Les états d'esprit nécessaires à la méditation sur la bodhichitta

Verset d'hommage et premier verset

L'auteur, Atisha

La Guirlande de joyaux d'un bodhisattva (Skt. Bodhisattva-mani-avali) a été écrite par le grand maître indien Atisha (Atisha Dipamkarashrijnana, 982-1054). Ce dernier était un grand maître bouddhiste du monastère de Vikramashila, et il était très soucieux de recevoir et de préserver les enseignements à propos de la bodhichitta, qui n'étaient alors pas très répandus en Inde.

Contrairement à ce qui est souvent mentionné dans les prières des lignées, il y avait à l’époque non pas deux mais trois lignées d'enseignements des soutras du Mahayana qui avaient été transmises par le Bouddha. L’une des lignées était celle des vastes enseignements concernant la bodhichitta, l'autre celle des enseignements profonds concernant le vide (la vacuité). Toutes deux étaient, dans une certaine mesure, disponibles en Inde. En plus de ces deux lignées, il existait une lignée de pratique de la bodhichitta. C'est celle-ci qu'Atisha voulait apprendre. Pour cela, il entreprit un voyage de treize mois à Sumatra pour l'étudier auprès du grand maître Serlingpa, détenteur de cette lignée.

Après avoir étudié les enseignements de cette lignée de pratique, qui sera connue plus tard comme le genre de l'entraînement de l'esprit (lojong, entraînement de l'attitude), Atisha est retourné en Inde. Il a ensuite été invité au Tibet, où le Dharma était à cette époque en plein déclin. Il avait largement dégénéré, de sorte qu'il y avait beaucoup de malentendus concernant les enseignements corrects. C'est pourquoi Atisha a été invité à les raviver. Après un périple très difficile pour rejoindre le Pays des Neiges, il y commença la seconde transmission du Dharma, transmettant également les enseignements sur la pratique de la bodhichitta.

Atisha est également considéré comme l'auteur du premier texte de type lam-rim sur les étapes progressives de la voie. La tradition Kadam est issue d'Atisha et de son principal disciple tibétain, Dromtonpa (1005-1064), et les personnes qui leur succédèrent furent appelées les « Kadampas ». La Guirlande de joyaux d’un bodhisattva  est, en fait, incluse dans La Série du père des enseignements du  « Livre de la tradition Kadam », tout comme son auto-commentaire où Atisha délivre des explications sur chaque verset en réponse à des questions posées par Dromtonpa, le père fondateur de la tradition Kadam.

Dans la tradition Kagyou, Gampopa a combiné les lignées de la tradition Kadam avec les enseignements du mahamoudra. Depuis, les enseignements de la bodhichitta et de l'entraînement de l'esprit sont fortement mis en avant dans les traditions Kagyou qui remontent jusqu’à lui. Les écoles Sakya et Nyingma ont également adopté ces enseignements sur l'entraînement de l'esprit ou lojong. Il est donc clair que ces enseignements du lojong ont joué un rôle central dans le développement du bouddhisme au Tibet. Il est significatif, je pense, que ce texte soit le premier d'une collection d'une centaine de textes tibétains sur l’entraînement de l'esprit. Cela indique qu'à bien des égards, ce texte est l'un des précurseurs de ce genre.

La tradition Kadam s'est finalement divisée en trois lignées. Tsongkhapa les a réunies à nouveau et a fondé la tradition Guéloug, continuité de la tradition Kadam combinant les soutras et les tantras. Atisha était aussi un maître tantrique, bien qu'il ait gardé ses pratiques secrètes et privées. Néanmoins, nous pouvons voir des indications de sa pratique du tantra à plusieurs reprises dans La Guirlande de joyaux d'un bodhisattva.

Le verset d'hommage

Le premier endroit où nous voyons cette combinaison des soutras et des tantras se trouve dans les versets d'hommage avec lesquels Atisha ouvre le texte. Il commence ainsi :

Je me prosterne devant la grande compassion. Je me prosterne devant les maîtres sublimes. Je me prosterne devant les figures-de-bouddha, ceux en qui croire.

La grande compassion

La compassion est le souhait que les êtres soient libérés de la souffrance et de ses causes. La grande compassion est « grande » dans le sens où il ne s'agit pas seulement de souhaiter que les êtres soient libérés, d’une part, de la souffrance de la souffrance et d’autre part, de la souffrance du changement, c’est-à-dire du type de bonheur ordinaire et mondain qui ne dure pas et est incertain, mais il s'agit aussi de souhaiter qu’ils soient libérés de la souffrance omniprésente. Cette souffrance omniprésente se réfère aux agrégats de notre expérience, c’est-à-dire à la grande variété d'éléments qui composent chaque moment de notre expérience dans chaque renaissance incontrôlable récurrente. Ils proviennent de la confusion, sont mélangés à de la confusion et perpétuent davantage de confusion et de souffrance.

La grande compassion souhaite donc que les êtres soient libérés de tout cela, à savoir qu'ils obtiennent la libération et, plus encore, qu'ils atteignent l'illumination. Cette compassion est également grande dans le sens où elle s'étend à absolument tous les êtres limités, avec la même attitude qu'une mère aimante envers son unique enfant. C'est cela, la grande compassion. C'est vraiment un état d'esprit extraordinaire. Elle s'adresse à tout le monde et vise à ce que chacun atteigne un objectif d'une telle envergure.

Les gourous

La deuxième ligne du verset d'hommage est la suivante : « Je me prosterne devant les maîtres sublimes », ou gourous. Il s’agit des maîtres spirituels qui incarnent cette qualité de grande compassion. Grâce à cette qualité, ils sont des enseignants spirituels dûment qualifiés. Ils ont la même compassion envers tout le monde et s'efforcent donc d'aider tous les êtres à atteindre la libération et l’illumination, et ne se limitent pas à leurs étudiants. Le plus grand exemple d'un tel maître est peut-être Sa Sainteté le Dalaï-Lama. Ses efforts inlassables en matière d'enseignement visent à aider les êtres du monde entier à surmonter leurs souffrances. Même s'il est fatigué, il n’abdique pas. C'est un enseignant sublime, un véritable lama.

La nature-de-bouddha et l'inséparabilité du gourou, d'Avalokiteshvara et de la grande compassion

Atisha ajoute également : « Je me prosterne devant les figures-de-bouddha ». Cela fait spécifiquement référence à Avalokiteshvara, Tchenrezig en tibétain, qui est l'incarnation de la compassion éveillée, la pleine compassion d'un bouddha. Il est assez significatif qu'Atisha mentionne les gourous en premier, avant les figure-de-bouddhas (yidams). Il le fait parce que, comme on le dit toujours, c'est par l'intermédiaire des maîtres que l'on peut entrer en contact avec ces figures-de-bouddha.

Lorsque nous parlons de voir le maître comme un bouddha, nous faisons référence à la nature-de-bouddha qui est en lui. En prenant le maître comme exemple, nous nous concentrons sur les facteurs de sa nature-de-bouddha et nous distinguons la caractéristique de ces facteurs qui est la capacité, lorsqu'ils sont suffisamment développés, à donner naissance à un bouddha pleinement éveillé, tel que représenté par le gourou. Que le gourou ait réellement atteint l’illumination ou non n'a aucune importance. Là n'est pas la question. Il s'agit de se concentrer sur cette nature-de-bouddha afin de nous inciter à éveiller la nôtre.

Ici, le facteur de la nature-de-bouddha du maître qui est mis en évidence est la pleine compassion des bouddhas, incarnée par la figure-de-bouddha Avalokiteshvara. C'est pourquoi nous visualisons souvent de telles figures-de-bouddha dans le cœur du gourou et dans notre propre cœur, et c’est également la raison pour laquelle nous visualisons aussi souvent le gourou dans notre cœur. Sans le gourou, nous n'aurions pas accès aux figures-de-bouddha et à l'illumination. C'est pour cette raison qu'Atisha mentionne la figure-de-bouddha Avalokiteshvara après le gourou dans ce verset d'hommage.

En ce qui concerne les trois — la compassion, le maître spirituel et Avalokiteshvara — Atisha dit ensuite : ceux en qui croire. Plus précisément, il s'agit de la croyance en ce qui est factuel. Il ne s’agit pas de croire en quelque chose que nous ne pouvons pas vraiment connaître ou dont nous ne sommes pas sûrs, comme « je crois qu'il pourrait pleuvoir demain », il s’agit de croire en quelque chose qui est un fait. Ici, le fait est l'inséparabilité de la compassion, du gourou et d'Avalokiteshvara. En toute connaissance de cause, nous considérons donc ces trois éléments comme inséparables et nous nous prosternons devant eux.

Il s'agit en fait d'un verset d'hommage très profond. Il nous fait beaucoup penser à Sa Sainteté le Dalaï-Lama, qui est généralement reconnu par tous les adeptes du bouddhisme tibétain comme étant l'émanation d'Avalokiteshvara, l'incarnation de la compassion. Pour y croire, il est important de comprendre ce que signifie cette émanation. Notre croyance ne peut pas être fondée sur la superstition ou sur le fait que « je n'ai aucune idée de ce que cela signifie réellement, mais d'accord, j'y crois ». Une telle croyance n'est pas très profonde et n'est pas stable. Je pense qu'il est très important de comprendre ce qu'est la compassion, en particulier la grande compassion, pour avoir une idée de qui est Sa Sainteté et de ce qu'elle fait, et pour apprécier sincèrement ses qualités.

Il est également important de comprendre ce qu'est la nature-de-bouddha et ce que signifie le fait de voir la nature-de-bouddha dans le gourou. Que représente Avalokiteshvara ? Il représente la nature-de-bouddha de chacun, la compassion, c'est-à-dire la nature fondamentale de l'esprit qui consiste à être chaleureux, à prendre soin des autres, etc. Comme tous les autres facteurs de la nature-de-bouddha, la compassion se manifeste aux niveaux de la base, de la voie et du résultat.

  • Le niveau de la base est ce que nous avons tous naturellement, comme l'indique l'instinct parental.
  • Le niveau de la voie est ce que nous avons en nourrissant ce niveau de base de la compassion grâce à l'entraînement bouddhique.
  • Le niveau du résultat est celui d'un bouddha.

Les qualités du gourou nous permettent de mieux comprendre ces trois niveaux, et le gourou nous aide à développer la compassion à travers ces trois niveaux. Si nous comprenons cela, nous pouvons alors nous prosterner devant la compassion, le gourou et le yidam Avalokiteshvara avec la ferme conviction qu'ils sont inséparables.

C'est ici qu'Atisha introduit un peu de tantra, bien que de manière subtile et dissimulée, ce qui est tout à fait normal. Le maître qui m'a transmis cet enseignement, Guéshé Ngawang Dhargyey, a toujours insisté sur le fait qu'il y a beaucoup d’informations dans le verset d’hommage. Nous ne devrions pas le considérer comme un simple ornement au début d'un texte et le parcourir rapidement sans y prendre garde.

Premier verset : Les états d'esprit nécessaires à la méditation sur la bodhichitta

En y regardant de plus près, nous pouvons voir que les points principaux de ce texte sont tirés de L’Engagement dans la conduite du bodhisattva (Skt. Bodhicharyavatara) de Shantideva. Nous pouvons également constater que de nombreux points des enseignements ultérieurs sur l'entraînement de l’esprit, en particulier les Huit Versets de l'entraînement de l'esprit et L’Entraînement de l'esprit en sept points, s’appuient sur ce que nous trouvons dans le texte d'Atisha. Ainsi, Atisha parle principalement de la façon de méditer sur la bodhichitta et de la façon de la mettre en pratique.

Il commence ainsi :

Faites que je me débarrasse de toute indécision et chérisse de me dévouer du plus profond de mon cœur et avec constance à la pratique. . Ainsi, faites que je me débarasse complètement de la somnolence, lesprit embrumé et de la paresse, et de toujours fournir des efforts avec persévérance.

Se débarrasser de l’indécision sur ce qu'est la bodhichitta et sur la façon de méditer sur elle

Pour pouvoir méditer sur la bodhichitta, nous devons tout d'abord entendre les enseignements qui s'y rapportent. Pour ce faire, nous devons nous débarrasser de toute incertitude quant à la source de ces enseignements : ils proviennent des Trois Corbeilles (Skt. Tripitaka) des paroles du Bouddha. Nous devons ensuite écouter ou lire attentivement et correctement les paroles du Bouddha, puis y réfléchir afin de les comprendre correctement. Le but de tout cela est de se débarrasser du doute sur les enseignements auxquels se fier, sur la nature de ces enseignements et sur ce qu'est la bodhichitta.

Nous devons savoir très précisément que la bodhichitta est un esprit qui se concentre sur notre propre illumination individuelle, et pas sur l'illumination d'un bouddha ni sur un type d'illumination vague et informe dans le ciel. La bodhichitta est un esprit qui se concentre spécifiquement sur notre propre illumination future, qui n'a pas encore eu lieu mais qui peut être atteinte et qui peut se produire sur la base de ses causes, à savoir nos facteurs de nature-de-bouddha. La bodhichitta se concentre donc sur l'illumination qui ne s'est pas encore produite, avec l'intention de l'atteindre. Ce qui nous motive à l'atteindre est l'amour et la compassion, autrement dit le souhait d’être bénéfique à tous les êtres et de les aider à se débarrasser de leurs souffrances. Être bénéfique à autrui est la deuxième intention qui accompagne la bodhichitta. C'est ce que nous avons l'intention de faire une fois que nous avons atteint l'illumination, même si, bien sûr, nous essayons d'aider les autres au mieux de nos capacités tout au long de notre progression vers l'illumination.

Nous devons donc nous débarrasser de toute hésitation sur le sujet de notre méditation, la bodhichitta, sur la manière de méditer sur elle ainsi que sur l'état d'esprit que nous devons générer. Nous devons donc écouter les enseignements à ce sujet, y réfléchir et les comprendre. C’est, de manière évidente, très important. Sinon, comment pourrions-nous méditer sur la bodhichitta ?

Méditer sur la bodhichitta et la développer n'est pas si simple. Il n'est pas évident de savoir quoi faire lorsque l’on médite et sur quoi se concentrer. Ce n’est ni évident ni chose facile. Comment pouvons-nous nous concentrer sur notre propre illumination future qui ne s’est pas encore produite ? Nous devons avoir quelque chose qui la représente. Elle peut être représentée par un bouddha, par le gourou, par le champ de mérites, ou par le yidam, la figure-de-bouddha. Elle peut être représentée par de nombreuses choses différentes.

On peut se demander comment débattre et méditer sur la bodhichitta peuvent aller de pair, mais en fait, le but du débat est de dissiper le doute. Pour méditer correctement, nous devons savoir sur quoi l'esprit se concentre, comment il appréhende cet objet d'attention et quels sont les facteurs mentaux qui l’accompagnent, que ce soit l’amour, la compassion, l’intention, la motivation, etc. Ensuite, nous devons savoir comment générer cet état d'esprit. Grâce au processus de débat, nous sommes en mesure de dissiper toute incertitude sur ces points.

De nombreuses personnes confondent bodhichitta et compassion. Ils pensent méditer sur la bodhichitta, alors qu'en fait, ils méditent sur l'amour et la compassion pour tous les êtres. Méditer sur les souhaits que tous les êtres soient heureux et aient les causes du bonheur, et que tous les êtres soient libérés de la souffrance et des causes de la souffrance fait partie du fondement de la bodhichitta. Ils accompagnent la bodhichitta, mais ils ne sont pas la même chose que la bodhichitta. Il existe une confusion similaire avec la compassion : de nombreuses personnes méditent sur la compassion, mais pas sur la grande compassion. Là encore, il est donc important d'essayer de se débarrasser de tout flottement et de toute incertitude sur ces points.

De plus, lorsque nous ne sommes pas sûrs de ce que nous faisons en méditation, nous rencontrons l'obstacle du vagabondage mental. Nous errons mentalement, nous demandant : « La bodhichitta est-elle ceci ou cela ? » « Est-ce que je médite correctement ou est-ce que je me trompe ? » Nous nous demandons toujours ce que nous sommes censés faire. Nous devons donc non seulement acquérir de l'assurance sur ce qu'est la bodhichitta et sur la manière de méditer sur elle, mais aussi sur la validité de la pratique que nous effectuons. Nous devons nous débarrasser du doute qui consiste à se demander : « Est-ce la bonne pratique ? » « Est-ce que ça va marcher ? » « Est-ce que ça ne va pas marcher ? » etc. Avant que nous puissions réellement méditer correctement, tout cela doit être clarifié au stade de l'écoute des enseignements, et plus encore au stade de la réflexion sur ceux-ci, ce que le débat peut nous aider à faire. Comme nous le dirions en allemand, tout doit être clair, « alles klar », pour pouvoir vraiment méditer correctement sur un sujet particulier. Sinon, nous faisons semblant de méditer. Nous sommes simplement assis là à jouer, nous ne savons pas vraiment ce que nous faisons, et cela ne nous mène pas très loin.

Se dévouer de tout cœur et avec constance à la pratique de la bodhichitta dépend d'une motivation sincère.

Ensuite, après avoir écouté et réfléchi correctement aux enseignements et nous être débarrassés des incertitudes, nous pouvons chérir le fait de nous dévouer de tout cœur et avec constance à la pratique. Il s'agit de la méditation au cours de laquelle nous faisons de la bodhichitta une habitude. Nous générons cet état d'esprit encore et encore, le rendant de plus en plus fort. Se dévouer de tout cœur et avec constance signifie que nos efforts pour générer la bodhichitta sont tout à fait sincères et que nous y mettons tout notre cœur.

La motivation est l'élément déterminant pour que nous y mettions tout notre cœur. Si notre motivation est vraiment sincère, nous serons sincères dans notre pratique. Nous ne le ferons pas simplement par sens du devoir, ou par culpabilité, ou quelque chose de ce genre. Il est donc très important de travailler sur la motivation. Lorsqu’elle s’affaiblira, ce qui sera souvent le cas, nous devrons avoir appris les différentes méthodes pour la raviver.

Beaucoup de choses dépendent également de nos fréquentations, c'est-à-dire du soutien que les personnes qui nous entourent apportent à notre pratique. Le fait d'avoir une communauté amicale et chaleureuse de personnes également engagées sur la voie, d'avoir des maîtres spirituels à proximité et ainsi de suite nous aide à maintenir notre motivation. De même, le fait de se trouver parmi d'autres personnes qui souffrent intensément peut grandement la renforcer. Nous pouvons trouver l'inspiration à la fois d’en haut, auprès des grands maîtres, et d’en bas, auprès de celles et ceux qui souffrent misérablement. Comme le dit Shantideva, l'illumination vient tout autant de la bonté des bouddhas que de celle des êtres sensibles, des êtres limités.

(VI.113) Alors que l’accomplissement du Dharma du Bouddha est dû autant aux êtres limités qu’aux vainqueurs (les Bouddhas), quel est donc cet usage de ne pas tous les respecter de manière égale ?

Clarification sur la manière de méditer sur la bodhichitta

Se concentrer sur notre illumination individuelle qui n'a pas encore eu lieu

La méditation sur la bodhichitta se concentre sur notre propre illumination individuelle future. Je ne vais pas entrer dans les détails, mais si nous pensons à notre continuum mental, alors notre illumination est quelque chose qui peut être validement étiqueté sur ce continuum futur. Notre illumination future, qui n'a pas encore eu lieu, peut être validement étiquetée sur la continuité future de notre continuum mental, sur la base de la continuité des facteurs de la nature-de-bouddha. Si les différentes causes ont été accumulées, à savoir les deux réseaux de force positive et de conscience profonde, et ainsi de suite, alors cet état d'illumination, qui peut se produire, se produira certainement. Il faut en être convaincu.

Afin de se concentrer sur cet état d'illumination, nous utilisons quelque chose pour le représenter, disons une figure-de-bouddha ou un bouddha. Cette figure-de-bouddha ou ce bouddha représente l'illumination future qui peut être étiquetée de manière valide sur le continuum mental et qui peut être atteinte sur la base des facteurs de la nature-de-bouddha. C'est sur cela que notre esprit se concentre. Cette prise de conscience s'accompagne ensuite d'amour, de compassion et de l'intention d'atteindre cet objectif et d'aider tout le monde une fois que nous l'aurons atteint. Il existe également un certain nombre de facteurs mentaux annexes qui sont impliqués, mais c'est un peu complexe.

Tout comme nous pouvons penser, voir et entendre en même temps, nous pouvons être conscients de plusieurs objets de cognition à la fois, mais nous n’avons pas le même degré d’attention pour chacun d’eux. L'amour et la compassion s'adressent tous deux aux êtres sensibles. L'amour se concentre sur les êtres en souhaitant qu'ils soient heureux, tandis que la compassion se concentre sur leurs souffrances en souhaitant qu'elles disparaissent. Nous générons les deux états d’esprit, un à la fois, puisqu'ils ont des manières différentes d’appréhender leurs objets. Lorsque nous générons ensuite l'objectif de bodhichitta sur la base de cet amour et de cette compassion, nous nous concentrons sur notre illumination qui ne s’est pas encore produite, la manière de l’appréhender cognitivement étant le souhait de l'atteindre. Deux intentions sont également axées sur notre illumination qui n’a pas encore eu lieu : atteindre cette illumination et être bénéfique à autrui grâce à elle. Notre attention principale se porte sur la bodhichitta, alors que l'amour et la compassion, bien que toujours présents, ne sont pas au centre de notre attention. Dans un sens, ils favorisent notre objectif de bodhichitta, mais leurs objets focaux, tous les êtres limités, n'apparaissent pas dans notre esprit.

Comme je l'ai dit, il faut beaucoup de temps, de réflexion et de discussion pour avoir une idée claire de ce que signifie méditer sur la bodhichitta. Si l'on se dit : « Maintenant, je vais m'asseoir et méditer sur la bodhichitta », qu'est-ce que l'on fait concrètement ?

Ensuite, bien sûr, il y a toutes les étapes qui nous amènent à ressentir sincèrement la bodhichitta, ce qui signifie développer les sentiments d'amour et de compassion. Il existe un certain nombre de méthodes que nous pouvons utiliser : la méditation en sept points sur la causalité, celle de l'égalisation et l'échange de soi et des autres, ou la méditation en onze points qui combine les deux.

Permettez-moi d'ajouter une chose, qui est importante pour comprendre ce que signifie avoir la grande compassion. Lorsque nous visons la bodhichitta et notre illumination future, nous devons également savoir ce qu'est l'illumination. Nous devons savoir ce que cela signifie et quelles sont les qualités de cet état. C'est pourquoi une figure-de-bouddha ou un bouddha en est une très bonne représentation. Lorsque nous visualisons une figure-de-bouddha ou un bouddha, nous pouvons penser à toutes les qualités que possède un être éveillé. Et bien sûr, avec la grande compassion, nous le faisons avec l'intention d'aider absolument tout le monde. Nous parlons ici d'un nombre incalculable d'êtres, le champ d'action est donc incroyablement vaste.

Une fois que nous commençons à apprécier ce qu'est réellement l'état d'esprit de la bodhichitta, à savoir son inconcevable étendue, nous pouvons commencer à apprécier le premier chapitre de Shantideva, dans lequel il fait l'éloge de la bodhichitta. Sinon, ce ne sont que de belles paroles.

(I.25) Cet extraordinaire joyau de l’esprit (la bodhichitta), dédié au bonheur des êtres limités qui ne pensent pas même à faire leur propre bien, est une merveille sans pareille.
(I.26) Comment la force positive d’un tel joyau de l’esprit, source de bonheur, élixir qui dissout la souffrance des êtres errants, pourrait être possiblement mesurée ?

Comment est-il possible de se concentrer sur quelque chose qui n'est pas encore arrivé ?

Vous vous demandez peut-être comment il est possible de se concentrer sur quelque chose qui n'est pas encore arrivé. Permettez-moi de vous donner un exemple, car il est important pour comprendre ce qu'est la bodhichitta. Notre illumination future, comme demain, est quelque chose qui n’a pas encore eu lieu. Demain n'est pas encore arrivé, mais est-ce que demain existe ? Existe-t-il un lendemain ? Comment pouvons-nous nous concentrer sur demain et planifier notre journée si demain n'existe pas d'une manière ou d'une autre ? Sur quoi nous concentrons-nous lorsque nous pensons à demain ? Nous ne nous concentrons pas sur rien. Ce sont là des questions auxquelles il faut réfléchir et dont il faut débattre.

Quelque chose qui n'est pas encore arrivé est un phénomène de négation

Pour répondre à la question de savoir comment nous nous concentrons sur quelque chose qui n'est pas encore arrivé, il est très important de comprendre la présentation philosophique bouddhique des phénomènes connaissables de manière valide ainsi que la présentation des phénomènes d'affirmation et de négation. En effet, nos catégories occidentales définissant les choses qui existent et n'existent pas ne sont pas pertinentes pour notre discussion. Selon la présentation bouddhique, si quelque chose existe, il peut être validement connu, que ce soit de manière conceptuelle ou non conceptuelle, et s'il n'existe pas, il ne peut tout simplement pas l’être.

Les phénomènes d'affirmation et de négation font partie de ce qui peut être validement connu. Notre illumination future est un phénomène d'affirmation. Tout comme nous pouvons voir une mangouste sans en avoir jamais vu auparavant, nous pouvons nous concentrer sur l'illumination sans que nous ayons eu à nous concentrer sur elle auparavant. Lorsque nous nous concentrons sur cette illumination, nous nous concentrons donc sur un phénomène d'affirmation. Ce phénomène d'affirmation est imputé sur un aspect de ses causes, à savoir nos réseaux de force positive et de conscience profonde. Cet aspect est leur capacité à donner naissance à l'illumination en tant que résultat lorsque toutes les causes et conditions sont réunies. Cette illumination imputée sur ses causes, tout comme demain sur aujourd’hui, peuvent être connus de manière valide. De plus, ce qui peut être imputé sur cette illumination future, c'est le fait qu'elle ne soit pas encore en train de se produire. Cette caractéristique « pas encore en train de produire » est un phénomène de négation, qui nie le fait que cela se produise actuellement. Pour connaître validement qu’un tel phénomène n’est pas en train de se produire, nous devons savoir ce qui se produit présentement afin de le nier. Par exemple, nous devons savoir que nous sommes encore aujourd'hui pour savoir que demain n'est pas encore arrivé.

Nous pouvons représenter notre illumination qui n’a pas encore eu lieu par une figure-de-bouddha et imputer validement un « moi » sur cette figure, mais seulement si nous connaissons aussi validement le fait que nous ne sommes pas encore un bouddha. Dans le cas contraire, si nous pensons que notre état de bouddha est déjà en train de se produire, nous nous berçons d'illusions.

Dans la méditation sur la bodhichitta, se concentrer sur quelque chose qui n'est pas encore arrivé, ce n'est pas se concentrer sur quelque chose qui n'existe pas

C'est à cause de ces points que je dis qu'il faut se débarrasser de toute hésitation. Sinon, au bout d'un certain temps, on se dit : « Je ne sais pas vraiment ce que je fais quand je suis assis ici et que j'essaie de pratiquer la méditation sur la bodhichitta. Est-ce que je me concentre sur quelque chose qui n'existe pas du tout ? » C'est alors que ça devient irrationnel.

Ce que veut dire Atisha, c'est que si nous voulons être capables de méditer correctement, centrés en un point sur notre sujet, nous devons nous débarrasser de l’indécision, du fait de n’être pas tout à fait sûr de ce qu’est la bodhichitta, de la façon de procéder pour méditer sur elle, etc. Sinon, comme le dit le commentaire, notre esprit vagabonde : « Est-ce que je m'y prends bien ? Que se passe-t-il maintenant ? Peut-être que tout cela n'existe pas. » Le vagabondage mental survient également lorsque nous ne sommes pas convaincus que nous puissions réellement y parvenir. Ici, en très peu de mots, Atisha donne des instructions très profondes sur la façon de méditer.

Cette discussion sur la bodhichitta est très importante. Nous devons être clairs sur ce qu'est la méditation sur la bodhichitta. Si nous n'avons pas au moins un certain degré de clarté, tout cela se résume à une bizarrerie.

Se débarrasser des autres obstacles à la méditation

Nous sommes donc de tout cœur constant dans la pratique. Une fois que nous savons comment générer la bodhichitta et que nous sommes capables de rester concentrés sur cet état d'esprit, nous devons nous débarrasser des obstacles qui surgissent au cours de la méditation elle-même. La seconde moitié du verset dit : faites que je me débarrasse complètement de la somnolence, de lesprit embrumé et de la paresse. Nous avons déjà traité du vagabondage mental lié au doute. Viennent ensuite les obstacles dus au relâchement.

Somnolence et esprit embrumé

Le type de relâchement le plus flagrant est la somnolence, le fait de s'endormir, ce qui constitue un obstacle évident à la méditation. Dans ce type de relâchement, la conscience se retire des sens. C'est essentiellement ce qu'est le sommeil. L'état d'esprit embrumé est une forme plus subtile de relâchement. Nous avons l’esprit embrumé lorsque notre esprit et notre corps se sentent très lourds. Le troisième type, encore plus subtil, est la paresse. Bien que la paresse ne soit pas à proprement parler une forme de relâchement, elle le sous-tend. Lorsque nous nous efforçons de nous débarrasser des obstacles mentaux, nous travaillons toujours d'abord sur les plus grossiers, puis sur les plus subtils. Ici, la paresse est donc l'obstacle le plus subtil.

Les trois types de paresse

Shantideva décrit la paresse de manière très détaillée dans le septième chapitre de son texte, intitulé « La persévérance ». Il existe trois types de paresse.

La première est la léthargie. Elle signifie un manque d'énergie et d’enthousiasme, nous n'avons pas envie de faire quoi que ce soit et nous procrastinons. Il y a trois causes à cela. Shantideva l’explique ainsi :

  • L'apathie face à nos problèmes récurrents : un manque d'intérêt et de préoccupation. Lorsque nous sommes apathiques, nous ne nous sentons pas concernés et nous devenons léthargiques ; nous n'avons pas envie de faire quoi que ce soit.
  • Savourer le plaisir de l'oisiveté : prendre plaisir à rester assis sans rien faire. Cela nous rend léthargique et, là encore, nous avons envie de rien faire.
  • L'envie irrésistible de dormir comme un refuge : nous n'arrivons pas à faire face à ce qui se passe et nous voulons simplement nous réfugier dans notre bon lit bien chaud.

Le deuxième type de paresse consiste à s'accrocher à ce qui est insignifiant. Il s'agit par exemple de bavarder sans cesse de choses insignifiantes et de s'attacher à toutes sortes d'occupations à la maison ou ailleurs, ce qui est en fait une excuse pour ne rien faire de constructif. La procrastination, qui consiste à remettre les choses à plus tard parce que l'on s'accroche à quelque chose d'insignifiant, va de pair avec cette forme de paresse.

La troisième forme de paresse consiste à se décourager et, par conséquent, à se dénigrer. Nous pensons : « Je ne peux pas le faire, je n’en suis pas capable. » Nous n’essayons même pas. C'est une forme de paresse.

La persévérance, antidote à la paresse

L'antidote à la paresse est la persévérance, que l'on appelle aussi « vigueur enthousiaste » ou « courage héroïque ». La dernière partie de la phrase dit de toujours fournir des efforts avec persévérance. Comme l'explique très bien Shantideva, la persévérance repose sur plusieurs facteurs.

  • Une intention forte. Déterminée et énergique, elle est fondée sur la ferme conviction des avantages de faire quelque chose de positif. Avec une intention forte, nous ressentons profondément : « Je vais le faire et je n'abandonnerai pas ! »
  • La constance et la confiance en soi. La constance est la qualité de rester stable, d'être inébranlable. Elle se fonde sur la confiance en soi, sur la fierté que l'on éprouve à l'égard de soi-même : nous savons que nous serons capables de le faire et nous n'avons pas une mauvaise opinion de nous-mêmes.
  • La joie. Se réjouir de ce que l'on fait. Et puisque ce que nous faisons est constructif, nous avons de plus en plus de joie à le faire.
  • Le lâcher prise. Être capable de lâcher prise lorsque nous sommes fatigués et que nous avons besoin de repos. Si nous nous acharnons avec trop de passion, nous finirons par nous épuiser. Il faut aussi savoir lâcher prise lorsque l'on a achevé une étape, il faut savoir lâcher prise et passer à l'étape suivante. Ce sont les deux aspects du lâcher-prise.

Shantideva mentionne deux autres aspects.

  • Accueillir. Nous devons accepter le fait que le chemin sera difficile. Nous devons accepter cette réalité et ne pas avoir de fantasmes à ce sujet, en pensant que ce sera si facile et si beau. Nous devons accepter les difficultés. En d'autres termes, nous devons adopter une attitude réaliste.
  • Prendre le contrôle. Nous nous prenons en main et nous nous disons : « Je vais le faire. »
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