Lorig ou les modes de la connaissance

Comment savons-nous quelque chose ? Nous connaissons les choses par nos sens ou par la pensée. Mais ce que nous voyons, entendons ou pensons, n’est pas toujours exact. Nous ne sommes pas non plus toujours certains de ce que nous avons vu, et parfois quand nous pensons que quelque chose est comme ceci ou comme cela, nous n’en sommes pas très sûrs non plus. L’étude des modes de la cognition traite des diverses façons d’appréhender les objets de manière exacte et décisive. Ainsi est-elle un élément essentiel de la cartographie bouddhique de l’esprit.

L’activité mentale

Le système de pensée sautrantika (mDo-sde-pa) du bouddhisme indien énumère sept modes de connaissance d’un objet. Pour comprendre ces sept modes en détail, il nous faut d’abord savoir ce qu’est un mode de connaissance. Un mode de connaissance est une forme d’activité mentale, et l’activité mentale est, dans le bouddhisme, ce à quoi se rapporte le terme « esprit ». Notre activité mentale est individuelle, n’a ni commencement ni fin, se poursuit sans interruption et appréhende toujours un objet focal – l’objet sur lequel elle se focalise – de façon cognitive. En général elle appréhende un objet de façon cognitive en lui donnant la forme d’un hologramme mental, lequel est en concomitance et en équivalence avec un engagement cognitif dans cet objet. Ainsi fonctionne l’activité mentale, sans l’intervention d’un « moi » qui existerait de façon indépendante et sans qu’un esprit, qui aurait une existence indépendante, soit utilisé par le « moi ». Les sept modes de la connaissance sont donc des types d’activité mentale portant sur des objets de focalisation. Les voici :

  1. La cognition nue (mngon-sum)
  2. La cognition d’inférence (rjes-dpag)
  3. La cognition subséquente (bcad-shes)
  4. La cognition non déterminante (snang-la ma-nges-pa)
  5. La présomption (yid-dpyod)
  6. Le vacillement indécis (the-tshom)
  7. La cognition déformée (log-shes).

La cognition valide

Des sept modes de connaissance, seuls deux d’entre eux peuvent être considérés comme des façons valides de connaître quelque chose : la cognition nue et la cognition d’inférence. 

Une cognition valide (tshad-ma) est une cognition neuve et non frelatée.  

  • Neuve (gsar) : cognition dont la clarté, l’exactitude et le caractère décisif n’ont pas comme condition immédiate une cognition précédente immédiate de ce même objet. 
  • Non-frelatée (mi-bslu-ba) : cognition à la fois exacte et décisive.   

La cognition subséquente n’est pas valide car elle n’est pas neuve. La cognition non déterminante, la présomption et le vacillement indécis ne sont pas valides car ils ne sont pas décisifs. Et la cognition déformée n’est pas valide non plus, car elle n’est pas exacte. 

La cognition d’appréhension

Une cognition appréhende son objet d’implication quand elle est à la fois exacte et décisive, autrement dit : quand elle est non frelatée. L’objet d’implication (‘jug-yul) d’une cognition est l’objet principal dans lequel une cognition particulière s’engage. Par exemple, quand on voit quelqu’un ou quand on pense à quelqu’un, notre objet d’implication est constitué de taches colorées qui ont la forme d’un phénomène physique ; un objet de sens commun qui s’étend à d’autres informations sensorielles tels le son, l’odeur, les sensations physiques, et qui s’étend dans le temps ; de quelle sorte d’objet il s’agit (nous voyons un corps), et nous voyons aussi une personne en tant que variable d’influence imputée sur ce corps. 

La cognition n’a pas besoin d’être neuve pour pouvoir appréhender son objet d’implication. Par conséquent, la cognition neuve, la cognition d’inférence et la cognition subséquente sont toutes des cognitions d’appréhension (rtogs-pa). Il y a deux types d’appréhension : explicite et implicite. 

  • L’appréhension explicite (dngos-su rtogs-pa) : l’objet d’implication apparaît dans la cognition, comme quand nous inférons que la personne que nous voyons est Mary.
  • L’appréhension implicite (shugs-la rtogs-pa) : l’objet d’implication n’apparaît pas, comme quand nous inférons que la personne que nous voyons n’est pas Susan.

Toutes les occurrences des trois types de cognition qui appréhendent leurs objets passent par l’appréhension explicite, mais seules certaines d’entre elles ont un mode d’appréhension à la fois explicite et implicite. L’appréhension implicite d’un objet ne peut avoir lieu sans être en concomitance avec l’appréhension explicite de quelque chose. Toute cognition va de pair avec un hologramme mental. 

La cognition conceptuelle et la cognition non conceptuelle

La cognition conceptuelle (rtog-bcas shes-pa) est la cognition de quelque chose en tant qu’objet qui apparaît à travers une catégorie mentale. L’objet (d’une cognition) qui apparaît (snang-yul) [l’objet d’apparition d’une cognition] est l’objet direct qui survient dans la cognition comme s’il se tenait directement devant la conscience. Quand l’objet d’apparition est une catégorie mentale, la catégorie est un phénomène statique métaphysique (spyi-mtshan), telle une idée, tel un phénomène superficiellement vrai (kun-rdzob bden-pa), sans apparence qui lui est propre. Elle est semi-transparente comme un voile fin à travers lequel se manifeste l’hologramme mental (rnam-pa, aspect mental) de quelque chose qui représente la catégorie dans la cognition. La forme mentale qui apparaît dans la cognition conceptuelle est celle de cet hologramme mental, mais l’objet qui apparaît est la catégorie mentale, parce qu’elle est l’objet qui a été appréhendé en premier dans la cognition. L’élément réel que nous conceptualisons peut être présent ou non présent dans notre cognition conceptuelle de celui-ci. 

  • Il est présent quand nous voyons quelque chose et que nous le rangeons dans une catégorie d’autres choses qui lui ressemblent.
  • Il n’est pas présent quand nous y pensons seulement, mais il reste l’objet d’engagement de la cognition conceptuelle, parce que nous y pensons.

La catégorie mentale peut être une catégorie audio ou une catégorie d’objets. Une catégorie-audio est la catégorie mentale dans laquelle nous mettons tous les sons en lien avec un certain mot parlé. Quels que soient la voix, le volume et la prononciation en lien avec le mot « mangue », avec la cognition conceptuelle nous mettons ce mot dans la même catégorie audio car toutes ces occurrences sont les occurrences du même mot. Cette catégorie audio est désignée par le mot « mangue », aussi nous connaissons ces sons comme le son du même mot « mangue ».

De la même façon, quand nous voyons un panier plein de mangues, quelles que soient la taille, la coloration ou la forme de chacune, nous les mettons toutes conceptuellement dans la même catégorie d’objets (don-spyi) ; toutes sont des unités de la même sorte de fruit. Bien que ces unités de fruits soient objectivement toutes des mangues, nous ne savons pas forcément de quelle sorte de fruit il s’agit, ou comment ce fruit s’appelle. Mais si nous savons que ce sont des mangues et qu’elles sont désignées par le mot « mangue », alors la catégorie d’objets dans laquelle nous les mettons est aussi une catégorie de significations (don-spyi). Toutes ces unités de fruits sont ce que signifient les sons qui entrent dans la catégorie audio désignée par le mot « mangue ». 

Ces catégories sont des phénomènes statiques. Selon les assertions sautrantika, elles sont des entités métaphysiques. Elles ne peuvent remplir aucune fonction, donc nous ne pouvons pas rendre compte d’elles en nous appuyant sur le fait qu’elles font quelque chose. Nous ne pouvons le faire qu’en nous appuyant sur le fait que nous avons un concept de catégories et que ces dernières sont ce à quoi le concept se rapporte. S’il n’y avait rien qui soit comme des catégories, comment pourrions-nous identifier différents objets comme étant tous les occurrences du même type d’objet, ou les différents sons comme étant les sons du même mot ? 

La cognition non conceptuelle (rtog-med shes-pa) est une cognition qui a lieu sans l’intermédiaire d’une catégorie. Quand nous voyons une mangue dans un magasin, notre vue de la mangue est non conceptuelle. Ce que nous voyons est bien une mangue, nous ne voyons pas « rien » ; mais nous ne la mettons pas dans la catégorie mentale des mangues quand nous la voyons au prime abord. Autrement dit, nous ne pouvons la connaître conceptuellement en tant que mangue qu’en la mettant dans la catégorie « mangue ». 

Selon le système sautrantika, les objets qui peuvent être validement connus non conceptuellement sont tous des entités objectives (rang-mtshan), des phénomènes vrais très profonds (don-dam bden-pa). Ils sont non statiques, ce qui veut dire qu’ils sont influencés par les causes et les conditions et que, donc, ils changent d’instant en instant et produisent des effets. Nous pouvons rendre compte que ce sont des objets objectifs par le fait même qu’ils produisent des effets. Dans les phénomènes non statiques sont incluses toutes les formes d’objets physiques tels les vues et les sons, toutes les façons de connaître les choses telles les consciences visuelle et mentale, l’amour, le bonheur et la colère, ainsi que tous les phénomènes non statiques qui ne sont rien de tout cela, à l’instar des personnes, du mouvement et de l’âge. 

La cognition nue

La cognition nue est définie comme une cognition non trompeuse et non conceptuelle dans laquelle l’objet qui apparaît est une entité objective, c’est-à-dire un phénomène non statique. Plus précisément, l’objet d’apparition de la cognition, lequel objet apparaît effectivement, est un hologramme mental non statique de l’objet.

La cognition nue, alors, est libre des quatre causes d’illusion [leurre] :

  1. La sujétion : si la cognition non conceptuelle est assujettie à un organe des sens défaillant, comme à des yeux qui louchent, nous aurons une double vision et verrons deux lunes. 
  2. L’objet : si l’objet de la cognition non conceptuelle se déplace très rapidement, comme quand on fait un moulinet dans le noir avec une lampe torche, nous serons trompés par la vision d’un cercle de lumière. 
  3. La situation : dans un train qui roule, nous voyons de façon non conceptuelle les arbres s’approcher puis s’éloigner à l’extérieur comme s’ils bougeaient à reculons.
  4. La condition immédiate : si, juste avant de regarder quelqu’un, notre esprit est fortement perturbé, par exemple par la peur, il se peut que nous voyions des choses qui ne sont pas là. 

Bien que ces quatre cas soient des cognitions non conceptuelles, ils ne constituent pas des occurrences de cognition nue.

Il y a quatre types de cognition nue : 

  1. La cognition nue sensorielle par un des cinq types de conscience sensorielle (visuelle, auditive, olfactive, gustative, corporelle) repose sur un des cinq capteurs cognitifs physiques comme condition dominante. La condition dominante (bdag-rkyen) d’une cognition est ce qui détermine de quelle sorte de cognition il s’agit : visuelle, auditive, etc. Les cinq capteurs cognitifs physiques sont les cellules photosensibles des yeux, les cellules auditives sensibles des oreilles, les cellules olfactives sensibles du nez, les cellules gustatives sensibles de la langue, et les cellules tactiles sensibles du corps. À noter que la conscience sensorielle ne peut appréhender les objets que de façon non conceptuelle, cependant que la conscience mentale peut appréhender les objets de façon non conceptuelle et de façon conceptuelle aussi.
  2. La cognition nue mentale par la conscience mentale peut appréhender n’importe quel objet non statique. Elle repose sur un capteur cognitif mental comme condition dominante. Le capteur mental d’une cognition renvoie à l’instant de conscience précédent immédiat. Si aucun capteur cognitif physique n’est impliqué dans une cognition, alors la conscience de l’instant précédent détermine que la cognition est, à l’instant suivant, purement mentale. Étant donné que le cerveau est impliqué dans tous les types de cognition, il n’est pas inclus dans le système bouddhique en tant que capteur cognitif. La cognition nue mentale a lieu par la cognition extrasensorielle, comme quand on lit les pensées d’autrui, et dure à peine un instant à la fin d’un flux de cognition nue sensorielle.
  3. La cognition nue par la conscience connaissante réflexive. Selon les systèmes de pensée sautrantika, chittamatra et svatantrika yogachara, les façons de savoir/connaître quelque chose ne comprennent pas seulement un type de conscience primaire et quelques facteurs mentaux, elles incluent aussi la conscience réflexive (rang-rig). La conscience réflexive accompagne tous les instants de cognition non conceptuelle et conceptuelle d’un objet, bien qu’elle demeure toujours non conceptuelle. Elle ne se focalise que sur les autres sortes de conscience connaissante impliquées dans la cognition et n’appréhende que celles-ci, c’est-à-dire : la conscience primaire et ses facteurs mentaux. Elle n’appréhende pas les objets de la conscience primaire et les facteurs mentaux sur lesquels elle se focalise. Elle plante la variable d’influence non congruente d’une empreinte ou d’une habitude mentale de la cognition qu’elle appréhende, laquelle permet ensuite de rappeler subséquemment la cognition par l’attention [la vigilance]. Le rappel passe par la cognition conceptuelle d’un hologramme mental qui ressemble à l’objet appréhendé auparavant et d’une catégorie d’objets qui découle mentalement de l’objet et dans laquelle sont mis tous les hologrammes mentaux qui ressemblent à l’objet. La cognition nue par la conscience réflexive établit aussi le fait que la cognition qu’elle accompagne est une cognition valide ou non valide.
  4. La cognition nue yoguique passe par la conscience mentale et repose sur la paire conjointe de l’état de shamatha (un état d’esprit calme et stable) et de l’état de vipashyana (un état d’esprit exceptionnellement perceptif) pour se produire. Elle prend comme objet le non-statique (l’impermanence) ou l’absence d’une âme impossible, grossière ou subtile, de la personne. Elle ne se manifeste que chez les aryas et, excepté dans le cas d’un bouddha, seulement lors de leur absorption méditative totale.

La cognition nue a trois divisions : valide, subséquente, non déterminante. La cognition nue sensorielle, mentale, et de conscience connaissante réflexive, ont toutes trois respectivement trois divisions. La cognition nue yoguique n’a que des divisions valides et subséquentes. Elle n’est jamais non déterminante. 

Seule la première microseconde de cognition nue sensorielle d’un objet est valide, vient ensuite une séquence de cognition nue sensorielle subséquente lors de laquelle la cognition de l’objet n’est plus une cognition neuve. Cette phase est suivie d’une cognition nue sensorielle non déterminante de l’objet lors de laquelle l’appréhension de l’objet n’est plus décisive, bien que l’objet continue d’apparaître de façon exacte. Vient ensuite une courte phase de cognition nue mentale, mais elle est si courte qu’elle et la cognition nue de conscience réflexive qui l’accompagne ne peuvent pas établir leurs objets de manière décisive. Ainsi sont-elles, en fait, des cognitions nues non déterminantes. Cette phase momentanée de cognition nue mentale non déterminante est nécessaire pour établir la cognition mentale de l’objet d’implication avant la cognition mentale conceptuelle de celui-ci. 

La cognition nue mentale non déterminante, qu’elle se produise après une séquence de cognition nue sensorielle ou après une séquence de cognition nue puis mentale extrasensorielle subséquente, est suivie d’une cognition conceptuelle de l’objet lors de laquelle la cognition de l’objet passe par le filtre d’une catégorie mentale.

La cognition nue yoguique est libre de torpeur mentale, elle est donc toujours vive. Mais elle est neuve au premier instant seulement, en ce sens que sa clarté et son appréhension n’ont pas comme condition immédiate la cognition qui précède immédiatement la cognition du même objet. Ainsi, excepté dans le cas des bouddhas, la cognition nue yoguique valide des aryas est suivie d’une phase de cognition nue yoguique subséquente. Mais même chez les aryas, il n’y a pas de cognition nue yoguique non déterminante.

La cognition d’inférence 

La cognition d’inférence est la cognition conceptuelle valide d’un fait obscur ou extrêmement obscur, laquelle est sujétion à un raisonnement correct qui constitue son fondement. 

Trois types d’objets peuvent être validement connus :

  1. Les objets évidents (mngon-gyur) : comme la sensation physique de se sentir malade. Ils peuvent être connus non conceptuellement à travers la cognition nue en nous reposant simplement sur nos capteurs cognitifs. Par notre conscience corporelle, nous pouvons savoir que nous nous sentons très mal. Mais, certes, il faut que nous soyons capables de différentier si nous sommes véritablement malade ou si nous sommes simplement hypocondriaque. 
  2. Les objets obscurs (lkog-gyur) : comme la maladie que nous avons, qui nous fait ressentir ce que nous ressentons. Nous ne pouvons savoir ce genre de choses qu’en nous reposant sur un raisonnement, comme quand le médecin diagnostique la maladie dont nous sommes atteint sur la base de l’information obtenue à partir d’un examen approfondi : « S’il y a tels et tels symptômes, alors il y a cette maladie-ci ou cette maladie-là ». Mais, certes, tous les diagnostics ne sont pas corrects.   
  3. Les objets extrêmement obscurs (shin-tu lkog-gyur) : comme le nom de la personne qui a trouvé le remède à la maladie que nous avons. Nous ne pouvons le savoir qu’en nous nous reposant sur une source d’information valide, comme quand nous trouvons quelque chose sur l’internet et que nous inférons que l’information est correcte, parce que la source de cette information fait autorité en la matière. Mais, certes, nous avons besoin d’une raison valide pour inférer que ce que nous lisons provient d’une source valide. Ce n’est pas toujours chose facile à évaluer, comme par exemple quand il s’agit d’une entrée dans Wikipédia, ou d’un blogue.  

Il y a trois types de cognition d’inférence :

  1. L’inférence basée sur la force de la preuve ou sur la logique déductive (dngos-stobs rje-dpag) : à travers elle, nous utilisons une logique sans faille pour arriver à une conclusion correcte à propos de quelque chose d’obscur. Par exemple, supposons que notre voisin fait beaucoup de bruit. Cela peut nous contrarier ou nous énerver, parce qu’il n’est pas évident que le son est impermanent. Cependant, si nous nous reposons sur la force de l’évidence, nous pouvons nous prouver à nous-même que ce bruit va passer, simplement parce qu’il est « fait par l’homme ». Pour ce faire, nous nous reposons sur le fil du raisonnement suivant : « Ce bruit est fait par l’homme ; tout ce qui a été fait par l’homme passe, à l’instar des évènements historiques ; rien de ce qui dure toujours, à l’instar de nos continuums mentaux, n’a été fait par l’homme ». Grâce à cette connaissance valide, nous pouvons maîtriser notre colère.
  2. L’inférence basée sur le renom (grags-pa'i rje-dpag) : à travers elle, nous comprenons le langage. Quand nous entendons une personne ou un appareil électronique émettre certains sons, nous inférons aussi quelque chose d’obscur : « Si c’est ce son-ci, c’est le son de tel ou tel mot » et nous poursuivons l’inférence : « Si c’est le son de tel ou tel mot, alors le mot a telle ou telle signification ». Nous usons de la même logique pour lire : quand nous voyons certains schémas de lignes, nous inférons que ce sont tels et tels mots écrits et qu’ils ont telle et telle signification. Un autre exemple : quand nous entendons « un plus un », nous inférons que cela signifie « deux ». Ou quand nous entendons l’expression en anglais « man’s best friend » (le meilleur ami de l’homme) nous inférons que cela désigne le chien. 
  3. L’inférence basée sur la conviction (yid-ches rjes-dpag) : à travers elle, nous savons ou connaissons quelque chose d’extrêmement obscur, à l’instar de la date de notre anniversaire. Pour connaître le jour de notre naissance, nous devons nous reposer sur une source d’information valide, par exemple : notre mère. Ensuite nous inférons que « ma mère est une source d’information valide en ce qui concerne mon anniversaire, parce qu’elle était présente quand je suis née. Par conséquent, je peux croire avec conviction que la date qu’elle me dit est correcte ». 

La cognition subséquente

La cognition subséquente est une conscience connaissante non valide qui appréhende ce qui a déjà été appréhendé. Elle est exacte et décisive mais n’est pas un mode de connaissance valide car elle n’est pas neuve. Cela signifie que sa clarté et son appréhension ont comme condition immédiate la cognition qui précède immédiatement la cognition du même objet. Il lui manque le pouvoir de s’établir comme cognition neuve.

On distingue trois types de cognition subséquente dans le flux de continuité de l’appréhension d’un objet d’implication :

  1. La cognition subséquente nue est la seconde phase de cognition nue d’un objet impliqué qui suit l’instant initial de la cognition nue de celui-ci. La cognition subséquente nue peut être sensorielle, mentale, cognition nue de conscience connaissante réflexive, ou yoguique. La cognition nue subséquente yoguique, cependant, ne se produit que chez les aryas qui ne sont pas encore des bouddhas.
  2. La cognition subséquente d’inférence est la seconde phase de cognition d’inférence d’un objet d’implication qui suit l’instant initial de la cognition d’inférence valide de celui-ci. 
  3. La cognition subséquente qui n’est aucune des deux : par exemple, la cognition conceptuelle qui se remémore correctement quelque chose dont on a déjà validement pris connaissance auparavant. À la fois le premier instant et la seconde phase de la séquence de cette cognition sont des cognitions subséquentes car les deux reposent sur le fait d’avoir appréhendé quelque chose auparavant, même si cela ne s’est pas passé juste avant. Exemples : se remémorer le nom d’une personne ou se souvenir d’avoir rencontré cette personne auparavant, ou se rappeler qu’un plus un égal deux. 

La cognition non déterminante

La cognition non déterminante est un mode de connaissance lors duquel, quand une entité objective apparaît clairement à l’un des types de conscience primaire, l’objet d’implication n’est pas établi. Ainsi la cognition non déterminante ne se produit-elle qu’avec la cognition non conceptuelle. Dans la cognition conceptuelle, notre facteur mental d’attention peut être faible, de sorte que nous expérimentons une légère agitation d’esprit due à un courant sous-jacent de pensées externes, mais ce n’est pas une cognition non déterminante, c’est simplement un défaut d’attention. 

Il y a trois types de cognition non déterminante : 

  1. La cognition non déterminante nue sensorielle qui survient à la fin d’une séquence de cognition subséquente nue sensorielle, quand la cognition est sur le point de basculer d’abord dans la cognition nue mentale puis dans la cognition conceptuelle du même objet d’implication. La cognition non déterminante nue sensorielle comprend aussi la cognition sensorielle subliminale, à l’instar de la cognition de l’objet d’implication dans une conscience sensorielle, tout en ayant une cognition nue d’un autre objet d’implication dans une autre conscience sensorielle. Exemple : la cognition nue de la sensation physique d’un vêtement sur notre corps, pendant que nous regardons quelque chose. Cependant, la cognition non déterminante nue sensorielle n’inclut pas l’inattention à certains aspects de l’objet d’implication dans la cognition nue sensorielle lors de sa focalisation sur d’autres aspects, comme quand on ne remarque pas les photos sur le mur en regardant quelqu’un.  
  2. La cognition non déterminante nue mentale survient à la fin d’une séquence de cognition subséquente nue mentale, à l’instar de la cognition subséquente extrasensorielle de l’esprit d’autrui, quand la cognition est sur le point de basculer dans la cognition conceptuelle du même objet d’implication. Également non déterminant est l’instant infime de cognition nue mentale qui se produit entre l’instant de cognition non déterminante nue sensorielle et de cognition conceptuelle de l’objet d’implication.
  3. La cognition non déterminante nue de la conscience connaissante réflexive : chez les êtres ordinaires, l’instant le plus infime de la cognition nue de la conscience connaissante réflexive qui accompagne la cognition nue mentale ou sensorielle est toujours non déterminante. Cela parce qu’un instant ne suffit pas pour que leur conscience connaissante réflexive puisse établir leurs objets d’implication. Cependant, la cognition non déterminante nue de la conscience connaissante réflexive ne se produit pas à la fin d’une séquence de cognition nue yoguique. Cela parce que la cognition nue yoguique n’est jamais non déterminante. 

La présomption

La présomption est un mode de connaissance non valide qui appréhende son objet correctement, et cela de façon conceptuelle neuve. À l’instar de la cognition d’inférence, elle atteint une conclusion correcte de manière neuve, mais sans la comprendre véritablement ou sans comprendre correctement en quoi elle est vraie. Par conséquent, du fait qu’elle n’est pas décisive, elle n’est pas un mode de connaissance valide.

Il y a cinq types de présomption : 

  1. Présumer la vérité de quelque chose sans raison : conclure correctement que les jours raccourcissent en hiver dans l’hémisphère nord, mais ne pas savoir pourquoi il en est ainsi. Sont inclus les cas où l’on devine correctement quelque chose, comme quand on ne se souvient pas du nom de quelqu’un mais qu’on le devine correctement. 
  2. Présumer la vérité de quelque chose pour une raison contraire : conclure que les jours raccourcissent en hiver parce que l’hémisphère nord est incliné vers le Soleil durant cette période
  3. Présumer la vérité de quelque chose pour une raison non déterminante : conclure que les jours raccourcissent en hiver parce que la Terre tourne autour du Soleil.
  4. Présumer la vérité de quelque chose pour une raison non pertinente : conclure que les jours raccourcissent en hiver parce que les journées sont plus froides.
  5. Présumer la vérité de quelque chose pour une raison correcte, mais non décisive : conclure que les jours raccourcissent en hiver parce que l’hémisphère nord est incliné trop loin du Soleil pendant cette période, mais sans comprendre comme cela influe sur la longueur des jours.

La connaissance obtenue à travers la présomption est instable. Quand nous lisons ou entendons un fait et l’acceptons par simple foi, sans esprit critique et sans l’examiner pour comprendre en quoi il est vrai, en général nous ne nous en souvenons pas ensuite. 

Le vacillement indécis

Le vacillement indécis est un facteur mental qui peut accompagner la cognition conceptuelle d’un objet. En tant que vacillement indécis, il hésite entre deux conclusions concernant l’objet. Autrement dit : il oscille entre deux catégories pour appréhender l’objet. Il y a trois sortes de vacillements indécis :

  1. Le vacillement indécis qui penche vers un fait
  2. Le vacillement indécis qui ne penche pas vers un fait
  3. Le vacillement indécis qui est partagé de manière égale entre les deux. 

La cognition déformée

  1. La cognition déformée conceptuelle est une cognition qui est trompée au sujet de son objet impliqué conceptuellement, à l’instar d’un objet dont l’existence est conforme à la façon dont il est appréhendé cognitivement. C’est, par exemple, la cognition conceptuelle qui s’accroche à [la conception de] l’âme impossible d’une personne. Il n’y a rien de tel qu’une âme impossible de la personne qui puisse correspondre à cette cognition et exister selon cette conception. Cette cognition conceptuelle est déformée, parce qu’elle croit que l’objet impliqué conceptuellement – une véritable âme impossible des personnes – existe réellement, alors qu’elle n’existe pas du tout. 
  2. La cognition déformée non conceptuelle est une cognition qui est trompée au sujet de l’objet qu’elle appréhende, lequel, néanmoins, lui apparaît clairement. Deux lunes vues par quelqu’un atteint de strabisme est un exemple de cognition visuelle non conceptuelle. Quand cette personne regarde la lune, deux lunes apparaissent clairement, mais en réalité il n’y a pas deux lunes.

La cognition apparemment nue ou cognition trompeuse

La cognition apparemment nue ou cognition trompeuse est un mode de connaissance qui est trompé au sujet de l’objet qui lui apparaît. Elle mélange et confond l’objet qui lui apparaît avec l’entité objective réelle qui est son objet d’implication. La cognition déformée, d’un autre côté, est trompée au sujet de ce qui existe réellement. Elle confond l’objet qui lui apparaît avec quelque chose qui n’existe pas du tout. 

Les deux cognitions, la cognition trompée et la cognition déformée, peuvent être conceptuelles ou non conceptuelles.

  • Dans la cognition conceptuelle, l’objet qui apparaît est une entité métaphysique, c’est-à-dire une catégorie, telle la catégorie « chien ». Son objet d’implication est un chien réel, une entité objective. Les cognitions conceptuelles sont trompeuses dans la mesure où elles mélangent et confondent une catégorie avec l’objet réel d’implication dans la catégorie. Par exemple, quand nous pensons à un chien spécifique comme à un chien qui appartient à la catégorie générale des chiens, nous pensons que tous les chiens sont comme ce chien. Et si ce qu’une cognition conceptualise est non existant, cette cognition n’est pas seulement trompeuse, elle est déformée. Un exemple consiste à confondre la catégorie « unicorne » avec des unicornes réelles. Bien que nous pensions à des unicornes, cette catégorie ne correspond à rien car il n’y a pas d’unicorne réelle.  
  • Dans une cognition non conceptuelle, l’objet qui apparaît est un hologramme mental, tandis que l’objet d’implication est une entité objective réelle. Dans une cognition trompeuse non conceptuelle, comme celle d’une personne qui est atteinte de strabisme et voit deux lunes, l’objet qui apparaît est un hologramme mental de deux lunes, tandis que l’objet d’implication est une seule lune réelle. La cognition n’est pas seulement trompeuse, elle est aussi déformée, parce qu’elle confond la double lune avec quelque chose qui n’existe pas, c’est-à-dire avec deux lunes réelles. 

Il y a sept types de cognition apparemment nue, les six premières sont conceptuelles et la dernière est non conceptuelle :

  1. La cognition apparemment nue de ce qui est trompeur désigne les cognitions déformées conceptuelles qui ne s’accordent pas avec les faits, à l’instar de la conception fausse selon laquelle le son est permanent. Elle comprend aussi la cognition apparemment nue d’objets qui surviennent dans les rêves et dans l’imagination des personnes ordinaires, confondant la fiction avec la réalité. 
  2. La cognition apparemment nue de la connaissance superficielle de quelque chose est une cognition conceptuelle dans laquelle nous prenons connaissance d’une entité objective à travers une catégorie statique superficielle et confondons les qualités de la catégorie avec celles de l’entité objective. Par exemple, nous pensons à un objet physique, telle une table, ou à un état mental, telle la tristesse, à travers les catégories superficiellement vraies de « table » ou de « tristesse ». À cause de l’intercalation d’une catégorie statique, la table apparaît solide et la tristesse semble perdurer sans changer au fil du temps. Mais en réalité, la table est faite d’atomes et un épisode de tristesse change à chaque instant. Ces cognitions apparemment nues sont trompeuses car elles confondent la catégorie de l’objet statique et solide avec l’objet d’implication, lequel est quelque chose constitué d’atomes ou d’une séquence d’instants changeants. Cependant, ces cognitions apparemment nues ne sont pas déformées parce que, objectivement, selon le sens commun , il y a des tables qui sont solides et des périodes de tristesse qui sont prolongées.  
  3.  La cognition apparemment nue dans la cognition d’inférence est la cognition conceptuelle des 3 prégnances utilisées pour prouver une thèse dans une cognition d’inférence à travers les catégories des 3 facteurs de concordance, de congruence et de non-congruence qui constituent le fil d’un raisonnement. Par exemple, dans la cognition d’inférence que le bruit que fait notre voisin va passer parce qu’il est « fait par l’homme », les catégories des 3 facteurs du fil de raisonnement sont les objets qui apparaissent. Les objets d’implication sont les prégnances logiques que « le bruit que fait mon voisin est fait par l’homme ; toute chose faite par l’homme passe, à l’instar des évènements historiques ; rien de ce qui dure toujours, à l’instar de notre continuum mental, n’est fait par l’homme ». La cognition apparemment nue de ces 3 faits dans la cognition d’inférence de ces derniers est trompeuse en ce sens qu’elle mélange et confond les catégories des 3 facteurs de concorde, de congruence et de non-congruence avec le véritable raisonnement en trois parties. 
  4. La cognition apparemment nue de quelque chose qui découle de la cognition d’inférence est la cognition conceptuelle de la conclusion qui découle du fil d’un raisonnement obtenu à travers une cognition d’inférence. Par exemple, à la conclusion de la cognition d’inférence des 3 facteurs du fil d’un raisonnement tel qu’il est exposé ci-dessus, la cognition apparemment nue conceptuelle de la conclusion qui découle de cette inférence – c’est-à-dire : le passage inévitable du bruit que fait notre voisin – est trompeuse, parce qu’elle mélange et confond la catégorie « impermanence des bruits faits par l’homme » avec le fait actuel. 
  5. La cognition apparemment nue de quelque chose dont nous nous souvenons est une cognition conceptuelle dans laquelle nous nous souvenons de quelque chose dont nous avons eu connaissance auparavant – par exemple, nous nous rappelons à quoi ressemble notre mère. Dans ce cas, nous appréhendons conceptuellement notre mère à travers la catégorie « notre mère » et à travers un hologramme mental qui représente son apparence. La cognition apparemment nue de notre mère quand nous nous souvenons d’elle est trompeuse, parce qu’elle mélange et confond la catégorie « notre mère » et un hologramme mental qui la représente, avec l’objet d’implication – lequel est notre mère réelle. 
  6. La cognition apparemment nue de quelque chose que nous espérons est une cognition conceptuelle dans laquelle nous imaginons quelque chose qui ne s’est pas encore produit, telle la maison terminée que nous construisons. Dans ce cas, nous appréhendons conceptuellement la maison terminée pas-encore-terminée à travers la catégorie « maison-déjà-terminée ». La cognition apparemment nue de la maison terminée qui n’est pas encore terminée est trompeuse, parce qu’elle mélange et confond la catégorie « maison terminée » avec l’objet d’implication – lequel est la maison terminée pas-encore-terminée.
  7. La cognition apparemment nue d’un objet flou est une cognition non conceptuelle de quelque chose qui n’existe pas en réalité. Quand nous voyons un flou, la cognition apparemment nue de celui-ci est trompeuse, parce qu’elle mélange et confond l’objet qui apparaît – c’est-à-dire : un flou – avec l’objet d’implication, lequel est un objet objectif telle une table, laquelle n’est pas floue. De plus, la cognition est déformée, parce que le flou n’existe pas dans la réalité objective. 

La cognition dans laquelle la détermination de son objet est auto-induite ou nécessite d’être induite par une autre cognition

Une autre division des modes valides de la connaissance en deux types distingue une cognition dans laquelle la détermination de son objet est auto-induite, et une cognition dans laquelle la détermination de son objet nécessite d’être induite par une autre cognition.  

La cognition valide dans laquelle la détermination de son objet est auto-induite (cognition valide auto-induite, rang-las nges-kyi tshad-ma) est une cognition valide dans laquelle son objet est évident. Elle n’a pas besoin de se reposer sur une autre cognition pour déterminer son objet. Il y en a cinq types : 

  1. La cognition nue valide de la conscience connaissante réflexive : elle détermine d’elle-même la conscience primaire et les facteurs mentaux qu’elle appréhende.
  2. La cognition nue valide yoguique : elle détermine d’elle-même l’impermanence grossière et l’impermanence subtile ou l’absence d’un « moi » impossible grossier et l’absence d’un « moi » impossible subtil
  3. La cognition d’inférence valide : elle détermine d’elle-même une conclusion fondée sur le fil d’un raisonnement
  4. La cognition nue sensorielle valide de quelque chose qui remplit sa fonction : elle détermine d’elle-même ce qu’il se produit 
  5. La cognition nue sensorielle valide de quelque chose de familier : quand nous voyons quelqu’un que nous voyons tous les jours, marcher dans la rue, le fait de savoir qui il est va de soi.

La cognition dans laquelle la détermination de son objet nécessite d’être induite par une autre cognition (cognition valide alter-induite, gzhan-la nges-kyi tshad-ma) est une cognition qui sait de façon valide qu’elle va nécessiter une autre cognition pour pouvoir déterminer son objet. Quand on la divise selon les significations étymologiques du nom de ce mode de connaissance, on en distingue 3 types :

  1. La cognition nue sensorielle valide de quelque chose pour la première fois : par exemple, quand on regarde un nouvel appareil que nous venons d’acheter, son mode d’emploi ne va pas de soi. Nous savons de façon valide que, pour pouvoir déterminer comment l’utiliser, des informations supplémentaires seront nécessaires. 
  2. La cognition nue sensorielle quand notre esprit est inattentif : par exemple, quand nous sommes profondément absorbé dans nos réflexions au sujet d’une chose et que nous entendons quelqu’un nous dire quelque chose, nous savons de façon valide que cette personne aura besoin de répéter ce qu’elle a dit pour que nous puissions être sûr de ce qu’elle a dit.
  3. La cognition sensorielle qui a une cause de tromperie : par exemple, quand nous regardons un panneau sans nos lunettes et que nous voyons un flou, nous savons de façon valide que nous aurons besoin de mettre nos lunettes et de regarder de nouveau pour pouvoir savoir ce qui est sur le panneau. 

Les deux derniers modes de connaissance ne sont valides qu’au sens étymologique car que le deuxième est une cognition inattentive et le troisième est une cognition déformée. 

Il y en a également trois variétés de plus :

  1. La cognition valide dans laquelle l’apparence de quelque chose est auto-induite, mais la détermination de ce que c’est vraiment doit être induite par une autre cognition – par exemple : avec la cognition nue sensorielle valide, nous voyons quelque chose de rouge au loin. Nous savons de façon valide que c’est un objet rouge, mais nous savons aussi de façon valide que, pour pouvoir déterminer ce que c’est vraiment – par exemple : un feu – nous devons nous rapprocher et regarder de nouveau.
  2. La cognition valide dans laquelle la détermination de quelque chose en général est auto-induite, mais la détermination de ce que c’est spécifiquement doit être induite par une autre cognition – par exemple : avec la cognition nue sensorielle valide, nous voyons une personne au loin. Nous savons de façon valide que c’est une personne, mais nous savons aussi de façon valide que, pour pouvoir déterminer spécifiquement qui est cette personne, nous devons nous rapprocher et regarder de nouveau. 
  3. La cognition valide dans laquelle la détermination de l’apparition effective de quelque chose doit être induite par une autre cognition – par exemple, nous ne sommes pas sûr que ce que nous voyons en bas de la rue est bien notre bus arrêté au feu de circulation, nous pensons que c’est peut-être ce que nous voyons, mais nous savons de façon valide que, pour pouvoir déterminer si effectivement c’est notre bus que nous voyons, il nous faut regarder de nouveau plus attentivement. 

Mais cette dernière variété n’est valide que nominalement parce que, en fait, elle peut être soit une cognition non déterminante si ce n’est pas notre bus, soit une cognition déformée si c’est notre bus. 

Les variantes prasangika

L’école prasangika définit la cognition valide comme une cognition non trompeuse, c’est-à-dire : comme une cognition exacte et décisive. Elle n’inclut pas la cognition « neuve » dans sa définition parce que – conformément à la réfutation prasangika de l’existence auto-établie – aucune cognition ne survient d’elle-même, par son propre pouvoir. Si une cognition pouvait survenir par son propre pouvoir, elle serait auto-établie. Aussi les prasangika n’affirment pas la cognition subséquente.  

L’école prasangika redéfinit ce que l’école sautrantika appelle « cognition nue ». Selon la définition des sautrantika, ce mode de connaissance valide est toujours non conceptuel : l’objet est appréhendé sans l’intermédiaire d’une catégorie mentale. La cognition nue est forcément neuve, car ils mettent en avant le préfixe pra de pranama, le terme sanskrit pour « cognition valide », dans le sens de « premier » ou de « nouveau ». Or, pour les prasangika, pra connote « valide » ou « correct ». Par conséquent, ils redéfinissent ce mode de connaissance valide comme étant une cognition qui ne repose pas sur le fil d’un raisonnement. Donc, pour les prasangika, la cognition nue est une cognition directe. Aussi, la cognition que l’école sautrantika affirme être une cognition nue sensorielle subséquente est classifiée comme une cognition directe sensorielle non conceptuelle par l’école prasangika, et la cognition que l’école sautrantika appelle une cognition nue yoguique subséquente est classifiée comme une cognition directe yoguique non conceptuelle par l’école prasangika. Et ce que l’école sautrantika classifie comme une cognition d’inférence subséquente, l’école prasangika l’appelle cognition directe conceptuelle parce qu’elle ne repose plus sur le fil d’un raisonnement. 

La cognition directe mentale peut aussi être conceptuelle. Un exemple de cognition directe mentale conceptuelle est la bodhichitta non contrainte, laquelle se produite sans reposer sur un raisonnement.

Le point de vue prasangika n’affirme pas la conscience réflexive. Tandis que les cognitions valides appréhendent explicitement leurs objets d’implication, elles s’appréhendent implicitement elles-mêmes et leur propre validité. 

Le point de vue prasangika tel qu’il est représenté par Chandrakirti dans les Mots Clairs (skt. Prasannapada), un commentaire des Versets racines sur le Madhymaka de Nagarjuna, affirme quatre modes de connaissance valide :

  • La cognition directe valide
  • La cognition d’inférence valide
  • La cognition valide fondée sur une autorité : équivalente à l’assertion d’une cognition d’inférence fondée sur la conviction
  • La cognition valide à travers un exemple analogue (nyer-‘jal tshad-ma) : par exemple, savoir de façon valide comment se rendre à une destination en regardant la route telle qu’elle est représentée sur une carte. L’exemple classique est celui de savoir ce qu’est un zébu par analogie avec un taureau blanc avec une bosse sur le dos et un long fanon sous le cou. Cette cognition peut aussi être classifiée comme type de cognition d’inférence.  

Les sept modes de connaissance de la vacuité 

Les sept modes de la connaissance décrivent le processus qui mène à l’atteinte de la cognition non conceptuelle de la vacuité. Il est très utile de connaître ces étapes pour pouvoir jauger notre progrès.

D’abord, en tant qu’êtres ordinaires, notre cognition de la vacuité (ou du vide) est déformée et accompagnée d’inconnaissance. Nous en sommes complètement inconscients. Notre cognition de toute chose est déformée quant au mode d’existence des choses – nous les appréhendons comme si elles étaient auto-existantes. Ensuite notre cognition déformée de la vacuité est accompagnée de l’inconnaissance du fait que nous l’appréhendons de manière incorrecte avec, sans doute aussi, une attitude antagoniste à son égard. Nous imaginons qu’elle relève du néant et d’une assertion nihiliste. Mais pour pouvoir aller plus loin, nous avons besoin d’un esprit ouvert et non pas d’un esprit hostile et antagoniste. 

De plus, quand nous écoutons un discours sur la vacuité, si nous regardons notre téléphone portable pendant que l’enseignant donne des explications, notre entente des explications sur la vacuité sera non déterminante. Nous ne pourrons pas nous souvenir d’un mot de ce qui a été dit. Et si notre esprit était perdu dans ses pensées, alors notre cognition des mots n’était qu’une cognition auditive apparemment nue ; par conséquent, nous ne nous en souviendrons pas non plus, parce que nous n’avons pas accordé d’attention à ce qui était dit. 

Mais si nous avons vraiment écouté les mots avec une cognition nue auditive valide et si nous sommes certain de ce que nous avons entendu, alors, après les phases de cognition nue subséquente auditive et de cognition nue non déterminante, puis d’un infime instant de cognition nue mentale du son du mot « vacuité », nous appréhendons conceptuellement la vacuité (nous pensons « vacuité ») à travers la catégorie audio du son du mot « vacuité ». Mais soit nous ne l’appréhendons pas, en plus, à travers une catégorie de significations (nous n’avons toujours pas idée de ce que la vacuité signifie), soit nous l’appréhendons conceptuellement à travers une catégorie de signification incorrecte (nous avons une idée incorrecte de la signification de la vacuité, ainsi notre cognition conceptuelle est-elle non valide). 

Il se peut ensuite que nous ayons un vacillement indécis quant à la véracité de la vacuité. D’abord ce vacillement va pencher vers sa non-acceptation, puis sera peut-être partagé de manière égale entre non-acceptation et acceptation, mais finalement il penchera vers son acceptation en tant que vue correcte. Lors de cette étape, nous savons de façon valide que, pour obtenir une certitude quant à la signification de la vacuité, nous devrons nous reposer sur une cognition supplémentaire. Il nous faudra apprendre encore et réfléchir encore à la vacuité. Lorsque nous comprenons, au moins superficiellement, ce que la vacuité signifie, nous pouvons l’envisager avec un vacillement indécis, à la fois à travers une catégorie audio et une catégorie de signification correcte. 

 À l’étape suivante nous abordons la vacuité avec une présomption : nous présumons sa véracité, mais encore faut-il vraiment nous en convaincre. À noter que nous pourrions tout aussi bien présumer qu’une signification incorrecte de la vacuité est correcte, auquel cas cette cognition serait une cognition conceptuelle déformée. Pour pouvoir être pleinement convaincu de la signification correcte de la vacuité, nous devons conclure, sur la base du fil d’un raisonnement valide, que toute chose est dénuée d’existence auto-établie. Mais quand bien même connaîtrions-nous le fil du raisonnement valide qui mène à cette conclusion, tant que nous n’en sommes pas convaincus ou que nous ne le comprenons pas vraiment, nous restons dans la présomption. Avec la cognition d’inférence valide de la vacuité, nous comprenons le fil du raisonnement et sommes convaincus qu’il prouve la véracité de la vacuité. 

Maintenant, quand nous méditons conceptuellement sur la vacuité, nous avons initialement une cognition d’inférence valide de celle-ci quand notre cognition est neuve, puis nous en avons une cognition d’inférence subséquente et, pour finir, une cognition d’inférence non déterminante. Mais notre méditation ne relèvera des deux premières phases de cognition d’inférence que dans la mesure où nous resterons focalisés sur la vacuité à travers sa catégorie de signification correcte et où nous nous y appliquerons avec certitude. Si notre attention s’échappe ou si nous nous focalisons seulement sur les mots à travers des catégories audio, mais sans catégorie de significations, alors nous n’appréhendons pas la vacuité dans notre méditation. Quand nous atteignons l’état d’union de shamatha et de vipahyana focalisé sur la vacuité, notre méditation conceptuelle sur la vacuité a uniquement une cognition d’inférence valide et une cognition d’inférence subséquente. 

Selon le schéma de classification prasangika, que ce soit avec ou sans l’état d’union de shamatha et de vipashyana, notre cognition d’inférence subséquente de la vacuité serait une cognition conceptuelle directe de la vacuité. Quand nous n’avons plus du tout besoin de suivre le fil d’un raisonnement pour générer une cognition conceptuelle correcte de la vacuité, même notre premier instant de cognition conceptuelle de la vacuité serait une cognition directe conceptuelle de la vacuité. 

Quand finalement nous atteignons la cognition non conceptuelle de la vacuité, l’école sautrantika la classifierait comme étant une cognition nue yoguique de la vacuité (bien que, certes, les sautrantika n’affirment pas la vacuité). Les prasangika la classifierait comme étant une cognition directe yoguique non conceptuelle.

Tout au long de ce processus, si nous sommes capables de nous rappeler que nous méditons sur la vacuité, ce serait, selon les sautrantika, l’œuvre de la cognition nue valide et subséquente de la conscience connaissante réflexive qui accompagne notre cognition. Les prasangika expliqueraient que, quand nous appréhendons la vacuité avec une cognition d’inférence, ou avec une cognition directe conceptuelle ou non conceptuelle, nous appréhendons implicitement le fait que la cognition a lieu est qu’elle est valide. Dans un cas comme dans l’autre, quand nous nous rappelons que nous méditons sur la vacuité, c’est avec une cognition trompeuse, conceptuelle apparemment nue à travers la catégorie de signification « méditation sur la vacuité ».   

Ainsi le fait de savoir à quel stade en est notre compréhension actuelle de la vacuité et quelles sont les étapes à suivre pour obtenir une cognition non conceptuelle de celle-ci ne peut que raffermir notre confiance en la voie graduée. 

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