La nécessité d'une approche réaliste
Devenir un bouddha, c’est à dire quelqu'un qui a atteint le plein éveil, requiert l’élimination intégrale de nos imperfections et la réalisation complète de notre potentiel dans le but d'aider les autres. Face à l'ampleur de la souffrance dans le monde, il est urgent de trouver les méthodes les plus efficaces pour atteindre cet objectif, ce que propose justement l’initiation de Kalachakra. Le mot tibétain pour initiation, wang, signifie pouvoir, et une initiation est, plus précisément, une transmission de pouvoir. Elle confère le pouvoir et la capacité de s'engager dans certaines pratiques spécifiques de méditation pour atteindre l'illumination, et ainsi devenir un bouddha, afin d’être le plus bénéfique possible pour autrui.
Kalachakra est un système de méditation issu du plus haut niveau de tantra du bouddhisme, l'anouttarayoga. Certaines personnes ont d’étranges idées à propos du tantra et s'imaginent qu'une initiation est une porte d'entrée dans un monde magique de sexe exotique et de superpouvoirs. Lorsqu'elles apprennent que ce n'est pas le cas, mais que le tantra est une pratique avancée et complexe, exigeant un engagement sérieux et l’observance de nombreux vœux, ces personnes prennent peur et sont rebutées. Aucune de ces réactions, d'excitation ou de peur, n'est appropriée. Nous devons aborder le tantra et l'initiation de Kalachakra de manière réaliste. Comme l'a dit un jour mon maître principal, Tsenshap Serkong Rimpotché : « Si vous pratiquez des méthodes fantaisistes, vous obtenez des résultats fantaisistes. Si vous pratiquez des méthodes réalistes, vous obtenez des résultats réalistes. »
Qu'est-ce que le tantra ?
Le mot tantra signifie continuum infini. Les continuums sans fin fonctionnent à trois niveaux : comme base, voie et résultat. Au niveau de la base, le continuum infini est notre esprit, plus précisément son niveau le plus subtil connu sous le nom de claire lumière primordiale, qui assure la continuité de toutes nos vies. Tel un rayon laser de pure clarté et de conscience, non altéré par les oscillations grossières de la pensée conceptuelle ou des émotions perturbatrices, il sous-tend chaque moment d'expérience, y compris lorsque nous dormons. Si l’on compare l’esprit à une retransmission radiophonique permanente, le poste de radio étant constamment allumé, le niveau le plus subtil de l’esprit serait similaire à cette radio simplement allumée, sans retransmission particulière. Le poste de radio reste allumé tout au long du processus qui consiste à changer de station, à passer d'une bande à l'autre et à se brancher sur une autre fréquence. De même, notre esprit le plus subtil ne s'éteint jamais. Il constitue la base de notre expérience de la mort, du bardo (l'état entre deux renaissances) et de la conception d'une nouvelle vie. Ni la station, ni le volume, ni même les interférences n'affectent le fait que la radio est allumée. De manière similaire, ni l’état de renaissance, ni l'intensité de l'expérience, ni même les pensées folles ou les humeurs passagères n'affectent notre esprit de claire lumière. Cet esprit le plus subtil perdure jusqu'à l'état de bouddha et constitue la base pour atteindre l'illumination.
En outre, chaque continuum de claire lumière, que ce soit avant ou après l'illumination, est individuel. Toutes les radios ne sont pas les mêmes, bien que chaque récepteur fonctionne de la même manière. Ainsi, il n'existe pas d'esprit universel de claire lumière ou de tantra de base auquel chacun de nos esprits se rattacherait.
Le deuxième niveau du tantra, le continuum infini de la voie, fait référence à une méthode spécifique pour devenir un bouddha, à savoir des pratiques méditatives impliquant des figures de bouddha. Cette méthode est parfois appelée « yoga de la déité ». Le troisième niveau, le continuum infini du résultat, est la continuité sans fin des différents corps de bouddha que nous obtenons avec l'illumination. Pour pouvoir pleinement venir en aide aux autres, il nous faut produire des corps ou des collections de connaissance, de sagesse, d'expérience et des formes qui soient adaptées à chaque être et à chaque circonstance. En résumé, le tantra implique un continuum infini de pratiques en relation avec les figures de bouddhas pour purifier notre continuum mental infini de ses souillures éphémères, afin d'atteindre, sur cette même base, le continuum infini des différents corps d'un bouddha. Les textes qui traitent de ces sujets sont appelés « tantras ».
Le yoga de la déité
La pratique tantrique consistant à s'en remettre à des déités, que certaines cultures traduisent par « dieux » ou « déesses », laisse parfois les gens perplexes. Ces déités, cependant, ne sont pas des créateurs omnipotents ou des êtres dans des états limités de renaissance qui jouissent des délices célestes. Il s'agit plutôt de formes extraordinaires, tant féminines que masculines, dans lesquelles les bouddhas se manifestent afin d'aider des personnes aux tendances diverses à surmonter leurs défauts et à réaliser leur plein potentiel. Chacune de ces figures de bouddha représente à la fois l'état de plein éveil et l'une de ses caractéristiques spécifiques, comme la compassion ou la sagesse. Avalokiteshvara, par exemple, est une manifestation de la compassion, et Manjoushri, une manifestation de la sagesse. Kalachakra représente quant à lui la capacité à gérer toutes les situations à tout moment. La pratique de la méditation structurée autour de l'une de ces figures et de la caractéristique qu'elle représente fournit une orientation et un cadre clairs permettant de progresser plus rapidement vers l'illumination.
Pour soulager les souffrances d'autrui aussi rapidement que possible, il faut la méthode la plus efficace pour acquérir les facultés éveillées du corps, de la parole et de l'esprit d'un bouddha. La base pour y parvenir est une ferme détermination à s'affranchir de nos limitations, un amour et une compassion indéfectibles, une autodiscipline éthique, une concentration parfaite, une compréhension stable de la réalité et la maîtrise de divers moyens pour aider les autres. Une fois que notre esprit est suffisamment familiarisé avec l’ensemble de ces éléments, nous devons combiner ces derniers et les perfectionner pour qu'ils portent leurs fruits. Le tantra fournit une telle méthode, à savoir le yoga de la déité. Comme pour la répétition générale d'une pièce de théâtre, nous imaginons que nous possédons déjà l'ensemble de ces facultés d’éveil en tant que figure-de-bouddha, toutes ensemble et en même temps. Cette manière de procéder agit comme une cause efficace pour intégrer ces qualités et atteindre plus rapidement une telle forme.
Il s'agit d'une méthode avancée. Nous ne pouvons pas nous imaginer avoir tous les atouts d'un bouddha simultanément sans avoir d'abord pratiqué chacun d'eux individuellement. Nous devons apprendre et répéter chaque scène avant de pouvoir jouer une pièce dans son entièreté. Par conséquent, il est à la fois inapproprié et imprudent de s’engager dans la pratique tantrique sans une expérience méditative considérable au préalable.
Entraîner l'imagination
La pratique tantrique exploite l'imagination, un outil puissant que nous possédons toutes et tous. Ainsi, imaginer de façon répétée la réalisation d'un objectif est une méthode puissante pour l'atteindre plus rapidement. Supposons, par exemple, que nous soyons au chômage. Si, chaque jour, nous imaginons trouver un emploi, nous parvenons à en trouver un plus rapidement que si nous nous lamentons, déprimés, sur le fait que nous sommes sans emploi. Cela est dû au fait que nous maintenons une attitude positive par rapport à notre situation. Avec une attitude négative, nous manquons de confiance en nous, et ce même pour chercher un emploi. Le succès ou l'échec dans la vie dépend de l'image que nous avons de nous-mêmes et, dans le tantra, nous travaillons à l’améliorer au moyen de figures-de-bouddhas. Imaginer que nous sommes déjà un bouddha donne une image de soi extrêmement puissante pour contrecarrer les habitudes négatives et les sentiments d'inadéquation.
La méthode tantrique n'implique pas simplement le pouvoir de la pensée positive. Lorsqu'on fait appel à l'imagination, il est essentiel d'être pragmatique et de maintenir une distinction claire entre fantasme et réalité. Sinon, de graves troubles psychologiques peuvent survenir. C'est pourquoi tous les maîtres et tous les textes soulignent qu’il est indispensable d’avoir un niveau de compréhension stable du vide (la vacuité) ; c’est-à-dire de l’absence de modes d’existence erronés et impossibles. L’autre condition préalable fondamentale est d’avoir une solide compréhension de la coproduction conditionnée ; c’est-à-dire de la production de toute chose en fonction de causes et de circonstances. Tout le monde est capable de trouver un emploi, car personne n'existe en tant que « bon à rien » totalement incompétent, et trouver un emploi dépend de notre effort personnel et de la conjoncture économique.
Certaines personnes considèrent à tort le yoga tantrique de la déité comme une forme d'auto-hypnose. Imaginer que nous sommes déjà un bouddha n'est cependant pas une forme d'aveuglement. Nous possédons tous les facteurs nous permettant d'atteindre cet objectif, nous avons tous la « nature-de-bouddha ». En d'autres termes, comme chacun d'entre nous possède un esprit, un cœur, une capacité de communication et une énergie physique, nous possédons toutes les matières premières nécessaires pour créer les facultés éveillées d'un bouddha. Tant que nous réalisons que nous ne sommes pas encore réellement à ce stade, et que nous ne nous gonflons pas d'illusions de grandeur, nous pouvons travailler avec ces figures-de-bouddha sans danger psychologique.
Dans le tantra, nous imaginons donc que nous possédons déjà la forme, l'environnement, les aptitudes et le mode de jouissance propres à un bouddha. Le corps physique d'un bouddha est fait de claire lumière, il est capable d'aider les autres sans relâche et avec une efficacité totale. Pour autant, s’imaginer ainsi comme une figure de bouddha à l'énergie sans limites ne fait pas de nous un « accro au travail » ou un martyr incapable de dire non. Les pratiquants tantriques se reposent bien évidemment lorsqu'ils sont fatigués. Néanmoins, maintenir ce type d'image de soi permet de repousser les limites que l'on s'impose. Chacun dispose d'une réserve d'énergie presque infinie qu'il peut utiliser en cas d'urgence. Aucun parent n’est trop épuisé au point de ne pas porter secours à son enfant qui vient de se blesser en tombant.
De plus, au cours de notre pratique du tantra, nous nous imaginons dans un environnement parfaitement pur et propice au progrès de chacun. Imaginer un tel environnement ne conduit pas à dénigrer les problèmes environnementaux ou sociaux. Cependant, pour aider les autres et nous-mêmes à surmonter la dépression et les sentiments de désespoir, nous cessons de nous attarder sur les aspects négatifs de notre environnement. Une motivation suffisamment forte et des méthodes efficaces pour transformer nos attitudes conduisent à un progrès spirituel, quel que soit l’état du monde extérieur. Plutôt que de nous plaindre sans cesse et d'être un prophète du pessimisme, nous essayons d'apporter de l'espoir à nous-mêmes et au monde.
Nous imaginons également que nous sommes bienfaiteurs envers les autres en agissant comme un bouddha. Nous avons la conviction que cette façon d’être exerce naturellement une influence positive et lumineuse sur toutes celles et ceux qui nous entourent. Nous pouvons comprendre ce que cela signifie si nous avons déjà été en présence d'un grand être spirituel, comme Sa Sainteté le Dalaï-Lama ou Mère Teresa. La plupart des gens, même s'ils ne sont que peu réceptifs, se sentent inspirés à leur contact et aspirent à agir avec une plus grande noblesse de cœur et d’esprit. Nous imaginons que nous avons un effet similaire sur les autres. Notre simple présence, ou même la mention de notre nom, apaise les autres, leur apporte la paix de l'esprit et la joie, et les stimule à atteindre de nouveaux sommets.
Enfin, nous imaginons que nous sommes capables de jouir des choses à la manière pure d’un bouddha. Notre mode de jouissance habituel est mêlé de confusion, souvent traduit par « plaisir contaminé ». Nous sommes toujours critiques, jamais satisfaits. Nous écoutons de la musique et ne pouvons pas en profiter pleinement parce que nous pensons sans cesse que la qualité du son serait meilleure avec les enceintes de notre voisin. Un bouddha, en revanche, se délecte de tout sans même une trace de confusion. Nous nous imaginons faire de même, par exemple, lorsque nous apprécions les diverses offrandes de lumière, d'encens ou de nourriture lors des rituels.
La visualisation comme moyen pour développer nos capacités
De nombreuses figures-de-bouddha ont des caractéristiques physiques multiples et des couleurs variées. Kalachakra, par exemple, possède quatre visages et vingt-quatre bras. Cela peut sembler étrange au premier abord, mais il y a des raisons profondes à cela. Toutes les formes imaginées dans le tantra ont plusieurs objectifs, et chacune de leurs parties et de leurs couleurs a plusieurs niveaux de symbolisme. Leur complexité reflète la nature de l'objectif que l’on cherche à atteindre : devenir un bouddha. Les bouddhas doivent garder à l'esprit toute la gamme de leurs réalisations et de leurs qualités, simultanément, afin de les utiliser pour aider efficacement les autres. De plus, les bouddhas doivent être attentifs à la myriade de détails personnels caractérisant ceux qu'ils aident, afin de toujours faire ce qui est le plus approprié.
Il ne s'agit pas d'un objectif inatteignable. Nous gardons déjà beaucoup de choses à l'esprit simultanément. Lorsque nous conduisons une voiture, par exemple, nous sommes conscients de notre vitesse, de la distance dont nous avons besoin pour nous arrêter ou dépasser un autre véhicule, de la vitesse et de la position des voitures qui nous entourent, des règles du code de la route, de l'objet et du but de notre voyage, des panneaux de signalisation, etc. En même temps, nous coordonnons nos yeux, nos mains et nos pieds, nous sommes attentifs aux bruits étranges du moteur, et nous pouvons même écouter de la musique et tenir une conversation. Les visualisations tantriques aident à développer cette capacité.
Sans méthode, il est très difficile de s'entraîner à garder à l’esprit vingt-quatre réalisations et qualités simultanément, telles que l'impermanence, la compassion, la patience, etc. Un moyen mnémotechnique verbal, tel qu'une phrase composée des lettres initiales de chaque élément de la liste, est utile pour se les rappeler dans l'ordre. Cependant, en représentant chaque connaissance et chaque qualité sous une forme graphique, comme les vingt-quatre bras d'une figure-de-bouddha, il est beaucoup plus facile de rester attentif à toutes ces qualités en même temps. Prenons le cas d’un enseignant d'une classe de vingt-quatre élèves. Lorsqu’il prépare ses cours chez lui, il peut lui être assez fastidieux de garder à l’esprit la personnalité et les besoins particuliers de chaque élève. Passer en revue une liste de leurs noms peut s'avérer quelque peu utile, mais le fait de se trouver devant la classe et de voir les élèves de façon immédiate et directe fait apparaître à son esprit tous les facteurs nécessaires pour adapter la leçon du jour, ce qui est bien plus efficace.
Un mandala, littéralement un univers symbolique, est une aide supplémentaire dans ce processus d'élargissement de notre conscience et de la vision pure de toute chose. Dans ce contexte, un mandala désigne le palais et ses environs dans lequel vit une figure-de-bouddha. Comme les parties de notre corps, chaque élément architectural correspond à une réalisation ou à une qualité positive que nous devons garder activement à l'esprit. Comme un palais, un mandala est en fait une structure tridimensionnelle. Un mandala fait de poudres colorées ou dessiné sur un tissu est comme un plan d'architecte de ce bâtiment. Pendant l’initiation et la pratique de la méditation qui s'ensuit, on ne visualise pas le dessin bidimensionnel, mais seulement la structure en trois dimensions qu'il représente.
Pratique du stade de génération et du stade de complétude
Le tantra anouttarayoga comporte deux stades de pratique. Le premier, appelé le stade de génération, implique des visualisations complexes. Au cours de notre méditation quotidienne, nous imaginons une séquence d'événements durant laquelle nous nous visualisons en tant qu'une ou plusieurs figures-de-bouddha dans le monde symbolique d'un mandala, en gardant à l’esprit notre compréhension ou notre ressenti de divers points propres aux enseignements bouddhiques tels que le vide et la compassion. Pour aider à maintenir cette séquence, nous lisons habituellement, ou récitons par cœur, une sadhana, qui est un peu comme un script pour ce rituel quotidien de visualisation.
La deuxième phase de la pratique est le stade de complétude. Grâce aux efforts déployés au cours de l'étape précédente, nous acquérons la maturité nécessaire pour suivre les procédures qui permettent de manière effective d'atteindre notre objectif de devenir un bouddha. Ayant entraîné notre faculté d’imagination, nous l'utilisons à présent comme la clé pour déverrouiller notre système d'énergie subtile, à savoir les canaux et forces invisibles à l'intérieur de notre corps qui affectent nos humeurs et notre état d'esprit. Sans la pratique préalable du stade de génération, ce système reste inaccessible pour mener à bien notre médiation. Une fois que l’on a accès à ce système d’énergie subtile, nous pouvons déplacer consciemment ces énergies subtiles à travers les canaux auxquels elles sont associées et, ainsi, révéler à la surface notre esprit de clair lumière le plus subtil. En travaillant avec ce niveau d'esprit grâce à la méditation, nous créons alors les causes immédiates de la réalisation effective des corps physiques et de l'esprit d'un bouddha. À ce stade de la pratique, le processus ne relève plus de l'imagination.
La réussite dans le tantra, comme dans toute chose dans la vie, découle des lois de cause à effet. Rappelons-le, notre objectif ultime est d’avoir la capacité la plus complète pour être bénéfique à tous les êtres. Pour atteindre cet objectif, appelé le tantra du résultat, c’est-à-dire un continuum infini des différents corps d'un bouddha, nous devons transformer notre tantra de base, le continuum infini de notre esprit primordial de claire lumière. Nous devons le faire fonctionner comme un corps de sagesse donnant naissance à un vaste corpus de formes éveillées. Cela nécessite un tantra de la voie, un continuum infini de pratique du stade de complétude et du stade de génération. Avec le premier, nous accédons à un esprit de claire lumière en travaillant avec notre système d'énergie subtile, tandis qu'avec le second, nous acquérons les outils pour accomplir cette tâche en entraînant nos facultés de concentration et d'imagination. Ainsi, chaque étape de la pratique tantrique est la cause de l'accomplissement de la phase suivante.
Le rôle que joue l’initiation et la prise de vœux
Nous disposons donc toutes et tous du matériel de travail à partir duquel nous pouvons façonner les différents corps d'un bouddha, puisque ceux-ci font partie de notre tantra de base. Toutes les capacités dont nous avons besoin sont contenues dans notre esprit de claire lumière, l’aspect primordial de notre nature-de-bouddha et le principal facteur permettant à chacun et chacune d'entre nous de devenir un bouddha. Cependant, avant de pouvoir faire fructifier ces potentialités, nous devons les activer. C'est la fonction et la nécessité de recevoir une initiation. Une initiation conférée par un maître pleinement qualifié élimine d'abord les obstacles initiaux qui empêchent l'accès et l'utilisation de ces potentiels de bouddha. Elle éveille ensuite ces capacités et les renforce. Cette double procédure est appelée « recevoir la purification et planter les graines ». Le processus ne fonctionne toutefois que si nous l'imaginons ou le sentons se produire. La transmission de pouvoir requiert la participation active du maître et du disciple.
Un maître spirituel est essentiel à ce processus. Lire un rituel dans un livre ou en regarder une vidéo n'est pas assez puissant pour activer les potentiels d’éveil. Nous avons besoin de participer à l’initiation en direct, ce qui paraît assez évident. Nous connaissons tous la différence entre écouter un enregistrement musical à la maison et assister à un concert en live. Au contact personnel d’un maître pleinement qualifié conférant l’initiation, nous gagnons l'inspiration, la confiance et une source de conseils pour soutenir toute pratique ultérieure du tantra. De plus, nous établissons un lien fort non seulement avec le maître qui donne l'initiation, mais aussi avec toute la lignée de maîtres par laquelle la pratique a été transmise, remontant jusqu'au Bouddha lui-même. Le fait de savoir que ces méthodes ont permis à nombre de personnes d’atteindre leur but spirituel est très important sur le plan psychologique et procure un grand sentiment de confiance dans la pratique. En recevant l’initiation, nous ne nous lançons pas dans une entreprise anodine. Nous ne rêvons pas d'être Mickey Mouse à Disneyland. Nous rejoignons une longue lignée de pratiquants sérieux qui ont validé les méthodes tantriques au fil des siècles.
Sans un treillis sur lequel pousser, une vigne ne peut pas croître. De même, une structure bien définie est essentielle pour développer les potentiels de bouddha une fois qu'ils sont activés. C'est le but des vœux et des engagements que nous prenons lors d'une transmission de pouvoir de la classe de l'anouttarayoga ; ils fournissent la structure de soutien nécessaire à tous les progrès ultérieurs. La pratique tantrique n'est pas un passe-temps occasionnel, et elle ne se limite pas à s’asseoir sur un coussin de méditation. La transformation personnelle que nous entreprenons avec le tantra englobe tous les aspects de la vie. Comment pourrions-nous procéder sans directives claires ? Ces directives nous sont fournies par la prise de refuge, les vœux de bodhisattva et les vœux tantriques.
Prendre refuge donne une direction sûre et positive à notre vie. Nous nous efforçons d’éliminer nos défauts et de réaliser nos potentiels, comme l'ont fait les bouddhas et comme le font les pratiquants et les pratiquantes très avancés. Avec les vœux de bodhisattva, nous nous abstenons de tout comportement négatif contraire à cet objectif. Nous promettons de nous abstenir d'agir de manière à nuire à notre capacité à aider les autres. Le respect des vœux tantriques nous permet de ne pas nous égarer dans les complexités de la pratique tantrique. En bref ces vœux sont un cadeau formidable, et non un fardeau contraignant. Ce sont les directives que le Bouddha nous a transmis pour mener à bien nos objectifs. Nous n'avons pas à tâtonner à l’aveugle, au risque de nous tromper, pour savoir quel comportement adopter ou éviter afin d'atteindre l'illumination pour le bénéfice de tous.
Recevoir l’initiation lors d'une cérémonie élaborée fournit un point d’ancrage que nous pouvons considérer comme le début de notre engagement formel dans la voie tantrique. Lorsque nous marquons les grandes transitions de la vie par un rituel séculaire, nous les prenons beaucoup plus au sérieux que si nous les laissions passer sans réfléchir. S’embarquer dans la voie du tantra et s'engager dans une phase plus avancée de la pratique bouddhique est l'une de ces transitions majeures. Une initiation, avec ses procédures diverses, du lien karmique avec un maître tantrique et de la prise de vœux, font de cet événement un moment mémorable.
S’engager dans la voie tantrique
De nombreuses personnes ont peur de s'engager dans quoi que ce soit, que ce soit envers un ou une partenaire, une carrière ou un chemin spirituel. Craignant de perdre leur liberté, elles abordent tout engagement avec indécision et hésitation. D'autres pensent qu’un engagement est une obligation morale et que si elles le rompent, elles sont de mauvaises personnes. Ne voulant pas prendre une mauvaise décision au risque de se tromper, elles ont des difficultés à faire des choix décisifs. D'autres encore considèrent les engagements comme temporaires et ne s'y engagent que s'il existe une porte de sortie, comme l'obtention d'un divorce. Ces personnes prennent des engagements à la légère et les rompent facilement dès qu'elles en éprouvent le désagrément.
De telles attitudes, surtout lorsqu'elles sont appliquées à l'engagement envers la pratique tantrique, un maître spirituel ou le respect des vœux, constituent un obstacle au progrès spirituel. Une voie médiane est nécessaire. D'une part, il n'est pas sage de se précipiter dans quoi que ce soit avant d'en examiner sérieusement les conséquences. D'autre part, nous devons prendre des décisions dans la vie, sinon nous n'arriverons jamais à rien. La façon de surmonter l'indécision est d'évaluer honnêtement notre capacité et notre disposition à nous engager, de savoir clairement à quoi nous nous engageons et de comprendre profondément la relation entre engagement et liberté. Nous avons besoin pour cela de temps et de sagesse.
Il y a deux façons de participer à une initiation, dont les niveaux d’engagement diffèrent. Nous pouvons venir en tant que participant actif ou en tant qu'observateur intéressé. Les participants actifs prennent tous les vœux associés à la pratique, font de leur mieux pour effectuer les visualisations et reçoivent ainsi réellement la transmission de pouvoir. Ils organisent ensuite leur vie en fonction des directives de leurs vœux et s'engagent au moins dans les premiers niveaux de la méditation tantrique. Si nous recevons une initiation de l’anouttarayoga de la tradition Guéloug, nous devrons pratiquer une méditation au quotidien connue sous le nom de yoga en six sessions. Ceux qui ne se sentent pas prêts à franchir une telle étape participent en tant qu'observateurs et ne reçoivent pas la transmission de pouvoir.
Il n'y a aucune honte ou culpabilité à être un observateur. Il est bien plus sage de participer de cette manière que de prendre un engagement prématuré que l'on regrette par la suite. Les observateurs intéressés ne doivent cependant pas se contenter de regarder la cérémonie comme un spectacle anthropologique divertissant. L'expérience peut leur apporter beaucoup. Les participants et les observateurs trouveront donc l'initiation plus significative s'ils comprennent au préalable un minimum ce qu’est le tantra.
Le choix d'un système tantrique
Supposons que nous ayons un minimum de connaissances théoriques à propos du bouddhisme et une réflexion engagée fondée sur celles-ci, ainsi qu’une confiance dans l'efficacité et la nécessité des méthodes du tantra anouttarayoga. Si nous nous sentons prêts à recevoir l’initiation, ou si nous souhaitons assister à ce rituel en tant qu'observateur intéressé afin d'établir une connexion solide en vue d'un engagement futur, la question suivante est de savoir quel système de l’anouttarayoga choisir ? Le menu est vaste, dans une langue étrangère, et la plupart d'entre nous n'ont pas de relation étroite avec un maître spirituel à qui ils pourraient demander conseil. Parfois, cependant, nous n'avons pas beaucoup de choix, car les maîtres qualifiés viennent rarement dans notre région et il est encore plus rare qu'ils confèrent une transmission de pouvoir de cette classe supérieure de tantra.
Les points les plus importants à considérer avant de prendre une initiation sont les qualifications du maître qui la confère. Si une personne non qualifiée donne l'initiation d’un tantra que nous souhaiterions recevoir, il ne sert à rien d'y assister. Toute personne formée au rituel peut réciter et suivre les différentes étapes d’une cérémonie d'initiation, mais, faute de qualifications appropriées, un prétendant ne nous confère rien du tout. Même si les conseils de nos maîtres sont avisés, notre choix d’un système de tantra est parfois dicté par ce que d'autres ont demandé et organisé. Cependant, la disponibilité de tel ou tel tantra n'est pas le critère optimal pour choisir un système de méditation tantrique. Parfois, notre priorité est d'établir un lien étroit avec le maître tantrique, et la figure-de-bouddha pour laquelle il confère la transmission de pouvoir est au second plan. Le mieux, cependant, est de rencontrer à la fois le bon enseignant et le bon système de tantra. Pour déterminer si ce système est celui de Kalachakra, nous devons en savoir un peu plus à son propos.