Tsongkhapa au cours d’une retraite, dans laquelle Tsongkhapa lui donna une autre transmission spéciale du texte.
Le précédent Serkong Rimpotché avait reçu cette transmission orale de son père, et bien que ce fût un texte de 250 pages, Rimpotché le récitait de mémoire tous les jours en plus des récitations tantriques et de toutes les autres choses qu’il accomplissait comme faisant partie de sa pratique quotidienne. En vérité, Rimpotché n’a jamais réellement donné cette transmission orale à Sa Sainteté le Dalaï-Lama, bien qu’il fût l’un des maîtres de Sa Sainteté. Il disait qu’il attendait d’en avoir obtenu une vision pénétrante très spéciale pour être en mesure de l’expliquer à Sa Sainteté.
Mais le précédent Serkong Rimpotché est mort avant d’avoir pu le faire. Il y a quelques années, sa réincarnation, le jeune toulkou âgé aujourd’hui de vingt-sept ans, dit qu’il souhaitait réellement recevoir cette transmission. Je suis très proche de lui, comme je l’étais d’ailleurs de son prédécesseur. Il cherchait autour de lui quelqu’un qui avait cette transmission et qui soit en mesure de la lui conférer.
J’ai demandé à Sa Sainteté le Dalaï-Lama si je pouvais donner la transmission orale ? Sa Sainteté expliqua : « Cela n’a pas d’importance que vous ayez étudié le texte ou que vous n’y ayez rien compris. Vous devriez donner la transmission orale au jeune Serkong Rimpotché. » J’ai pratiqué la récitation du texte à haute voix jusqu’à ce que j’aie pu le lire à une vitesse suffisante pour que ce ne soit pas une torture pour lui de l’entendre. Je ne l’ai pas appris par cœur. Puis j’ai fait un voyage spécial en Inde pour voir Rimpotché et lui donner la transmission orale. Ce qui a été vraiment plaisant, c’est qu’il y a quelques mois à Bodhgaya, Rimpotché conféra la transmission orale pour la première fois. Il la donna à un groupe de Tibétains, y compris à Lama Zopa et à Dagri Rimpotché. Il est très réconfortant de voir que maintenant la transmission se perpétue.
Ai-je transmis les bénédictions de ce texte ? Je ne saurais le dire. Y avait-il là une source d’inspiration ? Il n’y avait certainement aucune inspiration venant de ma propre compréhension, car je n’ai même jamais étudié le texte. Mais il y avait une certaine forme d’inspiration du fait qu’il y avait continuité. Cela recèle sûrement un bénéfice. On dit toujours que si on en reçoit la transmission orale, cela agira comme circonstance pour nous aider à mieux comprendre un texte. À cause de cela, il est toujours utile de recevoir plusieurs fois une transmission orale.