Introduction
Pendant le séminaire de ce week-end, nous nous focaliserons sur le refuge. Si on examine n’importe quel texte bouddhique, on découvre que le refuge est toujours décrit comme l’aspect le plus fondamental de la voie bouddhique. En fait, c’est la porte d’entrée du bouddhisme. Le refuge définit la ligne de partage entre faire son marché à la ronde – en se contentant d’envisager le bouddhisme – et le moment où l’on s’engage réellement sur le chemin bouddhique. Tout pratique bouddhique commence par la réaffirmation du refuge. Pour cette raison, il se doit d’avoir un sens.
Le refuge est beaucoup plus que de réciter simplement : « Je prends refuge dans le Bouddha, le Dharma et le Sangha. » Il représente quelque chose de si fondamental en nous qu’il provoque un changement majeur dans nos vies. Pour cette raison, il est au plus haut point essentiel de comprendre réellement ce que signifie véritablement prendre refuge sur une base quotidienne.
Durant ce séminaire, j’aimerais discuter et vous guider à travers une série de contemplations, et faire en sorte que nous regardions en nous et essayions de comprendre ce que le refuge pourrait vraiment signifier dans nos propres vies personnelles. Cela veut dire que nous couvrirons un certain nombre de points, et qu’à chacun de ces points, nous ferons une pause de quelques minutes pour y réfléchir et le contempler. C’est ce que nous devons faire pour tout ce qui touche au bouddhisme – pour chaque point, prendre le temps d’y réfléchir et se dire : « Est-ce que cela fait sens pour moi ? Est-ce que cela a une signification ? » Si cela n’a aucun sens, alors, pourquoi continuer ?
La manière de travailler sur nous-mêmes doit se faire étape par étape, et si une étape initiale est très incertaine ou instable, tout le reste des étapes au-delà de celle-ci s’écroule – or le refuge est la partie la plus fondamentale de toute la voie.
Contemplation du sens
La première chose que j’aimerais que nous examinions est : est-ce que notre vie a un sens ? Nous regardons en nous, et nous nous demandons : « Est-ce que ma vie a un semblant de sens ? Vers où se dirige-t-elle ? Qu’est-ce que je fais de ma vie ? » Si nous ne pouvons pas réellement identifier un sens ou un but à nos vies, alors nous devons considérer la question suivante : « Est-il possible de trouver un sens à la vie ? » Ceci est la question la plus fondamentale que le refuge pose. Donc, s’il vous plaît, prenez quelques minutes pour y réfléchir – examinez-vous. « Est-ce que ma vie a du sens ? Qu’est-ce que je fais de ma vie, et est-ce qu’elle me comble ? »
[Méditation]
S’examiner de cette façon est une question très sérieuse, pleine de gravité, comme nous venons juste peut-être d’en faire l’expérience. Ce n’est pas une question très confortable, et ce n’est pas quelque chose que nous examinons d’ordinaire en nous. Une fois qu’on commence à regarder en profondeur, on voit qu’en réalité c’est une question très importante. Très souvent, nous découvrons que nous avons un sentiment d’insatisfaction fondamental quant à la manière dont nos vies se déroulent. Elles ne semblent pas avoir de véritable signification, ni aucune direction claire. Et, bien sûr, quand nous ressentons cela, que notre vie ne se dirige vers rien de significatif, nous perdons notre sentiment d’estime de soi, de notre valeur. Nous succombons à une attitude du genre : « Peu importe – cela ne fait rien. » Dès lors, nous avons tendance à emboîter le pas à n’importe quelle direction que les media ou la publicité nous proposent, que les masses suivent ; nous faisons en sorte de faire avec – gagner beaucoup d’argent, obtenir une position élevée, ou trouver un (ou une) partenaire merveilleux(se) avec qui vivre. Mais d’une certaine façon, rien de tout cela ne nous comble.
Il doit y avoir quelque chose de plus dans la vie que de juste gagner beaucoup d’argent, par exemple. Il y a beaucoup de gens très riches qui se sentent absolument misérables, en dépit de tout l’argent qu’ils ont. Sa Sainteté le Dalaï-Lama dit toujours que le but de la vie est d’obtenir le bonheur. Nous devons donc définir ce qui nous procurerait un bonheur de longue durée. Nous devons faire une différence entre plaisir ou amusement et bonheur. Rechercher juste le plaisir et l’amusement tout le temps, trouver le dernier bon film à voir, ou la prochaine chanson à écouter, est-ce réellement satisfaisant ? Le bonheur ne veut pas vraiment dire plaisir, amusement, ou distraction, n’est-ce pas ?
Contemplation du bonheur
Le bonheur est un état d’esprit dont, quand on en fait l’expérience, on cherche à ne pas être séparé. Nous aimerions qu’il continue encore et encore. Il ne dépend d’aucun objet sensoriel que nous éprouvons. Nous pouvons aller à un spectacle et être heureux, ou nous pouvons y aller et être absolument malheureux ; le bonheur ne dépend pas du spectacle, n’est-ce pas ? Par exemple, d’autres gens peuvent faire des choses qu’ils trouvent drôles mais que nous trouvons complètement stupides.
Quand nous cherchons le bonheur, nous recherchons quelque chose de beaucoup plus fondamental, de beaucoup plus stable, quelque chose qu’avec un peu de chance nous éprouverions tout le temps comme un sentiment sous-jacent. Au niveau le plus basique, ce bonheur vient d’un sentiment de connexion – de connexion avec autrui ; après tout, nous sommes tous des animaux sociaux. Quand on ressent cette profonde connexion avec les autres, cela nous procure un sentiment de notre valeur et un sens. S’il vous plaît, réfléchissez-y et essayez de faire la distinction entre bonheur et simple plaisir ou amusement.
[Méditation]
Ce pour quoi nous essayons d’établir une distinction ici, c’est : quel sentiment éprouvons-nous quand nous nous rendons simplement à une soirée ou une fête, ou regardons un bon film, ou écoutons une chanson plaisante, en comparaison du sentiment que nous avons quand nous ressentons une connexion étroite avec quelqu’un d’autre, avec autrui. Lequel est le plus gratifiant ? Quel sentiment dure plus longtemps ? Quel sentiment nous donne plus de force pour être en mesure de faire face à notre vie ? Il y a une assez grande différence, n’est-ce pas ? Entre aller voir un bon film ou écouter notre chanson préférée, et le fait de se sentir relié à un être cher, n’y a-t-il pas là une différence ?
Quel est l’opposé du sentiment de connexion avec autrui ? C’est d’être préoccupé par soi, en ne pensant qu’à soi. Que se passe-t-il alors ? Nous devenons plus étroit d’esprit. Fondamentalement, nous nous coupons des autres ; et quel en est le résultat ? On se sent seul et isolé. Et c’est un état d’esprit très malheureux, n’est-ce pas ? Plus on pense à soi, et plus on s’enferme véritablement dans ses propres soucis. Quand nos cœurs sont ouverts aux autres, nous sommes plus heureux.
Le but global, bien sûr, n’est pas d’obtenir le bonheur seulement pour nous-mêmes mais de l’apporter aux autres. Cela procure une certaine joie dans nos cœurs, n’est-il pas vrai ? Comme une joie dérivée, un surplus. C’est comme quand nous avons un jeune enfant auquel nous donnons quelque chose qui lui fait vraiment plaisir, nous nous sentons heureux de même, n’est-ce pas ? Ou bien quand nous faisons quelque chose de gentil pour quelqu’un d’autre, cela nous fait nous sentir bien également.
Cette sensation vient d’un sentiment de prendre soin des autres, d’un sentiment de bonheur. Prendre soin des autres, faire des choses plaisantes, préparer un repas pour quelqu’un, et même offrir un sourire à quelqu’un, nous fait nous sentir bien. Quand nous sommes capables de donner un petit peu de bonheur à quelqu’un d’autre, même si ce sont juste quelques pièces de monnaie à un mendiant dans la rue, le fait que nous distinguions quelqu’un, même s’il s’agit d’une très petite distinction, procure un sentiment d’estime de soi.
Contemplation du sentiment de connexion
Obtenir ce sentiment de lien, d’estime de soi – le fait de pouvoir faire une chose même minime pour aider quelqu’un, de lui apporter un petit peu de bonheur – nous fournit un soutien émotionnel, nous fait nous sentir meilleurs. Cela construit un niveau très fondamental de bonheur – pas un bonheur spectaculaire, mais quelque chose de très stable. Je pense que l’expression « soutien émotionnel » est une bonne façon de décrire la chose. C’est un point auquel il est bon de réfléchir. Est-ce que cela a du sens, d’après notre propre expérience et d’un point de vue logique également ? Si cela a du sens, demandons-nous si c’est cela que nous voulons. Si c’est le cas, alors quand nous nous entraînons – c’est ce que nous faisons dans la méditation – nous accumulons et renforçons une nouvelle façon de penser, à savoir que le fait d’obtenir cette connexion fondamentale avec les autres en se souciant d’eux, et même en accomplissant de petits actes de bonté, pourrait réellement être bénéfique et donc être quelque chose qui en vaille la peine.
De petits actes de bonté amènent l’amitié et l’amitié apporte un soutien émotionnel. Agir égoïstement avec les autres nous coupe d’eux ; ils ne veulent certainement pas être avec nous, et nous nous retrouvons complètement seul. S’il vous plaît, réfléchissez à ce contraste – est-ce que cet effort en vaut la peine et est-ce que ce sentiment de soutien est quelque chose que nous souhaitons réaliser. Et si, dans une certaine mesure, nous éprouvons déjà ce sentiment, dès lors est-ce quelque chose que nous aimerions développer plus ?
Je pense qu’il est très intéressant d’examiner la totalité du phénomène Facebook. J’ignore combien d’entre vous sont sur Facebook, mais je suis sûr que nous connaissons beaucoup de gens qui le sont. Un des plus grands phénomènes qui s’y passe, c’est de poster des choses et d’attendre de voir combien de « j’aime » on obtient. Qu’y a-t-il derrière ça ? Pourquoi voulons-nous ces « j’aime » ?
L’espoir, je crois, c’est que nous serons connectés aux autres. C’est là toute l’idée des réseaux sociaux, n’est-ce pas ? Mais poster l’image d’un chat ou quelque chose de ce genre sur Facebook et vouloir obtenir des « j’aime », en vérité qui croyons-nous qui va vraiment bénéficier de ces « j’aime » ? Est-ce nous, ou est-ce les autres ? Pourquoi sommes-nous inquiets à ce propos ? Pourquoi nous sentons-nous réellement concernés par combien de « j’aime » nous avons ? Si nous n’en avons pas beaucoup, nous sommes réellement déçus, n’est-ce pas ? Nous sommes malheureux. Et il y a cette angoisse qui nous fait vérifier toutes les cinq minutes notre téléphone portable pour voir s’il y a plus de « j’aime ». Cela ne nous relie pas vraiment aux autres gens. Le souci principal, c’est de savoir combien de gens nous aiment à cause de cette image de notre chat. Sommes-nous vraiment soucieux de faire quelque chose qui les rendrait heureux ?
[Méditation]
C’est une pensée intéressante que d’analyser la raison pour laquelle nous postons ces messages. Ce que je pense que cela révèle, c’est que sous ce comportement il y a une forte envie d’être relié aux autres ; c’est pourquoi nous allons sur les réseaux sociaux. Toutefois, d’une certaine façon, cela ne nous met pas réellement en connexion avec les autres d’une manière satisfaisante car notre préoccupation principale, véritablement, c’est de savoir combien de gens nous aiment.
Notre égocentrisme, le fait de ne penser qu’à nous, compromet notre capacité à nous connecter réellement à autrui, n’est-ce pas ? Réfléchissez-y un moment, en particulier si vous avez cette expérience de Facebook, ou de tout autre réseau social que vous pourriez utiliser. Quel est votre motif pour vous en servir ? Si ça ne marche pas, pourquoi est-ce que ça ne marche pas ? Pourquoi sommes-nous inquiets de savoir combien de « j’aime » nous obtenons ? Pourquoi est-ce que nous consultons nos portables toutes les cinq minutes ?
Si nous voulons vraiment avoir un sentiment de connexion avec les autres – une véritable connexion, pas juste quelque chose d’insatisfaisant – et recevoir également un soutien émotionnel et du bonheur, la question est de savoir comment y parvenir. Nous devons ouvrir nos esprits et nos cœurs en pensant aux autres, et nous soucier véritablement de leur bonheur et de leur bien-être, et pas uniquement qu’ils nous aiment. Pour ce faire, nous devons travailler sur nous-mêmes. Le côté délicat est de trouver le moyen de ne pas travailler avec le souci de soi pour surmonter notre propre souci de soi, si vous voyez ce que je veux dire.
Nous pouvons être tellement fermés quand nous pensons : « Oh, je suis tellement nul, je dois travailler sur moi-même », etc., « parce que je suis si égoïste », mais, malgré tout, nous ne nous ouvrons pas du tout. Nous devons travailler sur ce point, en cherchant à développer une ouverture fondamentale aux autres. Si nous parlons au niveau le plus basique, c’est le genre de direction qu’il serait le plus bénéfique d’avoir dans nos vies. Cela donnerait une sens à nos vies. Travailler à être plus ouvert aux autres, et surmonter notre isolement auto-imposé – dû à notre préoccupation autocentrée – donnerait un sens à nos vies ; cela procurerait un certain soutien émotionnel et un bonheur de base. Dans l’ensemble, c’est de cela que traite le refuge – donner une direction sûre et positive à notre vie, nous procurer fondamentalement une vie plus heureuse et plus pleine de sens en étant plus bénéfique aux autres, et en travaillant sur soi pour essayer de faire cela.
Les bouddhas et les grands maîtres ont accompli et enseigné comment effectuer ce travail – ils ont montré le chemin, fondé sur la compréhension que cette connexion est quelque chose que nous pouvons réaliser nous-mêmes et que c’est quelque chose que nous sommes capables de faire – ce n’est pas impossible. Y parvenir requiert seulement une forte motivation qui nous donne l’énergie de travailler sur nous-mêmes et de suivre véritablement les méthodes appropriées. Réfléchissez-y.
[Méditation]
Contemplation du refuge
Basiquement, le refuge signifie aller dans une direction qui nous aidera à éviter les difficultés. C’est pourquoi il joue un rôle tellement fondamental dans le bouddhisme. Plutôt que d’avoir une vie qui ne mène nulle part, ou dans une direction négative, nous travaillons à ce qu’elle prenne une direction positive. Et cela confère à notre vie du sens, cela lui donne une raison. Plus nous travaillons à nous diriger dans cette direction, et plus nous nous sentirons reliés aux autres ; le refuge nous procure un soutien émotionnel que nous recevons de ceux qui ont parcouru ce chemin avant nous, tout en étant plus connectés avec les autres. Sans ce soutien, il y aura toujours quelque chose qui manquera dans toutes les pratiques avancées que nous faisons. Le refuge nous donne de la force, un fondement et une stabilité tout au long de la voie bouddhique. Réfléchissez à cela.
[Méditation]
Quand on étudie le refuge, on pourrait, bien sûr, considérer les 32 signes majeurs du corps d’un bouddha, les 64 qualités de la parole, et l’énorme liste des qualités de l’esprit d’un bouddha. On pourrait apprendre toutes les caractéristiques du Dharma, toutes les qualités du Sangha, et on pourrait réciter pour toujours « je prends refuge dans le Bouddha, le Dharma et le Sangha », et faire en même temps un million de prosternations. En fin de compte, cela ne fait aucune différence significative dans nos vies. Bien entendu, cela a des effets, de discipline pour le moins. Toutefois, sans compréhension de l’idée de base du refuge et de ce qu’elle ajoute dans nos vies, il est difficile de voir quelle signification elle revêt. Finalement, cela ne semble pas pertinent.
Une fois que nous avons compris ce qu’il en est du refuge – son but, ses fonctions, et ses bienfaits – alors nous serons capables de voir avec des yeux complètement différents toutes les qualités d’un bouddha. Par exemple, ces 32 signes majeurs d’un bouddha et ces 80 signes mineurs, de quoi s’agit-il ? Est-ce que nous visons vraiment à avoir des lobes d’oreille qui descendent jusqu’à nos épaules ? Est-ce que cela va réellement donner une sens et une signification à nos vies ? Non, pas vraiment. De toute évidence nous pourrions passer un disque dans notre oreille et l’étirer jusqu’à nos épaules, mais ensuite ? Ce que nous commençons à réaliser, qui est une chose étonnante, c’est que l’image d’un bouddha est en vérité une infographie.
Une infographie est une sorte d’image dans laquelle toutes les différentes composantes vous communiquent des informations. Quand on étudie ces diverses marques d’un bouddha, ces marques physiques, chacune d’elles a une cause. On les appelle même ainsi : des caractères indicatifs, qui indiquent leur cause – c’est la traduction littérale. Plutôt que de se focaliser sur la longueur des oreilles d’un bouddha, on se concentre sur ce que cela indique ; cela nous donne une représentation de la cause pour cette chose. Qu’est-ce que le Bouddha a dû faire pour devenir le Bouddha ? Ce long lobe d’oreille est juste une représentation infographique de cela.
Les déités tantriques sont des infographies également. Les six bras représentent les six paramitas, les quatre bras de Chenrézig sont les quatre attitudes incommensurables. Toutes sont des représentations infographiques. On se focalise sur l’infographie comme moyen de garder présent à l’esprit toutes les choses que cela représente. Avec le Bouddha, les choses principales sur lesquelles se focaliser sont de savoir quelles sont les causes pour devenir ainsi. Ces 32 et 80 caractéristiques représentent une immense, incroyable liste des actes qu’accomplit un bouddha, que quelqu’un fait afin de ressentir cette connexion avec les autres, de surmonter le fait de se chérir, et d’apporter le bonheur aux autres. C’est une liste incroyable de tous les moyens de faire cela, lesquels on comme résultat de devenir un bouddha. Fondamentalement, cela montre la direction dans laquelle nous voulons aller.
Ensuite, nous commençons à apprécier l’incroyable sophistication du bouddhisme de nous être parvenu avec des infographies datant d’il y a deux mille cinq cents ans.
Nous pouvons apprendre tous ces détails sur le refuge ; nous pouvons étudier, mémoriser les listes, etc. Cependant, elles ne prennent vraiment leur sens que si nous comprenons les questions suivantes : « De quoi parle le refuge ? », « Quel est son objectif, comment fonctionne-t-il, et comment fait-il une différence dans ma vie ? »
Prenez un moment pour digérer cela, et ensuite nous pourrons poser quelques questions. Demain, nous commencerons par examiner les choses qui nous empêchent d’aller dans cette direction, et ce sur quoi nous devons travailler. Car, une fois que nous comprenons ce qui nous empêche de donner cette direction à notre vie, nous pouvons alors acquérir la motivation de surmonter cela, et finalement atteindre les bienfaits que cette direction nous procurera.
Il y a une motivation bidirectionnelle : « Cela m’empêche de ressentir cette connexion, et d’obtenir le bonheur dans la vie », et : « C’est ce que je veux réaliser. Je veux éviter ceci, et obtenir cela ». Ensuite, il y a une liste d’émotions que nous devons ressentir afin de donner cette direction à notre vie, telles que la peur, la confiance et la compassion. Le refuge se doit d’avoir un sens, et pas seulement : « Bon, j’ai peur d’aller en enfer, donc Bouddha sauve-moi. » C’est très sophistiqué et incroyablement pratique. Que nous croyions ou non en d’autres vies, dans des renaissances futures, peu importe. Le refuge est très utile. Toutes les fois que nous étudions le bouddhisme, examinons-le plus en profondeur. « Comment cela peut-il s’appliquer vraiment à la vie, à ma vie quotidienne ? » Quand nous découvrons cette signification, cette pertinence, alors nous y mettons notre cœur. Sinon, c’est juste un hobby ; un simple amusement ou une diversion, on se dit : « Comme c’est intéressant », mais rien de plus. Ou peut-être : « Comme c’est ennuyeux », et alors nous laissons tomber. Digérez tout cela pendant un moment. Essentiellement, ceci a été une vue d’ensemble de là où nous allons pendant ce séminaire au cours de ce week-end. Cependant je ne vous donnerai pas de listes. Vous pouvez consulter les listes sur mon site Internet, ou en d’autres endroits.
[Méditation]
Questions
Vous expliquez la cause pour prendre refuge du point de vue d’une personne de très hautes capacités, ou aptitude. Dans le premier volume du lam-rim, on l’explique pour une personne de motivation la plus basse, ou de motivation intermédiaire, comme étant la peur. Dans le premier cas, on l’explique comme peur de ne pas avoir de meilleures renaissances, et dans le second cas, par crainte du samsara. Donc, est-ce que cela veut dire que ces deux personnes sont moins importantes et moins douées de sens que celles de la catégorie supérieure ?
Non, tous les niveaux de motivation ont un sens. Nous aborderons la vraie signification de la peur durant le week-end, mais tous sont nécessaires. La compassion sous-tend la voie bouddhique tout entière, tous les niveaux de motivation, la compassion et le souhait d’être heureux. Sans entrer dans de grands détails, au niveau initial, nous cherchons à éviter les comportements perturbateurs car ils conduisent à des renaissances inférieures, ce qui veut dire que nous devons nous réfréner de faire du mal aux autres, et que nous sommes donc concernés par eux.
Au niveau intermédiaire, nous cherchons à surmonter la renaissance récurrente incontrôlable – le samsara. Ce qui nous en empêche, ce sont les émotions perturbatrices – la colère, l’attachement, etc. Afin d’éviter de blesser les autres par notre colère ou notre attachement, nous travaillons à surmonter ces émotions. Parfois nous avons de la colère envers les autres ou du désir lancinant. Si on regarde du côté du chemin du Théravada, qui est fondamentalement cette voie intermédiaire, on met un très fort accent sur les quatre incommensurables – l’amour, la compassion, la joie et l’équanimité. Ils sont là pour nous permettre de surmonter nos émotions perturbatrices. Le niveau de portée supérieure est de toute évidence l’amour bienveillant pour les autres, la capacité à leur être bénéfique. Les deux premiers niveaux ont pour but d’éviter de blesser les autres par nos actes de colère, et le troisième de les aider véritablement. Donc, la compassion est là tout au long de la voie. Je pense qu’il est très important d’insister sur ce point.
Quand vous parlez d’établir cette connexion avec les autres, vous nous avez dit que quand nous adoptons cette démarche, nous éprouvons des sentiments tels que la peur et la compassion. Est-il possible de faire simultanément l’expérience de la compassion et de la peur ?
À vrai dire, oui. Nous en parlerons plus tard au cours du week-end. Pour le moment, je dirai que nous avons trois causes fondamentales pour donner cette direction à notre vie. Nous voulons éviter – c’est donc fondé sur la peur, mais dans un sens positif – de faire du mal aux autres et de nous causer plus de tort en les blessant, en se mettant en colère après eux, ou en les ignorant. La compassion est le souhait que les autres soient délivrés de la souffrance. Nous voulons donc qu’ils soient libérés de la souffrance et nous ne voulons pas leur faire du mal – c’est de cela que nous avons peur. Ces deux choses vont très bien de pair. Nous faisons très attention car nous ne voulons pas blesser les autres, nous ne voulons pas qu’ils souffrent. En fin de compte, nous avons confiance dans le fait qu’il existe un moyen d’éviter de nous créer un problème qui se manifesterait et résulterait du fait de faire du mal aux autres. Les trois motivations vont ensemble : la peur, la confiance et la compassion.
Voyez-vous, si nous prenons vraiment refuge dans le Dharma, notre confiance réside dans le fait que les enseignements bouddhiques font sens. Toutefois, il s’agit d’une supposition : nous supposons que les enseignements ont un sens. Si nous commençons par supposer que certains enseignements sont des sottises, alors cela n’a pas de sens ; nous n’en aurons jamais aucune image. Nous supposons donc qu’ils ont du sens, et nous essayons de nous faire une idée des enseignements. C’est là une des conséquences importantes de véritablement prendre refuge dans le Dharma.
Dans cette vie nous prenons refuge, et ce refuge prend place sur notre courant de conscience. Est-ce que nous nous en souviendrons dans notre prochaine vie, ou aurons-nous un sentiment de ce refuge ou une sorte d’impulsion que nous pourrons développer dans la prochaine vie ?
En vérité, la plupart d’entre nous ne savons pas ce que nous avons fait hier, sans parler de nous souvenir de ce qui s’est passé dans nos vies antérieures. Mais ce dont nous parlons est fondamentalement ce que la science médicale appelle la neuroplasticité. Le cerveau possède certains circuits neuronaux fondés sur certaines habitudes. Mettons qu’un événement se produise, comme une paralysie de notre côté gauche. Notre cerveau peut se recâbler, en un sens, de telle sorte que nous pouvons utiliser notre main gauche pour faire ce que nous avions l’habitude de faire avec la main droite. Dans ce sens, le cerveau est plastique ; il peut être modifié. La même chose est valable pour l’esprit, notre activité mentale. La neuroplasticité fait référence au niveau physique du cerveau, mais nous pouvons en parler également au niveau de l’esprit expérimental.
De manière similaire, nous pouvons accumuler de nouvelles habitudes. C’est une question d’entraînement. Dans le bouddhisme, on en parle comme d’accumuler des tendances, un potentiel et des habitudes. Dans les vies futures, selon la force de cette tendance, et de toutes les autres tendances et potentiels karmiques que nous avons, cette tendance sera toujours là. Techniquement, les textes en parlent comme de phénomènes imputés sur la base de notre continuum mental – c’est-à-dire de choses qui ne sont ni des formes de phénomènes physiques ni des façons d’être conscient de quelque chose, lesquelles sont « liées », en un sens, à une base et ne peuvent ni exister ni être connues séparément de cette base. Elles sont inconscientes, dirions-nous, et les circonstances doivent être présentes pour qu’une tendance donne lieu à ce qu’une chose manifeste, consciente, se produise. Par exemple, il se pourrait que nous ayons une tendance à aimer la crème glacée, mais si nous n’avons pas faim ou si elle n’est pas disponible, celle-ci ne s’élève pas. Elle ne s’élève que quand nous avons faim.
Si nous renaissons en tant que cafard ou poulet, il y aura peut-être cette tendance à vouloir aller dans cette direction positive, mais les circonstances ne sont pas là pour qu’elle se manifeste. Mais cette tendance est là. La circonstance doit être là, comme d’avoir à nouveau une précieuse renaissance humaine ; alors, elle se manifestera. Cela dépend de la force avec laquelle cette tendance existe. C’est pareil au fait d’essayer d’écrire avec notre main opposée un petit nombre de fois, cette tendance d’écrire avec notre autre main n’est pas très forte ; nous devons vraiment pratiquer beaucoup. C’est la même chose avec notre façon de penser. Nous accumulons cette habitude bénéfique pas seulement en restant assis dans notre pièce de méditation et en méditant. Il est très important de réaliser que nous l’accumulons aussi en l’appliquant vraiment à la vie, pas juste passivement en la passant en revue au cours de notre méditation.
Est-ce que le sentiment de bonheur survient toujours comme un dérivé du fait d’aider les autres, ou bien pouvons-nous peut-être atteindre le bonheur quand nous aidons les autres avec modération ?
Bien entendu, le bonheur a de nombreux niveaux d’intensité. Faire quelque chose pour les autres de telle sorte qu’ils nous aiment nous donne un petit peu de bonheur, mais non pas un bonheur durable car nous ne nous sentons jamais en sécurité – « Peut-être ne nous aiment-ils pas vraiment. » Il y a de nombreuses sources de bonheur, de nombreux types de bonheur différents. Il y a un type d’état d’esprit heureux, euphorique, qu’on retire de shamatha, par exemple. En fait cela n’aide pas nécessairement quelqu’un d’autre à moins qu’on ne l’emploie véritablement à aider les autres. Il y a donc différents types de bonheur, mais ce dont je parlais, ce dont parle le Dalaï-Lama, c’est d’un niveau très basique, fondamental, accessible à tous. Que nous pratiquions la méditation ou que nous suivions le bouddhisme – tout le monde y a accès à travers la pratique des valeurs humaines de base de l’éthique laïque.
C’est une question à explorer : savoir quand on fait quelque chose pour aider les autres. Par exemple, quand on est surprotecteur dans notre façon d’aider, il se pourrait que l’autre personne ne veuille pas réellement de notre avis, mais nous le donnons malgré tout parce que nous voulons aider. Et elle dit : « Laisse-moi tranquille, je ne t’ai rien demandé ! » C’est pareil quand nous avons une fille mariée et que nous lui disons comment gérer sa maison et élever ses enfants – où se trouve alors la source du bonheur ?
Notre motivation nous rend heureux, mais quand nous la traduisons vraiment en acte, elle est parfois mêlée au désir de se sentir nécessaire. Nous voulons nous sentir utile et ne cherchons pas nécessairement à découvrir et combler ce que les autres veulent. Cependant, au début on se sent heureux de vouloir faire quelque chose, le niveau de bonheur est donc là, mais il est très mince et il ne nous procure pas de soutien émotionnel. Je dois dire que c’est là l’un des plus grands dangers quand on essaye de suivre la voie des bodhisattva – on veut aider souvent dans des situations où les gens ne veulent pas de notre aide. Nous avons besoin de discernement et de sagesse : savoir quand offrir notre aide, et quand avoir simplement cette motivation de vouloir aider ; néanmoins, nous savons que nous n’avons pas besoin de la manifester. Toutefois, c’est extrêmement difficile. Nous offrons notre aide non désirée par égoïsme – je, moi, moi, moi, veux être utile.
Bien, terminons par cette remarque. Je me sens coupable moi-même, c’est pourquoi je ris. Terminons par une dédicace. Quelle que soit la force positive et la compréhension issue de cette discussion puissent-elles s’approfondir de plus en plus et agir comme cause pour que tout le monde surmonte son égoïsme. Il est dit, dans L’Entraînement de l’esprit en sept points, de mettre tout le blâme sur une chose, l’attitude de se chérir soi-même. Donc, puisse tout le monde surmonter son égoïsme, s’ouvrir aux autres et grâce à cela trouver une direction sûre dans la vie pour finalement atteindre l’illumination pour le bien de tous.