Méditation sur le vide du soi et de tous les phénomènes

La grande compassion de la bodhichitta

Lorsque nous pensons au très bon et très compatissant Bouddha Shakyamouni, nous pensons à ses grandes qualités et à ses actes extraordinaires, et plus particulièrement à tous les enseignements qu'il a donnés dans le seul but d’être bénéfique à tous les êtres. Parmi tous ces enseignements, l'incroyable bonté avec laquelle il nous a enseigné la bodhichitta, un cœur dédié à l'éveil et à tous les êtres, est extrêmement émouvante. Dans LEngagement dans la conduite du bodhisattva, on trouve des enseignements complets sur la manière de développer un objectif de bodhichitta.

Il n’y a pas meilleure méthode pour être bénéfique à autrui que la bodhichitta, et c’est là la plus grande bonté du Bouddha Shakyamouni que de nous avoir enseigné comment développer ce cœur dévoué. Nous devons réaliser notre grande fortune car, non seulement nous avons un corps humain précieux, mais nous sommes également entrés en contact avec le Dharma, en particulier les enseignements du Mahayana. Maintenant que nous disposons de toutes ces conditions favorables, et que nous sommes libres de circonstances négatives ou nuisibles, il est absolument impératif que nous fassions usage de cette excellente opportunité, afin de répondre à l'incroyable bonté du Bouddha Shakyamouni, qui nous a montré comment dédier nos cœurs aux autres et atteindre l'éveil.

Le Compendium des connaissances valides de Dignaga (Tshad-ma kun-btus, Skt. Pramanasamuccaya) démontre que le Bouddha est une personne valide grâce à son développement de la compassion. Un autre nom qui est donné au Bouddha est celui de Grand Compatissant. Pourquoi utilisons-nous le mot « compatissant » ? Parce que son cœur est entièrement dévoué au bien d'autrui. C'est grâce à son intense préoccupation pour les autres que le Bouddha a pu éliminer tous ses propres défauts pour atteindre un point où il pouvait être pleinement bénéfique à tous les êtres limités. La compassion est bénéfique, que l'on soit religieux ou non. N'importe qui, s'il a un cœur bon et chaleureux, peut être en mesure d'aider les autres.

Je dis souvent en plaisantant : « Si vous devez être égoïstes, soyez le avec sagesse ! » Si nous voulons le bonheur pour nous-mêmes au détriment des autres, il est évident que ces derniers ne nous aideront pas. Par conséquent, si nous voulons atteindre le bonheur ultime, nous devons prendre les autres en considération, c’est que j’appelle « être égoïste avec sagesse ». Par conséquent, si nous nous préoccupons vraiment de nous-mêmes, et si nous faisons preuve de sagesse à ce sujet, nous nous rendrons compte que le meilleur moyen de nous améliorer et de nous être bénéfiques est d'aider les autres.

Dans ce monde, si les gens se préoccupent d’autrui en général et de la société dans son ensemble, ils seront généralement considérés, à l'exception de certaines personnes négatives, comme de bonnes personnes. Leur décès provoquera une grande tristesse dans l’opinion, car ces personnes sont de grands atouts pour la société, toujours désireuses d'aider les autres. Les bienfaits que ces personnes ont apportés resteront dans les mémoires des années et des années après leur mort. En revanche, dans certains pays communistes, ceux qui se sont engagés dans des luttes de pouvoir et ont travaillé pour leur propre compte sont oubliés dès que leur statut diminue, et l'on ne se souvient plus de leurs actes bons. D’autres dirigeants qui étaient au contraire animés par le désir d'aider les autres sont inscrits dans les mémoires avec beaucoup de ferveur, d’amour et d’affection. Enfin, un individu ayant causé beaucoup de mal et de destruction à grande échelle sera très mal considéré, et ce même de la part des personnes non religieuses. Personne ne s’en souviendra avec joie, au contraire, on voudra l’oublier le plus vite possible. Même les oiseaux chercheront à fuir ce genre d’individu doté d’un cœur aussi cruel et insensible.

Nous vivons dans une société d'êtres humains et nous dépendons tous les uns des autres. La structure de la société dans son ensemble ne fonctionne qu'en fonction de la bonté de ses membres et de leur volonté de coopérer. Un jour, un ami américain m'a dit qu'il pensait que la nature des êtres humains était d'être cruels. En plaisantant avec lui, j'ai répondu que je me demandais si c'était vraiment le cas. En effet, comparés à des animaux qui ont l’air très pacifiques et qui se contentent de manger des végétaux, ceux qui sont cruels par nature, comme les tigres, les lions et d'autres types de carnivores qui tuent d'autres animaux pour vivre, ont vraiment l'air très cruels, avec leurs crocs, leurs griffes et tout le reste. Les êtres humains ne ressemblent pas vraiment à ces animaux cruels, ils ne se griffent pas, ne se mordent pas les uns les autres et ils ont de beaux ongles courts au lieu de griffes ! Prenons l’exemple d’un chat. Quelle que soit la quantité de nourriture que lui donne son maître, par nature, il chassera et tuera des souris, même si ce n'est que pour s'amuser. Je ne pense pas que l’on puisse affirmer que la nature fondamentale des êtres humains est d'être cruel, comme un animal carnivore.

De ce fait, il est possible de travailler et d'améliorer les qualités qui sont en nous en tant qu'êtres humains, d’ouvrir de plus en plus notre cœur à autrui, avec bonté. Et comme nous dépendons tous les uns des autres, il est absolument nécessaire d'œuvrer pour le bien et l'entraide. Ceci est au fondement même de l'existence d'une société, en tant que groupe interdépendant. Pour qu'elle fonctionne, chacun doit être bon et serviable envers les autres. Il est extrêmement important de générer cette attitude de vouloir aider autrui, puis de l'étendre autant que possible au plus grand nombre.

Bien sûr, nous devons tenir compte du fait que lorsque le Bouddha a donné ses enseignements sur la discipline et les lignes de conduite que nous devons adopter, il a autorisé et recommandé certaines choses, et en a interdit d’autres. Lorsque la nécessité l'emporte sur l'interdiction, lorsque les circonstances exigent quelque chose qui est habituellement interdit, alors cela peut être fait. Nous devons faire preuve de discernement, tout en gardant à l'esprit qu'il faut toujours avoir l'intention d’être bénéfique aux autres.

Nous devons donc essayer d'avoir des pensées et des actions bienveillantes à l'égard d’autrui et de ne jamais blesser qui que ce soit. Nous commençons par nous entraîner avec les personnes avec lesquelles nous avons des relations, puis nous essayons d'étendre cette pratique à tous les habitants de notre région, puis à tous les habitants de notre pays, et enfin à tous les habitants de la planète. Nous pouvons ensuite l'étendre de plus en plus loin, à tous les êtres de l'univers. Tous les êtres sont comme nous et, de même que nous aimerions être heureux et ne pas avoir de problèmes, il en est ainsi pour tous les êtres qui existent. C'est de cette façon que nous devons penser.

Bien sûr, une mère souhaite que tout aille bien pour ses enfants. C'est quelque chose de très fort, mais c’est également une préoccupation très limitée dans sa portée, puisqu'elle ne s'applique qu'à ses enfants. Nous devrions plutôt essayer de développer une préoccupation intense et sans limites pour le bien des êtres et l'étendre à tout le monde, sans nous limiter à quelques êtres.

Pour être en mesure d’être bénéfiques à l’ensemble des êtres, nous devons atteindre l'état qui nous permet d’être pleinement capables de le faire, c’est-à-dire le complet accomplissement de l’état de nirvana, l'illumination. Un objectif de bodhichitta implique deux intentions : de venir en aide à tous les êtres et d’atteindre l'éveil pour être en mesure de le faire. Nous pouvons trouver cela dans les textes et les lire pour nous-mêmes. Et désormais, vous l’entendez de la bouche du Dalaï-Lama ! Nous pouvons donc essayer d'acquérir dès à présent la conviction que c'est là la racine même de tout bonheur et de l'élimination de tous les problèmes dans le monde : développer un cœur bon et chaleureux, une attitude qui permet d’être bénéfiques à tous les êtres. Prenons donc la ferme résolution de toujours avoir cette attitude, la pensée altruiste de toujours être en mesure d’être bénéfique et de venir en aide à tout le monde, et de ne jamais laisser cette pensée dégénérer ou s'affaiblir. Nous devons chérir cette attitude plus que tout autre bien que nous possédons.

L'unité de la méthode et de la conscience discriminante

Le commentaire de notre texte se poursuit avec une citation de Chonyi Lama : « Pour atteindre l'état de bouddha, il est nécessaire d’atteindre l’unification du corps et de l'esprit d'un bouddha. » Cela signifie que nous devons suivre une voie qui unit la méthode et la sagesse ou conscience discriminante, dans laquelle la méthode est soutenue par la conscience discriminante et vice versa. Au stade résultant, la méthode et la conscience discriminante sont d'une même nature essentielle, autrement dit, elles sont livrées dans un même « emballage », mais elles ont des isolats conceptuels différents.

La même idée s’applique aux étapes des cheminements de l’esprit. La voie ou les cheminements de l’esprit doivent également être ceux dans lesquels la méthode et la conscience discriminante sont de la même nature essentielle, venant dans un seul et même « emballage ». Il en va de même pour le niveau de base, où les deux vérités de tous les phénomènes, étant d'une même nature essentielle, sont toujours réunies en un seul bloc. Il est extrêmement important de voir que les deux vérités vont toujours de pair et sont inséparables.

De tous les niveaux d'explication de la réalité, le plus clair et le plus déterminant est celui de l’école Prasangika, tel qu'il est exposé par Buddhapalita et Chandrakirti. Ces deux maîtres indiens suivent les intentions de Nagarjuna d’une manière extrêmement claire et réfutent toutes les mauvaises interprétations possibles. De nombreux grands maîtres tibétains se sont efforcés de comprendre et d'exposer une vision correcte de la réalité, en particulier le grand Tsongkhapa. Dès sa plus tendre enfance, celui-ci s'est intéressé de près à cette question et s'est efforcé d'expliquer clairement la vision correcte de la réalité. Dans une vie antérieure, Tsongkhapa, en présence du Bouddha, avait pris la ferme décision, dans une résolution sincère de bodhichitta, de prier pour être toujours en mesure d'exposer le point de vue de la Voie du milieu du Madhyamaka en relation avec le tantra. Tel fut son dévouement hors du commun, de toujours être en mesure d'avoir cette combinaison spéciale du Madhyamaka et du tantra. C'est pourquoi, dès son plus jeune âge, Tsongkhapa a manifesté un vif intérêt pour cette voie.

En raison de sa grande considération pour la vision correcte du vide (vacuité) fondée sur les explications de Chandrakirti, Tsongkhapa a écrit de nombreux textes sur ce sujet, en particulier sa présentation de vipashyana, un état d’esprit exceptionnellement perceptif, tirés du Grand et Court Traité de la voie progressive ou lamrim. On peut également citer son commentaire des Versets racines de la Voie du milieu, intitulé « La conscience discriminante » (dBu-ma rtsa-ba shes-rab, Skt. Prajna-nama-mulamadhyamaka-karika) de Nagarjuna, son commentaire Éclairer lintention : Une explication de « Sengager dans la Voie du milieu » (dBu-ma dgongs-pa rab-gsal) de Chandrakirti et son Essence de l'excellente explication des sens interprétable et définitif (Drangs-nges legs-bshad snying-po). Si nous examinons ces cinq textes de Tsongkhapa, nous verrons à quel point ses explications sont claires. L'essentiel est, bien sûr, de pouvoir comprendre la vision correcte du vide, et pour cela il est nécessaire de développer une réserve abondante ou réseau de force positive à partir d'actions constructives. C'est à partir de cette quantité abondante et en s'appuyant sur des mentors spirituels pleinement qualifiés ainsi que sur les textes valides appropriés que nous serons en mesure de comprendre correctement le vide.

Ce texte de Namkapel, disciple de Tsongkhapa, a été élaboré conformément à LEntraînement de l'esprit en sept points de Chekawa. Il contient des explications détaillées sur les deux premiers points : les préliminaires et la méthode d'entraînement aux deux bodhichittas, relative et profonde, tandis que les cinq autres points sont expliqués dans une forme quelque peu annexe. Ces points sont : transformer les circonstances adverses en une voie vers l’illumination, condenser la pratique en une seule vie, la mesure d’avoir entraîné nos attitudes, les pratiques étroites pour l’entraînement de l’esprit et les points à exercer pour l'entraînement de l’esprit. Ces points sont brièvement abordés dans la prière à la fin du Rituel d'offrande aux maîtres spirituels, le Lama Chopa. Prenons, par exemple, le verset qui dit : « Inspirez-nous pour que, si nous n'avons pas achevé les points de la voie au moment de notre mort, nous renaissions dans des terres pures, soit par le moyen radical du transfert dans l'état parfait du gourou, soit par les instructions d’application correcte des cinq forces ». Ce verset fait référence au fait de condenser la pratique en une seule vie, et plus particulièrement à la discussion sur l'application des cinq forces au moment de la mort.

Hier, nous avons abordé la détermination et la reconnaissance de l'objet à réfuter dans le texte de Namkapel. Aujourd'hui, nous allons discuter de l'absence d'existence dûment établie des personnes, puis de tous les phénomènes, et enfin du fait de voir tout ce qui existe comme une illusion.

L'absence d'existence dûment établie des personnes

Examinons maintenant l'absence d'existence dûment établie des personnes. L'objet visé par l'esprit dans cette méditation est le soi ou le « moi » existant de manière conventionnelle. Les principes diffèrent légèrement d'une école bouddhique à l'autre. Certaines affirment que l'esprit vise les cinq agrégats en tant que « moi » conventionnel ou seulement certains agrégats, en particulier celui de la conscience. D'autres affirment que l'esprit vise la conscience de base qui englobe tout ou alayavijnana en tant que « moi » conventionnel.

Toutes ces écoles affirment que l'existence d'un « moi » ne peut pas être établie simplement comme quelque chose de totalement imputé, mais qu'il est nécessaire qu'il y ait une base ayant les caractéristiques définissant un « moi », c’est-à-dire quelque chose de trouvable par l'analyse ultime. Elles disent donc que la conscience, ou la conscience de base, est quelque chose qui peut être trouvé par l'analyse ultime comme ayant les caractéristiques définissant un « moi ». À l’inverse, dans notre tradition, l’école Prasangika, nous n'affirmons pas qu'une base puisse avoir les caractéristiques définissant un « moi ».

Dans l’école Prasangika, bien que nous visions le réseau des cinq agrégats, nous ne considérons pas ce réseau comme la base ayant les caractéristiques définissant un « moi », mais plutôt comme une simple base permettant d'étiqueter un « moi ». Le « moi » conventionnellement existant n'est que l'objet référent du nom « moi » étiqueté sur cette base d'étiquetage. C'est simplement ce à quoi le nom « moi » fait référence sur la base de ce réseau. Plus précisément, la base d'étiquetage du « moi » est soit le réseau des cinq agrégats de notre expérience, soit la continuité de ces agrégats de notre expérience. Ce sont les bases d’étiquetage, en fonction desquelles nous étiquetons un « moi ». Sur cette base, l'existence conventionnelle du « moi » ne peut être établie que comme ce à quoi le nom « moi » fait référence.

La base d'étiquetage du « moi » peut être les cinq éléments, les cinq agrégats, etc., mais le « moi » n'est aucun de ces facteurs individuels, pas plus qu'il n'est la collection ou le réseau de ces facteurs. Il est introuvable. Lorsque nous disons ou pensons « moi », le nom « moi » fait référence à quelque chose d'étiqueté sur la base du corps, de l'esprit, et ainsi de suite, mais il n’est pas le même qu’aucune de ces bases d'étiquetage, pas plus que leur collection ou réseau.

Lorsque nous essayons d'analyser cela, nous demandons si le « moi » vient du côté du corps ou s'il vient du côté des vêtements que nous portons, ou encore du côté de notre esprit. Nous ne pouvons trouver un « moi » ou les caractéristiques définissant un « moi » dans aucun d'entre eux. Par exemple, si nous analysons Tenzin Gyatso, est-il son corps ? Non, il ne l'est pas. Est-il son esprit ? Non, il n'est pas spécifiquement son esprit. Peut-il exister séparément de son corps ? Non. Peut-il exister séparément de son esprit ? Non plus. La personne « Tenzin Gyatso » existe bel et bien, c’est bel et bien une personne, c’est bel et bien un Tibétain, originaire de l’Amdo, il est moine, et il est pleinement ordonné. Toutes ces choses sont vraies. Mais si nous devions nous demander qui est cette personne ? Qui est ce moine ? Ce n'est ni son corps, ni son esprit. Bien sûr, il existe, mais lorsque nous essayons de montrer qui il est, nous nous apercevons qu'il n'y a rien que nous puissions pointer comme tel.

Il en va de même pour les fleurs, les vases, les tables, etc. Sur la base de toutes leurs parties et de la continuité de leurs parties, nous avons l'objet [la base de désignation] qui peut être étiqueté. Mais nous ne pouvons pas dire que chacun de ces objets est en fait la collection complète de ses parties ou de ses parties individuelles. C'est sur la base de l'ensemble de ces éléments que nous pouvons étiqueter l'objet, une fleur, un vase ou une table, et établir leur existence. Lorsque nous disons qu'il n'y a rien que nous puissions désigner comme étant le référent réel de la « chose » correspondant au nom, cela ne signifie pas que l'objet n'existe pas réellement ou qu'il n'existe pas du tout.

Lorsque nous disons que son existence ne peut être établie en lieu et place où nous imaginons qu'il existe, qu'est-ce que cela signifie ? Cela signifie qu'il existe toutes sortes de circonstances, de conditions et de causes et que l'objet apparaît en dépendance de tout cela. Par conséquent, son existence n'est pas établie de son propre côté, comme si l'objet se tenait debout tout seul, sans être lié à tous ces autres facteurs dont il dépend. Ce dont l'objet dépend surtout, ce sont des noms et des concepts qui s'y réfèrent. Son existence ne peut être établie qu'en termes de ce qui peut être étiqueté mentalement par un esprit valide.

Tous ces termes techniques : l'existence établie du côté de quelque chose, l'existence établie par la nature propre de quelque chose, l'existence établie par les caractéristiques définissables de quelque chose, ont la même signification. Lorsque nous analysons le sens commun de ces termes pour essayer de comprendre que l'existence de tous les phénomènes ne peut être établie qu'en fonction de ce que les étiquettes mentales désignent, il est beaucoup plus facile de comprendre ce à quoi le « moi » se réfère. En effet, il est évident que le « moi » est étiqueté sur une collection d’agrégats. Une personne est donc simplement ce qui peut être étiqueté sur une base de désignation, mais l'existence de l'objet référent de cette étiquette ne peut être établie ni du côté de cet objet référent, ni du côté de sa base d'étiquetage. Si l'on considère ce qu'est l'objet de l'inconscience (ignorance) automatique, il s'agit dans ce cas d'une personne ou d'un « moi » qui semble simplement apparaître, surgir, comme si son existence était établie d’elle-même, de son propre chef. Il en va de même pour les vases, les fleurs, les tables, etc. Leur existence semble être établie d'une manière complètement dissociée du fait d'être simplement ce à quoi les noms et les étiquettes mentales se réfèrent.

Afin de voir comment ce « moi » à réfuter nous apparaît réellement, nous pouvons examiner les moments où nous sommes dans un état émotionnel fort et où nous pensons « moi », « mon », etc. Dans ces occasions, le « moi » à réfuter nous apparaît comme la base d'un grand attachement et d'une grande hostilité, et nous pouvons donc le reconnaître plus facilement à ce moment-là.

Le texte se poursuit en réfutant un « moi » dûment existant du point de vue d'un « moi » qui, si son existence était établie indépendamment de son propre côté, devrait être établi comme existant soit comme « un » soit comme « multiple » avec sa base d'étiquetage. [Être « un » signifie que le « moi » serait totalement identique à sa base. Dans ce cas, la base d'étiquetage et l'objet référent de l'étiquette devraient être la même « chose » trouvable. Être « multiple » signifie que le « moi » serait quelque chose de totalement différent de sa base, de sorte que le « moi » et sa base seraient plusieurs « choses » trouvables totalement différentes et sans rapport.]

Le texte présente ensuite diverses conclusions absurdes qui s'ensuivraient dans l'un ou l'autre cas. Si le « moi » était un avec sa base d'étiquetage, les deux devraient toujours être identiques, ils ne pourraient jamais être séparés. S'il était différent ou « multiple » par rapport à sa base d'étiquetage, alors, puisqu'il existe de nombreuses bases d'étiquetage du « moi », il devrait y avoir de nombreux « moi » différents. Nous pouvons trouver toutes ces lignes de raisonnement dans les textes classiques, tels que S'engager dans la Voie du milieu de Chandrakirti.

Le « moi » est également décrit comme ce qui provient de nombreuses vies passées. Si le « moi » n'avait aucun lien avec la continuité des expériences des vies antérieures, tout le processus de cause à effet ne pourrait pas fonctionner. Le « moi » de cette vie ferait l'expérience des résultats d'actions commises par quelqu'un de totalement sans rapport au passé. Si tel était le cas, ce qui nous arrive serait chaotique. Puisque nous pourrions faire l'expérience des résultats des actions de n'importe qui. N'importe quoi pourrait nous arriver. Or, il n’en est pas ainsi.

L'absence d'existence dûment établie de tous les phénomènes

Jusqu'à présent, nous avons abordé la question de la saisie de l'existence dûment établie d'un « moi ». Le texte examine maintenant la recherche de l'existence dûment établie d'un « mien », autrement dit, de ce qu'un « moi » pourrait expérimenter ou posséder. Il s'agit de la recherche de l'existence dûment établie de tous les phénomènes.

Pour aborder la question de l'absence d'une identité ou d'une « âme » dûment établie de tous les phénomènes, le texte utilise le même argument du « ni un ni multiple » et décrit comment l'existence des choses ne peut être établie que comme ce qui peut être étiqueté sur la collection de leurs parties, de leurs causes, etc. Le texte traite ensuite la relation entre un tout et ses parties, notamment grâce à la coproduction conditionnée. Les choses sont liées les unes aux autres parce que leurs différentes parties et causes sont liées et dépendantes les unes des autres, et c'est ainsi que les résultats apparaissent.

La coproduction conditionnée signifie que les phénomènes apparaissent parce qu’ils dépendent de divers autres phénomènes. Pour que cela fonctionne, il est nécessaire qu’ils soient dépourvus d'existence indépendante dûment établie. Si les choses avaient une existence indépendante dûment établie par elles-mêmes, elles seraient capables d’être complètement autonomes. Si elles l’étaient, elles n'auraient pas à dépendre ni à avoir de relation avec quoi que ce soit d'autre. Dans ce cas, elles ne pourraient pas non plus entrer en contact avec d'autres phénomènes de manière dépendante, puisqu’elles seraient totalement autosuffisantes. De même qu'une image dans un miroir ne naît pas d'elle-même, les choses ne peuvent pas naître sans dépendre de certaines circonstances.

Prenons l'exemple d'un homme qui marche avec une canne. S'il marche avec une canne, c’est qu’il ne peut pas se tenir debout tout seul. Autrement dit, son existence du fait d’être debout ne peut être établie qu'en fonction de son appui sur une canne. Ces deux possibilités s'excluent donc mutuellement. Le fait d’être debout ne peut être établi que de manière indépendante ou dépendante de son appui sur une canne.

De la même manière, l’existence de tous les phénomènes ne peut être établie que de manière indépendante ou dépendante d'autres phénomènes. [Ces deux possibilités qui s'excluent mutuellement forment une dichotomie : les choses ne peuvent être que l'une ou l'autre, et non les deux ou ni l'une ni l'autre.] Par exemple, si nous divisons tous les phénomènes en deux catégories, humain ou non-humain, alors tous les phénomènes doivent être inclus dans l'une de ces catégories, soit humain, soit non-humain. Mais si nous divisons les phénomènes dans les catégories humain et vase, cela ne couvre pas tous les phénomènes existants, parce qu'il y a des choses qui ne sont ni humaines ni vases. [Ainsi, bien que l'humain et le vase s'excluent mutuellement, rien ne peut être à la fois humain et vase, ils ne forment pas une dichotomie.]

Tout comme dans notre exemple de division des choses en humain et non-humain, ce qui comprend tous les phénomènes, les phénomènes sont soit dépendants d'autres choses, soit non dépendants d'autres choses ; il n'y a que ces deux possibilités. Si l'existence d'une chose ne peut être établie qu'en fonction d'autres choses, cela revient à dire qu’elle ne peut être établie que de manière dépendante. En revanche, si nous déterminons que l'existence des choses peut être établie d’elle-même, par son propre pouvoir, sans dépendre de quoi que ce soit d'autre, les choses ont alors une existence indépendante dûment établie. Il n'y a donc que deux possibilités : comme pour l'humain ou le non-humain, les choses ne peuvent être que l'une ou l'autre.

Lorsque nous réfutons ou démentons le fait que l'existence des choses puisse être établie de manière indépendante, déconnectée de toute autre chose, il ne nous reste plus qu'une seule possibilité : l’existence des choses ne peut être établie qu'en fonction d'autres choses, c'est-à-dire en fonction des noms et des concepts qui les désignent.

Prenons par exemple le mot « milieu ». Ce mot ne peut être compris que comme faisant référence à quelque chose qui n'est ni à gauche, ni à droite. L'existence d'un « milieu » ne peut être établie qu'en relation avec quelque chose qui n'est ni d'un côté ni de l'autre. De même, lorsque nous parlons du Madhyamaka, la « Voie du milieu », nous entendons par là une position qui est établie du fait de n’être ni l'un ni l'autre des deux extrêmes, le nihilisme et l’éternalisme. Lorsque l'existence des choses ne peut être ni établie de manière indépendante, ce qui les rendrait éternelles puisqu'elles ne pourraient pas être affectées par des causes pour naître ou périr, ni établie du tout, ce qui rendrait toute chose totalement inexistante, alors, il nous reste une « voie médiane » entre ces deux extrêmes. Nous savons alors que l'existence des choses ne peut être établie qu'en fonction d'autres choses. Ainsi, le vide, c’est-à-dire l’absence totale de moyens impossibles d'établir l'existence des choses, n'est ni quelque chose d'absurde simplement inventé par l'esprit, ni un concept nihiliste qui nie tout.

Les deux types de méditation sur le vide

Il existe deux types de méditation sur le vide (vacuité) : la méditation analytique ou de discernement et la méditation de stabilisation, dans laquelle nous concentrons notre attention sur le vide. Tout d'abord, nous devons déterminer le vide, c'est-à-dire que nous devons parvenir à une compréhension claire de ce dont il s’agit. On parle alors d'une compréhension qui discerne le vide. Ensuite, nous devons stabiliser cette compréhension en focalisant notre attention en un seul point sur le vide, l'absence totale de l'objet à réfuter. Nous parvenons à une compréhension claire et discernons ensuite l'absence totale de l'objet à réfuter en nous appuyant sur un raisonnement logique et les textes qui présentent les cinq lignes de raisonnement à utiliser.

Il est important que notre compréhension prenne la forme de ce que l'on appelle un « phénomène de négation non implicative ». Il s'agit d'une négation ou d'une réfutation du type « il n’existe rien de tel », qui signifie qu'une fois que l'on a exclu ou réfuté l'objet à réfuter, il ne reste plus rien dans son sillage. Autrement dit, il ne reste plus rien d’implicite à son sujet. Ainsi, nous comprenons de manière claire que l'objet que nous réfutons n'existe pas.

Il ne s'agit pas d'un phénomène de négation implicative, c'est-à-dire d'une réfutation du type « ce n'est pas ceci » ou « ce n'est pas cela ». Une telle négation implique une possibilité alternative laissée derrière la négation. La réfutation claire avec le vide, ici, est que « cela n'existe pas du tout », ce qui ne laisse aucune autre possibilité après elle.

Ensuite, le texte souligne que si nous n'avons pas bien identifié l'objet à réfuter, lorsque nous disons que l’existence de l’objet est impossible et n'existe pas du tout, nous ne sommes pas dans un état d'esprit très clair. En effet, nous n'avons pas encore pleinement défini et compris ce que nous affirmons ne pas exister du tout.

De plus, lorsque nous concentrons notre attention sur l'absence totale de ce qui n'existe pas du tout, il est nécessaire de le faire en pleine conscience et en toute vigilance, en suivant toutes les instructions pour développer shamatha, un état d'esprit calme et serein. Pour cela, nous devons identifier clairement les niveaux grossiers et subtils du relâchement, de l'agitation et du vagabondage mental. Nous devons les identifier correctement afin d'éliminer ces défauts qui nous empêchent d'être totalement focalisés sur l'objet de notre concentration. Cet objet est l'absence totale de l'objet à réfuter, et cet objet à réfuter est un mode d’existence totalement impossible.

Le texte de Namkapel parle ensuite des six forces et des neuf étapes pour calmer l'esprit, des cinq types d'attention, etc., qui sont également expliqués dans les textes sur le développement de cet état d'esprit calme et serein. Lorsque nous sommes capables de focaliser notre concentration dans un tel état, sans aucun défaut, après avoir franchi les neuf étapes du calme mental, nous faisons l'expérience d'un état de flexibilité totale du corps et de l'esprit, avec un sentiment exaltant de légèreté. Lorsque nous parvenons à un tel état de légèreté complète du corps et de l'esprit, nous sommes en mesure d'appliquer notre esprit calme et serein à n'importe quel type de concentration d’absorption. Cet état d’esprit, que l’on appelle shamatha, un esprit calme et serein, est extrêmement significatif et je ne saurais trop insister sur l’importance de l’atteindre. C'est la meilleure forme de concentration d’absorption, en particulier lorsqu'elle est acquise en relation avec les méthodes du tantra.

Nous parlons toujours des deux façons dont les enseignements bouddhiques sont indiqués : les indications scripturales et les indications provenant des réalisations. Il existe de nombreuses indications scripturales, mais il est important d'obtenir des réalisations des enseignements sur notre propre continuum mental et d'atteindre de manière concrète shamatha, un esprit calme et serein, ainsi que vipashyana, un esprit exceptionnellement perceptif. Avec ces deux éléments, fondés sur les indications scripturales, nous serons en mesure de générer toutes les bonnes qualités dont parlent les textes et nous réaliserons vraiment ces enseignements sur notre continuum mental.

Vipashyana est un état d'esprit exceptionnellement perceptif, induit par une légèreté physique et mentale que nous obtenons non seulement en ayant l'esprit totalement concentré grâce à shamatha, mais aussi induit par l'esprit ayant une conscience discriminante. Autrement dit, nous obtenons cette vivacité non seulement parce que l'esprit est capable de se concentrer parfaitement sur n'importe quoi, mais aussi parce qu'il est capable de discriminer correctement n'importe quoi. Ainsi, lorsque nous atteignons ce deuxième sentiment particulier de vivacité, un état conjoint de shamatha et de vipashyana, notre esprit sera à la fois calme, serein et exceptionnellement perceptif.

Voir tout ce qui existe comme une illusion

À partir de ces états d'esprit calme et serein, il est possible de focaliser notre concentration dans des états d'esprit de plus en plus subtils, en essayant d'atteindre les niveaux de shamatha des plans d'existence supérieurs. Ces plans supérieurs sont le plan des formes éthérées et le plan des êtres sans forme. Le texte poursuit en indiquant toutefois que le fait d'avoir simplement atteint un état d'esprit non conceptuel ne nous permettra pas, lorsque nous sortirons de cet état, de voir tous les phénomènes comme des illusions en tant que résultat consécutif à notre réalisation ou accomplissement. Percevoir les choses « simplement de manière non conceptuelle » signifie les connaître non seulement sans passer par une catégorie conceptuelle, mais aussi sans comprendre qu'elles n'ont pas d'identité ou d' « âme » dûment établie. Le fait de sortir d'un tel état de simple non-conceptualité n'entraîne pas une réalisation ou un accomplissement ultérieur dans laquelle nous voyons toutes les choses comme une illusion.

En revanche, si nous pouvons percevoir les choses d'une manière non conceptuelle comme étant dépourvues d'existence ou d'identités auto-établies, alors lorsque nous émergeons de cet état, nous pouvons par la suite voir tout phénomène comme une illusion. Si nous n'avons pas cette compréhension, lorsque nous sortons de notre absorption méditative, nous pouvons tomber dans un état de nihilisme, dans le sens où nous réfutons tous les phénomènes, même leur existence conventionnelle.

Dans la section vipashyana du Grand Traité de la voie progressive, il y a une grande discussion sur la façon dont nous parvenons à comprendre que tout existe comme une illusion. Par exemple, supposons que notre compréhension du vide soit que les choses sont simplement constituées d'un ensemble de parties et ne peuvent être trouvées en tant que tout. Même si nous sommes capables de voir les choses comme cela de manière non conceptuelle, néanmoins, sans comprendre le vide dans le sens où tout apparaît en dépendance d’un étiquetage mental, nous n'allons pas réaliser pleinement que les choses existent comme une illusion. Afin de comprendre clairement que les choses existent ainsi, il est nécessaire de les voir grâce à la coproduction conditionnée, leur émergence étant dépendante d'un simple étiquetage mental. Ce n'est que lorsque nous voyons le vide grâce à la coproduction conditionnée que nous pouvons obtenir les deux réalisations conjointes : la réalisation du vide semblable à l’espace de toute chose, et le fait que toute chose est conventionnellement comme une illusion.

Dans la méditation dzogchen [dans laquelle il n'y a pas de différenciation entre l'absorption totale de la conscience pure, rigpa, et l'atteinte ou la réalisation consécutive], alors que nous sommes totalement absorbés sur l'absence totale de l'objet à réfuter, les apparences des choses surgissent en fait spontanément. Elles apparaissent toutefois en fonction de notre compréhension du vide comme étant coproduction conditionnée. De cette façon, nous voyons les choses exister comme une illusion dans la pratique du dzogchen également.

Conclusion

Ceci conclut l’explication de Namkapel de LEntraînement de l'esprit en sept points de Chekawa.

Le texte se conclut par les louanges de la bodhichitta et de la lignée d’Atisha, qui a combiné les lignées de Maitreya et de Manjushri ainsi que la lignée de Shantideva. Viennent ensuite les louanges aux enseignements et, les différents commentaires de ce texte font des louanges à l'auteur, un disciple de Tsongkhapa appelé Namkapel.

[L'édition de Togmé Zangpo se termine par le verset supplémentaire suivant : « Depuis l'éveil des restes karmiques résultant d'un entraînement antérieur, mon admiration (pour cette pratique) s’est décuplée. Pour cette raison, ignorant la souffrance et l'insulte, j'ai demandé les instructions de la ligne à suivre pour maîtriser le chérissement de soi. Aujourd'hui, même si je meurs, je n'ai aucun regret. » L'édition de Pabongka se termine également par ce verset, mais omet sa première ligne : « De l'éveil des restes karmiques résultant d'un entraînement antérieur ». L'édition de Namkapel ne contient pas ce verset.]

Nous avons maintenant terminé la transmission de LEntraînement de l'esprit pareil aux rayons du soleil. Ce texte sur les méthodes qui nous conduiront à devenir parfaitement heureux est très bénéfique pour l'esprit. J’ai souvent l'impression et je dis aux gens que je dois être la personne la plus heureuse du monde. C'est à moitié dû à la position de Dalaï-Lama que j'occupe mais l’autre moitié est certainement le fruit de l'entraînement à l'attitude que je suis, qui me donne le bonheur et le courage d'affronter toutes les difficultés que je porte sur mes épaules. Les mesures préventives du Dharma sont des mesures que nous prenons réellement, que nous pratiquons. Nous ferions toutes et tous bien d'y consacrer tous nos efforts.

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