Dissiper les concepts superflus à propos du karma

Le karma concerne ce qui nous arrive et toute la question de l’éthique. Bien entendu, il s’agit d’un sujet extrêmement complexe. En effet, dans les enseignements bouddhiques, on le considère comme le sujet le plus complexe. Il existe d’innombrables êtres et tous ces êtres innombrables ont fait l’expérience de renaissances sans commencement et ont interagi les uns avec les autres, donc tous les facteurs divers et variés qui affectent absolument tout le monde sont tous interconnectés. Ainsi, connaître pleinement le karma n’est pas juste une question de connaître le karma d’un individu particulier. Seul l’esprit omniscient d’un bouddha pourrait embrasser et comprendre le tableau dans son ensemble. L’esprit de tous les autres êtres étant limité, seul l’esprit omniscient d’un bouddha possède cette envergure. Néanmoins, nous pouvons essayer d’apprendre et de comprendre la totalité des divers facteurs impliqués dans le processus du karma et, de cette façon, avoir une compréhension générale de la manière dont il fonctionne et de celle dont nous pouvons l’affecter. 

Explications occidentales du karma et de l’éthique

La méthode bouddhique générale pour apprendre à connaître une chose est d’abord d’apprendre ce qu’elle n’est pas. En éliminant ce qu’une chose n’est pas, nous obtenons une idée plus claire de ce qu’elle est vraiment. Le raisonnement derrière cela est que nombre d’entre nous ont des idées reçues. Il est possible que nous ayons des idées préconçues concernant l’éthique et la façon dont l’éthique bouddhique fonctionne (Voir : Qu’est-ce que l’éthique ?) Quand nous entendons une explication au sujet du karma, presque naturellement nous projetons dessus nos idées préconçues. Cela rend extrêmement difficile d’en avoir une compréhension bouddhique qui soit correcte. En premier, nous devons balayer toutes ces idées reçues sur la signification du karma de telle sorte que notre esprit soit plus réceptif et ouvert afin d’en obtenir une compréhension correcte. Telle est la méthode générale, non seulement pour le karma mais pour tous les sujets majeurs.

Dans cette veine, j’aimerais explorer certaines des explications non bouddhiques sur ce qui nous arrive, sur l’éthique et le karma. En excluant ces explications, nous pouvons obtenir une compréhension beaucoup plus claire des enseignements bouddhiques sur le karma.

Le hasard ou la probabilité

Une théorie consiste à dire que ce qui nous arrive, nous arrive juste par hasard. Il n’y a aucune raison particulière au fait que nous soyons heureux ou malheureux, ou que nous rencontrions quelqu’un, ou pourquoi telle ou telle chose nous arrive. Le bouddhisme ne dit absolument pas cela, il dit qu’il y a une cause, que ce n’est pas chaotique.

Une variante de cela serait l’explication scientifique occidentale comme quoi ce qui nous arrive, arrive en fonction de la probabilité, une formule mathématique de probabilité. Étant donné toutes les circonstances d’une situation, on pourrait prédire mathématiquement ce qui va arriver. Le bouddhisme ne dit pas cela non plus.

La chance

Une autre explication serait que ce qui arrive, arrive par chance. Cette personne a gagné à la loterie, elle a été chanceuse. Cette personne a perdu à la bourse, elle a été malchanceuse. Ce qui se tient derrière cela est une sorte de force inhérente ; quelqu’un a de la chance de manière inhérente. On dit : « C’est mon jour de chance », comme s’il y avait quelque chose d’inhérent dans le jour lui-même, qui le rendrait chanceux. « Porter une patte de lapin me porte bonne chance. » Le bouddhisme ne dit certainement pas cela, même s’il est possible d’avoir cette impression en voyant des gens porter des cordons rouges ou, dans les pays d’Asie du sud-est, porter des amulettes autour de leur cou pour attirer la chance. Ce n’est pas l’enseignement bouddhique.

Le destin ou la fatalité

Une autre théorie consiste à dire que ce qui nous arrive est dû au destin ou à la fatalité. Cela peut être impersonnel ou personnel. Si on en donne une explication impersonnelle : c’est juste comme c’est. C’est votre destin, consigné dans un livre quelque part dans le ciel, dans des registres « akashiques » [cachés], gardés au fond d’une grotte ou quelque chose de cette sorte. Ce n’est pas le point de vue bouddhique.

La volonté de Dieu

Une variation de cela est que le sort ou la destinée vient d’une source personnelle, autrement dit de la volonté divine. Dans l’islam, on l’appelle kismet. En vérité, dans l’hindouisme tardif de l’Inde, qui est très fortement influencé par les idées islamiques, il y a une forte croyance en la volonté divine, associée à la compréhension hindoue du karma. Elle ne se limite pas seulement à cette culture, on la trouve dans d’autres cultures également. « Si vous tombez malade et ne prenez aucun remède, c’est la volonté de Dieu si vous guérissez ou non. » C’est ce genre de point de vue, le point de vue biblique fondamentaliste.

La bonne fortune

Ensuite, on a le point de vue des anciens Romains, l’idée de la bonne fortune et de la déesse Fortuna. Si vous réussissez dans une entreprise, cela indique que la déesse Fortuna vous a octroyé la bonne fortune. D’où « la force fait le droit ». Si un dictateur se manifeste et réussit, qu’importe sa cruauté, la déesse Fortuna était à ses côtés, c’est donc bien. La Fortune prend appui sur le gagnant. Si vous survivez aux lions dans une arène, la déesse Fortuna vous en fait le cadeau. Si les lions vous mangent, la déesse ne vous a pas accordé la bonne fortune de survivre. C’est une attitude très axée sur le succès. En fait, nous avons hérité beaucoup de cette mentalité dans les affaires. Si quelqu’un gagne et réussit dans son entreprise, il est un bon homme d’affaires. On dit : « Il a fait fortune ! » En anglais, on utilise le mot « fortune » pour désigner à la fois les richesses et le succès. Ce n’est pas seulement une ancienne croyance. Nous avons reçu cet héritage. Dans le bouddhisme, nous ne voulons certainement pas dire que l’éthique est fondée sur la force, le droit et le pouvoir.

La récompense et le châtiment fondés sur le respect des lois

Une autre théorie dit que ce qui nous arrive est fondé sur le fait de suivre les lois ; autrement dit, sur la récompense et le châtiment. Une théorie voudrait qu’il y ait des lois données par quelque autorité supérieure dans le ciel, données par Dieu. Si vous respectez les lois, vous serez heureux et récompensés ; si vous enfreignez les lois, vous serez malheureux et punis. Ce qui nous arrive est une question d’obéissance, cela dépend de la mesure avec laquelle nous obéissons aux lois. L’éthique est donc seulement fondée sur l’obéissance.

Une variante de cela en Occident vient des anciens Grecs. Elle repose sur la loi, mais plutôt que d’avoir été créées dans les cieux, ces lois sont créées par une législature, par le peuple. Il s’agit d’un système séculier mais, à nouveau, il fonctionne sur la base de la récompense et du châtiment. Si vous suivez les lois civiles alors vous êtes un bon citoyen, vous serez heureux et toute la société avec. Si vous enfreignez les lois, alors vous serez malheureux, la société aura des problèmes et vous serez punis.

Faisons une pause un instant, après avoir passé en revue la première section des points de vue non bouddhiques, les points de vue occidentaux, avant de poursuivre avec les points de vue asiatiques, lesquels diffèrent de l’explication bouddhique indo-tibétaine. Il est utile de considérer et de réfléchir pour savoir si, instinctivement, ou à un niveau émotionnel, nous reprenons à notre compte l’une quelconque de ces vues ou idées préconçues. Pensons-nous que ce qui nous arrive se produit juste par hasard ? Ou selon une probabilité mathématique ? Par chance ? À cause du destin ? Ou grâce au pouvoir ? Que si nous gagnons le plus d’argent nous serons plus heureux, ou que nous serons heureux si nous suivons les lois célestes ou civiles ? Réfléchissez-y un moment. Telles sont nos idées préconçues occidentales. Il se peut qu’il y en ait d’autres mais ce sont les seules qui me viennent à l’esprit pour le moment.

Nous devons examiner de manière plus spécifique pourquoi nous nous sentons bien maintenant, pourquoi nous sommes heureux, pourquoi nous sommes malheureux. Est-ce que les choses vont bien ou se passent mal à cause du hasard, du destin, de la chance, ou d’autre chose ?

Je pense que pour beaucoup d’entre nous, il s’agit d’une combinaison de plusieurs de ces facteurs.

Si on obtient une promotion ou une augmentation de salaire, on pourrait se dire : « Si j’ai réussi et eu de la chance, c’est parce que j’ai suivi toutes les lois. Ça a été un intermède chanceux. » D’autres fois, on pourrait penser : « Si j’ai perdu mon travail, c’est le destin. » Aucune de ces raisons n’est la façon bouddhique de comprendre les choses.

Explications asiatiques du karma et de l’éthique

L’hindouisme : accomplir son devoir

Le point de vue hindouiste est que le karma est associé à une sorte de devoir ou destinée. On est né dans une certaine caste et une certaine situation sociale – en tant qu’homme ou femme, souverain, serviteur, ou soldat – et ces castes et rôles sociaux comportent, pour chacun d’entre eux, une série d’actions standard qui leur sont associées. Pour une femme ou un serviteur, il existe une certaine façon supposée d’agir. Ces comportements sont personnifiés dans les grandes gestes épiques par Hanuman, Sita, Rama, etc. Si nous vivons en accord avec notre devoir et suivons le rôle social pour lequel nous sommes nés, tout ira bien et nous obtiendrons une meilleure renaissance. Si nous sommes née en tant que femme et sommes de bonnes maîtresses de maison, nous serons heureuses et, dans notre prochaine vie, nous pourrons même renaître avec un meilleur statut.

J’utilise cet exemple parce qu’il y a tellement de femmes ici dans cette assemblée. Je pense que vous pourrez apprécier ce à quoi ce genre de façon de penser ressemblait et ses implications. On voit ceci très clairement dans la Bhagavad Gita. Arjuna est un guerrier qui doit mener une guerre contre ses proches et sa famille, et il est dans l’indécision complète sur la conduite à adopter. Krishna le conseille et lui dit qu’il doit se battre. « Mieux vaut pour toi combattre et faire ton devoir que d’aller à l’encontre de ton devoir de guerrier. Alors tu seras heureux et tout ira bien. » Bien que les bouddhistes se servent du même mot, le mot « karma », ce dernier possède ici un sens très différent.

Le confucianisme : être en harmonie et se conformer au processus du changement

Qu’en est-il de la façon de penser chinoise ? On a le point de vue chinois classique du confucianisme, lequel a une grande influence sur la façon de penser du peuple de la République de Chine également. Il existe certains modèles et si tout le monde suit correctement son modèle –un père est un père, un fils est un fils, le souverain est le souverain, les sujets sont les sujets, les membres du parti sont les membres du parti, les prolétaires sont les prolétaires – alors tout se passera harmonieusement. Chacun doit couler avec le processus du changement et être en harmonie avec lui, donc, en temps de guerre, combattre est juste, et tout le monde sera heureux. Si pendant une période de guerre vous ne combattez pas, cela va à l’encontre de l’harmonie et c’est terrible car cela entraînera un désastre – vous serez châtié. Donc, si vous ne vous battez pas, c’est non vertueux ; si vous vous battez, c’est vertueux. De même, quand les temps changent et qu’on est en paix, si vous combattez, c’est non vertueux, et si vous restez pacifique, c’est vertueux.

Comment les gens savaient-ils si les temps avaient changé ou non ? C’est l’empereur qui le décrétait. Nous avons exactement la même chose aujourd’hui : quand le président du parti communiste dit que c’est le moment pour les Gardes Rouges d’agir, et si vous êtes un Garde Rouge, c’est bien, si vous n’êtes pas un Garde Rouge et que vous ne détruisez pas tout, c’est réellement mal. Quand le président du parti dit que c’est le moment de faire de l’argent, si vous en gagnez, vous coulez avec le processus du changement et cela engendrera l’harmonie, si vous n’en gagnez pas, vous n’êtes pas en phase. Telle est la manière traditionnelle chinoise de réfléchir à ce qui apporte le bonheur : intégrez-vous à la société et suivez ce que le gouvernement dit.

Ce n’est pas seulement la pensée chinoise. On trouve cela également à l’Ouest. Si on se conforme à la dernière mode et qu’on porte son manteau à telle longueur plutôt qu’à telle autre, on sera heureux et on sera dans le vent. Si nous portons notre vêtement à une longueur différente, nous ne sommes plus à la mode et n’allons pas nous sentir heureux. L’empereur et l’impératrice de la mode nous dictent ce que sera la mode de cette année. Ce n’est pas le point de vue bouddhique. Dans quelle proportion cela influence-t-il notre façon de penser ! Cela influence le genre de musique que les adolescents écoutent, la façon dont ils se coupent les cheveux, s’ils se font faire des tatouages ou des « piercings ». Il s’agit là d’une façon plutôt courante de penser.

Le bouddhisme populaire chinois : faire de bonnes actions comme investissement commercial

Un autre point de vue chinois est le point de vue des bouddhistes chinois, lequel est très fortement influencé par la culture chinoise ; ce n’est pas du tout le même que le point de vue bouddhique indo-tibétain. Pour être honnête, il s’agit de la vision chinoise populaire du karma, laquelle n’est pas la plus sophistiquée. Cela vient du terme utilisé pour la traduction. C’est un très bon exemple de ce que je ressens très fortement : à savoir que le mot utilisé pour traduire un terme bouddhique influence tellement fortement notre manière de comprendre et qu’il est crucial de choisir le mot le moins susceptible d’induire en erreur.

Les anciens Chinois ont traduit le mot karma avec l’idéogramme qui est toujours utilisé dans les mots composés ayant trait aux affaires, ils ont donc ajouté au mot karma la connotation d’investissement commercial. Faire de bonnes actions, c’est comme de faire un investissement dont vous tirez beaucoup de mérites. Nous avons fait un bon investissement et maintenant nous devons mettre cet investissement à la banque afin d’en obtenir de bons retours (mérites) sur  investissement. C’est pourquoi nous essayons de faire de prétendues bonnes actions : afin d’en tirer beaucoup de bénéfices ou d’argent (mérites). Les gens ont ce genre de façon de penser : « Je vais faire une offrande au temple, je vais construire une statue parce que c’est un bon investissement. J’en tirerai beaucoup de mérite et j’obtiendrai le bonheur et la bonne fortune comme résultat. » Si vous manquez l’opportunité de faire une donation à un temple, vous n’êtes pas un bon homme d’affaires, car vous avez raté l’opportunité de faire un bon investissement.

On voit cela même de nos jours. Quand le Tibétains construisent des temples ou de grandes statues, qui donne le plus d’argent ? Les Chinois. C’est à cause de cette mentalité. En effet, les Chinois étaient ceux dans l’histoire classique qui firent le plus de donations pour construire les gigantesques monastères au Tibet. Les persécutions contre le bouddhisme en Chine, il y a de cela des siècles, comme pendant la dynastie Ming (du quatorzième au dix-septième siècle), étaient dues fondamentalement au fait que le gouvernement dépensait beaucoup trop d’argent pour bâtir des temples et que les gens donnaient trop d’argent. C’est la raison pour laquelle il y eut des persécutions contre le bouddhisme, et même des mouvements contre le gouvernement. Nous avons cette même mentalité à l’Ouest : « Je peux acheter mon bonheur. »

L’humanisme occidental : le bonheur de rendre les autres heureux et de ne pas faire de mal

Le dernier point de vue bouddhique non tibétain n’est pas particulièrement asiatique. On le trouve à l’Ouest en particulier. On l’appelle « l’éthique humaniste ». Ne faites pas de mal aux autres et ne les rendez pas malheureux ; essayez de faire en sorte que tout le monde soit heureux. C’est là tout le système de l’éthique. « L’éthique » signifie essayer d’apporter le plus de bonheur possible aux plus de gens possibles. N’utilisez pas les animaux à des fins expérimentales en laboratoire pour la médecine, ce genre de choses. C’est très courant.

En vérité, il ne s’agit pas là non plus de l’enseignement bouddhique. La raison principale à cela, c’est que nous n’avons aucune idée si ce que nous faisons rendra l’autre personne heureuse. Nous pouvons avoir les plus merveilleuses intentions du monde, comme de cuisiner quelque chose et de le servir à notre ami, mais il pourrait s’étrangler et en mourir. C’est là un exemple extrême, mais il est intéressant, car alors nous nous sentirions coupable, n’est-ce pas ? « C’était de ma faute ! J’ai été une mauvaise personne ! » Il est très étrange de fonder l’éthique sur ça. Après tout, qui est responsable de la mort de mon ami ? 

L’idée que les Occidentaux « spirituels », ceux qui pensent de la façon la plus progressiste, se font de l’éthique est cette pensée humanitaire. Nous n’avons pas l’habitude de penser que de suivre la mode nous rendra heureux ou que nous puissions acheter notre bonheur, ou que d’être une bonne maîtresse de maison nous rendra heureuse. Mais nous pensons que si nous rendons les autres heureux, nous sommes quelqu’un d’éthique et que les choses iront bien pour nous.

Autre exemple : nous prenons soin d’une personne or elle tombe malade et meurt. Nous avons le sentiment que c’est de notre faute et pensons : « J’aurais dû être capable de la rendre heureuse et de la soigner », comme si ce qui arrive à quelqu’un d’autre dépend totalement de nous. Nous pouvons contribuer à ce qui arrive, mais nous ne sommes pas la seule force déterminante.

Nous essayons de ne pas nuire aux autres mais, dans l’optique bouddhique, nous parlons de notre motivation et non de l’effet que notre action peut avoir. Notre motivation est d’essayer de ne pas causer de tort, mais nous n’avons aucune idée de l’effet que cela aura sur l’autre personne. Dans le bouddhisme, l’éthique n’est pas fondée sur l’effet que vous produisez sur l’autre personne ; elle se fonde sur la motivation. Vous ne pouvez pas déterminer à l’avance le bien, le mal, le vertueux ou le non vertueux par l’effet que cela a sur les autres, car vous n’avez aucun contrôle sur cela. Vous avez le contrôle seulement sur votre propre motivation.

Il existe également une combinaison de ces deux points de vue non bouddhiques. « Comment serai-je heureux ? Si je suis marié et que j’ai la bonne partenaire, un bon travail, une maison, que je gagne beaucoup d’argent (parce que c’est ce qu’une personne éduquée devrait faire), et que j’essaie d’être quelqu’un de bon et de ne blesser personne, alors je serai heureux. C’est la vertu la plus haute. » C’est ce que nos parents nous disent ! Et ils nous disent aussi : « S’il y a une guerre, tu y vas et tu fais ton devoir. » Qu’est-ce qui vient de la propagande dans notre société ? « Suis la mode. » « Réussis. » « Sois conforme. » Le bouddhisme n’est pas d’accord, il ne dit pas que notre bonheur, ou notre malheur, découle d’aucune de ces choses. Je pense que le survol de ces autres possibilités est utile pour clarifier nos idées reçues, ce que nous pensons normalement.

La compréhension bouddhique indo-tibétaine du karma

Maintenant que nous avons balayé quelques uns des concepts étrangers, nous pouvons nous interroger sur la compréhension indo-tibétaine du karma et la raison pour laquelle nous faisons l’expérience de choses.

Du point de vue bouddhique indo-tibétain, une action destructrice est une action commise sous l’influence d’une émotion perturbatrice quelconque comme la colère, l’avidité ou la naïveté – la naïveté étant, par exemple, de penser qu’il n’y aura aucun effet à nos actions et donc que ce que nous faisons importe peu. Ce gendre d’action occasionne de la souffrance. Nous ne parlons pas de la souffrance que cela cause aux autres mais de celle que cela nous cause à nous, en matière de notre propre expérience future. Autrement dit, ce dont nous faisons l’expérience dans la vie est le résultat des attitudes et émotions qui nous motivent à faire ce que nous faisons.

Les quatre faits de la vie

Tout ceci est expliqué et compris dans la perspective des Quatre Nobles Vérités, ce que j’appelle les quatre faits de la vie. Ce sont quatre faits que toute personne qui examine clairement la réalité voit comme étant vrais ; les gens ordinaires ne verront pas forcément qu’ils sont vrais.

En langage simple, le premier fait est que cette vie est difficile ; elle est pleine de problèmes. Un grand nombre de gens ne veulent pas admettre le fait ni même le regarder. Cela fait référence à chaque moment de nos vies ordinaires. Parfois, nous nous sentons malheureux. Ce n’est pas très plaisant ; c’est un problème. Parfois, nous nous sentons heureux, mais ce bonheur est mêlé de problèmes et de confusion. Le problème avec ce bonheur, c’est qu’il ne dure pas, et qu’il ne règle pas réellement les choses de façon permanente. Après avoir manger un repas, nous avons la sensation heureuse d’être rassasié, mais cela ne nous empêche pas d’avoir faim à nouveau. Un autre problème est que nous ne pouvons pas prédire ce qui va arriver. Allons-nous nous sentir heureux à propos d’autre chose ? Allons-nous nous sentir malheureux ? Allons-nous nous endormir et nous sentir neutre ? Nous n’avons aucune idée de ce que nous allons ressentir le moment suivant ? Il n’y a aucune sécurité à tirer de ce type de bonheur fugitif.

Quand nous nous sentons malheureux, nous sommes évidemment insatisfaits et rebutés par ce fait. Nous voulons juste nous en débarrasser car il nous perturbe. Quand nous sommes heureux, nous nous y attachons. Nous voulons qu’il ne s’en aille jamais et sommes insatisfaits ; nous sommes avides, nous en voulons plus. C’est comme de zapper sur les chaînes de télévision. Nous trouvons quelque chose à regarder, mais comme nous sommes avides, nous pensons : « Eh bien, peut-être y a-t-il quelque chose de mieux sur une autre chaîne. » Nous n’éprouvons aucune satisfaction. Ces expériences sont problématiques.

Nous éprouvons également des sentiments neutres où il ne se passe pas grand chose. Cela nous rend maussade et naïf. Nous pensons que cela va durer toujours – « Maintenant, je ressens la paix d’être assoupi. Maintenant tout va bien. » Mais cela ne dure pas.

Tout cela constitue le premier fait de la vie, la première noble vérité.

Le second fait est que ces expériences insatisfaisantes ont une cause. D’ordinaire, on a l’impression que c’est ainsi que les choses doivent être, qu’elles n’ont pas de cause ou bien que ça arrive en vertu de toutes les idées que nous avons mentionnées ci-dessus – le hasard, la chance, peu importe. Le Bouddha a dit que la cause la plus profonde, la véritable cause, c’est le karma, ainsi que les émotions et attitudes perturbatrices. Ces causes viennent toutes de la confusion. « Confusion » ne veut pas dire démence ou syndrome d’Alzheimer ; la confusion signifie soit que nous ne savons pas ce qui arrive, soit que nous avons une idée incorrecte de ce qui arrive. Le premier fait de la vie, ce sont les résultats du karma ; et le deuxième fait, ce sont leurs causes, ce sont le karma et les émotions perturbatrices.

Le troisième fait est qu’il est possible de réaliser une complète cessation de tous ces faits, ce qui signifie qu’ils ne se reproduiront plus jamais. Ce n’est pas seulement les écarter de telle sorte qu’ils ne reviennent pas avant longtemps. Bien que vous puissiez le faire, nous ne parlons pas de ça. Le bouddhisme dit qu’on peut s’en débarrasser en sorte qu’ils ne reviennent jamais.

Le quatrième fait est que, pour que cela advienne, vous devez faire quelque chose ; cela n’arrivera pas juste par hasard, ou pour toute autre raison. Nous devons changer nos attitudes pour nous débarrasser de la confusion et du karma. Le comportement destructeur qui apporte le malheur vient des émotions perturbatrices telles que la colère, l’avidité, etc. Quand on parle de n’importe laquelle de ces actions – constructives, destructives, ou neutres, actions qui nous apportent le malheur, le bonheur (insatisfaisant, le bonheur), et les sentiments neutres respectivement – celles-ci viennent toutes d’émotions perturbatrices à propos du « moi », de la confusion sur le mode d’existence du « je » et sur la réalité. 

Quelle est l’importance de tout ceci ? En général, nous parlons du karma comme la cause de ce dont nous faisons l’expérience. Nous ne sommes pas en train de dire que cela vient d’une force extérieure. Cela ne vient pas du diable ou de démons qui nous envoient ou nous donnent ce mauvais karma, comme quand on dit : « C’est le diable qui m’a poussé. » Le karma et toutes ces choses viennent de notre propre confusion. Cette confusion ne fait pas partie de notre nature et elle ne vient pas de Dieu. Dieu ne nous a pas créé de cette façon. Cela n’est pas arrivé à cause du péché originel. Du point de vue bouddhique, cette confusion n’a pas de commencement. Ce n’est la faute de personne ; vous ne pouvez blâmez personne. 

Le karma est toujours associé aux émotions et attitudes perturbatrices. Il n’existe pas indépendamment par lui-même, affectant ce qui nous arrive par son propre pouvoir inhérent. Il ne vient pas de l’extérieur, et nous ne pouvons en faire porter le blâme sur personne d’autre, par plus que sur nous-mêmes. Nous ne pouvons pas nous sentir coupables à son propos, à cause du péché originel – comme quand on dit : « Je suis une mauvaise personne » – c’est juste un phénomène sans commencement, et ce n’est pas la véritable nature de qui nous sommes.

Les trois points de vue bouddhiques indo-tibétains

Il existe trois présentations fondamentales du karma dans les traditions bouddhique indo-tibétaines. La première est celle de l’école Vaibhashika, l’un des quatre systèmes philosophiques indiens. Elle dérive du texte indien sur l’abhidharma écrit par Vasubandhu, l’Abhidharmakosha (Chos mngon-pa’i mdzod), Le Trésor des sujets spéciaux de connaissance. La deuxième présentation vient du texte de son frère Asanga, l’Abhidharmasamuccaya (Chos mngon-pa kun-las btus-pa), Une anthologie des sujets spéciaux de connaissance, et elle appartient au Mahayana. Spécifiquement, elle est issue du point de vue Chittamatra, tandis que la présentation Madhyamaka en est une légère variante. La totalité des quatre traditions tibétaines s’accordent sur elle. La seule exception est la tradition Guéloug qui affirme que le Madhyamaka-Prasangika possède sa propre présentation. Fondamentalement, les Guélougs Prasangika suivent le système de Vasubandhu, mais en y apportant quelques amendements majeurs.

À ce stade, jetons un œil sur le système d’Asanga. Il est le moins compliqué à comprendre.

Le karma est une pulsion, il n’est pas l’acte lui-même

Selon cette vue, le karma (las) est une pulsion mentale. Il est synonyme du facteur mental de l’envie (sems-pa). Une envie est un facteur mental qui accompagne chaque moment de notre expérience. C’est le facteur mental qui nous pousse dans la direction d’une expérience particulière comme de regarder ou d’écouter quelque chose simplement, ou, dans ce cas, de faire quelque chose avec, ou de dire cette chose, ou de la penser. Que ce soit un karma physique, verbal, ou mental, la pulsion karmique est le facteur mental d’une envie de faire, de dire, ou de penser quelque chose. C’est comme l’envie de frapper quelqu’un, de dire la vérité, ou d’avoir des pensées de désir à propos d’un être aimé. C’est aussi l’envie mentale de continuer de faire, de dire, ou de penser à une chose, de même que l’envie mentale de cesser de s’engager dans ces actes et de faire, de dire ou de penser à quelque chose d’autre. Habituellement, nous ne sommes pas du tout conscients de ces envies mentales contraignantes ou pulsions. Dans la terminologie occidentale, nous dirions qu’elles sont le plus souvent « inconscientes ».

Le karma n’est pas une sorte de loi mentale mécanique. Le karma est un facteur mental (sems-byung), une conscience subsidiaire accompagnant notre expérience des choses. C’est une façon de connaître une chose qui vient étayer une conscience primaire, par exemple une conscience visuelle ou mentale, dans la saisie de son objet. Quand nous regardons un morceau de papier, par exemple, un aspect de notre façon de le voir peut être d’avoir envie de le déchirer. C’est un événement mental. L’envie mentale qui accompagne notre vision du morceau de papier, c’est cela le karma. Le karma n’est pas l’action physique elle-même de le déchirer, voire même l’action mentale de penser à le déchirer ; le karma est ce qui fait advenir d’abord l’action mentale, puis l’action physique. Le karma conduit à la fois à ces deux actions, les soutient, et les fait cesser, mais il n’est pas les actions elles-mêmes.

Quand la pulsion s’élève, c’est ça le karma. Nous avons toujours le choix de la traduire en acte ou non, même si parfois la pulsion ou l’envie de faire ou dire une chose est très contraignante. Si nous passons à l’acte, l’action que la pulsion nous pousse à commettre a des conséquences sur notre propre expérience à venir.

Les résultats des actions karmiques

Qu’est-ce qui découle des actions karmiques – autrement dit, qu’est-ce qui découle d’un comportement compulsif ? Parmi les choses qui en découlent, certaines incluent le fait d’éprouver un certain niveau de bonheur ou de malheur, le fait d’expérimenter un état de renaissance et un certain environnement, de faire l’expérience d’être mâle ou femelle, Américain ou Allemand, de se trouver dans un endroit propre ou sale, etc. Une autre conséquence, c’est d’avoir un sentiment compulsif ou désir (‘dod-pa) d’agir de façon identique à celle avec laquelle nous avons agi auparavant. Il s’agit aussi d’un facteur mental, d’une conscience subsidiaire qui, quand elle s’élève, accompagne notre cognition. Nous aimerions agir de cette façon, nous en éprouvons le sentiment, et nous voulons le faire à nouveau. Que nous fassions ou non attention à ce sentiment comme à quelque chose qui vaut la peine d’être traduit en acte dépend de nombreux autres paramètres, parmi lesquels les circonstances extérieures dans lesquelles nous nous trouvons ne sont pas les moindres. Faire l’expérience de ce sentiment peut, ou non, susciter le surgissement d’une pulsion à répéter l’action, et la pulsion à la répéter peut, ou non, conduire à la répéter réellement. Si une telle pulsion s’élève, il s’agit là d’un autre karma. 

Un autre résultat consiste à faire l’expérience de quelque chose de similaire à ce que nous avons fait auparavant, mais qui maintenant nous arrive en retour. Par exemple, nous avions coutume de nous plaindre sans arrêt, et maintenant nous ne cessons de rencontrer des gens qui viennent se plaindre à nous.

Finalement, notre perception des choses est très limitée. Nous ne pouvons voir que ce qui est devant notre nez. Nous ne pouvons pas réellement voir pourquoi quelqu’un a agi d’une certaine façon ou quelles seront les conséquences de nos actes. J’appelle cela la « vision périscopique » car c’est comme de regarder à travers le périscope d’un sous-marin. Nous produisons et faisons constamment l’expérience de cette perception périscopique.

Tout ceci est le résultat de la traduction en acte des pulsions du karma. C’est très complexe car les résultats du comportement karmique passent constamment par des hauts et des bas – à un moment nous sommes heureux, le moment suivant nous sommes malheureux ; telle chose arrive maintenant, et maintenant c’est telle autre chose qui arrive ; maintenant j’ai envie de faire ceci, et maintenant j’ai envie de faire cela. Tandis que nos expériences connaissent des hauts et des bas, nous faisons également l’expérience de la vision périscopique, nous ne comprenons pas vraiment ce qui se passe. Nous regardons dans le périscope et voyons quelque chose, et le facteur « j’ai envie de » entre en scène. Nous voyons du chocolat et, comme nous l’aimons, nous ressentons du bonheur et avons envie d’en manger.

« Le fait d’aimer (le chocolat) », soit dit en passant, est le facteur mental de voir le chocolat avec une conscience de contact agréable (reg-pa). À l’Ouest, d’une façon plus abstraite que dans le bouddhisme, on parle « d’aimer une chose ». Ici, « aimer quelque chose » fait référence au facteur mental qui accompagne véritablement la cognition de « quelque chose que nous aimons ». Il est lui aussi un produit qui mûrit à partir du karma, le même que de ressentir un certain niveau de bonheur ou de malheur.

S’il vous plaît, notez que le fait d’aimer le chocolat et d’éprouver le besoin d’en manger n’est pas à mettre au nombre des émotions perturbatrices (nyon-mongs). Ces dernières peuvent agir ou non en tant que circonstance pour faire naître un fort désir (‘dod-chags) pour le chocolat, désir qui, lui en revanche, est une émotion perturbatrice. Un fort désir exagère les bonnes qualités d’une chose. Les faits d’aimer le chocolat et d’éprouver le besoin d’en manger peuvent aussi être des circonstances qui donnent naissance à la naïveté (gti-mug), comme l’effet d’en manger juste avant le dîner – encore un autre état d’esprit perturbateur. D’un autre côté, ils peuvent agir comme circonstances pour faire s’élever le facteur mental de la discipline éthique – un état d’esprit constructif – afin de nous réfréner de donner libre cours à notre fort désir ou à notre naïveté.

Supposons que le fort désir et la naïveté surgissent en même temps. Il se peut alors que nous perdions de vue le fait que nous faisons un régime, lequel ne nous convient pas, qu’importe. Cela signifie que nous ne maintenons plus la pleine conscience (dran-pa) du fait de faire un régime, ce qui revient à ne pas s’en souvenir.

Dès lors, à cause de tous ces facteurs contributeurs qui résultent des actes karmiques – c’est-à-dire voir le chocolat à travers notre périscope, l’aimer, et avoir envie de le manger – la pulsion s’élève d’en manger. Cette pulsion est un nouveau karma. Nous passons alors à l’acte et, de cela, découle toutes sortes de conséquences. Certaines des conséquences sont des résultats mécaniques, comme de prendre du poids, etc. D’autres sont des résultats à plus long terme, comme de vouloir plus tard en manger davantage. Ce sont ces effets à long terme dont nous essayons de nous débarrasser quand nous essayons de purifier le karma.

Question à propos de l’intuition

Est-ce que l’intuition a une origine mentale ou non ? Est-elle plus du côté du mental, ou plus du côté de l’âme et de l’esprit ?

Comme je l’explique souvent, si vous avez un gâteau que vous coupez en deux ou trois morceaux, il y a beaucoup de façons différentes de faire ; chaque langue coupe le gâteau en deux ou trois parts de différente taille. Quand nous parlons de notre expérience, nous pouvons diviser celle-ci comme vous l’avez fait – en esprit, en âme et en mental – ou bien vous pouvez la diviser à la manière tibétaine, et cela ne correspond pas du tout. Laissez-moi expliquer comment, d’un point de vue bouddhique tibétain, nous expliquerions l’intuition.

Dans le bouddhisme, on parle de la manière dont on connaît une chose. Notre façon occidentale de dire que nous pouvons connaître une chose, soit « intellectuellement », soit « intuitivement », ne correspond pas exactement à la manière tibétaine de découper le gâteau. Dans les deux systèmes, la division se fait selon la façon dont nous connaissons une chose, laquelle apparaît comme plus obscure que ce que nous pouvons en voir.

Considérez le cas où l’on cherche à connaître l’état d’esprit de quelqu’un d’autre. Selon le cadre bouddhique, nous pourrions connaître cet état en nous appuyant sur un raisonnement : « Cette personne ne me parle pas et arbore une certaine expression sur son visage. Habituellement, une personne avec cet air est contrariée par quelque chose. Par conséquent, elle est contrariée. » Cela correspondrait à ce qu’on appellerait à l’Ouest « une connaissance intellectuelle ». Le Bouddhisme, lui, appelle cela une « cognition par inférence [par déduction] » (rjes-dpag). 

De façon alternative, nous savons qu’elle est contrariée sans avoir à en passer par un raisonnement. Ou bien nous présumons simplement qu’elle l’est en nous fondant sur ce que nous « ressentons », ce qui veut dire « sur ce que nous pensons ». La bouddhisme appelle cela une « présomption » (yid-dpyod), une façon non fiable de connaître une chose. Ce que nous présumons être vrai, peut l’être, ou ne pas l’être. Ou bien, il se peut que nous ayons eu tellement d’expérience du fait dans le passé que nous « savons », simplement en voyant. À l’Ouest, nous dirions du dernier cas qu’il s’agit d’une connaissance intuitive, parce que nous n’aurions pas eu à la raisonner. Mais en fait, le bouddhisme dirait que nous utilisons toujours l’inférence, bien qu’elle ne soit pas verbale. En se fondant sur la reconnaissance de certains signes, nous en concluons que la personne est contrariée. Une autre possibilité est que nous pourrions savoir que quelqu’un est contrarié par ESP [Perception Extra Sensorielle (Extra Sensory Perception)]. Le bouddhisme identifie cela comme une forme de cognition non conceptuelle directe. À l’Ouest, une telle connaissance est un autre exemple de ce qu’on appellerait « intuition ».

Un autre exemple nous est fourni par la compréhension du vide, la nature de la réalité. Soit nous pourrions la comprendre en nous fondant sur la logique et le raisonnement, soit nous pourrions la comprendre par l’habitude fondée sur une grande expérience issue des vies passées. En termes occidentaux, peut-être appelleriez-vous l’une « intellectuelle » et l’autre « intuitive ».

D’un autre point de vue encore, quand nous disons à l’Ouest que nous avons juste une « compréhension intellectuelle » du vide, nous voulons dire habituellement que notre compréhension n’est pas profondément ressentie à un niveau viscéral, contrairement à une « compréhension intuitive ». D’un point de vue bouddhique analytique, la différence entre ces deux compréhensions réside dans le niveau de conviction qui accompagne la compréhension. Le même niveau de conviction peut accompagner une cognition du vide, soit qu’elle s’élève à partir de la confiance en un raisonnement, soit à partir de l’habitude et de la familiarité.

Telle est la façon dont le bouddhisme explique l’inuition, on n’utilise pas des concepts comme l’« âme » ou l’« esprit ». Ce n’est pas une question de savoir d’où vient la compréhension mais plutôt de la manière dont elle surgit, quels sont les facteurs mentaux qui l’accompagnent, et quel est le niveau d’intensité de ces facteurs.

Un dernier point : tout comme j’ai expliqué le karma en indiquant différents cadres conceptuels que nous ne prenons pas en compte, de même, pour répondre à votre question, nous devrions exclure toutes les choses qui ne font pas partie de l’explication bouddhique indo-tibétaine telles que l’âme, l’esprit, etc. Nous décrivons une expérience ; c’est juste une question de savoir comment on la décrit. Ce sont des systèmes différents.

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