Le refuge : une direction sûre et pleine de sens dans la vie

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La prise de refuge est la pierre d’angle de tous les enseignements et pratiques du bouddhisme. On l’appelle « la porte d’entrée de la voie bouddhique ». Si nous comprenons que prendre refuge signifie travailler sur soi, nous voyons que c’est un processus actif qui consiste à donner à notre vie une orientation sûre et pleine de sens. Nous travaillons sur nous-mêmes en appliquant les méthodes enseignées par le Bouddha pour nous débarrasser de la confusion, des émotions perturbatrices et des comportements compulsifs, et pour développer toutes nos qualités positives. C’est ce qu’ont fait tous les bouddhas et ce que font tous les maîtres actuels réalisés, et c’est ce que nous essayons de faire en suivant leur exemple.

Dissiper la confusion sur l’objectif de notre pratique du bouddhisme

On m’a demandé de parler de la pertinence de la prise de refuge dans la vie quotidienne. Cela m’a rappelé l’exemple d’Atisha, le grand maître indien qui s’était rendu au Tibet à la fin du dixième siècle. Atisha est l’un des grands maîtres à avoir ravivé le bouddhisme au Tibet après le déclin qui avait suivi son introduction en provenance d’Inde. En ce temps-là, la situation au Tibet était telle que de nombreux malentendus avaient cours, en particulier au sujet du tantra et de certains enseignements très avancés. Il n’y avait pas vraiment d’enseignants qualifiés. En fait, il n’y avait pas d’enseignant véritablement capable d’apporter des explications. De nombreux textes avaient été traduits, mais il n’en existait que peu d’exemplaires et peu de gens savaient lire. Et même quand les gens savaient lire, il leur était très difficile de trouver des éclaircissements sur le sens des textes.

Pour parer à la situation, un des rois du Tibet occidental dépêcha quelques étudiants très intrépides auprès d’un grand maître bouddhiste qui résidait en Inde, avec pour mission de revenir au Tibet avec lui. Ils firent le voyage à pied, durent apprendre les langues des contrées qu’ils traversaient et s’adapter aux différents climats en vigueur. Beaucoup moururent en cours de route ou à leur arrivée en Inde. Mais ce qui est certain, c’est qu’ils finirent par arriver à destination, auprès d’Atisha, ce grand maître, et l’invitèrent à se rendre au Tibet. Atisha, pendant les nombreuses années de son séjour au Tibet, enseigna principalement le refuge et le karma. En fait, il était connu sous le nom de « Lama du refuge et du karma ». C’est le nom que lui donnèrent les Tibétains. 

L’exemple d’Atisha est tout à fait actuel. De nos jours aussi une grande confusion règne sur le bouddhisme et sur le sens d’une pratique bouddhique au quotidien. De nouveau, le tantra et d’autres enseignements avancés font l’objet de divers malentendus. Les gens se lancent dans ces pratiques avec des connaissances de base insuffisantes des enseignements bouddhiques, voire inexistantes, et croient que la pratique du bouddhisme consiste à exécuter toutes sortes de rites magiques. Minimisant la pertinence et l’importance du refuge et de ce qu’il représente dans notre vie de tous les jours, ils se retrouvent en décalage. 

Quelle que puisse être notre situation dans la vie, la pratique du bouddhisme implique un travail sur nous-mêmes, une volonté de nous améliorer pour devenir quelqu’un de meilleur. Ce n’est pas quelque chose à faire en dilettante, comme un hobby ou un sport auquel on consacre éventuellement une demi-heure par jour ou une courte session une fois par semaine quand nous sommes très fatigués après le travail. C’est quelque chose de pragmatique auquel nous nous appliquons tout le temps : c’est un travail constant sur nous-mêmes. Cela signifie reconnaître à la fois nos défauts et nos qualités et apprendre des méthodes qui réduisent la force de nos défauts et augmentent celle de nos qualités. Et enfin, notre but est de nous débarrasser de tous nos défauts et de développer pleinement toutes nos qualités. Cependant, bien que ce processus soit positif pour nous à titre personnel – car ce faisant, nous menons une vie plus heureuse –, notre intention n’est pas de poursuivre uniquement nos propres intérêts, mais d’apporter une aide plus efficace à autrui, et donc d’en faire bénéficier également les autres. Voilà ce que représente la pratique du bouddhisme. Et ce qui la distingue, ce sont les méthodes employées pour atteindre les buts poursuivis. « Le refuge » signifie que nous nous tournons vers ces méthodes et que nous les adoptons dans notre vie.


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Le refuge n’a rien de passif

Le refuge dans Les Trois Précieuses Gemmes – les Bouddhas, le Dharma et le Sangha – occupe une place centrale dans tous les enseignements bouddhiques. En fait, la prise de refuge est comme une ligne de démarcation entre bouddhistes et non-bouddhistes. Pour résumé : le Dharma désigne les méthodes de travail sur soi et le but que tout un chacun peut atteindre ; les Bouddhas sont ceux et celles qui ont enseigné ces méthodes et pleinement atteint ce but ; et le Sangha représente ceux et celles qui ont partiellement atteint ce but. En réalité, le terme « Dharma » signifie « mesures préventives » : ce sont des mesures que nous prenons pour nous empêcher de créer des problèmes pour nous-mêmes, et éventuellement pour les autres. Ce sont des mesures que nous prenons pour nous protéger.

Bien que sharana, le terme original sanskrit, soit habituellement traduit par « refuge » et signifie « protection », et puisse même être employé dans le sens d’« abri », il est important d’en avoir une compréhension correcte. Sa connotation s’accorde avec la signification du Dharma, laquelle n’implique en aucun cas qu’il faille s’abandonner passivement à une quelconque source extérieure qui nous accordera sa protection. Dans le contexte bouddhique, « prendre refuge » est quelque chose de très actif : nous devons faire quelque chose pour nous protéger. 

Prenons un exemple que mes maîtres citaient souvent : supposons qu’il pleuve et qu’il y ait une grotte dans le voisinage. Si, dans cette situation, nous nous contentions de dire et de répéter : « Je prends refuge dans cette grotte ; je vais me mettre à l’abri dans cette grotte » tout en restant dehors sous la pluie, cela ne servirait à rien. Il faut que nous allions vraiment dans la grotte. Il en va de même quand nous récitons : « Je prends refuge dans le Bouddha, le Dharma, le Sangha ; je vais me mettre à l’abri auprès d’eux » sans faire un pas dans leur direction et sans leur donner une place dans notre vie. Cela ne sert à rien non plus. Nous devons mettre en œuvre ce qu’ils représentent afin de pouvoir nous abriter des problèmes. C’est pour cela que nous employons l’expression « direction sûre » et « donner (ou faire prendre) une direction sûre à notre vie ».

Pour reprendre l’image de la grotte, il ne suffit pas d’y entrer et d’y rester dans l’espoir pur et simple que cela va, en quelque sorte, non seulement nous mettre à l’abri de l’humidité extérieure, mais aussi de tous les problèmes de la vie… Le fait est que nous devons continuellement travailler sur nous-mêmes pour essayer de nous rapprocher de l’idéal signifié par le Bouddha, le Dharma et le Sangha. En entretenant la croyance qu’il suffit d’aller nous réfugier auprès du Bouddha, du Dharma et du Sangha, il n’y a qu’un pas vers la conception chrétienne d’un sauveur personnel. Il devient alors très aisé de lui assimiler l’idée d’un bouddha qui va, en quelque sorte, nous délivrer. Dans ce cas, le Bouddha est considéré comme Dieu et le Sangha comme l’assemblée de tous les saints. Après tout, la plupart des sociétés occidentales sont traversées par de profonds courants d’influence chrétienne, il n’est donc pas surprenant que nous soyons amenés à prier pour qu’un pouvoir transcendantal vienne en quelque sorte nous sauver miraculeusement. En terminologie bouddhique, nous dirions que c’est pour être libérés miraculeusement de tous nos problèmes et de tous nos maux. 

S’il en était ainsi, il nous suffirait alors de prendre un nom bouddhique tibétain, de porter une cordelette rouge, de réciter les quelques mots magiques d’un mantra et de prier avec force. Puis, en quelque sorte, nous serions sauvés. Nous serions d’autant plus sauvés que nous effectuons nos prières et nos pratiques en tibétain, dont nous ne comprenons mot, mais auxquelles nous accordons un pouvoir mystique d’autant plus grand… Dzongsar Khyentsé Rinpotché, un très grand lama, était récemment à Berlin, là où j’habite. Il dit quelque chose de vraiment très profond. Il dit que si les Tibétains devaient réciter toutes leurs pratiques en allemand avec une transcription phonétique tibétaine sans avoir la moindre idée de ce qu’ils sont en train de réciter, il se demande alors combien de Tibétains pratiqueraient effectivement le bouddhisme… Tout le monde a trouvé l’idée très amusante. Mais en y regardant de plus près, cette boutade est beaucoup plus profonde qu’il n’y paraît, n’est-ce pas ? Il est très important de surmonter toute tendance que nous pourrions avoir soit à considérer le refuge comme quelque chose qui nous offre une sorte de solution magique et mystique qui va dissoudre tous nos problèmes, soit à croire qu’il nous suffit, en un sens, de nous abandonner à un pouvoir supérieur. 

La vraie question ici est la suivante : « Qu’est-ce que je fais de ma vie ? Où va ma vie ? » Beaucoup parmi nous sont arrivés à la conclusion que leur vie ne mène nulle part ; c’est  comme si on tournait en rond, dans un cercle vicieux. Nous ne parlons pas ici de cercle plus profond en lien avec la renaissance et tout ce genre de choses, non. Nous parlons ici simplement de notre vie de tous les jours qui semble n’aller nulle part et n’avoir aucune raison d’être. À quoi bon vivre ? Il n’est pas gai de se poser ce genre de questions, n’est-ce pas ? C’est un état d’esprit plutôt sombre qui nous y pousse. Nous avons donc besoin dans la vie d’une direction qui soit pleine de sens, besoin d’une sorte d’objectif ou de but. C’est à nous seuls qu’il appartient d’en décider. C’est un processus actif. Avec un objectif ou un but sensé dans notre vie, nous savons ce que nous faisons. Cela nous rend plus sûrs de nous dans la vie, nous nous sentons plus rassurés, n’est-ce pas ?


Vidéo : Ringou Tulkou — « Le bouddhisme est-il passif ? »
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Avoir un but sensé dans la vie

Quelle sorte de but pourrions-nous avoir dans la vie ? En général nous déterminons notre but en fonction de la situation d’insatisfaction qui est la nôtre et dont nous voulons nous extirper ; notre but est donc de sortir de cette situation. Au niveau le plus élémentaire, nous dirions que tout le monde veut être heureux et que personne ne veut être malheureux. C’est une sorte d’axiome de base dans le bouddhisme, un axiome qui comporte même une réalité biologique. Nous voulons éviter la douleur. Nous voulons éviter la souffrance. Nous voulons éviter les difficultés. Même les insectes et les vers veulent les éviter. C’est notre but à tous. 

Mais quel volume de souffrance ou d’insatisfaction visons-nous ? Là est la question. Le but que nous poursuivons, saura-t-il régler un problème en particulier, ou saura-t-il régler aussi tous les autres problèmes que nous avons ? Par exemple, nous pourrions avoir le problème d’être pauvre, d’avoir des difficultés matérielles, et donc notre but serait de décrocher un bon job et de gagner beaucoup d’argent. Ou alors, à défaut de trouver un bon job, nous pourrions avoir pour but de devenir un bon criminel pour nous enrichir rapidement, peu importe les moyens si nous arrivons à nos fins. Or, si nous approchons de près les gens qui ont beaucoup d’argent, si nous avons une discussion sincère avec eux et si, de leur côté, ils nous parlent de leur vie avec honnêteté, nous nous rendrons compte qu’ils sont loin d’être systématiquement heureux. Ils n’ont jamais assez d’argent. Ils ont beau être en possession de plusieurs millions, ils en veulent encore plus. Ils ne sont jamais satisfaits.

Je trouve cela très intéressant. Il y a des gens qui avaient, disons : un milliard de dollars, mais qui, à cause des difficultés économiques mondiales actuelles, n’en ont plus que la moitié. Du coup, ils cessent de faire des dons et ne participent plus à aucune œuvre philanthropique parce que, maintenant, ils ne disposent plus que d’un demi-milliard de dollars et, de ce fait, sont inquiets. Ils pensent qu’ils doivent faire des économies et revenir à leur milliard de dollars avant de pouvoir partager leur fortune avec autrui. Ainsi sont-ils suspendus constamment aux cours de la bourse, angoissés à l’idée de pouvoir perdre encore une fraction de l’argent qu’il leur reste. Il leur arrive même d’embaucher des gardiens privés et de recourir à d’autres méthodes de ce type pour assurer leur sécurité, parce qu’ils craignent que leur domicile soit cambriolé ou que leurs enfants soient kidnappés. C’est chose courante chez les riches en Amérique latine. De plus, ils ne croient pas que des gens puissent être gentils avec eux pour une raison autre que celle d’essayer de leur soutirer de l’argent. Dès que quelqu’un est gentil avec eux, il le soupçonne d’en vouloir à leur argent. De toute évidence, bien qu’ils n’aient pas de problèmes liés à la pauvreté, ils ne manquent pas d’avoir d’autres problèmes dus au fait d’avoir beaucoup d’argent.      

Les buts mondains ont un socle instable

Le bouddhisme fait état de nombreux autres « buts mondains » en dehors de celui qui consiste à vouloir beaucoup d’argent. Le terme worldly en anglais, ou  « mondain » en français, a une connotation négative et semble presque réprobateur. Mais là n’est pas le sujet. Mon maître, Serkong Rinpotché, expliquait que les deux syllabes du mot tibétain jig-ten, traduit par « mondain », sont révélatrices de la véritable connotation du terme. Elles impliquent quelque chose qui a un support (ten), lequel va s’effriter (jig). Si nous poursuivons un but qui va se désintégrer, il est certain que cela ne nous procurera pas un bonheur durable. Cela ne fera que nous causer davantage de problèmes, pour la simple raison que le but poursuivi n’a pas de fondement solide.

Par exemple, supposons que notre but dans la vie soit de fonder une famille merveilleuse et d’avoir beaucoup d’enfants, tout en ayant l’idée que ceux-ci s’occuperont de nous quand nous serons âgés, et que nous serons très heureux et rassurés. Mais les choses ne marchent pas toujours de cette manière idéale, n’est-ce pas ? Un autre exemple est celui de la poursuite de la célébrité. Mais plus on devient célèbre, plus les gens nous courent après et tentent de monopoliser notre temps. Il suffit de regarder du côté des vedettes de cinéma qui ne peuvent pas sortir sans se déguiser, parce que les gens les guettent et veulent leur arracher un morceau de leur vêtement, et autres choses de ce genre. En fait, être une superstar, c’est plutôt l’enfer qu’autre chose...

Si nous examinons sérieusement notre vie, nous constatons que le fait de bénéficier d’une sorte de situation matérielle confortable ou d’un arrangement affectif agréable avec nos proches n’est pas quelque chose d’assez profond pour nous permettre de surmonter tous les problèmes de la vie. Cela parce que nous avons de la colère, de l’attachement, de l’avidité, de la jalousie, de l’orgueil, de la naïveté et toutes ces sortes de choses qui font que nous aurons encore et toujours des problèmes – quelle que puisse être notre réussite dans le domaine dit « mondain ».  

Les émotions perturbatrices

Le bouddhisme parle de vies futures et fait état de toutes les souffrances et choses horribles qui pourraient nous arriver dans nos vies futures quand, sur la base de ce qui s’appelle les « émotions perturbatrices », nous agissons de manière compulsive et accumulons ainsi des potentialités négatives. La présentation bouddhique est très claire à ce sujet : une telle situation est épouvantable et, si nous savons ce qui est bon pour nous, nous l’évitons le plus possible, car des potentialités négatives sont causes de problèmes et de souffrances. 

Mais la plupart des Occidentaux ne croyant pas à l’existence de vies futures ou n’en étant pas persuadés, nous allons aborder ce thème en nous limitant à cette vie présente. Si nous regardons notre vie maintenant, si nous l’examinons en profondeur, nous découvrons que la véritable source de nos problèmes émotionnels est une source interne. Les facteurs externes ne sont que les circonstances qui les déclenchent. En fait, ce sont nos émotions perturbatrices – notre colère, notre attachement, notre avidité, et ainsi de suite – qui tiennent en échec notre paix intérieure et notre bonheur. Ce sont elles qui nous empêchent d’exprimer nos qualités positives. Nous essayons d’aider quelqu’un, c’est une qualité positive, mais nous nous mettons en colère contre la personne que nous essayons d’aider. Nous essayons de donner un bon conseil, mais la personne ne l’écoute pas ou se met à discuter et nous perdons patience. Ces émotions perturbatrices nous empêchent d’aider vraiment les autres. 

C’est particulièrement difficile avec nos enfants quand, perdant patience, nous nous mettons en colère contre eux parce qu’ils ne font pas ce que nous leur disons de faire, alors que nous croyons savoir ce qui est le mieux pour eux. Cela rend nos relations très difficiles avec eux, n’est-ce pas ? Ce qu’il importe ici, c’est de nous rendre compte que si nous ne faisons rien pour améliorer les choses, elles iront de mal en pis. Il se peut que nous nous adoucissions un petit peu en vieillissant parce que nous avons moins d’énergie, mais cela ne veut pas dire que notre colère et toutes ces émotions négatives disparaîtront d’elles-mêmes. Ces choses-là ne s’usent pas !

Dans le bouddhisme, il y a un terme pour désigner ce dont nous avons besoin face aux perspectives qui nous attendent : c’est la peur ou la crainte, fear en anglais. Mais c’est un terme délicat à employer dans la plupart des langues, car la peur n’a pas bonne réputation. Parfois je préfère le mot « effroi », dread en anglais, mais il n’est pas facile à traduire dans d’autres langues. L’effroi a davantage la connotation de « je ne veux en aucun cas d’une chose pareille ! » Par exemple, nous devons nous rendre à une réunion de travail vraiment très assommante. On ne peut pas dire que nous ayons peur de cette réunion, mais nous ressentons un certain effroi en envisageant d’y aller. C’est quelque chose que nous redoutons. Nous nous cabrons à cette perspective, nous n’en voulons pas.

 Pour être plus précis, il convient de différentier deux sortes de peurs selon qu’il s’agisse de la peur d’une vie future horrible ou d’une vieillesse lamentable, ou de la peur de tout et de n’importe quoi. Il y a le type de peur qui ne laisse entrevoir aucune issue et donne un sentiment d’impuissance et de désespoir. C’est une peur paralysante, n’est-ce pas? Je la qualifierais de malsaine, bien que nous en fassions souvent l’expérience. Mais le type de peur qui fait l’objet de discussions dans le contexte du refuge est d’une teneur toute différente, parce que nous voyons qu’il existe un moyen pour éviter les problèmes. Par conséquent, la situation n’est pas désespérée et nous ne sommes pas en état d’impuissance. Mais, comme je l’ai déjà mentionné, nous ne croyons pas à un pouvoir ou à un être transcendant qui va nous sauver de notre situation effroyable ; nous ne croyons pas non plus qu’il suffise de prier avec assez de force pour être libérés et délivrés de la peur. 

Le fait est que nous pouvons, pour ainsi dire, nous protéger. Mais qu’est-ce donc qui va nous permettre d’éviter d’avoir des problèmes dans la vie ? Qu’est-ce qui rend une telle chose possible ? Dans un plus vaste contexte, c’est le fait que toutes ces émotions perturbatrices – notre colère, notre attachement, notre avidité, etc., – lesquelles sont la cause de problèmes, proviennent toutes de notre confusion au sujet de la réalité. En fait, toutes ces émotions perturbatrices ne sont pas des traits innés de l’esprit. Elles peuvent être définitivement éliminées de sorte qu’elles ne se manifesteront jamais plus. À cet effet, la Gemme du Dharma montre la possibilité d’obtenir leur « vraie cessation ».

L’esprit ou activité mentale

Dans le bouddhisme, quand nous parlons de l’esprit sans vouloir trop entrer dans les détails, nous parlons de l’activité mentale. Nous désignons ainsi l’activité mentale individuelle qui a lieu à chaque instant, même pendant notre sommeil. L’esprit désigne l’aspect empirique subjectif de cette activité mentale, cependant que la science du cerveau décrit son support physiologique. Dans les deux cas, la nature fondamentale de cette activité mentale n’est pas quelque chose qui doive nécessairement aller de pair avec la confusion, la colère ou toute autre émotion perturbatrice. Pour parler schématiquement, nous dirons qu’à chaque instant apparaît ce que nous pouvons décrire comme un hologramme mental. Par exemple, du point de vue physiologique, des photons entrent dans les yeux et sont transformés en une sorte d’impulsion électrique qui est acheminée jusqu’au cerveau par des neurotransmetteurs ; à partir de cette impulsion électrique, le cerveau produit un hologramme interne. C’est ce qui s’appelle « voir » quelque chose… D’accord ? Certes, cela va être très différent selon que ce processus implique les cellules de l’œil humain ou celles d’une araignée ou d’une mouche… De la même manière, à travers un processus identique impliquant des vibrations que nous appelons « ondes sonores », nous faisons l’expérience d’entendre quelque chose. Les hologrammes mentaux peuvent être du ressort de n’importe lequel de nos sens, ou même simplement de celui de la pensée. 

En ce qui concerne la vue, le processus n’est pas le même que lorsque des photons arrivent dans un appareil photo et sont transformés en des impulsions électriques qui forment ensuite une image. Ce n’est pas pareil, parce que l’émergence d’un hologramme mental de quelque chose est aussi une sorte d’« implication cognitive » avec ce quelque chose. Soit on se trouve dans un état conscient ou non, soit on s’en rend compte ou pas, mais il y a toujours une sorte de trait cognitif.
L’activité mentale n’est pas non plus l’activité d’un ordinateur. Nous appuyons sur des petites touches, une impulsion électrique entre dans la machine, puis la machine traduit cette saisie de données par une image qui surgit sur un écran, ou par un son qui surgit d’un haut-parleur. Nous pourrions dire que l’ordinateur a, en un sens, une certaine conscience cognitive du fait qu’il traite l’information au moyen d’une intelligence artificielle. Mais un ordinateur n’est pas exactement comme un être vivant ! Ce qui nous différencie d’un ordinateur, c’est que, en plus, associée à notre activité mentale, nous faisons l’expérience d’un niveau de bonheur ou de désagrément. Ce n’est pas le cas d’un ordinateur. Un ordinateur ne se sent pas content ou mécontent. Il ne pense pas : « Zut alors ! J’ai eu un message d’erreur interne, et quand j’ai rebooté, j’ai perdu le fichier sur lequel j’étais en train de travailler … » et ne se sent pas contrarié par l’évènement. En revanche, en ce qui nous concerne, nous pourrions nous sentir très malheureux si cela nous arrivait.

Cette activité mentale de chaque instant n’est autre que ce qui se déroule à chaque instant de notre vie. Il y a une sorte d’émergence d’un hologramme mental, avec une sorte d’implication mentale qui l’accompagne, et le ressenti d’un certain niveau de bonheur ou de désagrément. Même pendant notre sommeil, l’hologramme peut alors être fait d’obscurité et l’implication peut consister en notre état inconscient. Mais il y a toujours quand même un tout petit peu de conscience, sinon nous n’entendrions pas le réveil sonner. La conscience n’est pas complètement éteinte. Quand nous ne rêvons pas, il y a quand même une sorte de sentiment, même s’il est neutre, un sentiment ni agréable ni désagréable. Par contre, si nous rêvons, il y a manifestement des sentiments de bonheur ou de tristesse, ainsi que de colère, d’avidité, etc. Mais ces émotions perturbatrices ne font pas forcément partie de tout le processus qui se déroule à chaque instant.

Assurément, il ne manque pas de raisonnements très compliqués pour nous convaincre de plus en plus fermement de la pureté fondamentale de notre activité mentale, mais cela dépasserait le cadre de notre discussion. Mais plus nous y réfléchissons, plus nous devenons persuadés qu’il est possible de nous débarrasser de tous les contenus perturbateurs de notre activité mentale.  

Après tout, une émotion perturbatrice est ce qui, lors de sa manifestation, nous fait perdre la paix de l’esprit et la maîtrise de soi. Il s’ensuit que sur la base de la colère, de l’avidité et ainsi de suite, nous agissons de manière compulsive et perturbatrice, et ce de multiples façons, causant ainsi beaucoup de problèmes. Par exemple, perdant la maîtrise de nous-mêmes, nous nous mettons à crier contre quelqu’un, à dire des choses que nous ne pensons pas vraiment et que nous regrettons plus tard. Seulement voilà : cette situation crée ce qui s’appelle une « potentialité négative » ou propension à se sentir malheureux dans le futur. 

Si nous voulons vraiment éviter d’avoir des problèmes dans le futur, nous devons nous débarrasser, au niveau le plus profond, de toutes les émotions perturbatrices et de toute la confusion. C’est possible en effet, car celles-ci ne participent pas de la nature innée de l’esprit ou de l’activité mentale. De plus, si nous regardons de plus près le type d’activité mentale que nous avons à chaque instant, l’une de ses caractéristiques extraordinaires est qu’il lui est possible de comprendre des choses. Nous pouvons comprendre quelque chose. Nous pouvons aussi avoir d’autres qualités positives telles que l’amour et la compassion, et ainsi de suite, et il nous est possible de les cultiver et de les développer.

Mais qu’est-ce qui fait la différence ? Les aspects perturbateurs sont fondés sur la confusion. Les aspects positifs, comme la compréhension, sont basés sur la réalité. Pour donner un exemple très simple : La confusion [pourrait nous faire penser] : « Je suis le nombril du monde. Je suis la personne la plus importante sur terre. Il faut que les choses aillent dans mon sens. Je dois toujours être au centre de l’attention », etc., etc. Du coup, quand nous ne sommes pas au centre de l’attention ou quand les choses ne vont pas comme nous voulons qu’elles aillent, nous nous fâchons ! Comme un chien, soit nous aboyons, soit nous grognons contre quelqu’un. « Tu n’as pas fait les choses comme je voulais ! » Une telle attitude ou de telles pensées sont basées sur la confusion. Tout le monde veut que les choses aillent dans son sens, mais ce n’est pas possible ! La réalité est que nous devons apprendre à vivre avec tout le monde…

Les vraies cessations

Plus nous examinons la situation, plus nous voyons que notre confusion ne tient pas : elle est fausse. Par contre, la compréhension correcte est avérée : elle est vraie. De ce fait, la compréhension est plus forte et peut donc l’emporter sur la confusion. Si, à l’aide de concentration et de discipline, nous pouvions constamment avoir une compréhension correcte de la réalité, la confusion n’aurait plus jamais aucune chance : elle serait terminée.

Là se trouve le point crucial du refuge : quelle sorte de direction donnons-nous à notre vie ? Quel but allons-nous atteindre ? Le but à atteindre est la « vraie cessation » de toute cette confusion. Nous voulons nous débarrasser de la confusion de telle sorte qu’elle ne se manifeste plus, puisqu’elle est la véritable cause de nos problèmes dans cette vie et nos vies futures. Or s’il est effectivement possible d’y parvenir complètement et définitivement, c’est parce qu’elle n’est pas un trait inné de l’activité mentale. On peut mettre un terme à la confusion en lui substituant une compréhension correcte. Une fois que nous serons dépourvus de confusion, nous n’aurons plus d’émotions perturbatrices et, donc, nous cesserons de créer des problèmes et de nous faire du mal.

Deux aspects sont impliqués. L’un est que nous pouvons nous débarrasser définitivement de tout le côté négatif, et l’autre est que nous pouvons cultiver et développer le côté positif. Le côté positif signifie la compréhension correcte. Nous pouvons nous en remettre à la compréhension correcte qui s’obtient dans le contexte de ce qui est habituellement traduit par « les quatre nobles vérités », structure principale ou thème central de l’enseignement du Bouddha. La première vérité est celle de la vraie souffrance : nous avons toutes sortes de problèmes et de difficultés. La deuxième vérité est qu’il y a de vraies causes à cela : cette cause, c’est notre confusion. La troisième vérité est qu’il est possible de parvenir à une vraie cessation de la confusion, de telle sorte qu’elle n’advienne jamais plus. Et, enfin, nous obtenons cette vraie cessation en empruntant une « vraie voie ». Mais attention ! Le mot « voie » désigne « un moyen de compréhension qui fonctionne comme une voie ». C’est la compréhension qui conduira à cette vraie cessation, et c’est la compréhension qui résultera de l’élimination de toutes les composantes perturbatrices.  

Ainsi, la direction que nous voulons clairement donner à notre vie mène aux vraies cessations et aux vraies voies de l’esprit. C’est cela, le refuge dans le Dharma. Quand nous parlons de « travail sur soi », quand nous utilisons cette terminologie, c’est ce à quoi nous faisons référence.

Nous travaillons à nous débarrasser de plus en plus du côté qui nous perturbe et à développer de plus en plus nos potentialités du côté positif. Cela parce que, si nous ne changeons pas nos habitudes, quand bien même nous arriverions à gagner beaucoup d’argent, à avoir beaucoup d’amis, à devenir très célèbres, nous continuerons d’avoir des problèmes – et cette perspective nous fait peur, dans le sens sain du terme. Nous continuerons d’avoir des problèmes car nous continuerons d’être avides et angoissés, de nous mettre en colère, etc. Tout en redoutant ce genre de perspectives, nous voyons qu’il existe un moyen de les éviter. C’est comme si, étant pris dans un incendie, nous avons peur de nous brûler mais nous voyons qu’en faisant attention, nous pouvons éviter de nous faire mal. Certes il y a une peur, une crainte, mais elle est saine. Ce n’est pas de la paranoïa. 

Nous voyons bien que si nous continuons à nous mettre en colère et à crier contre les autres, surtout sur nos proches et sur nos amis… que va-t-il se passer quand nous serons vieux ? Nous serons une vieille femme seule, un vieil homme seul, personne ne viendra nous voir, personne ne voudra s’occuper de nous, parce que nous sommes quelqu’un d’exécrable. Nous ne faisons que nous plaindre et crier contre les autres… alors qui a envie d’être en notre compagnie ? Personne ! La solution n’est pas d’avoir beaucoup d’enfants qui se sentiront obligés de s’occuper de nous, ni d’avoir assez d’argent à la banque pour pouvoir vivre dans une confortable résidence de soins… Ce n’est pas la solution, parce que nous continuerons d’être très malheureux. Alors pour dire les choses simplement : il faut travailler sur notre personnalité.     

Tout le monde peut changer

Combien de fois ne nous arrive-t-il pas de penser que notre caractère est ce qu’il est et que « c’est comme ça, un point c’est tout » ? « J’ai mauvais caractère, les autres n’ont qu’à s’en accommoder. » Cela ne marche pas, n’est-ce pas ? Mais en fait, nous pouvons nous débarrasser de tout notre côté désagréable et développer toutes nos qualités positives ! Éprouvant une peur saine à l’idée de ce qui nous arrivera si nous ne travaillons pas sur nous-mêmes et étant persuadés qu’il est possible de nous défaire des aspects perturbateurs de notre caractère et de fortifier ses aspects positifs, nous prenons une direction sûre. 

Si nous souhaitons le faire à la manière du mahayana, dénommé « grand véhicule » ou « vaste véhicule », nous y ajoutons la compassion. Pour l’essentiel, le mahayana met en cause notre capacité d’aider quelqu’un quand nous sommes en colère. Nous voulons vraiment aider les autres mais nous avons peur de tout gâcher en nous fâchant contre eux, en nous attachant à eux, en étant jaloux et ainsi de suite, car pour pouvoir aider les autres au mieux, nous devons d’abord nous débarrasser de toutes nos émotions perturbatrices et de toute notre confusion. Nous avons ce sentiment qui consiste à vraiment vouloir aider autrui tout en craignant de ne pas pouvoir faire grand-chose. Nous n’avons pas assez de patience, ou manquons de compréhension. Nous craignons de faire plus de mal que de bien. Peut-être même avons-nous peur de ne pas réussir à élever nos enfants. Ce serait terrible, non ? C’est cette crainte, cette peur, qui nous pousse à orienter notre vie dans une direction sûre et saine en faisant un travail sur soi. 

Ce travail de Dharma prend véritablement tout son sens dans notre vie de tous les jours. Au niveau du refuge, il consiste à être très honnête en ce qui concerne notre situation et nos problèmes. Nous avons tous des problèmes. Nous avons tous des émotions perturbatrices. Tout cela n’a rien de spécial. Certaines émotions peuvent être plus fortes que d’autres, avec toutes sortes de variations, mais nous connaissons tous les mêmes difficultés émotionnelles. Nous ne parlons pas ici des personnes qui ont de profonds troubles psychiques, nous parlons de ce que la plupart des gens considèrent comme normal. Mais il y a un danger à considérer qu’il est normal de nous mettre de temps en temps en colère, d’être de temps en temps avides, égoïstes, jaloux, et ainsi de suite. Nous croyons que c’est normal, que c’est OK… Mais ce n’est pas OK ! Ce n’est pas OK pour la bonne et simple raison que cela cause des problèmes, pour nous-mêmes et aussi pour les autres que nous essayons éventuellement d’aider. 

Notre but n’est pas d’apprendre à vivre avec notre colère non plus que d’en avoir la maîtrise pendant qu’elle bout en notre for intérieur. Notre but n’est pas non plus de l’atténuer. Notre but est de nous débarrasser complètement de tout ce fatras. Nous ne voulons pas seulement développer une toute petite compréhension de temps en temps, nous voulons développer une compréhension complète de la réalité, comprendre comment nous existons, comment les autres existent, comment le monde existe… et nous voulons maintenir cette compréhension tout le temps.
C’est chose parfaitement possible, puisque la nature de l’activité mentale est fondamentalement pure et a toutes les potentialités qu’offrent les qualités positives.

Les qualités positives au niveau apparent d’un Bouddha

Quand nous parlons des objets qui montrent la direction sûre, ou refuge, nous parlons du Bouddha, du Dharma et du Sangha. Il y a plusieurs niveaux de compréhension des trois : chacun a un niveau apparent, un niveau profond, et quelque chose qui les représente. Voyons d’abord les qualités positives au niveau apparent de chacun.

Le corps d’un bouddha a des qualités physiques extraordinaires et des traits caractéristiques très particuliers. Par exemple, les bouddhas sont capables de se rendre n’importe où instantanément, de multiplier leurs corps au travers d’une infinité de formes, d’être partout en même temps, et ainsi de suite. Tout cela est absolument fantastique et plutôt pas facile à croire. De plus, quand un bouddha parle, chacun le comprend dans sa propre langue et entend clairement ce qu’il dit quel que soit son éloignement. Mais plus encore, un bouddha est un être omniscient et tout-amour qui aime tous les êtres de manière égale, comprend, connaît et sait tout simultanément.

De nouveau, tout cela semble assez fantastique et difficile à croire. Alors si l’on devait en rester à ce niveau de pensée selon lequel tous les bouddhas sont ainsi, il y a un grand danger de se faire une fausse idée. Il semblerait que cela aille dans la direction d’un être fantastique, transcendant, presque comme un dieu, n’est-ce pas ? Par exemple, en ce qui concerne l’omniscience, cela ne signifie pas que le Bouddha connaisse tous les numéros de téléphone de toutes les personnes sur la planète ; cela signifie qu’il connaît les causes de leur situation en remontant jusqu’à l’origine des causes, ainsi que tous les facteurs d’influence qui entrent en compte. Quand un bouddha enseigne à quelqu’un ceci ou cela, il le fait en sachant quelles conséquences en découleront, non seulement quels effets cela aura sur cette personne mais aussi sur tous les autres avec qui cette personne aura des interactions. Il en résulte qu’un bouddha sait exactement quelle est la meilleure méthode d’enseignement adaptée à chacun. C’est vraiment bien, n’est-ce pas ? Ce serait vraiment bien de pouvoir en faire autant !

Donc, nous avons une certaine confiance dans l’idée qu’un bouddha comprend les choses et pourrait connaître la meilleure manière de nous aider. « Il parle ma langue et peut venir à moi instantanément à tout moment quand j’en ai besoin. » Si nous allons dans la direction de penser au Bouddha comme on pense à un Dieu, cela devient un peu personnel. « Il peut m’aider personnellement. Il me comprendra. Personne ne me comprend mais le Bouddha, lui, me comprendra. » Nous savons bien qu’un bouddha a un amour égal pour tout le monde. « Grandiose ! Même si je préférerais qu’il m’aime plus que les autres… Mais ça va, je m’en arrange. » Un bouddha a un amour égal pour tout le monde et, du coup, il semble que tout soit permis... Pas besoin de prier ou de faire des offrandes au Bouddha. En tant que bouddha, il va nous aider de toute façon. On s’en sort pour pas cher, on n’a rien à payer, quelle aubaine ! En plus, puisqu’un bouddha a tellement de patience, il ne sera jamais jaloux si nous fréquentons un autre maître dans une autre tradition, ne sera jamais courroucé et ne nous fera jamais non plus tomber la foudre sur la tête. La situation est sûre... 

Entretenir ce genre de pensées, consciemment ou inconsciemment, est une erreur courante. Nous considérons le Bouddha comme une figure divine de substitution, bon marché et rassurante. Dans les enseignements, il est dit qu’un bouddha ne nous laissera pas tomber, et toutes ces sortes de choses. Mais ensuite nous pouvons lire qu’en réalité un bouddha ne peut pas nous enlever notre souffrance comme on enlève une épine du pied, et que les bouddhas ne sont pas tout-puissants. Mais, bon, nous ne prenons pas ces choses trop au sérieux. C’est le niveau apparent d’un bouddha, la manière courante de penser à un bouddha. Pourtant, en rester là sans approfondir notre niveau de compréhension comporte le danger de considérer le Bouddha comme un Dieu personnel de substitution qui va nous sauver. 

Les bouddhas sont représentés par des statues et des peintures. D’accord, elles sont jolies. Mais ne va-t-on pas les confondre avec des icônes chrétiennes orthodoxes ? Qu’est-ce que c’est ? Est-ce de l’idolâtrie, ce dont les musulmans pourraient nous accuser ? De quoi s’agit-il ici ? Devons-nous vraiment nous incliner devant une statue ? Je pense que si nous maintenons à ce niveau-ci notre compréhension d’un bouddha, cela implique plusieurs problèmes et c’est l’occasion d’un malentendu. Mais pour certaines personnes, il peut être très utile assurément de penser à un bouddha de cette manière, même si ce n’est pas une compréhension profonde. À ce niveau, c’est comme s’il y avait une figure presque comme un dieu, représentée par des statues et des peintures que nous adorons.

Les qualités positives au niveau apparent du Dharma

Le niveau apparent du Dharma désigne l’ensemble des enseignements. C’est ce que le Bouddha a réalisé en lui, et a enseigné. La manière ordinaire de comprendre les choses serait que nous avons notre Dieu personnel, le Bouddha, et que nous avons nos Écritures. « Au lieu d’une Bible ou d’un Coran, j’ai maintenant les textes du Bouddha. C’est comme ma Bible bouddhiste, chaque mot est sacré. » Certes, il faut avoir du respect pour ces écrits, mais le Bouddha lui-même a dit : « Ne croyez pas ce que je dis pour la seule raison que je l’ai dit ou par respect pour moi, mais examinez-le comme si vous alliez acheter de l’or ». Le Bouddha encourageait toujours ses fidèles à être les critiques de ses enseignements. Mais quand on est paresseux, on ne veut pas tout analyser et tout vérifier. Dans le cadre de la vie quotidienne, il en résulte à ce niveau que « le Bouddha nous aime, le Bouddha nous comprend, toutes les règles sont dans le livre saint, et nous les suivons ». Il est un fait qu’une telle approche pourrait avoir sa place dans la vie quotidienne, mais ce n’est pas réellement le bouddhisme. Bien sûr, cela pourrait marcher pour certains, mais l’intention n’est pas de faire du bouddhisme une autre variante du christianisme.  

Les qualités positives au niveau apparent du Sangha

Qu’en est-il du Sangha ? Malheureusement, en Occident, on a pris l’habitude d’appeler « Sangha » l’ensemble des membres qui fréquentent le même centre de Dharma que nous. Ce n’était absolument pas l’intention en sanskrit et en tibétain. Mais pour beaucoup de gens, « Sangha » signifie simplement les membres de notre congrégation, de notre église bouddhiste. Quand certains de ses membres sont complètement dérangés mentalement, prenons-nous vraiment refuge en eux ? Maintenant, je ne veux pas minimiser l’importance d’avoir une communauté de gens qui ont la même tournure d’esprit, visent le même type de but et peuvent nous offrir leur soutien, nous renvoyer un feedback et ainsi de suite. C’est très, très important, mais ce n’est pas un objet de refuge. 

À un autre niveau, nous pouvons comprendre le Sangha comme la communauté monastique, c’est-à-dire les moines et les moniales. Mais, encore une fois, nous ne trouvons pas toujours des moines et des moniales parfaitement exemplaires, n’est-ce pas ? Il y a des gens très perturbés qui portent des robes. Il est néanmoins très important d’être respectueux et de les soutenir s’ils sont sincères dans leurs efforts pour travailler sur eux-mêmes en devenant moines ou moniales. Mais certains parmi eux ne prennent la robe que pour échapper aux difficultés de la vie et, comme un de mes amis le dit, « pour déjeuner à l’œil » ! 

Il y a encore un autre niveau de Sangha. Il se peut que nous entendions des maîtres tantriques dire qu’en réalité, le Sangha est ce qui s’appelle les « déités tantriques » que nous avons dans le bouddhisme tibétain, telles que Chenrezig, Tara, Manjushri, etc. Nous pourrions ainsi nous mettre à adresser des prières à la Sainte Mère ou à Sainte Tara pour qu’elle vienne à notre secours. Il est certain que ces déités tantriques, ou « figures de bouddha » comme je les appelle, ne sont en aucun cas des saints qui, en quelque sorte, font office d’intermédiaires pour nous aider à nous rapprocher du Dieu Bouddha.

La signification la plus profonde du Bouddha, du Dharma et du Sangha

Si nous nous penchons sur la signification la plus profonde du Bouddha, du Dharma et du Sangha, nous découvrons que dans son sens profond, le Dharma désigne les vraies cessations de toute la confusion, ainsi que les vraies réalisations, dénommées « vraies voies de l’esprit », dans un continuum mental. C’est cela, le véritable Dharma. C’est ce qui nous protègera de la souffrance si nous l’accomplissons dans notre propre continuum mental. Cet état, nous pouvons l’atteindre une fois dissipés toute la confusion, toutes les émotions et attitudes perturbatrices et tous les problèmes –, et une fois pleinement accomplies toutes les réalisations. Les Bouddhas sont ceux et celles qui ont pleinement réussi dans cette entreprise et nous ont enseigné comment en faire autant nous-mêmes. Le Sangha, en fait, renvoie à ceux et celles que l’on désigne par le terme Arya Sangha, des pratiquants très avancés et hautement réalisés qui ont atteint quelques-unes de ces vraies cessations et de ces vraies réalisations, mais pas toutes. 

Alors vous voyez, il y a en réalité beaucoup de niveaux et de degrés de confusion dont nous devons nous débarrasser, et beaucoup de niveaux de réalisations de plus en plus puissants pour les contrecarrer. Le processus visant à se débarrasser des niveaux de confusion se déroule par étapes. L’Arya Sangha n’a pas encore réussi à se débarrasser complètement de tout le « paquet », mais s’en est déjà défait d’une partie et est en voie d’accomplir davantage dans ce sens.

Dans notre vie quotidienne, les Bouddhas et l’Arya Sangha, les grands maîtres indiens et tibétains et d’autres encore, ceux qui ont vécu dans le passé et ceux qui vivent actuellement, nous sont d’une grande inspiration. Leur exemple nous donne un grand espoir. Nous voyons ou rencontrons quelqu’un qui nous inspire, comme Sa Sainteté le Dalaï-Lama. Comment est-il devenu ce qu’il est ? C’est grâce au Dharma ! Qu’il soit déjà un bouddha, ou pas encore un bouddha, est hors sujet. Si seulement nous pouvions devenir comme lui, ce serait tellement bien ! Je ne parle pas seulement de sa capacité d’enseigner pratiquement tout ce qui a trait à la sphère du Dharma, ni du fait qu’il est l’enseignant expert, le plus érudit et le plus profond qui soit… Ce n’est pas seulement par rapport à son emploi du temps et ses voyages constants autour du monde pour essayer d’instruire et d’aider autrui, et toutes ces choses… Mais en plus, il faut ajouter qu’il est l’ennemi public numéro un de la Chine. Peut-on imaginer ce que ce doit être, d’être considéré comme le diable par un milliard de gens, et d’éprouver encore de l’amour et de la compassion pour eux ? Cette situation ne le contrarie pas, et dans tout ce qu’il fait, il a l’esprit heureux et en paix. C’est inouï, n’est-ce pas ? Comment pourrait-on accomplir la moindre de ces choses, à moins d’être débarrassés des émotions perturbatrices et d’avoir atteint une réalisation spirituelle ? Ce ne serait pas possible autrement. La question de savoir si Sa Sainteté le Dalaï-Lama a déjà parcouru, ou pas encore parcouru, toute la voie qui mène à l’état d’un bouddha n’est pas pertinente.   

Nous pouvons nous sentir dépassés par toutes les qualités d’un bouddha, mais au moins pour ce qui est des qualités de quelqu’un comme Sa Sainteté le Dalaï-Lama, nous pouvons les observer directement, et en retirer une grande inspiration. Puisqu’il a été possible à quelqu’un comme lui d’atteindre ce niveau de réalisation, et considérant que la nature de l’esprit est pure et qu’elle possède de telles potentialités, il n’y a aucune raison pour que nous ne puissions en faire autant. Il n’y a aucune raison pour que tout le monde n’y arrive pas. Il est certain que ce sera beaucoup de travail, mais il est possible d’aller dans cette direction, et cela en vaut la peine. Si le Dalaï-Lama était l’équivalent du Bouddha, certains des grands lamas qui enseignent actuellement – et n’ont peut-être pas toutes les qualités du Dalaï-Lama mais en ont quelques-unes – formeraient l’équivalent du Sangha. Ces grands lamas aussi sont une grande source d’inspiration. 

Mais qu’ont-ils en commun, le Dalaï-Lama et ces autres grands maîtres ? Ils se sont débarrassés, à différents degrés, de la colère, de l’avidité, de la haine, de la jalousie, et de toutes ces sortes de choses. Ils ont développé d’immenses qualités positives telles que la compréhension, la compassion, la patience, etc. Nous voyons les différents grades qui peuvent être atteints en observant ces différents lamas. C’est, comme je l’ai dit, un exemple beaucoup plus vivant (si nous avons accès à eux) que de penser simplement au Bouddha ou à Milarépa, ou à d’autres exemples historiques avec qui il est sans doute plus difficile de s’identifier. Nous trouvons sans doute que ce sont de bonnes histoires, mais croyons-nous vraiment que quelqu’un comme eux a pu exister ? Nous lisons que Gourou Rinpotché est né dans une fleur de lotus… y croyons-nous vraiment ? Nous avons sûrement du mal... Mais à la place, nous pouvons porter notre attention sur l’absence de qualités négatives et la présence de qualités positives telles qu’elles sont exemplifiées par le Dalaï-Lama et ces grands maîtres qui sont comme le Bouddha et le Sangha, ici-même et en ce moment-même. Nous prenons conscience que nous sommes capables de faire comme eux : voilà le Dharma, nous voyons que les vraies cessations et les vraies voies de l’esprit sont des buts atteignables. Alors nous voyons que nous pouvons les atteindre, et cela nous montre une direction sûre, stable et pleine de sens à donner à notre vie.

Le refuge, une direction sûre dans la vie quotidienne

Que signifie, sur le plan pratique, orienter sa vie dans la direction du Bouddha, du Dharma et du Sangha ? Cela signifie travailler sur soi en permanence. Cela signifie, par exemple, que nous sommes de plus en plus conscients des moments où nous sommes mécontents, où nous nous mettons en colère et où nous agissons de manière égoïste. Ce sont des choses que nous remarquons. Mais cela ne veut pas dire que nous soyons ensuite sévères avec nous-mêmes et que nous nous punissions nous-mêmes en nous disant : « Je suis nul » ou « je suis épouvantable parce que je me suis encore mis en colère ». Ce n’est pas du tout ce que nous pensons ! Mais nous ne pensons pas non plus l’autre extrême en banalisant : « Ça fait partie des choses normales », car dans ce cas cela montrerait que nous prenons note de notre réaction tout en nous disant : « Et alors ? Je vais rester comme je suis ». Ce n’est pas cela non plus. Par contre, le seul fait de prendre conscience de nos émotions perturbatrices, et de les considérer comme des choses dont nous voulons nous débarrasser, leur enlève de la force. 

Ce qui est à retenir, c’est que dans notre vie de tous les jours, quand ces choses négatives se manifestent et que nous les remarquons, l’idéal est d’apprendre des méthodes pour essayer de les surmonter. Il faut nous rendre compte que si nous sommes en colère, nous devons cultiver la patience. Quand quelqu’un agit de façon ignoble avec nous, cela montre que cette personne est très malheureuse, qu’il y a quelque chose qui la dérange. Alors au lieu de nous fâcher contre elle, nous pouvons avoir un peu de compassion.  

Pour que ce soit encore plus clair : nous ne sommes pas d’un côté en colère contre nous-mêmes parce que nous nous sommes mis en colère, et d’un autre côté nous ne nous traitons pas comme un bébé en disant que « c’est OK » ou que « tout est bien comme ça ». Par contre, nous allons faire de notre mieux pour vaincre notre colère parce que nous nous rendons compte que c’est chose possible. Cela n’ira peut-être pas si vite – c’est même sûr et certain  –, mais c’est dans cette direction que nous voulons orienter nos efforts tout  au long de notre vie. De ce fait, nous allons nous mettre au travail sachant qu’il est possible de nous débarrasser de tout ce fatras. Ce n’est donc en rien une tentative futile qui serait fondée sur le vœu pieux d’aller dans cette direction.  

Quand nous avons un tout petit peu de patience face à une situation difficile, ou un tout petit peu de compréhension, ou un tout petit sentiment de bienveillance, il faut nous rendre compte que ces qualités peuvent se développer. Nous pouvons les renforcer de plus en plus. C’est possible. D’autres le font et nous pouvons le faire aussi. Il n’y a rien de spécial chez les autres et rien de spécial chez nous. Le voilà, notre refuge. La voilà, la direction sûre dans notre vie, car plus nous allons dans cette direction, plus nous nous mettons à l’abri des difficultés et des problèmes.

Résumé

Il faut bien comprendre le sens du refuge, le sens de cette direction sûre et les raisons pour lesquelles nous l’introduisons dans notre vie. Dans le bouddhisme, cette pratique est considérée comme la plus importante, la plus fondamentale. Beaucoup ont tendance à la trivialiser, ce qui est extrêmement dommage. Suivre ou ne pas suivre cette direction dans la vie est censé susciter dans notre vie le plus grand changement et faire la plus grande différence qui soient. Le refuge ne doit pas simplement signifier que nous sommes allés à une cérémonie où l’on nous a coupé une mèche de cheveux et donné un nom tibétain, et maintenant nous portons une cordelette rouge autour du cou, et voilà, « bienvenue au club ! » Une telle simplification des choses revient vraiment à banaliser la prise de refuge et à la vider de son sens. 

La question que nous devons toutes et tous nous poser, est la suivante : « En tant que quelqu’un qui a pris refuge et qui est bouddhiste, est-ce vraiment la direction que je donne à ma vie ? Cela a-t-il une influence significative sur ma vie, hormis celle de faire partie d’un club ? » Si la prise de refuge ne fait pas de différence importante dans notre vie, cela montre que c’est quelque chose sur lequel nous devons vraiment travailler. Essayer de suivre n’importe quelle autre pratique plus avancée sans avoir cette base est voué à l’échec.  

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