Équanimité à propos des aspects de notre corps et de notre personnalité

Résumé

Nous avons passé en revue les différentes étapes pour développer l’équanimité, plus spécifiquement l’équanimité envers nous-mêmes, laquelle nous conduit à adopter une attitude souple et sans à-coups à l’égard de soi : dépourvue d’aversion (attitude négative à propos de soi), dépourvue d’attirance excessive (surestimation de soi), et dépourvue de naïveté (déni de soi). Nous avons examiné nos attitudes sous différents angles : ce que nous avons fait au cours de notre vie ou ce qui nous est arrivé, la façon dont nous nous sommes considérés et comment nous nous sommes traités et avons réagi aux événements. La dernière variante que j’aimerais explorer se rapporte aux divers aspects de notre corps et de notre personnalité.

Développer l’équanimité envers les divers aspects de notre corps et de notre personnalité

Je crois que la plupart d’entre nous avons certains aspects de nous-mêmes que nous n’aimons pas. Nous pouvons même aller jusqu’à les haïr. En anglais, nous utilisons le mot « haïr » de manière un peu plus libre et souple que vous ne le faites ici en Russie. En anglais, il arrive qu’on dise : « Je hais mes pieds ; ils sont si laids. » Cela peut paraître étrange en russe. Mais, dans tous les cas, il se peut qu’on n’aime pas du tout ou qu’on « déteste » certains aspects de notre corps, comme d’être petit ou gros, ou le fait que certaines parties de notre anatomie soient de petite taille.

Il peut aussi y avoir des aspects de notre personnalité que nous n’aimons pas du tout, comme par exemple le fait d’être timide. Bien sûr, vouloir travailler sur nos défauts est une preuve de bonne santé, mais ce dont nous parlons ici c’est de nourrir une attitude très négative à propos de ce que nous considérons comme un défaut de notre personnalité.

Par ailleurs, il y a des aspects de nous-mêmes que nous aimons vraiment et auxquels nous sommes très attachés. Cela peut être notre apparence physique. Cela peut être notre intelligence. À côté de cela, il y a d’autres aspects de nous-mêmes que nous ignorons ou  considérons comme sans importance, comme le fait de lier conversation facilement avec les gens.

Essayons d’acquérir une certaine équanimité envers tous ces aspects de notre corps ou de notre personnalité.

À propos des aspects que nous n’aimons pas

Tout d’abord, pensez aux aspects que vous n’aimez pas chez vous, plus grave encore, au sujet desquels vous éprouvez des sentiments très négatifs. « Je suis de constitution faible. Je ne suis pas assez costaud. » « Je suis trop gros. » « J’ai mauvais caractère. » « Je ne suis pas très intelligent. » « Je suis paresseux. » Peu importe. Pensez plus particulièrement aux choses qui vous rabaissent, pour lesquelles vous pensez que vous n’êtes pas doués dans tel ou tel domaine. Rappelez-vous, comme je l’ai dit au début, qu’on peut avoir une attitude saine en voulant améliorer ces défauts. Mais c’est un autre problème.

On se dit : « Pourquoi ai-je des sentiments aussi négatifs à mon propos à cause de mes défauts ? » Cela dit, certains de ces défauts peuvent être réels ou bien imaginaires. Dans tous les cas, cependant, est-ce que nous n’exagérons pas leur importance ?

On se dit alors : « Tout le monde a des points faibles. Mais tout le monde a des points forts également. Moi-même j’en ai. Ce n’est pas comme si chez moi tout était affreux. En réalité, quand on y songe, seul le Bouddha ne possède que de bonnes qualités. Tous les autres ont des points faibles, alors à quoi dois-je m’attendre en ce qui me concerne ? De même, tout le monde a des points forts. Il n’y a personne qui ne possède pas quelque bonne qualité. Aussi, le fait que j’aie des points faibles n’a rien d’extraordinaire. Donc je ne vais pas me haïr ni me rabaisser à cause d’eux. J’aurai une attitude égale à leur endroit, et travaillerai à les surmonter dans la mesure de mes moyens. Mais je ne suis pas une mauvaise personne simplement du fait que je ne joue pas bien au football, ou à tout autre jeu. » Voilà ce qu’on se dit, peu importe la raison. En réalité, quand on y réfléchit, c’est assez stupide et absurde de se dire : « Je suis une mauvaise personne parce que je ne suis pas bon en mathématiques. »

On essaie alors de considérer ces points faibles avec équanimité, sans nous sentir trop négatifs ou mal à leur sujet. Sur cette base, on peut être plus objectifs envers eux, sans les exagérer, les dénier ou les banaliser.

« Tels sont les points sur lesquels je dois travailler. Tout le monde a des points sur lesquels il doit travailler, et, à ce stade de ma vie, tels sont les miens. À d’autres moments, ils peuvent être différents. »

[Pause pour pratiquer]

À propos des aspects auxquels nous sommes attachés

Puis nous pensons aux aspects de nous-mêmes que nous aimons, auxquels nous sommes tellement attachés et qui nous font nous sentir si bien – dans l’éventualité où nous sommes en mesure d’en reconnaître ne serait-ce qu’un.

Certaines personnes même sont allées si loin dans le manque d’estime de soi qu’elles sont dans l’incapacité de reconnaître une seule de leurs bonnes qualités, encore moins de se dire « comme je suis merveilleux » grâce à elle. Mais, si c’est notre cas, nous devons essayer d’être plus objectif. Dans un premier temps, plus nous travaillerons à ne pas exagérer nos points faibles – tout le monde en a – mais à constater que personne ne possède seulement que des points faibles, autrement dit, plus nous serons en mesure de développer de l’équanimité envers nos points faibles, et plus il nous sera facile de reconnaître les points forts que nous avons.

Une fois que nous avons identifié nos points forts, nous examinons notre attitude à leur égard. Éprouvons-nous un sentiment de vanité à leur sujet ? Être « vaniteux » signifie que nous pensons qu’à cause d’eux nous sommes quelqu’un de merveilleux, meilleur que n’importe qui d’autre. Cela peut concerner notre belle apparence. Cela peut être aussi qu’on se considère comme une personne tellement merveilleuse, tellement compatissante et aimante. Cela peut être dû à notre intelligence. Cela peut être dû à notre situation financière. Cela peut être dû à n’importe quelle chose pour laquelle nous concevons un sentiment de vanité.

Mais en y réfléchissant bien, il est évident que nous avons également des points faibles. Alors qu’y a-t-il de si extraordinaire dans ces points forts ? Qu’est-ce qui les rend plus réels que les points faibles ? De ce fait nous convenons que nous n’allons éprouver ni arrogance ni vanité à leur sujet quand bien même ils seraient nos bons côtés et nos points forts. « Rien de spécial à leur propos. Contentons-nous de les accepter. »

[Pause pour pratiquer]

Tout comme nous devons accepter nos points faibles comme étant les points sur lesquels nous devons travailler, de même nous devons accepter nos points forts comme étant le matériau, les outils dont nous pouvons nous servir pour travailler à surmonter nos défauts. Plutôt que d’éprouver le sentiment qu’on est merveilleux à cause de ces points forts, utilisons-les. Servons-nous-en pour nous améliorer. Utilisons-les pour aider les autres. Quelle est l’utilité de ces bons côtés si on ne les utilise pas dans un sens bénéfique, sans pour autant penser qu’on est merveilleux pour cela ?

À propos des aspects que nous ignorons

La troisième chose sur laquelle nous nous concentrons, ce sont les aspects de nous-mêmes que nous avons tendance à ignorer, à oublier, parce que nous ne les considérons pas comme importants, quels qu’ils soient. « Je m’occupe bien de ma maison. Je la tiens propre et bien rangée. » On pourrait se dire que c’est là une chose triviale (« et alors ? »). Ou bien : « je suis un bon conducteur. » Ou encore : « Je fais montre de beaucoup d’enthousiasme. J’ai beaucoup d’énergie. »

Quand on commence à s’examiner, avec nos diverses qualités et nos différents aspects, il peut s’avérer utile d’en dresser une liste : Quels sont mes points forts ? Quels sont mes points faibles ? Quels sont ceux auxquels je n’accorde pas d’importance ? Faites-en un inventaire. Couchez-les par écrit. Cela peut se révéler très intéressant. « Je suis soigneux », ou « Je suis très poli » – ce sont là des points que nous pourrions trouver banals.

Ceci dit, les choses que nous avons tendance à ignorer ou à considérer comme insignifiantes ne sont pas nécessairement des bonnes qualités ; elles peuvent aussi être des défauts. « Je mange trop vite. Cela rend les gens avec qui je mange mal à l’aise, car j’ai fini avant eux, bien avant eux. » Ou : « Je mange trop lentement. Tout le monde a terminé, et j’en suis toujours à jouer avec ma nourriture. Et les autres convives deviennent très impatients et gênés car ils considèrent que ce serait impoli de quitter la table, et ils attendent que j’aie fini : “allons, dépêche-toi de terminer”. » Un autre cas de figure se présente quand quelqu’un, entre deux bouchées, repose sa fourchette ou sa cuiller sur la table, et vous êtes là à vous dire : « Oh ! Mon Dieu ! Quand va-t-il la reprendre et avaler une autre bouchée ? » Peut-être appartenons-nous à cette catégorie. Nous ne sommes même pas conscients du fait que c’est gênant pour les personnes avec qui nous mangeons. Si nous mangions seul, peu importe que nous mangions vite ou lentement ; j’évoque seulement le cas où on partage un repas avec d’autres personnes.

Il y a ainsi de petites choses, dont nous pourrions ne pas tenir compte, qui prennent un tour vraiment important quand on est en société. Je peux penser à bien des exemples de choses qu’on aurait tendance à ne pas prendre en considération. Je pense aux gens qui ne parlent pas assez fort. Du fait que vous ne parlez pas assez fort, les gens ne vous prennent pas au sérieux. Comme ils n’entendent pas vraiment ce que vous dites, ils n’estiment pas nécessaire de faire attention à vous. À l’inverse, il y a les gens qui parlent trop fort.

Alors on se prend à penser : « Pourquoi est-ce que j’ignore ces aspects ? Pourquoi est-ce que je considère qu’ils ne font pas aussi partie de moi ? Tout comme les points forts et les points faibles que j’ai relevés, ils sont tout autant des aspects de moi, c’est pourquoi il n’y a aucune raison pour que je les ignore. » 

[Pause pour pratiquer]

Se remémorer des exemples de ces trois aspects

En fin de compte, nous devons repenser à tous ces aspects de nous-mêmes – notre personnalité, notre corps, nos habitudes, etc. – et éprouver un sentiment objectif sur l’ensemble, sans nous sentir dégoûtés par certains aspects, attirés par d’autres, et sans ignorer ceux qui forment une troisième catégorie. La façon de procéder consiste à choisir des situations typiques : l’une à propos de laquelle on se sent très mal à l’aise, une autre où tout nous semble merveilleux, et, pour finir, une situation sans intérêt particulier. Puis nous considérons ces trois aspects et essayons de les observer sans attraction, sans répulsion, sans indifférence, en restant simplement ouverts aux trois.

[Pause pour pratiquer

Nous essayons de regarder ces trois qualités, ces trois facettes de nous-mêmes avec équanimité, un esprit calme, en gardant la même attitude à l’égard des trois. En bref, nous nous acceptons. Reposant sur ces qualités se tient le « moi conventionnel ». Cela ne veut pas dire que nous sommes complaisants et ne faisons rien pour nous améliorer. Nous acceptons le fait que c’est ce avec quoi nous devons objectivement travailler, comme je l’ai dit, mais sans penser qu’il existe une sorte de pouvoir extérieur, quelque part là-haut, qui nous a distribué ces cartes – comme à un jeu de cartes – et que ce sont ces cartes avec lesquelles nous devons jouer. Cela reviendrait à faire de notre vie un scénario bizarre, comme si on nous avait attribué ces cartes, que quelqu’un d’autre contrôlait le jeu, et que la vie n’était qu’un jeu. Il n’en est pas ainsi. « On m’a donné de mauvaises cartes, mais je vais tout de même essayer de gagner la partie avec ces cartes-là. » Je dois dire que c’est là une façon très étrange d’envisager nos vies. C’est rejeter la responsabilité sur quelqu’un d’autre. Nous n’avons pas à nous raconter toute une histoire comme si quelqu’un nous avait distribué ces cartes et que nous jouerions à un jeu. Plus simplement, on se dit plutôt : « Telle est la réalité. C’est cela dont je dispose. »

Le problème, avec cette analogie du jeu de cartes, c’est de faire de nous des entités séparées d’un côté, et que tous ces aspects de nos vies soient des cartes, distinctes de nous, et qu’en plus, un pouvoir supérieur ou un destin impersonnel nous les ait attribuées. C’est là une façon très étrange et décalée de considérer nos vies. Si nous avons cette vision et que nous suivons une voie bouddhiste, nous aurons un gros problème de distorsion au sujet de ce qu’on entend par renoncement car alors nous l’envisagerons comme issu d’un « moi » réel, solide qui dirait : « Je ne veux plus jouer à ce jeu de cartes. C’est stupide », comme si on pouvait jeter les cartes en l’air tout en demeurant un « moi » solide et qu’on se dise : «  Oh ! Comme je suis merveilleux ! Maintenant je n’ai plus à jouer à ce jeu stupide. » Néanmoins, vous restez en proie avec la source du problème : le concept d’un faux « moi », indépendant dorénavant d’un jeu de carte stupide.

Revenons en arrière et essayons de considérer ces diverses facettes, non comme séparées de nous, non comme la « donne » d’un jeu de cartes, mais avec la compréhension que le « moi » s’appuie sur elles. Je crois également ici très important de dire qu’il ne faut pas observer ces différents aspects de nous-mêmes, lesquels nous servent de base, comme étant fragmentés, comme si chacun d’eux était enrobé d’un film en plastic ou entouré d’un gros trait solide comme dans les livres de coloriage pour enfant, et qu’on puisse colorer telle figure en vert et telle autre en jaune. Si nous entretenons ce genre d’attitude envers les différents aspects de notre personnalité, alors nous serons en butte à des troubles de déconnexion et notre personnalité sera sans véritable intégration. Ce que nous devons faire c’est voir que tous ces différents aspects interagissent et fonctionnent en réseau. Nous formons une totalité intégrée. Nous ne sommes pas semblables à des petits morceaux fragmentés, compartimentés, comme dans un livre de coloriage, avec un « moi » séparé dudit livre.

[Pause pour pratiquer]

Ces images, ces analogies – il se peut qu’elles ne soient pas totalement adéquates, mais elles peuvent se révéler assez utiles pour se rappeler qu’il est stupide d’agir comme si nous avions des cartes en main et que jouions à un jeu, ou comme si nous étions en possession d’un livre de coloriages. Si on utilise la terminologie bouddhique, la façon dont on pourrait décrire cela, c’est que nous sommes en mesure d’isoler conceptuellement différents aspects de nous-mêmes ; il s’agit d’un processus conceptuel. Mais, dans la réalité, tout est relié. En vérité, c’est très profond si vous y réfléchissez vraiment et le comprenez.

Pratique de conclusion concernant l’équanimité

Concernant l’équanimité, à la fin de cette première étape – qui est sans doute la plus longue puisqu’elle comprend la plus grande partie de ses articulations – on arrive à la conclusion suivante : c’est que nous disposons d’une base très large sur laquelle étiqueter notre « moi conventionnel ». Nous disposons de toute la variété des événements et des choses que nous avons faits au cours de notre vie ou qui nous sont arrivés : parfois des échecs, parfois des succès, parfois des erreurs, parfois des choses menées à bien, parfois des choses sans importance. Nous avons connu de nombreuses périodes différentes pendant lesquelles nous avons été heureux, malheureux. Nous sommes passés par toutes sortes d’humeurs. Nous disposons également de facettes variées de nous-mêmes – que ce soit de notre personnalité, de notre corps, ou d’autres aspects – lesquelles constituent notre vie. Le « moi » est imputé sur tout cela. Telle est la base du « moi ». Et toutes ces choses sont reliées entre elles, sans parler de toutes celles que cela implique : à savoir nos relations avec les autres, etc. Mais, dans tous les cas, ceci constitue la base du « moi », lequel change d’instant en instant, continuellement. On ne peut pas sélectionner et choisir certains aspects de notre vie et les considérer comme étant notre « moi », et rejeter les autres comme si on achetait des salades, et dire « j’aime vraiment ça, et je déteste vraiment ça, et ceci est sans importance », comme si on inspectait un tas de salades : « celle-ci ne m’a pas l’air bien », et on la laisse de côté, ou bien : « celle-là a l’air parfaite ! », et on ignore les autres.

Dès lors, essayons de considérer tous ces aspects de notre vie avec équanimité : sans attraction ni répulsion, et sans les ignorer – non pas comme si on achetait des salades. Cela implique d’être calme, ouvert, en paix, et de les accepter tous, ce qui est la base pour en faire quelque chose de constructif, et non pas pour rester les bras croisés à ne rien faire.

[Pause pour pratiquer]

L’important, bien que ce soit peut-être une étape un peu plus avancée de la pratique, c’est de surmonter ce sentiment de dualité d’un « moi » en paix avec « moi-même » : d’un « moi » acceptant un « moi-même », comme s’il y avait deux « moi ». Et, dans le cas où l’on se trouve submergé par un état d’esprit malheureux, bien qu’il puisse être temporairement utile de penser de cette façon dualiste pour traiter ce genre de problème, en dernier ressort nous devons surmonter cette manière dédoublée de nous envisager et, en un sens, établir un lien apaisé entre le « moi conventionnel » et ce qui lui sert de base. Le « moi » est imputé sur cette base. Le « moi » n’est pas séparé. Y a-t-il un « moi » distinct de ma vie ? Non, bien que parfois nous en ayons l’impression. On entend souvent dire : « Je n’aime pas ma vie », comme s’il pouvait y avoir un « moi » séparé d’elle ! C’est un point difficile à comprendre. Néanmoins, si on commence à avoir le sentiment qu’il est plutôt étrange qu’il y ait un « moi » distinct de la vie, alors on commence à s’orienter dans la bonne direction d’une compréhension correcte.

Il s’agit de la même chose, d’une erreur similaire, quand on a le sentiment « qu’on ne contrôle pas sa vie », comme s’il y avait un « moi » séparé d’elle et qui la contrôlerait. Cela aussi est plutôt étrange. Le « moi » est simplement imputé à la somme des événements dont la succession forme la base, les uns après les autres. Ce n’est pas quelque chose de distinct d’elle, passant d’un endroit à un autre, comme dans ces jeux d’enfants où l’on jette les dés et où l’on bouge les pions quelques cases plus loin. La vie n’est pas comme ça, de grâce ! Réfléchissez à cela.

[Pause pour pratiquer]

Questions

Quelques questions maintenant. Le mieux est d’aller lentement avec ce genre d’exercices car s’y livrer fait remonter à la surface beaucoup d’émotions, beaucoup de réactions. C’est pour quoi il est préférable au cours d’une session de ne pas trop en faire, de ne pas forcer.

Prendre en considération les autres

Je pense qu’avec l’exemple de la nourriture vous avez touché un point très subtil. Il se peut que quelques personnes se sentent mal à l’aise par ma façon de manger, mais je ne peux satisfaire tous les souhaits des autres. Comme je pense également que je ne dois pas gêner les autres, est-ce que la solution serait de ne pas sortir avec eux pour manger ? Que signifie tenir compte du confort et de l’inconfort des autres en rapport avec nos habitudes ?

Je ne pense pas qu’on doive éviter d’aller au restaurant avec d’autres à cause de notre façon de manger ; mais, d’un autre côté, je pense qu’il est très important d’être attentionné et prévenant quand nous sommes en compagnie  d’autres personnes, car la façon dont nous nous comportons les affecte. On ne devrait pas penser que cela ne les touche pas. J’ai à l’esprit l’exemple d’une personne qui mange lentement, mais qui est très attentionnée avec les gens avec qui elle mange. Quand on se retrouve pour déjeuner, un petit groupe d’entre nous, cette personne dit à tous : « Écoutez, je mange vraiment très lentement. N’attendez pas que j’aie fini. Si vous devez retourner à votre travail, ou à vos occupations, pas de problème. » C’est être très prévenant. Cette amie peut manger aussi lentement qu’elle le veut, et nous autres n’avons pas à nous sentir obligés de rester assis là et d’attendre qu’elle ait fini. Ou bien si vous êtes quelqu’un qui mange vraiment vite, vous pouvez dire aux autres : « Voilà, je mange vite, ne vous sentez pas mal à l’aise à cause de moi. Prenez votre temps. Ce n’est pas que je sois pressé, c’est juste ma façon de manger. »

Autrement dit, il y a des façons d’être prévenant sans avoir nécessairement à remettre en cause nos habitudes. Le vrai problème, dans ce cas, c’est le manque de considération. Ou si vous faites partie d’un groupe de gens qui voyagent ensemble et que le groupe doive partir pour attraper un train – ou bien si vous êtes en famille et que tout le monde est prêt à partir en voiture – et que vous n’avez fini de manger, vous pouvez dire : « Je n’ai pas terminé mon assiette, laissez-moi en faire un paquet, je terminerai mon repas plus tard. » Il y a des méthodes pour prendre en considération les autres.

Autre exemple : Quelques uns de mes proches n’apprécient pas le fait que je me sois engagé dans le bouddhisme et que je sois là, à cette conférence, aussi ne puis-je leur donner satisfaction. Ou bien : Quelqu’un n’aime pas la façon dont je m’habille ou ma coupe de cheveux. Que faire dans ce cas ?

Il peut s’avérer très utile, dans ce type de situation, de se rappeler que du vivant du Bouddha, tout le monde ne l’aimait pas. Alors que peut-on espérer pour soi ? Que tout le monde nous aime et apprécie nos façons de faire ? Bien entendu, on ne peut pas plaire à tout le monde. C’est pourquoi, aux proches qui n’aiment pas que vous rendiez à des manifestations bouddhistes, ce n’est pas la peine de le leur dire. Vous n’avez pas à leur dire où vous allez. Vous n’avez pas non plus à leur mentir, dites simplement : « Je vais voir des amis. » Nous sommes des amis, ici, et il est vrai que vous rencontrez des amis. C’est pourquoi il existe des moyens d’éviter d’offenser les autres, mains nous n’aurons jamais l’approbation de tous. Le Bouddha lui-même ne l’a pas eu, alors pourquoi nous ?

Le « moi » qui décide pour nous

S’il vous plaît, pourriez-vous expliquer ce que veut dire le fait qu’il n’y a pas de « moi » qui déplace les pions d’une case à l’autre comme dans un jeu d’enfant ? Si je suis en train de faire des plans pour ma soirée et que j’ai le choix entre telle ou telle chose, il y a bien ce sentiment de quelqu’un qui prend une décision. On peut dire que cela ressemble à de la volonté.

Oui, il entre là, assurément, une part de volonté et de décision, mais tout le problème vient de la façon dont nous conceptualisons cela. Ce n’est pas comme s’il y avait un « moi » séparé qui se tiendrait en retrait de notre vie et prendrait les décisions.

Tout l’enjeu ici réside dans cette idée : Y a-t-il une entité – « moi » – distincte du « moi » qui est vraiment impliqué dans le fait de faire des choses ? Il y a souvent en nous cet aspect critique qu’il existe un « moi » qui se tient en retrait, jugeant et manipulant ce qu’on fait, comme s’il y avait un autre « moi » qui serait le pion qu’on déplacerait dans la vie. Dans le cours d’une vie, il y a bien sûr des décisions à prendre. C’est le rôle de la volonté, de l’intention. Tout cela fait partie de chaque instant. Si vous demandez : « Qui prend la décision ? » Je prends la décision. Ce n’est pas quelqu’un d’autre. Mais ce qu’on cherche à éviter, c’est ce sentiment de séparation ou d’aliénation par rapport à la vie et ses événements, comme s’il y avait quelque chose qui se tiendrait à distance, à l’écart de la vie, et qui jouerait à un jeu. Formulé très simplement, faites juste ce qu’il faut faire. Vous traversez la vie et vous agissez. Vous prenez des décisions sans avoir ce sentiment de : « oh, que dois-je faire maintenant ? », ou : « oh, j’ai été nul ! », ou encore : « oh, c’était super. J’ai franchi deux cases. J’ai fait un double-six et j’ai avancé de douze cases. Super ! Génial ! » On se contente de vivre sa vie sans avoir de telles pensées ou éprouver de tels sentiments.

Il s’agit là d’une distinction très subtile. C’est très subtil, mais ce qu’on doit reconnaître c’est cette notion, ce sentiment qu’une part de soi est le juge et le contrôleur et qu’une autre part est la victime, celle qu’on soumet à un procès, celle qui doit être manipulée et contrôlée comme s’il y avait deux « moi ». « Je dois prendre le contrôle de moi-même sans quoi je vais vraiment faire une bêtise. » Contentez-vous d’exercer le contrôle de vous-mêmes sans opérer cette dichotomie, ce dédoublement. Soyez décidés et agissez. Faites les choses, simplement.

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