Explication des seize aspects des Quatre Nobles Vérités

Les Quatre Nobles Vérités dans le contexte de la voie bouddhique

On m'a demandé de parler des Quatre Nobles Vérités selon le Vajrayana. La discussion sur les Quatre Nobles Vérités dans la tradition du Vajrayana peut être abordée de deux manières, soit de la manière spécifique dont elles sont présentées dans le tantra, soit en considérant le Vajrayana comme un moyen propre à la tradition du bouddhisme tibétain de combiner l’étude du soutra et du tantra.

Commençons par la manière commune dont l’abordent le soutra et le tantra. C'est la principale façon dont elles sont habituellement présentées dans la tradition tibétaine. Cette présentation est fondée sur la tradition indienne du Mahayana, à partir d'un texte particulier de Maitreya, un futur bouddha. Maitreya a écrit de nombreux textes, dont un grand commentaire sur les Soutras de la Prajnaparamita ou Soutras de la Perfection de la Sagesse, dans lequel il y a beaucoup de détails concernant la voix et toutes les réalisations que l'on acquiert à mesure que l’on progresse vers la libération et l'illumination. Le titre du texte s’intitule L’Ornement des réalisations, indiquant la multitude de réalisations potentielles sur la voie.

Les seize aspects des Quatre Nobles Vérités

Les Quatre Nobles Vérités ont seize aspects, quatre pour chacune des vérités. Ils constituent l'axe principal de la méditation sur la voie qui mène à la fois à la libération et à l'illumination. Lorsque nous parlons de libération et d'illumination, la libération fait référence au dépassement d'un ensemble d'obscurcissements qui rendent l’esprit confus, les obscurcissements émotionnels. Ceux-ci comprennent les émotions et les attitudes perturbatrices telles que la colère, le désir ardent, la naïveté, l'ignorance, la confusion et ainsi de suite, de même que leurs tendances. Lorsque nous les surmontons toutes, ainsi que leurs tendances et les impulsions karmiques qui nous poussent à agir sous leur influence, nous obtenons la libération.

L'une des façons d'obtenir la libération est de devenir un shravaka, un auditeur des enseignements, qui suit fondamentalement ce que l'on appelle, bien que ce ne soit pas un terme très valorisant, la voie du Hinayana ou « Véhicule modeste ». Le Hinayana compte dix-huit écoles, dont l'une est le Théravada. Nous n'avons pas vraiment le nom de chacune de ces dix-huit écoles, mais nous devons réaliser que le Théravada n'est que l'une d'entre elles. Nous pouvons également pratiquer en vue de la libération en tant que pratékyabouddha, quelqu'un qui pratique pendant les âges sombres, dans les périodes intermédiaires où les bouddhas ne sont pas disponibles pour nous enseigner. Ils travaillent sur la base de leur instinct, sans aucun maître.

Nous pouvons suivre la voie de l'une de ces deux façons vers la libération, ou nous pouvons la suivre dans le cadre de la voie du bodhisattva. En tant que bodhisattva, nous atteignons la libération, puis nous allons au-delà pour atteindre l'illumination. Pour atteindre l'illumination, nous devons non seulement surmonter les obscurcissements émotionnels qui empêchent la libération, mais aussi un ensemble d'obscurcissements plus profonds. Bien que ces obscurcissements soient décrits de diverses manières par les différentes écoles philosophiques bouddhiques, nous pouvons les appeler les « obscurcissements cognitifs ». Ce sont les obscurcissements qui nous empêchent d'atteindre l’omniscience.

Les émotions et les attitudes perturbatrices sont fondées sur la confusion à propos de la réalité, la confusion envers notre existence et celle de toute chose. Le problème, c'est que notre esprit donne aux choses l'impression d'exister d'une manière fausse et confuse, comme si tout était solide et concret. C'est comme si chaque chose était emballée individuellement dans du plastique ou entourée d'une grande ligne de démarcation pour la rendre individuelle et séparée de tout le reste. Nous pensons que nous existons de cette manière, et nous pensons également que nous sommes le centre de l'univers, que tout le reste est extérieur à nous, délimité par ces grandes lignes de démarcations. Nous sommes assurément confus. Sur la base de cette croyance, nous agissons de toutes sortes de manières inappropriées et malheureuses. Pour parvenir à l'illumination, nous devons surmonter cet aspect de l'esprit qui fait apparaître les choses de cette manière confuse, qui nous empêche de voir que tout est lié. Cet aspect fait référence aux habitudes constantes des émotions et attitudes perturbatrices. Il s'agit des obscurcissements cognitifs.

Si nous ne voyons pas que tout est lié, nous ne pouvons pas comprendre comment nous pouvons vraiment aider tous les êtres. Pour pouvoir les aider, nous devons comprendre chaque petite chose qui a affecté chaque personne depuis des temps sans commencement. Tous les différents aspects de ce que chaque être a fait dans ses vies antérieures, ce qui lui est arrivé, les facteurs historiques qui l'ont affecté, etc. Tout est lié. Nous devons également savoir, si nous enseignons quelque chose à cette personne, quel en sera l'effet. Comment cela affectera-t-il non seulement cette personne, mais aussi toutes les personnes qu'elle rencontrera à partir de maintenant et jusqu'à sa libération ? Ce n'est assurément pas facile à comprendre. Si notre esprit fait apparaître les choses dans ces petits emballages [individuels] en plastique, nous ne voyons pas la relation entre toutes choses. Nous ne pouvons pas vraiment comprendre toutes les causes pour lesquelles quelque chose arrive à quelqu’un, de même que tous les effets de la façon dont nous interagissons avec lui.

Ce sont des obscurcissements cognitifs. C'est ce qu'il faut surmonter pour devenir un bouddha. Ce qu'ils obscurcissent, c'est la nature-de-bouddha, la nature de l'esprit, qui est capable de voir toutes les interconnexions et de tout comprendre. Ainsi, en tant que bodhisattva, nous devons non seulement surmonter toutes les émotions perturbatrices et la confusion, mais aussi notre esprit qui projette ces fausses apparences confuses. L'esprit crée ces fausses apparences et nous y croyons, agissant comme si les choses existaient réellement de cette manière.

Si nous sommes libérés, nous devenons un arhat, un être libéré. En tant qu'arhat, notre esprit crée encore toutes ces apparences confuses, mais nous ne les croyons plus. Nous savons qu’elles n’ont pas de sens, qu'elles ne sont pas réelles, qu’elles ne correspondent pas à la réalité. Sachant cela, bien sûr, nous ne nous énervons pas, nous n'agissons pas de manière inappropriée, etc. Mais ce n'est pas suffisant, car nous ne savons toujours pas comment aider tous les êtres de la meilleure façon.

Les cinq cheminements d’esprit

Pour atteindre la libération et l'illumination, nous suivons un certain développement de l'esprit qui est décrit par les cinq voies. Il s'agit du développement de notre compréhension et de notre comportement ou personnalité. Il s'agit en fait de cheminements d’esprit, chacun étant un niveau d'esprit qui agit comme une voie pour atteindre la libération et l'illumination. Tout cela commence par le renoncement.

Le renoncement, c'est lorsque nous avons une forte détermination à nous libérer, à nous libérer de toutes les souffrances insupportables dont nous faisons l'expérience. Nous en avons assez et nous voulons en sortir. Nous voulons nous libérer non seulement de la souffrance de cette vie, mais aussi de la renaissance récurrente incontrôlable, qui s’accompagne toujours des mêmes problèmes, encore et encore.

Le renoncement comporte deux aspects. Il ne s'agit pas simplement de vouloir se libérer, mais sans renoncer à quoi que ce soit. En fait, nous sommes prêts à renoncer à tout, y compris à toute la confusion, ainsi qu’à toutes les émotions et attitudes perturbatrices, qui sont à l'origine de nos souffrances liées à la renaissance récurrente incontrôlable, le samsara.

Les premières étapes : le renoncement sans effort et la bodhichitta sans effort

Le renoncement sans effort est celui qui ne nécessite aucun effort pour analyser logiquement les raisons pour lesquelles nous voulons nous libérer. Dans ce cas, le renoncement fait simplement partie de notre objectif de vie, que nous y pensions ou non. C'est à ce moment-là que nous commençons à emprunter ces cheminements d’esprit. C'est à ce moment-là que nous commençons [d’entrer sur la voie]. Avant cela, nous nous efforçons, pour ainsi dire, de monter dans le train, de monter dans le véhicule de l'esprit qui nous amènera à la libération. Nous montons réellement dans le train lorsque nous développons ce renoncement sans effort.

De plus, nous développons la bodhichitta sans effort de la même manière. On parle de bodhichitta lorsque notre esprit vise notre propre illumination future, non pas l'illumination en général, non pas l'illumination du Bouddha, mais notre propre illumination individuelle, qui n'a pas encore eu lieu. Nous comprenons, au préalable, que nous pouvons atteindre cette illumination grâce à notre nature-de-bouddha. Nous nous concentrons sur ce point, en réalisant que nous n'y sommes pas encore parvenus, mais que c'est ce que nous visons. Nous visons cet objectif parce que nous voulons être en mesure d'aider tous les êtres aussi pleinement que possible, et la seule façon d'y parvenir est d'atteindre l'illumination.

Ensuite, lorsque nous possédons la bodhichitta sans effort, lorsqu'elle est présente en permanence sans qu'il soit nécessaire de réfléchir à toutes les raisons qui la justifient, nous commençons à emprunter les cinq voies du Mahayana. Au fur et à mesure que nous progressons sur ces cinq voies, ces cinq cheminements d’esprit, chacun d'entre eux est un niveau d'esprit, un niveau de compréhension qui nous rapproche de plus en plus du but.

Le cheminement d’esprit du développement

Le premier cheminement d’esprit est généralement traduit par « voie de l’accumulation ». Cependant, « accumulation » signifie en fait « développer, construire, édifier ». Nous rassemblons et développons tous les outils dont nous aurons besoin pour atteindre la libération et l'illumination. Ces outils sont shamatha et vipashyana. Shamatha est un état d'esprit serein et stable, sans aucun vagabondage [mental], qui ne se détourne pas vers les objets du désir, sans relâchement ni somnolence, ni quoi que ce soit de ce genre. Il s'agit d'un état de concentration parfaite avec un sentiment de grande forme physique et mentale, un sentiment exaltant que nous pouvons nous concentrer parfaitement sur n'importe quoi aussi longtemps que nous le voulons.

Vipashyana est un état d'esprit perceptif exceptionnel. Lorsque nous ajoutons vipashyana à shamatha, nous avons un sentiment de bien-être supplémentaire que l'esprit peut comprendre n'importe quoi. Lorsque ces deux outils sont axés sur la connaissance conceptuelle des seize aspects des Quatre Nobles Vérités, nous avons atteint le premier niveau de cheminement d’esprit.

Le cheminement d’esprit de l’application et le cheminement d’esprit de la vision

Avec un cheminement d’esprit de l’application, généralement traduit par « voie de la préparation », nous appliquons cette concentration et cette compréhension encore et encore, de manière continuelle, à notre cognition conceptuelle de ces seize aspects. Lorsque nous parvenons à une connaissance non conceptuelle de ces aspects, nous atteignons le cheminement d’esprit de la vision, communément appelé « voie de la vision », et nous devenons un arya.

« Non conceptuel » signifie que l'on connaît quelque chose non pas par le biais d'une idée générale ou d'une catégorie, mais simplement de manière directe, sans s'appuyer sur une ligne de raisonnement. Un arya est un être hautement réalisé qui possède cette connaissance non conceptuelle. Grâce à cela, nous commençons à débarrasser notre esprit d’un des niveaux des obscurcissements émotionnels.

Le cheminement d’esprit de la familiarisation et le cheminement d'esprit ne nécessitant plus d’entraînement

Ensuite, nous devons nous habituer encore et encore à cette compréhension non conceptuelle. C’est le cheminement d’esprit de la familiarisation ou « voie de la méditation ». Ainsi, nous débarrassons davantage notre esprit des niveaux d’obscurcissements jusqu'à ce que nous atteignions le but, le cheminement d’esprit ne nécessitant plus d’entraînement, en tant qu'arhat (un être libéré) ou en tant que bouddha. Un arhat s'est débarrassé uniquement des obscurcissements émotionnels, tandis qu'un bouddha s'est également débarrassé des obscurcissements cognitifs.

Se concentrer sur les Quatre Nobles Vérités

À travers ces cheminements d'esprit, nous nous concentrons sur les Quatre Nobles Vérités et sur l'absence d'un soi impossible qui en ferait l’expérience. Ici, le terme « noble » fait référence à un arya, celui qui possède cette connaissance non conceptuelle. On les appelle les « Nobles Vérités », les vérités des aryas, parce que les personnes ordinaires ne les comprennent pas. Les Nobles Vérités que les aryas perçoivent de manière non conceptuelle sont complètement différentes de la manière dont les personnes ordinaires comprennent la vie. Les aryas voient que ce que les gens ordinaires comprennent est superficiel ou faux et, au lieu de cela, ils voient la véritable façon dont les choses existent dans la vie.

En essayant de comprendre réellement ces Quatre Nobles Vérités et ces seize aspects, nous surmontons les seize façons erronées de les comprendre, les seize vues fausses à leur sujet. Du point de vue [du bouddhisme] tibétain, nous étudions les Quatre Nobles Vérités parce qu'elles sont le sujet principal de la méditation des cheminements d’esprit. Nous voulons comprendre les seize aspects pour nous débarrasser des seize compréhensions erronées. Connaître les compréhensions erronées et celles qui sont correctes est en fait très utile, et pas seulement lorsque nous sommes à ces niveaux très avancés dont il est question. En plus de développer une forte motivation de renoncement ou de bodhichitta, il est également très utile de réfléchir à ces vérités et à ces aspects bien avant d'atteindre ces niveaux.

Lorsque nous nous concentrons sur ces seize aspects, il y a deux parties. Tout d'abord, nous nous concentrons sur les détails réels : ce que sont les aspects et le fait qu'ils sont vrais. Mais, en outre, nous nous concentrons également sur le fait que nous, qui faisons l'expérience de ces aspects, n'existons pas d'une manière impossible, comme si un « moi » existait en tant qu'entité distincte à l'intérieur de notre tête, et que ces seize aspects étaient d'autres entités distinctes existant à l'extérieur, sans rapport avec nous. Nous devons comprendre que, bien que notre esprit nous fasse paraître exister de toutes sortes de façons impossibles et que nous y croyions, ces apparences fausses ne correspondent pas à la façon dont nous existons réellement.

En bref, aucun de ces seize aspects n'existe d'une manière impossible, emballé de plastique, seul, isolé de tout le reste. Il n'y a pas là-haut un « fait » que nous devons apprendre pour réussir un examen ou quelque chose de ce genre. Il n'y a pas non plus un « moi », totalement étranger à ces seize aspects, qui doit les apprendre même si nous en faisons l'expérience sans le savoir. Ces seize aspects des Quatre Nobles Vérités sont en fait le but de la méditation sur la voie spirituelle de la libération et de l'illumination, ainsi que la base du renoncement et de la bodhichitta, qui sont fondés sur l’amour, la compassion, etc.

Les seize aspects des Quatre Noble Vérités
1ère Noble Vérité —               Les véritables souffrances 2ème Noble Vérité —                Les véritables origines de la souffrance 3ème Noble Vérité —                    Les véritables cessations 4ème Noble Vérité —                  Les véritables cheminements d’esprit
Phénomènes non-statiques Causes Cessations Cheminements d’esprit
Phénomènes de la nature de la souffrance Origines Pacifications Moyens appropriés
Phénomènes vides Producteurs puissants États supérieurs Moyens d’accomplissements
Phénomènes vides d’une « âme » impossible Conditions Émergences définitive Moyens pour l’élimination définitive 
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