Avoir un maître spirituel

Gérer des situations problématiques

Nous avons parlé de toute cette question de ce que je devrais ou ne devrais pas faire, et de la peur qui en découle, etc. Nous avons vu que tout le problème tourne autour d’une idée fausse que nous avons de nous-mêmes. Nous devons faire une claire distinction entre l’existence habituelle, conventionnelle de nous-mêmes et de tout ce qui nous entoure, et l’existence solide qui en vérité n’existe pas du tout. Rappelez-vous, quand nous parlons de vide (de vacuité), nous parlons d’une absence de modes d’existence impossibles, lesquels n’existent en aucune façon.

Mais comment les choses existent-elles vraiment ? Dans le bouddhisme, nous disons que tout existe en termes de production dépendante à partir de très nombreux facteurs – causes, parties, étiquettes, et concepts les désignant, etc. Restons-en au niveau où les choses s’élèvent et existent en dépendance de causes et de conditions. De ce point de vue, on peut dire que les choses ne sont pas solides – solides dans le sens qu’elles surgiraient « solidement » de juste une seule cause – mais plutôt que tout est complexe et donc se manifeste à partir d’interactions très diverses.

Par exemple, quand nous sommes confrontés à des situations, les choses ne sont pas blanches ou noires : « Vous devriez faire ceci et vous ne devriez pas faire cela », et, à cause de cela, il n’y aurait qu’une seule manière correcte d’agir tandis que l’autre serait mauvaise. En réalité, toute situation problématique où nous pourrions nous trouver est très complexe et la solution que nous y apportons dépend de très nombreux facteurs. Donc, décider quoi faire requiert une grande dose de sensibilité et de conscience. Quand on commence à dépasser ce syndrome du « devoir » ou « ne pas devoir » consistant à suivre les lois sans discrimination, cela ne veut pas dire que peu importe ce que nous décidons ou faisons parce que tout est dans nos imaginations. Ce que cela veut dire, c’est que plutôt que d’être rigide dans notre aptitude à résoudre des situations problématiques :  – « Voici le code de loi et donc permettez-moi juste de trouver la bonne loi et de la suivre », ce qui serait la manière rigide, solide de réagir en termes de « devoir » et « ne pas devoir » – au lieu de cela, nous faisons usage de notre pouvoir de discrimination, de notre sagesse et de toute notre expérience pour trouver la solution appropriée à la situation. Cela requiert une grande dose de souplesse. Plus nombreux sont les facteurs que nous prenons en compte pour essayer de résoudre le problème, et plus grandes sont les chances que nous avons de le résoudre avec sagesse. Quand on ne prend pas en considération un grand nombre de facteurs, on en arrive à une solution qui ne résoud pas vraiment le problème.

Donc, quand nous disons que les choses ne sont pas blanches ou noires, cela ne nie pas le fait qu’on peut avoir soit une solution efficace, soit une solution inefficace au problème. Il est important de garder cela à l’esprit. De même, nous devons nous rappeler que nous ne sommes pas Dieu. Nous ne pouvons pas juste résoudre tous les problèmes d’un claquement de doigt.  

Accumuler la force positive pour réaliser le vide (la vacuité)

Est-il possible de réaliser la vacuité ou le vide par nous-mêmes au cours d’une session de méditation, et comment faire pour atteindre cela ? Ou bien est-ce seulement possible si nous sommes présentés à la vacuité par un maître ?

Tsongkhapa n’était pas un homme stupide. Il a travaillé très dur et avait certainement une compréhension beaucoup plus aiguisée du vide que la plupart d’entre nous n’avons. Cependant, il a vu que pour obtenir une compréhension non conceptuelle correcte du vide, ce qu’il devait faire c’était d’accumuler plus de potentiel positif, que l’on traduit ordinairement par « mérite ». À un stade très avancé sur le chemin, il a décidé qu’il lui était nécessaire de faire trente-cinq séries de 100 000 prosternations et dix-huit séries de 100 000 offrandes de mandalas. Après avoir fait tout cela, il fut capable de comprendre le vide de manière correcte et non conceptuelle. Je pense qu’il s’agit là d’un enseignement très important. Que nous soyons assis par nous-mêmes à essayer de comprendre le vide et qu’un maître passe par là et dise : « Alex voici le vide, vide voici Alex, laissez-moi vous présenter », si nous n’avons pas ce potentiel positif, qu’on appelle « mérite », rien ne se passera.

Nous entendons toujours parler de la nécessité d’accumuler les deux collections de mérite et de sagesse, or je préfère les appeler « réserves » ou « réseaux » de « potentiel positif », ou encore « force positive » et « conscience profonde ». Je pense que, peu importe comment nous les appelons, le fait d’accumuler les deux est extrêmement important en plus d’être une chose que je sais être très vraie de par ma propre expérience. Quand nous essayons de comprendre une chose ou d’en accomplir une, quelle qu’elle puisse être, que ce soit au cours d’une méditation, ou bien d’écrire un livre, peu importe ce que c’est – comme de comprendre un problème – parfois nous atteignons un point où nous avons une sorte de blocage mental. Nous ne pouvons aller plus loin. Nous atteignons un pallier et devenons sans ressort comme épuisé. Le problème est qu’alors notre énergie est trop faible pour avancer. Nous avons besoin d’une énergie positive, d’une force positive ou d’un potentiel pour continuer. C’est de ça que parle le mérite. Ce n’est pas que nous devrions avoir plus de points comme si nous en avions besoin pour gagner à un jeu. Dans ce genre de situations où nous sommes bloqués, ce qui nous aide, c’est de mettre de côté ce que nous faisons et de faire quelque chose de positif – par exemple, aider les autres.

On peut faire cela de diverses façons. La façon la plus simple, que j’utilise tout le temps quand je ne peux pas comprendre une chose et que je veux être capable de la comprendre et d’avoir très vite l’esprit clair – disons quand je suis en train d’écrire et que je ne peux pas trouver le mot juste ou comment exprimer une chose clairement – c’est de m’arrêter et de répéter le mantra de Manjushri avec les visualisations appropriées. Je trouve que c’est très utile. Si on se force – « Je dois comprendre ; je dois comprendre ! » – sans faire quelque chose comme de répéter un mantra, alors, pardonnez-moi l’image, mais c’est un peu comme d’être constipé et de s’efforcer de déféquer quand on est assis sur le trône des toilettes. Rien ne sortira. Cela devient juste très inconfortable.

Ce qui est réellement important, alors c’est de se détendre afin de devenir beaucoup plus clair, et ce type de pratique du mantra est très efficace pour ça. Et spécialement quand je veux que mon esprit soit très aiguisé et clair, je mets en place une intention très forte dans ce sens, alors le mantra devient encore plus efficace. Et il devient plus efficace encore quand j’accompagne ma récitation de visualisations qui m’aident à focaliser mon esprit de manière aiguë. Dans cette situation, ce qu’on fait c’est d’ajouter quelque chose à la recette pour ainsi dire. Nous ajoutons la force et le potentiel positifs issus de la récitation de ce mantra pour nous aider à surmonter le blocage mental. Je trouve que ça marche. Dans la plupart des cas, c’est efficace. Alors, si nous sommes très ouverts, la solution vient d’elle-même en quelque sorte, sans avoir à forcer.

C’est une situation où nous avons besoin d’une sorte de solution immédiate, comme quand je n’arrive pas à trouver le bon mot dans une traduction. Il y a d’autres genres de situations dans lesquelles notre énergie est juste en passe de devenir un peu terne et émoussée. D’après ma propre expérience, je trouve que quand je pars en voyage pour enseigner, je prends cela comme une sorte de retraite de bodhichitta, et cela aide. Je pourrais l’envisager en me disant : « C’est une terrible distraction par rapport à mon travail d’écriture », et me plaindre en un sens du temps passé loin de mon bureau et de mon ordinateur. Ou bien je peux considérer cela comme une chose très positive qui va m’aider à écrire de façon plus claire.

Je me contente d’utiliser des exemples tirés de ma propre vie, mais l’approche pourrait s’appliquer à la vie de n’importe qui – que nous soyons en train de travailler à une situation domestique, familiale ou relationnelle, et éprouvions une sorte de blocage. Si nous sortons de chez nous et accomplissons un travail bénévole positif dans un hôpital ou faisons quelque chose de ce genre qui soit approprié à notre situation, peu importe le travail, cela fera une grande différence pour accumuler un potentiel de force positive.

Cette approche d’accumuler une réserve de potentiel positif n’est pas seulement limitée au moment où nous avons un blocage mental. Par exemple, mon travail d’écriture marchait très bien avant que je ne parte faire cette tournée de conférences. Il n’y avait aucun blocage. Mais en un sens je veux que ça aille encore mieux ; je veux avoir encore plus d’énergie. Je ne pense pas que Tsongkhapa soit parvenu à un blocage et qu’il ne pouvait plus rien comprendre. Je pense plutôt qu’il a vu que pour faire l’expérience de quelque chose de remarquable, pour véritablement obtenir une cognition correcte non conceptuelle du vide, il avait besoin d’encore plus d’énergie positive.

Notre accumulation de potentiel positif ne requiert pas nécessairement une retraite de bodhichitta où on part comme je le fais en laissant mon travail derrière moi quand je voyage et enseigne. Nous pouvons panacher les deux – méditer et aider les autres. Cela ne veut pas dire que nous cessons de méditer sur la vacuité parce que nous avons un blocage, mais que nous voulons y ajouter une certaine quantité supplémentaire d’énergie positive. Nous pouvons faire cela entre nos méditations. Ceci, à mon avis, est vraiment très important. Il n’est pas suffisant de juste s’asseoir et méditer, en vérité cela ne suffit pas. Nous devons aussi être vraiment actifs, accumuler réellement de plus en plus de force positive et faire véritablement des choses pour aider les autres.

L’importance d’avoir un maître spirituel

Vidéo : Guéshé Lhakdor — « Étudier le bouddhisme : par où commencer ? »
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Cela nous amène à la question du maître spirituel. Quel est le rôle du maître dans ce processus ? Bien sûr, nous avons l’exemple des pratyekabouddhas, les « réalisateurs solitaires ». Nous ne devons pas oublier l’importance des pratyekabouddhas. Leur type de chemin fut enseigné par le Bouddha. On les voit tout en haut de l’arbre de refuge. Les pratyekabouddhas sont ces pratiquants qui vivent pendant les périodes sombres quand il n’y a ni bouddhas à la ronde ni maîtres disponibles. Pour méditer et faire des progrès, ils doivent se fier purement à leurs instincts à propos du Dharma, instincts qu’ils ont accumulés au cours de vies antérieures quand ils ont rencontré les enseignements des bouddhas.

Les pratekyabouddhas sont très courageux, si on y réfléchit. Ils essaient de pratiquer le Dharma qui vient instinctivement à leur esprit quand tous les gens autour d’eux sont soit indifférents à tout développement spirituel, soit complètement hostiles. Et ils n’ont personne vers qui se tourner ou sur qui se reposer quand ils doutent d’eux-mêmes. Ils sont vraiment dignes de respect. Nous ne devons pas penser : « Ce sont ces horribles personnes égoïstes qui vont dans des grottes et ne s’intéressent qu’à eux-mêmes. » Mais de nos jours, quand il y a des bouddhas et des maîtres autour de nous, la question est : « Est-ce que nous avons besoin de nous appuyer sur eux ou non, et qu’est-ce que ça signifie vraiment de compter sur eux ? » Je pense que cette question du maître spirituel est quelque chose de très difficile à comprendre.

On peut dire beaucoup de choses à propos de la relation maître-disciple en se plaçant à partir de nombreux points de vue différents et il n’est pas nécessaire en la circonstance de les passer tous en revue. Je pense qu’à un niveau très pratique, une des choses très importantes à propos d’un maître spirituel, dans le contexte d’un maître proprement qualifié et non d’un de ces charlatans proclamant à la ronde qu’ils sont des maîtres, c’est que le maître rende les enseignements « humains » – « réels » serait un mot un peu trop chargé. Le maître donne de l’humanité au Dharma. Si nous n’avons pas de maître et si nous apprenons seulement dans les livres, alors l’image ou l’idée que nous nous faisons de ce que signifient ces enseignements et de comment les traduire dans la vie est quelque chose qui repose totalement sur notre imagination. Autrement dit, nous n’avons pas un exemple vivant de ce que veut dire non seulement comprendre vraiment les enseignements, mais les incarner dans la vie. Voir un exemple vivant est ce qui nous donnera le plus d’inspiration pour essayer de comprendre et d’intérioriser les enseignements par nous-mêmes.

Dans l’étude des enseignements, il y a deux facteurs qui entrent en jeu. L’un est d’obtenir une compréhension technique précise d’un enseignement spécifique, comme le vide. C’est une chose, et un maître peut répondre à des questions, ce qu’un livre ne peut faire. Mais, en plus d’avoir une précision technique dans la compréhension, le maître nous donne un exemple vivant de la traduction de cette compréhension dans la vie. Je pense que ce point est réellement, réellement important.

Quand on regarde quelqu’un comme Sa Sainteté le Dalaï-Lama, on peut dire avec certitude qu’il a une compréhension très hautement développée de la vacuité ainsi qu’une réalisation de la bodhichitta. De n’importe quel point de vue où l’on se place, nous serions d’accord sur ce point. Se servir d’une fiche d’évaluation pour essayer de tester « s’il est à tel stade de bodhisattva ou à tel autre ? » est puéril. Qui s’en soucie ? En revanche, d’après sa façon d’agir, on peut voir que la compréhension du Dharma ne se traduit pas par une espèce de personnage déconnecté de la réalité avec la tête dans les nuages et incapable de fonctionner dans la vie. Il est très clair, d’après l’exemple de Sa Sainteté, de voir ce que signifie réellement avoir une combinaison de sagesse et de compassion. C’est certainement un aspect très important quand on parle d’être présenté au Dharma ou, de manière spécifique, au vide.

Être présenté au Dharma

Il y a de nombreux niveaux et façons d’être présenté au Dharma. Un niveau consiste à ce que le maître mette en place une situation au cours de laquelle nous sommes émotionnellement remués de telle sorte que nous sommes déstabilisés et jetés hors de notre zone de confort afin d’obtenir une réalisation. C’est une façon de procéder dans le style zen que certains maîtres tibétains emploient, bien qu’ils ne soient pas si nombreux. Guéshé Wangyal, qui était un maître mongol kalmouk vivant aux États-Unis, utilisait cette méthode très habilement. Il est mort il y a de nombreuses années, mais il avait coutume de faire construire à ses étudiants des choses comme une maison et un temple pour lui et ses disciples. Une fois, un de ses étudiants travaillait très dur à construire une maison pour Bakshi – c’était par ce nom que ses étudiants l’appelaient, le mot mongol pour « maître » – et il travaillait au toit. Un jour, Bakshi monta sur le toit, alla le trouver et lui dit : « Que fais-tu ?! Tu fais tout de travers ! Tu massacres toute la toiture ! Va-t’en !! » Et l’étudiant lui dit : « Que voulez-vous dire quand vous dites que je fais mal ?! Je le fais exactement comme vous m’avez dit de le faire, et je l’ai fait comme ça depuis des mois et des mois ! » Guéshé Wangyal lui répondit immédiatement : « Ah-ah ! C’est ça le « je » qu’on doit réfuter. » 

Le maître peut instaurer une situation de ce genre pour nous présenter à la vacuité dans l’idée de créer une circonstance au cours de laquelle nous pouvons émotionnellement voir et obtenir un aperçu. Cela demande toutefois beaucoup d’habileté pour être capable de faire cela bien. Il y a donc ce niveau de présentation à un point du Dharma. Un livre ne peut pas faire cela.

La deuxième façon d’être présenté, c’est de vous donner une explication très claire. Un livre peut le faire. L’explication très claire d’un maître peut être consignée par écrit dans un livre. Mais, peu importe la clarté de la chose, si nous avons un blocage mental, nous ne serons pas en mesure de la comprendre. Il y a donc une autre méthode : celle d’un maître qui nous permet d’imaginer le puzzle du Dharma par nous-mêmes, en nous donnant une pièce à la fois, plutôt que de nous enfourner des cuillérées de Dharma comme à un bébé. 

Une autre méthode encore de présentation se fait à travers l’exemple de voir un maître qui comprend de quoi il s’agit. Dans tous les cas, même si nous lisons dans un livre une explication claire, il a bien fallu que quelqu’un écrive le livre. Donc, il a dû y avoir un maître, que nous l’ayons rencontré ou non. À vrai dire, nous rencontrons le maître, même s’il est mort depuis longtemps, car nous sommes confrontés aux mots du maître en lisant le livre. À moins d’être un pratyekabouddha, nous n’avons pas à inventer à nouveau la roue ; nous n’avons pas à parvenir à cette compréhension juste par nous-mêmes. Elle vient de quelqu’un, d’un maître. Et, si on y réfléchit, même les instincts pour les enseignements dont font preuve les pratyekabouddhas furent semés en eux après qu’ils les eurent entendus d’un maître dans une vie antérieure.

Ainsi, un maître est très important. En vérité, nous avons besoins d’une combinaison de toutes ces qualités chez le maître. Nous avons besoin d’un maître qui puisse nous donner une information correcte et claire, qui soit un exemple vivant de ce que nous essayons d’apprendre, et qui puisse nous inspirer. Nous avons aussi besoin d’un maître capable de créer certaines circonstances propices pour que nous obtenions des aperçus profonds, et qui nous livre une pièce du puzzle du Dharma à la fois, de la manière la plus juste.

Relations personnelles impersonnelles

Concernant la relation du maître spirituel avec l’élève, il y a un grand nombre de choses dont nous pourrions parler, mais une question qui revient toujours avec les Occidentaux, c’est que nous voulons une attention personnelle. Nous avons un très fort sentiment d’individualité. Tout le monde pense : « Je suis spécial, et je devrais faire l’objet d’une attention spéciale. » Le modèle, bien entendu, c’est que nous allons chez un psychologue ou quelqu’un de ce genre, nous payons, et nous obtenons un traitement individuel. En fait, ce n’est pas toujours possible dans un contexte bouddhiste. C’est drôle. Nous cherchons « notre maître qui sera spécial pour nous », et cependant nous entretenons une image hollywoodienne de ce à quoi la relation va ressembler. Nous ne voulons pas que ce soit comme Milarepa avec Marpa : nous ne voulons pas d’un maître qui nous fasse travailler trop dur.

Je citerai comme exemple la relation que j’avais avec Serkong Rimpoché. J’ai eu l’incroyable et immense privilège d’être proche de lui et de le servir pendant neuf ans comme interprète, secrétaire pour l’anglais, organisateur des ses tournées à l’étranger, etc., et en tant que disciple personnel. J’ai eu ce genre de relation avec lui jusqu’à sa mort en 1983. Toutefois je dois dire que toute la relation était une « relation personnelle impersonnelle ». Jamais il ne m’a posé une question sur ma vie personnelle, jamais. Il ne m’a jamais rien demandé à propos de ma famille ou de quoi que ce soit de ce genre. Et je n’ai jamais éprouvé le besoin de lui dire quoi que ce soit de ma vie personnelle. Mais, néanmoins, nous avions une relation très intime toujours axée sur le moment présent, à chaque instant.

Nous travaillions donc ensemble, mais d’une façon très spéciale. Je dirai que c’était du genre « personnel impersonnel », dans le sens où il ne s’agissait pas de deux gros egos disant : « Travaillons ensemble – moi et vous. » Et ce n’était pas non plus le genre de relation personnelle du type « partageons notre brosse à dent », où je vous dirai tout sur moi et où vous me direz tout sur vous. C’est comme de montrer à quelqu’un ses sous-vêtements sales. Dans ce sens, la relation était impersonnelle. Mais elle était aussi personnelle dans le sens où il comprenait mon caractère et ma personnalité, et nous travaillions ensemble sur cette base. Je comprenais son âge et ses besoins et ses exigences aussi bien, et dans ce sens, bien qu’impersonnel, c’était aussi personnel.

Je pense que l’un des larges fondements du succès de cette relation était celle d’un grand respect mutuel de part et d’autre, les deux parties travaillant ensemble comme des adultes mûrs. En tant qu’adulte, je ne l’abordais pas d’une manière puérile en quête d’approbation ou en voulant qu’il soit responsable de tout dans ma vie, et en lui donnant le contrôle. Mais cela ne voulait pas dire que je tombais dans l’autre extrême, lequel aurait été : « Je veux avoir le contrôle, et vous ne pouvez pas me dire ce que je dois faire. » Je lui demandais son avis sur des choix difficiles dans ma vie, mais je prenais mes propres décisions même si je le consultais. Plutôt que de jouer à l’enfant et de lui demander : « Que devrais-je faire ? – pour en revenir à cette question du « devoir » – cela consistait plutôt à ce que je lui demande s’il était plus bénéfique de faire ceci ou cela.

Par exemple, à la fin de notre deuxième tour du monde ensemble, je lui ai demandé : « Vaudrait-il mieux pour moi que je reste aux États-Unis et passe quelque temps avec ma famille, ou vaudrait-il mieux que je retourne en Inde pour assister au premier Monlam, le festival de prière que Sa Sainteté le Dalaï-Lama conduisait en Inde du Sud ? Quel choix serait le plus bénéfique ? » Je lui posais ce genre de question si je ne pouvais pas prendre la décision par moi-même. Rimpotché me recommanda d’assister au festival de prière, dans la mesure où se serait un événement historique très significatif, et j’ai suivi son avis. Mais il ne m’a pas donné d’ordre auquel j’aurais dit en le saluant : « Oui, monsieur ! » Je ne lui demandais pas qu’il me donne des ordres. Il avait coutume de me présenter la situation avec un peu plus de lucidité et une perspective plus large, de telle sorte que je puisse me faire ma propre opinion grâce à ma propre sagesse. Dans d’autres situations, quand j’avais ma propre idée de ce qu’il conviendrait mieux de faire, je lui demandais malgré tout s’il voyait une quelconque objection à ce que je fasse cela.

Ce point, à mon avis, est très important dans une relation avec un maître. Si nous avions eu cette attente que la relation soit tellement personnelle et individuelle, alors, en un sens, c’est que nous nous serions accordés un peu plus d’importance que nous n’en méritions. On s’accorderait une trop grande importance si on réclamait cette attention personnelle pour soi. De même, si on a ce genre de demande, il est facile de tomber dans le piège de se voir comme l’enfant et le maître comme notre parent, ou soi-même comme un adolescent et le maître comme une pop-star. Un léger parfum d’idylle romantique pourrait s’instaurer également.

L’analogie de l’abeille et des fleurs

La manière d’aborder notre relation avec un maître spirituel de façon « personnelle impersonnelle » n’est pas si facile. Et l’importance d’agir ainsi ne se limite pas seulement à notre relation avec notre maître spirituel. Il serait utile que cette approche caractérise nos relations avec tout le monde. Shantideva a écrit que ce qui était le plus utile, dans nos relations avec les autres, c’était d’être comme une abeille qui va de fleur en fleur et s’occupe juste d’extraire le nectar de la fleur, mais sans rester collée à aucune des fleurs.

À nouveau, je prends l’exemple de Serkong Rimpotché. Il n’avait pas de meilleur ami. En revanche, tout personne avec qui il se trouvait, était au même moment son meilleur ami. Se comporter ainsi est tout entier fonction de cette ouverture dont nous parlions précédemment dans la première session : être avec tout un chacun comme s’il était notre meilleur ami. Quand nous sommes avec quelqu’un de cette façon, notre cœur est totalement ouvert à cette personne. Nous avons une relation totalement personnelle avec elle dans le sens où nous communiquons réellement de cœur à cœur. Mais il n’est pas du tout nécessaire que je vous montre mes sous-vêtements sales ni à vous de me montrer les vôtres. Il n’est pas nécessaire d’entrer dans toutes ces sortes de détails personnels pour lesquels, d’une certaine façon, nous voulons qu’on nous donne des petites tapes sur la tête.

Si nous entrons dans ce genre de détails, c’est comme de placer de force notre propre désordre sur l’autre personne de telle sorte qu’elle en devient prisonnière. Nous avons tous notre propre petit bazar personnel à gérer dans nos vies, mais cela ne devrait pas devenir un fardeau pour les autres et pour les relations que nous avons avec eux. On peut se relier à telle personne, en étant totalement ouvert ; et elle est comme notre meilleure amie. Nous pouvons réellement entrer en contact avec le cœur de la personne, mais sans nous laisser emprisonner afin de pouvoir rester ouverts de la même façon avec tout le monde, comme l’abeille qui va de fleur en fleur – intimement impliqués avec notre cœur, mais pas englués.

Telle est le type de relation que nous devrions également avoir avec le maître. Quand nous sommes avec lui, il s’établit une ouverture très directe dans la communication, puis notre tour est passé et la personne suivante est introduite. Si nous avons une attitude du genre « je veux mon gourou pour moi ! », nous devenons très jaloux et possessifs, et c’est une torture absolue : « Il y a ce petit cercle autour du maître, et je n’en fais pas partie » et… oh ! quelle souffrance. Mais nous devons tous laver nos propres sous-vêtements sales. Nous devons gérer notre propre désordre. Nul besoin de s’attendre à ce que le maître s’en mêle.

Éviter l’extrême de dépersonnaliser les autres

Quand nous avons à faire ou quand nous nous relions à quelqu’un de cette façon, de cette façon « personnelle impersonnelle », que ce soit avec un maître ou un(e) ami(e), il y a deux niveaux : le niveau le plus profond et le niveau conventionnel, relatif. Au niveau le plus profond, tout le monde est pareil et personne n’est spécial, cela conduit donc à l’aspect impersonnel de toute relation. Au niveau conventionnel, cependant, les gens sont des individus, et cela mène à l’aspect personnel.

Il est très important de ne pas aller à l’extrême de se relier à quelqu’un juste au niveau le plus profond. On ne doit jamais négliger de toujours voir la personne comme un individu. Autrement dit, si je me relie à vous de manière beaucoup trop impersonnelle alors, d’une certaine façon, je ne me relie pas du tout – même si la relation se passe de cœur à cœur. Nous devons éviter de ressentir : « Vous êtes le courant de conscience numéro 14 762 et cette autre personne est le courant de conscience numéro 14 763, et je peux être également ouvert et émotionnellement intime avec n’importe quel courant de conscience de n’importe quel numéro de n’importe quelle série. » Ce serait une faute. Ce serait porter ce point du Dharma concernant « tous les êtres sensibles » jusqu’à l’extrême de dépersonnaliser tout le monde. Nous devons toujours nous rappeler que l’autre personne, de son point de vue, se voit de façon très personnelle. Nous devons travailler avec.

Laissez-moi vous donner l’exemple de quand ma mère est morte l’année dernière. Une fois morte, tout d’abord je disais des prières et faisais diverses pratiques pour elle, mais de façon impersonnelle, la considérant comme le courant de conscience numéro tant. Pour éviter la douleur de l’attachement, je la regardais non pas comme juste ma mère mais comme quelqu’un allant de nombreuses vies passées vers de nombreuses vies futures, de la même façon que tout le monde. Après tout, le bouddhisme enseigne qu’à un moment ou à un autre tout le monde a été notre mère. Donc, ma manière de me relier à elle dans l’état intermédiaire du bardo était plutôt abstraite. 

Alors, en discutant de mon expérience avec un ami proche, j’ai compris qu’il serait beaucoup plus utile de considérer la situation du point de vue de ma mère dans le bardo plutôt que de mon propre point de vue en tant que pratiquant du Dharma qui se trouve avoir une certaine compréhension des vies passées et présentes, d’une identité non solide, etc. Du point de vue de ma mère dans le bardo, elle avait toujours de l’attachement pour sa vieille identité en tant que Rose Berzin et me regardait toujours comme son fils.

J’ai immédiatement changé la pratique que je faisais pour essayer de l’aider pendant cette période du bardo et je lui ai parlé directement. À cette époque, j’enseignais au Chili et devait me rendre à Tahiti, je l’ai donc invitée en pensée à venir à chacune des sessions et à être avec moi. Je disais également le genre de prières et de choses qu’elle aimait, avec lesquelles elle se sentait à l’aise. Autrement dit, je tentais de ressentir la peur qu’elle pouvait avoir et essayais de la calmer avec quelque chose qui lui convienne.

À titre d’exemple, ma mère aimait la récitation chantée de mantras bouddhiques. Ça la faisait se sentir très calme. Et même si ce n’était pas exactement le genre de chose que j’aurais trouvé utile pour moi-même si j’avais été dans le bardo, je me suis mis à chanter d’une façon que je savais très apaisante pour elle. Et j’ai senti que je me connectais à elle en faisant cela. J’ai adapté ce que je faisais pour elle. J’ai pris au sérieux son expérience du niveau relatif de sa propre réalité. La question est là. Si ma mère avait trouvé que la récitation chantée de quelque prière juive ou chrétienne était apaisante, ou quelque chose d’autre, je l’aurais faite. Mais ma mère aimait entendre chanter des mantras tout doucement, très lentement. Comme je l’ai dit, j’ai ressenti un très grand changement quand j’ai commencé à faire cela.

Auparavant, quand je restais dans l’abstraction, simplement du genre : « Puisses-tu être heureuse et puissions-nous rester connectés dans toutes les vies, et puisses-tu avoir une précieuse renaissance humaine, et puissé-je te conduire à l’illumination dans toutes les vies », et toutes sortes de formules abstraites et de bonnes pensées, mais en fait je n’étais pas réellement connecté à elle en tant qu’individu. Or j’ai trouvé l’autre manière beaucoup plus efficace. J’ai senti que cela œuvrait dans un sens bénéfique pour elle, tout en gardant bien sûr mes prières plus générales. En bref, quand on se relie à quelqu’un d’une façon « personnelle impersonnelle », comme je l’ai décrit, cela ne nie pas le fait de se relier à cette personne en tant qu’individu, tout en respectant l’expérience individuelle de qui elle est, qui lui est propre.

Pour traduire cela en termes plus spécifiques : « Je suis totalement ouvert à vous et au fait d’avoir une relation très personnelle mais sans faire preuve d’attachement – sans entrer dans nos désordres personnels respectifs. Mais à l’intérieur de ce contexte général, je suis sensible, entre autres choses, à votre individualité et à votre vision de vous-même, de telle sorte que je peux me relier à vous d’une façon qui communique. » Cela nous mène alors à toute la question de l’utilisation des cinq sortes de conscience profonde pour se relier à la personne, mais gardons cela pour un autre moment.

Je vous fais remarquer tous ces points pour de nombreuses raisons, mais en particulier à cause d’une grande difficulté que nous rencontrons dans la pratique bouddhique du Mahayana quand nous faisons toutes sortes de méditations sur la bodhichitta, la compassion, en se plaçant au niveau de : « Puissent tous les êtres sensibles », tout en essayant de penser abstraitement à tous les êtres sensibles. Il est très difficile de traduire habilement « tous les êtres sensibles » dans le contexte individuel de la personne directement en face de nous – que ce soit vous ou vous. Si on pratique juste au niveau de « tous les êtres sensibles », alors parfois on pourrait se servir de cela pour ne pas réellement s’impliquer personnellement avec quiconque.

Maintenant, si, d’une certaine façon, une implication personnelle signifie s’accrocher à toutes les désordres qui vont avec, alors nous avons besoin d’une méthode qui nous aide à éviter cela. Mais une fois que nous nous sommes occupés au moins du niveau grossier d’attachement et de colère, et du reste – ce qui n’est pas une tâche aisée –, nous devons avoir un engagement personnel, mais le genre d’engagement du type « personnel impersonnel », autrement dit individuel mais sans attachement.

Tout ce dont nous avons discuté jusqu’à présent au sujet de la relation avec le maître spirituel ne dépend pas de la question de savoir si oui ou non nous voyons le maître comme un bouddha. Même si nous ne voyons pas le maître comme un bouddha, ce que j’ai décrit est nécessaire pour avoir un type de relation riche de sens et fructueuse avec ce maître. Certes, dans la perspective de voir le maître comme un bouddha, nous avons toujours besoin d’aborder cette relation comme un adulte et de considérer le maître comme un adulte, et non comme notre père ou une pop-star, ni toutes ces choses bizarres que nous avons tendance à projeter sur eux comme s’ils devaient avoir cette relation spéciale avec moi parce que je suis tellement spécial.

La crainte d’une relation profonde avec un maître

J’essaie de me voir comme une personne anonyme au sein d’un grand groupe d’élèves ayant un grand nombre de maîtres. Je préférerais dire que j’ai de nombreux maîtres, plutôt que d’avoir une relation individuelle, directe, avec un maître quelconque.

Il peut se faire qu’il y ait là quelques problèmes. L’un des problèmes peut être la peur d’un engagement et la crainte d’une intimité, lesquelles nous feraient penser : « Je n’ai pas vraiment envie de m’ouvrir à un maître, car alors je perdrais le contrôle. » De toute évidence, pour être en mesure de surmonter cette peur avec succès, cela requiert une certaine compréhension du vide.  Il n’y a rien dont nous ayons à être effrayé dans le fait de nous ouvrir à un maître. Car, quand on s’ouvre, ce n’est pas comme s’il y avait ce pauvre « moi » sans défense qui est sur le point d’être blessé. Ou bien : « Je vais être abandonné et on me laissera tomber. » Et si je m’ouvre et qu’il ne se passe rien, ce n’est pas non plus que je serai totalement perdu et que ce sera le chaos total. S’ouvrir à un maître exige une certaine finesse dans notre compréhension de notre mode d’existence. Pour que la relation avec un maître soit couronnée de succès, elle doit être mature, avec un sentiment bien établi du « moi » conventionnel, lequel peut discriminer entre ce qui est utile et ce qui est nuisible, entre ce qui est correct et ce qui est incorrect. Sans quoi, une relation immature peut s’avérer désastreuse. 

Procéder lentement dans l’établissement d’une relation avec un maître spirituel

Avant de prendre refuge avec un certain maître, vous devez l’examiner correctement, que ce soit un homme ou une femme, mais à l’heure actuelle avec un esprit impur, comment puis-je vérifier et juger un maître correctement ? Et comment puis-je possiblement vérifier que le maître est un bouddha ou non ?

Quand on dit que, pour que la relation avec un maître spirituel fonctionne vraiment bien, nous devons être matures, cela ne veut pas dire que pendant que nous sommes encore immatures, nous ne nous tournons pas vers un maître. Cela ne veut pas dire que nous devons attendre d’être réellement matures avant de nous relier à un maître. Si tel était le cas, il se pourrait qu’on doive attendre très longtemps. Un maître habile peut nous aider à devenir plus mûrs. Un maître malhabile, d’un autre côté, peut tirer avantage de notre immaturité et abuser de nous. Donc, pour approcher un maître potentiel, nous devons reconnaître que nous ne savons pas si cette personne est réellement qualifiée ou non. Nous devons procéder très lentement et soigneusement. 

Cette relation avec un maître spirituel est une chose qui a besoin habituellement de se développer lentement, sur la durée, et de passer par plusieurs étapes. Même le fait de voir le maître comme un bouddha, ce qui n’arrive jamais dans les premiers temps, passe par plusieurs étapes pour se développer. Je ne veux pas entrer dans ce sujet avec beaucoup de détails maintenant, car cela prendrait un peu de temps pour présenter la chose. Mais ce type de relation dans laquelle nous voyons notre maître comme un bouddha est réellement pertinente seulement quand nous sommes à un stade très avancé de la pratique de la plus haute classe de tantra, l’anuttarayoga.

Dans sa Grande Présentation des étapes progressives du chemin (lam-rim chen-mo), Tsongkhapa a écrit qu’une relation appropriée avec un maître spirituel est la racine du chemin, et il a défini cette relation comme le fait de voir le gourou comme un bouddha. Mais nous devons comprendre le contexte dans lequel il a écrit cela et pourquoi il l’a dit. Clairement, Tsongkhapa écrivait et présentait ce point à l’intention de moines qui étaient engagés dans la pratique du tantra. Nous pouvons le déduire parce que la prise de refuge vient ensuite, plus tard, dans sa présentation du chemin. Comment est-il possible d’avoir une relation avec un maître, en voyant le maître comme un bouddha, si nous n’avons pas pris refuge auparavant et ne savons même pas ce qu’est un bouddha ? Il est clair que cette instruction de voir le gourou comme un bouddha s’adresse à quelqu’un qui a déjà pris refuge et est déjà engagé dans la pratique du tantra. La raison en est que toutes les citations que Tsongkhapa utilise pour soutenir sa vision du gourou comme étant un bouddha viennent des tantras. Il est donc clair qu’il s’agit là principalement d’une question tantrique. Cela nous donne alors une indication comme quoi, pour celles et ceux d’entre nous qui ne viennent pas d’un milieu monastique de moines et de nonnes déjà engagés dans la pratique de la plus haute classe de tantra, nous ne pouvons pas prendre ce genre de choses, comme le refuge, pour acquises. Nous devons commencer à un stade plus précoce. 

Initialement, quand nous étudions avec un maître, en particulier en tant qu’Occidental, la question de savoir si « le maître est un bouddha ou non ? », n’est pas vraiment pertinente du tout.  Nous devons regarder d’abord si c’est un bon maître. Est-ce qu’il peut expliquer les choses clairement ? Quelles sont les choses qu’il explique ? Est-ce que ce qu’il explique cadre avec les textes classiques ? Est-ce que cela convient à ma vie ? C’est comme de tester n’importe quelle sorte de professeur – disons, par exemple, qu’on veuille apprendre une langue : est-ce que ce professeur est en mesure d’enseigner de manière efficace ?

Nous observons aussi quel genre de sentiment général nous avons quand nous sommes avec cette personne. Nous pouvons être sensibles au genre de relation que nous pouvons avoir avec quelqu’un grâce au sentiment que nous avons quand nous sommes en sa présence. Est-ce quelqu’un qui nous inspire ou est-ce quelqu’un qui nous laisse indifférent ? Est-ce quelqu’un qui communique réellement avec nous ou est-ce quelqu’un avec qui nous ne pouvons tout simplement pas nous relier ? Il est possible de sentir cela. Cela ne demande pas de clairvoyance, ni même un grand niveau de maturité. 

Puis nous commençons à examiner certaines choses un peu plus soigneusement comme l’éthique de la personne : est-ce une personne qui a une éthique ? Est-ce quelqu’un qui se met souvent et facilement en colère, ou qui est très possessif avec ses étudiants et essaie de contrôler leurs vies ? Nous pouvons alors nous informer auprès des autres, pour découvrir la façon dont ce maître agit avec les autres étudiants. Tels sont quelques-uns des moyens avec lesquels nous pouvons tester un maître, même juste pour décider si nous voulons étudier avec lui ou non. 

Dès lors, que nous soyons disposés à nouer une relation avec une personne que nous voyons comme un bouddha est quelque chose de très différent et de très avancé, et donc de pas vraiment pertinent au niveau initial. Si nous sommes quelqu’un qui a déjà pris refuge, a déjà parcouru les étapes de base du chemin, et s’est déjà engagé dans la plus haute classe de tantra, si nous sommes quelqu’un de cette sorte et que nous avons cette forte connexion avec le maître, alors nous pouvons voir le maître comme un bouddha au sein du cadre complet de ce que cela signifie. Dans ce cas, si nous parcourons à nouveau toutes les étapes du chemin depuis le tout début – comme dans le cas d’un moine se préparant à recevoir une initiation tantrique passe en revue le chemin progressif complet en écoutant le lam-rim chen-mo de Tsongkhapa – alors seulement, cette relation avec un maître perçu comme un bouddha sera la racine du succès dans la poursuite du chemin en son entier. Dans ce cas, cela fait une grande différence.

Ne pas perdre notre faculté de jugement

Nous devons comprendre les choses dans leur contexte adéquat. Ce n’est pas facile. Mais, spécialement au début, je pense qu’il est essentiel de ne pas perdre une attitude critique vis-à-vis d’un maître. Par la suite, quand nous nous relions au maître en tant qu’un bouddha, il s’agit alors d’un contrat spécial que nous passons avec ce maître et cela requiert une prodigieuse maturité émotionnelle. Fondamentalement, ce que nous disons avec ce genre de contrat, c’est : « Vous êtes un bouddha, ce qui veut dire que quoi que vous fassiez, je vous considérerai comme un bouddha qui essaie de m’enseigner quelque chose. » Souvenez-vous, l’existence des choses n’est pas établie de leur propre côté, indépendamment de tout le reste. Donc, l’existence de ce type de lien avec le maître est établie en relation avec la situation suivante : « Vous m’aidez à croître. »

Fondamentalement, en esprit, nous disons alors à notre maître : « Je ne me soucie pas de savoir quelle est votre motivation et peu m’importe que vous soyez vraiment et de manière objective illuminé ou non. Au sein de cette relation avec vous, je vais plutôt me servir de cette opportunité pour croître et apprendre constamment. Si vous me dites de faire quelque chose de stupide, je ne vais pas vous rétorquer : “Vous êtes stupide”, et me mettre en colère après vous. Je vais plutôt envisager le fait de la façon suivante : “Vous m’avez dit de faire quelque chose de stupide pour que j’en tire une leçon afin d’utiliser ma propre discrimination et mon propre esprit en sorte de ne pas agir ainsi.” » Autrement dit, quoi que fasse le maître, je vais considérer cela comme un enseignement et essayer d’en apprendre quelque chose. Peu importe ce qui se passe de son côté.

C’est sûrement ça que cela veut dire, quand on dit que nous devons voir tout le monde comme des bouddhas. Nous considérons tout ce qui arrive comme une leçon. Ainsi, on peut apprendre même d’un enfant. Quand un enfant agit de manière stupide ou méchante, nous pouvons apprendre de son comportement qu’il ne faut pas agir comme ça. L’enfant est notre maître. Un chien peut nous enseigner. N’importe qui peut le faire. Toutefois, ne pas se mettre en colère et ne pas porter de jugement, cela requiert un haut niveau de maturité émotionnelle, n’est-ce pas ? Il s’agit d’une pratique très avancée. Ce n’est pas quelque chose que nous pouvons faire en tant que débutants.

De toute évidence, nous devons procéder à de très nombreuses enquêtes pour savoir si oui ou non nous pouvons nous engager dans ce genre de contrat avec tel ou tel maître afin d’être capable de nous relier à lui sur ce plan. Le maître est-il qualifié et le sommes-nous ? Nous pourrions même avoir ce genre de relation avec un maître pour qui nous n’avons guère de contact personnel. Quand nous nous rendons simplement à des enseignements généraux donnés à de larges foules par un grand maître, nous pouvons avoir la même attitude : « Quoi que vous disiez ou fassiez, j’en tirerai une leçon. » Mais rappelez-vous qu’il ne s’agit pas d’une relation entre un soldat et un général dans une armée : « Oui mon général ! Que dois-je faire ? Dites-moi [ce que je dois faire]. Donnez-moi un ordre. Oui mon général ! Je le ferai » – ce n’est absolument pas comme ça.

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