Introduction
Aujourd’hui, je suis ici pour enseigner les Trois Principaux Aspects du chemin, un court texte composé par Lama Tsongkhapa. Ce que je vous donnerai à partager n’est pas mon propre savoir, mais plutôt ce qui m’a été enseigné par mes propres précieux maîtres. Quant à moi, je n’ai aucune réalisation, mais je ferai de mon mieux pour vous transmettre ces enseignements.
Les organisateurs n’ont cessé de me demander quel sujet j’aimerais enseigner. Ils m’ont envoyé de nombreux courriels, mais je n’ai pas donné suite. En réalité, je ne leur ai rien dit jusqu’à hier, car je n’étais pas sûr de ce que j’allais enseigner. J’ai pensé également que ce serait bien si c’était une surprise. J’aime les surprises. C’est un peu comme quand vous achetez quelque chose en ligne. Vous attendez la livraison avec de grandes espérances, incertains de savoir si votre achat était bon ou mauvais. Anticiper les choses participe pour la moitié du plaisir !
Au bout du compte, j’ai décidé de donner un enseignement sur les Trois Principaux Aspects du chemin. Bien que ce soit un texte concis, son sens est vaste. Il est difficile de l’enseigner de manière approfondie en un temps aussi court, mais cela vaut toujours la peine que nous ayons ensemble une discussion sur le texte. Pour celles et ceux qui l’ont étudié auparavant, il se peut qu’il y ait quelques répétitions. Mais il est toujours bon qu’il y en ait quand il s’agit d’un texte précieux. Avec un peu de chance, donc, ce sera bénéfique.
Instaurer une motivation appropriée
Avant toute action constructive, en particulier l’activité du Dharma, nous devons mettre en place une motivation correcte. C’est l’une des choses les plus importantes, et je suis sûr que la plupart d’entre vous savent déjà cela. Donc, je n’ai pas besoin d’en dire beaucoup au sujet de la motivation.
Aujourd’hui, 25 avril, c’est le Jour de la Libération, ici en Italie. Tout le monde est en congé, et certains vont à la mer tandis que d’autres vont rencontrer des amis ou se rendent au restaurant pour profiter d’un bon repas, etc. Au lieu de cela, vous vous êtes rassemblés ici à l’Institut Lama Tsongkhapa pour voir ma tête ! Malgré tout, il y a une raison à ce que nous nous soyons rencontrés ici. Qui que vous soyez et de quelque endroit que vous veniez, vous avez vos propres objectifs provisoires et vos objectifs ultimes. Quel que soit ce que j’enseigne, je vous presse instamment d’écouter ces enseignements du Dharma, et de vérifier pour vous-mêmes s’ils correspondent à vos objectifs ou non.
Quand je dis : « S’il vous plaît écoutez soigneusement les enseignements », ce n’est pas que je pense que j’aie beaucoup à dire. Je ne pense pas que vous changerez sur le champ, dès que je dirai quelque chose. De ce côté-là, il n’y a pas d’attentes. Je n’ai pas l’espoir d’opérer un profond changement dans votre vie. Mais avec les réflexions des enseignements de Sa Sainteté le Dalaï-Lama, j’essaierai de vous faire sentir le goût du Dharma.
Nous pouvons voir que le monde d’aujourd’hui est confronté à des temps très difficiles. Toute décision que nous prenons fait une différence, il est donc crucial que nous prenions les bonnes. Nous pouvons voir que le climat est en train de changer, et nous-mêmes avons pu être les témoins de pluies hors saison entraînant des inondations ainsi que d’autres conditions météorologiques inhabituelles pour l’Italie, ou pour les Himalayas où je vis. En vérité, cela arrive partout dans le monde aussi bien. On peut dire qu’environ 90% de cette situation dépend de nos actions en tant qu’êtres humains, nous devons donc faire très attention à la manière dont nous agissons.
En plus de cela, mis à part ces problèmes mondiaux, nous avons nos propres problèmes, dans nos familles et dans nos relations, avec l’argent, etc. En examinant notre situation, nous pouvons en arriver à comprendre simplement la quantité de choses à faire afin de l’améliorer. C’est quelque chose que nous devrions faire, non seulement pour notre propre bien, mais aussi pour le bien du monde entier, de tous les gens autour de nous, et pour la planète.
Maintenant, avant que nous en venions à essayer d’améliorer les choses, nous devrions mettre en place une motivation correcte. Après ces enseignements, une fois rentrés à la maison, nous devrions penser à aider les gens proches de nous, nos parents, nos amis, à la manière d’être bons et patients avec eux. Gardez à l’esprit que nous ne faisons pas cela seulement pour nous mais pour tous les autres dans le monde. Pareille motivation apportera beaucoup de bienfaits et votre vie revêtira une puissante signification.
Avant de débuter les enseignements du Dharma, pour instaurer la motivation, d’ordinaire nous récitons la prière du refuge et de la bodhichitta. Il y a deux sortes de refuge : le causal et le résultant. Le refuge causal, c’est quand nous nous en remettons à un maître conventionnel et nous appuyons sur lui pour nous fournir une direction sûre dans la vie. C’est la direction indiquée par le Bouddha, le Dharma et le Sangha : les Trois Joyaux. Avec ce refuge causal, nous avons le sentiment que « le maître et moi sommes des entités séparées ». Le refuge résultant, c’est quand nous nous en remettons à notre propre conscience discriminante, et non pas à la conscience discriminante d’un maître extérieur. Nous comprenons ce qui est bon, ce qui est mauvais, ce qui doit être fait et ce qu’on ne doit pas faire. Mais avant d’atteindre ce niveau résultant de refuge, nous devons bien entendu nous en remettre à un maître approprié et générer le refuge causal. Mais, ultimement, pour devenir un bouddha, nous devons développer et pratiquer vraiment le refuge résultant. La prière est la suivante :
Je prends une direction sûre, jusqu’à mon état purifié, dans les Bouddhas, le Dharma, et La Plus Haute Assemblée. Par la force positive de ma générosité, etc., puissé-je réaliser la bouddhéité afin de venir en aide à ceux qui errent.
La première ligne concerne la prise du refuge causal. Quand il est dit « jusqu’à mon état purifié », un état purifié, un état de bodhi, est soit la libération, soit l’illumination. On le déclare ainsi parce que tant les pratiquants du Hinayana que ceux du Mahayana ont en commun la prise du refuge causal, les pratiquants du Hinayana visant juste à atteindre la libération, et non l’illumination.
La seconde ligne concerne la prise du refuge résultant et est exclusive au Mahayana. Par cette phrase, nous formons l’aspiration à devenir le véritable refuge de tous les êtres sensibles, en ayant généré la bodhichitta, l’esprit qui a pour but l’illumination, et en ayant réalisé l’état d’un bouddha. Avec cela à l’esprit, récitons, s’il vous plaît, ce verset trois fois et engendrons une bonne motivation pour écouter ces enseignements aujourd’hui. Rappelons-nous combien chanceux nous sommes tous d’être ici et combien puissamment nous aimerions atteindre l’illumination pour être bénéfiques à tous les êtres sensibles.
Les trois principaux aspects du chemin
Maintenant que nous avons mis en place une bonne motivation, nous pouvons commencer avec les enseignements du jour sur les Trois Principaux Aspects du chemin de Lama Tsongkhapa. Les trois principaux aspects couverts par le texte sont le renoncement, la bodhichitta, et une vue correcte du vide, la vacuité. Sa Sainteté le Dalaï-Lama a coutume d’aimer enseigner ce texte avant de conférer des initiations, car ces trois choses – le renoncement, la bodhichitta, et une vue correcte – sont les enseignements les plus cruciaux que nous avons besoin de comprendre avant d’entreprendre la pratique du tantra. Le renoncement est particulièrement important dans la mesure où il sert de base pour les deux autres aspects – la bodhichitta et une vue correcte.
Lama Tsongkhapa mentionne les trois aspects comme étant fondamentaux et primordiaux, et de nombreux lamas donnent des enseignements sur le sujet comme étant les pratiques de base. Quand on entend le mot « basique », il se peut que nous pensions que cela signifie que ce n’est pas si spécial ou important. Mais ces enseignements sont extrêmement importants. Sa Sainteté est particulièrement habile à délivrer des enseignements sur ce sujet en raison de sa propre profonde expérience. Sa Sainteté et d’autres lamas ont des réalisations, et ils savent de quoi ils parlent. Nous devons être très précis en suivant ces enseignements, sans quoi il y a toujours une possibilité pour nous de les mésinterpréter.
Verset d’hommage
Le texte commence par une expression d’hommage.
Je me prosterne devant mes lamas immaculés, sources de noblesse.
Rendre hommage au début d’un texte est une tradition initiée par les grands maîtres et les érudits de Nalanda en Inde. Toutefois, la manière dont Tsongkhapa rend hommage est un peu différente de celle dont les textes indiens le font d’habitude. Ici, Lama Tsongkhapa s’incline devant ses lamas immaculés, sources de noblesse. Les lamas immaculés, sources de noblesse, sont ceux qui possèdent les trois qualités de connaissance, d’amour et d’aptitude habile.
« Connaissance » veut dire que le lama est capable de montrer le véritable chemin vers l’illumination. D’ordinaire, nous dirions que cela signifie que le lama est habile dans les méthodes et, avant d’enseigner à leur propos, en a obtenu ses propres réalisations. « Amour » est la qualité interne de chaleur. Certains lamas peuvent être bien éduqués et habiles à enseigner, mais ils n’ont pas de chaleur à l’intérieur. Dès lors, la qualité de l’amour est une chose importante pour un lama. La troisième qualité, « l’aptitude habile » est que, peu importe qui se présente face à lui, le lama sait comment agir afin d’être bénéfique à telle personne particulière ayant tel type particulier d’esprit.
Au début du texte, Lama Tsongkhapa rend hommage à tous les lamas qui possèdent ces trois qualités, en leur offrant une prosternation. C’est réellement une bonne chose de rendre hommage et de se prosterner au moyen de nos trois portes, celles du corps, de la parole et de l’esprit. En plus d’être un hommage, la prosternation est aussi un bon antidote à l’arrogance et à l’orgueil. Quelquefois quand on étudie et en particulier si on a beaucoup étudié – et je parle ici d’expérience ! – nous avons le sentiment que nous savons déjà tout et que donc nous n’avons pas besoin d’étudier le texte une fois de plus. Je pense que cela montre que nous avons toujours de l’arrogance. La pensée : « Je sais tout cela, il n’y a rien de nouveau que j’entendrai là », est une supposition comme quoi le maître devant nous n’en sait pas plus que nous. Si c’est vraiment le cas et que nous sommes si savants, alors c’est magnifique. Il n’y a pas de souci à se faire dans ce cas. Mais dans la plupart des cas, il y a toujours quelque chose de nouveau à apprendre. Il y a toujours un angle différent à envisager.
C’est pourquoi nous ne pouvons pas vraiment dire que, puisque nous avons entendu l’explication d’un texte particulier auparavant, nous ne devrions pas l’écouter à nouveau. Si nous pouvons nous rappeler qu’il se peut que le maître ait d’autres manières de l’expliquer et qu’il peut nous montrer des angles différents, cela brisera notre arrogance et nous serons en mesure d’obtenir une compréhension bien meilleure et beaucoup plus vaste des enseignements. En particulier si nous sommes débutants dans le Dharma, il est très bon d’avoir la motivation suivante : « Puisque je ne connais pas ce texte, je dois étudier et développer ces bonnes qualités, je dois donc être patient et attentif. » C’est une bonne motivation pour étudier le texte.
Je pense qu’il se pourrait bien que nombre d’entre vous soient déjà fatigués, je raconterai donc une histoire ! J’ai étudié à l’Institut de Dialectique à Dharamsala, en Inde. Il est situé près du temple de Sa Sainteté le Dalaï-Lama. Nous avions souvent l’occasion d’écouter les enseignements de Sa Sainteté, et chaque fois qu’il donnait des enseignements, toute la classe s’y rendait. Pendant ces trois années d’études, Sa Sainteté a donné des enseignements sur le Bodhicharyavatara, S’engager dans la conduite d’un bodhisattva. Une fois, un de mes amis ignorait quel serait le sujet des enseignements et a demandé aux personnes autour de lui. Quelqu’un lui a dit que c’était S’engager dans la conduite d’un bodhisattva, et mon ami a dit : « Encore ? Nous avons déjà écouté ces enseignements. J’ai un autre travail à faire. » Je n’ai rien dit, mais j’étais plutôt ennuyé. Je me suis dit que ce n’était pas mes affaires et que je ne voulais pas argumenter avec lui, mais je me suis senti vraiment mal à l’aise à propos de sa réaction. Je me souviens d’avoir pensé que c’était une attitude terrible à avoir. À un moment, je suis allé voir mon maître et je lui ai demandé quoi faire dans ce genre de situation. Il a dit que cela arrive quand on fait preuve de trop d’arrogance.
Il y a une autre histoire au sujet d’Atisha, l’un des plus grands maîtres de l’histoire du Tibet, et de l’un de ses étudiants, Lama Dromtonpa. Lama Dromtonpa avait coutume d’assister à tous les enseignements d’Atisha, écoutant attentivement, encore et encore. Les gens lui demandaient pourquoi il écoutait tout le temps ces enseignements. Ils disaient qu’il connaissait déjà tout. Mais Lama Dromtonpa disait que quand bien même il avait déjà entendu une chose auparavant, il y avait toujours la possibilité qu’il n’ait pas tout compris. C’est la raison pour laquelle, en tant qu’étudiants, nous devons écouter les enseignements encore et encore, sans arrogance.
Je pense à mes propres maîtres et comme ils ont été bons envers moi. J’ai deux maîtres, l’un plus jeune, l’autre plus vieux. Par arrogance, j’ai comparé occasionnellement mes maîtres, pensant que le plus âgé n’était pas aussi habile que le plus jeune. Parfois, les étudiants ne comprenaient tout simplement pas ce qu’il disait, j’ai donc pensé que cela voulait dire qu’il n’était pas un maître aussi habile. Un jour, je suis allé en compagnie de mes deux maîtres écouter des enseignements du Dharma, et après cela, le plus jeune maître a dit qu’il y avait un point qu’il n’avait pas bien compris. Alors le maître plus âgé s’avança et expliqua tout d’une façon tellement claire.
J’étais surpris parce que nous avions tous écouté les mêmes enseignements, or je n’avais même pas entendu prononcer ces mots au cours de l’enseignement. D’où le maître les avait-il obtenus ? Je lui posai la question. Il dit : « Parce que j’ai de l’expérience, je les ai compris. » À ce moment-là, j’ai regretté ma façon arrogante de penser et me suis souvenu de ces trois qualités que nous venons juste de mentionner, à savoir la connaissance profonde des enseignements, un cœur chaleureux, et la compréhension de l’esprit des étudiants. Le maître doit enseigner en accord avec l’esprit des étudiants de telle sorte qu’ils puissent comprendre les enseignements. Je vis alors que c’était une qualité qui n’avait jamais fait défaut à mon maître. Cela me servit de leçon. À partir de ce moment, je commençai à penser à mes deux maîtres comme ayant une science et une bonté égales.
Enseigner n’est pas facile. D’après ma propre expérience, je ne peux pas dire que j’explique bien les choses et, d’autre part, je n’ai aucune réalisation. Je peux seulement partager ce que j’ai entendu dire auparavant. Je n’ai pas les mêmes qualités que mes maîtres. Y a-t-il donc un quelconque bénéfice dans ce que je dis ici ? Bon, j’espère que cela vous est profitable. Poursuivons avec le texte.
Verset de promesse de composer
(1) J’essaierai d’expliquer, au mieux de mes capacités, la signification essentielle de toutes les déclarations scripturales de Ceux qui ont triomphé, le chemin loué par la descendance sainte des Triomphants, le gué pour les fortunés désirant la libération.
Les trois principaux aspects du chemin décrits par Lama Tsongkhapa – ceux du renoncement, de la bodhichitta et de la vue correcte – sont la signification essentielle de toutes les déclarations scripturales de Ceux qui ont triomphé. Autrement dit, ils sont l’essence du Dharma du Bouddha dans sa totalité. Le Bouddha a donné un si grand nombre d’enseignements. Dans la tradition tibétaine, nous avons le Kangyur, qui inclue la traduction des enseignements du Bouddha, et le Tengyur, qui comprend les traductions de tous leurs commentaires indiens. Mis ensemble, il y a plus de trois cents volumes, mais leur essence ce sont ces trois aspects au sujet desquels Lama Tsongkhapa écrit.
Le Bouddha lui-même possédait les trois qualités de connaissance, d’amour et d’aptitude habile. Tout d’abord, il comprit que tous les êtres sensibles veulent de façon égale le bonheur et n’aiment pas la souffrance. Il découvrit que la raison pour laquelle les êtres sensibles étaient malheureux et faisaient l’expérience de la souffrance était due aux émotions perturbatrices. À son tour, la racine des émotions perturbatrices, ce qui les fait s’élever, c’est l’esprit qui se chérit, l’esprit qui se saisit d’un soi, et l’esprit qui ne comprend pas le vide du soi. L’antidote à ces états d’esprit, c’est la conscience discriminante qui réalise le vide. Nous devons développer une compréhension correcte du vide et nous appuyer sur elle afin d’éliminer notre souffrance.
Nous avons tous le même potentiel et la même capacité à nous libérer de la souffrance. C’est ce qu’on appelle parfois la « nature-de-bouddha », le potentiel à l’intérieur de chacun de nous de devenir un bouddha. Chaque enseignement que le Bouddha a donné sur chaque sujet particulier, chaque sourire qu’il a montré, derrière chacune de ses actions, la motivation était de nous enseigner comment nous libérer de cet océan de souffrance. Chaque acte illuminant du Bouddha recèle la motivation de nous enseigner le vide.
Malheureusement, la plupart d’entre nous ne peuvent pas juste d’un saut bondir jusqu’à la compréhension immédiate du vide. Nous devons procéder étape par étape. La méthode habile de Je Tsongkhapa pour enseigner ce texte consiste à nous montrer un chemin progressif. En suivant le chemin, nous comprendrons finalement l’absence de soi et générerons tous les états d’esprit qui conduisent à la pleine illumination. C’est exactement pourquoi nous disons que ces derniers sont la signification essentielle de toutes les déclarations scripturales de Ceux qui ont triomphé.
Nous ne pouvons pas sous-estimer l’importance du vide. Le but principal d’atteindre la réalisation du vide est d’être capable d’actualiser la libération et la bouddhéité. La libération et la bouddhéité ne sont pas la même chose. La libération est un objectif provisoire, tandis que l’état de Bouddha est le but final, ultime. La conscience discriminante qui réalise le vide est une condition nécessaire pour réaliser ces deux états : l’état de libération et l’état de bouddhéité. Cependant, c’est seulement quand quelqu’un est doté de la bodhichitta qu’il peut réaliser la bouddhéité. Une réalisation du vide seul n’apporte que la libération, mais l’état de bouddha est quelque chose qui est actualisé grâce aux réalisations conjointes du vide et de la bodhichitta.
Les trois genres de souffrance et les deux sortes de bodhichitta
Dans le bouddhisme, on parle de trois genres de souffrance. La première est la souffrance du malheur, appelée parfois la souffrance de la souffrance. La deuxième est la souffrance du changement. Et la troisième est la souffrance omniprésente. Cette troisième sorte est à la racine des deux premières formes de souffrance. Elle fait référence au fait que nous avons des agrégats contaminés qui agissent comme base pour tous les autres types de souffrance. Ils nous font souffrir encore et encore. Pour nous libérer de toute souffrance possible, il n’y a pas d’autre moyen que de réaliser le vide de manière non conceptuelle. La réalisation du vide nous apporte à la fois la libération et l’illumination. C’est la raison pour laquelle le vide est la principale réalisation que nous devons développer.
Il existe deux sortes de bodhichitta : la conventionnelle et la plus profonde. La bodhichitta la plus profonde est la conscience discriminante qui réalise le vide, tandis que la bodhichitta conventionnelle ou relative est l’aspiration à réaliser l’illumination afin d’être bénéfique non seulement à nous-même mais aussi à tous les êtres sensibles. Ces deux aspects sont d’égale importance et nous avons besoin d’avoir les deux.
Si nous comprenons le vide, nous comprenons aussi que tous les phénomènes de l’existence dans son entier n’ont pas d’essence. Nous verrons que le seul réel bonheur que nous pouvons avoir est celui de l’état de libération et de bouddhéité. En même temps, sans renoncement – la détermination à être libre de toute souffrance – aucune des qualités que nous nous efforçons de développer n’aura beaucoup d’effet. Elles seront incapables de nous conduire directement à la libération et la bouddhéité. C’est le renoncement qui nous aide à avancer sur le chemin de la bouddhéité.
D’habitude, nous pensons que la bodhichitta est tellement grande et la vue correcte du vide tellement étonnante. Bien sûr, nous devons les développer, mais nous ne devons pas oublier le renoncement. Le renoncement est également aussi important. Ici donc, avec la phrase : le gué pour les fortunés désirant la libération, Lama Tsongkhapa met l’accent sur le fait que, sans renoncement, il n’y a pas de possibilité de se libérer du samsara. C’est pourquoi, le premier des trois principaux aspects du chemin est le renoncement, suivi par la bodhichitta et la vue correcte du vide.
Quant à la phrase : le chemin loué par la descendance sainte des Triomphants, on traduit parfois littéralement le terme « descendance » par « fils ». Mais en vérité, le terme est plus inclusif que juste le mot « fils ». Nous devrions nous rappeler que le Soutra du Cœur parle à la fois des fils spirituels et des filles spirituelles. Donc, ici également, Lama Tsongkhapa parle à la fois des fils et des filles. Tout le monde, toutes les femmes et tous les hommes, ont la capacité de réaliser la libération et la bouddhéité de la même manière et de générer la bodhichitta de façon équivalente. Il n’y a pas de limitations de genre.
Que les trois aspects soient pour nous la base pour atteindre le but ultime de la bouddhéité, les fait est loué non seulement par les bouddhas, mais aussi par leurs fils et filles. Les fils et les filles des bouddhas sont les bodhisattvas. Ce n’est pas que le Bouddha soit partial et aime particulièrement les bodhisattvas et donc les appelle ses fils et ses filles. C’est plutôt, dû à leur pratique assidue, que les bodhisattvas sont celles et ceux qui ont une bodhichitta spontanée, non élaborée, le souhait d’atteindre l’illumination pour le bien des autres. C’est la raison pour laquelle on dit qu’ils sont nés dans la famille des bouddhas, et c’est pourquoi on les appelle les fils et les filles des Bouddhas Triomphants. De tels pratiquants, qui ont une bodhichitta pure et qui souhaitent atteindre l’illumination, font l’éloge de ce chemin et des enseignements qui mènent tous les êtres sensibles à la bouddhéité.
Les bodhisattvas voient que le renoncement, le souhait d’atteindre la libération est si important que, sans lui, il n’y a pas non plus de souhait d’atteindre la bouddhéité. Donc, souhaiter la libération est la première étape sur le chemin. Il n’y a aucun moyen de l’éviter. C’est pourquoi les pratiques qui nous conduisent aux stades de la libération et de la bouddhéité sont hautement louées par les bodhisattvas comme formant un seul chemin, comme étant inséparables.
Ce chemin loué par les bouddhas et leur descendance n’est pas mentionné par les shravakas, les pratekyabouddhas, ou les arhats du véhicule du Hinayana. Ils ont la réalisation du renoncement – la détermination à se libérer du samsara – mais ils n’ont pas la bodhichitta, et ainsi n’atteignent pas la pleine illumination. Ce chemin dont Lama Tsongkhapa discutera ici concerne les bodhisattvas, lesquels souhaitent atteindre l’illumination et pas seulement la libération. C’est la raison pour laquelle les bouddhas et les bodhisattvas louent ce chemin.
Combien fortunés nous sommes d’avoir accès au Dharma !
Les êtres sensibles qui ont la capacité et le souhait réel d’atteindre les trois objectifs du renoncement, de la bodhichitta et de la vue correcte sont appelés fortunés dans le verset, parce que les enseignements pour accomplir ces objectifs sont disponibles, et qu’il y a des maîtres qui peuvent les enseigner.
Il est très important de simplement contempler combien nous sommes chanceux d’avoir ces enseignements à notre disposition ainsi que la véritable capacité d’atteindre nos objectifs ultimes. Quand nous sommes jeunes, nous ne pouvons pas réellement comprendre ce qu’est la réalité. Tout nous paraît bon et nous profitons juste de la vie. Au début de l’âge adulte, nous commençons à faire face à plus de problèmes, et nous voyons à quel point la vie n’est pas idéale, et que, si la vie continue ainsi, elle est dépourvue de sens. Nous commençons progressivement à comprendre comment fonctionne le samsara et combien nous souffrons. C’est un sentiment très important que nous devons garder à l’esprit car il nous aide à nous libérer par la suite.
Imaginons que deux personnes viennent vers nous. L’une dit qu’elle a une méthode pour la libération temporaire de nos problèmes, et l’autre dit qu’elle a une méthode ultime pour la complète élimination de tous nos problèmes, et ce pour toujours. Bien entendu, tous nous choisirions la méthode ultime. C’est comme quand nous sommes malades. Si on nous offre un médicament qui nous soulage seulement temporairement et un médicament qui guérit de manière ultime la maladie, alors, même si le second médicament est plus coûteux et difficile à se procurer, on choisirait celui-là car il nous libère totalement de notre souffrance et de notre maladie.
La bouddhéité n’est pas juste la libération du samsara, c’est l’état ultime qui nous libère de toute souffrance, y compris de la souffrance de la saisie du soi. Bien que cela semble lointain et difficile à atteindre, ce but vaut vraiment la peine d’être réalisé. Il signifie la libération ultime de tout type de souffrance et de douleur que nous avons. Nourrir le souhait d’atteindre l’état de libération ultime est également considéré comme très fortuné.
Toutefois, si nous avons le souhait d’éliminer notre propre souffrance sans nous soucier de la souffrance des autres êtres sensibles, c’est plutôt égoïste. D’accord, nous sommes capables de nous libérer, mais qu’en est-il des autres êtres qui continueront de souffrir à cause de leur confusion à propos de la réalité ? C’est la raison pour laquelle nous avons besoin de la compassion. Sans compassion, nous agissons égoïstement pour réaliser le but ultime. Mais en vérité, sans compassion, nous sommes incapables de réaliser le but ultime de la bouddhéité. Si nous ne pensons qu’à nous-mêmes, nous pouvons seulement atteindre la libération, rien de plus. Aussi, les bodhisattvas aspirent à réaliser la bouddhéité pour le bien de tous les êtres sensibles parce qu’ils voient avec les yeux de la compassion comment les êtres sensibles souffrent.
D’une façon générale, afin d’améliorer la société et le monde, nous pouvons comprendre que cela dépend de chacun d’entre nous. Les pays et les sociétés sont séparés mais nous sommes tous interconnectés et nos propres réalisations aideront les autres êtres sensibles. Aussi, comprenant cela, nous pouvons développer une aspiration vaste non seulement à nous libérer nous-mêmes pour notre propre bien mais pour que tous les êtres sensibles soient libérés de la souffrance. Nous pouvons voir combien ces trois principaux aspects sont grands : le renoncement, la bodhichitta et la vue correcte. Sans les précieux enseignements, nous ne connaîtrions aucune méthode pour nous débarrasser de nos problèmes et des problèmes des autres êtres sensibles.
C’est la raison pour laquelle Lama Tsonkhapa dit :
J’essaierai d’expliquer, au mieux de mes capacités, la signification essentielle de toutes les déclarations scripturales de Ceux qui ont triomphé.
Animé d’une puissante motivation de compassion, Lama Tsongkhapa voulait que ces précieux enseignements soit donnés à autant d’êtres sensibles que possible, et c’est ainsi qu’il fit la promesse de composer ce texte. Maintenant, de notre côté, nous devons écouter attentivement les enseignements.