Développer l'amour et la compassion
Nous savons que les résultats de nos entreprises dans le monde matériel ne s’obtiennent pas immédiatement, en un tour de main. Au contraire, nous devons travailler progressivement, par étapes. C'est également le cas pour le travail sur l'esprit et sur nos attitudes. Pour les améliorer, nous devons procéder par étapes. Par exemple, si nous avons beaucoup de colère, nous devons d'abord apprendre à la reconnaître, puis essayer de voir tous ses inconvénients, en réalisant que, quel que soit le point de vue, la colère est préjudiciable.
Si nous avons beaucoup de colère et que nous ne nous sommes pas entraînés correctement, lorsque nous essayons d'appliquer les quatre forces d’opposition, nous y mettons trop de force et nous ne sommes pas en mesure de la gérer efficacement. Comme le disent les psychologues et les psychiatres occidentaux, si nous essayons de réprimer notre colère, cela créera beaucoup de frustration et de dégâts. Ils suggèrent plutôt d'essayer de libérer cette colère de manière plus détendue afin d'éviter les problèmes liés à la colère refoulée.
Dans une certaine mesure, je pense qu'ils ont raison, car dans certaines circonstances dans lesquelles nous ne sommes pas encore prêts à appliquer les antidotes pour nous en débarrasser, tout en faisant une distinction entre le sentiment de colère et le sentiment d’arrogance, il nous faut évacuer notre colère de manière pacifique. Il s’agit donc de deux cas distincts. Dans le premier, si nous n'évacuons pas la colère et ne libérons pas cette énergie, nous nous retrouvons avec beaucoup de problèmes. Dans le second, le fait d'évacuer la colère ne fait que renforcer la mauvaise habitude de l’encourager et d’y céder. Je pense qu'il faut distinguer les circonstances pour chacune de ces deux situations et, bien sûr, il est toujours préférable de contrôler notre colère et notre arrogance. Nous devons apprendre à ne pas les laisser s'exprimer, mais à nous en occuper de l’intérieur sans nous créer d'autres difficultés.
L'une des principales méthodes consiste à penser au sentiment opposé à celui qui est problématique. Par exemple, le sentiment opposé à la colère est l'amour pour autrui. Ainsi, si nous nous mettons en colère contre quelqu'un, nous pouvons essayer de ressentir une préoccupation sincère et aimante pour cette personne. Au fur et à mesure, nous allons nous rendre compte des avantages d’adopter une attitude bienveillante et des inconvénients de la colère, et c'est ainsi que nous pourrons appliquer cet antidote.
Même si nous ne sommes pas en mesure d'appliquer le sentiment opposé au moment voulu, dans ce cas l'amour, plus nous nous familiarisons avec les inconvénients et les préjudices de la colère, plus nous constaterons que sa force diminuera progressivement lorsque des situations où nous commençons à nous mettre en colère se présenteront. Nous passons ainsi par différentes étapes pour être en mesure de gérer et de nous débarrasser de la colère.
Il en va de même pour le développement de la compassion envers autrui. Avant d'éprouver de la compassion pour les autres et de souhaiter qu'ils soient libérés de leurs problèmes, nous devons d'abord penser aux nôtres, au fait que nous ne voulons pas les avoir et à la façon dont nous aimerions nous en débarrasser. Nous pourrons alors développer de l’empathie et de la compassion pour les autres en nous appuyant sur nos propres sentiments, issus de notre propre expérience. Tous ces états d'esprit positifs sont des choses que nous développons progressivement, par étapes.
Si nous disons que nous souhaitons que quelqu’un d’autre soit libre de problèmes et de souffrances, et si nous ne reconnaissons pas les difficultés liées à nos propres problèmes et souffrances, comment pouvons-nous développer un souhait sincère pour que les autres se libèrent des leurs ? En observant quelqu'un qui est heureux et satisfait, il est assez difficile de développer un sentiment de compassion pour lui, le souhait qu'il soit libéré de ses problèmes. En revanche, si nous voyons quelqu'un qui éprouve manifestement des difficultés, il est beaucoup plus facile de développer de l’empathie et ce souhait à son égard. Bien sûr, cela repose sur notre propre compréhension et sur notre propre expérience de ce qu'est un problème.
La compassion pour quelqu’un est en fait un type d'attitude qui peut être envisagé de deux manières. Si elle est dirigée vers quelqu'un d'autre, il s'agit d’empathie et de compassion. Si elle est dirigée vers nous-mêmes, il s'agit de ce que nous appelons la « détermination à se libérer de nos problèmes » ou le « renoncement ». Dirigé vers soi-même, le souhait d’être libre de la souffrance et des problèmes est le renoncement, tandis que ce même souhait pour les autres est la compassion.
Lorsque nous pensons à la souffrance, comme le fait de renaître dans certains des pires états de renaissance tels que les royaumes sans joie et ainsi de suite, il ne faut pas supposer qu'il s'agit de quelque chose d'éloigné et de fantaisiste qui n'a aucun rapport avec nous, ou qu'il n'est pas nécessaire de s'en préoccuper. Nous devons réaliser que les causes pour renaître dans les pires états de renaissance, c’est-à-dire tous les différents types de potentiels négatifs, sont développées et stockées dans notre propre continuum mental. En fonction des potentiels négatifs présents dans notre propre esprit, il est fort possible que nous tombions à tout moment dans l'un des pires états de renaissance. Il est donc très important de penser à la causalité comportementale.
Nous devons réfléchir à la chance que nous avons d'avoir une précieuse renaissance humaine, une précieuse vie humaine pourvue de libertés et de loisirs abondants pour nous développer spirituellement. Il est très important de ne pas gâcher cette occasion en or. Il nous faut donc penser en premier lieu à notre précieuse vie humaine, à la difficulté de l'obtenir et à la facilité de la perdre. Et puisque nous pouvons mourir à tout moment sans pouvoir le prévoir, cela nous amène à penser à la mort et à l'impermanence. Nous restons donc fortement conscients des quatre nobles vérités : la nature des véritables souffrances, leurs véritables origines, la possibilité d'obtenir une véritable cessation de ces souffrances, ainsi que les véritables cheminements de l’esprit que nous pouvons développer pour y parvenir. C'est ainsi que nous tirons profit de cette vie précieuse, en nous entraînant et en développant tous ces états d'esprit.
Résumé
La raison pour laquelle ce texte s'appelle L’Entraînement de l’esprit en sept points est qu’il est un entraînement pour que nous développions nos attitudes. Les sept points sont les suivants :
- Les préliminaires
- La méthode d'entraînement aux deux bodhichittas, relative et profonde
- Transformer les circonstances adverses en voie d’illumination
- Condenser la pratique en une seule vie
- La mesure d’avoir entraîné nos attitudes
- Les pratiques étroites pour l'entraînement de l'esprit
- Les points à exercer pour l'entraînement de l'esprit
Nous en avons fini avec les préliminaires et nous allons maintenant parler du développement de la bodhichitta. Pour résumer ce qui a été dit hier, nous avons été jusqu'à présent sous la forte influence de l'égoïsme, ne chérissant que nous-mêmes. Cette préoccupation égoïste, qui implique également la saisie d’un soi dûment établi, est également à l'origine de tous les problèmes que nous avons connu depuis des temps sans commencement. Tous ont été provoqués par notre propre égoïsme. Si une personne est extrêmement égoïste, peu importe le temps et l'énergie qu'elle consacre aux activités religieuses, elle sera toujours considérée comme une personne indifférente à autrui et ne pourra faire aucun progrès spirituel. Lorsqu'une telle personne décède, tout le monde est soulagé qu'elle nous ait quittés, car elle était terriblement autocentrée. Ainsi, même si nous ne pensons qu’à cette vie, si nous sommes égoïstes, tout le monde nous considérera comme quelqu’un de grossier et personne ne s'intéressera à nous, alors que si nous sommes désintéressés et que nous nous occupons constamment des autres, nous serons considérés comme quelqu'un de bien.
Si nous sommes tombés dans un état de renaissance infortunée, par exemple en tant qu’animal, seules les préoccupations égoïstes qui ont causé une telle chute peuvent être montrées du doigt. En fin de compte, toute situation difficile peut toujours être attribuée à la préoccupation égoïste et au chérissement de soi. Cela concerne également les êtres hautement réalisés qui ne sont pas en mesure d'atteindre l'illumination en raison de leurs préoccupations égocentriques. Tout le potentiel constructif et bénéfique, qu'il s'agisse d'atteindre une renaissance humaine ou divine, ou de parvenir à la libération et à l'illumination, provient de l'intérêt porté aux autres.
Toutes les bonnes choses de cette vie même sont également dues au fait d’avoir un cœur bon et chaleureux. Si nous sommes une personne attentionnée, qui se soucie sincèrement des autres, les choses se passent bien pour nous dans cette vie. Il est donc important, quelle que soit la situation dans laquelle nous nous trouvons, de ne pas nous préoccuper de notre propre sort, mais de penser constamment à tout le monde. Cela est mentionné dans le texte : le souci des autres est le fondement de toutes les bonnes qualités.
Reprenons les points principaux : en réfléchissant aux inconvénients du chérissement de soi et de l'égoïsme ainsi qu’aux avantages de se préoccuper d’autrui, nous visons à développer l'amour chaleureux grâce auquel nous chérissons tous les êtres et nous sentons profondément concernés par leur bien-être. Sur cette base, nous nous entraînons à donner notre bonheur aux autres avec l’intention bienveillante qu'ils soient heureux, et nous prenons en charge leurs problèmes et leurs souffrances avec un cœur compatissant et plein d’empathie. Bien qu'il soit très difficile de réellement prendre en charge les problèmes des autres et de les en soulager, si nous développons ces attitudes par des visualisations combinées à la respiration, nous finirons par développer le potentiel nécessaire pour être en mesure de prendre en charge les problèmes des autres et de les guérir. Cette pratique s’appelle « prendre et donner », « tonglen », prendre sur soi les problèmes des autres et leur donner le bonheur.
Transformer les circonstances adverses en une voie vers l'illumination
Nous sommes toutes et tous confrontés à des circonstances difficiles, qu'elles soient extérieures ou intérieures. Par exemple, nous, Tibétains, avons clairement connu de nombreuses difficultés. C'est particulièrement vrai pour celles et ceux d'entre nous qui se trouvent aujourd’hui au Tibet, car le danger et la peur d'être arrêté et exécuté à tout moment pèsent sur chacun d’eux.
Le premier point nous dit que dans de telles situations, quand nous avons des attitudes d'hostilité ou d'attachement, ou même lorsque nous nous fermons et devenons étroits d'esprit, nous devons développer des attitudes qui nous permettront de transformer ces circonstances en opportunités de progrès spirituel. L'un des moyens consiste à prendre sur soi l'hostilité, l'attachement et l’étroitesse d’esprit ignorante des autres, à y faire face et à s'en débarrasser pour le bien de tous. De cette manière, nous transformons les circonstances défavorables en circonstances positives.
[Ici, l’explication de Namkapel de l'édition de Togmé Zangpo est un commentaire de la ligne « Quand l'environnement et ses habitants sont pleins de forces négatives, transformez les conditions défavorables en une voie vers l’illumination ». Namkapel a déplacé la seconde partie de la ligne de l'édition de Togmé Zangpo, « En excluant une chose comme la cause de tout blâme et en méditant avec une grande bonté envers tout le monde », à la section précédente concernant les inconvénients du chérissement de soi et les avantages du chérissement d'autrui. L'édition de Pabongka suit celle de Namkapel.]
Quel que soit le type de problème que nous rencontrons, qu'il soit physique ou mental, il est utile d'essayer de prendre sur nous les problèmes des autres et de penser : « Que la souffrance des autres cesse et que, grâce à mes souffrances, plus personne n'ait à souffrir à nouveau. » Nous pouvons considérer les difficultés que nous rencontrons comme étant le résultat de nos propres potentiels négatifs développés dans le passé, et non comme provenant d'une source extérieure. Maintenant qu'ils mûrissent, nous pouvons être heureux de nous en débarrasser et de souhaiter que les potentiels négatifs des autres mûrissent ainsi sur nous. De cette manière, tout le monde sera débarrassé du danger possible de faire l'expérience de ces souffrances résultant de potentiels négatifs.
Lorsque nous connaissons des conditions et des circonstances favorables, nous pouvons voir qu'elles sont le résultat de potentiels positifs que nous avons accumulés dans le passé et nous en réjouir, en pensant : « Je dois accumuler encore plus de potentiels positifs afin qu'à l'avenir il y ait encore plus de circonstances favorables pour moi et pour les autres. » Il est important de ne pas tomber dans l'orgueil ou l'arrogance, ni de se vanter lorsque les choses vont bien pour nous. Au contraire, cela doit nous encourager à développer un potentiel encore plus positif afin de ne pas épuiser nos réserves. C'est ainsi que l'on peut transformer des conditions négatives en conditions positives par la pensée.
[Le texte de Namkapel omet la ligne suivante de l'édition de Togmé Zangpo concernant la façon de transformer les circonstances défavorables par notre vue de la réalité : « Méditer sur le vide des apparences trompeuses, comme les quatre corps-de-bouddha, est l’ultime protection. » Pabongka omet également cette ligne. Au lieu de cela, Namkapel, ainsi que Pabongka, ajoutent la ligne « et soumettre instantanément à la méditation tout ce que je pourrais rencontrer » à la fin de la ligne « Lorsque l'environnement et ses habitants sont pleins de forces négatives, transformer les conditions défavorables en une voie vers l’illumination ». Dans l'édition de Togmé Zangpo, cette ligne, « et soumettre instantanément à la méditation tout ce que je pourrais rencontrer », suit la ligne suivante dans les éditions de Namkapel et de Pabongka : « la méthode suprême comporte quatre actions à mettre en œuvre ».]
Le deuxième point nous montre comment transformer les circonstances adverses en circonstances positives avec quatre types d'actions à mettre en œuvre :
- La première action consiste à accumuler davantage de force positive. Quelles que soient les circonstances négatives difficiles qui surviennent, cela nous incite à développer davantage de potentiels positifs afin que ni nous ni personne d'autre n'ait à connaître de telles circonstances difficiles. Nous faisons des offrandes vers le haut, aux bouddhas et aux êtres éveillés, et vers le bas, à tous les êtres limités, en leur donnant ce dont nous sommes capables. De cette manière, nous accumulons davantage de force positive. La première action pour transformer les circonstances négatives en circonstances positives consiste donc à s’inspirer de ces dernières pour faire quelque chose de positif.
- La deuxième action consiste à nous purifier du potentiel négatif. Nous y parvenons en reconnaissant ouvertement les torts que nous avons commis et en appliquant les diverses forces d’opposition, principalement des sentiments de grands remords et de grands regrets. Même si nous avons accumulé par le passé un énorme potentiel négatif, comme Milarépa, si nous éprouvons de grands remords et de grands regrets à ce sujet, si nous admettons ouvertement nos fautes et appliquons les forces d’opposition appropriées, nous sommes en mesure de nous purifier de ces potentiels négatifs.
- La troisième action consiste à faire des offrandes aux esprits nuisibles. Si un mal nous arrive et que nous pensons qu'il provient d'esprits nuisibles, nous leur faisons des offrandes d'amour et de compassion. Il est parfois possible que nos difficultés proviennent de ces esprits nuisibles. Nous prenons alors tous leurs problèmes sur nous, gardant à l’esprit qu'ils sont certainement dans une situation très misérable. De cette manière, nous transformons une situation négative en une situation positive.
- La quatrième action consiste à demander l'influence éveillée des protecteurs du Dharma. Nous nous rendons compte que les divers problèmes qui surviennent ne sont que la nature du samsara. Nous demandons donc aux différents protecteurs d'exercer leur influence éveillée afin que nous puissions gérer ces situations et les transformer en situations positives pour notre développement spirituel. Nous leur adressons des requêtes sincères du fond du cœur afin qu'ils nous inspirent à redoubler d'efforts dans l’entraînement de nos attitudes.
En résumé, quel que soit le type de circonstances négatives que nous rencontrons, qu'elles soient internes ou externes, si nous appliquons ces différentes méthodes, nous sommes capables de les transformer en circonstances positives pour notre développement.
Ces points peuvent également être trouvés dans L’Engagement dans la conduite du bodhisattva. Ils sont implicites dans la prière à la fin du texte, où nous prions : « Tant que l’espace durera et qu’il y aura des êtres, puissé-je demeurer afin de les libérer de leurs souffrances. »
Condenser la pratique en une seule vie : les cinq forces
[La ligne commentée ici est la suivante : « En bref, l'essence des enseignements de la quintessence se résume dans l'application des cinq forces. » Elle apparaît également dans les éditions de Togmé Zangpo et de Pabongka.]
Il y a cinq forces pour condenser la pratique en une seule vie, c’est-à-dire cette vie-ci. La première force est l'intention que nous formulons. Nous souhaitons : « Puissé-je toujours être en mesure de développer un objectif de bodhichitta, puissé-je toujours pratiquer l'entraînement de l'attitude, puissé-je toujours être en mesure de développer les bonnes qualités qui me permettront vraiment d’être bénéfique à tous les êtres. » Formuler notre intention, c'est comme se préparer à réaliser ces souhaits. Nous nous disons : « Je vais progresser dans cette bonne direction. Maintenant que j'ai l'opportunité de pratiquer ces vastes véhicules du Mahayana, je vais engager toute ma force et toute mon énergie dans cette voie. »
Afin de pratiquer de cette manière tous les jours, le matin, nous disons en nous réveillant : « Aujourd'hui, j'ai beaucoup de chance de m'être réveillé. Je suis vivant ! J'ai une précieuse vie humaine. Je ne vais pas la gaspiller, mais je vais utiliser toute l’énergie de cette précieuse vie dès maintenant pour développer un objectif de bodhichitta afin d'atteindre l'illumination et être bénéfique à autrui autant que possible. Je vais donc avoir des pensées bienveillantes à l'égard de tous les êtres. Je ne vais pas me mettre en colère ni avoir de mauvaises pensées. Autant que possible, j'utiliserai toute mon énergie pour aider les autres, pour leur être bénéfique. »
Il est très important de définir notre intention de manière très pratique le matin. De même, le soir, nous pouvons examiner nos actions : « Qu'ai-je fait aujourd'hui ? Quel type de personne ai-je été aujourd'hui : ai-je aidé les autres ou me suis-je contenté d'utiliser les autres à des fins égoïstes ? Est-ce que je me suis mis en colère, est-ce que j'ai développé de l'attachement ? » Nous devons examiner honnêtement notre journée pour savoir comment nous nous sommes comportés et quels types d'attitudes nous avons développés au cours de la journée. Si nous constatons que nous avons été une personne aimable et chaleureuse, nous pouvons nous en réjouir et nous sentir heureux et encouragés. Mais si nous avons agi d'une manière très inappropriée, nous devons le regretter, admettre que nous avons mal agi et nous fixer une intention très ferme : « Demain, je n'agirai plus de manière aussi négative. »
Si nous faisons cela chaque jour, nous nous améliorerons progressivement et apprendrons à maintenir ce progrès en prenant la résolution de « bien agir » le jour, le mois et l'année suivants. Une autre manière de continuer de nous améliorer est d’assister à des enseignements comme ceux-ci. On peut alors se fixer une forte intention en se disant : « Aujourd’hui, je vais écouter les enseignements sur l'entraînement de l'attitude et je vais les mettre en pratique autant que possible. »
La deuxième est la force de la graine blanche, que nous créons par cette prière : « Puissé-je atteindre l'illumination pour le bénéfice de tous les êtres. » Cette prière réaffirme notre dévouement à notre propre éveil et à celui de tous les êtres.
La troisième force est celle de l'élimination d'un seul coup, ce qui signifie abandonner complètement, d'un seul coup, ce que nous avons décidé d'abandonner : notre égoïsme, nos attitudes perturbatrices, nos préoccupations personnelles, notre recherche d'un moi dûment établi, etc. Décidés à ne pas nous laisser influencer par ces attitudes, nous disons : « Je ne me laisserai pas aller à l'orgueil, à l'arrogance ou à l'égoïsme, et si je me trouve en train d'agir ainsi, j'appliquerai immédiatement les forces d’opposition. »
La quatrième est la force de la prière. Nous prions : « Puissé-je toujours être capable de développer un objectif de bodhichitta et, si je l'ai déjà développé, puissé-je l'étendre encore et encore. » Nous savons qu'il existe une différence entre une prière d'aspiration et une prière de dédicace. Une prière d'aspiration consiste à simplement souhaiter quelque chose, ce qui est le cas ici, et une prière de dédicace consiste à utiliser un objet matériel comme base et à dédier la force positive en l’offrant à la réalisation de l'objectif.
La cinquième est la force de l’habitude. Nous devons, dans la mesure du possible, prendre l'habitude de toujours penser de manière positive. Il est extrêmement important, lorsque nous abordons n'importe quel type d'entraînement spirituel, que nous essayions d'en faire une habitude bénéfique. Les choses ne se font pas d'un seul coup. Il s'agit en fait d'acquérir une familiarité croissante, de sorte que notre esprit et notre cœur s'orientent progressivement dans une direction positive. Il est important de maintenir notre effort sur de très longues périodes, de ne pas penser en termes de semaines ou de mois de pratique intensive, cela ne fonctionne pas comme ça. Il faut plutôt penser une vie après l'autre, pour construire ces habitudes positives sur une période de temps significative et, ainsi, s'améliorer progressivement. À vrai dire, nous avons agi sous l'influence d'attitudes perturbatrices et de manière indisciplinée sans aucun contrôle de nous-mêmes depuis des temps immémoriaux, il ne sera pas facile d'éliminer ces habitudes négatives. Il faudra un effort long et soutenu pour inverser progressivement le cours des choses dans notre esprit et notre cœur et les faire évoluer dans un sens positif. Il faut donc être patient, penser à long terme pour habituer notre cœur et notre esprit à des habitudes positives.
Si nous concentrons nos efforts sur une semaine ou un mois de pratique intensive, lorsque nous ne progressons pas, nous nous décourageons. Cela sera très préjudiciable à long terme pour notre développement de vie en vie. En revanche, si nous pensons de manière plus pragmatique à nous améliorer de vie en vie, nous ne nous découragerons pas et nous n'aurons pas d'attentes déraisonnables, ce qui nous permettra de nous développer de manière plus durable.
Comme l'a dit Guéshé Chekawa : « Cet esprit plein de défauts a une grande qualité : quelle que soit la manière dont on l'entraîne, il devient ainsi. » Autrement dit, il est possible d'entraîner notre esprit afin de changer nos habitudes et de devenir une meilleure personne. C'est la grande qualité de l'esprit.
L'application des cinq forces au moment de la mort
Le point suivant explique comment appliquer les cinq forces au moment de la mort.
[Ceci est un commentaire de la ligne : « La quintessence de l'enseignement Mahayana du transfert de la conscience se résume dans les cinq forces elles-mêmes, tout en donnant de l'importance à mon comportement ».]
Ici, l'ordre est légèrement différent et commence par la force de la graine blanche. Il est rappelé l’importance de renoncer à l'attachement à notre corps et de penser au moment de la mort : « Me voilà à l’heure de mourir, je me purifie de toutes les choses négatives que j'ai faites au cours de ma vie, j’admets toutes les erreurs et les mauvaises actions que j'ai commises et je donne toutes mes possessions. »
Le texte contient une citation de L’Engagement dans la conduite du bodhisattva sur les horreurs que nous traversons au moment de mourir si nous sommes affligés par les remords et les regrets de ne pas nous être occupés de nos problèmes à temps. Puisqu'il est possible que nous éprouvions une grande peur au moment de la mort, il nous faut essayer d’être pleinement conscients à ce moment-là afin de pouvoir appliquer toutes les forces d’opposition pour purifier les potentiels négatifs que nous avons accumulés. Si nous pratiquions le tantra, nous faisons l’auto-initiation et renouvelons nos vœux. Avec générosité, nous prenons soin de donner tous nos biens. Nous le faisons sans attachement, d'une manière impeccable. C'est la force de la graine blanche.
La force suivante est celle de notre intention. Au moment de mourir, nous pensons : « Quel que soit le nombre d'instants qu'il me reste, je vais les utiliser pleinement et me préparer entièrement à la mort, afin de m’assurer un meilleur futur. »
La force suivante est celle de l'élimination d'un seul coup, qui consiste à renoncer à accumuler dans les vies futures toute force karmique négative et à décider que nous ne suivrons que des voies positives.
La force suivante, la force de la prière, consiste à prier pour pouvoir continuer à l'avenir cette pratique d'entraînement de l'attitude.
Enfin, la force de l’habitude consiste à renforcer, alors que nous sommes en train de décéder, nos pensées courantes accompagnées d’un but de bodhichitta. En outre, nous devrions essayer d’adopter la même posture que le Bouddha au moment de mourir. Lorsqu’il est décédé à Kushinagar, le Bouddha s’est allongé sur le flanc droit, dans la posture du lion. En mourant, nous générons une ferme conviction et une grande admiration pour la bodhichitta. Nous pensons : « Dans toutes mes vies, puissé-je toujours développer un objectif de bodhichitta afin d'atteindre l'illumination pour le bénéfice de tous les êtres », et nous prions pour toujours pouvoir avoir cette intention au moment de la mort dans nos vies futures.
Visualiser que l'on prend sur nous les souffrances des autres et que l'on donne tout son bonheur en même temps que l'on respire est la meilleure façon de mourir. Se référant au powa ou transfert de la conscience, Guéshé Chekawa dit : « Nombreux sont les enseignements de la quintessence glorieuse du transfert de la conscience, mais parmi tous, il n'y en a aucun qui soit plus merveilleux que celui-ci (la pratique de prendre et de donner). »
Il est extrêmement important de mourir dans un état d'esprit constructif et positif. Certains d'entre nous peuvent ressentir de grandes douleurs au moment de mourir et prendre des médicaments pour les soulager. Cependant, ces antidouleurs rendent l’esprit flou, et si nous pouvons les éviter, il est préférable de mourir dans un état d'esprit clair. En revanche, si nous ne pouvons pas éviter la prise de médicaments, c'est une autre affaire, mais il est préférable de ne pas mourir avec un esprit sous l’effet de sédatifs.
La mesure d’avoir entraîné nos attitudes
[Dans les éditions de Namkapel et de Pabongka, cette section se présente comme suit : « Je rassemble tout le Dharma en une seule intention. Je me considère comme le principal des deux témoins, et je m’en remets continuellement au seul bonheur mental. Cependant, la mesure (réelle) d’avoir entraîné (mon attitude) est inversée. Il y a cinq grands signes d'avoir été entraîné, et si je les possède même lorsque je suis distrait, alors c’est que je suis entraîné. » Les trois premières lignes sont considérées comme des signes que nous avons entraîné nos attitudes. Dans l'édition précédente de Togmé Zangpo, l’extrait « Cependant, la mesure (réelle) d’avoir entraîné (mon attitude) est inversée. Il y a cinq grands signes d'avoir été entraîné » n’apparaît pas, et les trois premières lignes et la dernière ligne sont toutes incluses dans la mesure d’avoir entraîné nos attitudes.]
Le commentaire du texte dit que si nous avons entraîné nos attitudes envers la vie en pensant à l’impermanence, alors peu importe ce que nous traversons, nous verrons que c'est impermanent, que cela passera. De même, le signe d’avoir entraîné notre esprit à penser aux inconvénients de l'égoïsme est de pouvoir nous identifier à ces inconvénients à la lecture d’un texte qui les décrit, ou dans toute sorte d’activité, et de réaliser qu’ils sont tous dus à notre égoïsme. Si nous sommes totalement capables de reconnaître les aspects négatifs provenant de notre égoïsme, c'est le signe que nous avons réussi à entraîner notre esprit avec ces méthodes.
Comme le dit L’Entraînement de l'esprit en sept points, nous devons nous considérer comme le principal témoin. C'est nous qui sommes les meilleurs témoins du fonctionnement de notre esprit, et non d'autres personnes qui observent et jugent ce que nous faisons. Si d'autres personnes doivent servir de témoins pour attester des choses spirituelles et religieuses que nous faisons, il y a un grand danger que nous ne fassions qu'un grand spectacle pour que les autres pensent que nous sommes un merveilleux pratiquant spirituel. Au contraire, l'essentiel est que nous fassions tous ces entraînements dans notre for intérieur, discrètement. Nous sommes le principal témoin du fait que nous devenons ou non une personne meilleure et plus aimable.
Nous pouvons ajouter ici quelques citations, tirées principalement des enseignements des guéshés Kadampas : « Lorsque nous voyons une faute, considérons-la comme étant la nôtre. » « Si nous considérons que toute circonstance négative que nous rencontrons est due à notre égoïsme, c'est le signe que nous avons réussi à entraîner notre attitude. » « L’essentiel est toujours d'être attentif, de penser aux avantages de chérir les autres et aux inconvénients de l'égoïsme. »
La véritable mesure d’avoir entraîné notre attitude est la suivante : si, auparavant, nous ignorions toujours les autres et ne pensions qu'à nous-mêmes et qu’aujourd’hui nous constatons que cela a été complètement inversé, que nous ignorons constamment nos objectifs égoïstes tout en pensant aux autres, c'est le véritable signe que nous avons réussi.
Il y a cinq types de « grand être » qui décrivent ce que nous sommes devenus et dont nous devons être témoins :
- Un être au grand cœur, quelqu'un qui met tous ses efforts à toujours penser aux autres et à développer la bodhichitta
- Un grand être entraîné dans un comportement constructif, quelqu'un qui met toujours ses efforts dans les dix attitudes de grandes portées et dans un comportement constructif
- Un grand être capable d'endurer les difficultés, quelqu'un qui est capable d'endurer toutes les difficultés pour gagner la bataille contre ses diverses attitudes et émotions perturbatrices
- Un grand détenteur de la discipline, quelqu'un qui maintient tous ses vœux et les restrictions en rapport avec l'entraînement de ses attitudes
- Un grand yogi, quelqu'un qui ne s’attelle qu’à l’unique chose valable, à savoir la bodhichitta.
[Les dix attitudes ou perfections de grandes portées sont : la générosité, l'autodiscipline éthique, la patience, la persévérance enthousiaste, la stabilité mentale (concentration), la conscience discriminante (sagesse), l'habileté dans les moyens, la prière d’aspiration, le renforcement, la conscience profonde.]
Si nous voulons vérifier si nous avons réellement entraîné nos attitudes, nous ne pouvons pas limiter la pratique du grand amour pour autrui aux moments où nous sommes assis et méditons sur ces points. C’est au contraire dans notre vie quotidienne, lorsque quelqu'un vient nous critiquer ou fait quelque chose qui nous blesse que nous pouvons observer nos réactions et être témoin des progrès que nous avons faits.
Les pratiques étroites pour l'entraînement de l'esprit
Il existe différentes traditions quant à la manière de présenter ce sixième des sept points. La version du texte de Namkapel que j'utilise comporte seize pratiques étroites, alors que d'autres versions en comptent jusqu'à dix-huit.
[Dans la tradition du commentaire du texte de Namkapel que Sa Sainteté suit, si la première pratique étroite, celle de « s’entraîner toujours sur les trois points généraux », est comptée comme trois pratiques, alors cette liste comporte également dix-huit pratiques. Cette liste, telle qu'expliquée par Sa Sainteté, suit la liste des dix-huit pratiques étroites que l'on trouve à la fois dans les éditions de Togmé Zangpo et de Pabongka du texte de Guéshé Chekawa.
Dans d'autres éditions du texte de Namkapel qui énumèrent dix-huit pratiques, on trouve cependant les variantes suivantes :
Cette première pratique n'est comptée que comme une seule pratique.
Une pratique étroite est omise de cette liste, mais ajoutée à la version expliquée par Sa Sainteté comme points d'entraînement pour la purification de nos attitudes :
- Je me purifie d'abord de l'émotion perturbatrice la plus forte. Dans cette liste de points d'entraînement, il s'agit de « me nettoyer en premier de ce qui est le plus grossier ».
Une pratique étroite est complètement omise :
- Ne pas inverser l'amulette.
Deux autres pratiques étroites sont ajoutées, qui, dans cette version expliquée par Sa Sainteté, sont listées comme des points d'entraînement à la purification de nos attitudes :
- Entraînez-vous toujours sur les points que vous avez laissés de côté.
- Ne soyez pas dépendants d'autres conditions.
Deux pratiques étroites qui n'apparaissent pas dans les autres versions en tant que pratiques étroites ou comme points d'entraînement sont ajoutées :
- Se montrer énergique pour se débarrasser (des attitudes et des émotions perturbatrices) et adopter (des attitudes positives) en soumettant (les attitudes perturbatrices) par la force.
- Détruire toutes les raisons (d'attachement et d'aversion envers les autres).]
(1) Toujours s’entraîner sur les trois points généraux. Le premier point général est : « Ne pas contredire mes engagements et promesses concernant l'entraînement de mes attitudes. » Nous le faisons en suivant une autodiscipline éthique, en nous abstenant des dix actions destructrices, etc. Ne pas suivre cette autodiscipline éthique contredirait l'entraînement de nos attitudes. Depuis le début de la pratique jusqu'au grand Tantra de Guhyasamaja, nous n'allons abandonner aucune de ces pratiques, car cela contredirait l'engagement que nous avons promis de tenir.
Le deuxième des trois points généraux est le suivant : « Ne pas adopter un comportement inapproprié lors de l'entraînement de mes attitudes. » Ce serait par exemple de nuire à l’environnement. Quant au troisième point, il dit : « Ne pas tomber dans la partialité pendant l'entraînement de mes attitudes. » Au lieu de cela, pratiquer de manière égale envers tout le monde, y compris les animaux et les insectes.
(2) Transformer nos intentions, mais rester normal. Afin de paraître adéquat en société, nous restons normaux dans notre apparence et notre façon d'agir, mais nous changeons toutes nos attitudes. Cela signifie également que nous n'avons pas besoin d'avoir des idées paradoxales. Par exemple, si nous entraînons nos attitudes en faisant telle et telle pratique, nous ne sortons pas pour faire n’importe quoi. Comme on le dit toujours, nous devons suivre intérieurement toutes les pratiques spirituelles, et à l’extérieur, nous devons agir d'une manière cohérente et harmonieuse avec l'environnement et la société dans lesquels nous vivons. Nous ne pouvons pas agir de manière scandaleuse. Nombreux sont ceux qui prescrivent ces lignes de conduites, comme Tsongkhapa et Gungthang Rimpotché.
(3) Ne pas parler des défauts (des autres). Nous ne critiquons pas les autres et ne nous préoccupons pas de leur niveau de réalisation. Nous sommes habituellement incapables de voir les qualités des autres. En revanche, le moindre de leurs défauts nous saute immédiatement aux yeux. C'est pour cela qu'il ne faut pas parler des défauts des autres.
(4) S’abstenir de tout jugement quant aux défauts des autres. Nous devons nous abstenir de penser et de réfléchir aux défauts des autres.
Concernant ces premiers points, il est utile de s'y entraîner surtout envers les cinq types de personnes que l’on met généralement à part, et auxquelles nous devons porter une attention particulière :
- Celles et ceux qui ont été pleins de bonté envers nous. Il est essentiel de ne pas développer de colère envers ceux qui ont été les plus aimables pour nous et qui sont les plus dignes de respect : les Trois Joyaux, nos mentors spirituels, nos parents, etc., car cela serait très grave.
- Les membres de notre foyer et ceux que nous fréquentons quotidiennement. Il s'agit de faire particulièrement attention à notre famille et à celles et ceux avec qui nous vivons. Très souvent, nous disons : « Que tous les êtres sensibles soient heureux, que je travaille pour le bien de tous les êtres limités. » Pourtant, nous avons tendance à penser que ces êtres sont très éloignés de nous, et lorsqu'il s'agit de ceux avec qui nous partageons notre vie, notre famille, nos proches collaborateurs, nous sommes incapables d'appliquer concrètement cette aspiration altruiste. C'est tout à fait incorrect. Nous devons agir avec la même attention non seulement envers « tous les êtres sensibles » dont nous parlons vaguement et théoriquement dans nos prières, mais aussi envers les personnes avec lesquelles nous avons des contacts quotidiens, y compris nos voisins et ceux que nous pourrions trouver plutôt détestables. Nos prières doivent être extrêmement pratiques, à un niveau terre à terre qui nous permette de gérer les situations difficiles que nous rencontrons. « Tous les êtres sensibles » n’est pas un concept lointain. Nous devons être directement impliqués.
- Ceux qui sont en compétition avec nous, qu'ils soient laïcs ou ordonnés. Nous devons faire un effort particulier avec ceux qui nous concurrencent et nous jalousent, car le risque est grand de développer de l'hostilité à leur égard et de l'auto-chérissement envers nous-mêmes. Il est donc important de faire des efforts soutenus pour entraîner nos attitudes à leur égard.
- Ceux qui nous calomnient, alors que nous n'avons rien fait à leur égard qui le justifie. Il s'agit des personnes qui, au lieu de manifester de la reconnaissance lorsque nous avons fait quelque chose de bon pour elles, nous calomnient et disent des choses désagréables à notre sujet. Normalement, nous sommes très contrariés et attendons d'elles qu'elles se montrent reconnaissantes. C'est à ce moment-là que nous devons faire des efforts particuliers pour ne pas nous mettre en colère et pour continuer à entraîner nos attitudes.
- Les personnes qui, du simple fait de les voir ou d’entendre leur nom, nous déplaisent ou nous inspirent de l'antipathie. Nous devons être particulièrement attentifs aux personnes pour lesquelles nous éprouvons une grande répulsion, et inversement, une grande attirance. Parfois, ces sentiments sont immédiats. Dans ces situations, il est important d'être très attentif à ne pas tomber sous l'influence du désir ardent, de l’hostilité ou de l’aversion.
[Cette explication des cinq types de personnes que l’on met à part est l'interprétation habituelle du douzième point à entraîner pour purifier nos attitudes dans la liste donnée dans cette version du texte que suit Sa Sainteté et qui s’intitule : « Toujours s'entraîner en ce qui concerne les personnes mises de côté.»].
Lorsque les choses vont bien, nombre d’entre nous agissent comme des personnes religieuses. Mais quand les choses vont mal, nous revenons à des manières mondaines. Comme vous le savez, nous, bouddhistes, avons l'habitude de tourner autour de stoupas, en portant un mala ou un moulin à prières. Un jour, quelqu'un faisait des tours de stoupa en portant un moulin à prières, quand une autre personne s'est approchée et lui a demandé : « Qu'est-ce que tu fais ? » L'homme a répondu : « Je pratique le Dharma. » L’autre personne lui a alors demandé ce qu’il faisait en particulier, et il a répondu : « Je développe la patience. » L'autre personne s'est alors exclamée : « Mange de la merde ! » et celui qui était censé méditer sur la patience est devenu furieux ! En fait, il se contentait de faire semblant d'être religieux en tournant autour d’un stoupa. Dans son cœur, rien n’avait changé.
(5) Se purifier d'abord de l'émotion perturbatrice la plus dominante en nous. Nous devons nous occuper de nos attitudes les plus dérangeantes, en prenant garde de ne pas faire preuve de partialité en nous occupant de certaines et en délaissant les autres. Lorsque nous nous occupons de nos attitudes perturbatrices, nous devons nous débarrasser de tous les obstacles émotionnels qui empêchent la libération. Pour ce faire, il faut se débarrasser de toutes les attitudes perturbatrices, et pas seulement de certaines d'entre elles.
Comme le dit le texte, nous devons nous forcer à nous débarrasser de nos attitudes perturbatrices et de nos mauvaises habitudes, et toujours nous préoccuper des autres. Nous y parvenons en écoutant, en pensant et en méditant sur ces mesures, et en développant des habitudes positives de l'esprit. Nous devons également nous forcer à renoncer à la saisie et au chérissement de notre « moi », et ne pas nous décourager. Nous devons prendre la décision très ferme de ne pas nous laisser influencer par les attitudes perturbatrices que nous avons eues dans le passé et de ne laisser aucune circonstance nous éloigner de cette intention.
(6) Se débarrasser des espoirs d’être reconnu. Nous ne sommes pas en train d’entraîner notre esprit et de changer nos attitudes pour que tout le monde nous aime. Nous ne cherchons pas non plus à obtenir une sorte de gloire ou de récompense pour avoir été une grande personne religieuse et spirituelle. Nous changeons plutôt d'attitude dans le seul but de pouvoir aider les autres. Nous souhaitons atteindre l'illumination pour le bénéfice d’autrui, et non pour notre propre intérêt.
(7) Renoncer à la nourriture empoisonnée. Cela signifie que nous contaminons facilement notre pratique avec des pensées d'égoïsme et de chérissement de soi. Nous effectuons diverses pratiques, récitons des prières, nous méditons, lisons et étudions des textes, mais bien que nous disions que nous faisons cela pour le bénéfice de tous les êtres limités, il est possible de contaminer toute cette pratique en la faisant, par exemple, pour devenir célèbre en tant que grand érudit. L'utiliser pour obtenir des gains dans cette vie, l'absence de maladie, une longue vie, etc., à savoir des choses faites uniquement dans notre intérêt et non dans celui des autres, n’est pas acceptable. C'est comme manger de la nourriture empoisonnée : cela ne fait qu'accroître le chérissement de soi.
(8) Ne pas considérer (les pensées perturbatrices) comme un point d’appui fiable. Cette phrase a deux interprétations différentes. Selon certains commentaires, cela signifie qu'il ne faut pas que la direction principale de notre esprit soit celle des attitudes perturbatrices. Selon d'autres commentaires, cela signifie que lorsque nous voyons quelqu'un, notre esprit se dirige généralement vers cette personne, comme un aimant. Cette deuxième interprétation, telle qu'expliquée dans ces commentaires, signifie que, par exemple, lorsque quelqu'un nous contrarie, nous ne devons pas laisser notre esprit aller directement vers cette personne avec des pensées rancunières. Je pense que la première interprétation est probablement un peu plus facile à comprendre, à savoir que nous devons éviter de faire des attitudes perturbatrices la direction principale de notre esprit.
(9) Ne pas s’engager dans un jeu malsain. Il s'agirait de riposter, d'insulter les autres lorsqu'ils nous insultent, ou de les frapper en retour.
(10) Ne pas se mettre en embuscade. De même que des bandits peuvent se tenir à l'affût sur le bord de la route pour tendre une embuscade à une caravane, nous ne devons pas attendre que quelqu'un commette une erreur ou agisse de manière incorrecte pour nous jeter sur lui ou l'accuser. Si nous sommes une bonne personne, il est facile d'être bon avec ceux qui sont aimables, mais ce sont les personnes difficiles qui sont le véritable enjeu ici.
(11) Ne pas rabaisser (quelqu'un) sur un de ses points sensibles. Cela nous rappelle qu'il ne faut pas relever les défauts des gens devant les autres.
(12) Ne pas transférer pas la charge d'un dzo sur un bœuf. Un dzo est un croisement entre un yak et une vache, c’est donc un animal de très grande taille. Autrement dit, nous ne devons pas blâmer les autres pour des choses que nous aurions pu faire nous-mêmes. Plutôt que de faire porter le fardeau à quelqu'un qui est moins capable de le porter, nous devons en assumer l'entière responsabilité.
(13) Ne pas faire la course. Cela signifie que nous ne devons pas toujours nous mettre en avant ou essayer de nous attribuer le mérite de toutes les bonnes choses qui se sont produites.
(14) Ne pas inverser l’amulette. Lorsque nous brandissons une amulette ou un talisman pour éloigner les esprits, nous la tenons face à eux. De même, lorsque nous entraînons notre esprit, c'est pour chérir les autres. Mais si nous le faisons juste pour nous rendre important, c'est comme si nous tenions l'amulette à l'envers.
(15) Ne pas transformer un dieu en démon. Cela signifie qu'il ne faut pas faire les choses uniquement pour satisfaire le chérissement de soi. Par exemple, il arrive que les gens se critiquent les uns les autres juste pour obtenir des louanges ou pour se vanter. Faire cela, c'est aller dans une direction particulièrement mauvaise.
(16) Ne pas rechercher la souffrance (des autres) comme complément de (notre) bonheur. En résumé, il est très important d'avoir la bonne intention avant de faire quoi que ce soit. Il faut s’assurer que c'est pour le bénéfice de tous les autres êtres. C'est pourquoi, au début de nos récitations et de nos prières, nous fixons toujours l'intention et, à la fin, nous dédions la force positive.
Les points à entraîner pour l'entraînement de l'esprit
Voici le dernier point de L’Entraînement de l'esprit en sept points.
[Dans la tradition des commentaires du texte de Namkapel que Sa Sainteté est en train d'expliquer, il y a vingt-deux points sur lesquels il faut s'entraîner. La même liste de vingt-deux points apparaît dans les éditions de Togmé Zangpo et de Pabongka du texte racine de Guéshé Chekawa.
D'autres versions du texte de Namkapel mentionnent vingt-quatre points d'entraînement. On y trouve les variantes suivantes :
Un point d'entraînement est omis de cette liste, mais inclus dans la version expliquée par Sa Sainteté comme un point sur lequel il faut s’entraîner :
- Éliminer toutes nos erreurs en une seule pratique.
Deux points d'entraînement sont omis de cette liste, mais ajoutés à la version expliquée par Sa Sainteté en tant que pratiques étroites pour purifier nos attitudes :
- Toujours s'entraîner à l'égard de ceux qui sont mis de côté :
- Ne pas dépendre d'autres conditions.
Cinq points d'entraînement sont ajoutés, qui n'apparaissent pas dans les autres versions comme des pratiques étroites ou des points d'entraînement :
- S'entraîner avec des pratiques plus faciles.
- Tout transformer en un cheminement d’esprit propre au Mahayana.
- Pratiquer ce qui est le plus efficace, comme la discipline éthique, la générosité, ou la bodhichitta en toutes circonstances.
- Si je me détourne (de l'entraînement de mes attitudes), méditer sur cela même en tant qu'antidote. Autrement dit, méditer sur le fait que mon détournement est une interférence causée par des esprits nuisibles et pratiquez tonglen, prendre et donner, envers d'autres personnes affectées de la même manière.
- À l'avenir, toujours m'armer (de la bodhichitta).
Le point « agir purement, sans partialité envers les objets » est incorporé comme partie d'un autre point intitulé : « Chérir (appliquer) un entraînement vaste et profond en toute chose ».]
(1) Faire tous les yogas en un seul. Ce point nous conseille de faire toutes nos activités avec l'intention d'en faire profiter tout le monde.
(2) Éliminer toutes nos erreurs en une seule pratique. Autrement dit, nous devons essayer de nous débarrasser de nos attitudes et émotions perturbatrices avec une seule pratique, celle de prendre et donner (tonglen).
(3) Au début et à la fin, s’engager dans les deux actions. Cela fait référence à ce dont nous avons discuté précédemment, à savoir de (a) créer une intention forte au début de chaque journée et (b) dédier la force positive à la fin.
Pour ma part, c’est le genre de choses que je pratique quotidiennement, en me fixant une forte intention pour que tout ce que je fasse soit bénéfique à tous les êtres. Je me consacre entièrement aux Tibétains du Tibet, notre pays, qui souffrent de tant de difficultés. Puis, à la fin de la journée, je dédie toute la force positive accumulée par mes actions à l'accomplissement de cette prière.
(4) Quel que soit le cas de figure, faire preuve de patience. Cela s’applique à (a) donner notre bonheur aux autres quand les choses vont bien pour nous et (b) prendre en charge leur souffrance quand les choses vont mal, sans se décourager. Il est important de faire preuve d’un grand courage dans ces pratiques qui consistent à donner notre bonheur et à prendre sur nous les problèmes des autres. Si nous sommes heureux et éprouvons du bonheur, nous ne pouvons pas nous contenter de nous dire ô combien nous sommes merveilleux ! Nous pouvons penser à la place que c’est le résultat des potentiels positifs que nous avons accumulés dans le passé. Nous devons plutôt prier pour que tout le monde puisse atteindre ce bonheur et puisse profiter de la situation favorable dans laquelle nous nous trouvons.
Il est extrêmement important de faire des efforts particuliers pour être capable d’endurer les situations difficiles. Comme le dit Shantideva dans L’Engagement dans la conduite du bodhisattva, lorsque nous sommes malades ou dans des situations extrêmement difficiles ou douloureuses, nous devons faire un effort particulier pour être capables de supporter ces circonstances et de les transformer en chemin. De même, dans les situations où nous avons beaucoup de succès et où les choses vont presque trop bien, il est particulièrement important de faire très attention à ne pas développer de l'orgueil.
(5) Protéger les deux au prix de ma vie. Ces deux éléments sont (a) les instructions de la pratique du Dharma en général et, plus spécifiquement, (b) les pratiques étroites de l'entraînement de nos attitudes.
(6) S'entraîner aux trois choses difficiles. Cela signifie (a) être conscient de ce que sont les forces d’opposition pour contrer les attitudes perturbatrices, (b) être conscient d'appliquer ces forces d’opposition, et (c) les maintenir avec attention. Ainsi, dès que des attitudes ou des émotions perturbatrices apparaissent, nous devons nous rappeler quelles sont les forces d’opposition pour les contrecarrer. Non seulement nous devons nous en rappeler, mais nous devons également les appliquer immédiatement et les maintenir avec attention afin de faire cesser la continuité de l'attitude perturbatrice.
Comme l'explique Dromtonpa, une autre façon de s'entraîner lorsque quelque chose de difficile se produit est de penser que nous nous en sommes bien tirés et que nous avons eu beaucoup de chance, car cela aurait pu être pire. Si quelqu'un nous insulte, nous pensons que nous nous en sortons bien, nous avons épuisé le karma d’être critiqué par une foule tout entière. Si nous souffrons d'une maladie, nous avons eu de la chance, car nous aurions pu avoir un accident beaucoup plus grave. Il en va de même si nous sommes mis en prison ou punis d'une manière ou d'une autre, nous nous en sortons bien car nous évitons de devoir endurer quelque chose de bien plus lourd, comme une chute vers l’un des pires états de renaissance.
Nous ne devons pas appliquer ces outils uniquement pendant les séances de méditation, lorsque tout se passe bien et que nous ne sommes pas irrités. Nous devons appliquer tous ces entraînements de nos attitudes à des situations plus difficiles. Si nous nous efforçons de consacrer notre cœur aux autres, à tous les êtres, en développant un objectif de bodhichitta, en prenant les vœux de bodhisattva, et ainsi de suite, alors quoi que nous fassions, que ce soit manger, dormir ou boire, la force positive de toujours protéger notre objectif de bodhichitta s’accroîtra. En nous entraînant de la sorte, nous transformerons tout en cause pour progresser davantage dans le fait d’aider les autres.
Alors qu’il était sur le point de mourir, Guéshé Chekawa, qui était Kadampa, devint très malheureux et demanda à ses disciples de faire des offrandes spéciales. Les disciples, curieux, lui demandèrent : « Vous avez pratiqué justement toute votre vie, pourquoi êtes-vous triste maintenant que vous êtes sur le point de mourir ? » Il répondit : « Je suis triste parce que toute ma vie, j'ai beaucoup prié pour renaître dans les royaumes sans joie afin de pouvoir endosser toutes les souffrances des êtres, et maintenant, au moment de la mort, je peux voir les signes qu'au lieu d’une telle renaissance, je vais renaître dans un royaume divin et pur. C'est pourquoi je suis si triste alors que je vais mourir. »
(7) Se saisir des trois causes majeures. Il s'agit (a) de rencontrer un maître spirituel, (b) de pratiquer son enseignement, et (c) de se satisfaire d’avoir les circonstances favorables d'un logement, de nourriture et de moyens de subsistance modestes afin de pouvoir consacrer toute notre énergie à la pratique. Nous formulons des souhaits et des prières pour que nous puissions obtenir ces trois causes majeures de succès dans notre pratique spirituelle.
[Dans d'autres versions du texte de Namkapel, les trois causes majeures sont présentées légèrement différemment : avoir un corps humain précieux comme condition intérieure pour une pratique du Dharma fructueuse, avoir un mentor spirituel qualifié comme condition extérieure, et avoir accès à la nourriture et aux vêtements avec modération.]
(8) Méditer sur les trois choses qui ne déclinent pas. Il s'agit d'avoir (a) une confiance stable en notre mentor spirituel et une appréciation de sa gentillesse, (b) une volonté stable de pratiquer ce qu'il nous conseille, et (c) un engagement stable dans tous les divers entraînements. Notre confiance et notre appréciation ne doivent pas seulement être de belles paroles, elles doivent être fortes et sincères, et venir de notre cœur. Nous devons avoir une grande admiration et une grande confiance envers le mentor spirituel qui nous enseigne, dans l'entraînement effectif de nos attitudes et dans les points concrets grâce auxquels nous pouvons y parvenir.
[Dans d'autres versions du texte de Namkapel, les trois choses qui ne déclinent pas sont expliquées comme (a) la confiance en notre mentor spirituel et l'appréciation de sa gentillesse, (b) la garantie de ne pas laisser notre attention à l'entraînement éthique décliner, et (c) la garantie de ne pas laisser notre joie dans l'entraînement de nos attitudes s'affaiblir.]
(9) Posséder les trois inséparables. Ces trois éléments consistent à faire en sorte que (a) le corps, (b) la parole et (c) l'esprit soient inséparables des pratiques. Nous devons être sincères à tous les niveaux concernant notre façon d'agir, de parler et de penser. Nous devons tout faire en accord avec l'entraînement de l'esprit.
(10) Agir purement, sans partialité envers les objets. Il est important de s'entraîner avec tous les êtres limités, pas seulement avec nos amis, et d'éviter les poisons de l'attraction, de la répulsion et de l'indifférence.
(11) Chérir un entraînement vaste et profond à l'égard de tout. Nous devons nous entraîner considérablement et de manière ample et profonde à l'égard des êtres animés et des objets inanimés. Autrement dit, notre pratique de l'entraînement de nos attitudes doit avoir une grande portée, s'étendre à tous les domaines et être totalement sincère. Par exemple, lorsque nous rencontrons des problèmes, nous pouvons penser : « Si je n'avais pas ces problèmes, je ne développerais pas le renoncement, et si je n'avais pas la détermination de me libérer de mes propres problèmes, je ne développerais pas la compassion pour libérer les autres des leurs. Je ne serais pas pleinement capable de développer un objectif de bodhichitta ». Nous pouvons renverser n'importe quelle situation difficile en appréciant la valeur de la rencontrer.
(12) Toujours méditer sur les personnes mises de côté. Au lieu de penser à notre supériorité par rapport à ce petit insecte sur le sol, nous pouvons penser : « Comme cet être est malheureux, étant né sous cette forme sans la capacité d’être bénéfique et de s'améliorer ». De même, chaque fois que nous ressentons de la jalousie à l'égard d'autrui, nous pouvons penser que, si nous appliquions tous nos efforts, nous pourrions également atteindre ce que cette autre personne a accompli. Il ne faut donc pas se laisser influencer par des attitudes perturbatrices. Si nous souffrons d'une maladie et que nous ne voulons pas en subir les désagréments, nous prenons immédiatement des médicaments. De la même manière, lorsque des attitudes perturbatrices apparaissent dans notre esprit, nous devons appliquer des antidotes, comme si nous prenions des médicaments lorsque nous sommes malades.
[Dans les explications plus complètes, les personnes mises de côté font référence aux cinq types de personnes mises de côté et avec lesquelles il faut être particulièrement prudent, dont Sa Sainteté a parlé dans sa présentation des pratiques étroites pour l'entraînement de nos attitudes.]
(13) Ne pas dépendre d'autres conditions. Il peut arriver que, pendant que nous travaillons à entraîner nos attitudes, nous tombions malades ou que diverses choses ne se passent pas bien. Nous ne devons pas nous décourager et dire : « J’ai essayé d'être une bonne personne et d'entraîner mes attitudes, mais tout ce que j'obtiens, ce sont des difficultés. Si seulement les conditions de pratique étaient différentes ! » Au contraire, nous devons continuer à appliquer tous les points et méthodes expliqués dans les enseignements, quelles que soient les conditions qui se présentent. Nous devons considérer les circonstances négatives qui surviennent comme des situations héritées du passé et ne pas nous décourager. Lorsque des circonstances et des situations difficiles se présentent, nous devons nous réjouir qu'elles remontent à la surface et que nous puissions à présent nous en débarrasser.
(14) Pratiquer maintenant. Nous disposons d’une vie et d’un corps humain précieux, avec toutes les opportunités, la liberté et les loisirs qu'ils impliquent, pour entraîner nos attitudes et devenir une meilleure personne. Si nous ne le faisons pas maintenant, quand le ferons-nous ? Quand aurons-nous une meilleure occasion ?
(15) Ne pas avoir de compréhensions contraires. Il existe six types de compréhensions contraires :
- La compassion contraire, dirigée envers les pratiquants pauvres, mais pas envers les personnes riches et mondaines. Il s'agit d'une compréhension erronée. Un exemple, tiré de la biographie de Milarépa, illustre bien ce point. Milarépa était allongé comme un mendiant au bord de la route lorsque trois riches sœurs passèrent par là et eurent pitié de lui. Milarépa leur dit : « Ne me plaignez pas, c'est moi qui ai de la compassion pour vous, vous êtes dans un état bien pire que le mien. »
- L’intention contraire. Au lieu d'avoir l'intention de mettre en pratique les mesures préventives du Dharma afin d'atteindre l'éveil et d’être bénéfique à tous les êtres limités, nous avons la ferme intention de progresser dans les affaires mondaines.
- L’intérêt contraire. Au lieu d'amener les autres à s'intéresser aux questions spirituelles, nous les amenons à s'intéresser aux affaires mondaines. [Dans d'autres versions du texte de Namkapel, l'intérêt contraire est expliqué comme le fait de s'impliquer dans les biens et les affaires des Trois Joyaux en général et plus particulièrement de la communauté du Sangha afin de se faire des amis, plutôt que d'amener tous les êtres à l'état de bouddha.]
- La réjouissance contraire. Au lieu de nous réjouir de toutes les bonnes qualités du Bouddha, du Dharma et du Sangha, nous nous réjouissons lorsque des personnes que nous n'aimons pas rencontrent des circonstances difficiles. Notre ennemi tombe et nous disons : « Tant mieux, il le méritait ! »
- La patience contraire. Plutôt que d’être patients pour les questions spirituelles, nous le sommes pour les activités négatives. Nous sommes prêts à supporter des difficultés pour avancer d'une manière négative, mais nous n'avons pas la patience de faire face à celles qui surgissent au cours de notre développement spirituel. [Dans d'autres versions du texte de Namkapel, la patience contraire est expliquée plus spécifiquement comme la patience pour nos attitudes et émotions perturbatrices, plutôt qu’envers les personnes qui se mettent en colère contre nous.]
- Le goût contraire. Au lieu de souhaiter goûter aux enseignements du Dharma, nous voulons goûter à toutes sortes de choses mondaines qui sont périssables par nature et ne durent jamais.
(16) Ne pas être inconstant. Pratiquer un jour, abandonner le lendemain, puis revenir en arrière, n'est pas quelque chose que nous devons éviter seulement lorsque nous entraînons nos attitudes : même au niveau mondain, si nous agissons par intermittence et que nous ne faisons pas d'efforts soutenus, nous n'accomplirons rien.
(17) S'entraîner résolument. Nous devons aller droit au cœur de la question de l'entraînement de nos attitudes et ne pas nous égarer ou nous engager sans enthousiasme dans la pratique. Nous devons aller droit au but en travaillant sur nos attitudes et les améliorer. Nous ne devons pas hésiter à nous engager pleinement dans l’entraînement de l’attitude.
(18) Se libérer par l'investigation et l'examen. Nous nous libérons en appliquant les principaux antidotes à nos attitudes perturbatrices au moment même où elles apparaissent. Par exemple, si nous sommes très attachés à quelqu'un ou à quelque chose, l’antidote effectif est de voir l'objet de notre attachement comme laid et dépourvu de qualités. Si nous sommes en colère, nous appliquons l'amour, si nous sommes dans l’ignorance, nous pensons à la coproduction conditionnée. Et si nous sommes orgueilleux, disons que nous sommes très érudits tandis que nos voisins sont incapables de comprendre quoi que ce soit, au lieu de penser que nous sommes merveilleux, nous pouvons penser : « Ces gens n'ont pas pu déployer tous leurs efforts et n'ont pas les circonstances nécessaires pour pouvoir utiliser tout leur potentiel ! » Ainsi, au lieu d'être soumis à nos propres attitudes perturbatrices, nous nous libérons en ayant de la compassion envers autrui.
(19) Ne pas méditer pas avec un sentiment de perte. Lorsque des difficultés surviennent ou que d'autres veulent quelque chose de nous, nous n'avons pas besoin de ressentir un sentiment de perte.
(20) Ne pas se laisser aller à l’hypersensibilité. Nous ne devons pas être trop sensibles lorsque les choses vont mal ou nous mettre en colère à la moindre provocation.
(21) Ne pas agir pour une brève période. Ce point nous dit que nous avons tort de fixer des limites à notre travail sur nos attitudes ou à l'aide que nous apportons aux autres. Plutôt que de déployer des efforts considérables au début et de ne pas les maintenir, nous devons faire preuve de constance dans nos efforts.
(22) N’attendre aucun remerciement. Nous ne pouvons rien attendre en retour de l'aide que nous apportons. Si nous offrons notre aide ou la charité en espérant en retirer du « mérite », c'est comme si nous faisions une transaction commerciale. Nous ne devons pas accomplir des actes positifs dans le seul but d'obtenir quelque chose en retour, tant au niveau matériel que des « mérites ».
Générer la bodhichitta profonde : les réceptacles appropriés pour recevoir les enseignements sur le vide
Nous avons terminé la discussion sur le développement de la bodhichitta conventionnelle, le fait d’élargir notre cœur à l'illumination et à autrui du point de vue de leur vérité conventionnelle. Le point suivant concerne l'expansion de notre cœur vers leur vérité la plus profonde : le développement de la bodhichitta profonde. La bodhichitta profonde n'est expliquée ici que par un bref verset qu’il faut compléter avec des chapitres sur vipashyana, un état d'esprit exceptionnellement perceptif, tirés du Grand et Court Traité de la voie progressive de Tsongkhapa. C'est à partir de là qu'il faut la comprendre.
La discussion ici porte sur deux points : quels sont les réceptacles appropriés à qui l'on doit enseigner le vide (vacuité) et quels sont les enseignements à ce sujet ? Si nous n'enseignons pas aux bons réceptacles, alors nombreux sont ceux qui en auront une mauvaise compréhension. Certaines personnes pensent par exemple que la discussion sur le vide dans le bouddhisme n'est qu'une discussion sur le néant. Ils pensent qu’il s’agit de nihilisme et que le bouddhisme n'affirme rien. Ces opinions sont dangereuses, car ces individus pensent que rien n'a d'importance, que ce que nous faisons n'a aucune valeur parce que tout est néant. Ce type de personne est l’exemple d’un mauvais réceptacle. Elles ne sont pas prêtes à comprendre le vide.
En fait, une compréhension correcte du vide nous pousserait à agir de manière positive. Quelqu'un qui est capable d’une telle compréhension est un réceptacle approprié. Plutôt que de voir les enseignements sur le vide leur fournir une excuse pour agir de n'importe quelle manière parce qu'ils les mésinterprètent et pensent que rien n'a d'importance, les réceptacles appropriés comprennent le vide comme l'absence de façons impossibles d'exister. Ils voient la manière dont les choses existent réellement, comprennent la causalité, et ils l'appliquent dans leur comportement. Cela renforce leur confiance et ils agissent de manière appropriée selon les lois de ce qui apporte des résultats positifs.
Si nous comprenons les enseignements sur le vide comme signifiant que les modes d'existence impossibles ne se réfèrent à rien de réel et que, par conséquent, tout fonctionne grâce à la coproduction conditionnée, alors c'est une compréhension correcte. Une personne qui est capable d’une telle compréhension est un bon réceptacle.
Le verset expliquant l'entraînement à la bodhichitta profonde
Pour les personnes les plus réceptives, il est utile de s'entraîner d'abord à la bodhichitta profonde. Une fois qu'elles ont compris la réalité, leur capacité à travailler pour atteindre l'éveil et aider tous les êtres s'en trouve accrue. Pour la plupart des gens, cependant, c'est le contraire. Ils s'entraînent d'abord à la bodhichitta conventionnelle et, lorsque celle-ci est stable, ils s'entraînent ensuite à la bodhichitta profonde, qui concerne ce qui est plus obscur ou caché, à savoir le vide.
[S’appuyant sur la façon dont la plupart des gens s'entraînent, Namkapel explique le verset « Réfléchissez au fait que tous les phénomènes sont comme un rêve. Discernez la nature fondamentale de la conscience qui ne se manifeste pas. L’antidote se libère de lui-même. La nature essentielle du chemin est de s'installer dans un état de base qui englobe tout. Entre les sessions, agissez comme une personne illusoire » à la fin des sept autres points de l'entraînement de l'attitude et le précède avec la ligne « Ce qui est caché doit être montré après avoir atteint la stabilité (en cela) ».
Pabongka place ce verset, précédé de la ligne « Ce qui est caché doit être montré après avoir atteint la stabilité (en cela) » directement après le verset sur le développement de la bodhichitta conventionnelle, qui apparaît dans le texte racine concernant le deuxième des sept points de l'entraînement de l'attitude, l'entraînement aux deux bodhichittas. Dans l'édition de Togmé Zangpo, ce verset précède celui sur le développement de la bodhichitta conventionnelle, tandis que le verset "Ce qui est caché doit être montré après avoir atteint la stabilité (en cela)" n'apparaît pas du tout.]
Commentons brièvement le verset de quatre lignes du texte racine de L’Entraînement de l'esprit en sept points.
Réfléchissez au fait que tous les phénomènes sont comme un rêve.
Toutes choses sont comme un rêve dans le sens où elles n'ont pas d'existence dûment établie. Autrement dit, elles sont dépourvues d’une existence établie comme véritable ou de « véritable existence ». Tout comme dans un rêve, il est tout à fait évident que les choses n'existent pas de manière véritable.
Discernez la nature fondamentale de la conscience qui ne se manifeste pas. Il s'agit d'analyser à la fois la conscience et l'objet de cette conscience, et de discerner que ni l'une ni l'autre n’ont d'existence dûment établie. Cela rappelle l'approche Yogachara-Svatantrika-Madhyamaka, qui parle de la réfutation des phénomènes externes. Elle affirme que les phénomènes externes n'existent pas indépendamment de l'esprit. Il semble que ce soit la façon dont cela est formulé ici, concernant l'existence non dûment établie de la conscience ainsi que des objets de la conscience.
L'antidote se libère de lui-même. Cela fait référence au fait que le vide lui-même est dépourvu d'existence dûment établie. Ce point peut être trouvé dans l'énumération des différents types de vide tels que les seize vides et ainsi de suite, qui incluent « le vide du vide lui-même ». En outre, la conscience réflexive (rang-rig), qui se réfère ici à la conscience du vide, est également dépourvue d'existence dûment établie.
La nature essentielle du cheminement de l’esprit est de s'installer dans un état de base qui englobe tout. [Cette ligne peut également être traduite et comprise comme suit : « Installer la nature essentielle du cheminement de l’esprit dans un état de base qui englobe tout » ou par « Installer dans un état de base qui englobe toute la nature essentielle du cheminement de l’esprit ».] Ayant fait cesser les deux extrêmes du nihilisme et de l'absolutisme (l'affirmation d'une existence dûment établie), toutes les choses que nous rencontrons doivent être placées dans le contexte de l'esprit qui comprend le vide. Autrement dit, nous appliquons cet esprit qui comprend le vide à chaque rencontre, à tous les objets et dans toutes les situations.
Il y a deux façons d'expliquer le terme « base qui englobe tout » (kun-gzhi, Skt. alaya, fondement de tout) dans cette ligne. Dans les deux cas, « le cheminement de l’esprit » fait référence au cheminement de l’esprit d'un arya, un être hautement réalisé, et la « base qui englobe tout » fait référence à un phénomène non spécifié, à savoir un phénomène que le Bouddha n'a pas spécifié comme étant constructif ou destructeur.
- Une façon d'expliquer cette phrase est que l’esprit d’un arya demeure dans l'état où il est complètement non artificiel, ce qui fait référence à l'état dans lequel l'esprit n'est souillé par aucun des voiles éphémères. Ainsi, une option pour expliquer que la « base qui englobe tout » est un phénomène non spécifié est qu'elle se réfère à l'état non contraint de l'esprit non souillé.
- Une autre façon de l'expliquer est que le « fondement de tout » se réfère au vide. Nous devons donc placer non seulement notre esprit, mais aussi toutes nos réalisations dans le contexte de la compréhension du vide.
Dans la tradition des commentaires tibétains, il y a plusieurs façons de discuter de la vérité la plus profonde de tous les phénomènes. L'une d'entre elles consiste à la considérer comme un objet, l’objet étant le vide, la nature vide de tous les phénomènes. D'un point de vue tantrique, la vérité la plus profonde se réfère à l'esprit qui prend le vide pour objet. Comme l'explique le tantra, il s'agit du niveau de conscience le plus subtil qui comprend le vide. Il existe donc une vérité profonde du point de vue de l'objet, le vide, ou du point de vue de l'esprit qui prend le vide pour objet.
Dans la tradition Sakya, on trouve l'enseignement de « l’inséparabilité du samsara et du nirvana ». Cet enseignement fait référence à l'esprit primordial qui se manifeste simultanément, et au fait que cet esprit primordial est le fondement ou la base à la fois du samsara et du nirvana, puisque les apparences de tous les phénomènes sont le jeu de cet esprit. De même, la tradition Nyingma explique que tous les phénomènes sont purs depuis toujours et que leur nature fonctionnelle est d'établir spontanément toutes les apparences. L'expression « établies spontanément » fait référence au fait que toutes les apparences sont établies par l'esprit primordial de claire lumière. De même, la tradition Kagyou du mahamoudra parle de tout ce qui est d'une seule saveur : « Dans la sphère de la claire lumière qui se manifeste simultanément, tout a une seule saveur. » C'est l'un des principaux points que l'on trouve dans les enseignements Kagyou du mahamoudra.
Que ce soit dans le système Nyingma de l'ancienne période de traduction, qui parle de l'esprit primordial, pur depuis toujours, qui établit spontanément toutes les apparences, ou ceux de la nouvelle période de traduction, la tradition Sakya qui parle du « vide et de la félicité inséparables » ou la tradition Kagyou du mahamoudra, tous parlent de la vérité la plus profonde, de la nature réelle de toute chose du point de vue de la conscience qui prend le vide pour objet. Dans la tradition Guéloug de Tsongkhapa et d'autres, on trouve une présentation similaire, comme dans les commentaires de Tsongkhapa sur le Tantra de Guhyasamaja, dans lesquels il parle de l'état de conscience de grande félicité qui se manifeste simultanément et qui prend le vide pour objet. Cela équivaut directement aux présentations des trois autres traditions tibétaines. Dans ce verset, la nature véritable de toute chose ou du vide se réfère au fait de déterminer l’objet, le vide, et d'éliminer les voiles de la conscience pour être en mesure de le comprendre.
Le commentaire du texte que je suis nous renvoie aux versions étendues et abrégées de la section sur vipashyana, un état d'esprit exceptionnellement perceptif, des textes de la voie progressive (lam-rim) de Tsongkhapa, qui suivent la tradition de Nagarjuna et de Aryadeva. Par conséquent, cela implique de ne pas prendre comme point de référence les expériences méditatives des pratiques tantriques des lamas tibétains, mais plutôt de prendre comme source principale les Écritures et les débats logiques provenant des grands pandits indiens. La principale caractéristique de la tradition de Tsongkhapa est qu'il retourne aux sources indiennes et en donne ses interprétations. Cependant, en examinant les sources indiennes et leurs débats logiques ainsi que les expériences réelles des méditants, nous constatons que toutes aboutissent au même objectif.
[Dans le texte de Namkapel, la phrase « Réfléchissez au fait que tous les phénomènes sont comme un rêve » est expliquée comme faisant référence au vide de tous les objets qui sont connus par l'esprit. « Discerner la nature fondamentale de la conscience qui ne se manifeste pas » fait référence au vide de tous les esprits qui s’engagent cognitivement avec des objets. « L’antidote émerge de lui-même » fait référence à la vacuité de la personne qui médite sur le vide. « La nature essentielle des cheminements de l’esprit est de s'installer dans un état de base qui englobe tout » fait référence à la façon de méditer pendant l'absorption totale sur le vide. La dernière ligne, « Entre les sessions, agissez comme une personne illusoire », fait référence à la manière de s'entraîner pendant les périodes d'accomplissement consécutives à l'absorption totale dans le vide. Le commentaire que Sa Sainteté explique suit Namkapel en développant cette dernière ligne après la discussion complète sur le vide.]
Reconnaître l'inconscience qui est la racine du samsara
La présentation de la bodhichitta la plus profonde dans ce texte est divisée en trois parties :
- La reconnaissance de l'inconscience qui est la racine du samsara
- La nécessité de déterminer l'absence d'une identité ou d'une « âme » dûment établie comme moyen d'inverser cette inconscience
- Les méthodes concrètes pour l’établir
L'inconscience ou l’ignorance est l'exact opposé de la conscience, la connaissance correcte de quelque chose. Nous parlons ici du fait d'être conscient de la nature véritable de la réalité ou de l'ignorer, c'est-à-dire d'en être conscient de manière erronée. C'est parce que nous ne connaissons pas la nature véritable de la réalité que nous appréhendons ou saisissons les choses comme existant d'une manière qui n’y correspond pas. Nous sommes dans l'ignorance de la manière dont les choses existent réellement. C'est ce que nous entendons par l’inconscience ou l’ignorance.
Le résultat de cette méconnaissance de la réalité et de son appréhension erronée est que nous considérons les choses comme ayant une identité ou une « âme » dûment établie, ce qui signifie que nous considérons les choses comme ayant leur existence établie de leur propre côté. Lorsque nous parlons de cette absence d'identité dûment établie, nous le faisons dans le contexte où tout le monde veut être heureux et personne ne veut être malheureux. Nous examinons les êtres qui font l'expérience du bonheur ou du malheur, et ce qu'ils veulent obtenir et éliminer. Autrement dit, nous analysons en premier lieu les personnes qui font l’expérience des choses et par la suite, les choses dont ces personnes font l’expérience. Nous découvrons que chacune de ces deux catégories a une identité ou une existence, mais qu’elle n’est pas dûment établie. En effet, il n'existe pas d'identité dûment établie pour qui ou quoi que ce soit.
Lorsque nous voulons éliminer l'esprit qui se méprend au sujet de la réalité et se saisit des choses comme existant d'une manière erronée et impossible, nous devons distinguer et reconnaître l'objet implicite de la manière erronée de connaître de cet esprit. C'est ce qui doit être réfuté afin d'éliminer l'esprit qui saisit les choses comme existant de manière dûment établie. L'objet implicite de cet esprit de saisie serait les choses existant de manière dûment établie. Autrement dit, l'existence auto-établie est l'objet à réfuter.
Dans le cadre de cette discussion, nous devons comprendre les subtilités qu'implique le fait d'éviter les extrêmes qu’est la réfutation excessive ou insuffisante de l'objet à réfuter.
- Si nous le réfutons excessivement, nous disons que l'objet à réfuter est surestimé. Cela signifie que notre réfutation nie non seulement l'existence dûment établie, mais aussi tous les modes d’existence possibles. Dans ce cas, l'objet à réfuter est trop général, il intègre ou inclut trop de choses.
- Si nous ne le réfutons pas assez, en sous-estimant l'objet à réfuter, nous réfutons trop peu. Notre objection ne réfute pas l'existence dûment établie par le pouvoir de quelque chose de trouvable du côté de l'objet. Elle ne réfute que certains niveaux d’existence impossible, mais pas tous.
Tels sont les dangers d'une réfutation excessive ou insuffisante de l'objet à réfuter. L'accent mis par Tsongkhapa sur la reconnaissance de ces dangers souligne l'importance d'une compréhension et d'une identification correctes de l'objet à réfuter.
En outre, il est nécessaire d'unir à la fois la méthode et la sagesse ou conscience discriminante lorsque nous essayons de comprendre la réalité, de sorte qu'à tous les niveaux, nous traitons les deux aspects ensemble. Par exemple, si nous supposons que, du fait de notre compréhension du vide, tout est totalement inexistant et insensé, alors tout est semblable à des « cornes de lapin » et nous n'aurons pas de véritable compréhension de la méthode, laquelle concerne la causalité. Nous ne pourrons pas réaliser que le bonheur provient d'actions constructives et le malheur d'actions destructives. En raison de cette mauvaise compréhension de la réalité, nous ne nous engagerons pas dans les pratiques qui seront bénéfiques aux autres.
Il est donc nécessaire d'avoir une compréhension totale de la relation harmonieuse entre la vérité conventionnelle et la vérité la plus profonde, en relation avec tout ce qui existe. Cela signifie que notre compréhension de la nature véritable de la réalité doit renforcer notre compréhension de la coproduction conditionnée. Un exemple de cette dernière serait, par exemple, notre compréhension du fait qu'à partir de cette cause et de ce raisonnement, nous obtenons ce résultat. La compréhension correcte de la réalité renforcera alors nos actions constructives qui, à leur tour, créeront une force positive qui nous apportera le bonheur ainsi qu'à autrui, et, en fin de compte, nous permettra d'atteindre l'illumination.
Si nous parvenons à déterminer correctement les deux vérités de tous les phénomènes et la manière dont elles s'articulent entre elles, nous serons en mesure de développer simultanément les deux vastes réserves ou réseaux de force positive et de conscience profonde, et nous pourrons ainsi atteindre simultanément un Dharmakaya et un Roupakaya, c’est-à-dire l'esprit et le corps d'un bouddha. Ainsi, à tous les niveaux, du début à la fin, il est nécessaire d’unir les deux vérités ensemble. Si nous n’en avons pas une bonne compréhension, celle-ci ne sera pas complète et c'est une grosse erreur. Nous avons besoin des deux : la méthode en lien avec la vérité conventionnelle des choses et la sagesse ou conscience discriminante en lien avec la vérité la plus profonde des choses. On ne peut pas atteindre l'esprit d'un bouddha sans atteindre aussi le corps d'un bouddha.
Le texte nous dit également de ne pas limiter cette compréhension de l'absence d'une identité impossible ou d'une « âme » aux seules personnes. Nous devons également l'appliquer aux phénomènes dont les personnes font l'expérience. Par exemple, la tradition Vaibhashika des shravakas ne réfute que l'identité impossible d'une personne et, même dans ce cas, elle n'aborde pas le niveau le plus profond de cette impossibilité. Elle réfute simplement l'idée que les personnes existent avec une identité ou une « âme » statique, monolithique et indépendante. Nous ne pouvons pas en rester en là. Nous ne pouvons pas non plus nous contenter de l’explication Sautrantika, qui, en ce qui concerne les personnes, réfute également le fait qu’elles puissent être connaissables de manière autosuffisante.
Nous ne pouvons pas non plus accepter la réfutation des modes d'existence impossibles proposée par l’école Chittamatra qui, en ce qui concerne les personnes, réfute, comme les écoles précédentes, seulement le fait qu’elles existent en tant qu'entités connaissables de manière autosuffisante. Cependant, contrairement aux écoles Vaibhashika et Sautrantika du Hinayana, le Chittamatra va plus loin en affirmant l'absence d'une identité ou d'une « âme » impossible pour tous les phénomènes. Mais la manière qu’ont les chittamatrins d'affirmer cette absence consiste simplement à dire que la conscience et les objets de cette conscience n'ont pas d'existence établie provenant de sources d’origines différentes. Ils considèrent ce mode d'existence comme un mode d'existence impossible des phénomènes et le réfutent. Il s'agit dans tous les cas de réfutations insuffisantes.
L'école Chittamatra a deux façons de présenter les phénomènes ultimes. Elle affirme que quelque chose est établi comme un phénomène ultime soit s'il est trouvé par une cognition valide examinant (analysant) ce qui est ultime, soit s'il peut résister à la force d'analyse d'une cognition valide examinant ce qui est ultime. Ainsi, les chittamatrins affirment que si une chose ne peut être trouvée lorsqu'elle est soumise à une analyse ultime, elle n'existe pas du tout. C'est l'exact opposé du point de vue Prasangika-Madhyamaka selon lequel rien n'est trouvable du côté d'un objet lorsqu'il est analysé par une cognition valide examinant la vérité la plus profonde ou conventionnelle. Ce point de vue du Chittamatra affirme donc que les choses ont une existence auto-établie, se tenant à leur place comme trouvables lors de l'analyse ultime. C'est le point de vue du Chittamatra, l’école de l’esprit seul.
En réfutant ce qui ne peut être trouvé lors de l'examen de ce qui est ultime, l’école Chittamatra réfute un objet de réfutation incorrect. Elle affirme que les choses qui ne peuvent être trouvées par l'analyse ultime n'existent pas du tout. Il s'agit là d'un objet de réfutation incorrect. Cela semble être une affirmation commune aux écoles Svatantrika et à celles qui leur succèdent, à savoir que lors de l'examen de ce qui est ultime, quelque chose peut être trouvé du côté des objets qui établit leur existence. Si nous devions réellement affirmer et croire ces principes philosophiques, nous affirmerions en fait des choses qui existent de manière totalement imaginaire et impossible. Nous nous accrocherions à quelque chose qui est totalement inexistant, que l'on peut trouver du côté des objets lors de l'analyse ultime, et ce serait un état de grande inconscience (ignorance).
Dans la tradition Prasangika-Madhyamaka qui est la nôtre, il est dit que la cause réelle du samsara est l'inconscience qui se manifeste de manière automatique. Si nous devions croire simplement à la portée de la définition de l'inconscience affirmée par les autres écoles philosophiques bouddhiques, alors en réfutant simplement cette portée de l'inconscience, nous ne réfuterions qu'une inconscience fondée sur la doctrine, à savoir une inconscience qui saisit les choses comme existant d'une manière qui repose sur une base doctrinale incorrecte. La véritable racine du samsara, cependant, n'est pas cette inconscience fondée sur la doctrine, mais un type d'inconscience qui survient naturellement, automatiquement. Il s'agit du niveau d'inconscience avec lequel chaque être, des animaux jusqu’à nous, saisit l'existence des choses à établir par quelque chose que l'on peut trouver du côté de ces choses. Nous devons ainsi réfuter comme racine du samsara la manifestation d’un phénomène naturel qui accompagne de manière ordinaire la conscience de tous les êtres, et pas seulement quelque chose qui est fondé sur une doctrine que l’on nous a enseignée et à laquelle nous avons fini par croire, et dont personne n'a même entendu parler.
Cela fait partie de la discussion sur le point de vue Prasangika selon lequel l'existence de tout ce qui peut être validement connu ne peut être établie que par un processus d’étiquetage mental et de ce à quoi les étiquettes mentales se réfèrent. Si l'existence d'un objet devait effectivement être établie du point de vue de l'objet référent de l'étiquette ou du point de vue de la base de l'étiquetage de cet objet, alors cet objet serait trouvable. S'il était trouvable, cela prouverait une existence auto-établie (une existence inhérente), et c'est ce qui est réfuté ici par l’école Prasangika. Telle est l'intention de Nagarjuna et d’Aryadeva.
Une citation de Nagarjuna explique que le vide doit être compris grâce à la coproduction conditionnée, et qu’inversement, la coproduction conditionnée doit être comprise grâce au vide. Si les choses n'étaient pas dépourvues de modes impossibles d’existence, la cause et l'effet ne pourraient pas fonctionner. La causalité fonctionne uniquement parce que toutes les choses sont dépourvues de modes d'existence impossibles. Cela signifie que l'existence auto-établie ou l'existence établie du propre côté de quelque chose, que l'on peut trouver en analysant la vérité la plus profonde sur les choses, comme c’est le cas selon l’école Chittamatra dont nous avons parlé plus tôt, n’est pas valide. La citation de Nagarjuna dit que rien n’est plus merveilleux, rien n’est plus incroyable que de comprendre le vide grâce à la coproduction conditionnée.
Comment l'inconscience qui se manifeste de manière automatique saisit-elle l’existence des choses ? Elle imagine que l'existence des choses n'est pas établie simplement par le fait qu'elles sont les objets référents d'étiquettes mentales. Elle suppose que leur existence est véritablement établie de leur propre côté, indépendamment de l'étiquetage mental. Cette inconscience (ignorance) inclut la mauvaise compréhension de l'absence d'une identité ou d'une « âme » dûment établie, tant pour les personnes que pour tous les phénomènes. Il n'y a rien dont l'existence soit établie par le pouvoir de quelque chose de trouvable de son propre côté, indépendamment des concepts, des noms, des étiquettes, et ainsi de suite. L'absence totale de ce mode impossible d'établissement de l'existence de quelque chose de validement connaissable est ce que l'on appelle la vacuité de cet objet.
La façon dont elle est présentée ici semble assez similaire à la façon dont elle apparaît dans le lamrim abrégé de Tsongkhapa et son commentaire sur Les Versets racines de la Voie du milieu, intitulé « La Conscience discriminante » de Nagarjuna, (dBu-ma rtsa-ba shes-rab, Skt. Prajna-nama-mulamadhyamaka-karika). Chandrakirti nous dit également que s'il existait un objet auquel aucun concept ne peut se référer, alors cet objet ne pourrait pas exister. Au contraire, s’il existe un concept qui se réfère à un objet, l'existence de cet objet peut être établie en fonction de ce concept. Les choses ne peuvent donc être établies qu'en fonction des concepts qui s'y réfèrent, elles ne peuvent pas être établies par quoi que ce soit de leur propre côté, car elles sont dépourvues de quoi que ce soit de trouvable de leur propre côté qui pourrait établir leur existence.
On peut se demander si les choses existent telles qu'elles sont en fonction des concepts individuels que l’on se fait d'elles ? Non, ce n'est pas le cas. Ce serait une façon solipsiste de voir les choses. Si une chose est généralement acceptée par la société comme étant de couleur blanche, le fait d'insister sur le fait qu'elle est jaune ne va pas la rendre jaune pour autant. Les choses n'existent donc pas de façon solipsiste simplement en fonction de la manière dont nous les étiquetons. En effet, si c'était le cas, cela s'appliquerait également aux actions constructives et destructives. Si, par la force de nos préjugés, le résultat d'une action donnée était exactement celui que nous souhaitons, tout deviendrait chaotique. Ce n'est certainement pas le cas. En réalité, les choses sont établies par une convention générale, par la manière dont chacun connaît les choses de manière valide.
Nous allons maintenant examiner une citation tirée de l’ouvrage Éclairer l'intention (dGong-pa rab-gsal), le commentaire de Tsongkhapa sur l'ouvrage de Chandrakirti S'engager dans la Voie du milieu (dBu-ma-la 'jug-pa, Skt. Madhyamakavatara). Cette citation se réfère à l'exemple de la vue d’une corde enroulée prise pour un serpent. Il n'y a aucune raison pour que la corde soit validement étiquetée comme un serpent. Cet étiquetage erroné est similaire à celui qui consiste à considérer les agrégats [qui nous composent] comme un « moi » réellement existant. Ne confondons pas cela avec le fait qu'il serait incorrect de désigner un vase et un pilier comme un « vase » et un « pilier ».
En fait, il y a trois façons considérer les choses sur le plan cognitif. Nous pouvons considérer une corde comme un serpent, une corde comme une corde dûment existante et une corde comme une corde conventionnelle. Considérer les agrégats comme un « moi » dûment existant reviendrait à considérer une corde enroulée comme un serpent. Ce serait une façon incorrecte d'appréhender cognitivement quelque chose. Ce type d'inconscience ou d'ignorance n'est donc pas la même chose que de qualifier une corde de « corde » ou un vase de « vase ».
En outre, le fait de saisir l'existence des choses comme existant d'une manière incorrecte et impossible peut être soit fondé sur la doctrine d’un point de vue incorrect, soit automatique. Ce qui est désigné ici comme la cause principale du samsara est la saisie automatique de l'existence des choses comme étant dûment établies de leur propre côté. Une saisie automatique des agrégats comme s’ils existaient en tant que « moi » dûment existant serait alors comme une saisie du fait de prendre une corde enroulée pour un serpent. Cette saisie n'est pas fondée sur la croyance en une doctrine philosophique que nous aurions apprise, mais il s'agit simplement d'une saisie automatique qui se produit naturellement chez tout le monde. Cette saisie automatique crée toutes sortes d'émotions et d'attitudes perturbatrices, qui nous amènent à accumuler divers potentiels négatifs, lesquels provoquent à leur tour l'apparition de diverses impulsions karmiques, perpétuant ainsi notre errance dans le samsara.
Il y a le « moi » qui veut être heureux et le « moi » qui ne veut pas souffrir, et bien sûr il y a le « moi » qui a faim et qui veut boire une tasse de thé ou manger un morceau de pain. Ce type de « moi » peut être validement connu comme étant simplement ce à quoi le mot « moi » fait référence, validement étiqueté sur une base d'étiquetage. Ce type de « moi » existe effectivement de manière conventionnelle. Cependant, les choses ne nous apparaissent pas de cette manière. Le « moi » qui fait l'expérience des choses et les utilise ne nous apparaît pas comme ce à quoi le mot « moi » fait référence. Il nous apparaît plutôt comme quelque chose dont l'existence est établie de son propre côté, du côté de la base de l'étiquetage « moi ». Le fait de saisir que ce mode d'apparence trompeur se réfère à quelque chose qui existe réellement crée en nous un sentiment très fort d'un « moi » existant de manière indépendante. Sur la base de cette perception d'un tel « moi », nous pensons également que les choses existent de leur propre côté en tant que « miennes ». À partir de ces concepts de « mien », nous pensons alors en termes de « mon ennemi », « mon ami », etc. En conséquence de cela, nous développons de l'attachement et de l'aversion et nous commettons toutes sortes d'actes destructeurs qui développent une force karmique négative. C'est donc cette façon d'appréhender les choses comme ayant leur existence établie de leur propre côté, et non pas simplement comme ce que les mots désignent, qui est à l'origine de tous les problèmes que nous rencontrons.
Nous pouvons commencer à voir comment l'esprit nous joue des tours, ajoutant à la réalité des phénomènes quelque chose qui n'existe pas réellement. C'est ainsi que nous pouvons trouver quelqu'un de très attirant. L'esprit pare cette personne d’une apparence absolument magnifique, très attirante et sexuellement désirable. Cet ajout projette une irréalité totale sur la personne. De cette manière, nous ressentons un grand attachement et une grande attirance. À l'inverse, notre esprit peut projeter sur une personne que nous considérons comme un ennemi quelque chose d'extrêmement laid ou repoussant, et nous réagissons à la projection dont nous avons revêtu cette personne. Sur cette base, nous devenons hostiles, commettons toutes sortes d'actes destructeurs à l'égard de cette personne et créons une force karmique négative. En raison de ce potentiel négatif et des impulsions destructrices qui en découlent, nous errons de manière incontrôlée dans le samsara. Si nous pouvons comprendre l'absence de ce mode d'existence impossible que nous ajoutons et projetons sur les objets, nous serons libérés de tous les problèmes récurrents et incontrôlables du samsara.
Sur la base de cette forte saisie d'un « moi » dûment existant, nous divisons le monde en « moi » et « les autres » et nous développons ainsi toutes sortes d'attitudes négatives. Pourtant, si nous nous mettons en colère contre un certain Tashi, nous pourrions nous arrêter pour analyser : « Qui est ce Tashi contre lequel je me mets en colère ? Est-ce son corps ? Est-ce son esprit ? Si c'est son corps, est-ce sa tête, ses pieds, ses bras, ou son nez ? » Lorsque nous commençons à enquêter de la sorte, nous sommes soudain très surpris. Nous faisons un pas en arrière, découvrant que nous ne pouvons pas trouver ce Tashi contre lequel nous sommes tellement en colère ! Nous pouvons alors nous demander ce qui nous rend furieux. Ce raisonnent est une méthode très efficace pour chercher à savoir pourquoi nous nous emportons autant. Si nous avons la présence d'esprit d'analyser ce type de situation, cela peut s'avérer très constructif.
La nécessité de vérifier l'absence d'une identité ou d'une « âme » dûment établie pour inverser cette inconscience
Le texte décrit comment, en étant attachés à nous-mêmes en tant que « moi », nous sommes totalement immergés dans la poursuite égoïste du bonheur et continuons à tourner en rond dans le samsara. Les objets de notre attachement et de notre aversion nous semblent ne pas exister simplement en termes de noms ou d'étiquettes. C'est pourquoi nous réagissons par l'attachement et l'aversion à des choses qui, nous en sommes convaincus, sont en réalité établies comme existant de leur propre côté, de la manière trompeuse dont elles semblent exister.
Nous devons identifier très clairement cette saisie de l'existence dûment établie, car elle est la source de tous nos problèmes. Il est impératif de s'en débarrasser, de la déraciner de notre continuum mental et de réaliser que l'objet implicite auquel nous nous accrochons n'existe pas du tout en réalité. La racine du samsara est l'inconscience qui survient automatiquement et avec laquelle nous saisissons les choses comme existant d'une manière complètement erronée. Il est essentiel que nous nous en débarrassions et que nous commencions à penser de manière complètement opposée.
Nous saisissons les choses comme existant de leur propre côté, mais lorsque nous analysons l'objet implicite de notre saisie, y a-t-il vraiment quelque chose à quoi cette saisie d'une existence dûment établie se réfère ? Existe-t-il réellement un objet dûment existant dont l'existence est établie de son propre côté ? Nous nous rendons compte que cette saisie de l'existence dûment établie se réfère à quelque chose qui n'existe pas du tout, nous finissons donc par cesser de penser de cette manière, en réalisant qu'elle ne se réfère à rien de réel. Autrement dit, le mode d'existence véritable des choses est qu'elles ne peuvent être trouvées par l'analyse ultime.
Lorsque notre esprit projette et considère qu’il existe quelque chose du côté des objets qui établit leur existence, il n’y a rien de tangible sur lequel nous pouvons nous appuyer. Disons qu’une personne parmi nous pense à tort qu'il y a un tigre féroce dans les bois alentour. Si nous nous asseyons et essayons de ne pas y penser, cela n'éliminera pas notre préoccupation erronée que nous avions de la présence d’un tigre. Ce que nous devons faire, c'est chercher à savoir si le tigre est là ou non. Ce n'est qu'en cherchant à déterminer la présence ou l’absence du tigre que nous pourrons nous débarrasser de cette pensée obsessionnelle. Nous découvrirons, après analyse, qu’il n’y a pas de tigre dans les bois et, ainsi, nous nous débarrasserons de cette conception paranoïaque. Si nous n'enquêtons pas du tout, si nous nous asseyons et essayons d'oublier, la pensée effrayante reviendra furtivement dans notre conscience à un moment ou à un autre. Il est donc très important d'examiner s'il y a ou non quelque chose de tangible du côté des objets lorsque notre esprit est dirigé vers eux comme s'ils avaient une existence auto-établie.
D'autre part, si nous pensons que toutes les pensées conceptuelles sont totalement incorrectes, qu'elles projettent toutes quelque chose d'impossible et erroné, et que nous devons donc nous en débarrasser, nous tombons alors dans la position incorrecte du moine chinois Hoshang. L'important est de reconnaître l'objet à réfuter, puis de le réfuter et de s'en débarrasser, et non de se débarrasser de toute pensée quelle qu'elle soit. S'il est vrai que nous devons avoir une compréhension et une connaissance non conceptuelles de la réalité, elles doivent néanmoins être fondées sur ce que nous établissons à travers le processus conceptuel de l'analyse. Nous ne recherchons pas un état général non conceptuel, qui serait très vague. Nous devons d'abord regarder l'objet que nous analysons et nous rendre compte, par un processus analytique, que la façon dont nous l'avons saisi se réfère à quelque chose qui n'existe pas du tout. De cette manière, nous déterminons correctement l’objet qui doit être réfuté ici. Nous obtenons donc une compréhension non conceptuelle après vérification par un processus conceptuel.
La façon de méditer sur l'absence d'une identité ou d'une « âme » dûment établie
Du point de vue Prasangika, il n'y a pas de différence dans le niveau de subtilité de l'absence d'une identité ou d'une « âme » dûment établie des personnes et des phénomènes. Aucune différenciation n'est faite quant à savoir laquelle des deux est la plus ou la moins profonde. Pour autant, lorsque nous posons la vision correcte de la réalité, il existe un ordre par lequel nous déterminons l’absence d’existence dûment établie de ces deux catégories, les personnes et les phénomènes. Bien qu'il n'y ait pas de différence dans le fait qu’elles sont toutes deux dépourvues d'une identité dûment établie, il y a une différence quant à la difficulté de compréhension de cette absence. De ce fait, nous commençons par comprendre l'absence d'identité dûment établie des personnes, car leur vacuité est plus facile à examiner, puis nous passons à l'absence d'identité dûment établie de tous les phénomènes.
Tout cela explique comment méditer sur la bodhichitta la plus profonde, l'esprit qui s'étend jusqu'à la vérité la plus profonde de tous les phénomènes. Le terme « la plus profonde » fait référence à l'état final ou réel des choses, à savoir la compréhension de la nature réelle de la réalité en termes de l’action, de la base de l'action, de la personne qui fait l'action, et ainsi de suite. Par exemple, si nous regardons une fleur et que nous l'analysons, il est évident qu’elle est issue d’une graine et qu'elle a besoin d'eau, de soleil, et d’autres facteurs pour pousser. Mais si nous entrons soudainement dans une pièce et que nous regardons cette fleur, il nous semble qu'elle est simplement plantée là, sans être passée par tous ces processus. Cependant, lorsque la fleur se fanera et commencera à se dégrader, cela démontrera clairement que l'existence de la fleur n'a pas du tout été établie de son propre côté, comme elle semblait l'être, mais qu'elle était en fait le résultat d'un processus de causes et ainsi de suite, dont elle dépendait pour établir son existence. En raison de cette dépendance, elle a vieilli, s’est desséchée et s’est désintégrée.
La nature la plus profonde de la fleur est qu'elle ne peut être trouvée de son propre côté comme ayant une existence établie d'une façon ou d’une autre. Autrement dit, la vérité la plus profonde n'est pas l'apparence superficielle de la fleur, mais le fait le plus profond de la réalité à son sujet. Lorsque nous parlons de la vérité conventionnelle ou superficielle d'une chose, le terme fait référence à la vérité d'une chose qui cache néanmoins quelque chose de plus profond. La vérité conventionnelle des choses, à savoir l’apparence de tous les êtres et des choses en relation avec un certain nombre de problèmes et de facteurs, est ce qui cache la vérité la plus profonde à leur sujet. Lorsque notre cœur s'étend à la vérité conventionnelle de toutes ces choses dites « conventionnellement existantes » ou de tous ces objets qui cachent quelque chose de plus profond, on parle de « bodhichitta conventionnelle ». Lorsque notre cœur s'étend jusqu'à l'ultime, c'est-à-dire à la vérité la plus profonde de toute chose, on parle alors de « bodhichitta la plus profonde ».
De même, si nous étendons notre esprit au Dharmakaya, un Corps Englobant Tout, qui est la réalité véritable de tous les phénomènes, et si nous pensons au Dharmakaya de cette manière, nous pouvons retirer tous les voiles qui obscurcissent la vraie nature de la réalité. En les éliminant, nous atteignons le véritable Dharmakaya. Nous avons donc une pratique pour étendre l’esprit au conventionnel et au plus profond, une pratique combinée de la bodhichitta conventionnelle et de la bodhichitta la plus profonde. Nous avons l’esprit qui vise tous les êtres et, grâce à la puissance qui en découle, nous éliminons les divers voiles et sommes en mesure de voir la véritable nature de la réalité.