Ordinairement, quand nous éprouvons un sentiment de mal-être, de bonheur insatisfaisant ou d’absence de sentiment, nous en faisons quelque chose d’extraordinaire et de concret, imaginant qu’il durera toujours. Mais, bien entendu, il n’y a rien de spécial à aucun des sentiments que nous éprouvons – ils sont tous non statiques et impermanents. Tout au long de leur durée, ils changent continuellement en intensité, et finalement, tout naturellement ils auront tous une fin. Inconscients de ce fait et pensant le contraire, nous sommes trompés par cette voie dans notre tête qui clame fort : « Je veux ne jamais être séparé de ce bonheur ; c’est tellement fantastique », ou : « Je veux être séparé de ce malheur ; c’est si terrible, je ne peux le supporter », ou : « Je veux que ce sentiment d’anéantissement ne décline jamais ; c’est un tel soulagement ». Cette fixation sur le « moi » et l’inflation du « moi » en une entité concrète déclenchent des émotions perturbatrices et un comportement compulsif, perpétuant notre vraie souffrance.
Demandez-vous pourquoi vous pensez que vous existez comme une sorte d’entité concrète appelée « moi », qui est autonome, indépendante d’un corps et d’un esprit, et l’auteur de la voix dans votre tête ? Si vous vous dites : « parce que cela semble être ainsi et donc, que je le pense », demandez-vous si ce : « parce que je le pense » est une raison valable pour croire en quelque chose ? Quand nous croyons en une quelconque projection fantasmée, en particulier à propos de nous-mêmes, reposant sur un « parce que je le pense », pourquoi est-ce que nous nous sentons en insécurité à ce propos ? C’est parce qu’il n’y a rien à quoi adosser notre fausse croyance ; elle n’est soutenue ni par un fait ni par une raison.
Le fait est qu’il n’y a rien de spécial à propos d’aucun sentiment de bonheur, de malheur ou de tout de ce que nous pourrions éprouver quand nous voyons, entendons, sentons, goûtons, touchons physiquement ou pensons à quelque chose. Il n’y a rien à quoi s’accrocher dans aucune de ces activités. S’y accrocher c’est comme de vouloir saisir un nuage – une chose totalement vaine. Et il n’y a rien de spécial à propos de « moi » et de ce que je ressens à n’importe quel moment. Nous n’existons pas comme des entités concrètes autonomes parlant dans nos têtes et qui ont toujours besoin de n’en faire qu’à leur guise. Nous existons mais non selon le mode impossible avec lequel nous pensons faussement exister et en lequel nous croyons, simplement parce que cela semble être ainsi et donc « que je le pense ».
Pour nous débarrasser de cette idée fausse et de cette croyance confuse à notre sujet, nous avons besoin d’un antidote qui les détruira complètement. Simplement apaiser notre esprit et cesser de penser de la sorte pourrait temporairement supprimer notre confusion, mais cela ne l’empêchera pas de s’élever à nouveau. Le véritable chemin pour réaliser une authentique cessation de cette véritable cause de nos vrais problèmes, dès alors, doit être un état d’esprit qui soit l’opposé mutuellement exclusif de notre inconscience. Le contraire de l’inconscience, c’est la conscience. De quoi devons-nous donc être conscient ? En vérité, ce qui détruit l’idée erronée comme quoi nous existons en tant qu’une sorte d’entité autonome est la cognition non conceptuelle qu’une telle chose n’existe pas – à savoir la cognition non conceptuelle de son vide (de sa vacuité) et non pas juste un point de concentration conceptuel sur le vide au moyen d’une idée, même aiguë, que nous en avons. La conscience, fondée sur la raison et l’expérience non conceptuelle, comme quoi ce que nous avons faussement pris pour vrai ne correspond pas à la réalité détruit la croyance erronée que cela y correspond, fondée simplement sur un « parce que je pense que c’est ainsi » et l’inconscience (l’ignorance) que c’est faux. Du fait que les tendances et les habitudes d’inconscience sont profondément enracinées, leur effacement se produit graduellement, par morceaux et par paliers.