Un cœur compatissant de bodhichitta

Ce soir, on m’a demandé de parler de la bodhichitta. C’est un vaste sujet qui a à voir avec notre motivation – en particulier avec la raison pour laquelle nous voulons suivre une voie spirituelle. Il s’agit d’une motivation que nous construisons progressivement en nous car il est difficile de la générer immédiatement. Bodhichitta fait référence à un cœur décidé à devenir un bouddha, un cœur empreint d’une ferme détermination : « Je dois surmonter toutes mes limites et réaliser tous mes potentiels afin d’être en mesure d’être bénéfique à tout le monde. » Nous faisons des efforts en vue de l’illumination non seulement parce que c’est ce qu’il y a de mieux et de plus haut, mais afin d’aider tout le monde à y parvenir. Bien que souvent nous puissions dire verbalement que nous travaillons à devenir un bouddha pour être bénéfique à tous les êtres sensibles, il est très difficile de ressentir cela continuellement et sincèrement dans nos cœurs. Cependant, en construisant de façon répétée cette aspiration, nous pouvons atteindre un stade où elle s’élève en nous spontanément. Un bodhisattva est une personne ayant pour motivation première une authentique bodhichitta, de nuit comme de jour.

Puisque vous avez probablement reçu des enseignements et des explications sur les manières de développer la bodhichitta, je n’insisterai pas sur ce point maintenant. Au lieu de cela, je parlerai de l’importance d’en passer par toutes les étapes qui conduisent à cette motivation. Il est assez facile de les laisser de côté et d’essayer d’aller tout droit vers cette motivation la plus élevée du Mahayana. Il se peut que nous disions : « Je pratique parce que je veux aider les autres. C’est ma responsabilité sociale. » Comme il s’agit de quelque chose de manifestement bénéfique à faire, nous essayons aussitôt de le faire. Toutefois, si nous n’en sommes pas passés par les stades préliminaires, nous sommes en butte à des ennuis. J’aimerais discuter de la manière d’éviter ces difficultés quand nous développons une motivation d’amour et de compassion pour aider autrui. 

Grâce au lam-rim, ou voie progressive vers l’illumination, nous travaillons par étapes graduelles jusqu’au plus haut niveau de développement spirituel. La motivation spirituelle initiale implique de travailler pour le bonheur de nos vies futures. Tendre seulement au bonheur de cette vie, c’est ce que tout le monde fait. Même les animaux font cela. Ils se préoccupent de la nourriture qu’ils mangent et prennent soin de leurs petits. Bien qu’il s’agisse là d’une préoccupation essentielle, elle n’implique pas nécessairement une pratique spirituelle.

Prendre soin de cette vie est important néanmoins. Certaines personnes ne se prennent pas au sérieux, ni eux ni leurs situations, et ne veulent jamais prendre en considération ce qui arrive dans leurs vies. Ainsi, ils ne cherchent même pas à améliorer leur situation ordinaire. Ils se contentent d’accepter ce qui vient et ne visent jamais une situation meilleure. C’est pourquoi il est important de commencer au moins par se préoccuper de nous, de nos familles, de nos situations, même sans motivation spirituelle particulière. Quand nous avons des problèmes, nous les admettons pour de vrai ; nous examinons nos vies pour voir quelles difficultés nous avons. « Suis-je heureux ? Suis-je malheureux ? Y a-t-il des difficultés auxquelles je suis confronté qui rendent ma vie déplaisante ? »

Les vies futures

La frontière indiquant que nous sommes vraiment entrés dans la pratique spirituelle, c’est quand nous sommes intéressés et concernés en premier par nos vies futures. Tous les textes sont d’accord sur ce point. Quand nous sommes concernés par les vies futures, nous voulons éviter d’avoir des problèmes pires que ceux que nous avons maintenant. Nous voyons les situations qui pourraient s’ensuivre dans le futur à partir de ce que nous faisons maintenant. Nous pensons à nos précieuses vies humaines : « Quelle chance j’ai ! Je ne meurs pas de faim. Je ne suis pas dans un camp de concentration. Je ne suis pas handicapé mentalement. Je ne suis pas dans une situation barbare où tout le monde attaque tout le monde. Je suis très heureux d’être libre de toutes ces choses et d’avoir la possibilité de me développer spirituellement. Néanmoins, cela ne durera pas toujours. La mort viendra à coup sûr. Elle vient pour tout le monde, et il n’y a aucune certitude quant à l’heure où cela arrivera. Un camion peut me renverser à tout moment. Je n’ai pas besoin d’être vieux pour mourir. Je pourrais mourir jeune. » Puis, nous réfléchissons à ce qui adviendra après notre mort. Nous allons soit vers une situation meilleure, soit vers une situation pire. À envisager ces pires situations – par exemple, être un insecte ou un fantôme affamé – nous développons un fort sentiment de crainte. Non pas de peur, mais de crainte.

Dans le bouddhisme, on ne cherche pas à cultiver la peur. Dire que nous avons peur d’une renaissance dans les royaumes inférieurs est une traduction erronée. Dire que nous redoutons l’idée d’une renaissance inférieure véhicule mieux le sens. La peur est un état d’esprit paralysant dans lequel nous mettons un gros trait solide autour de la situation qui nous déplaît et en faisons quelque chose de monstrueux et d’horrible. Nous sommes alors comme congelés. Nous sommes incapables de la gérer. Ce n’est pas de cela qu’il s’agit dans le bouddhisme. Ce dont on parle, c’est de crainte : le fait de ne pas vouloir qu’une situation terrible nous arrive. La différence entre la crainte et la peur est semblable à la situation d’avoir à passer un après-midi avec une personne odieuse et horrible, ce qui rend l’après-midi très désagréable. Nous n’avons pas peur de cela, mais nous le redoutons. La crainte est le souhait puissant que quelque chose n’arrive pas.

Prendre une direction sûre

Craignant ces pires situations dans le futur, nous cherchons alors une direction à prendre pour nous en sortir. La direction, l’issue, est de prendre refuge. Le refuge est une direction sûre que nous prenons dans notre vie. Nous allons dans la direction du Dharma. Le Dharma complet est l’état dans lequel toutes nos limitations et tous nos problèmes ont été éliminés et où tous nos potentiels ont été réalisés.

Dharma signifie « mesures préventives », choses que nous faisons pour éviter les problèmes. La meilleure et ultime chose que nous puissions faire pour éviter tous nos problèmes est de nous débarrasser des limites qui les occasionnent. « Si je suis en colère, ou contrarié ou nerveux, ou tourmenté, cela me causera beaucoup de problèmes. Cependant, si je pouvais réaliser tous mes potentiels, je serais capable de gérer toutes les situations, je serais en mesure d’aider tout le monde de la meilleure façon possible. » Quand on voit cela, alors on veut aller dans cette direction.

Aller dans cette direction est positif et bénéfique. C’est la direction que les bouddhas ont prise et c’est vers elle que la communauté du Sangha s’efforce. Le Sangha est la communauté des êtres hautement réalisés qui ont contemplé la réalité de manière directe et non conceptuelle. La communauté monastique des moines et des nonnes en sont pour nous l’illustration. Donner cette direction positive et sûre à nos vies est la solution pour éviter d’aller dans une plus mauvaise direction au cours des vies à venir.

De manière spécifique, nous devons réfléchir à la causalité comportementale. Nous devons voir que si nous agissons de manière destructrice, cela se traduira par des dommages et des problèmes. Nous créons beaucoup d’énergie négative puis expérimentons nous-mêmes cette énergie négative en retour. Elle nous piège. Alors que si nous nous abstenons d’agir de façon destructrice mais agissons à la place de façon constructive, nous accumulons du potentiel positif et, en conséquence, les choses s’arrangent dans le futur. C’est ainsi que nous travaillons à améliorer les vies futures.

La détermination à se libérer

Peu importe le genre de vie future que nous obtenons, il y aura toujours des problèmes récurrents incontrôlables – des frustrations, des confrontations et des conflits avec des gens, n’obtenant pas ce que nous voulons, obtenant ce que nous ne voulons pas, etc. Ces choses sont inévitables. Elles surviennent du fait de notre inconscience de qui nous sommes, de notre manière d’exister, et de celle des autres. Parce que nous en sommes inconscients, nous devenons très confus ; parce que nous sommes confus, nous nous sentons en insécurité ; et, nous sentant en insécurité, nous nous agrippons à une identité qui nous donne une certaine forme de sécurité. Nous nous accrochons à un certain aspect de nous-mêmes, vrai ou imaginaire, et nous nous identifions à lui en pensant : « C’est MOI ». 

Nous pourrions nous identifier à certains rôles sociaux ou à certaines occupations : « Je suis un HOMMES D’AFFAIRES, voilà qui je suis. » Ou bien : « Je suis une MÈRE », ou encore : « Je suis un PÈRE. » Nous fondons notre entière identité là-dessus, et comme nous nous sentons toujours en insécurité, soit nous essayons de défendre ces identités, soit nous les affirmons. En faisant cela, nous agissons de façon très impulsive, voire compulsive. Nous rudoyons les gens autour de nous. « Je suis un PÈRE et je dois être respecté ! » Bien entendu notre enfant a quelque difficulté avec ça, et cela crée un gros conflit. L’enfant dit : « Je suis une personne indépendante. Je sais ce que j’ai envie de faire ! » L’enfant, en tant qu’adolescent, fonde son identité sur le fait qu’il est une personne indépendante. Le père doit alors défendre sa propre identité et dit : « Non, tu DOIS m’obéir ! » Tout le monde se sent en insécurité et s’accroche de plus en plus à son rôle social. Cela occasionne des disputes incontrôlables et récurrentes, des batailles, des rancunes, etc. C’est ce qu’on appelle le samsara : c’est-à-dire une suite de problèmes récurrents incontrôlables.

Nous devons développer la détermination à nous libérer de ce cycle de problèmes récurrents et constants. On traduit souvent cela par renoncement, mais c’est une traduction trompeuse. En anglais (et en français), la connotation est que nous sommes supposés tout abandonner pour aller vivre dans une grotte. Le Bouddha n’a pas dit ça. Nous avons cette idée parce que nous lisons des choses à propos de gens comme Milarépa qui a quitté sa famille et son village pour vivre dans une grotte. Nous pensons que nous devons, nous aussi, faire cela. Tel n’est pas le sens du renoncement. Manifestement, nous devons laisser tomber nos attachements grossiers ainsi que le fait de nous accrocher à ce que nous avons, mais cela ne veut pas dire que nous devons tout jeter par la fenêtre.

En revanche, l’idée traduite par « renoncement » signifie véritablement « la détermination à se libérer ». Notre esprit est décidé et déterminé : « Tous les problèmes que j’ai, tous ces affrontements avec ma famille, ces difficultés dans mon travail, ça suffit comme ça ! J’en ai assez ! Je suis dégoûté, écœuré ! Je dois me sortir de là ! » En s’appuyant sur ce sentiment, nous essayons de développer la conscience discriminante qui voit la réalité et comprend comment nous existons, car, de fait, nous n’existons pas enfermés à l’intérieur de ces identités solides. Les choses sont beaucoup plus ouvertes. Nous n’existons pas selon ces modes impossibles, étranges, fantasmés. Nous ne sommes pas seulement des parents ; nous sommes également les amis et les enfants de nos propres parents. Nous sommes un grand nombre de choses en relation avec les autres. Ainsi, nous voulons développer cette détermination à être libres, laquelle nous poussera à suivre une pratique spirituelle et à gagner en sagesse.

La responsabilité universelle

Ensuite, nous pensons : « Je ne suis pas le seul à exister dans cet univers. Il y a tous les autres. Qu’en est-il d’eux ? Ai-je une certaine responsabilité à leur égard ? » Il se peut que nous disions : « Non, qui se soucie d’eux ? Je ne suis pas réellement connecté à eux. Je peux juste travailler pour moi seul. » Mais c’est être très irréaliste. Le grand maître indien Shantideva s’est servi de l’exemple de la main et du pied. Si nous avons une épine dans le pied et si notre main devait dire à notre pied : « Manque de chance, pied ! c’est ton problème. Moi je suis tranquille là-haut, » voilà qui serait très stupide. La main doit aider le pied car ils sont interconnectés. De même, nous ne pouvons pas travailler pour nous seuls car nous sommes fortement interconnectés avec tous les autres.

Il est facile de constater cela si on pense à tout ce dont nous nous servons et profitons au cours d’une journée. Prenez, par exemple, ce que nous avons mangé au petit déjeuner ce matin. Il se peut que nous ayons pris un bol de céréales chaudes. D’où vient ce bol de céréales ? Beaucoup de gens ont été impliqués pour faire pousser le blé ; d’autres l’ont récolté et d’autres encore l’ont apporté au moulin où il a été transformé ; des gens l’ont traité et d’autres l’ont emballé. Tous ces gens ont été impliqués dans la préparation de cette céréale qui nous est destinée. Ensuite, le paquet de céréale a été transporté jusqu’ici par avion, par bateau, ou par route. Qui a construit les routes ? Qui a construit les avions ?  D’où viennent les matériaux qui ont servi à construire les camions ou les avions ? Qu’en est-il de l’essence ? Pensez à tous les dinosaures dont les corps se sont décomposés pour produire le pétrole ! Il y a tellement de gens et d’animaux impliqués dans la fabrication de cette seule boîte de céréales.

Comment cuisons-nous les céréales ? On doit disposer d’électricité dans la cuisine et de gaz pour la cuisinière. On le doit au gens qui travaillent dans les centrales électriques et à ceux qui forent et extraient le gaz. Il y a tellement de gens impliqués dans ces activités. Tout ça pour un seul petit bol de céréales ! Que dire alors de tout ce que nous mangeons à côté ? Et des vêtements que nous portons ? Qu’en est-il de tous les objets dans la maison ? D’où vient le bol dans lequel j’ai mangé les céréales ? Il y avait aussi des morceaux de plastic et de carton qui contenaient les céréales. D’où cela venait-il ? Pensez à tous les gens dans l’industrie du bois, du papier ou du plastic et à l’imprimerie impliquée dans la fabrication de l’emballage.

Des centaines de milliers de gens s’impliquent pour rendre nos vies possibles, et cela tous les jours. Travailler pour soi seul n’a aucun sens, car nous sommes tellement interconnectés avec tout le monde. Si tous les autres se trouvent dans une situation terrible, et que pour nous tout va bien, ça n’ira pas. De même, cela ne marchera pas si nous sommes les seuls survivants d’une guerre nucléaire, seuls, par nous-mêmes, dans un abri atomique avec un masque à gaz alors que tous les autres sont morts. Combien de temps pouvons-nous durer ainsi ? Pas très longtemps. Et ce ne sera pas très drôle non plus.

C’est ainsi que nous commençons à penser aux autres. Nous nous rappelons leur bonté et voulons la leur retourner. Nous développons l’amour, souhaitant qu’ils soient heureux, ainsi que la compassion, le souhait sincère et authentique qu’ils soient délivrés de leurs problèmes. De plus, nous prenons la responsabilité de faire vraiment quelque chose à leur sujet. Rester assis sur le bord de l’étang pendant que nous regardons notre enfant se noyer et dire : « Tss tss ! Quelle honte ! J’aurais aimé que ça n’arrive pas. » La compassion n’est pas suffisante. En vérité, nous devons faire quelque chose. Nous devons plonger et aider notre enfant, nous prenons la responsabilité de le sauver. Il s’agir là d’une résolution exceptionnelle, celle qui consiste à dire : « Je vais faire quelque chose pour aider les autres. » 

Puis, nous nous demandons : « Suis-je réellement capable d’agir au mieux pour aider les autres ? Honnêtement parlant, non. Je peux à peine me venir en aide. Comment donc puis-je aider les autres ? La seule façon, c’est de devenir un bouddha moi-même. Pour devenir un bouddha, je dois surmonter toutes mes limites et réaliser tous mes potentiels. Alors, je serai en mesure d’aider réellement tout le monde de la meilleure façon possible. Nous générons la bodhichitta : nous engageons nos cœurs à devenir des bouddhas afin d’être bénéfiques à tous. Développer la bodhichitta fait référence au fait d’étendre nos cœurs de plus en plus vers les autres, de manière croissante, les agrandissant jusqu’à l’objectif d’atteindre nos potentiels maximum et de surmonter toutes nos limitations afin de pourvoir aider les autres de la meilleure façon possible.

Tel est le chemin progressif grâce auquel nous nous développons. Tout d’abord, nous voulons nous assurer d’avoir de bonnes vies futures. Puis, nous développons la détermination à nous libérer de la totalité de nos problèmes. Enfin, nous dédions nos cœurs à devenir des bouddhas afin d’être capables d’aider tout le monde. Nous endossons cette responsabilité fondée sur l’amour et la compassion, prenant soin du bonheur des autres, de tous les autres, et ne voulant pas qu’ils soient malheureux.

Sans prendre les vies futures au sérieux

Qu’advient-il si nous essayons de sauter directement au stade final, aspirant à devenir des bouddhas sans en passer par les étapes initiales ? Nous aurons des problèmes. Par exemple, la première étape importante est de réfléchir aux vies futures et de les prendre au sérieux. Il se peut que nous n’y ayons pas beaucoup réfléchi. Ou il se peut que nous ayons accepté l’idée d’une façon très vague, sans prendre la chose à cœur. Si nous n’avons pas réfléchi au fait que nous avons une infinité de vies, il se peut que nous pensions : « Bon, les choses ne se passent pas bien dans ma relation avec telle personne particulière. Aussi pourquoi ne pas la laisser tomber et m’engager avec quelqu’un d’autre ? » Nous pouvons avoir ce genre d’attitude envers des gens que nous ne connaissons pas bien, ou des amis avec qui les choses se gâtent : nous voulons juste les quitter. Quand nous sommes fatigués de notre partenaire et rencontrons de difficultés avec lui ou elle, nous cherchons simplement un nouveau mari ou une nouvelle épouse. Dans certains pays, 50% des mariages finissent par un divorce. C’est vraiment choquant ! Et très triste aussi.

Qu’y a-t-il derrière cela ? C’est l’idée que nous n’avons pas de connexions avec les autres, que nous pouvons donc les jeter comme de vieilles salades. « Bon, je ne vais pas continuer d’aider cette personne plus longtemps. Je peux simplement la laisser tomber. Cela n’a pas d’importance. » Toutefois, si on a réfléchi aux vies futures et au nombre infini de vies, alors on réalise que nous ne pouvons pas éviter d’avoir une relation avec quelqu’un. Si la relation ne marche pas bien, nous ne pouvons pas en sortir en ignorant cette personne et en ne la revoyant plus jamais. Si nous ne résolvons pas cette relation maintenant dans cette vie, alors, dans les vies futures, des situations similaires se produiront. Si nous avons des problèmes avec cette personne maintenant et que nous nous en détournons, dans les vies futures, nous rencontrerons quelqu’un de très similaire – la continuité de cette même personne – et de nouveau nous aurons les mêmes difficultés et les mêmes problèmes. Nous ne pouvons pas y échapper.

Si nous avons des difficultés avec quelqu’un, cela ne veut pas dire que nous devons toujours rester avec cette personne. Parfois, il se peut que ce soit difficile. Mais, au moins, on peut essayer d’améliorer la situation et de se séparer en bons termes. Nous essayons d’améliorer un peu la situation car dans les vies futures, cela va continuer. Peut-être ne sommes-nous pas pleinement préparés à gérer ces situations maintenant, mais, avec un peu de chance, dans les vies futures nous le serons.

Quand on essaie d’élargir nos cœurs à tous les autres et d’atteindre la bouddhéité afin de les aider, avoir réfléchi aux vies futures peut s’avérer très utile. Sinon, nous pouvons alors avoir le problème suivant : « J’élargis mon cœur à tout le monde, mais je n’aime vraiment pas telle personne, je l’oublierai donc et porterai mes efforts sur quelqu’un d’autre. » Étendre nos cœurs à tout le monde nous aide quand nous réalisons que nous ne pouvons échapper à personne, que dans les vies futures nous continuerons de rencontrer ces gens. Nous devons donc faire avec eux. Nous devons développer plus d’amour, plus de chaleur, et plus de bonté envers tout le monde. Il s’agit là d’un point important. 

Le fait que très souvent nous nous identifions à nos propres petits groupes constitue un autre aspect du problème. On s’identifie seulement à des Américains, des Chinois, des bouddhistes, ou à nos familles, nos propres genres, ou nos groupes d’âge – adolescents, adultes, seniors – et on ressent : « Je peux seulement me relier aux gens de mon propre groupe. Je peux seulement comprendre leurs problèmes. C’est donc seulement eux que je peux aider. Je peux seulement aider d’autres Américains. Comment puis-je comprendre les gens en Afrique ? » « Je peux seulement aider d’autres bouddhistes, parce qu’il est impossible de comprendre des gens venant d’autres milieux religieux. » « Je peux seulement aider d’autres hommes, car comment pourrais-je jamais comprendre les femmes ? » « Je peux seulement aider les femmes car tous les hommes sont des machos qui me maltraitent. Comment pourrais-je jamais me relier à eux ? » « Je peux seulement comprendre et aider d’autres adolescents, car les parents n’ont aucune idée de ce qui se passe. Ils ne comprennent rien. » « Je peux seulement aider des adultes matures, car tous les jeunes sont pourris et vous ne pouvez rien leur dire. »

C’est ainsi que nous nous limitons nous-mêmes quand nous pensons seulement à cette vie et aux situations particulières dans lesquelles nous nous trouvons maintenant en termes d’âge, de genre, de famille, de pays, etc. Si nous raisonnons en termes de vies infinies – futures et passées – on réalise : « J’ai eu tous les âges. J’ai été jeune ; d’âge moyen ; vieux. Je peux me relier à des gens de tous âges car moi aussi je suis passé par là. Je peux les apprécier. J’ai été de toutes les races et de toutes les nationalités ; je suis issu de tous les milieux culturels. » Cette réalisation nous permet d’être capables de nous relier à tous les groupes et d’éprouver une forme de connexion avec eux.

Nous pouvons élargir cela et nous rappeler que dans les vies passées nous avons, nous aussi, été des animaux. « Comment me suis-je senti quand quelqu’un m’a donné un coup de pied ou m’a écrasé ? » De cette façon, nous nous rappelons que les animaux aussi font l’expérience de la douleur et du plaisir, et nous faisons plus attention à la façon dont nous les traitons.

Réfléchir aux vies passées et futures est donc très utile en nous procurant un sentiment de connexion avec tout le monde. Nous pouvons également nous relier à la totalité des deux sexes : « Par le passé, j’ai été aussi bien une femme qu’un homme. » Nous pouvons apprécier, avoir de l’empathie et comprendre les problèmes et les situations de tous les groupes. Ceci est très utile pour étendre nos cœurs afin d’aider tout le monde et vouloir atteindre la bouddhéité pour y parvenir de la meilleure façon possible. Certains points importants découlent du fait de penser aux vies futures. Sans eux, la façon dont nous élargissons nos cœurs reste très limitée.

Sans la détermination à se libérer

Quand on dédie son cœur dans le but d’être bénéfique aux autres, un autre aspect majeur et important est la détermination à se libérer. Quand nous nous engageons à aider les autres, nous le faisons souvent pour des raisons névrotiques. Nous aidons les autres parce que nous voulons nous sentir aimés. « Je vous aiderai afin de devenir très populaire. » « Tout le monde m’aime parce que j’aide cette personne. Je le fais afin d’être aimé et apprécié. » « Je le fais parce que les autres se diront : quelle bonne personne je suis. J’aurai alors une bonne réputation. » « Je le fais parce que, si je ne le fais pas, je perdrai la face et les gens penseront du mal de moi ; je me sens obligé de le faire. » Ou bien, nous voulons nous sentir désiré : « Je vous aiderai et comme ça je me sentirai important. Je serai aimé en retour pour l’aide que j’apporte. » Les parents ont parfois cette attitude : « Même si mes enfants ont trente ou quarante ans, je dois encore leur dire comment se vêtir et quoi manger car alors je me sens utile et nécessaire. J’ai l’impression d’avoir une fonction, d’être important dans la vie de mes enfants. » Aider les autres afin de se sentir désiré revient à les exploiter.

Si nous avons la détermination à être libres, nous considérons toutes ces situations récurrentes incontrôlables et toutes ces relations névrotiques, et nous voyons les problèmes qu’elles engendrent. Nous développons alors une détermination à nous en libérer. « Ça suffit comme ça ! C’est juste ridicule. Cela crée tellement de dégradations, d’inquiétude, de tension ! »

Si nous avons la détermination à nous libérer, nous sommes également déterminés à être libres de toute espèce d’interaction névrotique avec les gens que nous aidons. « J’aide afin que tout le monde pense que je suis une personne merveilleuse. Je me préoccupe de savoir ce que pense telle ou telle personne. J’aide seulement les autres quand il y a quelqu’un autour pour y assister, afin qu’il puisse le dire aux autres. Je le fais pour impressionner les gens. Je fais la charité, mais je ne le fais certainement pas de manière anonyme. Je le fais afin que tout le monde sache que j’ai donné. En fait, je ferai mettre une plaque avec mon nom dessus, pour montrer que j’ai donné cette somme ! » Avec la détermination à se libérer, nous voyons les inconvénients qu’il y a à penser : « J’aide les autres afin qu’ils soient dépendants de moi, et, alors, je me sentirai important. » Si nous avons une forte détermination à nous libérer de ces problèmes, nous laissons tomber tous ces précédents motifs dans notre aide aux autres.

Bien que, peut-être, nous ne soyons pas capables d’arrêter immédiatement, du moins nous voyons qu’aider les autres pour des raisons névrotiques créera des problèmes. Les autres en éprouveront finalement du ressentiment. Ils réaliseront ce que nous faisons, notre manège, et nous y confronteront probablement. Cela peut saper nos efforts pour être bénéfique aux autres. Interrogeant non seulement nos motifs névrotiques mais également touts nos activités pour aider les autres, il se peut même que nous abandonnions l’idée d’essayer d’aider.

Nous devons éliminer toutes les motivations névrotiques que nous pourrions avoir. La manière de le faire réside dans la détermination à nous libérer de toute l’aggravation et la prétention qui se produisent quand nous agissons avec une motivation impure. Développer cette détermination à se libérer afin que notre interaction avec les autres ne soit pas fortement entachée par des motivations névrotiques est très important. Bien que cela soit important, nous avons tendance à passer dessus.

Travailler sur nous-mêmes

L’enjeu majeur du Dharma est de reconnaître nos défauts, de les corriger, et de développer nos bonnes qualités. En travaillant à nous améliorer, nous avançons en passant par une série de méthodes progressives et utilisons nos expériences personnelles pour apprendre à nous connaître. Par exemple, supposons que nous avons l’habitude de faire des réflexions à nos partenaires ou à nos enfants. « Pourquoi est-ce que tu ne fais pas ceci ? Pourquoi ne fais-tu pas cela ? Pourquoi n’es-tu pas revenu à la maison à l’heure ? Pourquoi n’as-tu pas appelé ? Pourquoi est-ce que tu ne sors pas la poubelle ? », etc. Nous savons que cela est très destructeur. Cela crée beaucoup de tension dans une relation. Cela aura probablement pour résultat que nos partenaires ou nos enfants soient plus froids et plus distants et disent : « Laisse-moi tranquille. » Ou, s’ils ne sont pas trop loquaces, qu’ils se contentent de nous ignorer et d’être complètement froids. Nous disons alors : « Pourquoi est-ce que tu ne me parles pas ? Pourquoi ne fais-tu pas ceci ? Pourquoi ne fais-tu pas cela ? » et ils deviennent encore plus silencieux, plus en retrait, et finissent par ne plus revenir du tout à la maison. Cela occasionne tellement de mal-être. Que faisons-nous habituellement pour arrêter cela ? 

En premier, nous essayons d’utiliser la retenue, le contrôle de soi : « Je sais que je ne devrais pas dire ça, je ne vais donc pas le dire. » Nous nous contrôlons étroitement, mais c’est souvent difficile à faire et nous voyons que nous commençons à faire des réflexions. « Intellectuellement, je sais que ne devrais pas en faire, mais je ne peux m’en empêcher. Je n’ai pas la force pour être capable d’arrêter. » Nous nous mettons alors en colère après nous. « C’est terrible ! J’ai essayé de retenir ma langue mais je n’ai pas pu. » Dans cet état de colère, il nous est très difficile de changer ou de nous améliorer car nous sommes très contrariés. 

La colère se change rapidement en culpabilité. « J’ai raté l’occasion de me taire ! Je me sens tellement coupable ! Je suis terrible ! Je n’aurais pas dû faire de remarque. J’ai provoqué un nouvel affrontement. » La culpabilité est un état d’esprit très regrettable et malheureux, dans lequel nous nous identifions très fortement à un enfant méchant : « Je suis tellement odieux. Regardez ce que j’ai fait ! Maman et papa ne m’aimeront plus. » Nous nous sentons mal. Plus nous nous sentons coupable et plus nous nous identifions à un méchant garnement ; plus nous nous identifions au méchant garnement et plus nous nous sentons coupable. C’est un cercle vicieux. Une fois encore, il nous est difficile de modifier la situation quand nous ressentons une telle culpabilité.

Puis nous passons à l’étape au-delà de la culpabilité, qui est la lassitude. « Je suis tellement fatigué de toutes ces disputes. Je suis tellement fatigué de toutes ces scènes qui surviennent quand je fais des remarques et quand, en réponse mon partenaire, ou mon enfant, se ferme avec rancune et me dit d’arrêter de le harceler. J’en suis malade et las ! Je suis fatigué de cette situation ! ASSEZ ! Je dois en sortir. »

Telles sont les étapes par lesquelles nous devons passer pour développer la détermination à nous libérer. Nous ne changeons pas quand nous sommes en colère après nous. Nous ne changeons pas quand nous nous sentons coupable. Nous changeons quand nous sommes dans un état de lassitude, de dégoût : « Tout cela est stupide ! » C’est à ce moment-là que nous essayons d’en sortir. 

Si nous n’en sommes pas passés par toutes ces étapes de travail sur nous-mêmes, alors, quand nous essayons d’aider les autres, nous avons tendance à projeter toutes ces émotions destructrices sur eux. Cela devient très malhonnête. Par exemple, j’essaie d’aider quelqu’un et la première chose que je fais est de le rabrouer : « Je veux exercer le contrôle sur moi-même, donc, vous aussi, vous DEVEZ changer, vous DEVEZ cesser de faire cela. »

Très souvent, nous agissons ainsi avec nos enfants. Il est facile de les rabrouer et d’essayer de leur imposer notre volonté et de les contrôler. Personne n’aime être traité comme un enfant, en particulier si cette personne n’est pas notre enfant.

Personne n’aime qu’on le gronde et le force à changer ou à s’améliorer. Quand nous forçons les autres : « Tu dois changer. Tu dois aller à l’école. Tu dois trouver un travail. Tu dois faire ceci. Tu dois faire cela », nous y allons trop fort. Nous rentrons dans un fantasme de pouvoir. Ce qui arrive alors c’est que les gens ne suivent pas notre conseil pas plus qu’ils n’acceptent l’aide que nous voulons leur apporter. Donc, de même que nous nous sommes mis en colère après nous, de même nous nous mettons maintenant en colère après cette autre personne : « Tu es terrible ! Je t’ai dit de faire ceci et tu ne l’as pas fait. Regarde tout le tort que tu t’es causé à toi-même ! » Ce n’est pas l’interaction idéale à avoir avec quelqu’un qu’on essaie d’aider. Se mettre en colère quand l’autre ne tient pas compte de notre avis cause simplement beaucoup de ressentiment.

Puis, nous passons à l’étape suivante. Tout comme nous nous sentions coupables nous-mêmes, maintenant nous essayons de faire que l’autre personne se sente coupable. « Tu n’apprécies pas ce que j’essaie de faire pour toi. Regarde toutes les difficultés par lesquelles j’ai passé ! Le moins que tu puisses faire est d’en tenir compte, d’essayer pour le moins. » Nous devenons le « parent » et essayons de faire en sorte qu’il ou elle se sente coupable.

Après cela, nous passons au stade suivant. « Quant à moi, je suis tellement fatigué, tellement lassé d’avoir tous ces problèmes et toutes ces difficultés. Il faut que je m’en sorte. » De la même façon, nous considérons l’autre personne et pensons : « Nous devons nous en sortir. C’est vraiment trop ! » C’est de cette manière que nous travaillons à l’aider. De même que nous ressentions cette détermination à nous libérer des problèmes, de même nous avons cette détermination à aider l’autre personne à se libérer de ses problèmes aussi bien. C’est très important. Si nous n’avons pas travaillé sur nous-mêmes, par nos propres expériences, en parcourant ces étapes, alors quand nous essayons d’aider les autres, nous avons tendance à projeter tous nos problèmes sur l’autre personne ; nous essayons de la faire changer en la rabrouant, en nous mettant en colère, ou en la faisant se sentir coupable. Ce sont de grands obstacles dans notre aide aux autres.

L’estime de soi

Un autre aspect dont on doit être conscient quand on aide les autres est la situation où quelqu’un vient à nous avec un problème, nous raconte son histoire, et que, après un moment, nous nous impatientons. C’est comme un mauvais programme de télévision. Nous voulons changer de chaîne et regarder autre chose car ce programme est très déplaisant et sans intérêt. Cela arrive parce que nous ne prenons pas l’autre personne au sérieux. Il ou elle nous parle d’un problème et nous pensons : « Ce programme de télévision dure trop longtemps ! J’ai faim. Appuyons sur le bouton et éteignons la télévision. » Nous ne prenons pas cette personne au sérieux, bien que ses problèmes soient réels et lui fassent mal. Souvent, nous ne prenons pas les autres au sérieux parce que dans les premiers stades du chemin nous ne nous sommes pas pris nous-mêmes au sérieux.

Se prendre au sérieux, en considérant nos problèmes et en essayant de les gérer, est très important. Si nous ne pouvons pas nous prendre au sérieux ainsi que nos problèmes, comment pouvons-vous prendre quiconque au sérieux avec ses difficultés ? Si nous ne nous soucions pas d’être heureux, comment pouvons-nous développer l’état d’esprit qui veut que tous les autres soient heureux ?

Prendre soin de soi ne signifie pas être égoïste, cela ne veut pas dire : « Je veux un million de dollars pour acheter ça et ça. » Il s’agit plutôt de se respecter en tant qu’être humain.

Beaucoup de gens ont des idées et des attitudes négatives à leur égard. Ils ont le sentiment qu’ils ne sont bons à rien ; qu’ils ne méritent pas d’être heureux ; qu’ils ne méritent pas d’être aimés. Si c’est ce que nous ressentons à propos de nous-mêmes, il nous est facile alors de penser : « Si je ne mérite pas d’être heureux, pourquoi le mériteriez-vous, vous, de votre côté ? » Toutefois, si on se regarde et qu’on pense : « J’ai la nature-de-bouddha, j’ai en moi tous les facteurs qui me permettent d’être en mesure de me développer et de croître pour devenir un bouddha, pour être capable d’aider tout le monde : je dispose d’un esprit, j’ai de l’énergie, j’ai la capacité de communiquer, j’ai un certaine dose de bon cœur. Toutes ces choses peuvent être développées. Donc, bien sûr, je mérite d’être heureux. Je mérite une vie meilleure. »

De cette manière, nous nous prenons au sérieux et avons du respect pour nous-mêmes. Nous reconnaissons que nous méritons d’être heureux et de nous sortir de nos problèmes. Avec ceci pour base, nous pouvons transférer ce respect aux autres. Nous voyons qu’ils ont également la capacité de s’améliorer, ils possèdent la nature-de-bouddha ; ils disposent de tous les potentiels. Sur cette base, ils méritent d’être heureux et d’être délivrés de tous leurs problèmes. Nous les prenons au sérieux.

Dès le début

Ce sont là certains des points importants quand on développe une motivation de bodhichitta pour aider les autres et atteindre l’illumination afin de leur être bénéfique de la meilleure façon possible. Cela ne veut pas dire que nous n’aidons pas les autres dès le début, que nous devrions nous contenter de travailler sur nous-mêmes et que c’est seulement une fois que nous avons atteint un niveau avancé que nous aidons les autres. D’un point de vue Mahayana, nous aidons les autres dès le début. Toutefois, nous ne le faisons pas en pensant : « Je peux enjamber toutes les étapes préliminaires et m’engager seulement dans l’aide aux autres. » Nous aidons au mieux de nos possibilités tout au long du chemin. C’est un point essentiel dans la voie bouddhique.

Néanmoins, tout en aidant les autres du plus que nous pouvons maintenant, nous devons nous assurer de consacrer une durée raisonnable au développement des motivations et des expériences initiales fondamentales ou construction des fondations. La raison en est que si nous ne le faisons pas, il y a des chances pour que nous rencontrions des problèmes quand nous aidons les autres. Il se peut que nous pensions que quand nous avons des ennuis avec les autres, nous pouvons les ignorer. Or, nous ne le pouvons pas. Nous avons une infinité de vies, et nous devrons toujours les rencontrer à nouveau. Ou bien, nous pouvons avoir le sentiment que nous pouvons seulement aider des gens de nos âges ou de notre propre milieu culturel. Il n’en est pas ainsi. Nous avons été toute chose, nous avons eu tous les âges, nous avons fait l’expérience de toutes les cultures, et des deux genres. Nous pouvons donc nous relier à tout le monde.

Par ailleurs, nous ne voulons pas aider les autres dans le seul but d’être aimé, de nous sentir important, ou nécessaire. Nous sommes déterminés à nous libérer de pareilles interactions névrotiques parce que nous voyons qu’elles amènent des problèmes récurrents incontrôlables. Nous n’allons pas nous engager dans des scénarios de pouvoir avec les autres quand nous les aidons ou d’essayer de les harceler pour qu’ils adoptent notre avis. Nous n’allons pas nous mettre en colère après eux, ou les faire se sentir coupables quand il ne suivent pas nos conseils. Cela est dû au fait que nous en sommes passés par tout le processus de travail sur nous-mêmes : nous avons essayé de gagner le contrôle, nous nous sommes mis en colère après nous, nous nous sommes sentis coupables, mais alors cela nous a inspiré un tel dégoût que nous avons été déterminés à nous en libérer. Nous avons pris la décision ferme d’en sortir. Ayant passé par là, nous n'allons pas projeter ces problèmes sur les autres. 

Tout au long du processus, nous nous sommes pris également au sérieux. Nous reconnaissons notre nature-de-bouddha et savons que nous avons la capacité et tous les facteurs qui permettent de croître et devenir illuminés, et d’aider les autres. Dans le bouddhisme, respecter quelqu’un ne veut pas dire le craindre. Avoir du respect veut dire : « Je me prends au sérieux et me considère avec sérieux. Je mérite d’être heureux. » Nous pouvons alors avoir sincèrement la même attitude envers les autres : « Je vous respecte aussi bien. Je respecte le fait que vous avez la nature-de-bouddha. Même si vous vous comportez stupidement maintenant, malgré tout, je vois que vous avez le potentiel de devenir une personne sage et compatissante. De même que je prends en compte mes propres problèmes sérieusement, de même je prends vos problèmes au sérieux. De même que j’ai vu que mes propres problèmes étaient douloureux, de même je peux apprécier le fait que vos problèmes vous blessent également. » Une telle attitude nous permet d’être bénéfique et d’aider autrui d’une manière beaucoup plus sincère.

Comprendre le karma

Une autre source de tourment est que parfois nous essayons d’aider quelqu’un et que ça ne marche pas. Dès lors, nous nous décourageons. Dramatique est l’exemple d’une personne de notre famille que nous essayons d’aider et qui se suicide. C’est une situation horrible et il est facile de se blâmer : « Si seulement j’avais fait ceci ou cela, alors cette personne ne se serait pas tuée. » En essayant d’agir comme un bodhisattva, nous pouvons nous sentir très découragé. Quand il semble qu’on a échoué, on se sent si mal et coupable que cela peut devenir un gros obstacle sur la voie.

Le problème ici est que nous réfléchissons au moyen de modèles inappropriés. Nous pensons que nous sommes Dieu, ou que nous aurions dû l’être, que nous aurions été capable d’empêcher que quelque chose n’arrive à quelqu’un d’autre. Dans le bouddhisme, on dit : « Ce n’est pas possible. Personne n’est tout-puissant. Il y a seulement une certaine quantité d’énergie dans l’univers. » Les scientifiques sont aussi d’accord avec cela. Un aspect de l’énergie dans l’univers est la force de l’activité-de-bouddha, qui est l’influence illuminatrice qu’un bouddha peut exercer sur n’importe qui. L’autre aspect est l’énergie des impulsions qui surgissent dans l’esprit des gens, autrement dit, le karma. Le karma fait référence aux impulsions qui nous viennent à l’esprit, fondées sur les habitudes antérieures de faire certaines choses. Du fait qu’il y a seulement une certaine quantité d’énergie dans l’univers, on ne peut pas outrepasser l’autre. Tout ce qu’un bouddha ou un bodhisattva peut faire, c’est d’essayer d’influencer quelqu’un dans un sens positif. Ils ne peuvent empêcher personne de faire une chose. Si la pulsion du suicide est à ce point forte dans l’esprit d’une personne, celle-ci le commettra de toute façon.

Un jour, un exemple très intéressant s’est produit alors que j’étais à Dharamsala, en Inde. Devant la bibliothèque où je travaillais, il y avait une souris en train de se noyer. Un de mes amis sauva la souris et la posa sur le sol pour qu’elle récupère. Aussitôt après son départ, un faucon a fondu dessus et l’a emportée. 

D’après cet exemple, nous ne devons pas penser qu’il nous est impossible d’aider quelqu’un, parce que ce qui lui arrive est son karma. Ne pensez pas que le karma est le destin. « C’est le destin de la souris de mourir. Il n’y a aucune raison que je l’aide car c’est le karma de la souris de mourir. » Nous essayons de faire de notre mieux. Si la personne que nous essayons d’aider possède de son côté la graine ou le potentiel d’être aidée, alors notre aide s’y connectera et nous serons en mesure de lui être bénéfique. Si cette graine n’est pas là, ce sera comme pour l’exemple de cette souris : nous la sauvons mais elle mourra de toute façon.

C’est la même chose quand nous essayons d’aider les autres. Aspirant être des bodhisattvas, nous faisons de notre mieux pour aider autrui. Si ça marche, très bien ! Nous ne nous félicitons pas en nous vantant à la ronde auprès des autres, leur disant combien compatissant et merveilleux nous sommes. Si ça ne marche pas, nous n’avons pas besoin de nous sentir coupable. Nul besoin de nous fouetter émotionnellement ou de nous punir. Nous avons essayé de notre mieux et si cette personne avait été réceptive, cela aurait marché, sinon, il n’y a rien que nous aurions pu faire. Personne n’est un dieu tout-puissant. En tout cas, certainement pas nous. Personne ne peut empêcher quelqu’un de faire une chose si l’impulsion dans son esprit est à ce point forte.

Il est important d’être réaliste quand on essaie d’aider les autres et de réaliser qu’on ne peut pas éliminer les problèmes de tout le monde. Nous développons le souhait de pouvoir le faire. Nous nous soucions sincèrement et prenons l’authentique responsabilité de les aider. Si ça marche, ça marche ; si ça ne marche pas, nous avons fait de notre mieux. Nous ne nous décourageons pas.

Le but de l’illumination

Sa Sainteté le Dalaï-Lama a dit que quand on récite : « Puissé-je atteindre l’illumination pour le bien de tous les êtres sensibles », il y a là un certain danger dans l’ordre des aspirations. Souvent, pour nous, il semble que l’accent principal soit « puissé-je atteindre l’illumination ». Pourquoi ? Parce que c’est ce qu’il y a de plus haut, de plus grand ; l’état le plus heureux. Après tout, nous devons occuper le rang le plus élevé, avoir le titre le plus haut. Mais « puissé-je atteindre l’illumination » est suivi par « pour le bien de tous les êtres sensibles », qui a tout l’air d’un méchant impôt que nous devons acquitter après coup. Ce n’est pas réellement ce que nous voulons faire, mais, si nous voulons devenir un bouddha, c’est ce que nous sommes obligés de faire. Nous devons être bénéfique à tous les êtres. Sa Sainteté a dit que l’accent doit être placé dans le sens inverse : « Je veux aider tous les êtres sensibles le plus possible et, pour ce faire, je dois devenir un bouddha. » L’accent principal doit être mis sur « je veux aider tout le monde ».

Quelquefois, quand on pense à être bénéfique aux autres, il se peut qu’on rencontre l’obstacle de ne pas être sincère dans notre pratique. Nous disons : « Je vais aider tous les êtres sensibles, et je les aime tous », mais quand nos parents ou nos enfants nous demandent de faire quelque chose, nous les envoyons promener : « Cessez de m’embêter ! J’essaie d’aider tous les êtres sensibles ! » Comme il est dit dans les enseignements du lojong (l’entraînement de l’esprit) sur la purification de nos attitudes, nous devons commencer par nous aider nous-mêmes ; puis, par étendre notre aide à nos familles ; ensuite, aux gens autour de nous ; etc. Autrement dit, nous devons aider ceux qui sont proches de nous. Nous ne les ignorons pas. Souvent, les gens impliqués dans le service social ont des enfants rancuniers car ils sont tellement accaparés par leur engagement à aider les autres qu’ils n’ont jamais de temps pour leur propre famille. C’est très injuste. Si nous suivons le conseil du Bouddha, alors nous commencerions en premier par nos familles et prendrions soin d’elles.

Développer l’équanimité ne veut pas dire : « Désormais, je vais ignorer mes propres enfants et travailler juste pour tous les autres », cela veut dire : « De même que j’ai une puissante attitude aimante envers mes propres enfants, de même je vais l’étendre jusqu’à inclure de plus en plus de gens. Au lieu d’avoir deux enfants, maintenant j’en ai cinq, dix, une centaine, un millier ! » Nous élargissons le spectre de notre amour bienveillant. Nous ne transférons pas notre préoccupation et notre amour d’un endroit à un autre. Il est important de prendre soin de ceux qui nous sont proches et d’étendre ce sentiment aux autres : à nos amis, aux étrangers, et aux gens que nous n’aimons pas, aux animaux, aux esprits, et aux êtres dans les différents royaumes.

Développer la bodhichitta veut dire dilater notre cœur. Dilater notre cœur ne veut pas dire que nous pouvons passer d’un seul bond d’une attitude égoïste à celle de chérir tous les êtres sensibles. Nous devons y travailler progressivement. De la sorte, nous serons d’une plus grande sincérité. Nous ne pouvons pas être sincère quand nous disons : « Je travaille pour le bien de tous les êtres sensibles », tout en ne prenant pas soin de nos parents et de nos enfants. La bodhichitta n’est en aucune façon contradictoire avec nos valeurs culturelles habituelles concernant l’importance de la famille, des parents et des enfants. Elle se construit sur cette base pour s’étendre de plus en plus loin. 

Ce sont là quelques points importants dont il faut être conscient quand on est engagé sur la voie du Mahayana, laquelle consiste à élargir nos cœurs en direction des autres, à régler nos cœurs sur l’objectif d’éliminer toutes nos limitations et de réaliser tous nos potentiels en sorte d’aider tout le monde de la meilleure manière possible. Si nous gardons ces points à l’esprit, nous rencontrerons moins de difficultés sur le chemin. 

Questions

Est-il possible, après en avoir acquis l’expérience dans les vies passées, de passer outre certaines de ces étapes et d’emprunter un raccourci dans cette vie ?

Oui, c’est possible. Il existe deux types de pratiquants : ceux pour qui tout arrive soudainement et ceux qui suivent un chemin progressif. Il y a ainsi un chemin prompt, abrupt, et un chemin gradué. L’un des grands maîtres tibétains qui a écrit un commentaire sur ce point particulier a dit cependant que les personnes pour qui tout arrive d’un coup sont très rares. Il est très rare d’avoir accumulé toutes les habitudes et tous les instincts positifs de telle sorte que, dans cette vie, nous soyons capables de sauter les étapes. Souvent, c’est parce que nous sommes paresseux et ne voulons pas passer par tous les stades. Nous nous donnons alors pour excuse : « Je suis quelqu’un qui a accumulé tellement de potentiel dans mes vies passées. Je fais partie des heureux élus pour qui tout arrive d’un seul coup, je peux donc faire l’impasse sur certaines étapes, et les enjamber. » Nous devons être tout à fait honnêtes avec nous-mêmes. Il est extrêmement rare qu’une personne ait accumulé autant de potentiel positif dans les vies passées. Il n’y aucun mal à parcourir toutes les étapes, sans pour autant avoir à passer des années et des années pour chacune. Un des textes sur la voie progressive vers l’illumination déclare que, même si les instincts sont présents, il est bon de les reconfirmer, en parcourant les étapes rapidement, et non en les éludant sous prétexte d’aller de l’avant.

Pouvons-nous être bon et compatissant sans qu’on profite de nous ?

Chogyam Trungpa Rimpotché a inventé une excellente formule qui convient à cette question : « la compassion idiote ». La compassion idiote est une compassion sans sagesse. Par exemple, un bébé ne cesse de réclamer des bonbons. Avec la compassion idiote, nous lui donnerions constamment des sucreries simplement parce qu’il les demande. Ou bien, un fou surgit et dit : « Donnez-moi un fusil, je veux tuer quelqu’un. » Si nous disons : « Comme je pratique la générosité, je vais donc lui fournir un fusil », il s’agit de compassion idiote. 

De la même façon, quand les gens profitent de nous, si nous continuons de leur donner notre aide, ce n’est pas leur rendre service. En fait, c’est préjudiciable à leur croissance. Parfois, il est important d’être très ferme et strict. Nous devons donner ce dont les autres ont besoin. Et ce dont ils ont besoin, c’est de discipline. Il se peut qu’ils aient besoin que quelqu’un leur dise « non », quelqu’un qui leur fixe des limites. Par exemple, un enfant dissipé a besoin de discipline. Laisser juste les enfants libres de faire tout ce qu’ils veulent a été une politique désastreuse. Nombre d’enfants se sont sentis mal aimés et insécurisés parce que d’autres parents établissaient des règles, contrairement à leurs parents. Ils avaient le sentiment que leurs parents ne les aimaient pas et qu’ils ne s’occupaient pas d’eux suffisamment pour fixer des règles. Il est donc très important parfois de dire « non », de fixer des limites et de ne pas laisser tout le monde profiter de vous.

La compassion idiote n’est d’aucun bénéfice. Nous avons besoin de compassion avec sagesse. C’est fondamental dans les enseignements bouddhiques, et c’est exprimé dans le mantra om mani padmé hum. Mani signifie « joyau », lequel représente la compassion, et padmé veut dire « dans le lotus », lequel fait référence à la sagesse. Les deux vont ensemble. 

Quelquefois, donc, il est nécessaire de dire « non ». Toutefois, cela peut blesser l’autre personne parce qu’elle ne comprend pas. Est-ce une bonne chose ? Il est dit dans les enseignements sur le karma, que si le dommage est minime à court terme, mais que le bienfait est très grand à long terme, l’action doit être accomplie. Bien évidemment, si c’est bénéfique dans les deux cas, c’est la meilleure solution. Mais, si je donne des bonbons aux enfants, par exemple, pour qu’ils arrêtent de pleurer et que je puisse aller dormir, c’est bénéfique à court terme, mais pas à long terme. Cela fait du mal aux enfants, car ils tomberont malades à force d’en manger constamment. Ils deviendront également des enfants gâtés et des sales gosses. Dans ce cas, il vaut mieux leur causer un peu de dommage et de déplaisir à court terme, car, à long terme, ce sera bénéfique. Cela requiert de la sagesse de voir ce qui sera bénéfique et ce qui ne le sera pas, mais ce sont là des choses de bon sens. 

Si nos vies se terminent prématurément, serons-nous à nouveau les maris et les épouses des mêmes personnes dans nos vies futures ?

Pas nécessairement, bien que cela soit possible. Cela pourrait arriver si la connexion est très forte. Il y a des exemples : un enfant né dans une famille est mort alors qu’il était un bébé, mais l’individu avait une connexion si puissante avec la famille que cet enfant est né en tant qu’un autre bébé dans cette famille. Cela arrive mais, en général, il existe de nombreuses possibilités karmiques différentes. Au moment de la mort, des empreintes karmiques différentes peuvent être activées pour nous propulser dans des renaissances différentes.

Par ailleurs, nous n’avons pas une relation avec juste une personne telle qu’une épouse ou un mari. Nous avons eu des relations avec de nombreuses personnes différentes dans de nombreuses vies différentes. Ces relations changent continuellement. Au cours d’une vie, certaines interactions avec une autre personne se produisent, et notre relation change. C’est pourquoi la continuité de cette relation peut se produire pas nécessairement sous la même forme de mari ou d’épouse. Peut-être deviendrez-vous deux vaches mâchant de l’herbe ensemble dans le même pré ou deux fourmis travaillant ensemble dans la même fourmilière. Cela dépend de la façon dont la relation s’est développée auparavant. De même, il se peut que nous ne rencontrions pas cette personne dans la vie prochaine, ou celle d’après. Cela pourrait avoir lieu des milliers de vies plus tard, dans le futur.

Il est important de combiner la compréhension de la renaissance avec les enseignements de base sur le manque d’existence véritable d’un soi solide ou d’une personne. Ce n’est pas que je vais rencontrer mon mari, quel que soit son nom, ou mon épouse, quel que soit son nom, dans une vie future. Chaque personne est une continuité – une continuité d’énergie, une continuité de conscience, une continuité de tendances et d’habitudes. Au cours de vies futures, les continuités des deux personnes se rencontreront, mais ce ne sera ni vous ni moi tels que nous sommes maintenant.

Nous avons tous fait l’expérience de marcher dans une pièce pleine de monde et d’avoir eu l’œil attiré par une ou deux personnes. Nous éprouvons un sentiment chaleureux de proximité à leur égard, et nous voulons leur parler. Par ailleurs, quelqu’un d’autre nous donne l’impression suivante : « Bah ! Je ne veux pas avoir affaire avec cette personne. » Pourquoi cela arrive-t-il ? Il s’agit de l’indication d’une connexion antérieure avec cette personne. Nous avons des connexions avec des millions et des millions d’êtres. Certaines sont plus récentes et plus fortes : nos expériences avec ces gens nous affectent donc plus. D’autres connexions peuvent être plus faibles : il se peut que nous soyons nés dans la même ville mais que nous ne nous soyons jamais rencontrés.

Certaines personnes ici à Singapour portent des petites statuettes du Bouddha en guise de protection. Comment cela fonctionne-t-il ?

Deux facteurs entrent en jeu ici. L’un se trouve du côté de l’objet. De telles statuettes sont consacrées par de très hauts lamas. De nombreux maîtres peuvent se rassembler et réciter om mani padmé hum dix millions de fois et souffler sur les objets. Un lama peut aussi faire cela, ou il peut rester assis en méditation d’absorption profonde. Pour utiliser une analogie scientifique, la récitation de mantra et la concentration changent le champ magnétique – le champ d’énergie – des objets, ce qui leur confère une certaine qualité spirituelle magnétique. 

Le second facteur est la foi et la confiance des gens qui utilisent les objets, de même que leurs actes antérieurement créés, ou karma. Si les gens ont foi et confiance que quelque chose les protégera, alors leur propre confiance peut les protéger. Il se peut que cela ne les protège pas d’une bombe atomique mais cela les protégera d’événements où ils n’auraient pas confiance pour gérer une situation de manière bénéfique.

Si un cordon bénit ou une image étaient mis autour du cou d’un cochon, je ne sais pas si cela le protégerait d’être égorgé. Toutefois, si une personne a le potentiel qui permettra à cette bénédiction de marcher, alors ça marche. Les deux facteurs sont nécessaires. C’est comme deux pièces de puzzle qui s’accordent.

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