Les vœux-racines tantriques communs

Modifié en mars 2002 par Alexander Berzin Traduit par Pauline M. Silbermann L’initiation de KalachakraTraduit par Marie-Béatrice Jehl Éditions Dangles, 2000

Aperçu général

Comme pour les vœux de bodhisattva, les vœux-racines tantriques et les vœux secondaires tantriques que nous promettons d’observer jusqu’à notre atteinte de l’illumination se poursuivent sur notre continuum mental dans nos vies futures. Dans les traditions guéloug, kagyu et sakya qui suivent un système de classification quadruple, ces vœux sont conférés lors de toute initiation (dbang), permission subséquente (rjes-snang, permission) ou accumulation de mantras appartenant à toute pratique des deux plus hautes classes de tantra : le yoga et l’anuttarayoga. Dans la tradition nyingma, selon le système sixtuple, ils sont conférés lors de tout rite mentionné ci-dessus dans le cadre de n’importe quelle pratique des quatre plus hautes classes de tantra : le yoga, le mahayoga, l’anuyoga ou l’atiyoga (dzogchen).

La plupart des détails ayant trait aux vœux de bodhisattva sont aussi valables pour les vœux tantriques.

[Voir : Les vœux-racines du bodhisattva.]

Les vœux-racines tantriques consistent à se réfréner de commettre quatorze actes qui, s’ils sont accompagnés des quatre facteurs liants (kun-dkris bzhi), constituent une chute-racine (sngags-kyi rtsa-ltung) et précipitent ainsi la perte des vœux tantriques. Sans ces vœux pour modeler notre vie, nous ne pouvons pas obtenir d’accomplissements ni de réalisations par la pratique tantrique car il va lui manquer la structure de soutien nécessaire. Comme pour les vœux-racines du bodhisattva, parmi les actes précipitant une chute-racine, à l’exception de l’acte d’abandonner la bodhichitta, toute transgression de l’un des treize autres vœux, lorsqu’elle a lieu en l’absence des quatre facteurs liants au complet, ne fait qu’affaiblir les vœux tantriques et ne les élimine pas de notre continuum mental.

Les vœux-racines tantriques existent en deux variantes : l’une est spécifique au Kalachakra et l’autre est commune à tous les yogas et tantras de l’anuttarayoga, y compris à celui du Kalachakra. Nous allons suivre ici l’explication des vœux-racines tantriques communs donnée par le fondateur guéloug Tsongkhapa au quinzième siècle (Tsong-kha-pa Blo-bzang grags-pa) dans Une explication du mantra secret de la discipline éthique : une grappe de fruits d’accomplissements véritables (gSang-snags-kyi tshul-khrims-kyi rnam-bshad dngos-grub-kyi snye-ma). Nous nous reporterons à l’œuvre du maître guéloug Kaydrub Norzang-gyatso (mKhas-grub Nor-bzang rgya-mtsho) à la fin du quinzième siècle, Une lampe pour éclairer les pratiques étroitement liantes (Dam-tshig gsal-ba'i sgron-me) lorsqu’il s’agira de compléter les explications.

Les quatorze chutes-racines tantriques communes

(1) Mépriser ou tourner en dérision nos maîtres vajra

L’objet de notre mépris ou de notre dérision est ici tout professeur dont nous avons reçu une initiation, une permission subséquente ou une accumulation de mantras dans l’une des classes de tantra, une explication complète ou partielle sur un texte y ayant trait, ou des instructions orales sur une pratique s’y rapportant. Mépriser ou tourner en ridicule ces maîtres, leur montrer du dédain, les critiquer ou les railler, manquer de respect ou de politesse à leur égard, penser ou dire que leur enseignement est inutile ˗ après les avoir tenus en haute estime, honorés et respectés, nous parachevons cette chute-racine lorsque nous abandonnons cette attitude envers eux, lorsque nous les rejetons en tant que professeurs et lorsque nous les traitons avec un dédain hautain. Faire acte d’un tel mépris est alors très différent de l’acte consistant à suivre le conseil du Tantra de Kalachakra qui est de se tenir à distance respectueuse d’un maître tantrique, de ne plus étudier avec lui ni le fréquenter si nous avons décidé qu’il ne nous convient pas, qu’il n’est pas correctement qualifié ou qu’il agit de manière inadéquate. L’acte de mépriser ou de rabaisser un professeur qui ne nous enseigne que des thèmes non uniques au tantra, comme la compassion ou la vacuité, ou qui nous confère seulement la prise de direction sûre (refuge), ou qui nous accorde soit les vœux de pratimoksha, soit les vœux de bodhisattva, ne constitue pas, sur le plan technique, la première chute-racine tantrique. Néanmoins, de tels actes entravent sérieusement notre progrès spirituel.

(2) Trahir les paroles d’un être illuminé

L’objet spécifique de cette action est le contenu des enseignements d’un être illuminé portant sur les vœux de pratimoksha, de bodhisattva ou tantriques – que cette personne soit le Bouddha lui-même ou un grand maître postérieur au Bouddha. Commettre cette chute ne consiste pas simplement à transgresser, après l’avoir prononcé, un certain vœu appartenant à l’un des ensembles de vœux, mais à le faire en la présence de deux facteurs supplémentaires qui sont : reconnaître pleinement que le vœu provient de quelqu’un qui a éliminé tout obscurcissement mental et le minimiser en pensant ou en disant que le fait de le violer n’entraîne pas de conséquences négatives. Les actes de minimiser et de transgresser, soit des injonctions que nous savons avoir été imparties par un être illuminé et qui sont autres que celles qui appartiennent aux trois ensembles de vœux que nous avons prononcés, soit des conseils à propos desquels nous ne nous rendons pas compte qu’ils ont été offerts par un être illuminé, ne constituent pas une chute-racine tantrique. Néanmoins, de tels actes créent des obstacles sur notre voie spirituelle.

(3) Critiquer nos frères et sœurs vajra à cause de la colére

Nos frères et sœurs vajra sont ceux et celles qui détiennent des vœux tantriques et qui ont reçu une initiation à tout système de figure de bouddha appartenant à toute classe de tantra, de la part du même maître tantrique. Les initiations n’ont pas besoin d’être reçues en même temps, ni d’avoir lieu dans le même système ou dans la même classe de tantra. Cette chute se produit lorsque, sachant pertinemment que certaines personnes sont nos frères et sœurs vajra, nous les persiflons ou les injurions pour des fautes, des défauts, des défaillances, des erreurs, des transgressions et ainsi de suite dont elles ont fait montre ou non, qu’elles ont commises ou non, et qu’elles comprennent ce que nous disons. La motivation doit être la colère, l’hostilité ou la haine. Leur signaler gentiment leurs faiblesses tout en souhaitant les aider à les surmonter n’est pas une faute.

(4) Abandonner l’amour envers les êtres doués de sensibilité

L’amour est de souhaiter que les autres soient heureux et possèdent les causes du bonheur. La chute consiste à souhaiter le contraire ; peu importe de quel être il s’agit, même s’il s’agit du pire tueur en série, la chute est de souhaiter que quelqu’un soit privé de bonheur et des causes du bonheur. Les causes du bonheur sont : la pleine compréhension de la réalité et des lois karmiques des causes et des effets comportementaux. Nous souhaiterions pour le moins à un tueur d’accéder à une prise de conscience de ces causes qui soit suffisante pour le dissuader à tout jamais de répéter de telles atrocités dans le futur et pour qu’il puisse ainsi finir par faire l’expérience du bonheur. Bien que l’acte d’ignorer quelqu’un que nous sommes capables d’aider ne constitue pas une chute-racine, penser qu’il serait merveilleux qu’un être en particulier ne soit jamais heureux est une chute-racine.

(5) Abandonner la bodhichitta

C’est comme la dix-huitième chute-racine du bodhisattva qui revient à abandonner le stade d’aspiration à la bodhichitta, pensant que nous sommes incapables d’atteindre la bouddhéité pour le bien de tous les êtres. Même sans la présence des quatre facteurs liants, une telle pensée annule à la fois nos vœux de bodhisattva et nos vœux tantriques.

(6) Tourner en ridicule notre propre école de pensée ou celle des autres

C’est comme la sixième chute-racine du bodhisattva qui consiste à abandonner le saint Dharma et qui renvoie au fait de clamer au sujet de l’un des enseignements scripturaux du bouddhisme qu’il n’est pas la parole du Bouddha. « Celle des autres » renvoie aux soutras des véhicules du shravaka, du pratyekabuddha et du bodhisattva (mahayana) tandis que « notre propre école de pensée » fait référence à celle des tantras, également un volet du Mahayana.

(7) Dévoiler des enseignements confidentiels à ceux qui ne sont pas mûrs

Les enseignements confidentiels (secrets) se rapportent aux véritables pratiques spécifiques des stades de génération (bskyed-rim) ou de complétude (rdzogs-rim) pour la réalisation de la vacuité et ne sont pas partagés par les enseignements des niveaux moins avancés. Ils comprennent des détails sur des sadhanas spécifiques et des techniques pour réaliser une conscience extatique profonde de la vacuité par l’activité mentale de claire-lumière. Les personnes non mûres pour ces enseignements sont celles qui n’ont pas reçu le niveau d’initiation approprié, indépendamment de la question de savoir si elles auraient foi ou non dans ces pratiques si elles les connaissaient déjà. L’acte d’expliquer, de manière suffisamment détaillée, n’importe lequel de ces procédés confidentiels et non partagés à une personne dont nous savons pertinemment qu’elle n’est pas mûr(e), de sorte qu’elle ait assez d’informations pour tenter de faire cette pratique, et si la personne comprend les instructions, constitue cette chute-racine. Il y a une exception à cette règle lorsque des indications explicites sont absolument nécessaires, par exemple, pour aider à dissiper des malentendus ou des points de vue déformés et antagonistes sur le tantra. De même, donner des explications de manière académique sur la théorie générale du tantra, ce qui ne suffit pas pour pratiquer, n’est pas non plus une chute-racine, même si l’efficacité de notre pratique tantrique s’en trouve atténuée. Il n’y a cependant pas de faute à dévoiler des enseignements confidentiels à des observateurs intéressés lors d’une initiation tantrique.

(8) Malmener nos agrégats ou en abuser

Les cinq agrégats (skt. skandha) ou facteurs-agrégats constituent chaque instant de notre expérience. Ces cinq agrégats sont : (a) la forme des phénomènes physiques, comme les images et les sons, (b) les sentiments de bonheur ou de malheur, (c) la distinction d’une chose par rapport à une autre (la reconnaissance), (d) d’autres facteurs mentaux comme l’amour ou la haine, et (e) les types de conscience comme la conscience visuelle ou mentale. Bref, nos agrégats comprennent notre corps, notre esprit et nos émotions.

Normalement, ces facteurs-agrégats sont associés à la confusion (zag-bcas) – ce qui est traduit habituellement par « contaminés ». Avec la pratique de l’anuttarayoga, nous enlevons cette confusion au sujet de la réalité et nous transformons ainsi totalement nos agrégats. Au lieu que chaque instant d’expérience comporte cinq facteurs associés à la confusion, chaque instant devient finalement un composite de cinq types de conscience profonde qui sont dissociés de la confusion (zag-med ye-shes) et qui sont la nature sous-jacente des cinq agrégats. Ces cinq types de conscience profonde sont : la conscience profonde qui est comme un miroir, celle de l’égalité des choses, celle de l’individualité, celle de comment accomplir des objectifs, et celle de la sphère de réalité (skt. dharmadhatu). Chacune d’elles est représentée par une figure de bouddha (yi-dam) : Vairochana et ainsi de suite, appelées en Occident « les cinq dhyani bouddhas ».

Une initiation de l’anuttarayoga plante les graines pour accomplir cette transformation. Lors de la pratique du stade de génération, nous cultivons ces graines en imaginant, à travers la visualisation de figures de bouddha qui leur correspondent, que nos agrégats sont déjà dans leurs formes purifiées. Lors de la pratique du stade de complétude, nous amenons ces graines à maturité en livrant nos agrégats à des méthodes de yoga spéciales pour révéler l’activité mentale de claire-lumière avec laquelle les cinq types de conscience profonde peuvent être réalisés.

La huitième chute-racine consiste soit à mépriser nos agrégats, pensant qu’ils sont inaptes à subir cette transformation, soit à leur porter atteinte intentionnellement du fait de haine ou de mépris. Pratiquer le tantra ne nécessite pas de notre part un reniement ou un rejet du point de vue du soutra selon lequel considérer que le corps est propre et de la nature du bonheur est une forme de considération incorrecte (tshul-min yid-byed). Il est très clair que notre corps devient naturellement sale et qu’il nous apporte de la souffrance, comme la maladie et la douleur physiques. Néanmoins, nous reconnaissons dans le tantra que le corps humain a aussi une nature plus profonde, le rendant apte à être utilisé à de nombreux niveaux pour le bien d’autrui tout le long de la voie spirituelle. Lorsque nous sommes inconscients de cette nature plus profonde ou lorsque nous ne la reconnaissons pas, nous haïssons notre corps, nous pensons que notre esprit n’est pas bon et nous considérons nos émotions comme un mal. Lorsque nous prenons ces attitudes de manque d’estime de soi et si, en plus, nous malmenons notre corps et notre esprit à travers un comportement masochiste ou en les soumettant à un style de vie inutilement dangereux ou pénalisant, ou en les polluant avec des drogues récréatives ou des stupéfiants, alors nous commettons cette chute-racine tantrique.

(9) Rejeter la vacuité

Ici, la vacuité renvoie aux enseignements généraux des Soutras sur la conscience discriminante à longue portée (skt. Prajnaparamita Sutras) selon lesquels tous les phénomènes, pas seulement les personnes, sont dénués de modes d’existence impossibles, et aux enseignements spécifiquement mahayana des écoles de pensée du Chittamatra ou de n’importe quelle école d’appartenance madhyamaka portant sur l’absence d’une certaine façon impossible d’exister. Rejeter de tels enseignements signifie en douter, ne pas y croire, ou les dédaigner. Quel que soit le système de pensée philosophique du Mahayana auquel nous nous référons lors de notre pratique du tantra, nous avons besoin d’une confiance totale dans ses enseignements sur la vacuité. Autrement, si nous rejetons la vacuité au cours de notre pratique, ou si nous tentons un tel procédé hors de son contexte, alors nous pourrions croire, par exemple, que nos visualisations sont concrètement réelles. De telles conceptions fausses ne font que perpétuer les souffrances du samsara et peuvent même conduire à un déséquilibre mental. Il peut éventuellement s’avérer nécessaire, le long de la voie, de passer de notre système de pensée du Chittamatra à celui du Madhyamaka – ou, au sein du Madhyamaka, de passer du Svatantrika au Prasanguika – et, lors de ce processus, de réfuter les enseignements sur la vacuité dispensés par les systèmes de pensée philosophique que nous avons défendus auparavant. Écarter une explication moins sophistiquée, cependant, ne signifie pas forcément que nous nous retrouvions sans une vue correcte de la vacuité de tous les phénomènes qui soit propre à notre niveau de compréhension.

(10) Être complaisant avec des personnes malveillantes

Les personnes malveillantes sont celles qui méprisent notre professeur personnel, les maîtres spirituels en général ou les Bouddhas, le Dharma ou le Sangha, ou qui, en plus, font du mal ou nuisent à l’un d’eux. Bien qu’il ne convienne pas d’abandonner le souhait que ces personnes soient heureuses et possèdent les causes du bonheur, nous commettons une chute-racine en agissant avec complaisance à leur égard ou en leur parlant affectueusement. Sont incluses les actions qui consistent à sympathiser avec elles, à leur apporter un soutien en achetant les biens qu’elles produisent, les livres qu’elles écrivent et ainsi de suite. Si nous sommes purement motivés par l’amour et la compassion et que nous possédions les moyens de stopper leur comportement destructeur et de les amener à un état plus positif, nous ne manquerions certainement pas de le faire, même s’il fallait pour cela recourir à des méthodes énergiques. Cependant, si ces qualifications nous font défaut, nous ne contractons pas de faute à simplement boycotter de telles personnes.

(11) Ne pas méditer continuellement sur la vacuité

Comme pour la neuvième chute-racine, la vacuité peut être comprise, soit selon le système du Chittamatra, soit selon le système du Madhyamaka. Une fois que nous avons acquis la compréhension d’une telle vue philosophique, le fait de laisser passer plus d’un jour et d’une nuit sans méditer à son sujet constitue une chute-racine. Habituellement, la coutume est de méditer sur la vacuité au moins trois fois par jour et trois fois par nuit. Nous devons poursuivre cette pratique jusqu’à ce que nous soyons complètement débarrassés de tous les obstacles qui empêchent l’omniscience (shes-sgrif) – stade auquel nous demeurons conscients de la vacuité de façon directe et ce, en tout temps. Si nous mettons une limite et pensons que nous avons suffisamment médité sur la vacuité avant d’avoir atteint ce but, alors nous ne pourrons jamais l’atteindre.

(12) Dissuader ceux qui ont la foi

Ceci se réfère à l’action de décourager d’autres personnes d’entreprendre une certaine pratique tantrique dans laquelle elles ont mis leur foi et pour lesquelles elles sont des vaisseaux appropriés, ayant reçu l’initiation qui convient, etc. Si, à cause de nous, elles mettent un terme à leur souhait de s’engager dans cette pratique, alors cette chute-racine est complète. Toutefois, si ces personnes ne sont pas encore prêtes pour une telle pratique, il n’y a pas de faute à leur donner un aperçu réaliste de ce qu’elles doivent d’abord maîtriser, même si cela peut sembler intimidant. En fait, encourager les autres à s’engager ainsi, les prendre au sérieux ainsi que leurs intérêts, au lieu de les rabaisser au rang d’incapables, stimule leur confiance en soi pour aller de l’avant.

(13) Ne pas s’appuyer sur les substances qui nous lient étroitement à la pratique tantrique

La pratique de l’anuttarayoga inclut la participation aux cérémonies d’offrandes dénommées tsog pujas qui ont lieu régulièrement et au cours desquelles les participants goûtent de l’alcool et de la viande spécialement consacrés pour l’occasion. Ces substances symbolisent les agrégats, les éléments corporels et, dans le Kalachakra, les vents d’énergie qui sont ordinairement des facteurs perturbateurs qui ont par nature la capacité de conférer une conscience profonde lorsqu’ils sont dissociés de la confusion et utilisés pour la voie. La chute-racine consiste à considérer que ces substances sont répugnantes, à les refuser sous prétexte d’antialcoolisme ou de végétarisme, ou à en prendre de grandes quantités avec enthousiasme et attachement.

Si nous sommes d’anciens alcooliques et que le fait de goûter une seule goutte d’alcool risque de provoquer un retour à l’alcoolisme, alors, dans le cadre d’un tsog en compagnie d’autres personnes, nous pouvons imaginer que nous goûtons simplement l’alcool. Ce faisant, nous esquissons seulement le geste de goûter l’alcool, mais sans le faire vraiment. Lorsque nous faisons un tsog à la maison, nous pouvons remplacer l’alcool par du thé ou du sirop.

(14) Tourner les femmes en dérision

Le but du tantra de l’anuttarayoga est d’accéder à l’activité mentale de claire-lumière et de l’exploiter pour appréhender la vacuité afin de pouvoir vaincre le plus vite possible la confusion et ses instincts : les facteurs majeurs qui empêchent la libération, l’omniscience et la pleine capacité de faire le bien d’autrui. Un état de conscience extatique est extrêmement propice à l’atteinte de l’activité mentale de claire-lumière car il nous plonge dans des niveaux de conscience et d’énergie qui deviennent de plus en plus profonds, intenses et affinés. En outre, lorsque la conscience extatique atteint le niveau de claire-lumière et se concentre sur la vacuité avec une pleine compréhension, elle devient l’outil le plus puissant qui soit pour balayer les instincts de la confusion.

Au cours du processus d’obtention de la concentration absorbée, nous faisons l’expérience d’une conscience de plus en plus extatique due au fait d’avoir débarrassé notre esprit de la torpeur et de l’agitation. Il en va de même au fur et à mesure que nous obtenons une compréhension et une réalisation plus profondes de la vacuité dues au fait d’avoir débarrassé notre esprit des émotions et attitudes perturbatrices. Associant les deux, nous faisons l’expérience de niveaux d’extase dont l’intensité et la finesse vont croissant.

Dans le tantra de l’anuttarayoga, les hommes accroissent encore l’extase de la concentration de leur conscience de la vacuité en s’appuyant sur les femmes. Cette pratique implique de s’en remettre soit à une véritable femme en tant que « sceau de la conduite » (las-kyi phyag-rgya, skt. karmamudra) qui, pour éviter la confusion, est visualisée comme figure de bouddha féminine ˗ soit, pour ceux dont les facultés sont plus affinées, à une femme seule qui est simplement visualisée en tant que « sceau de la conscience profonde » (ye-shes phyag-rgya, skt. jnanamudra). Les femmes accroissent leur extase à travers les hommes, de la même manière, en s’appuyant sur le fait qu’elles sont des femmes.

Par conséquent, les actes consistant à rabaisser, à tourner en dérision, à ridiculiser ou à considérer comme inférieures une certaine femme ou les femmes en général, ou une figure de bouddha féminine, constituent une chute-racine tantrique. Lorsque nous exprimons directement à une femme, une piètre opinion et du mépris à son égard dans l’intention de railler la féminité, et si elle comprend ce que nous disons, alors nous parachevons cette chute-racine. Bien qu’il soit impropre de tourner les hommes en dérision, cela ne constitue pas une chute-racine tantrique.

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