Mettre en place notre motivation
Pour se différencier des non-bouddhistes, il faut prendre refuge, c’est-à-dire prendre une direction sûre, et pour se différencier de la voie du Hinayana, il faut prendre refuge dans le Mahayana. Nous considérons le Bouddha Shakyamouni comme notre principal exemple, comme la source de la direction sûre. Le très bon et très compatissant gourou Shakyamouni est venu au monde il y a 2 500 ans. Il a accompli les différents actes d'une personne éveillée et a donné des indications complètes sur toutes les méthodes du Dharma. Les nombreux disciples du Bouddha les ont ensuite rassemblées et ont suivi la pratique des trois entraînements supérieurs, à savoir la discipline éthique, la concentration et la conscience discriminante ou sagesse. Ces méthodes se sont largement répandues en Inde puis ont été introduites au Tibet. Elles y ont prospéré au cours d'une première et d'une seconde période de traduction, de sorte que nous disposons aujourd'hui de tous les enseignements parfaitement préservés du Bouddha et des détenteurs de ses enseignements qui l'ont suivi.
En tant que détenteur de ces enseignements du Bouddha, mon souhait est d’être bénéfique aux autres. Cependant, il semble que je n'aie pas toutes les qualifications requises, et bien que la conscience de ma responsabilité me donne parfois beaucoup de courage, à d'autres moments, j'éprouve un sentiment d'inquiétude. Si je peux être bénéfique aux autres, je fais alors de mon mieux pour mettre en pratique ces enseignements et essayer de les transmettre.
Bien entendu, tout cela dépend de notre motivation, des raisons qui nous poussent à agir. Dans mon cas, bien que je ne sois pas pleinement qualifié, j'essaie d'aborder tout cela d'une manière terre-à-terre et pragmatique. Prenons l'exemple d'une armée. Si elle est faible, elle ne peut pas se permettre de rater une occasion d'attaquer, alors que si elle est très forte, elle peut rester en retrait, se détendre et laisser passer l'occasion. Dans le même ordre d'idées, si nous possédons beaucoup de biens matériels coûteux, nous ne devons pas nous énerver si nous perdons quelque chose. Donc ici, si nous nous comparons à cet exemple, nous avons une opportunité que nous devons l'utiliser.
Si nous avons accumulé beaucoup d'objets matériels, mais que nous ne les utilisons pas et que nous nous y accrochons, nous leur donnons une grande importance alors qu'ils ne sont d'aucune utilité. Prenons l'exemple des objets que nous avons hérités de nos parents. S'ils n'ont plus d'utilité pratique, nous devons nous en séparer. Telle est la nature des choses. C’est comme les cheveux et les ongles de notre corps, nous ne nous y accrochons pas, nous les laissons simplement partir. De même, nous devons être très pragmatiques et examiner la situation dans le monde et la situation réelle auxquelles nous sommes confrontés, et accorder toutes nos pratiques et nos façons d'envisager les choses avec cela. Nous ne devons pas nous accrocher à de vieilles coutumes et à des méthodes dépassées qui n'ont aucune application pratique dans la situation actuelle. Cela ne sert à rien.
Pour en revenir à la direction sûre, au refuge, lorsque nous nous prosternons, réciter les versets est la prosternation de la parole, et se souvenir de leur signification est la prosternation de l'esprit. Si nous mettons nos mains dans la position de la prière, c'est la prosternation du corps. J'essaie de suivre la tradition de Khounou Lama Rimpotché et de réciter les versets de prosternation et de louanges au Bouddha Shakyamouni au début des enseignements.
Comme le gourou a une importance considérable, en particulier dans le tantra, lorsque nous prenons la direction sûre, nous disons en premier : « Je prends la direction sûre auprès des gourous », puis auprès du Bouddha, du Dharma et du Sangha. Il n’y a pas de quatrième source de direction sûre. En effet, les gourous intègrent toutes les qualités des Trois Joyaux de refuge.
Le texte que nous allons étudier a pour objet la purification et l’entraînement de nos attitudes (entraînement de l'esprit), intitulé : L'Entraînement des attitudes pareil aux rayons du soleil, écrit par un disciple direct de Tsongkhapa, Namka Palzang, parfois appelé simplement Namkapel. J'ai reçu plusieurs fois ces enseignements de Kyabjé Ling Rimpotché et aussi d'un lama de l'Amdo.
Certaines personnes ont une attitude très dure et grossière, de sorte que même leurs parents et leurs amis veulent s'éloigner d'elles. Cependant, nous pouvons développer un cœur bon et chaleureux. Nous verrons alors progressivement que nos bonnes qualités augmentent et que notre capacité à apporter du bonheur aux autres augmente également, et bien sûr, nous serons nous-mêmes plus heureux. Si nous sommes bons et aimables, toutes les choses dont nous avons besoin dans la vie viendront à nous. Nous serons finalement en mesure d'acquérir toutes les bonnes qualités et les choses dont nous avons besoin, tant au niveau ultime qu'au niveau relatif. Si nous sommes des personnes très dures et grossières, et que nous agissons toujours de manière malveillante, nous n'obtiendrons jamais rien de ce que nous souhaitons.
Comme pour l'entraînement physique, pour développer des attitudes nouvelles et différentes, nous devons exécuter divers exercices pour entraîner notre esprit et notre cœur jour après jour, mois après mois, sur une longue période de temps avec un effort soutenu pour être en mesure de les intégrer. Un bon cœur et un bon esprit ne s'obtiennent pas simplement en les souhaitant, mais en les entraînant et en les développant. Les enseignements du Bouddha n'admettent pas l'existence d'un créateur. Ils affirment que tout se produit de manière dépendante. Ainsi, tout ce qui arrive se produit de manière rationnelle et ordonnée, par le biais de causes et d'effets. Il ne s'agit pas d'un créateur qui veut que les choses se produisent. Tout est le résultat de causes et de circonstances et si nous essayons d'identifier ces causes, nous serons forcés de constater que les choses viennent du karma. Le karma, à son tour, est le résultat de l'esprit de diverses personnes et des diverses choses qu'elles font, en particulier la manière dont elles sont bénéfiques aux autres ou leur nuisent.
La racine de tout cela est de savoir si nous contrôlons notre esprit ou non. Si notre esprit n'est pas maîtrisé, nous commettons diverses actions destructrices et, en accord avec ces actions destructrices, des catastrophes, des malheurs et ainsi de suite se produisent. Si nous sommes maîtres de notre esprit, ces choses ne se produiront pas. Ainsi, si des malheurs surviennent, nous ne pouvons pas pointer du doigt le Bouddha, ni rejeter la faute sur quelqu'un d'autre. De même, nous ne pouvons pas dire que notre bonheur vient de quelqu'un d'autre. Toutes ces choses surviennent selon que nous contrôlons notre esprit ou non. Lorsque notre esprit est dompté, nous nous engageons dans des actions constructives, nous accumulons de la force positive (mérite) et le bonheur en découle. Si nous voulons nous débarrasser de nos problèmes, de nos souffrances, nous devons travailler sur nos attitudes et apprivoiser notre esprit.
De même, le bonheur et l'absence de problèmes et de souffrances ne viendront pas d'une simple prière au Bouddha pour qu'il nous les donne. Ils découlent de nos propres efforts, c'est-à-dire du fait que nous avons nettoyé notre esprit des attitudes négatives et l'avons entraîné à adopter des attitudes positives. Autrement dit, tout dépend de la maîtrise ou non de notre esprit. Si nous voulons être heureux, nous devons contrôler notre esprit. Si nous voulons nous débarrasser de nos problèmes, nous devons contrôler notre esprit. Par conséquent, le point principal, lorsque l'on considère la manière d'apporter le bonheur et de se débarrasser des problèmes et de la souffrance, est de savoir si nous entraînons et purifions notre esprit ou non.
Nous n'expliquons donc pas qu'il existe un dieu qui nous donne le bonheur par ses bénédictions et sa grâce, mais plutôt que le pouvoir des individus et le pouvoir du Bouddha sont égaux. Bien que nous puissions nous inspirer des bouddhas, nous devons avant tout maîtriser notre esprit. C'est pourquoi nous avons ce type d'enseignement d'entraînement de l’attitude (lojong). Chacun doit travailler sur son propre esprit, sur son propre cœur, sur sa propre attitude. C'est ce qui nous apportera le bonheur.
Quelle que soit la situation, quoi que nous fassions, il est très important d'avoir la bonne motivation. Avec la bonne motivation, tout ce que nous faisons peut devenir une activité constructive. Penser que nous faisons quelque chose de positif, comme écouter ces enseignements, juste pour nous libérer de la maladie ou pour nous débarrasser de ce genre de choses relativement moindres, est une grave erreur. Nous devons éviter de penser à de petits objectifs, de vouloir simplement profiter de cette vie, de nous débarrasser des maladies ou d'obtenir plus de bonheur pour nous-mêmes à l'avenir. Même écouter ces enseignements dans le seul but de se libérer du samsara est une grave erreur. Nous devons plutôt développer un objectif de bodhichitta, en pensant : « J’écoute ces enseignements pour me rapprocher de l’illumination afin de pouvoir aider au mieux tous les êtres ». C’est ce type de motivation que nous devons avoir.
Comment écouter les enseignements
Il existe des instructions sur la manière dont le disciple doit écouter les enseignements, en utilisant l'analogie d'un récipient. Pour contenir quoi que ce soit, un récipient ne doit pas être retourné, troué ou sale à l'intérieur. Ainsi, nous devons être très ouverts et retenir ce que nous entendons, sans le mélanger à nos préjugés.
Nous devons écouter pour apprendre des choses que nous n'avons jamais apprises auparavant, et ce que nous apprenons des enseignements, nous devons le mettre en pratique immédiatement. C'est ainsi que se fait l'entraînement de l'esprit. Nous ne nous épuisons pas au travail pour nous précipiter au temple et le considérer comme un lieu ordinaire où s'asseoir et se détendre. Lorsque nous avons cette opportunité rare d'écouter des enseignements, nous ne pouvons pas nous relâcher. Nous devons faire bon usage de chaque instant pour que cela profite à notre propre esprit.
Il faut être conscient de ce que signifie recevoir une transmission orale : il ne s'agit pas simplement de laisser entrer des sons dans nos oreilles. Lors d’une transmission, les choses sont expliquées et nous devons essayer de les assimiler, pas seulement de rester assis. De plus, nous ne devons pas nous contenter de penser « oui, oui, c'est vrai » et de ne rien faire pour changer notre comportement. C'est une grave erreur. Quoi que nous entendions, nous ne devons pas nous contenter de penser que c'est logique. Nous devons le mettre en pratique. Si nous écoutons les enseignements et qu'ils ont un sens pour nous à ce moment-là, que nous pensons que nous allons les mettre en pratique ici-même, mais que cela ne reste en nous que quelques heures pendant que l’enseignement est donné, et dès qu’il est terminé, nous repartons dans nos habitudes négatives, c'est également incorrect. Si nous étudiions pour un examen scolaire, nous essaierions de comprendre en profondeur toute sa portée, et tout cela ne serait que pour obtenir un diplôme pour le bénéfice de cette vie ! Ici, nous devons faire de même avec encore plus de dévouement et d'enthousiasme.
Lorsque nous étudions le Dharma, il est important que les choses soient expliquées parfaitement et que les gens écoutent très attentivement. Nous devons suivre les mêmes étapes d’apprentissage que celles pratiquées dans les écoles ordinaires. Nous devons vérifier soigneusement s'il y a des erreurs dans les enseignements et si nous comprenons bien les choses. Si l'écoute du Dharma est le genre d'exercice dans lequel un lama s’assoit sur un trône et donne des explications, et que les gens s'assoient et écoutent en essayant simplement de s'en inspirer, eh bien, ils pourraient en obtenir des bénédictions. Pour autant, cela ne laissera probablement pas d'empreinte significative dans notre esprit. Lorsque les lamas enseignent, ils ne doivent pas se limiter à donner des initiations de longue vie et des bénédictions. Ils doivent en fait essayer d'éduquer les gens.
Comment installer une motivation correcte : récapitulatif
Nous devons vraiment agir très prudemment et consacrer tous nos efforts à aiguiser notre esprit. L'étude du Dharma est vraiment un processus d'éducation au sens le plus large, il ne s'agit pas seulement de recevoir des bénédictions. Le bénéfice de suivre un enseignement, d'écouter le Dharma, n'est pas pour le Bouddha, ni pour le lama. Kyabjé Ling Rimpotché disait souvent : « Ce n'est pas pour moi que vous suivez le Dharma. Si vous pensez qu'il est bon pour vous, alors suivez-le. » C'est là l'essentiel. Lorsque l'on pratique le Dharma, il n'est pas nécessaire de s'en vanter auprès des autres. Nous ne le faisons pas pour le bénéfice du Bouddha, nous le faisons pour notre propre bénéfice, pour nous améliorer. Si c’est pour le bénéfice de quelques êtres supérieurs, c'est une grande erreur d'attitude vis-à-vis de la pratique du Dharma.
Peu importe où nous nous trouvons, en Chine ou au Tibet, parmi les Indiens ou en Occident où il y a un grand progrès matériel, quel que soit le bonheur d'une situation, il vient du fait que notre esprit est dompté. Quelle que soit la situation extérieure, si l'esprit n'est pas maîtrisé, nous ne sommes pas heureux. Tout vient de notre attitude d'esprit.
Même le plus petit des insectes essaie de se détacher des problèmes et des difficultés et d'améliorer sa propre situation. Tout le monde a l'intention et le souhait d'être heureux, de se débarrasser de ses problèmes. Sur cette base et selon ses propres idées sur la méthode à suivre, chaque individu s'efforce d'y parvenir. Certains pensent qu'ils obtiendront ce bonheur en blessant les gens et en profitant d'eux. Même s'ils agissent de la sorte, nous pouvons voir que la racine de leurs actions est ce souhait fondamental que tous les êtres ont, qui est d'être heureux et de se débarrasser de leurs problèmes. Maintenant, leur réussite dépend du fait que leur esprit est correctement entraîné et maîtrisé, et qu'ils suivent les bonnes méthodes qui apportent réellement le bonheur.
Tout dépend en fait de notre attitude. Si nous sommes malades, par exemple, et qu'en plus nous nous apitoyons sur notre sort, nous nous rendons encore plus malheureux, en plus de la douleur physique que nous ressentons. Si je me prends comme exemple, j'ai une confiance et une foi extrêmes dans tout ce processus d'échange de soi avec les autres, c’est vraiment la base du bonheur. C'est quelque chose que j'essaie toujours de mettre en pratique du plus profond de mon cœur. En travaillant avec ce genre d'attitude, quelles que soient les situations qui se présentent dans la vie, peu importe qu’il y ait des problèmes et des souffrances. À quoi devons-nous nous attendre ? Le Bouddha lui-même l'a souligné lorsqu'il a parlé des véritables souffrances qui existent dans ce monde. Mais en changeant d'attitude et en pensant aux autres plutôt qu'à nous-mêmes, le bonheur vient s'ajouter à cette situation fondamentale de problèmes et de souffrances que nous connaissons toutes et tous. Si nous ne pensons qu'à notre propre intérêt dans cette vie, notre perspective est trop limitée. Si nous ne pensons qu'à nos vies futures, c'est encore trop peu. Si nous ne pensons qu'à nous libérer nous-mêmes, notre champ d'action est également trop restreint. Si nous pensons à travailler pour le bien de tous, si nous pensons à devenir un bouddha, alors c'est quelque chose de beaucoup plus vaste. Et évidemment, durant ce processus, nous serons heureux dans cette vie et dans l'avenir.
De ce fait, pensons maintenant que nous allons écouter cet enseignement afin d’être bénéfiques à tous les êtres, que nous allons nous développer au point de pouvoir être bénéfiques à tous les êtres. Tout en écoutant cet enseignement, nous essayons d'avoir un état d'esprit heureux et joyeux, et de nous sentir enthousiastes. Nous voulons vraiment être en mesure d’être bénéfique à tout le monde, être heureux et avoir un sentiment positif à ce sujet ! Autant que possible, nous devons examiner notre attitude, notre motivation, et faire en sorte qu'elle soit bonne.
Le titre et la préface
Le titre de ce texte est L’Entraînement de l'esprit pareil aux rayons du soleil. J'ai déjà expliqué ce que signifie l'entraînement de l’attitude. « Les rayons du soleil » signifient que cet enseignement a la capacité d'enlever les différentes souillures de l'esprit, de sorte que celui-ci devienne brillant comme le soleil.
Le texte commence avec les versets d'hommage, puis les louanges, et enfin la promesse de composer. L'auteur rend d'abord hommage, se prosterne et prend refuge en la direction sûre de son gourou-racine. Ensuite, il rend hommage et loue le Bouddha, qui a développé l'amour, en souhaitant que les autres soient heureux, et la compassion, en souhaitant qu’ils soient libérés de leurs souffrances. C'est le fondement qui permet de développer un objectif de bodhichitta pour atteindre l'illumination afin d’être bénéfique à tous les êtres et pour suivre les pratiques des six attitudes (perfections) de grande envergure et des quatre manières de rassembler les disciples. Les pratiquer est le moyen d'éliminer toutes les souillures, de développer toutes les bonnes qualités et de devenir un bouddha. Namkapel se prosterne devant le Bouddha, grand capitaine du navire qui fera traverser à chacun l'océan du samsara. L'accent est mis ici sur l'objectif de bodhichitta, dont la racine est l'amour et la compassion.
L'auteur se prosterne ensuite devant les grands maîtres des lignées profondes et étendues qui se sont succédés depuis le Bouddha, et leur fait des louanges. La lignée étendue a été transmise par le bodhisattva Maitreya à ses disciples humains : Asanga, Vasubandu et son disciple Sthiramati. La lignée de la vue profonde est passée du bodhisattva Manjoushri à Nagarjuna, puis à Chandrakirti et ainsi de suite. Namkapel rend également hommage à la troisième lignée, issue de Shantideva, qui est la lignée des grandes vagues de pratiques. Il s'agit des divers enseignements sur des pratiques telles que l'échange de soi avec les autres, provenant de La Précieuse Guirlande (Rin-chen 'phreng-ba, Skt. Ratnavali) de Nagarjuna et des enseignements que Shantideva a reçus de Manjoushri.
Ces trois lignées sont passées par différents lamas jusqu'à Serlingpa et c'est de ce grand maître qu'Atisha les a reçues. Atisha les a ensuite transmis à Dromtonpa de la lignée Kadam, qui était un nomade originaire du même endroit que moi, puis aux trois frères Kadam, à Langri Tangpa et ainsi de suite.
Namkapel a sans doute reçu cet enseignement de nombreux lamas, le principal étant Tsongkhapa lui-même, guidé par Manjoushri. Dans le texte, un verset fait l'éloge de Tsongkhapa et de ses qualités. Si nous lisons ses dix-huit volumes d'enseignements, nous verrons à quel point les qualités de Tsongkhapa étaient grandes. Il n'écrivait pas seulement des textes rituels, mais également des explications claires et détaillées. Le nombre de volumes qu'il a écrits n'a rien d'étonnant, c'est leur contenu et leur clarté qui sont vraiment extraordinaires.
Après les versets de louanges, vient la promesse de composer. L'auteur dit qu'il expliquera, du mieux qu'il peut, la manière de développer la bodhichitta, comme ses gourous le lui ont enseigné. Il nous encourage ensuite à lire ce texte très attentivement. La source principale est Manjoushri, qui a transmis ces enseignements à Shantideva, lequel a ensuite écrit le Compendium des entraînements (bsLab-btus, Skt. Shikshasamuccaya) et L’Engagement dans la conduite du bodhisattva (sPyod-'jug, Bodhisattvacharyavatara). Ce dernier texte explique tout particulièrement les enseignements fondamentaux que l'on trouve ici et, plus précisément, le changement d'attitude par l'échange de soi avec les autres.
Ce texte dérive donc de la quintessence des enseignements sur la bodhichitta. Tsongkhapa lui-même souligne très clairement que les enseignements de la quintessence et les lignées transmises oralement ne sont pas quelque chose de distinct des grands textes. Ils facilitent simplement la compréhension de certains points qui ne sont pas explicitement expliqués dans les grands textes. Ils sont les véritables clés qui nous permettent de les comprendre réellement. Par conséquent, ils dérivent donc totalement des grands textes eux-mêmes et ne doivent pas être considérés comme quelque chose de séparé d'eux. Ce texte donne les lignes directrices de l'enseignement de la bodhichitta, provenant de Shantideva.
Le texte de base de la tradition de l'entraînement de l’attitude à laquelle il appartient est L’Entraînement de l'esprit en sept points (Blo-sbyong don-bdun-ma) de Guéshé Chekawa. Il existe un texte racine et de très nombreux commentaires. La façon dont Tsongkhapa l'a versifié dans sa version est différente de celle qui apparaît dans le texte racine.
[Note : Namkapel suit la versification de Tsongkhapa. Le texte de Namkapel lui-même a fait l'objet de plusieurs commentaires. Sa Sainteté donne ces explications à partir d'un seul d'entre eux, dont le présent traducteur n'a malheureusement pas obtenu le nom].
De même, dans le recueil intitulé Les Cent Entraînements de l'esprit (Blo-sbyong rgya-rtsa), compilé peu après Tsongkhapa par le maître Sakya Muchen Konchog Gyaltsen, nous trouvons des versions qui s'accordent avec le texte racine original et d'autres qui diffèrent légèrement et ont des manières différentes de le commenter.
[Note : par exemple, Namkapel et Pabongka commencent le texte racine par la ligne suivante : « Cet enseignement sur l'essence du nectar de la quintessence est de la lignée de Serlingpa. » Dans l'édition beaucoup plus ancienne de Togmé Zangpo, cette ligne apparaît à la fin du texte racine.]
Dans toutes ces versions, Guéshé Chekawa enseigne les différentes méthodes pour éliminer l'inconscience (ignorance) qui conçoit les choses comme existant réellement de manière impossible et les différentes méthodes pour atteindre un état de libération, ou nirvana (on l’appelle par de nombreux noms différents). Cependant, il ne suffit pas d'atteindre la libération ou le nirvana, c'est-à-dire de se débarrasser de la saisie de l'existence dûment établie, qui est la cause de tous nos problèmes et de toutes nos souffrances. Pour être bénéfiques à tous, nous devons connaître la situation réelle de tout ce qui existe. Il n'y a rien qui ne puisse pas être inclus dans ces deux sujets : comment les choses existent et l'étendue de ce qui existe.
Pour nous enseigner comment atteindre la libération, le Bouddha a tourné la roue du Dharma du Hinayana, le véhicule destiné aux individus dotés d’un esprit modeste, autrement dit, il a transmis la série des enseignements du Hinayana. Pour enseigner comment atteindre l'état omniscient d'un bouddha, il a transmis les enseignements du Mahayana. Le Mahayana se divise en deux parties : les soutras et les tantras. Le Mahayana est le véhicule destiné aux individus dotés d’un esprit vaste, motivés par la bodhichitta afin d’être bénéfique à tous les êtres, et c'est de ce véhicule dont il s’agit ici.
Travailler sur l'esprit
Celles et ceux d'entre nous qui sont originaires du Tibet peuvent penser à trois catégories de personnes. Celles qui acceptent la religion ou la spiritualité, quelle qu'elle soit, celles qui pensent que la religion est la cause de tous les problèmes, et celles qui sont indifférentes, qui ne disent pas que la religion est bonne ou mauvaise, mais qui pensent simplement : « Oubliez tout ça ! » La plupart des gens ont ce type de pensée.
Or, la religion est censée nous apporter le bonheur. Donc, si elle ne nous apporte pas le bonheur, il ne sert à rien de la garder. Nous pouvons simplement la jeter. Cependant, les personnes qui ont abandonné le Dharma ou qui le dénigrent, pensant qu'il s'agit d’un outil de manipulation de masse, n'ont pas trouvé le bonheur, n'est-ce pas ? Ils vivent dans la peur, la tension et la compétition permanentes. Ainsi, si nous évaluons les individus qui abandonnent la religion et ceux qui la suivent, et si nous demandons lesquels sont les plus heureux, ce sont sans aucun doute ceux qui gardent et pratiquent la religion. En effet, le véritable but de la religion est d'apprivoiser l'esprit et de le rendre plus paisible. Ainsi, celles et ceux qui suivent la religion sont plus paisibles et plus heureux.
L'introduction du communisme au Tibet devait profiter à la population. Mais puisqu’il leur a été imposé, il n’a été d’aucun bienfait individuel ou collectif. Le désir de travailler pour la société n'est pas quelque chose que l'on peut imposer aux gens de l'extérieur. Il doit se développer de l'intérieur, à partir de l'esprit et des sentiments de chacun. On ne peut pas imposer la conscience sociale aux gens, cela ne marche pas.
L'exercice de la lutte des classes pour apporter des changements dans l'ensemble du système social du Tibet est un processus fondé sur la colère, la haine et le ressentiment. Cela ne fonctionne pas du tout. Si cette lutte était fondée sur l'attitude du Mahayana, qui consiste à se préoccuper intensément des autres et à vouloir réellement leur être bénéfique, alors elle pourrait apporter des bienfaits en aidant les gens à s'améliorer, mais si elle est fondée sur la haine, c’est un désastre.
Le bouddhisme est né en Inde et le Bouddha Shakyamouni s'est exprimé pour répondre aux problèmes dus au système social des castes. Ce système créait de la souffrance à de nombreux niveaux, ainsi que de nombreux types de troubles et de problèmes au sein de la société séculaire. Le Bouddha a donc cherché les moyens d'éliminer ces différences profondes et ces discriminations. Il a parlé de la voie des bouddhas comme d'une voie qui n'attache aucune importance au système des castes. Les enseignements originaux du Bouddha disent qu'il ne faut pas faire de différences de classe ou de caste en fonction du fait que les gens ont un gros nez ou un métier particulier, ou des choses de ce genre. C'est absurde. Ce type de classe ou de division n'est pas inné chez les gens à leur naissance.
C'est pourquoi, en Inde, les personnes qui s'intéressent aujourd'hui au bouddhisme sont celles qui appartiennent à des castes inférieures. Pourquoi s'intéressent-elles au bouddhisme ? Ce n'est pas à cause de l'attitude de compassion ou de la possibilité d’améliorer les vies futures. Ce n'est pas non plus à cause de la vue du vide que l'on trouve dans le bouddhisme. En fait, ces personnes s’y intéressent à cause de l’absence de différence entre les castes.
Comparaison du bouddhisme à d'autres religions
En rejetant le système des castes, le Bouddha ne critiquait pas une autre religion. Comme dans les autres religions, le Bouddha a enseigné un véritable respect pour les autres traditions religieuses. Toutes enseignent des qualités positives pour le bien de l'humanité. L'islam, par exemple, compte des sectes qui fondent leur pratique religieuse sur la compassion. En Iran, des mollahs reçoivent des dons des riches et les distribuent gratuitement aux pauvres et aux défavorisés. Cela montre que même dans des pays comme l'Iran où il y a actuellement de grands problèmes et souffrances, comme la guerre avec l'Irak, qui est d’ailleurs apparue au nom de la religion, ils ont toujours, comme le montre cet exemple de générosité, une attitude fondée sur la compassion.
Si nous regardons les différentes religions qui affirment l'existence de Dieu, elles disent toutes que nous devons fondamentalement être de bonnes personnes. Nous devons faire des requêtes à Dieu et ce qui arrive est entre ses mains. Néanmoins, nous devons toujours agir de manière décente et religieuse, ce qui nous sera bénéfique. Dans les enseignements bouddhiques, il apparaît encore plus clairement que l'amélioration des choses ne viendra pas simplement des demandes adressées à un dieu, mais que nous devons nous-mêmes mettre l'accent sur nos propres efforts, sur notre propre travail.
Certaines religions mettent donc l'accent sur Dieu et, bien que le bouddhisme ne mette pas l'accent sur ce point, nous avons néanmoins différents types de divinités. Nous leur adressons des demandes et nous recevons d'elles diverses « bénédictions » et inspirations. Mais ce n'est qu'un aspect des méthodes, ce n'est pas l’entière source de la façon dont les choses se produisent. Dans les religions théistes, il semble que nous n'ayons pas vraiment de pouvoir sur les choses. Nous pouvons adresser des demandes à Dieu et, de la même manière que Dieu crée l'univers, Dieu crée notre bonheur et notre malheur. En fonction des prières que nous prononçons, nous pouvons peut-être recevoir quelques bénédictions et devenir plus heureux, mais nous n'avons pas vraiment le pouvoir ultime. En revanche, dans les enseignements bouddhiques, bien que nous puissions demander et prier pour recevoir les « bénédictions » et l'inspiration des bouddhas et ainsi de suite, nous devons nous-mêmes faire ce que les bouddhas ont fait. Nous devons employer les nombreuses méthodes enseignées par le Bouddha pour atteindre le bonheur. Ainsi, le pouvoir est entre nos mains.
Dans les religions théistes, la protection et le refuge viennent de l'extérieur : tout vient d'en haut jusqu'à nous. Dans la religion bouddhiste, le véritable refuge et la protection viennent de l'intérieur, en nous développant pour atteindre l'état de bouddha. Plutôt que de venir d'en haut vers nous, tout fonctionne à partir de nos efforts d'ici vers le haut. Le fait de s'asseoir et de prier le Bouddha, en disant « puissé-je être heureux, puissé-je être libéré » ne sera pas d'une grande aide. Comme nous avons nous-mêmes besoin de nous développer, nous adressons des prières et des demandes au Bouddha : « Puissé-je me développer jusqu'à atteindre l'état de Bouddha. »
Pour y parvenir, nous devons travailler sur l'esprit, et pas seulement sur le corps. En effet, tout en étant heureux physiquement, il est possible d'être très malheureux mentalement. En revanche, si notre esprit est très heureux et notre corps dans l’inconfort, nous ne serons pas contrariés. Par exemple, si notre esprit est très malheureux, nous risquons de développer de l'hypertension et de la tension artérielle, nous risquons de devenir nerveux. Toutes ces choses nous causeront de l'inconfort physique et de la souffrance, alors que si notre esprit est heureux, il affectera nos sentiments de manière positive.
Quels sont l'état et le but les plus élevés décrits dans le christianisme ? Cela s’apparente au fait de renaître dans les terres pures décrites dans le bouddhisme, bien que cela ne soit pas tout à fait la même chose. Il s’agit de naître au ciel, dans un paradis céleste. Le mieux que vous puissiez obtenir grâce à toutes vos prières est de renaître au paradis, où vous serez très heureux. En revanche, lorsque nous, bouddhistes, parlons de libération, le point ultime de la pratique bouddhique, il ne s'agit pas simplement de renaître dans un beau paradis. Il s'agit plutôt de se débarrasser de toutes les illusions et émotions négatives qui perturbent notre esprit et de se débarrasser des impulsions karmiques qui surgissent et nous poussent à agir de manière indisciplinée, ce qui nous rend malheureux. Pour parvenir à la libération, il ne suffit pas de prier pour renaître au paradis, mais il faut travailler à apprivoiser l'esprit, à éliminer ses diverses perturbations et impulsions qui surgissent et causent le malheur. Il ne s'agit pas seulement d'entraîner et d'améliorer le corps ; le bouddhisme est fondé sur l'entraînement et l'amélioration de l'esprit.
Pour améliorer l'esprit, nous devons être profondément conscients de ce qu'est la réalité. Il est vrai que si nous utilisons les divers moyens physiques tels que la prosternation, la pratique du jeûne, la récitation des mantras et la pratique de la parole juste, nous pouvons accumuler de la force positive (potentiel positif, mérite). C'est très utile. Toutefois, la base principale pour atteindre la libération est de travailler sur l'esprit. C'est l'esprit qui est à l'origine des résultats réels.
Si nous voulons fabriquer un objet en métal, la cause comme le produit final sera le métal. Nous travaillons simplement le matériau causal, en le façonnant, en le pliant et en le transformant en l'objet que nous voulons. De même, si nous considérons l'illumination ou la libération comme le produit final, nous devons purifier et façonner l'esprit jusqu'à ce qu'il fonctionne pleinement en accord avec sa nature fondamentale. L’esprit est le matériau avec lequel nous devons travailler.
L'esprit a diverses souillures, mais elles sont éphémères et ne font pas partie de sa nature fondamentale. Nous devons donc comprendre quelle est la nature fondamentale de l'esprit, des consciences primaires, des facteurs mentaux et ainsi de suite, et travailler avec cela. Nous devons envisager le produit final que nous souhaitons obtenir, que nous voulons modeler. Nous pouvons alors travailler avec les matériaux que chacun d'entre nous possède, en les moulant dans la forme que nous souhaitons donner au produit, comme si nous travaillions avec du métal pour obtenir un produit en métal.
Pour cela, il est important de savoir quels sont les états d'esprit valides et non valides en nous. Les états d'esprit non valides sont les façons déformées de connaître la réalité, les hésitations ou les doutes, ainsi que la compréhension présumée. À l’inverse, nous avons les esprits valides de la compréhension par inférence et de la perception directe. Il s'agit de différentes façons dont nous pouvons être conscients des choses, et nous pouvons travailler pour améliorer l'esprit et l'amener à un stade où il peut comprendre les choses exclusivement de façon valide. Pour entraîner l'esprit, il est très important de savoir comment il fonctionne, comment il connaît les choses, car il est notre base de travail. Nous devons entraîner notre esprit pour atteindre le produit final : l'état de bouddha, l'illumination, qui est également produit par l'esprit ; c'est un façonnage de l'esprit.
Revue des points principaux
Comme je le disais, il y a trois groupes : ceux qui s'intéressent à la religion, ceux qui y sont très opposés et ceux qui y sont indifférents. Dans la catégorie des religieux, il y a les théistes : ils croient en un Dieu créateur. Ils expliquent que le bonheur viendra simplement en faisant des requêtes et des prières à un Dieu tout-puissant qui l'accordera. Le bouddhisme fait partie d'une autre catégorie de religions, celle qui n'affirment pas l'existence d'un Dieu créateur tout-puissant, mais qui dit simplement que le bonheur vient de notre propre karma, des tendances, des graines et des habitudes accumulées dans nos continuums mentaux. C'est pourquoi les bouddhistes se qualifient eux-mêmes de personnes de l’intérieur : c’est là que le bonheur et le pouvoir d'influer sur notre avenir se trouvent. L'accent est mis dans le bouddhisme sur « l’intérieur ».
De plus, les bouddhistes pensent en termes de vies antérieures, ce qui n’est pas une exclusivité propre au bouddhisme. Certaines religions parlent d'un moi concret, d'une âme concrète issue de vies antérieures, qui s'incarne dans cette vie et se dirige vers des vies futures. D'autres affirment que, bien qu'il y ait une renaissance, il n'y a pas de moi ou d'âme concrète qui se perpétue d'une vie à l'autre. Parmi ces deux catégories, le bouddhisme affirme que nous n'avons pas de moi ou d'âme concrets immuables qui vont des vies passées aux vies futures et qui sont la base de la libération.
C'est pourquoi il existe de nombreux types de religions. En tant que bouddhistes, nous n'affirmons pas qu'il existe un dieu créateur ou source de bonheur. Nous affirmons également qu'il n'y a pas de moi concret ou d'âme qui mène à la libération. Dans notre système, le mode de conduite est fondé sur la compassion et la vue de la réalité est fondée sur la coproduction conditionnée, la causalité. Sur cette base, les enseignements du Mahayana mettent principalement l'accent sur la compassion et le développement d'un objectif de bodhichitta.
Au sein du Mahayana, on distingue les soutras et les tantras, et nous parlons ici du point de vue des soutras. Dans les soutras, il y a trois lignées : celle d'Asanga, celle de Nagarjuna et celle de Shantideva. Celle de Nagarjuna, en particulier dans son texte La Précieuse Guirlande, parle de prendre la défaite sur soi et de donner la victoire aux autres.
Quelles sont les différences entre ces lignées ? Nous pourrions dire que la lignée d’Asanga parle de la méthode causale en sept parties pour développer la bodhichitta, tandis que celle de Shantideva utilise l'échange de soi avec les autres. Ce dernier point figure également dans La Précieuse Guirlande de Nagarjuna. Je me demande comment expliquer la différence entre les présentations de Nagarjuna et de Shantideva ? Je suppose que nous pourrions dire que Nagarjuna parle principalement de la vue profonde du vide, et ce n'est qu'accessoirement qu'il mentionne le développement d'un objectif de bodhichitta à travers l'échange de soi avec les autres. Shantideva, quant à lui, explique cette méthode principalement en mettant l'accent sur la bodhichitta.
Historique des enseignements
Cette première section du texte concernant l’historique des enseignements discute d'abord de l'importance de développer la bodhichitta. Il y est dit que dans le Hinayana, l'accent est mis sur les trois entraînements supérieurs. S'il est tout à fait possible, sur la base de ces trois entraînements supérieurs, d'atteindre la libération et d'éliminer les différentes choses dont il faut se débarrasser, il faut aussi développer la bodhichitta pour s’en débarrasser complètement.
Le texte se poursuit par un récit de son histoire, se référant à Atisha et Dromtonpa, et mentionnant des commentaires sur les enseignements d'entraînement de nos attitudes rédigés à Radreng, le monastère que les deux maîtres ont fondé au Tibet. Parmi tous les disciples qui vécurent à Radreng, les plus distingués furent les trois frères de la tradition Kadam, en particulier le grand Guéshé Potowa, qui maîtrisait l'ensemble des enseignements, tant des soutras que des tantras. Parmi les trois lignées Kadam issues de Dromtonpa, l'une est la tradition des grands classiques, l'autre celle du lam-rim (les étapes progressives de la voie) et la troisième celle des enseignements de la quintessence. J'ai lu dans un texte d'entraînement de l’attitude que la tradition Guéloug provient principalement de la tradition des grands classiques Kadam. La tradition Kadam du lam-rim a été transmise principalement à la tradition Kagyou issue de Tilopa, Naropa, Marpa et Milarépa. Son explication du tantra provient de la présentation de la vue de la réalité dans les enseignements du mahamoudra et, dans les enseignements de Gampopa, ceux-ci ont été combinés avec la tradition Kadam du lam-rim.
Parmi les différents disciples de Guéshé Potowa, tels que Sharawa et les autres, chacun avait sa propre spécialité. Guéshé Chekawa était le spécialiste de la bodhichitta. Ce dernier avait entendu un discours sur les Huit Versets de l'entraînement de l'esprit (Blo-sbyong tshig-brgyad-ma) prononcé par Geshe Langri Tangpa et y avait porté un grand intérêt.
Pour en savoir plus sur ces enseignements, il se rendit chez le grand maître Guéshé Sharawa, à un moment où celui-ci donnait un enseignement sur Les Étapes de l'esprit du shravaka (auditeur) (Nyan-sa, Skt. Shravakabhumi). Il se demanda si ce Guéshé Sharawa, qui possédait indubitablement la lignée de ces enseignements sur l'entraînement de l’attitude, en était un spécialiste. Guéshé Chekawa n'en était pas sûr, mais il pensait que cela valait la peine de lui poser la question. Après l'enseignement, alors que Guéshé Sharawa tournait autour d'un stoupa, Guéshé Chekawa s'approcha du lama plus âgé et s'adressa à lui en ces termes : « Gen-la. » Guéshé Sharawa lui demanda : « Qu'est-ce que tu n'as pas compris dans le discours d'aujourd'hui ? J'ai tout expliqué. Que reste-t-il que tu n'aies pas compris ? » Guéshé Chekawa répondit : « J’ai entendu ce verset sur l’entraînement de l’attitude, qui dit qu'il faut donner la victoire aux autres et prendre la défaite sur soi. J'ai entendu ce verset et il m'a tellement frappé que j'ai pensé qu'il serait très utile d'en apprendre davantage à ce sujet et de le mettre en pratique. J'aimerais donc savoir si vous en savez plus à ce sujet, comment développer cette attitude, et j'aimerais connaître la source de ces enseignements, de quel texte ils proviennent, et s'il est approprié de les mettre en pratique. »
Guéshé Sharawa répondit : « La question n'est pas de savoir s'il faut ou non les mettre en pratique. Le fait est que si tu les mets en pratique, ils t’apporteront sans aucun doute l'illumination. » Guéshé Chekawa se rendit compte que Gueshé Sharawa avait assurément une connaissance approfondie de ce sujet, sinon il n'aurait pas été capable de répondre de manière aussi intelligente, et il lui demanda donc : « Quelle est la source scripturale de cet enseignement ? » Guéshé Sharawa lui répondit qu'il provenait de La Précieuse Guirlande de Nagarjuna, ce à quoi Guéshé Chekawa répondit : « Bien sûr, Nagarjuna est le second bouddha après Bouddha Shakyamouni, et tout ce qu'il dit a évidemment une grande autorité scripturale. » Soudain, tout fit sens pour Guéshé Chekawa et il prit une décision capitale et dit : « C’est à cela que je dois consacrer tous mes efforts. »
Il demanda les enseignements et Guéshé Sharawa répondit : « Nous verrons quand le moment sera venu pour moi de vous les donner, au fur et à mesure que nous avancerons dans ce que j'ai enseigné. J'ai expliqué Les Étapes de l'esprit du shravaka et si je devais donner ici les autres enseignements que vous venez de demander, je me demande vraiment si quelqu'un s'y intéresserait ou les mettrait en pratique. » À ce moment-là, Guéshé Chekawa devint très heureux à l'idée de pouvoir un jour recevoir ces grands enseignements sur l'entraînement de l’attitude de la part d'un aussi grand maître que Guéshé Sharawa. Entre-temps, il s'exerça à réaffirmer et à renforcer son objectif de bodhichitta sur la base de l'échange de soi avec les autres.
Les bienfaits des enseignements
Ensuite, les grands bienfaits des enseignements sont expliqués, et notamment comment la bodhichitta est comme le soleil, comme un bijou précieux et comme un médicament. Les joyaux éliminent le malheur des pauvres. De même, parce que la bodhichitta élimine la pauvreté qui est le manque de réalisations, elle est comme un diamant. Si nous avions un énorme diamant, il pourrait éliminer une énorme quantité de pauvreté. Mais même si nous n'avions qu'un petit diamant, il éliminerait déjà notre propre pauvreté. Pareillement, même si nous n'avons développé qu’un objectif de bodhichitta infime, il sera aussi bénéfique qu’un diamant.
La bodhichitta est comme le soleil, car tout comme les rayons du soleil éliminent l'obscurité, si nous développons la bodhichitta, elle éliminera l'obscurité des actions perturbatrices et des illusions en nous et chez tous les êtres. Même s'il n'y a que quelques rayons de soleil venant de derrière un nuage, ils élimineront quand même l'obscurité. De la même façon, même si nous n'avons qu'un peu de bodhichitta qui brille à travers les nuages de nos perturbations et de nos illusions, cela fera briller une lumière dans notre esprit.
La bodhichitta est comme un médicament, car si toutes les parties d'un arbre médicinal, les racines, l'écorce, les fruits, les branches et les feuilles sont bénéfiques, alors même si nous n'en possédons qu'une seule, elle aura toujours un pouvoir médicinal. De même, si nous avons pleinement développé un objectif de bodhichitta, c’est d’un grand bénéfice, mais même si nous n'en possédons qu'une petite partie, ce sera toujours bénéfique. Cela est vrai non seulement en termes de bodhichitta générale, mais aussi en termes d'entraînement de l’attitude.
D'autres avantages résident dans le fait que la bodhichitta réjouit tout le monde, élimine la jalousie, etc. C'est particulièrement important de nos jours, alors que les illusions et les émotions et attitudes perturbatrices des gens augmentent. Même ici, en Inde, en tant que réfugiés, et bien que nous n'ayons pas de grands moyens matériels, nous avons ces souillures. Nous avons certes pu construire des écoles, quelques petites entreprises, etc., mais cela peut aussi être une source de jalousie et de concurrence. Il ne suffit donc pas de progresser matériellement, il faut aussi progresser spirituellement. Le développement d'un objectif de bodhichitta élimine toutes ces jalousies et ces idées fausses. C’est d’autant plus pertinent et important à l’heure actuelle où, en Inde, nous pourrions être tentés de penser que les circonstances extérieures vont résoudre tous nos problèmes. C'est une véritable illusion. J'ai vu des gens dans des situations de grand confort matériel et, souvent, ils sont absolument misérables, et en subissent des conséquences désastreuses. Il est donc important de travailler à la fois sur l'extérieur et sur l'intérieur.
[Note : Les lignes du texte racine que Sa Sainteté explique ici sont les suivantes : « Comprendre que la signification de ce texte est comme un diamant vajra, un soleil et un arbre médicinal, transforme en voie vers l'illumination cette (époque où) les cinq dégénérescences sont effrénées. » Elles figurent à la fois dans les éditions de Namkapel et de Pabongka. Dans l'édition de Togmé Zangpo, le passage de « Comprendre que la signification » à « arbre médicinal » n'apparaît pas du tout, et le passage de « transformer en voie » à « effrénées » apparaît à la fin du texte, avant plutôt qu'après la ligne « Cette essence de nectar des enseignements de la quintessence est dans la lignée de Serlingpa ».]
Nous pouvons voir comment, si les gens ne travaillent pas sur leurs attitudes pour les rendre plus altruistes et s'ils se contentent de travailler pour le progrès matériel, ils peuvent causer beaucoup de souffrance à tout le monde. Prenons l'exemple des nombreuses régions où les travaux de construction et les activités industrielles sont nombreux. Ceux-ci entraînent de nombreux problèmes annexes : fumée, suie et pollution qui polluent l'air et causent des dommages à l'environnement. Cela se produit dans des situations où il y a beaucoup de progrès matériel. Bien sûr, le progrès matériel est quelque chose d'important. Mais les gens doivent se demander : « Quelles en sont les conséquences ? Que se passera-t-il dans quelques années, dans 200 ans, dans 1000 ans ? » Il en va de même pour le combustible nucléaire et les réacteurs : comment allez-vous vous débarrasser de ces choses ? Qu'en ferez-vous à l'avenir ? Certaines nations se dotent d'armements, ce qui est une cause supplémentaire de souffrance. C’est comme se frapper la tête avec son propre bâton, et cela causera encore plus de malheur dans le monde.
Lorsque les Chinois ont envahi le Tibet et que le Tibet a perdu son indépendance, les esprits locaux ont semblé avoir également perdu leur influence et leur pouvoir de protection, en raison de la dégénérescence de la force positive (mérite) des Tibétains. On raconte qu'un certain esprit de l'Amdo prétend avoir séjourné en prison. Cet esprit a même dû rester en prison en Chine avant de venir séjourner en Inde pendant dix ans. Lorsque, après son séjour en Inde, l'esprit est retourné en Amdo, on lui a de nouveau offert de la viande fraîchement tuée, mais il a refusé en disant qu'il s'était engagé devant moi à ne plus accepter de sacrifices d'animaux. Je ne sais pas si c'est vrai ou non, mais lorsque je voyage dans les régions himalayennes, je dis aux gens qu'il est mauvais de faire des sacrifices d'animaux. Il y a peut-être un lien. L'esprit ne pouvait plus accepter les sacrifices d'animaux, parce que dans les endroits où j'ai donné la transmission de pouvoir de Kalachakra, j'ai dit qu'il serait souhaitable de ne plus sacrifier d'animaux. L'esprit était peut-être présent lors de l'un de ces évènements.
Si notre esprit est correctement entraîné, il n'est pas nécessaire de rechercher des états de renaissance physique dans la félicité. Si nous entraînons pleinement notre esprit, nous portons en nous tous les états de félicité. Nous avons en nous la terre pure de Sukhavati.
Un autre avantage du développement de la bodhichitta est que non seulement nous sommes heureux lorsque les diverses causes et circonstances du bonheur se produisent, mais que même les circonstances qui causeraient normalement des problèmes et du malheur deviendront des circonstances permettant d'accéder au bonheur. Tels sont les grands avantages et bénéfices d'un objectif de bodhichitta.
Pour toutes celles et ceux d'entre vous qui sont venus en visite du Tibet, il est très important, pendant que vous êtes ici, de dire beaucoup de manis (le mantra OM MANI PADMÉ HOUM), de prier « puissé-je développer un bon cœur » et de penser beaucoup au Bouddha Shakyamouni.