Commentaire sur « Les Trois Principaux Aspects du chemin » par le Dalaï-Lama

Tsongkhapa explique comment le renoncement, la bodhichitta et une vue correcte de la vacuité (le vide) sont les trois chemins essentiels pour atteindre l’illumination tant par la pratique du véhicule des soutras que par celle du véhicule des tantras.

Introduction

Comme nous sommes ici dans un lieu spécial, à Bodh Gaya, nous devons instaurer une motivation spéciale : l’objectif de la bodhichitta de réaliser l’illumination pour le bien de tous les êtres. Ce but se doit d’être complètement sincère. Le Bouddha lui-même a réalisé son illumination grâce au pouvoir de son objectif pur de bodhichitta. Toutes ses qualités et réalisations dépendirent de ce motif illuminant. Pour atteindre la même réalisation, nous devons prier pour développer nous-mêmes le plus possible un tel esprit et faire en sorte qu’il croisse à jamais.

Ces derniers jours, nous avons accumulé une certaine force positive (mérite) grâce à ces enseignements. Continuons maintenant aujourd’hui avec Les Trois Principaux Aspects du chemin par Djé Tsongkhapa. Ces trois aspects font référence au renoncement, à la bodhichitta, et à la vue correcte du vide.

Le renoncement se fonde sur l’attitude grâce à laquelle nous détournons complètement notre esprit de tous les souhaits pour le samsara, pour l’existence récurrente incontrôlable. Notre réalisation de la libération dépend d’un tel renoncement. La bodhichitta est l’attitude ou l’intention de réaliser l’illumination pour en faire bénéficier tous les êtres limités (les êtres sensibles). La vue correcte du vide est la réalisation de la véritable nature foncière de la réalité.

Concernant la vue correcte, ou compréhension du vide, de la réalité, de l’existence non inhérente, si celle-ci est soutenue par un esprit de renoncement, elle apporte la libération. Elle apporte la libération en éliminant les obscurcissements qui empêchent la libération, à savoir les émotions et attitudes perturbatrices, les facteurs mentaux qui nous tiennent attachés à l’existence compulsive du samsara. Si la compréhension de la vue correcte du vide est soutenue par un esprit de bodhichitta, elle élimine également les obscurcissements concernant tous les connaissables, lesquels empêchent l’omniscience – c’est-à-dire les habitudes de se saisir de l’existence inhérente véritable. Les éliminer entraîne la réalisation de l’illumination. C’est pourquoi, une vue correcte du vide est le principal antidote qui détruit les deux séries d’obscurcissement, et elle est assistée soit par le renoncement, soit par le renoncement et la bodhichitta à la fois.

Les enseignements du Hinayana impliquent le renoncement et la vue correcte du vide pour atteindre leur objectif qui est la libération. Le Mahayana leur ajoute la bodhichitta afin d’éliminer complètement tout obscurcissement. Ainsi, les trois principaux aspects du chemin – le renoncement, la bodhichitta, et le vide – incorporent l’essence de tous les enseignements du Hinayana et du Mahayana.

Nos fameux tantras, lesquels traitent du profond sujet des corps subtils, des vents d’énergie, des canaux d’énergie et des gouttes d’énergie, ont pour fondement les trois mêmes principaux aspects du chemin – le renoncement, un objectif extrêmement puissant de bodhichitta, et une pleine compréhension du vide tel qu’il est enseigné par Nagarjuna et ses deux fils spirituels. En plus de cela, dans le tantra, on place notre fierté et notre dignité sur le potentiel que nous pouvons réaliser à partir des vents subtils et de la conscience. De cette manière, nous maintenons notre dignité soit sous l’aspect d’un Corps de Forme, soit d’un Corps de Dharma de Conscience Profonde d’un bouddha, soit sur les deux à la fois. Bien que nous n’ayons pas véritablement ces corps-de-bouddha au moment de la pratique, néanmoins, en s’appuyant sur notre objectif puissant de bodhichitta de réaliser cet état illuminé afin d’être bénéfique à tous les êtres limités, progressivement nous devenons capables de les réaliser. Nous pouvons les réaliser grâce aux pratiques de maintien de la dignité de ces corps-de-bouddha.

Ainsi, les trois principaux aspects du chemin constituent la base des chemins du soutra et du tantra dans leur totalité. En tout cas, nous devons toujours essayer de suivre une pratique qui combine la méthode et la sagesse, en essayant d’aider les autres, en accumulant de la force positive, etc.

Ce texte particulier est plutôt court, quelques versets seulement. Je l’ai d’abord étudié auprès de Tagtra Rimpotché et plus tard avec nombre d’autres, y compris Trijang Dorjéchang. Nous devons établir une motivation correcte pour écouter ces enseignements. Si nous instaurons la motivation d’un cœur bienveillant, c’est là la source de tout bonheur. Si un tel cœur nous fait défaut, et qu’au lieu de cela nous sommes fiers et prétentieux, etc., cela n’amène que malheur et mal-être. Les effets dans les vies futures, si nous sommes une personne cultivée et douce ou un être brutal et grossier, se feront sentir déjà en termes de conduite au cours de cette vie. Même si nous n’acceptons pas l’existence des vies futures, malgré tout, le fait d’avoir un bon cœur, ou au contraire d’être rude et brutal, amèneront en retour le bonheur ou le malheur dès maintenant.

Être une personne bonne et douce

Le plus important est notre conduite de tous les jours. Même s’il n’y a pas de vies futures, il n’y a pas de mal à être doux ; cela nous aide dans notre vie quotidienne. S’il y a des vies futures, nous en bénéficierons d’autant plus que nous aurons été des personnes bonnes et douces. Soyez donc amicaux, bons les uns avec les autres, et pas juste en théorie. Nous devons agir ainsi avec les vraies gens et les vraies situations que nous rencontrons dans notre vie de tous les jours. Il s’agit de l’essence du Dharma et ce n’est pas difficile à suivre. Ce n’est pas quelque chose que nous allons acheter dans un magasin, mais plutôt quelque chose que nous pratiquons par nous-mêmes.

Voyez les Chinois, par exemple. Ils sont des objets adéquats pour notre compassion. Ils ne savent pas ce qui est bien ou mal ; ils ne connaissent pas les conséquences de leurs actes, nous devons donc leur montrer de la compassion. Il en va de même pour vous, nous devons tous essayer d’être bons et délicats. Voyez les buveurs de chang (bière) et d’alcool – il s’agit là d’une très mauvaise coutume. Ils deviennent ivres, braillards, grossiers et brutaux, et provoquent beaucoup de désordre. Le Bouddha a dit que par suite du fait de boire de l’alcool, nous commettons souvent nombre d’actions destructives du corps, de la parole et de l’esprit. C’est la raison pour laquelle il n’est pas bon du tout de boire de l’alcool.

La même chose vaut pour le fait de fumer. Bien que le Bouddha ne l’ait pas spécifiquement interdit et que les enseignements du Bouddha ne mentionnent pas spécifiquement ses inconvénients, toutefois, comme on peut le voir d’après ce que disent les médecins occidentaux, c’est extrêmement dangereux pour notre santé. S’il y avait une raison particulière pour fumer, cela se comprendrait. Mais, s’il n’y en a aucune, comme c’est le cas le plus souvent, il vaut mieux s’en abstenir. La même chose est valable pour le tabac à priser, etc., il vaut mieux ne pas du tout utiliser de telles substances.

De cette façon, en abandonnant ces sortes d’habitudes grossières, nous deviendrons graduellement quelqu’un de plus en plus doux, cultivé et raffiné. Plus nous pouvons agir ainsi, et mieux c’est. Si nous voyons d’autres hommes et femmes bien éduqués, nous devons nous réjouir de leurs exemples et essayer de devenir aussi bons et cultivés que nous le pouvons. Est-ce que vous comprenez ? Soyez de plus en plus attentifs à être gentil, cultivé, aimant et à avoir un cœur chaleureux. Considérez les désavantages qu’il y a à être brutal, bruyant, égoïste et grossier. Nous devons toujours nous en souvenir. Si nous avons bon cœur, cela amène le bonheur, la bonne chance, la santé, et la paix de l’esprit. Cela m’aide beaucoup dans ma propre façon de penser. Nous sommes tous pareils ; nous voulons tous être heureux ; nous devons donc tous agir de la même façon : en étant doux et bienveillants.

Voyez ceux qui viennent ici en provenance du Tibet. Ils ne nous rabattent pas les oreilles avec toutes les difficultés qu’ils ont eues au cours de ces vingt étranges dernières années et disent combien pitoyables nous sommes de nous sentir désolés pour eux. En revanche, ils viennent ici et se disent très intéressés par le Dharma. Nous, Tibétains, qui avons vécu ici, nous devons aussi ne pas héberger de rancunes contre les Chinois. Nous devons ressentir combien nous sommes chanceux d’avoir eu l’opportunité d’être en Inde et de pratiquer le Dharma. J’en connais beaucoup qui ont été opprimés par les Chinois, retenus prisonniers et, manquant de tout entraînement bouddhique, qui sont devenus fous de haine et de colère. Donc, il est de la plus grande importance de ne pas être en colère de cette façon, mais d’être cultivé et d’essayer de nourrir un bon cœur. Cela fait une énorme différence au moment de notre mort.

Regardez Hitler. Bien qu’il ait été tellement puissant pendant sa vie, sa haine l’a submergé et quand il est mort, il était tellement désespéré et malheureux qu’il a avalé du poison et s’est tué. Staline pareillement est mort dans un état de grande frayeur et Mao Tsé Toung a trépassé dans des conditions très difficiles. C’est pourquoi, il est important d’être bon et d’avoir un cœur chaleureux tout au long de nos vies. Alors, au moment de trépasser, nous pouvons mourir l’esprit en paix.

Dans tous les pays dans lesquels j’ai voyagé, j’enseigne exactement la même chose. Que je sois en Occident ou même en Union Soviétique, je dis à tous d’avoir bon cœur, d’être amical envers tout le monde de façon non partisane, en aimant tout le monde de la même façon. Chaque fois que je me rends dans divers endroits, je vois des gens de races, de couleurs, de nationalités, de religions différentes, et je pense que nous sommes tous un même peuple. Si nous prenons le temps de parler avec les gens, nous découvrons que tous nous partageons les mêmes valeurs humaines. Tout le monde veut être heureux et personne ne souhaite souffrir. C’est la raison pour laquelle nous devons tous essayer d’être bons et d’avoir bon cœur. 

Est-ce que vous comprenez ? Ce que je dis n’est pas difficile à comprendre, n’est-ce pas ? Est-ce que vous me suivez ? Soyez de bonnes personnes. Vous êtes venus ici à Bodh Gaya et avez reçu du Dalaï-Lama des enseignements sur le Dharma. Ceci est mon principal message, soyez de bonnes personnes. Donc, maintenant, redressez vos oreilles comme des lapins et écoutez les enseignements des Trois Principaux Aspects du chemin (lam-gtso rnam-gsum) par Djé Tsongkhapa.

Caractéristiques spéciales du texte

Tsongkhapa est né dans l’Amdo et alla étudier auprès de nombreux maîtres dans les provinces de U et de Tsang au Tibet central. Il étudia à la fois les soutras et les tantras et devint pleinement réalisé. Il écrivit dix-huit volumes d’enseignements qui sont excellents, puisant largement aux sources des divers textes et commentaires indiens. Il a transmis ce texte particulier à l’un de ses plus proches disciples, Ngawang Dragpa (Ngag-dbang grags-pa).

Il y a une légère différence dans le style d’enseignement de Tsongkhapa entre ces Trois Principaux Aspects du chemin et son lam-rim ou textes sur la voie progressive. Ici, dans le premier texte, l’explication du renoncement se fait en deux parties. La première consiste à se détourner de nos obsessions pour cette vie en se rappelant notre précieuse renaissance humaine et l’impermanence. La seconde est de se détourner de notre obsession pour les vies futures en se rappelant la nature de souffrance de tout le samsara. Il n’y a qu’une faible insistance sur la prise d’une direction sûre (refuge). Dans les textes du lam-rim, en revanche, on trouve la discussion sur les trois portées de motivation. Dans la mesure où être une personne de portée initiale est la base pour les niveaux plus élevés, on trouve d’abord le développement d’un intérêt pour faire bénéficier les vies futures et, dans ce contexte, sont inclus les enseignements sur la prise d’une direction sûre. Dès lors, cela fait une légère différence, n’est-ce pas ?

Commençons le texte.

Verset d’hommage, promesse de composer et exhortation à bien écouter

Je me prosterne aux pieds de mes lamas immaculés, sources de noblesse.

L’expression immaculés, sources de noblesse correspond au tibétain « jetsun » (rje-btsun), qui a la connotation de ceux ou celles qui se sont détournés de toutes les choses du samsara et se confrontent totalement à la libération. « Lama » signifie une personne supérieure, dans le sens de quelqu’un qui possède à la fois la bodhichitta et une compréhension correcte du vide, ce qui l’amène à un état supérieur ou suprême d’illumination. Ici, lamas immaculés, sources de noblesse fait référence aux gourous de Tsongkhapa qui lui enseignèrent le lam-rim, et en particulier à son maître hors du commun, Manjusri.

Vient ensuite le verset de la promesse de composer.

(1) J’essaierai d’expliquer, au mieux de mes capacités, la signification essentielle de toutes les déclarations scripturales de Ceux qui ont triomphé, le chemin loué par la descendance sainte des Triomphants, le gué pour les fortunés désirant la libération. 

La signification essentielle de toutes les déclarations scripturales de Ceux qui ont triomphé fait référence au renoncement. Le chemin loué par la descendance sainte des Triomphants, autrement dit les bodhisattvas, fait référence à la bodhichitta. Le gué pour les fortunés désirant la libération concerne la compréhension du vide, laquelle apporte la libération. Ainsi, dans la promesse de composer, l’auteur déclare qu’il expliquera ces trois principaux aspects du chemin. Au mieux de mes capacités veut dire qu’il essaiera de le faire sous une forme aussi brève que possible.

(2) Écoute avec un (mental) clair, Ô être fortuné, toi dont l’esprit a coutume de s’en remettre au chemin qui agrée au Triomphant, détaché des plaisirs de l’existence compulsive et désireux de donner un sens à ta vie pleine de loisirs et de facteurs enrichissants. 

Telle est la requête de bien écouter. Elle montre le type de motivation que nous devons avoir quand nous écoutons ces enseignements. Le chemin qui agrée au Triomphant est le chemin qui ne comporte aucune faute et est complet, sans rien qui fasse défaut. Quand nous suivons un tel chemin complet et sans faute, cela plaît aux bouddhas.

La connexion entre les trois chemins

La véritable explication du corps principal du texte se divise en trois parties : les explications sur le renoncement, la bodhichitta, et la vue correcte du vide. Ces trois parties constituent des stades progressifs de compréhension.

Plus fort est notre renoncement aux prétendues bonnes choses du samsara, plus forte sera notre compassion pour les autres. Dans les gares ferroviaires indiennes, par exemple, on voit des aveugles, des gens avec des membres en moins, des mendiants, etc., et il est relativement facile de développer de la compassion à leur égard. Mais si nous n’avons pas de renoncement, alors, quand nous arrivons par exemple dans une grande ville, au lieu de la compassion, nous ressentons juste de l’envie pour les choses que nous voyons, ou de la fierté pour ce que nous avons. En revanche, si nous nous sommes familiarisés avec le renoncement, avec l’idée de la manière dont les prétendues bonnes choses du samsara sont ultimement dénuées de sens, alors quand nous nous rendons par exemple dans un endroit comme New York, et que nous voyons tous ces gens, notre première pensée sera instinctivement de ressentir de la compassion à leur égard.

Le renoncement comprend deux façons de voir. D’un côté, avec une telle attitude, nous regardons vers le bas la souffrance du samsara, sans lui porter d’intérêt, et nous éprouvons du dégoût et le souhait de nous en débarrasser complètement. D’un autre côté, nous dirigeons nos regards vers le haut vers la libération et souhaitons l’atteindre. Plus forte sera cette double attitude, et plus forte sera notre objectif de bodhichitta, lequel similairement possède deux directions d’envisager les choses, à la fois vers le haut et vers le bas. Alors, en se fondant sur elles, si nous avons une vue correcte du vide, nous serons capables de réaliser soit la libération, soit l’illumination.

La vue correcte se situe dans la perspective des deux vérités, lesquelles découlent des quatre nobles vérités. Le Bouddha, qui est notre source de direction sûre, a enseigné le Dharma grâce à sa parole. De manière spécifique, il a enseigné les quatre vérités et les deux vérités, lesquelles sont non trompeuses. Elles ne sont jamais prises en défaut.

Il est donc important de les comprendre et de les réaliser. Avec la bodhichitta, une compréhension du vide nous amène à l’état omniscient d’un bouddha. Avec le renoncement seulement, cela nous mène alors à la libération. Ici, dans ce texte, la discussion porte d’abord sur le renoncement.

Le renoncement

(3) En soupirant après des situations obsessionnelles, les êtres limités sont en fait complètement entravés et puisque le fait de porter un intérêt vif aux fruits délectables de l’océan de l’existence compulsive n’est nullement, sans un pur renoncement, une méthode pour (réaliser) la paix (de la libération), efforcez-vous d’abord au renoncement.

L’expression pur renoncement est mentionnée ici. Le renoncement doit être pur dans le sens où il doit être totalement détaché des honneurs ou prétendues bonnes choses du samsara. Si nous manquons d’un pareil pur renoncement et sommes totalement obsédés par les préoccupations mondaines, il n’y a aucun moyen d’atteindre la libération. Si nous avons du désir et de l’attachement, peu importe alors combien de karma positif nous avons, nous ne serons pas capables de couper la racine de la renaissance récurrente incontrôlable. C’est pourquoi nous devons développer le renoncement. Comment le développer ?

(4) En accoutumant votre esprit au fait qu’il n’y a pas de temps à perdre quand une vie de loisirs et de richesses est si difficile à trouver, détournez-vous de votre obsession pour les apparences de cette vie. En réfléchissant encore et encore aux problèmes de la renaissance récurrente et au fait que (les lois) de la causalité comportementale ne trompent jamais, détournez-vous de votre obsession pour les apparences des (vies) futures.

Nous devons réfléchir à la précieuse vie humaine que nous avons avec ses loisirs et ses richesses, et aussi au fait que nous la perdrons car elle est impermanente, et à la manière dont la mort viendra sûrement. De cette façon nous réaliserons combien rare est l’opportunité que nous avons maintenant, et comment nous ne pouvons pas nous permettre de perdre un instant. Telle est la manière de détourner notre intérêt pour cette seule vie.

Concernant la mort et l’impermanence, il y a divers points sur lesquels méditer, comme le fait que la mort est certaine tandis que le moment de sa venue est complètement incertain. La mort peut arriver à tout instant et, hormis le Dharma, rien d’autre ne nous aidera à ce moment-là. Si nous ne faisons pas quelque chose maintenant à propos de nos morts à venir et de nos vies futures, cela ne fera pas du tout l’affaire. Plus nous penserons à la mort de cette façon, et plus nous diminuerons notre obsession pour cette seule vie. 

Ensuite, nous devons réfléchir à l’infaillibilité des lois de la causalité comportementale, les lois du karma. Comprendre la causalité comportementale dans tous ses détails est une des choses les plus difficiles. Mais, sous une forme simple, le bien vient du bien, le mal vient du mal : or le karma est certain. D’actions constructives, le bonheur est sûr de résulter. D’actes destructeurs, la souffrance est certaine de se produire tôt ou tard.

Ainsi, si nous détenons les causes de la souffrance sur nos continuums mentaux, comment pouvons-nous demeurer satisfaits et nous sentir à l’aise ? C’est comme une bombe à retardement : c’est juste une question de temps, car il est certain qu’elle explosera. Si nous n’éliminons pas cette cause, nous ne pourrons jamais demeurer en paix. Quand, de cette façon, on réfléchit soigneusement à la causalité comportementale, on développe le souhait puissant d’éliminer toutes les causes de notre souffrance.

À différents moments de la vie, nous faisons l’expérience de la naissance, de la mort, de la vieillesse, et de la maladie. Peu importe la quantité de médicaments que nous prenons, nous ne pouvons pas guérir de la vieillesse et nous ne pouvons pas non plus nous empêcher de jamais tomber malade. Les souffrances de la naissance, de la maladie, de la vieillesse et de la mort ont leurs sources dans le fait que nous avons des corps qui sont soumis à la naissance, la maladie, la vieillesse et la mort. Nos corps sont des réseaux d’agrégats souillés (contaminés). En d’autres termes, nous héritons d’agrégats entachés par le karma, les émotions et les attitudes perturbatrices. Si nous ne nous débarrassons pas de leur cause la plus profonde, nous souffrirons toujours.

Nos corps sont des réseaux de forces conflictuelles contradictoires. Prenez par exemple les forces du chaud et du froid dans le corps. Si nous avons de la fièvre, nous prenons un antipyrétique, et si nous en prenons trop, nous attrapons une sorte de refroidissement. Si nous prenons un médicament qui nous réchauffe pour palier cette sensation de froid, et que nous en prenons trop, alors à nouveau nous faisons pencher la balance et attrapons un échauffement. C’est seulement quand nous avons un équilibre des forces du chaud et du froid dans notre corps qu’alors, temporairement, nous pouvons dire que nous sommes en bonne santé. Mais cela ne dure jamais. C’est très précaire et à la moindre secousse, l’équilibre est bouleversé. Aryadeva a fait remarquer cela dans son Traité en quatre cents stances (bZhi-brgya-pa, skt. Catuhshataka). Là, il a expliqué que le corps est un récipient de forces contradictoires, mutuellement opposées ; de la sorte, cela ne peut amener que des problèmes et de la souffrance.

Nous pensons que ce corps est tellement beau. Mais nous devons le disséquer en pensée et considérer chaque partie séparément, comme la tête, par exemple, ou un cheveu avec son petit bulbe à la base. Considérez une oreille, voyez un œil juste en lui-même, prenez un morceau de peau, regardez un cœur, voyez un poumon. S’ils étaient là, posés sur la table, par eux-mêmes, tous ils inspireraient du dégoût et ne seraient pas beaux à voir. La même chose vaut pour les substances qui proviennent de ce corps – l’urine, les excréments, la morve, etc. Nous les voyons sur le sol quand nous nous promenons et nous nous bouchons le nez pour nous protéger de leur puanteur. D’où viennent ces substances désagréables ? Elles ne sont pas sorties de terre ; elles sont issues de nos corps.

Comment nos corps peuvent-ils être propres quand ils sont juste des sources d’immondices ? Nos corps sont issus du sperme et des ovules de nos parents. Si nous devions prendre ces substances et les placer sur une table devant nous, et les regarder, toute personne ressentirait du dégoût. Si nous leur sommes tellement attachés, c’est parce qu’ils deviennent la source de la substance physique de nos corps, mais en eux-mêmes ils donnent la nausée. Si nous avons vécu une quarantaine d’années, par exemple, pensez à toute la nourriture que nous avons mangée au cours de ces quarante longues années d’une part et à tous les excréments et à l’urine en lesquels nos corps les ont transformés d’autre part. Comment ce corps peut-il être propre s’il accomplit pareil travail ?

Nous devons donc abandonner l’attachement à un tel corps. Il vient du karma ainsi que des émotions et attitudes perturbatrices, lesquelles n’apportent que souffrance. Si nous épuisons ou éliminons le karma et les émotions perturbatrices, nous ne reprendrons jamais des agrégats souillés ni ne souffrirons. Les émotions et les attitudes perturbatrices viennent de pensées préconçues et d’idées fausses qui toutes surgissent de l’inconscience [l’ignorance] qui considère les choses comme existant de manière inhérente. Si nous réalisons que toutes les choses sont dépourvues d’une telle existence, nos attitudes et émotions perturbatrices se dissolvent. Elles s’épuisent d’elles-mêmes dans la sphère du vide. C’est donc ce dont nous avons besoin.

(5) Quand, en vous familiarisant de la sorte, vous n’engendrez jamais, ne serait-ce qu’un instant, un état d’esprit qui aspire aux délices du samsara récurrent, et que, nuit et jour, vous développez une attitude vivement encline à la libération, à ce moment-là, vous avez généré le renoncement.

Ainsi, nous devons développer le renoncement. Ensuite, nous avons besoin d’un objectif de bodhichitta.

La bodhichitta

(6) Mais dans la mesure où même ce renoncement, s’il n’est pas soutenu par le développement d’un pur objectif de bodhichitta, ne deviendra pas une cause pour les splendeurs et la béatitude d’un état (d’illumination) pur et sans pareil, celles et ceux doués de bon sens engendrent un objectif suprême de bodhichitta.

Comme nous l’avons dit auparavant, si nous manquons de bodhichitta, nous ne pouvons pas atteindre l’illumination.

(7) Mus par les courants des quatre torrents violents, liés par les chaînes étroites, difficiles à dénouer, du karma, jetés dans la fosse aux grilles de fer de la saisie des identités véritables, complètement enveloppés par la tristesse pesante des ténèbres de l’inconscience,
(8) Inexorablement tourmentés par les trois sortes de souffrances, vie après vie, au cours d’existences compulsives sans limite – après avoir réfléchi à la condition de vos mères qui se sont retrouvées dans des situations identiques, développez l’objectif suprême de la bodhichitta.

Mus par les courants des quatre torrents violents fait référence aux quatre souffrances de la naissance, de la mort, de la vieillesse et de la maladie. Nous sommes liés par les chaînes étroites de la force négative issue de nos actes karmiques destructeurs, et il est sûr que ces forces négatives mûriront un jour. Nous sommes dans la fosse aux grilles de fer de l’inconscience [l’ignorance], et dans la tristesse pesante des ténèbres de ne pas voir la vraie nature de la réalité. Tant les personnes que les phénomènes paraissent exister de manière inhérente, mais ils n’existent pas du tout de cette manière.

Nous possédons un continuum de facteurs composés d’agrégats en perpétuel changement, et le simple « je » est une chose désignée sur la base de ce continuum changeant. Dû à l’inconscience, cependant, nous nous accrochons à ce « moi », lequel est étiqueté sur un réseau de phénomènes changeants, et nous nous forgeons l’idée fausse qu’il est permanent, statique, et trouvable en tant qu’un « moi » intrinsèquement réel. L’obscurité de cette inconscience nous pousse alors à accumuler une grande quantité de force négative. Cette force négative nous projette dans la fosse aux grilles de fer du karma, où nous sommes liés par les chaînes de ce karma et de nos émotions et attitudes perturbatrices. En conséquence, nous faisons naturellement l’expérience des trois souffrances, vie après vie, comme il est dit ici. Ce sont les souffrances de la souffrance, du changement, et de la souffrance omnipénétrante. Dans la mesure où c’est la condition de toutes nos mères aussi bien, nous devons travailler à les aider à développer un objectif de bodhichitta.

La suite traite du vide.

Une vue correcte de la vacuité (le vide)

(9) Même si vous avez accumulé les habitudes du renoncement et de l’objectif de la bodhichitta, malgré tout, si vous manquez de la conscience discriminante qui réalise la nature foncière de la réalité, vous serez incapables de trancher la racine de votre existence compulsive. C’est pourquoi, efforcez-vous aux méthodes pour réaliser la coproduction conditionnée.

Le point principal de Tsongkhapa tourne autour de la compréhension du vide afin qu’il surgisse en tant que signification de la coproduction conditionnée et que la compréhension de la coproduction conditionnée, elle, surgisse en tant que signification du vide. Ainsi, nous devons nous efforcer aux méthodes pour réaliser le vide comme étant la coproduction conditionnée. Comment fait-on cela ?

(10) Quiconque a vu que (les lois) de la causalité comportementale concernant tous les phénomènes du samsara et du nirvana ne sont jamais trompeuses, et a fait s’écrouler les supports de fixation que sont les (cognitions) visant (l’existence auto-établie), quels que ces supports puissent avoir été, cet être-là est entré sur le chemin qui est agréable aux bouddhas.

Tous les phénomènes du samsara et du nirvana adviennent grâce à la causalité. Ceci n’est jamais fallacieux, jamais faux. Quand nous comprenons cela et qu’en plus, le soutien sous-jacent de notre saisie de l’existence inhérente s’effondre, dès lors nous sommes engagés sur le chemin qui est agréable aux bouddhas. Quand nous comprenons le vide, nous n’entretiendrons plus de cognition visant à l’existence inhérente. De la sorte, le support pour que ces fausses cognitions s’élèvent – le support qui les soutient, lequel est notre saisie de l’existence inhérente – se sera effondré ou aura disparu.

(11) Les apparences sont des coproductions dépendantes et le vide est dénué de toute affirmation (de modes impossibles d’existence). Aussi longtemps que ces deux compréhensions vous apparaissent séparément, vous n’avez toujours pas réalisé l’intention des Compétents.

Quand nous comprenons le vide, nous voyons qu’il n’y a rien sur quoi pointer un doigt et dont nous pouvons dire : ceci est cet objet. En ultime analyse, toutes les choses restent introuvables. Malgré cela, d’un autre côté, nous voyons que les choses sont de simples apparences. Penser que ces deux choses sont des aperçus complètement séparés et sans lien – le fait que les choses soient introuvables d’une part, et qu’elles soient seulement des apparences d’autre part – n’est pas l’intention du Bouddha concernant le vide et les deux vérités.

(12) Mais quand, non pas en alternance mais ensemble au même moment, votre certitude, à la simple vision non fallacieuse de la production en dépendance, fait s’effondrer toutes vos façons de saisir les objets (comme auto-établis), vous avez achevé de discerner la vue correcte.

Ce dont nous avons besoin, alors, c’est de voir que, puisque les choses surgissent en dépendance – parce que les apparences dépendent de causes et de circonstances pour se manifester – celles-ci sont dépourvues d’existence inhérente ; elles sont dénuées d’existence indépendante. Le fait qu’elles puissent se manifester en dépendance de causes et de circonstances est dû au simple fait qu’elles sont dépourvues d’existence indépendante. Aussi, plus forte seront notre compréhension et notre conviction que les choses surgissent en dépendance, qu’elles dépendent de causes et d’effets, et plus forte seront notre compréhension et notre conviction que les choses sont dépourvues d’existence inhérente, indépendante ; et vice versa. Comprendre de cette façon ces deux aspects conjointement et de manière simultanée signifie que nous avons parachevé l’analyse correcte du vide.

(13) Par ailleurs, quand vous saurez comment l’apparence élimine l’extrême de l’existence et comment le vide élimine l’extrême de la non-existence, et la manière dont le vide naît et s’élève en tant que cause et effet, vous ne serez jamais emportés par des vues qui se saisissent des extrêmes.

Souvent, on trouve l’explication comme quoi le fait de l’apparence élimine l’extrême de totale non-existence – les choses ne sont pas totalement non existantes du fait qu’elles apparaissent. Et aussi, [on trouve l’explication comme quoi] le fait du vide élimine l’extrême de l’existence inhérente – les choses n’existent pas de manière inhérente car elles sont dépourvues de ce mode impossible d’existence.

Ici, toutefois, on a une façon contraire d’affirmer. Le fait de l’apparence élimine l’extrême d’existence inhérente. La raison en est que, pour que les choses apparaissent, elles doivent être dépourvues d’existence inhérente. Elles doivent être des phénomènes qui surgissent en dépendance. C’est pourquoi, le seul fait qu’elles apparaissent élimine la possibilité qu’elles puissent exister de manière intrinsèque.

Par ailleurs, le fait du vide élimine l’extrême de la non-existence totale. Le fait qu’une chose soit dépourvue d’existence intrinsèque veut dire qu’elle peut apparaître grâce à la production en dépendance : elle ne pourrait donc pas possiblement être totalement non existante.

Telle est la manière spéciale d’affirmer de Tsongkhapa, et elle s’accorde avec le commentaire de Choney Rimpotché (Co-ne Rin-po-che) sur les Louanges à la coproduction conditionnée (rTen-’brel bstod-pa) de Tsongkhapa. Ainsi, la compréhension des choses comme étant dépourvues d’existence intrinsèque parce qu’elles surgissent en dépendance, et la compréhension que les choses surgissent en dépendance parce qu’elles sont dépourvues d’existence intrinsèque, nous empêchent de tomber dans les deux extrêmes que sont la saisie de l’existence inhérente véritable et celle de la totale non-existence.

Vient ensuite l’injonction à pratiquer.

L’injonction à pratiquer

(14) Quand tu auras compris les points de ces trois principaux aspects du chemin, tels qu’ils sont, remets-en-toi à la solitude et, en générant le pouvoir de la persévérance, réalise rapidement, mon fils, ton but immémorial.

Quand nous avons obtenu la compréhension du renoncement, de la bodhichitta et du vide, grâce au pouvoir d’avoir écouté des enseignements corrects à leur sujet, en y réfléchissant et en les analysant jusqu’à ce que nous ayons acquis une conviction de leur signification, nous devons alors vivre dans la solitude et nous consacrer avec un esprit concentré à les méditer et à les réaliser. Nous devons faire cela animé d’une grande et joyeuse persévérance ainsi que les maîtres du passé l’ont fait, tels que par exemple le bien connu Milarépa (Mi-la Ras-pa), le grand Gyalwa Ensapa (rGyal-ba dBen-sa-pa) et ses fils spirituels, Kédrub Sanggyé Yéshé (mKhas-grub Sangs-rgyas ye-shes), etc. Alors nous pouvons atteindre le but immémorial de l’illumination. « Mon fils » fait référence ici au proche disciple de Tsongkhapa, Ngawang Dragpa, que nous avons mentionné auparavant.

Remarques de conclusion sur le non-sectarisme

Ceci conclut le bref commentaire sur Les Trois Principaux Aspects du chemin. C’est un texte très important qui recèle en lui l’essence de la voie du soutra au complet ainsi que le cœur des voies du tantra. Les enseignements sur le vide sont un peu ardus, n’est-ce pas ? À moins d’être très familier avec les termes techniques, dès lors qu’on parle de la vue correcte, des deux vérités, du vide, etc., cela peut prêter à confusion. Il existe des façons distinctes de définir et d’affirmer ces termes dans les quatre écoles bouddhiques indiennes des systèmes philosophiques des soutras, ainsi que des manières différentes dans les quatre classes de tantra. Il existe également une façon différente de les définir dans les quatre différentes traditions du bouddhisme au Tibet au sein de leurs propres contextes et systèmes spécifiques. 

Nous devons essayer de tous les comprendre en sorte de connaître les connotations des termes, selon leur contexte, et pour ne pas devenir confus. Connaître juste un système et ensuite critiquer les autres simplement parce qu’ils sont différents et que nous ne les comprenons pas dans leur propre terminologie est très destructeur. Comme Nagarjuna l’a dit dans La Précieuse Guirlande (Rin-chen ’phreng-ba, skt. : Ratnavali) et Shantideva dans S’engager dans la conduite d’un bodhisattva (sPyod-’jug, skt. : Bodhisattvacharya-avatara), dans de telles circonstances, il vaut mieux rester indifférent et silencieux, et ne rien dire.

Même dans les enseignements d’une tradition, chez les Guéloug par exemple, il existe des déclarations sur la compréhension du vide selon les soutras et selon les tantras. Il n’y a pas de différence dans la subtilité concernant l’objet, le vide, tant dans les soutras que dans les tantras. La différence réside dans l’esprit qui comprend le vide. En outre, aussi bien dans les soutras que dans les tantras, il existe différentes définitions et explications des deux vérités, la conventionnelle et la très profonde, et sur la manière de méditer sur les deux. Même au sein de la classe de tantra de l’anuttarayoga, divers systèmes diffèrent. Par exemple, les méthodes définies dans le système du Guhyasamaja sont assez différentes de celles des enseignements du Kalachakra. Également, on trouve des différences dans la façon de pratiquer la méditation de stabilisation (la méditation formelle) et la méditation de discernement (la méditation analytique). Si nous n’avons pas étudié tous ces systèmes, nous deviendrons très confus. 

En bref, si nous ne savons rien d’un certain système, nous ne devons rien dire à son propos et certainement pas le critiquer. C’est uniquement sur une base non sectaire que nous serons en mesure d’apprécier la pleine portée des enseignements du Bouddha.

Lire et écouter le texte original sur « Les Trois principaux Aspects du chemin » par Tsongkhapa.

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