Le soi en relation avec notre discussion sur le karma
Définir le soi ou le « moi »
Nous pouvons maintenant commencer notre discussion sur le soi, le « moi », et la relation du soi avec ce dont nous avons parlé jusqu'à présent. Nous avons vu que tous les différents éléments de la causalité karmique pendant une action, après l'action et au moment du résultat peuvent être classés dans les cinq agrégats. Un agrégat est un assemblage de nombreux facteurs qui constituent chaque instant de notre expérience. Les cinq agrégats comprennent tous les phénomènes non statiques. Les phénomènes statiques tels que les catégories et le vide [vacuité] ne sont pas inclus dans le schéma des cinq agrégats.
Le soi, le « moi », étant non statique, fait partie des cinq agrégats et est classé dans l'agrégat des autres variables incidentes. Il n'est pas séparé des cinq agrégats, mais en fait partie. C'est un phénomène d'imputation non statique fondé sur tous les autres éléments des cinq agrégats. En tant que tel, ce n'est ni une forme de phénomène physique ni une manière d'être conscient de quelque chose.
Nous avons vu qu'il existe de nombreux types de phénomènes d'imputation non statiques qui ne sont ni une forme des phénomènes physiques ni une manière d'être conscient de quelque chose et qui changent d'instant en instant. On peut citer d’autres exemples que la personne ou le « moi », tels que l'âge, le temps et la vitesse. Du point de vue Sautrantika tel qu'expliqué dans les traditions Guéloug, ces phénomènes d'imputation sont des entités objectives et peuvent être connus de manière non conceptuelle. Nous pouvons voir, par exemple, une personne. Nous ne voyons pas seulement des pixels, des formes colorées et un corps. Nous voyons également une personne.
Imputation, désignation et étiquetage mental
Il existe une grande différence entre ce que j'appelle « imputation », « désignation » et « étiquetage mental », bien que ces trois termes soient identiques en tibétain. J'utilise donc le terme « phénomène d'imputation » comme terme général pour désigner les trois. Comme cette distinction peut prêter à confusion, je vais l'expliquer brièvement.
J'utilise le terme « imputation » pour désigner les phénomènes d'imputation qui ne sont pas statiques. Ce sont des entités objectives qui peuvent être connues de manière non conceptuelle. Bien que certains phénomènes d'imputation puissent être des formes des phénomènes physiques, comme un objet entier, et que d'autres puissent être des modes de connaissance, comme une humeur, d'autres encore, comme une personne, ils ne sont ni une forme de phénomène physique ni un mode de connaissance. Limitons notre discussion à ces derniers.
Nous pouvons voir une personne ou voir qu'un objet en mouvement a une certaine vitesse, ce genre de choses. Nous pouvons entendre une phrase. Nous arrive-t-il même de réfléchir à cela ? Nous n'entendons qu'une minuscule syllabe d'un son à la fois. Nous n'entendons pas toute la phrase en un instant simultanément. Néanmoins, il serait absurde de dire que nous n'entendons pas la phrase ou ce que les gens disent. Une phrase est une entité objective et peut être connue par l'ouïe, de manière non conceptuelle.
Que quelqu'un entende une phrase ou non n'a pas d'importance. Nous prononçons toujours une phrase lorsque nous parlons. Le même phénomène s’applique même si quelqu'un pense qu'il y a une personne ici ou non, car nous sommes toujours une personne. Ce sont des entités objectives, et peu importe que quelqu'un d'autre les voie ou les connaisse. C'est la réalité objective. D'accord ?
Lorsque nous parlons d'étiquetage mental, cela a trait à des catégories statiques. La désignation a trait aux mots qui sont attribués à des catégories. Les catégories ne peuvent être connues que conceptuellement, et non de manière non conceptuelle. Que quelqu'un nous voie ou pense à nous n'a pas d'importance. Nous sommes toujours une personne. Cependant, un concept, une catégorie, n'existe que lorsque quelqu'un y pense. C'est la même chose que le nom d'une chose ou le mot qui la désigne. Cela n'existe que lorsque nous pensons réellement qu'un élément appartient à une catégorie portant ce nom. Les catégories et leurs noms, les mots qui les désignent, ne concernent que la cognition conceptuelle. Nous ne parlons pas ici du fait d'entendre quelqu'un prononcer un mot, car l’entendre est non conceptuel.
La cognition conceptuelle passe par l'utilisation de catégories, tandis que la cognition non conceptuelle ne contient aucune catégorie. Une catégorie est comme une boîte mentale. Par exemple, nous avons la catégorie « chien », et donc tout animal qui présente certaines caractéristiques, nous le percevons comme appartenant à cette catégorie « chien ». Nous n'avons pas besoin d'associer le mot « chien » à cette catégorie. Les chiens n'ont pas de mots associés à cette catégorie, mais en tant qu'êtres humains, nous avons un mot qui y est associé. Nous l'appelons « chien » en français. D'autres l'appellent autrement en russe. Ce sont des processus conceptuels qui ont à voir avec la catégorie à laquelle appartient « un animal ». Objectivement, c'est un chien, ce n'est pas un chat. Cependant, la façon dont nous savons ou percevons que cet animal est un chien s’opère en le classant dans la catégorie « chien ».
Lorsque nous voyons cette chose là-bas avec quatre pattes, ce n'est pas rien. Ce n'est pas une chaise. C'est un chien, n'est-ce pas ? Nous voyons un chien, peu importe que nous sachions ou non que c’en est un. C'est toujours un chien, pas une chaise, et ce n'est pas rien. C'est la réalité conventionnelle ou commune. En résumé, savoir que c'est un chien, le classer dans une catégorie, c'est un étiquetage mental, et savoir comment cela s'appelle, c'est une désignation, qui se fait avec un mot.
Il existe des catégories d'objets, comme les chiens, et il existe également ce que l'on appelle des catégories auditives. Lorsque quelqu'un prononce le son « chien », peu importe le volume, la qualité de la voix ou la prononciation, nous pouvons comprendre qu'il s'agit du son du mot « chien » et qu'il appartient à cette catégorie auditive. Sinon, nous ne serions pas capables de comprendre différentes personnes parlant une même langue.
Il existe également une catégorie de signification que nous associons à la catégorie auditive. C'est ainsi que fonctionne le langage. C'est conceptuel. C'est la même chose avec la lecture d'un mot écrit. Comment est-ce possible ? Prenons par exemple le mot écrit « chien ». Peu importe la police, la taille, la couleur ou l'écriture avec laquelle le mot apparaît, nous le classons dans la catégorie du mot « chien » et nous lui attribuons une catégorie de signification.
Il en va de même pour le soi, le « moi », comme pour un chien. Un soi est une imputation non statique. Nous devons différencier l'imputation objective « moi » de l'étiquette mentale conceptuelle « moi » et du mot conceptuel « moi », ou de notre propre nom. Ce sont des types de phénomènes très différents.
Une expérience pour analyser le soi en tant qu'imputation
Une expérience très intéressante consiste à disposer une série de photographies de nous-mêmes à différentes étapes de notre vie, depuis notre enfance jusqu'à aujourd'hui. Qui sont les personnes sur ces photographies ? Elles sont toutes « moi » en tant qu'imputation sur ces photographies. C'est objectivement « moi » et non quelqu'un d'autre.
Comment savons-nous qu'il s'agit bien de « moi » ? Nous avons l'air très différent sur chacune d’entre elles. Nous avons une catégorie conceptuelle, « moi », et nous classons toutes ces photos dans cette catégorie. Elles sont toutes « moi » et entrent dans la case « moi » et non dans la case « toi ». Nous connaissons notre nom, nous pouvons donc donner un nom à la catégorie « moi » et appliquer ce nom à toutes les photos. Cependant, s'il s'agit d'une série de photos de quelqu'un d'autre, nous pourrions reconnaître qu'il s'agit de photos de la même personne en voyant qu'elles entrent toutes dans la catégorie d'une personne individuelle, mais nous ne connaîtrions peut-être pas son nom. Il n'est pas obligatoire de désigner la catégorie par un nom.
La distinction entre ces trois termes est fondamentale et très importante à comprendre. Les trois sont le même mot en tibétain, car ils partagent tous une certaine caractéristique. Ils ne peuvent exister que sur la base d'une certaine base d'imputation et ne peuvent être connus séparément sans connaître d'abord cette base, puis sans y être associés. C'est assez complexe à comprendre. Néanmoins, l'imputation, l'étiquette mentale et la désignation sont des choses bien distinctes.
La différence entre le soi conventionnel et le faux soi
En gardant ces distinctions à l'esprit, nous devons examiner les caractéristiques du soi. Il y a le soi conventionnel, qui ne doit pas être réfuté, et il y a le faux soi, qui doit être réfuté. Ce faux soi est celui que nous imaginons être une entité solide, isolée de tout et de tous, mais qui en fait ne correspond à rien de réel. Il y a une absence totale de tout ce à quoi il pourrait correspondre. Cette absence s'appelle le vide, une absence totale ; cela n'existe pas, cela n'a jamais existé et n'existera jamais.
À Noël, il y a des gens à Moscou qui s'habillent comme le Père Noël, c'est un bon exemple. Voici une personne habillée comme le Père Noël. Elle ressemble au Père Noël, mais ce n'est pas vraiment le Père Noël, car le Père Noël n'existe pas. Néanmoins, c'est toujours une personne, une personne qui ressemble à quelque chose d'impossible, le Père Noël. Cela ne correspond pas à la réalité. C'est la différence entre le soi conventionnel, la personne qui ressemble au Père Noël, et le faux soi qui est réellement le Père Noël.
C'est en fait la compréhension du Madhyamaka Svatantrika, mais c'est un bon point de départ pour comprendre le vide. L'exemple du Prasangika serait un dessin animé du Père Noël. Le dessin animé ressemble au Père Noël, mais ce n'est pas le Père Noël, car cette personne n'existe pas. Lorsque nous cessons d'examiner le Père Noël, il y a néanmoins des personnes. Restons-en à l'exemple du Svatantrika, car il est plus facile à comprendre.
Le soi qui fait l'expérience du karma en opposition au faux soi
Il y a le « moi » conventionnel qui fait l'expérience du karma, cela équivaut à la personne déguisée en Père Noël. Et puis il y a le faux « moi », qui est une personne horrible, coupable et responsable de tout ce qu'elle vit. Cette personne horrible équivaut au Père Noël lui-même. Le « moi » conventionnel est celui qui est responsable, qui doit faire face à ce qui se passe et à la manière dont il y réagit. Le faux moi, le Père Noël, l'affreux, est celui qui est coupable et responsable de ce qu'il vit. Mais en réalité, personne n'est coupable, car celui que nous imaginons coupable ne correspond pas à la réalité. Personne n'est la cause unique de tout ce qui lui arrive ou de tout ce qu'il vit, comme dans l'exemple de la personne qui pense que son équipe a perdu le match de football parce qu’elle a assisté au match.
Les caractéristiques des cinq agrégats : la base d'imputation du soi
Nous devons donc comprendre ce qu'est exactement le soi, le « moi ». Le soi est une imputation sur le continuum des cinq agrégats. Les cinq agrégats sont connus comme la base d'imputation. Ils ont pour caractéristiques d'être non statiques, c’est-à-dire qu’ils changent d'instant en instant, et non monolithiques. Ils sont composés de nombreuses parties qui changent toutes à des rythmes différents. Un corps, même un corps mort, n'existe pas séparément et indépendamment du fait d'être le corps d'une personne. Il en va de même pour les autres agrégats. Un esprit, la colère, le bonheur, ne peuvent exister séparément et indépendamment du fait d'être l'esprit, la colère ou le bonheur d'une personne.
Le soi qui est une imputation sur les agrégats ayant ces caractéristiques comme base possède également les mêmes caractéristiques. Tout comme les agrégats qui sont non statiques et en changement constant, le soi change constamment. S'il ne changeait pas constamment, il ne pourrait être affecté par quoi que ce soit se produisant et ne serait pas capable de réagir. Il ne pourrait pas être l'agent des impulsions karmiques, ne pourrait pas accumuler de répercussions karmiques et ne pourrait rien expérimenter comme résultat s'il ne changeait pas d'instant en instant.
Tout comme les agrégats, le soi n'est pas monolithique ou sans parties, car s'il était sans parties, il ne pourrait pas avoir les deux aspects distincts du « moi » qui commet l'action et du « moi » qui en expérimente les résultats. Ce sont des parties qui évoluent dans le temps.
Si le soi était indépendant et pouvait exister séparément et indépendamment d'un corps et d'un esprit, il devrait être capable d'agir sans corps. Il devrait pouvoir penser sans esprit. Le corps devrait pouvoir faire des choses sans aucune intention de sa part. Ce n'est pas le cas. De plus, le soi, le « moi », serait capable de faire des choses destructrices sans en subir les conséquences.
Il n'existe donc pas de soi statique, sans parties et indépendant, séparé des cinq agrégats, un soi qui vit à l'intérieur du corps et de l'esprit et les fait fonctionner comme s'ils lui appartenaient. Un tel soi est ce que j'ai appelé un « moi » solide, le faux « moi ». C'est simplement une façon facile de décrire un tel moi : un « moi » solide est un moi qui ne change jamais et qui n'a pas de parties. C'est simplement une chose concrète, monolithique et indépendante. Elle s’installe dans le corps et l'esprit et les fait fonctionner comme une machine pour accomplir des actions et ainsi commettre des actions karmiques sans être responsable des conséquences. C'est absurde et cela ne correspond pas à la réalité. Cependant, c'est ce que nous ressentons. Nous avons l'impression qu'il y a un « moi », une chose à l'intérieur de notre tête qui parle, qui est l'auteur de la voix qui résonne dans notre esprit. « Cela ne devrait pas m'arriver. Ce n'est pas juste. Je ne vaux rien. » Il se plaint et dit toutes sortes de choses de ce genre.
L’absence de soi grossière : le vide grossier d'une personne
L'inexistence totale et l'absence de quoi que ce soit qui corresponde à cette fausse construction conceptuelle d'un soi statique, sans parties et indépendant est ce qu'on appelle l’absence de soi grossière ou l'absence d'identité d'une personne, en somme, le vide grossier d'une personne.
Le processus pour comprendre le vide grossier de nous-mêmes en tant que personne dans le contexte du karma est le suivant : nous devons d'abord connaître toutes les composantes du karma, ses répercussions et ses résultats. Ensuite, nous décomposons les moments de notre expérience en cinq agrégats et y intégrons ces aspects du karma. Nous examinons ensuite le « moi » qui est une imputation sur la base des cinq agrégats qui contiennent tous ces aspects du karma. Nous essayons de voir que, tout comme les cinq agrégats qui constituent la base du soi sont non statiques, ont des parties et ne peuvent exister indépendamment d'un soi, de même le soi, le « moi », en tant qu'imputation sur la base de tous ces agrégats à chaque instant, est également non statique, a des parties et ne peut exister indépendamment et séparément de ces agrégats. Un soi, une personne, ne peut exister en dehors d'un corps, d'un esprit, d'émotions, etc. C'est le type de soi qui fait l'expérience du karma.
C'est le premier niveau, le niveau le plus grossier de compréhension du vide du « moi » conventionnel en tant qu’imputation et de ce que cela signifie réellement en tant qu'imputation non statique sur une base composée de multiples parties en constante évolution. C'est la première étape de la déconstruction du faux « moi ».
Le niveau suivant que nous devons déconstruire est celui où nous avons l'impression que le soi peut être connu en soi, de manière autonome. Il semble être connaissable de manière autosuffisante, il semble que nous pouvons le connaître sans connaître d'abord certains des agrégats qui sont la base d'imputation à un moment donné, puis cette base et le soi en même temps. Si une personne pouvait être connue simplement par elle-même – par exemple, « moi » – et que je blesse quelqu'un, alors je pourrais exister et être connu dissocié de ce que j'ai fait. Je pourrais me considérer comme quelqu'un qui n'a jamais rien fait de mal, et j'aurais raison. Mais ce serait me duper moi-même, ne pas affronter la réalité et ne pas assumer la responsabilité de mes actes. L'absence d'un « moi » connaissable de manière autosuffisante est l’absence subtile de la personne ou l'absence subtile d'identité de la personne.
Le troisième niveau à déconstruire est l'idée fausse selon laquelle le soi, le « moi », a une existence auto-établie, dite « inhérente », et qu'il a une identité auto-établie en tant que « le coupable à blâmer ». Comment établissons-nous qu'il existe un soi et que nous existons ? Lorsque nous examinons nos agrégats – notre corps, notre esprit, nos émotions, etc. – nous ne trouvons rien en eux qui fasse de moi « moi ». Même si nous considérons notre génome unique, y a-t-il quelque chose dans l'un des chromosomes de l'ADN qui fasse de moi « moi » ? Non. Le soi n'est que ce à quoi se réfèrent le concept et le mot « moi » lorsqu'ils sont étiquetés sur les agrégats multiples en constante évolution.
Lorsque nous déconstruisons toute cette construction conceptuelle selon laquelle nous sommes une personne horrible et coupable, nous voyons que cette croyance ne fait référence à rien de réel. Ce n'est pas comme si quelqu’un nous voyait et savait que nous sommes mauvais et coupables sans même savoir rien de ce que nous avons fait. C'est clairement absurde, n'est-ce pas ?
Application de la déconstruction du soi dans la vie quotidienne
Appliquons cette analyse à un exemple pratique. Par exemple, quand j'étais très jeune, j'ai tué beaucoup de mouches dans le porche arrière de la maison qui menait aux poubelles. Je l'ai fait quand j'étais un enfant en bas âge. Cependant, je ne suis pas un phénomène statique et figé, je peux changer mon comportement. Si j'étais statique, je ne pourrais jamais changer mon comportement et je resterais insensible à ce que j'ai fait. Mais je ne suis pas insensible. Je suis poussé à regretter ce que j'ai fait.
Je ne suis pas non plus dépourvu de parties. Je n'ai pas seulement tué des mouches dans ma vie. J'ai fait beaucoup d'autres choses, certaines bonnes. Je ne suis pas seulement une chose, un tueur de mouches dépourvu de parties. Ce n'est pas non plus comme s'il y avait un « moi » qui est entré dans mon corps en tant qu'entité indépendante et qui, après être entré dans le corps, l'a utilisé comme une tapette à mouches pour tuer des mouches. C'est également ridicule. D'ailleurs, je ne pourrais pas tuer des mouches en tant qu'entité indépendante d'un corps. C'est le corps qui tue les mouches. Cela montre que le soi n'existe pas indépendamment du corps. Il n'entre pas dans le corps et n'utilise pas ses bras pour tuer des mouches.
Je ne peux pas me considérer comme une personne coupable et horrible indépendamment de ce que j'ai fait, à savoir tuer des mouches. Toute cette idée selon laquelle je peux être connu de manière autosuffisante par moi-même, indépendamment du fait de connaître quoi que ce soit d’autre, et avoir cette caractéristique d'être coupable, ne tient pas la route, n'est-ce pas ? Et si être coupable était ma véritable identité, établie en moi, alors tous ceux qui me rencontreraient me verraient immédiatement comme une personne horrible et mauvaise.
La culpabilité par opposition à la responsabilité pour les actions karmiques
La « personne coupable » en tant que catégorie
Au niveau suivant, nous commençons à examiner ce qu'est une personne coupable. Une personne coupable est une catégorie, désignée par les mots « personne coupable ». Nous ne pouvons établir quelqu'un comme coupable qu’en relation avec cette catégorie, ce concept, ce mot et cette étiquette mentale. Il y a une personne, c’est un fait, et cette personne change constamment, à chaque instant, toutes ses parties changent encore et encore, puis il y a aussi des causes, des répercussions et des résultats karmiques.
Nous sommes responsables et devons assumer ce que nous avons fait et essayer de changer. Nous ne sommes pas statiques, nous pouvons donc changer. Nous pouvons regretter et modifier notre comportement. Néanmoins, il existe cette catégorie de « personne coupable », cette convention et les mots qui y sont associés. Nous ne sommes établis comme une personne coupable, mauvaise, qu’en relation avec ce à quoi ce concept et ces mots font référence, sur la base d’un certain comportement.
Il existe une convention que la société accepte concernant une « personne coupable », mais qu'est-ce qu'une personne coupable ? C'est quelqu'un à qui ce terme se réfère sur la base de certains comportements. Il n'y a rien de dûment établi comme étant une personne coupable indépendamment de ce concept de personne coupable. Si quelqu'un était établi de son propre côté comme étant une personne coupable, alors toutes celles et ceux qui verraient cette personne, y compris le chien, ou toute personne issue d'une société qui pense que tuer des mouches est une chose mauvaise, verrait en elle une personne coupable. Tout le monde la verrait ainsi. Cependant, nous ne sommes une personne coupable que par rapport à ce concept et à ce qu'il désigne.
Autre exemple de phénomène d'imputation
D'autres exemples peuvent aider à mieux comprendre. J'ai mentionné que j'étais allé au Ballet du Bolchoï hier soir. Il y avait beaucoup de gens vêtus d'habits étranges qui faisaient toute sorte de gestes sur scène. C'est ce que j'ai vu. Qu'est-ce qui établit qu'il s'agit d'un ballet ? J'ai une notion de ce qu'est un ballet et je connais le mot « ballet » qui y est associé. Ce que j'ai vu était un ballet, sinon, cela aurait simplement été des gens qui sautaient partout sur scène. Très bien. Pourquoi sautent-ils ?
Conventionnellement, c'est un ballet. Toutes celles et ceux qui viennent d'une société qui accepte qu'il existe une chose telle qu'un ballet seraient d'accord. C'est un ballet et non un match de football. Cependant, nous ne pouvons établir, prouver ou démontrer qu'il s'agit d'un ballet qu'en relation avec la catégorie « ballet » et la désignation de celui-ci par le mot « ballet ».
Le ballet est un phénomène d'imputation, une synthèse de l'ensemble. Qu'est-ce qu'une vie ? C'est une synthèse de tous ces moments. Que nous l'appelions vie ou non est conceptuel. Néanmoins, conventionnellement, c’est une vie ou un ballet.
Le soi en tant que synthèse des composants conceptuellement isolables
Ce que nous comprenons donc, c'est que chaque moment semble être une chose solide, n'est-ce pas ? Cependant, chaque moment est composé de toutes ces différentes parties que nous pouvons classer en cinq agrégats. Au sein des cinq agrégats se trouvent les facteurs karmiques, et « moi » fait partie de l'ensemble. Aucun de ces éléments n'existe comme un ensemble de balles de ping-pong, toutes séparées, individuelles et solides. Ce n'est pas ce qui compose chaque instant. Ce n'est pas comme ça.
Conceptuellement, nous pouvons isoler chacune de ces parties. Nous pouvons isoler, conceptuellement, l'intention, l'émotion, la pulsion et le « moi ». Et que sont ces parties ? Elles sont ce à quoi les concepts font référence. Cependant, nous en faisons l’expérience comme un tout. Bien que nous puissions isoler conceptuellement toutes ces choses afin de pouvoir comprendre, analyser et étudier le problème, cela ne signifie pas que chacune d'entre elles existe isolément les unes des autres. Il existe tout un réseau où tout interagit. Conventionnellement, elles se produisent, mais pour pouvoir travailler avec elles, on les établit en les isolant conceptuellement.
Qui est à blâmer ?
Il y a donc une grande différence entre ce « moi » solide et faux – une balle de ping-pong qui est à blâmer et coupable indépendamment de tout ce que nous avons fait – et le « moi » conventionnel qui a la capacité de changer. Ce « moi » solide est faux. Il ne correspond pas à la réalité.
Par conséquent, qui est à blâmer ? Personne n'est à blâmer, car le concept même du « moi » qui pourrait être blâmé et le concept de blâme sont faux. Néanmoins, le « moi » conventionnel est responsable. Le « moi » conventionnel, en tant qu'imputation, est celui qui fait l'expérience de toutes les choses que nous avons faites en tant qu'agent, celui qui en subit les résultats et celui qui est responsable du changement.
La responsabilité est fondée sur le « moi » conventionnel, avec la compréhension de la manière dont il existe et de toutes les choses sur lesquelles il est une imputation, tandis que le « moi » qui est coupable et à blâmer est fondé sur le faux « moi ».
Par conséquent, plus nous nous familiarisons avec tout ce processus de déconstruction et plus nous le répétons afin de nous y habituer encore davantage, plus nous serons capables de l'appliquer lorsque nous commencerons à nous sentir coupables, à nous blâmer ou à penser : « Pourquoi cela m'arrive-t-il, à moi, moi, moi ? » Nous serons capables d'observer tout ce train de pensées très malheureuses et saurons qu'il est fondé sur des absurdités. Nous comprendrons que même si nous pouvons être étiquetés comme « la personne coupable et horrible », nous n'avons pas besoin d’en faire notre identité permanente et de nous y accrocher. Nous pouvons tout aussi bien nous qualifier de « personne responsable de ses actes » et, sur cette base, prendre des mesures pour éviter de répéter les actions destructrices que nous avons commises et pour purifier le potentiel négatif que nous avons accumulé.
De cette manière, plus nous pouvons nous concentrer sur le fait que nous dévaloriser est absurde et ne correspond pas à la réalité, et plus nous pouvons briser l'inertie de cette façon de penser négative. Même si nous recommençons à penser négativement, l'énergie qui se cache derrière, la pulsion de penser ainsi, s’atténuera. Peu à peu, nous l’affaiblissons jusqu’à nous en débarrasser.
Dédicace
Nous terminons par une dédicace. Nous pensons que toute la compréhension et la force positive qui ont émergé de cette discussion puissent s'approfondir de plus en plus et agir comme une cause pour que chacun atteigne l'état illuminé d'un bouddha, pour le bien de tous.