Lam-rim : version « allégée » et version « authentique »

Préliminaires à l’écoute des enseignements

Commençons cette session par quelques préliminaires. Tout d’abord, afin de se calmer, on se concentre sur la respiration. On respire normalement par le nez. Si notre esprit est très distrait, nous comptons le cycle des respirations. Si notre esprit est plutôt calme, on se concentre simplement sur la sensation du souffle entrant et sortant du nez.

Puis nous réaffirmons notre motivation, ce qui signifie que nous réaffirmons le but vers lequel nous tendons. Nous sommes venus ici en tant qu’étape dans l’orientation sûre et positive que nous voulons donner à notre vie, orientation qui consiste à travailler sur nous-mêmes dans l’idée de surmonter nos problèmes et leurs causes, et de réaliser tous nos potentiels. Nous voulons en apprendre plus sur ces étapes progressives du chemin, le lam-rim, pour nous aider à réaliser ce but. Nous pouvons le faire comme faisant partie d’une vision « allégée » du Dharma, auquel cas nous sommes intéressés par le fait d’améliorer les vies futures, et finalement d’obtenir la libération et l’illumination. Ceci, bien entendu, dans la mesure où nous avons une compréhension rudimentaire de ce que veulent dire les vies futures, la libération et l’illumination, ou, pour le moins, une reconnaissance de l’importance de les comprendre, et dans l’intention de travailler à essayer de les comprendre. Ou bien nous pouvons faire cela animés par le désir d’un Dharma « authentique » : à savoir atteindre la libération des renaissances récurrentes incontrôlées et réaliser l’état illuminé d’un bouddha afin de pouvoir aider les autres à faire de même. Sans tenir compte de la portée de la motivation où nous nous situons, nous voulons faire cela non seulement pour notre propre bénéfice, mais également pour apporter la meilleure aide à tous.

[Voir : « Dharma light » versus « Dharma intégral »]

D’une manière plus spécifique, nous sommes ici pour étudier les étapes progressives du chemin comme moyen pour aller dans la direction sûre proposée par le Bouddha, le Dharma et le Sangha. Autrement dit, nous allons dans la direction de la prise de refuge dans le Dharma. Le refuge dans le Dharma fait référence à l’arrêt véritable (la véritable cessation) de nos problèmes et de leurs causes et au vrai chemin (la vraie voie), à savoir la véritable compréhension de la réalité, laquelle entraînera les véritables cessations et nous permettra de réaliser et de faire usage de nos pleins potentiels. L’étude des étapes progressives nous aidera à aller dans cette direction : il s’agit du chemin que les bouddhas ont parcouru en entier et que l’Arya Sangha (celles et ceux qui ont perçu la réalité de façon non conceptuelle) a parcouru en partie. Nous le faisons avec compassion, souhaitant être en mesure d’aider les autres à surmonter leurs vrais problèmes et leurs vraies causes. Pour les aider du mieux possible, nous devons devenir des bouddhas. Ainsi, nous avons également la motivation de la bodhichitta. En bref,  nous voulons étudier les étapes du chemin pour aider tout le monde du mieux possible.

Avec un tel objectif en tête, nous offrons la prière en sept branches. En premier, nous imaginons que nous faisons des prosternations. Nous nous projetons entièrement dans cette direction avec respect pour celles et ceux qui l’ont prise et ont vraiment atteint ces objectifs, avec respect également pour notre propre future illumination que nous cherchons à atteindre animés par l’esprit de bodhichitta, et aussi par respect pour nos propres potentiels de nature-de-bouddha, lesquels nous rendront capables de réaliser ce but.

Puis nous faisons des offrandes. Nous sommes décidés à tout donner – notre temps, notre énergie, nos cœurs – pour être capables de nous développer toujours plus avant en sorte d’être véritablement de la plus grande aide possible pour les autres.

À la manière du maître sakya Chogyal Pagpa (Chos-rgyal ’Phags-pa), nous faisons l’offrande de la concentration, en référence aux divers aspects de notre pratique. Nous offrons pour le bien d’autrui tout ce que nous avons étudié et lu, sous forme d’eau. Tout ce que nous étudions, nous voulons que cela serve à nous rendre capables d’aider les autres. Puis, toute la connaissance que nous avons tirée de nos lectures et de l’étude, nous l’offrons sous forme de fleurs. La discipline de la méditation fondée sur cette connaissance, nous l’offrons sous forme de fumée d’encens parfumée. Les intuitions qu’on tire de cette pratique disciplinée, nous l’offrons sous forme de lumière de chandelles ou de lampes à beurre. La ferme conviction que nous obtenons grâce à ces intuitions, nous l’offrons sous forme d’eau de Cologne rafraîchissante. La concentration que nous sommes capables de faire naître et d’appliquer sur la base de cette ferme conviction, laquelle est exempte de doutes, nous l’offrons sous la forme de nourriture. Enfin, les explications que nous donnons aux autres, fondées sur tous ces éléments, nous les offrons sous forme de musique.

Puis, en étant parfaitement honnêtes avec nous-mêmes, nous admettons ouvertement que nous avons des difficultés à emprunter ce genre de chemin dans la vie. Souvent nous ne ressentons pas l’envie de pratiquer. Nous ne comprenons pas pourquoi nous avons besoin de pratiquer. Nous nous mettons en colère, nous agissons égoïstement, nous devenons avides et attachés, etc. Parfois nous ne savons pas vraiment ce que nous faisons de nos vies. Nous le regrettons. Nous souhaiterions vraiment ne pas être comme ça. Dès lors, nous ferons de notre mieux pour surmonter et ne pas répéter ces choses. Et donc nous réaffirmons la direction positive dans laquelle nous allons et, quelles que soient les choses que nous retenons au sujet de ces étapes progressives, nous essaierons de les appliquer comme antidotes afin de surmonter les difficultés et les problèmes que nous rencontrons.

Nous nous réjouissons du fait que nous possédons la nature-de-bouddha, que nous avons la capacité de développer et de surmonter nos difficultés et leurs causes, et de réaliser nos potentiels. La nature de l’esprit est pure. Nos difficultés et notre confusion ne sont pas si profondes. Elles sont comme l’odeur du tabac sur l’haleine d’un fumeur. Elles sont artificielles. Elles sont là juste temporairement ; elles passeront. Elles ne sont pas notre nature la plus profonde. Nous avons tous la nature-de-bouddha ; nous avons tous la possibilité de nous développer. Et nous nous réjouissons de cela.

Nous nous réjouissons également de ce que les bouddhas et les grands maîtres aient été capables de réaliser tous les potentiels de leur nature-de-bouddha. Nous nous réjouissons du fait qu’ils nous aient enseigné comment véritablement suivre le chemin par nous-mêmes et nous disons : « C’est réellement merveilleux. Merci ! »

Nous faisons la requête d’enseignements : « S’il vous plaît, je veux apprendre. J’ai vraiment besoin d’apprendre. Je veux apprendre pour être en mesure d’aider les autres et moi-même. »

Nous leur demandons de rester : « Je parle sérieusement. Ne partez pas. Ne mourez pas. Je veux faire tout le chemin jusqu’à l’illumination. Je ne suis pas juste un touriste du Dharma. »

Finalement, quelles que soient la compréhension et la force positive accumulées par ces pratiques préliminaires ainsi que par l’écoute et la pratique des enseignements qui vont suivre, puissent-elles agir en tant que causes pour devenir un bouddha afin que nous puissions être de la plus grande aide possible pour tous. Puissent-elles ne pas être de simples causes pour améliorer notre samsara.

Nous prenons alors la décision consciente d’écouter avec concentration. Si notre attention vagabonde, nous la ramenons. Si nous somnolons, nous essayons de nous tenir éveillé. Pour aider à ce que notre esprit soit plus clair, nous corrigeons notre posture et nous nous redressons, mais sans rigidité.

Ensuite pour stimuler notre énergie si elle est un peu faible, on se concentre sur un point entre les deux sourcils, avec les yeux relevés et la tête droite.

Enfin, si nous nous sentons un peu nerveux et tendus, nous devons ancrer nos énergies. Pour faire cela, on se concentre sur la région du nombril, les yeux baissés mais la tête droite, et, tandis qu’on inspire normalement, on retient sa respiration jusqu’à ce qu’on ait besoin d’expirer.

Si on comprend vraiment l’essence de ces préliminaires et si on ne les effectue pas comme un rituel vide de sens, on peut véritablement y mettre son cœur et en tirer une grande inspiration. Elles ne constituent pas un acte dévotionnel quelconque d’adoration, mais une pratique qui met en mouvement réellement nos énergies dans une direction positive, et nous rend réceptif à travailler sur nous-mêmes, à étudier, et à faire des progrès. C’est là toute la question. C’est pourquoi on les appelle « préliminaires ». Quand on étudie et travaille avec ces étapes progressives du chemin, on insiste toujours sur le fait de commencer une session de méditation par ce genre de préliminaires. Elles nous rendent vraiment réceptifs. Nous voulons vraiment essayer de comprendre quelque chose, d’apprendre quelque chose. Ainsi, grâce à ces pratiques préliminaires, nous y mettons tout notre cœur. Même si nous ne sommes pas capables de méditer davantage, ces préliminaires en elles-mêmes sont très utiles en tant que pratique quotidienne.

Organiser les enseignements du Bouddha

Le sujet de ce soir est la structure du lam-rim, les étapes progressives du chemin. Plus précisément l’expression lam-rim signifie les cheminements progressifs de l’esprit ; à savoir les niveaux progressifs de compréhension qui agissent comme chemins pour nous mener vers les objectifs de la libération et de l’illumination.

D’où viennent les enseignements sur le lam-rim ? À vrai dire, le Bouddha a enseigné de nombreux sujets différents, lesquels se répartissent entre les méthodes des soutras et des tantras. Les méthodes des soutras sont les méthodes de base. Celles des tantras sont des enseignements avancés, fondés sur les soutras, qui nous permettent de réaliser les aspects de notre nature-de-bouddha en assemblant simultanément la totalité des divers enseignements des soutras.

Le Bouddha enseigna les méthodes des soutras de façons diverses à différents disciples. Nombre des enseignements étaient sous forme de dialogues : le Bouddha parlait, les autres lui posaient des questions, le Bouddha répondait, etc. À cause de cela, les soutras ne présentent pas un aspect très systématique. Des choses que le Bouddha aurait dites à tel endroit semblent contredire ce qu’il a dit ailleurs. Il est difficile de voir comment elles se relient les unes aux autres dans leur totalité. D’autre part, du fait que rien n’était couché par écrit à l’époque du Bouddha, la tradition voulait qu’on mémorise et récite ce qu’il avait dit. Il y a donc une grande quantité de répétitions dans les soutras afin d’aider les gens à se rappeler les points importants.

En outre, à partir des soutras eux-mêmes, il n’est pas si évident de mettre les enseignements en pratique. À cause de cela, les grands maîtres indiens écrivirent divers commentaires sur les soutras, expliquant plus en détail les intentions du Bouddha et organisant les matériaux de manière à ce qu’il soit un peu plus facile de les assimiler et de les mettre en pratique. Par exemple, il existe cinq textes de Maitreya, le futur bouddha. Ses enseignements furent révélés à Asanga, qui les consigna par écrit. Grâce à eux, on commence à apercevoir la structure qu’on observera par la suite à mesure que les méthodes de présentation des enseignements du Bouddha évoluèrent. Cette structure comprend une sorte d’introduction, une brève présentation de l’enseignement, suivie d’une présentation plus élaborée, pour finir par un résumé. Les présentations élaborées comportent des listes variées. Le Bouddha lui-même faisait des listes, nous ne devrions donc pas penser qu’il s’agit là d’une invention tibétaine. On trouve ce genre de structure dans un grand nombre de présentations des matériaux du lam-rim.

Certains thèmes de base constituent l’entraînement fondamental des soutras, et il y a eu différentes manières de les organiser. Il y a, par exemple, « les quatre pensées qui font que l’esprit se tourne vers le Dharma », qu’on trouve dans la tradition nyingma, « les quatre thèmes de Gampopa » dans la tradition kagyu, et « l’abandon des quatre sortes d’attachement » dans la tradition sakya. Quelquefois la tradition sakya range aussi les mêmes matériaux en accord avec les Quatre Nobles Vérités. Dans la tradition kadam, initiée par Atisha, et après lui dans la tradition guéloug, ainsi que dans la tradition shangpa kagyu, on trouve la présentation de ces matériaux organisée selon les trois portées de motivation. C’est ce qu’on appelle le « lam-rim ». On ne devrait pas croire que le lam-rim est la seule façon de présenter les matériaux qui y sont contenus ; il existe bien d’autres manières de présenter les mêmes enseignements.

Les trois portées progressives de motivation

Quel bienfait particulier y a-t-il à présenter les matériaux – la précieuse renaissance humaine, le refuge, le karma, le renoncement, l’esprit de bodhichitta, le vide, etc. – dans le cadre des trois portées de motivation du lam-rim ? Je pense que l’un des avantages est que cela fournit un accès aux enseignements en suggérant des étapes qui précèdent le Dharma « authentique ». Permettez-moi de développer ce point.

Quand on parle de bouddhisme, on parle de prise de refuge, ce que j’aime appeler « prendre une direction sûre dans la vie ». Qu’est-ce qui, en réalité, indique cette direction ? C’est le Joyau du Dharma. Le Joyau du Dharma fait référence aux troisième et quatrième nobles vérités, à savoir la véritable cessation des problèmes et de leurs causes et les vrais chemins de réalisation non conceptuelle du vide. Les bouddhas les ont actualisés pleinement sur leurs continuums mentaux. Autrement dit, les bouddhas ont sur leurs continuums mentaux la série complète des véritables cessations et des vrais chemins. L’Arya Sangha, en revanche, a commencé de réaliser certains d’entre eux, mais ne dispose pas de la série complète.

Si on prend l’exemple d’un vieux poste de télévision à l’ancienne mode, qui fonctionne mal, avec des lampes cathodiques à l’intérieur, le remplacement des lampes défectueuses serait analogue aux véritables cessations et l’installation de lampes plus efficaces serait analogue aux vrais chemins. Avec l’illumination, les bouddhas se sont débarrassés des lampes défectueuses et les ont remplacées par les plus efficaces. Les arhats se sont débarrassés seulement de quelques unes des lampes défectueuses et les ont remplacées : il s’agit de la libération. Avec la cognition non conceptuelle du vide, nous devenons un arya en nous débarrassant des toutes premières lampes déficientes et en les remplaçant. Cet éventail complet de réalisations, depuis celles d’un arya, en passant par celles d’un arhat, jusqu’à celles d’un bouddha, constitue le refuge dans le Dharma.

Les quatre pensées qui orientent l’esprit vers le Dharma – la précieuse renaissance humaine, la mort et l’impermanence, le karma, et les inconvénients du samsara – parlent du fait de tourner notre esprit vers le refuge du Dharma. Plus spécifiquement, elles concernent les étapes pour obtenir le renoncement, le souhait de la libération. Si on transpose les quatre pensées qui orientent l’esprit vers le Dharma dans le contexte du lam-rim, on peut voir qu’elles commencent au stade de la motivation intermédiaire : travailler à la libération en s’appuyant sur le renoncement. Les quatre pensées sont alors toujours suivies par les enseignements sur le développement de l’esprit de bodhichitta et la compréhension du vide afin d’obtenir l’illumination. L’avantage unique de la présentation des étapes progressives du chemin du lam-rim, c’est qu’elle possède un niveau de motivation initial, lequel consiste à œuvrer au bénéfice des vies futures en tant que marchepied pour travailler à la libération, puis à l’illumination. Ainsi, elle indique un point d’appui de départ pour travailler aux véritables objectifs bouddhiques de la libération et de l’illumination.

Dans la tradition sakya de « l’abandon des quatre attachements », on a également l’idée d’orienter l’esprit vers l’abandon de l’attachement à cette vie et de penser aux vies futures, ce n’est donc pas une caractéristique unique de la présentation du lam-rim. Mais le fait que travailler à faire bénéficier les vies futures soit vu dans le lam-rim comme un des trois niveaux de motivation, indique plus clairement qu’il s’agit d’un marchepied. Je pense que, pour nous Occidentaux, il s’agit là d’une approche très signifiante du Dharma.

Le Dharma « allégé » comme marchepied

Dans le lam-rim, le niveau de portée avancée est exclusif au Mahayana, mais commun aux soutras et tantras du Mahayana. Le niveau de portée intermédiaire est commun à toutes les traditions bouddhiques, tant hinayanistes que mahayanistes, à savoir : travailler pour la libération. Le niveau de portée initiale, lui, travaille seulement à améliorer les vies futures et ceci est une étape commune à bien d’autres religions également.

De nombreux textes bouddhiques disent que la frontière entre Dharma et non-Dharma est de savoir si oui ou non nous faisons quelque chose de bénéfique pour nos vies futures. Par ailleurs, un bouddhiste se définit comme quelqu’un qui donne une direction sûre à sa vie, quelqu’un qui cherche refuge. Comme nous l’avons juste mentionné, le véritable refuge est le Joyau du Dharma, or le Joyau du Dharma fait référence à la libération et à l’illumination ou aux stades des aryas proches de la libération et de l’illumination. Comment est-ce que toutes ces questions s’agencent entre elles ? La réponse tient dans le fait que les enseignements sur le refuge sont présentés au niveau de la portée initiale.

Quand on parle de travailler aux vies futures comme étant la ligne de démarcation du Dharma, je ne pense pas qu’on puisse dire d’un chrétien travaillant pour aller au ciel ou d’un musulman travaillant pour aller au paradis qu’ils ressortissent au Dharma du Bouddha. Le fait que le refuge se situe au niveau de portée initiale me semble indiquer que quand on parle d’être bénéfique aux vies futures comme étant la ligne de démarcation du Dharma, on parle spécifiquement d’être bénéfique aux vies futures comme marchepied pour être en mesure de continuer à travailler sur le chemin en vue de devenir un arya et ensuite d’obtenir la libération et, finalement, l’illumination. En regardant les choses de cette façon, nous n’avons plus cette apparente contradiction que d’être bénéfique aux vies futures est un objectif partagé par les religions non bouddhiques et que ce dernier soit encore la frontière avec le Dharma du Bouddha.

La motivation de portée initiale est un marchepied vers la vraie direction consistant à travailler à obtenir les véritables cessations, le Joyau du Dharma. C’est de cette présentation de la portée initiale en tant que pierre de seuil que je tire le concept de Dharma « allégé » comme étant encore une marche supplémentaire préalable à cela [la motivation de portée initiale]. Je pense que la structure du lam-rim autorise qu’il y ait un stade, avant la portée initiale, qui permette aux Occidentaux un accès beaucoup plus facile pour entrer dans les étapes progressives. Il s’agit du niveau de motivation grâce auquel nous travaillons à améliorer cette vie, comme marchepied pour travailler à améliorer les vies futures. Avec le Dharma « allégé » nous travaillons avec ce niveau-là de motivation avant même de développer le niveau de motivation initiale du lam-rim.

Le Dharma est comme un bus en mouvement et il nous est très difficile de juste sauter dedans en marche. Si on considère le lam-rim, l’objectif de portée initiale d’améliorer les vies futures suppose d’avoir une compréhension de base et une croyance dans les vies futures. Les textes traditionnels ne prennent même pas la peine d’expliquer les vies passées et futures ou d’essayer de prouver leur existence. Il est acquis que tout le monde possède déjà cette croyance. Il est très difficile pour les Occidentaux qui n’ont pas cette toile de fond d’accepter simplement les vies passées et futures, encore moins que celles-ci n’aient pas de commencement. Les textes traditionnels bouddhiques ne relèvent pas cette difficulté, mais c’est ainsi que Sa Sainteté le Dalaï-Lama l’explique oralement.

De même que la motivation de portée initiale est commune aux religions non bouddhiques, si on se tient à un stade plus précoce, au stade du Dharma « allégé », le fait de travailler à améliorer cette vie est partagé en commun avec le Mahayana, le Hinayana, les thérapies, la philosophie séculière, la philosophie humaniste, etc., tout comme avec les autres religions. C’est une base commune plus large. Une pratique devient une pratique du Dharma « allégé » si elle est accomplie en tant que marchepied pour œuvrer aux vies futures, à la libération et à l’illumination, au sein de la structure générale du refuge et de la direction sûre. Nous pouvons commencer à aller dans cette direction grâce à la pratique du Dharma « allégé ». Si la véritable direction sûre est une autoroute, le Dharma « allégé » est une rampe d’accès à cette dernière.

Le sens de la motivation

La structure des niveaux progressifs de motivation est très importante. La motivation ne fait pas référence aux raisons émotionnelles qui nous poussent à faire quelque chose. Nous parlons de notre objectif, de notre but. Quelle est notre intention en étudiant et en pratiquant ; quel but cherchons-nous à atteindre grâce à cela ? La structure du lam-rim indique un processus de croissance et nous devons commencer par le commencement. Une grande erreur commise par beaucoup de gens est d’esquiver les niveaux initiaux en allant tout droit vers le niveau avancé, le Mahayana. Ils proclament fièrement : « Je travaille pour que tous les êtres sensibles atteignent la libération et l’illumination. » Toutefois, si nous ne disposons pas des niveaux initiaux de motivation auparavant, cela banalise le fait de travailler pour tous les êtres et fait de notre pratique du Dharma une version « allégée ». Nous ne travaillons pas vraiment pour que tous les êtres sensibles atteignent l’illumination, car nous ne savons même pas ce que cela signifie ; nous n’avons aucune idée de ce que l’illumination veut dire. Nous n’allons certainement pas travailler à libérer chaque insecte de l’univers des renaissances récurrentes incontrôlées si nous ne croyons même pas en la renaissance ! Si on s’examine honnêtement, nous travaillons à aider seulement quelques êtres, et nous les aidons simplement à améliorer leurs vies, au cours de celle-ci. Bien que cette motivation soit extrêmement positive et bénéfique, néanmoins, appeler une telle motivation une motivation avancée du Mahayana rabaisse le Mahayana. Je pense que l’accent doit être mis réellement de manière très sincère et du fond de notre cœur sur le développement de l’objectif de chacun des niveaux de motivation du lam-rim, un par un, par ordre progressif, sans prétendre posséder un niveau de motivation plus élevé quand ce n’est pas le cas.

S’adonner à la pratique du Dharma « allégé » et à la portée initiale en tant que marchepieds veut dire que nous avons une estimation très claire de l’importance de comprendre la renaissance, la libération et l’illumination. Nous admettons que nous ne comprenons pas ces choses pour le moment, mais nous reconnaissons l’importance de les comprendre, et nous avons pleinement l’intention d’essayer de les comprendre. Si nous ne sommes pas tout à fait prêts d’accepter la renaissance et le reste, nous les mettons de côté, en attente, mais nous allons dans le sens de les comprendre.

Nous pouvons parcourir tous les enseignements du lam-rim avec la motivation du Dharma « allégé », voire même avec une motivation de portée initiale. Il n’y a aucun problème à cela. L’altruisme, la générosité, aider les autres, comprendre les émotions perturbatrices, avoir quelques idées sur le vide, etc., ce sont là des choses utiles pour cette vie, n’est-ce pas ? Nous ne serons pas capables d’avoir la compréhension la plus profonde de ces choses sans l’élément de la renaissance sans commencement et tout le reste, mais nous pouvons en avoir une version « allégée ».

Par exemple, sans les vies passées et futures, le karma (les enseignements sur la causalité comportementale) n’a pas vraiment de sens. Ceci parce que nous pouvons très bien agir de manière positive toute notre vie et être soudainement tué dans un tremblement de terre. De telles choses n’ont aucun sens du point de vue de cette seule vie. Cela ne veut pas dire que les enseignements sur le karma ne sont pas utiles dans cette vie. Par ailleurs, sans une compréhension de la renaissance, reconnaître tous les êtres comme notre mère est un peu absurde, et nombre des enseignements sur la bodhichitta sont fondés dessus. Pareillement, à moins de vraiment travailler avec l’idée que l’esprit n’a ni commencement ni fin, nous ne pouvons pas comprendre de façon approfondie le vide. L’esprit sans commencement implique la renaissance, n’est-ce pas ?

Ressentir sincèrement la motivation de chaque niveau est crucial. Enjamber ces niveaux initiaux de motivation c’est rater le vrai nœud du lam-rim. Prenez les thèmes de la portée initiale, par exemple. La précieuse vie humaine, la mort et l’impermanence, etc., viennent tout droit des soutras et les diverses traditions bouddhiques et les maîtres les présentent selon différents schémas d’organisation. Ils ne sont pas exclusifs au lam-rim. Le côté unique du lam-rim, c’est leur présentation au sein de la structure de portées progressives de motivation.

Comprendre le contexte du lam-rim

Les différentes traditions tibétaines expliquent la relation saine avec le maître spirituel à différents endroits dans leurs présentations des matériaux de type lam-rim. Par exemple, les lam-rim de la tradition guéloug mettent la relation saine avec le maître avant même la présentation des étapes progressives.

Soit dit en passant, je dois faire remarquer que le lam-rim n’est pas constitué d’un seul texte. Au sein de la tradition guéloug, il existe sept ou huit versions majeures du lam-rim. Tsongkhapa lui-même en écrivit trois versions. Il existe aussi des versions des Troisième et Cinquième Dalaï-Lamas, ainsi que des Quatrième et Cinquième Panchen Lamas. Une des plus récentes est celle de Pabongka Rinpotché. Et il y en a plusieurs entre les textes du Cinquième Panchen Lama et de Pabongka Rinpotché. On pourrait se lancer dans toute une discussion sur le développement historique du lam-rim, mais nous ne le ferons pas ici. Un point significatif, cependant, c’est qu’au cours du temps le style de la présentation a changé.

Une autre remarque : il y a quelque chose que j’estime utile d’indiquer au sujet de la version du lam-rim de Pabongka Rinpotché, couchée par écrit par son disciple Tridjang Rinpotché. Bien qu’elle ait été la première à avoir été traduite en anglais, devenant ainsi assez populaire, il s’agit d’une approche plutôt fondamentaliste du lam-rim. C’est du fondamentalisme Guélougpa. Ça ne veut pas dire que c’est bien ou mal, c’est simplement l’identifier pour ce qu’elle est. N’allez pas penser qu’elle est représentative de la tradition du lam-rim tout entière, ou de la tradition guéloug dans son entier. On y trouve certaines allégations sévères contre les Bönpos, par exemple. De même, l’emphase portée sur des choses comme de renaître en tant qu’animal avec des sabots si vous faites des prosternations avec les mains recroquevillées reflète une approche fondamentaliste. Ce n’est pas à nous de juger si une chose est bonne ou mauvaise, mais simplement de savoir ce qu’il en est. Pour un grand nombre de gens, le fondamentalisme est approprié, pour d’autres il ne l’est pas. Le courant principal du lam-rim guéloug, toutefois, est le Lam-rim chen-mo de Tsongkhapa. Si nous voulons connaître la tradition guéloug, c’est à cette version qu’il faut se reporter. Sa Sainteté le Dalaï-Lama met toujours l’accent sur elle. Elle aussi est actuellement disponible en anglais.

Pour en revenir à mon sujet, au début du lam-rim guéloug se trouvent les préliminaires et la relation avec le maître spirituel. Dans certaines versions, la relation au maître spirituel vient en premier avant les préliminaires, dans d’autres c’est le contraire. Dans tous les cas, pourquoi ces deux questions viennent-elles en premier ? Quand on y réfléchit, il est très clair que cette sorte de présentation n’est pas pour les nouveaux venus qui arrivent dans un centre du Dharma en ne connaissant rien au bouddhisme. Comment quelqu’un qui vient juste d’arriver peut-il commencer par des prosternations, le refuge, la bodhichitta et la prière en sept branches ? Un nouvel arrivant est-il supposé voir le maître comme un bouddha dès qu’il entre dans un centre ? Il est évident que les nouveaux venus occidentaux ne sont pas le public prévu pour le lam-rim. Ce qui déroute encore plus c’est que dans la discussion consistant à voir le maître comme un bouddha, les textes du lam-rim citent les tantras. « Vajradhara a dit que… » Il se passe quelque chose ici que nous devons comprendre.

Où ces textes ont-ils été originellement transmis et quel était leur contexte ? L’audience était composée de moines qui s’étaient totalement engagés sur la voie bouddhique, avec prise de vœux, etc. Ils étaient préparés à recevoir une transmission de pouvoir tantrique, une initiation. Conférer une transmission de pouvoir tantrique requiert auparavant de passer en revue le chemin des soutras, qui est la fondation pour la pratique tantrique. Donc, le lam-rim était comme une révision des enseignements de base des soutras pour des moines déterminés sur le point de recevoir une initiation tantrique. Par ailleurs, l’audience venait d’un contexte culturel dans lequel la renaissance était acceptée ; les moines avaient une relation certaine avec le maître ; et ils étaient déjà préparés à recevoir une initiation tantrique avec ce maître. Dans ce contexte, tous les enseignements sur la relation au maître prenaient leur sens. Et, de toute évidence, les préliminaires avaient du sens car ils étaient des moines ; ils accomplissaient ces genres de rituels de toute façon.

Un autre indice, c’est que Tsongkhapa appelle la relation saine avec le maître spirituel la « racine du chemin ». Chez une plante, la première chose qui pousse ce n’est pas la racine : une plante pousse d’une graine. Il n’appelle pas la relation au maître « la graine du chemin ». Une fois qu’une chose a déjà poussé, la racine est ce qui lui offre un support et lui fournit sa subsistance. Un maître spirituel n’est pas la chose à partir de laquelle la totalité du chemin pousse. Donc, bien que la relation au maître spirituel soit primordiale dans la présentation de Tsongkhapa, cela ne veut pas dire qu’elle vient en premier pour les nouveaux venus. Tsongkhapa expose le chemin à des gens qui sont déjà sur la voie. Pour eux, le support, la subsistance sur le chemin, c’est la relation qu’ils ont déjà avec le maître. C’est la raison pour laquelle il la place en premier.

Telles sont mes premières réflexions à propos de ce que nous devons savoir quant à la structure du lam-rim, c’est-à-dire la raison pour laquelle il se présente par étapes progressives, le fait qu’il soit possible qu’il y ait un stade préalable aux trois étapes progressives traditionnelles, que la manière dont les trois étapes traditionnelles sont arrangées permet qu’il y ait un stade préliminaire supplémentaire, et ce que la structure nous dit du point de vue de la relation au maître et des préliminaires.

Quels sont les prérequis avant d’accéder au niveau initial traditionnel du lam-rim ?

De quelles compréhensions et pratiques avons-nous besoin avant d’accéder au premier niveau de motivation du lam-rim ?

Sonam Tsemo (bsod-nams rtse-mo), l’un des cinq fondateurs de la lignée sakya, donne la liste des trois choses nécessaires pour accéder aux enseignements. La première est la reconnaissance de la souffrance. La deuxième est la confiance dans le fait qu’il est possible d’y échapper. Et la troisième, que le Dharma indique la façon de procéder. Quand on y réfléchit, cela est parfaitement sensé. Si nous ne voyons aucun problème dans notre vie, nous ne chercherons certainement pas à allez voir du côté du Dharma. Si nous voyons des problèmes mais ne pensons pas qu’il y ait une issue, nous ne tournerons pas non plus vers le Dharma. Et si nous ne pensons pas que le Dharma puisse offrir une solution, nous n’irons pas voir de ce côté pour en trouver une. Ces trois choses sont ce qui nous fait réellement vouloir rencontrer et suivre la voie bouddhique. Le troisième point implique que nous avons besoin de disposer d’une certaine somme d’étude du Dharma d’abord, de telle sorte que nous ayons une indication comme quoi il offre une solution viable. En conséquence, avant que nous puissions mettre tout notre cœur dans le Dharma, nous devons apprendre des choses à son sujet et l’étudier.

S’il vous plaît, pourriez-vous développer l’analogie de la graine et de la racine en relation avec le maître spirituel ? Quelle est la graine ? Comment se transforme-t-elle en racine ? Si vous dites que nous devons avoir une certaine connaissance du Dharma avant de nous y engager, comment se fait-il que nous nous engagions auprès d’un maître spirituel dès le début ?

Laissez-moi vous donner un exemple. Les trois points dont parle Sonam Tsemo sont pareils à une graine. Ce qui en germera ce sera le fait de s’engager dans le Dharma. Mais pour comprendre comment une racine peut pousser d’une graine, examinons le troisième point évoqué par Sonam Tsemo – la nécessité d’avoir été exposé au Dharma et la conviction dans sa capacité à offrir une solution aux problèmes de notre vie.

D’après mon expérience personnelle, j’ai étudié le bouddhisme pendant sept ans à l’université, de manière très professionnelle, étudiant les principales langues classiques. Bien que j’aie eu le sentiment instinctif que c’était la bonne direction, ce ne fut réellement que quand je suis allé en Inde et ai rencontré Sa Sainteté le Dalaï-Lama, et par la suite certains de ses maîtres, que j’ai vu que le bouddhisme était vivant en tant que tradition vivante. Ce n’était pas juste un sujet mort dans des textes que des professeurs essayaient de déchiffrer comme des mots croisés. Telle était l’approche dans les années soixante. Or voici que j’avais sous les yeux un maître vivant ; les enseignements étaient vivants ; et les suivre pouvait vraiment apporter des résultats. Ce dont je faisais l’expérience était le but et la fonction principale d’un maître tels qu’ils étaient expliqués dans les textes traditionnels : donner de l’inspiration. Voir que la pratique bouddhique était possible et vivante fut ce qui m’incita à véritablement m’engager dans la pratique et à dédier mon cœur au bouddhisme.

Pour cette raison, le maître spirituel est très utile et nécessaire pour réellement pénétrer l’essence des enseignements. Je ne pense pas que nous pouvons vraiment y pénétrer avec notre cœur sur la seule base de la lecture de livres sur le Dharma, bien que nous puissions être poussés dans cette direction grâce à eux et en tirer une certaine inspiration. L’inspiration la plus puissante vient de l’exemple vivant d’un maître. Ensuite on étudie avec un maître (le troisième point évoqué par Sonam Tsemo) à mesure que la graine devient racine, tandis que l’inspiration qu’on tire du maître spirituel nous nourrit tout au long du chemin. Mais pour que la rencontre avec un maître spirituel devienne une graine puis une racine, le maître doit être un maître dûment qualifié, et non un charlatan charismatique.

Si nous rencontrons seulement un maître non qualifié qui nous « décoiffe » et que nous ne sachions rien du bouddhisme, est-ce suffisant pour entrer sur le chemin ? Je dirais, arguments à l’appui, que non. De même que simplement lire des livres sur le bouddhisme sans exemple vivant peut nous orienter vers le Dharma et nous donner une forme d’inspiration, le simple fait de rencontrer un maître, même non qualifié, le peut tout aussi bien. Mais aller dans cette direction manquera de stabilité à moins que nous n’apprenions quelque chose du livre ou du maître, et ne nous contentions pas d’être juste inspiré.

Qu’est-ce qui est le plus dangereux, commencer en lisant simplement des choses sur le bouddhisme ou en étant simplement impressionné par un maître du Dharma ? Les deux ont leurs dangers. Si on se contente de lire, nous pouvons nous égarer dans notre propre interprétation du Dharma qui peut très bien n’avoir aucun rapport avec les véritables enseignements ; et si on se contente de suivre un maître, il y a un grand risque d’être la proie de quelqu’un qui nous inspire beaucoup, mais qui ne soit pas vraiment qualifié. Nous pouvons nous fourvoyer. Même si la personne est qualifiée, il se peut que nous projetions sur elle ou sur lui tellement de fantasmes que nous serons abusés par nos propres imaginations.

Sans tenir compte de la façon dont nous débutons, nous devons essayer d’allier l’étude et l’inspiration. L’inspiration initiale venant d’un maître n’est pas la même qu’une relation saine avec un maître spirituel. Cela vient bien après, une fois qu’on est bien établi sur le chemin et qu’on s’est engagé après avoir soigneusement examiné le maître. Les textes disent que ce qui signe et atteste la relation formelle avec un maître spirituel, c’est de recevoir de lui (ou d’elle) des vœux, que ce soit des vœux de pratimoksha, de bodhisattva ou des vœux tantriques. Pour atteindre ce stade, cela requiert un assez grand développement préalable de telle sorte que nous ne prenons pas des vœux juste par pression due au groupe, ou pour une raison névrotique, ou que nous n’assistons pas juste à une cérémonie sans aucune idée de ce qui s’y passe. Quand on peut vraiment mettre son cœur dans un pareil engagement, on commence à parler de la relation avec un maître spirituel telle qu’elle est décrite dans les textes traditionnels. On dit souvent que le maître spirituel est important au commencement, au milieu et à la fin du chemin. Mais nous devons comprendre ce que cela signifie à chaque étape. Cela ne veut pas dire que nous voyons le gourou comme un bouddha au tout début du chemin.

Apprécier à sa juste valeur notre précieuse vie humaine

Nous n’avons pas le temps ici d’entrer en détail dans les divers points du lam-rim. Au lieu de cela contentons-nous de parcourir la structure des étapes progressives, et faisons-le en comparant simplement les deux manières différentes d’aborder ces étapes : celle du Dharma « allégé », qui est celle avec laquelle la plupart d’entre nous les abordons, et celle du Dharma « authentique ».

Nous commençons par apprécier à sa juste valeur la précieuse vie humaine que nous avons. Le mot tibétain « précieux » ici est le même que celui qu’on utilise dans l’expression « Les Trois Précieux Joyaux ». La connotation est qu’une vie humaine pleinement dotée n’est pas seulement précieuse, mais qu’elle est aussi rare. Si nous réfléchissons à notre situation, elle est incroyable. Elle pourrait être bien pire qu’elle n’est actuellement. Il est tout à fait extraordinaire que nous ne soyons pas mentalement retardés, difformes, handicapés, fous, etc. Nous ne vivons pas dans une terrible zone de conflit armé, ou nous ne mourons pas de faim, torturés dans un camp de concentration, etc. Beaucoup de gens ont été et sont dans de telles situations. Il est extraordinaire que nous soyons libres de ces maux, mais nous considérons cela comme allant de soi, comme normal.

La situation mondiale actuelle est vraiment très utile pour obtenir la réalisation de notre précieuse vie humaine. Des méthodes pour travailler sur nous-mêmes sont disponibles, et nous sommes réellement curieux de les apprendre et de les mettre en pratique. Cependant, même si ces méthodes sont disponibles, la plupart des gens ne s’y intéressent pas. Et il y a beaucoup de gens pour qui elles ne sont même pas disponibles. Par ailleurs, il est incroyable que, outre notre intérêt, nous ayons l’opportunité d’étudier et de pratiquer ces méthodes. En comparant notre situation avec d’autres parties du monde, on peut voir que les choses pourraient être bien pires.

Quand on sait qu’on a une précieuse opportunité de travailler sur nous-mêmes, cela nous motive pour en tirer le meilleur parti. Il est important de ne pas gâcher une telle occasion. Elle est très fragile et très rare. Laisser perdre cette opportunité en passant la plupart de notre temps à aller dans des cafés, à regarder la télévision, peu importe, est un incroyable gâchis. Nous sommes tellement privilégiés d’avoir la liberté de faire des choses plus productives et bénéfiques de nos vies. La plupart d’entre nous ont de l’argent. Nous ne sommes pas des esclaves. Nous avons la santé. Nous sommes privilégiés. Ce point demeure le même, que nous pratiquions le Dharma « allégé » ou le Dharma « authentique ».

Ceci est un point de départ. Il vient en amont des vraies étapes progressives de motivation. Bien que nous puissions étudier le reste du chemin, si ce premier point ne touche pas vraiment nos cœurs en devenant absolument réel pour nous à un niveau émotionnel profond et pas juste intellectuel, il est très difficile de faire de réels progrès. Si ce n’est pas sincère et ne vient pas du fond du cœur, tout le parcours spirituel peut aisément devenir un simple jeu sportif. C’est juste une activité comme de jouer au bowling ou un exercice physique. Nous ne saisissons pas la profonde pertinence que cela a par rapport à nos vies. Car, en fait, travailler sur nous-mêmes doit être notre vie !

Cela ne veut pas dire que nous nous arrêtons là et n’étudions rien d’autre du chemin progressif jusqu’à ce que notre appréciation de notre précieuse vie humaine n’ait plongé ses racines en nous. Avant que cela atteigne le fond de notre cœur, cela prendra des années. La question est de ne pas en faire une chose banale. Bien que devions vraiment travailler à apprécier et tirer le bon parti de notre précieuse vie, nous n’avons pas à devenir un fanatique du Dharma. Cette attitude est vouée à l’échec. Il est bien entendu que nous devons nous détendre.

Nous avons cette rare opportunité ; nous avons cette précieuse vie humaine. Si nous avons eu l’occasion d’étudier et de rencontrer des maîtres qualifiés, cette occasion devient encore plus réelle. Comment pouvons-nous gâcher cela ? C’est un tel privilège d’être en mesure d’appendre et de rencontrer de tels maîtres.

Viser de meilleures renaissances

Le niveau initial de motivation est de penser à éviter les situations de renaissance plus mauvaise et d’essayer d’obtenir de meilleures situations dans nos vies futures. C’est le cas si on se place dans l’optique de nombreuses autres formes d’existence que la vie humaine où nous avons pris renaissance. Mais aller dans un des royaumes célestes des dieux et éviter l’un des royaumes infernaux ne sont pas les objectifs ultimes. Les prendre comme buts ultimes ne relève pas du bouddhisme.

Pour parler de façon réaliste, comment allons-nous nous en sortir en une seule vie ? Nous n’allons pas être en mesure de tout réaliser en une vie. Cela prendra même longtemps avant de faire des progrès significatifs sur la voie bouddhique, nous devons donc continuer d’obtenir de précieuses vies humaines. Nous devons continuer d’avoir des occasions propices qui nous servent de marchepieds pour réaliser les objectifs élevés du bouddhisme. En conséquence, vouloir améliorer les vies futures repose sur la précieuse vie humaine ; nous avons une précieuse vie humaine et nous voulons continuer d’en avoir dans le futur.

Si nous ne comprenons pas vraiment ou ne croyons pas en la renaissance, encore moins dans l’existence de royaumes d’existence invisibles tels que les royaumes célestes et les enfers, une version « allégée » du Dharma pourrait consister à vouloir être bénéfique aux générations futures. De même que nous avons obtenu une précieuse renaissance humaine, nous aimerions que les futures générations bénéficient de précieuses opportunités, soit que nous pensions juste à nos familles ou en termes plus larges. Cette idée d’être bénéfique aux générations futures ne se trouve pas vraiment dans les textes bouddhiques mais elle est en harmonie avec les enseignements du Dharma, aussi, en tant qu’Occidentaux, nous pouvons l’aborder dans cette perspective. Je pense que se donner un tel but est parfaitement valide et utile, aussi longtemps que nous ne proclamons pas que c’est là ce que dit le bouddhisme tout en déniant ce dont parle vraiment le bouddhisme, qui est d’être bénéfique aux vies futures.

Ensuite nous travaillons sur la conscience de la mort. Nous prenons la mort au sérieux. Assurément, nous allons mourir. Toute personne qui est née est morte et nous n’avons aucune idée de quand cela arrivera. Penser simplement à la mort, sans qu’il y ait quelque chose après, pourrait s’avérer déprimant. La question, dans l’optique du Dharma authentique, c’est qu’il y aura des vies futures après celle-ci, or y sommes-nous préparés ? Si nous devions mourir maintenant, aurions-nous le sentiment que nous sommes réellement prêts pour ce qui viendra après ? Avons-nous des regrets à propos de ce que nous avons fait de notre vie ? L’avons-nous gâchée ? Si c’était notre dernière heure, serions-nous contents de la manière dont nous avons passé nos vies ? Ce sont là des choses importantes auxquelles réfléchir.

Une version « allégée » du Dharma consisterait simplement à prendre au sérieux le fait que nous pouvons mourir à tout moment. Dans la situation actuelle du monde, cela devient encore plus réel pour nous. Quel héritage allons-nous laisser derrière nous aux générations futures ? Qu’avons-nous fait ? Allons-nous juste laisser derrière nous un chaos financier et émotionnel, ou allons-nous laisser quelque chose de positif ? Comment les gens se souviendront-ils de nous ?

Après avoir pensé à la mort, nous réfléchissons à ce qui pourrait arriver après. Nous pensons aux mauvaises renaissances. Voulons-nous renaître en tant que cafard, de telle sorte que quiconque nous voit veut juste nous marcher dessus ? On peut aller assez loin dans l’imagination des pires situations. Cela n’a pas besoin d’être le royaume des animaux, cela peut être le royaume des humains aussi bien : on peut faire l’objet d’un terrible préjudice, n’avoir aucune opportunité, etc. Quand on réalise qu’on dispose de si précieuses occasions et d’une si merveilleuse chance maintenant, et qu’on imagine ne plus les avoir dans nos vies futures, nous sentons que ce serait horrible ! Nous ne voulons pas que ça arrive. Si nous pensons réellement ainsi, nous travaillerons très dur en vue de préparer nos vies futures. Nous voudrons faire les choses avec soin.

Cette façon de penser est très difficile pour la plupart des Occidentaux parce que nous n’avons aucune idée de ce que signifie réellement la renaissance. Et si nous en avons une, il y a de grandes chances que ce soit une idée simpliste que les bouddhistes ne cautionneraient pas. Toute cette question est très difficile à ressentir à un niveau sincère, très difficile. Une version « allégée » du Dharma, comme je l’ai mentionné, consiste à penser en termes de générations à venir, mais nous pourrions penser également dans la perspective de vouloir éviter que les choses n’empirent plus tard dans cette vie. Voulons-nous finir assis dans un fauteuil roulant dans une maison de retraite en n’ayant rien fait de valable dans notre vie, complètement déprimé, seul, et sans aucune aptitude à gérer les souffrances du grand âge ? Ce serait horrible quand on y pense. Nous voulons préparer une sorte de base émotionnelle et de compréhension afin d’être capables de faire face à l’inévitable (à moins que nous ne mourrions subitement demain) : la maladie, la perte de notre mémoire, de nos sens physiques, de notre capacité à contrôler nos intestins, la dépendance aux autres, la mort. Comment ferons-nous face à ces choses tout en gardant notre dignité au lieu de sombrer dans la dépression, ce que la plupart des gens font. Nous devons prendre ces choses assez sérieusement et ne pas nous contenter de les nier. Le déni n’est d’aucune aide. C’est un point important. Le Dharma ne consiste pas seulement à considérer de jolies choses. Nous regardons en face les choses terribles et essayons de faire en sorte soit de les éviter, soit de les gérer d’une façon qui en atténuera la souffrance.

L’étape suivante est la direction sûre, ou refuge. Que nous voulions éviter les pires renaissances ou les pires choses à la fin de cette vie ou dans les générations futures, nous voyons que le Bouddha, le Dharma et le Sangha nous montrent le moyen d’y échapper. Les bouddhas se sont complètement débarrassés de toutes les émotions perturbatrices et difficultés, et les arhats libérés ainsi que les aryas hautement réalisés l’ont fait en partie. Nous travaillons dans ce but, lequel est en vérité la libération et l’illumination. Si nous travaillons à obtenir une meilleure vie future, le refuge nous montre comment le faire, de telle sorte que sur la durée de nombreuses vies nous puissions véritablement atteindre la libération et l’illumination ; il s’agit de la direction qui consiste à travailler sur nous-même, pour le dire simplement.

Dans une version « allégée » du Dharma, nous travaillons sur nous-mêmes et allons dans cette direction au cours de cette vie, laquelle nous sert de marchepied. Il est difficile d’être réellement convaincu que nous pouvons nous débarrasser de toute confusion et réaliser tous les potentiels. Nous ne savons même pas ce que cela veut dire. Pour réellement travailler dans ce sens nous devons le comprendre et être convaincu qu’obtenir la libération et l’illumination est possible. Donc, en tant que version « allégée » du Dharma, nous allons travailler à essayer de comprendre comment il est possible de surmonter toute notre confusion et émotions perturbatrices, et de nous convaincre que c’est possible. Dans l’intervalle, nous pouvons au moins aller dans cette direction. Nous ne savons pas si nous pourrons parcourir tout le chemin ou non, mais nous pouvons au moins voir qu’aller dans cette direction est bénéfique.

Maintenant nous avons un sens et une direction dans la vie. C’est la raison pour laquelle on insiste tellement sur cette étape du refuge : cela fait vraiment une énorme différence, que nous suivions une version « allégée » du Dharma, ou une version « authentique ». Le fait de vraiment ressentir que nous savons ce que nous faisons de notre vie est une étape de taille ! Cela confère un prodigieux niveau de sécurité et de maturité. Nous ne parlons pas ici de l’attitude immature qui consiste à dire : « Ô Bouddha, Bouddha, sauve-moi ! », alors que nous ne faisons rien. Ce n’est pas ça le bouddhisme.

Pour aller dans la direction sûre du Bouddha, du Dharma et du Sangha, nous devons comprendre le karma (la causalité comportementale) et nous devons modifier notre comportement en conséquence. Si nous agissons de manière destructrice, nous devons le reconnaître et nous en empêcher, de même, nous devons agir davantage de façon constructive. La manière dont nous agissons affectera ce dont nous ferons l’expérience. Si nous agissons comme des idiots, les gens nous traiterons comme des idiots. Si on est cruel, est-ce qu’on s’attend à ce que les gens soient gentils avec nous ? Si nous agissons cruellement, blessons et grugeons les autres, les autres nous rendront la pareille. Si nous sommes bon avec notre famille, les choses se passeront plus en douceur.

En tant que version « allégée » du Dharma, nous pouvons réfléchir au fait que notre façon d’agir affectera notre expérience dans cette vie, mais il n’est pas si évident que ça que ce soit le cas. Nous pouvons être très gentil avec notre famille et avoir malgré tout des tas de désagréments et de difficultés. Ou nous pouvons être très corrompu et, grâce à la corruption, devenir très riche et n’être jamais pris en faute. Donc, de manière générale, nous pouvons dire que les choses iront mieux dans cette vie si nous sommes gentil et moins bien si nous ne le sommes pas, mais il n’y a aucune garantie à cela. Le Dharma « authentique » implique de penser en termes de vies passées et futures, car la plupart des résultats ne mûrissent pas dans cette vie, et, dans l’ensemble, ce qui mûrit dans cette vie ne vient pas nécessairement de ce que nous avons fait dans cette vie.

Une autre version du Dharma « allégé » des enseignements sur le karma est d’essayer d’aider les autres et de ne pas les blesser. Cela est cohérent avec le Dharma, mais comment savoir quel sera l’effet de nos actions ? Nous pouvons cuisiner un merveilleux repas pour faire plaisir à quelqu’un, et cette personne peut s’étouffer avec un os et mourir. La seule chose certaine, c’est l’effet de nos actions sur nous-mêmes du point de vue de notre expérience actuelle. C’est de cela véritablement que parle le karma.

Tout ceci fait partie du contexte qui consiste à réfléchir aux vies futures et à vouloir éviter qu’elles ne soient imparfaites, en sorte qu’au cours de chacune d’entre elles, grâce à la précieuse vie humaine dont nous jouirons, nous puissions travailler de plus en plus vers la libération et l’illumination.

La portée intermédiaire

Avec une motivation de portée intermédiaire, nous prenons comme objectif la libération des renaissances récurrentes incontrôlées. Si nous ne comprenons pas ou ne croyons pas en la renaissance, comment pourrions-nous possiblement vouloir nous en libérer ? C’est une plaisanterie. Une  version « allégée » du Dharma vise à se libérer de tout type de problème dans cette vie, mais cela reste plutôt vague. Dans la perspective du Dharma « authentique », au niveau initial, on cherchait juste à éviter les niveaux grossiers de souffrance, en particulier les souffrances associées aux pires renaissances. Ici, au niveau intermédiaire, nous réfléchissons aux problèmes de nos bonheurs ordinaires, caractérisés comme étant les souffrances liées aux royaumes supérieurs. Même dans les royaumes des dieux ou en tant qu’êtres humains, nous éprouvons toutes sortes de souffrance. Nous considérons également la souffrance « qui englobe tout », qui est la situation samsarique générale, à savoir que, quelle que soit l’expérience que nous fassions dans n’importe quelle renaissance, celle-ci est conditionnée par la confusion, est accompagnée de confusion, et perpétue et crée encore plus de confusion. Mais, avec le Dharma « allégé », on peut regarder ces deux types de souffrance de façon plus générale, de telle sorte qu’elles appartiennent à cette vie aussi bien.

Les genres de bonheurs ordinaires que nous avons sont imparfaits. Pourquoi ? Car jamais ils ne nous satisfont. Nous n’en avons jamais assez. Nous ne voulons pas juste faire l’amour une fois, de même que nous ne voulons pas juste manger une seule fois. Nous le voulons encore et encore et encore. La chose horrible, c’est que parfois nous n’aimons même plus nos plats préférés. Il n’y a aucune garantie que nous aimerons manger le même repas à chaque fois, ou que nous aimerons faire l’amour chaque fois. Encore plus terrible est de ne pas savoir ce qui va suivre. À un moment donné nous sommes d’une humeur merveilleuse, et le moment suivant nous sommes dans un état épouvantable. C’est très insatisfaisant.

Nous devons vraiment aller au-delà de l’état d’esprit qui ne pense qu’à essayer d’obtenir n’importe quel plaisir qui passe à notre portée, et ce par tous les moyens. Ordinairement, ce qui se tient derrière cette attitude est le mythe, le fantasme que nous allons trouver un parfait bonheur dans la nourriture, le sexe, l’amitié, l’argent, peu importe l’objet. Mais une telle croyance vient de la confusion, accompagne notre poursuite de ces objets, et, une fois l’expérience faite que ces objets ne nous satisfont pas, perpétue un surcroît de confusion. Nous pensons que peut-être la prochaine fois que nous les aurons, ces objets nous apporteront le bonheur parfait. Nous devons en arriver au stade où nous éprouvons ce qu’on appelle le « renoncement ». Il ne s’agit pas seulement de la détermination à être libéré de ce cycle qui s’auto-alimente ; il s’agit d’un sentiment fondé sur la lassitude et le dégoût pour toutes ces choses. Il est tout simplement stupide et ennuyeux de se frapper la tête contre les murs et d’essayer d’obtenir un bonheur éternel à partir de ces sortes d’objets. Avec le renoncement, nous sommes déterminés à être libres et cela repose sur la compréhension qu’il existe une possibilité de l’être ; il y a une alternative.

Grâce au renoncement, on réalise qu’il n’y a aucun endroit dans l’univers où nous voudrions vraiment aller. Tout est à peu près pareil et se vaut. Certains lieux sont plus agréables que d’autres, mais tout cela est un leurre. Il n’y a pas de centre du Dharma auquel nous sentons que nous devons appartenir afin d’obtenir le bonheur. Nous réalisons qu’aucun centre ne sera parfait et que, inévitablement, tout centre sera impliqué dans des intrigues politiques internes. Il n’y a aucun monastère auquel nous voudrions appartenir. Tout monastère, lui aussi, sera inévitablement mêlé à des intrigues politiques internes. Il n’est aucune amitié, en particulier, que nous voulons cultiver, car toute amitié sera tôt ou tard inévitablement remplie de problèmes et de difficultés.

Cela ne veut pas dire, pour autant, que nous quittons tout sur le champ et nous suicidons du fait que tout est tellement déprimant. Au contraire, du fait que nous ne sommes attachés à rien et qu’il n’y a aucun fantasme comme quoi nous trouverons le centre idéal du Dharma, le bon monastère, les bons amis, le bon endroit où vivre, le bon métier, le bon partenaire, etc., dès lors nous recherchons ceux qui seront les plus propices pour faire davantage de progrès sur le chemin vers la libération. Munis de ce critère, nous choisissons un centre du Dharma, un monastère, un endroit où vivre, etc., sans les magnifier au point d’en faire les plus merveilleux du monde. Aucun ne l’est. Ils font partie du samsara. Les situations samsariques ne satisfont jamais, elles ne sont jamais parfaites ; elles comportent toujours des hauts et des bas. C’est dans ce sens que nous devons entendre le renoncement.

La version « Dharma-allégé » du renoncement est de s’extraire de la souffrance dans cette vie. La version « authentique » est de penser également aux vies futures, pas juste à cette vie. Les trois types de souffrance ne font que continuer encore et encore d’une vie future à l’autre, à moins que nous ne fassions quelque chose pour sortir de ce cycle récurrent incontrôlable.

On peut voir, ici, comment tous les enseignements sont comme les pièces d’un puzzle à assembler avec toutes les autres pièces, de différentes façons. Par exemple, si nous ne plaçons pas la pièce du puzzle de la précieuse renaissance humaine avec le renoncement, nous en arrivons au point où nous avons l’impression qu’aucun endroit n’est bon, nous ne voulons aller nulle part, tout est à jeter à la poubelle, et nous n’avons aucune envie de faire quoi que ce soit. Il ne s’agit pas là de renoncement. Le renoncement nous aide à tirer le meilleur parti de notre précieuse vie humaine.

La chose suivante que nous devons examiner, quand nous avons une motivation de portée intermédiaire, c’est de savoir ce qui cause tous ces problèmes, ces difficultés, ces émotions perturbatrices. Ils viennent tous de notre confusion. Le Dharma donne une explication incroyablement sophistiquée de la façon dont ça fonctionne. Pour donner un exemple simple, le mythe de la Princesse et du Prince charmants sur un cheval blanc nous fait projeter toutes sortes d’idéalisations sur les autres. Puis, nous nous attachons et nous mettons en colère quand il ou elle n’est pas à la hauteur de nos impossibles attentes, ou bien nous devenons jaloux car quelqu’un d’autre est en train de nous ravir notre Prince ou notre Princesse. Le bouddhisme fournit une analyse complète de l’endroit d’où ça vient. C’est fantastique.

La version « allégée » du Dharma cherche les causes de ces syndromes dans le seul contexte de cette vie, étendant parfois ses recherches des causes aux influences venant des générations passées. Ainsi, la version « allégée » du Dharma penche du côté de l’analyse psychologique, laquelle ne va pas assez en profondeur. La version authentique, elle, examine ces syndromes et leurs causes en termes de schémas venant des vies antérieures. Considérer cette question seulement dans la perspective de ce qui nous est arrivé dans cette vie n’est pas suffisant pour réellement tout expliquer. C’est juste une vision partielle.

Le sujet suivant du lam-rim porte sur la discussion des douze liens de la production interdépendante. Il s’agit d’une analyse complexe, très sophistiquée, de la façon dont la renaissance fonctionne ; comment les émotions perturbatrices en association avec le karma activent certains schémas qui se répètent sous forme de propensions, de traits de personnalité, au cours de différentes vies, etc. C’est seulement avec ce tableau complet que nous avons réellement une idée de la manière dont tout le processus de la renaissance est repoussant et absurde. Bien que du point de vue du Dharma « allégé » nous puissions avoir une idée de la façon dont nos schémas reviennent dans cette vie, le Dharma « authentique », lui, parle de la manière dont la renaissance fonctionne. C’est là sa véritable profondeur.

Pour sortir de ce terrible cycle, nous avons besoin des trois entraînements supérieurs à savoir : l’autodiscipline éthique, la concentration, ainsi que la conscience discriminante (la sagesse). Ici, l’autodiscipline éthique fait référence à la prise de vœux (laïcs ou monastiques) en vue de la libération individuelle. Dans la mesure où nous voulons vraiment sortir du samsara, nous nous engageons à éviter certaines choses qui entravent notre libération. Nul besoin ici d’entrer dans une longue discussion à propos de la prise de vœux. Prendre ces vœux de libération individuelle implique que nous ayons au préalable une certaine idée que la libération est possible et qu’un engagement sans faille de notre part cherchant à éviter tout comportement destructeur nous aidera à aller dans cette direction. Le fait d’abandonner tout comportement destructeur s’appuie en très grande part sur le renoncement, car nous voyons qu’agir, parler et penser de façon destructrice nous éloigne de cette direction.

Le fait que la discussion sur la prise de vœux suive la discussion sur les émotions et attitudes perturbatrices suppose que nous ne prenons pas de vœux pour des raisons névrotiques, comme de se dire : « je veux être une bonne personne », ou « je veux faire plaisir à mon maître », etc. Quand on prend des vœux parce que nous savons que la libération est possible et que les vœux délimitent les frontières que nous devons éviter de transgresser afin d’atteindre ce but, nous n’avons plus aucune hésitation sur la façon d’agir. Par exemple, nous ne buvons pas d’alcool car nous comprenons que cela embrume notre esprit de telle sorte que nous ne pouvons pas réaliser la concentration. Nous devons mettre des frontières. Cela n’a rien à voir avec le fait d’être obéissant. Prendre des vœux s’appuie sur une forte conscience discriminante comme quoi le fait de suivre les lignes directrices des vœux est bénéfique. Alors, sur la base de cette autodiscipline éthique, on développe la concentration et, grâce à la conscience discriminante, on se concentre sur le vide, la vision la plus profonde de la réalité, pour se débarrasser de la confusion qui est la cause de nos renaissances récurrentes incontrôlées. La concentration et la vacuité ne sont pas discutées en détail dans la portée intermédiaire : elles sont juste mentionnées.

La portée avancée

La motivation de portée avancée consiste à travailler en vue de l’illumination. Une fois que nous sommes parvenus au stade où nous travaillons à obtenir la libération, à nous débarrasser de nos propres renaissances incontrôlées, nous devons nous avancer jusqu’au point où nous voulons aller plus loin dans notre développement afin de pouvoir être en mesure d’aider tout le monde à s’en sortir également. Dans la version « allégée » de cette motivation, nous voulons simplement être gentil avec tout le monde et les aider. Or, il ne s’agit pas seulement de cela. Nous voulons les aider à surmonter les renaissances récurrentes incontrôlées. C’est beaucoup plus que d’être simplement gentil.

Notre concentration et notre compréhension du vide nécessitent une énergie prodigieuse en amont afin quelles puissent nous apporter l’illumination, et cette énergie vient de l’esprit de bodhichitta. Pour le dire simplement, l’esprit de bodhichitta est l’état d’esprit qui pense : « Je dois aider tout le monde le plus pleinement possible, et pour faire cela, je dois atteindre l’illumination, et donc je me fixerai comme but cette réalisation. »

Pour le moment notre esprit est limité ; nos corps sont limités. C’est comme si nous étions dans un sous-marin en train de regarder à travers un périscope. Tout ce que nous pouvons apercevoir, c’est ce qui se trouve juste devant nos yeux. Nous ne pouvons pas voir de façon absolue l’interconnexion de tout ce qui a existé ou qui existera. Quand nous regardons les autres, nous ne voyons pas comment leur état d’esprit actuel a été affecté par tous les êtres humains et par tous les animaux qui ont existé, par l’histoire, l’économie, la société, etc. Or nous devons connaître toutes ces choses afin de choisir l’enseignement correct qui leur convient. Nous ne savons pas également l’effet qu’aura notre enseignement sur tous ceux qui l’écoutent et, après avoir été influencé par cet enseignement, l’effet que cela aura sur absolument toutes les personnes qu’ils rencontreront par la suite. Pensez-y. Nous ne voyons qu’à travers un périscope. Nous ne voyons pas les interconnexions, sans même mentionner les vies passées et futures de tout un chacun. À moins d’être conscient de toutes ces choses, comment pouvons-nous savoir quelle est la meilleure chose à enseigner à quelqu’un ?

Sur ce point, la version « allégée » du Dharma pense en termes d’une seule vie pour tout le monde, et donc ne raisonne qu’à partir des causes et des effets dans le contexte d’une seule vie. La version « authentique », elle, prend en compte le fait que tout le monde possède un nombre de vies infini, ce qui rend la chose beaucoup plus complexe. Afin d’être en mesure de savoir comment aider tout le monde du mieux possible, nous devons nous débarrasser de ce stupide périscope, ce qui veut dire que nous devons devenir illuminés. Même une fois libérés du samsara, nous regardons toujours à travers un périscope, bien qu’à ce stade nous ne soyons plus dupes, nous ne croyions plus que les choses existent de la façon dont elles semblent exister. Quand nous nous sommes débarrassés du périscope, nous ne sommes plus des créatures sous-marines. Sans une compréhension ou au moins une idée simpliste de ce que l’illumination signifie vraiment et pourquoi nous devons l’atteindre, comment pourrions-nous développer l’esprit de bodhichitta ? C’est ce sur quoi nous travaillons.

Une version « allégée » du Dharma serait de se dire : « Oh, je veux devenir un bouddha parce que c’est tellement merveilleux ! C’est ce qu’il y a de plus haut et je serai en mesure d’aider tout le monde ! » Il s’agit là d’un conte de fée. Nous pouvons peut-être commencer comme ça, mais nous devons réaliser que l’enjeu est beaucoup plus vaste et profond.

Ensuite nous prenons les vœux de bodhisattva. Ceux-ci nous indiquent les actions et les attitudes que nous devons éviter, et les choses que nous devons faire afin d’être le plus bénéfiques aux autres et afin d’atteindre l’illumination. C’est merveilleux. Nous savons ce qui risque de nous entraver sur ce chemin, aussi nous l’évitons.

Au fur et à mesure que nous progressons sur la voie, nous travaillons avec les six attitudes de grande envergure, qu’on appelle habituellement les six paramitas. Nos pouvons les envisager de deux façons : dans l’optique d’être bénéfique à nous-mêmes pour être en mesure d’être bénéfiques aux autres, et dans l’optique d’être réellement bénéfiques aux autres. Nous devons être disposés à tout donner. C’est la générosité. Sans cette attitude, comment serions-nous capables d’avancer sur ce chemin ? Puis nous avons besoin de discipline, sinon comment employer toute notre énergie et notre temps ? La discipline nous maintient concentrés sur la méditation, la pratique, etc., et nous nous y tenons. Ce sera difficile. Nous avons besoin de patience de telle sorte que nous ne nous sentions pas frustrés et en colère en essayant de pratiquer le chemin. Puis nous avons besoin de persévérer dans la joie car, bien entendu, à mesure que nous pratiquons et travaillons sur nous-mêmes, les choses passeront par des hauts et des bas. Bien sûr, nous ne devons pas nous laisser désarçonner par cela. Qu’importe ce qui arrive, nous continuerons et trouverons la joie dans les pratiques du Dharma que nous faisons, car nous voyons tous les bienfaits qui en découlent.

À quoi appliquons-nous notre persévérance ? En premier, nous travaillons sur la concentration. En vérité, le terme ici fait référence non seulement à la concentration, mais à la stabilité en général. Grâce à la stabilité mentale, non seulement notre esprit ne vagabonde pas ni ne somnole, mais il n’est pas sujet à des hauts et des bas, en proie à toutes sortes de péripéties émotionnelles. Notre esprit et nos humeurs restent stables. Dès lors, quand on se trouve dans une situation émotionnellement difficile, nous ne perdons pas notre concentration. Dans la situation actuelle du monde avec toute la tension et l’anxiété, nous sommes à même d’admettre que les choses soient tristes ou difficiles, mais nous ne perdons pas notre concentration. Nous n’utilisons pas seulement cette concentration pour nous focaliser sur la respiration, mais sur la conscience discriminante de la réalité, afin de nous débarrasser de toutes les projections de modes d’existence impossibles, de tous nos fantasmes, et de rester concentrés sur ce dont il s’agit vraiment.

Pour ce qui est d’aider vraiment les autres, avec générosité nous ne leur donnons pas seulement des choses matérielles, mais du respect et des occasions d’apprendre. Nous aidons en enseignant aux autres. Nous leur donnons la liberté de ne pas être effrayés par nous – le fait que nous puissions les abandonner, les rejeter, nous accrocher à eux, etc. Nous leur portons un amour sincère. Nous voulons vraiment qu’ils soient heureux. Nous ne les utilisons pas pour notre propre plaisir. Le plus possible, nous nous servons de la discipline pour les aider réellement, pour ne pas les blesser. Nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir. Nous essayons de nous rendre utiles au lieu de dire : « Désolé, je suis occupé. Je ne peux pas vous aider aujourd’hui. » Nous devrons être patients car cela s’avérera difficile. Les gens nous donneront du fil à retordre. Nous aurons besoin de patience pour ne pas nous mettre en colère ou nous sentir frustrés parce que nous ne sommes pas Dieu et que ne pouvons pas d’un claquement de doigts faire en sorte que les problèmes de tout le monde disparaissent. Nous aurons besoin de persévérance joyeuse pour continuer d’avancer, pour continuer d’aider, pour continuer d’essayer, sans tenir compte du fait que les gens s’améliorent ou non, et malgré les hauts et les bas.

Nous avons besoin de concentration pour rester focalisés sur le fait d’aider les autres, sans distraction, en dépit du fait de nous sentir attirés par un tel ou repoussés par tel autre. Puis nous avons besoin de la conscience discriminante pour faire la distinction entre nos projections et nos fantasmes sur les gens et la façon dont ils existent. Nous avons besoin de faire la distinction entre ce qui est utile et ce qui est nuisible.

Avec la version « allégée » du Dharma, nous pratiquons seulement pour aider les gens dans cette vie. Le Dharma « authentique », lui, consiste à aider les autres et à dédier la force positive qui en découle pour dépasser notre vision périscopique de telle sorte que nous puissions véritablement les aider aussi pleinement que possible avec amour, compassion, etc.


Vidéo : Khandro Rinpotché — « Qu'est-ce que la compassion ? »
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Conclusion

Il s’agit là d’une discussion générale sur la structure fondamentale des étapes progressives du chemin. Cela requiert une prodigieuse somme de travail. Il n’y a aucune raison de se sentir honteux ou mal si nous en sommes au niveau du Dharma « allégé », car c’est, en fait, là où la plupart d’entre nous nous trouvons. Essayez de mettre votre cœur dans le Dharma « allégé », si c’est là que vous en êtes, et faites-le sincèrement, mais toujours en gardant la vision qu’il s’agit d’un marchepied. Nous devons comprendre et reconnaître l’importance de travailler avec la renaissance et le reste, de telle sorte que nous puissions finalement réellement travailler à la libération et à l’illumination. Nous ne devons pas banaliser ces enseignements, être arrogants et prétendre que nous sommes à un niveau de motivation plus avancé que celui auquel nous sommes. Quel que soit le stade où nous en sommes, toujours nous essayons d’aider les autres du mieux possible.

Dédicace

Comme je l’ai dit de nombreuses fois, si nous avons acquis quelque compréhension, quelque force positive en discutant de ces questions et que nous nous contentions de laisser les choses en l’état, cette force positive agira automatiquement comme une cause pour simplement améliorer notre samsara. C’est très bien, mais nous pouvons faire beaucoup plus avec cette force. Nous ne voulons pas juste qu’elle serve à rendre nos vies un peu plus faciles. Ce serait du Dharma « allégé ». Ce que nous voulons, c’est la dédier consciemment pour servir de cause à notre atteinte de l’illumination, pour surmonter nos émotions perturbatrices, mais également notre vision périscopique, afin que nous puissions vraiment être de la plus grande aide possible pour tous. Merci.

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