L’éthique bouddhique est-elle ouverte à une modification culturelle ?

La place essentielle de l’entraînement éthique dans le bouddhisme

Dans la transmission du bouddhisme d’une société à une autre, on doit être capable d’identifier les enseignements essentiels afin de les distinguer de leur enveloppe culturelle. Sur son lit de mort, le Bouddha a indiqué le critère pour faire cela, tel qu’il est rapporté dans le Mahaparinirvana Sutra (mDo mya-ngan-las ‘das chen-po). Il a dit à l’assemblée de ses disciples de laisser ses enseignements (le Dharma) et les règles de discipline (le Vinaya) leur servir de guide après son départ de ce monde. Quand on lui demanda comment savoir lesquels de ses enseignements transmettaient les points les plus importants, Shakyamouni prit soin de faire remarquer de ne pas laisser dans le futur ce point à l’appréciation de maîtres ou au consensus de la communauté monastique. Cela devrait être déterminé de préférence, dit-il, en se fiant et en notant ce qui est le plus essentiel et ce qui apparaît de manière répétée dans les enseignements et les textes. Ainsi, les Quatre Nobles Vérités, les Deux Vérités concernant les phénomènes, l’amour, la compassion, l’octuple sentier, et les trois entraînements supérieurs sont des points notoires soulignés tout au long des enseignements. Selon les propres directives du Bouddha, il ne peut y avoir aucun doute quant au caractère fondamental de ces points. Il serait donc inapproprié d’éliminer ou de modifier leur rôle central, quelle que soit la culture. Néanmoins, le Bouddha a dit également de ne rien croire de ce qu’il a dit par simple foi, mais de l’analyser et de le tester comme on teste de l’or. Autrement dit, nous devons fonder notre acceptation de ce que le Bouddha a enseigné de manière répétée en se fondant sur l’analyse et la logique, et non sur la seule foi. 

Dans la mesure où le respect de l’autodiscipline éthique (tshul-khrims, skt. śīla), comme faisant partie de l’un des trois entraînements supérieurs, à savoir la discipline, la concentration, et la conscience discriminante (shes-rab, skt. prajña, la sagesse), est un aspect indispensable du bouddhisme, il est important de comprendre ce que signifie exactement l’autodiscipline éthique, quel rôle elle joue sur la voie spirituelle et pourquoi elle est importante. On explique l’autodiscipline éthique comme étant un facteur mental, ou état d’esprit, grâce auquel on protège notre corps, notre parole, et notre esprit, en les surveillant et en observant habituellement des vœux et en suivant des préceptes (des lignes de conduite et de comportement). Toutes les formes de bouddhisme insistent de façon répétée sur la protection de notre corps, de notre parole, et de notre esprit en se réfrénant de commettre des actes physiques, verbaux et mentaux destructeurs. Avec pour objectif la libération, nous cherchons à éviter toute action qui créerait des problèmes et de la souffrance pour nous-mêmes. 

Les écoles du bouddhisme Mahayana mettent en outre l’accent sur le fait de se réfréner d’actions destructives dans la mesure où elles nous empêchent d’aider les autres pleinement, qu’elles soient directement nuisibles à autrui ou indirectement à nous-mêmes. Les actions qui blessent les autres ont des conséquences négatives sur nous également. Ainsi, les formes non mahayanistes du bouddhisme enseignent également d’éviter de causer du tort aux autres. Bien qu’une partie de la motivation pour agir de la sorte puisse être l’amour et la compassion, l’accent est mis sur le souhait d’éviter les répercussions négatives sur nous-mêmes. D’autres aspects de l’autodiscipline dans le Mahayana consistent à surveiller nos activités pour s’assurer qu’elles soient constructives – constructives dans le sens où elles sont soit directement utiles aux autres, soit indirectement utiles à nous dans la mesure où elles contribuent à notre propre capacité à être pleinement bénéfiques. Cependant, concentrons notre discussion sur le premier type d’autodiscipline éthique, celui qui est commun à toutes les traditions du bouddhisme : se refréner d’avoir un comportement destructeur. 

S’exercer au contrôle de soi afin de ne pas agir de manière destructive, dans un contexte bouddhique général, repose sur l’état d’esprit grâce auquel nous rejetons non seulement de causer du tort par nos actes mais, à un niveau plus profond, d’en causer par notre manque de conscience (ma-rigs-pa, skt. avidyā, l’ignorance) et par les émotions et attitudes perturbatrices (nyon-mongs, skt. kleśa, les afflictions), qui sont les causes de nos actes nuisibles. Au début, on s’efforce avec volonté et maîtrise de soi de minimiser le fait d’être sous l’influence de ces états mentaux délétères. Puis, plus nous progressons dans notre entraînement dans l’autodiscipline éthique supérieure et plus les fondations se renforcent pour les deux autres entraînements supérieurs que sont la concentration et la conscience discriminante, lesquelles peuvent éliminer complètement les causes du problème. Cette fondation est cimentée par la pleine conscience (dran-pa, skt. smti) et la vigilance (shes-bzhin, skt. saprajanya), deux facteurs mentaux que nous développons en restant toujours conscients de ce que nous faisons, disons et pensons, et en faisant une distinction sans faille entre ce qui est utile et ce qui est nuisible. 

À un niveau plus profond, en identifiant et en réfrénant les caractères destructeurs de nos comportements grossiers, nous acquérons l’entraînement et la force qui nous permettent de noter et d’empêcher notre esprit de donner libre cours à la dispersion, à la torpeur et autres déviations subtiles préjudiciables à l’atteinte de la concentration en un point (ting-nge-’dzin, skt. samādhi). Avec une concentration parfaite et une compréhension correcte des Quatre Nobles Vérités et des deux vérités des phénomènes – celle des apparences, qui sont comme une illusion, et celle du vide (stong-pa-nyid, skt. śūnyatā ; la vacuité) – nous pouvons rester focalisés sur le manque de véritables identités ou d’ « âmes » impossibles  (bdag-med, skt. nairātma ; absence d’identité, non-soi), partant d’éliminer la cause la plus profonde de notre souffrance et de faire advenir la libération. Ainsi, de plusieurs points de vue, l’entraînement éthique joue un rôle central dans la voie bouddhique.

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