Révision
Hier, nous avons parlé de la signification du tantra, un courant de continuité qui se poursuit à l'infini. Il existe le niveau de la base : notre continuum mental avec les facteurs de la nature-de-bouddha. Ces facteurs comprennent nos réseaux de force positive et de conscience profonde, ainsi que les natures relatives et profondes de notre esprit. Au niveau de la base, ils donnent lieu à notre renaissance récurrente incontrôlable, le samsara. Au niveau de la voie, ces facteurs de la nature-de-bouddha ne donnent plus lieu à la renaissance et aux expériences samsariques de nos vies ordinaires. Au lieu de cela, ils donnent naissance à des choses qui sont similaires au résultat que nous voulons atteindre et qui nous aideront à l’atteindre. Ce sont, par exemple, les figures-de-bouddha, ou yidams, ainsi que notre compréhension du vide. Ensuite, au niveau du résultat, ces facteurs de la nature-de-bouddha se transformeront et donneront naissance aux corps d'éveil d'un bouddha. Le tantra signifie la continuité de nos facteurs de la nature-de-bouddha à chacun de ces trois niveaux.
Le tantra a également cette connotation de métier à tisser sur lequel nous tissons ensemble toutes les différentes vues pénétrantes et compréhensions que nous avons développées sur la voie du soutra. Sur cette dernière, nous mettons l'accent sur les causes qui engendreront les corps-de-bouddha, alors que dans le tantra, nous travaillons sur quelque chose de similaire au résultat, ce que l'on appelle les « puretés ». Cela implique de s'imaginer déjà sous la forme de ces figures-de-bouddha, avec toutes les qualités d'un bouddha, telles que l'influence d’éveil pour pouvoir être bénéfique à tous les êtres. Notre parole est sous une forme éveillée telle que représentée par les mantras. Notre environnement est pur comme celui des mandalas. Notre esprit est pur en termes de compréhension du vide et de développement de la bodhichitta. Notre façon d'apprécier les choses est pure, sans aucune perturbation due à l'attachement, au fait de s’accrocher à des personnes ou à des objets, etc.
Nous disposons de ces puretés que nous imaginons dans notre pratique du tantra. Imaginer les posséder dès à présent est tout à fait conforme à la bodhichitta, avec laquelle nous nous concentrons sur notre propre illumination individuelle qui ne s’est pas encore produite, mais qui peut se produire sur la base de ces facteurs de la nature-de-bouddha. Nous voulons donc renoncer au niveau de base de notre corps, de notre parole, de notre esprit, de notre environnement, de nos activités et de notre façon d’apprécier la vie afin de nous tourner vers le niveau pur du résultat à travers le niveau de la voie. Le vide ou la vacuité de notre esprit, ainsi que sa nature conventionnelle, permettent cette transformation.
Tous ces points dont nous avons discuté s'imbriquent les uns dans les autres et le tantra est une façon de les tisser ensemble superbement de sorte qu'ils se combinent tous en un seul bloc que nous générons dans un état d'esprit à un moment donné. C'est ce que nous cherchons à faire en atteignant l'illumination.
Venir à bout des douze liens de la coproduction conditionnée
Au niveau de la base, nous expérimentons non seulement la souffrance de la souffrance, notre malheur, ainsi que la souffrance du changement, notre bonheur ordinaire qui ne dure jamais, n’est jamais satisfaisant et ainsi de suite, mais aussi et surtout, le troisième type de souffrance, la souffrance omniprésente. Il s'agit de la renaissance incontrôlable avec les cinq agrégats dits « contaminés ». Les cinq agrégats contaminés comprennent tous les facteurs changeants qui constituent chaque moment de notre expérience. Ils sont au fondement de notre expérience des deux premiers types de souffrance, c’est-à-dire, pour le dire simplement, de notre bonheur ou de notre malheur ordinaires.
Nos cinq agrégats sont « souillés » par l’ignorance, c’est-à-dire par notre confusion à propos de la réalité, le fait que nous ne sachions pas comment les choses existent et comment nous existons, ou que nous les connaissions de manière erronée. Cette ignorance engendre la perpétuation de ces agrégats, également contaminés par l’ignorance. Les douze liens de la coproduction conditionnée décrivent comment ce processus se produit et il est très important de comprendre comment ces liens fonctionnent, c'est-à-dire de comprendre comment fonctionne le samsara, ce que nous cherchons à transformer avec le tantra.
En ce qui concerne les douze liens, notre ignorance engendre des émotions perturbatrices qui poussent à commettre des actions fondées sur des impulsions karmiques, lesquelles marquent notre continuum mental de répercussions karmiques sous la forme de nos réseaux de force positive et de force négative. Une partie de ces répercussions karmiques est ensuite activée par plus d’émotions perturbatrices qui vont « projeter » ce continuum dans une nouvelle renaissance. Au cours de cette renaissance, les répercussions karmiques mûrissent non seulement dans notre corps, notre parole et notre esprit, mais aussi dans nos activités physiques, verbales et mentales, dans notre expérience de l'environnement et dans les niveaux de bonheur ou de malheur que nous ressentons à chaque instant. Ce sont les phénomènes au niveau de la base que nous imaginons sous des formes pures par la pratique du tantra, et qui, au niveau résultant, apparaissent sous les formes pures d'un bouddha. L'ensemble du processus de transformation dans le tantra, en particulier dans l’anouttarayoga, implique la transformation de ce cycle répétitif de la mort, du bardo et de la renaissance qui se produit à travers l’engrenage des douze liens.
Si nous comprenons cela, alors, avec la classe la plus élevée du tantra, au lieu d'activer ces répercussions karmiques qui ne feront que nous propulser dans d'autres renaissances où la souffrance sera de plus en plus grande, nous voulons nous concentrer sur le vide avec un état d'esprit de félicité et non avec nos sentiments ordinaires. De cette manière, nous pouvons générer les corps-de-formes d'un bouddha à partir du réseau de force positive que nous possédons en tant que facteur de la nature-de-bouddha et que nous avons dédié grâce à la bodhichitta à notre illumination. C'est à partir de notre réseau de conscience profonde que nous atteignons l'esprit du Dharmakaya d'un bouddha.
Le karma
Lorsque nous parlons des répercussions karmiques et des réseaux de potentiels positifs et négatifs, il peut être utile de clarifier certains malentendus possibles sur le karma. Le karma est souvent traduit par « actions ». C'est probablement dû au fait que le mot tibétain qui le désigne est le mot courant pour « actions ». Cependant, si nous prenons ce sens au pied de la lettre, alors si les fauteurs de troubles dont nous devons nous débarrasser sont nos actions, il nous suffit de cesser de faire quoi que ce soit pour être libérés de la souffrance et du karma. Ce n'est évidemment pas ce que cela signifie.
Si l'on examine les définitions et les explications des textes des grands maîtres bouddhistes indiens, on constate que le karma fait référence au caractère compulsif de nos actions. Selon une série de commentaires, le karma est strictement un état mental, le désir impérieux et irrépressible qui nous amène à penser, parler ou agir de manière compulsive sous l'influence de l'ignorance et d'émotions perturbatrices. Selon une autre série de commentaires, il ne s’agit pas seulement des actions de l'esprit, mais également des actions du corps et de la parole, le karma se référant aux mouvements compulsifs du corps et de la parole avec lesquelles nous menons nos actions du corps ou de la parole. Dans les deux cas, nous agissons de manière compulsive sous l'influence d'émotions perturbatrices telles que l'avidité, l'attachement, la colère, l'hostilité, la confusion, la fermeture d'esprit, etc. Cela conduit non seulement à un comportement compulsif destructeur, mais aussi à un comportement compulsif constructif. La compulsion est là en raison des tendances et des habitudes que nous avons développées par le passé.
Par exemple, nous pouvons jouer, de manière compulsive, au bon samaritain, ce qui, pour utiliser un terme occidental, est assez névrotique. Cela à avoir avec le perfectionnisme, avec lequel nous nous sentons obligés, par exemple, de nettoyer notre maison ou de nous laver les mains sans cesse, ou encore d'offrir son aide à tout le monde alors qu'ils n'en veulent pas ou n'en ont pas besoin. Nous pourrions également écrire et ne jamais être satisfaits de notre travail. Nous corrigeons notre texte indéfiniment, sans jamais pouvoir le terminer. C'est la compulsion du karma et c'est le problème du karma. Le karma, poussé par l'ignorance et les émotions perturbatrices, engendre le niveau de la base, le samsara, dont nous nous efforçons de nous purifier avec le tantra afin d'atteindre l'illumination.
L'esprit ou l'activité mentale
Au cours du cycle de la mort, du bardo et de la renaissance, l'esprit passe par différents niveaux. La mort est le niveau le plus subtil, puis vient le bardo, et enfin la renaissance, où l'esprit est à son niveau le plus grossier. Avec l'illumination, l'esprit reste toujours à son niveau le plus subtil. Mais qu'est-ce que l'esprit ?
Lorsque nous parlons de l'esprit dans le bouddhisme, nous ne parlons pas d'une « chose ». Il est beaucoup plus facile de comprendre l’esprit si nous le concevons en termes d'activité mentale. Il existe une certaine activité cognitive qui se déroule en permanence, d'un moment à l'autre. On la définit généralement comme clarté et conscience, et on y ajoute parfois le mot « simple », qui signifie « seulement ». Examinons chacun de ces termes.
La clarté est l'aspect de l'activité mentale qui donne lieu à l'apparence mentale de quelque chose, un peu comme un hologramme mental. C'est en fait ce qui se passe avec l'activité mentale, même d'un point de vue occidental. Par exemple, dans le cas de la vision, des photons entrent en contact avec les cellules photosensibles de notre rétine, ils sont traduits en impulsions électriques et chimiques, celles-ci sont transmises à diverses régions du cerveau et, d'une manière ou d'une autre, il en résulte ce que nous expérimentons comme un hologramme mental visuel, la vue de quelque chose.
L'apparition d'un hologramme mental n'est toutefois pas comparable à l'apparition d'une image dans un miroir, car elle implique également un aspect cognitif, un engagement cognitif de savoir ou de ne pas savoir ce qu'est quelque chose, une émotion, un sentiment de bonheur ou de malheur, etc. C'est l'aspect conscient de l'activité mentale.
L'émergence mentale et l'engagement mental ne sont pas deux activités consécutives. Il ne s'agit pas d'abord de l’apparition de quelque chose, puis de la vision de cet objet. Il ne s’agit pas non plus d’abord de l’apparition d’une pensée, puis du fait d’y penser. L'apparition et l'engagement sont une seule et même activité, simplement décrite de deux points de vue. L'activité mentale comporte également une composante énergétique. Cette énergie est appelée « vent » dans le langage figuratif dharmique. Il s'agit de décrire l'activité mentale du point de vue de l'énergie physique. La base physique grossière du cerveau, le système nerveux et ainsi de suite, sont le matériel avec lequel l'activité mentale se produit.
L'esprit est donc l'expérience individuelle et subjective de quelque chose, que les scientifiques décrivent, d'un point de vue matériel et objectif, par le fonctionnement du cerveau. Ces deux descriptions ne sont pas contradictoires. Le mot « simple » ou « seulement » dans la définition fait référence au fait que seuls ces aspects sont impliqués dans l'activité mentale. Il n'y a pas de « moi » séparé qui fait que cela se produit ou qui observe que cela se produit. La science serait d’accord avec cela.
La transformation de l'activité mentale
Pendant le cycle de la mort, du bardo et de la renaissance, les différents niveaux d'activité mentale qui se produisent ont différents niveaux de vents d’énergie qui les soutiennent. Tout comme les vents d’énergie du niveau d'esprit le plus grossier sont les plus grossiers, ceux du niveau d'esprit le plus subtil sont les plus subtils. Pendant la mort, l'activité mentale et les vents d’énergie sont les plus subtils, pendant le bardo, les deux sont simplement subtils, et avec la renaissance, ils deviennent grossiers.
Ce niveau grossier d'activité mentale et de vent d’énergie se produit avec la cognition sensorielle : la vue, l'ouïe, etc. Les hologrammes mentaux qui apparaissent alors sont faits de vent d’énergie grossier. Le niveau subtil des deux se produit avec la cognition conceptuelle, qui se produit dans la pensée, l'imagination, la visualisation et le rêve. Cela se produit également dans le bardo. Les hologrammes mentaux sont alors faits de vent d’énergie subtil. L'esprit le plus subtil, appelé « esprit de claire lumière », ainsi que le vent d’énergie le plus subtil se manifestent au moment de la mort. Les hologrammes mentaux sont alors constitués de ce vent d’énergie le plus subtil. Au fur et à mesure que nous renaissons par le mécanisme des douze liens, notre activité mentale et nos vents d'énergie montent et descendent sans cesse, passant du grossier au subtil et vice-versa, sous l'effet de l'ignorance, du karma et des émotions perturbatrices. C'est ce niveau de la base que nous voulons transformer et dont nous voulons nous débarrasser.
La différence principale entre la claire lumière et rigpa
De nombreuses personnes sont engagées dans le dzogchen, je devrais donc souligner, en passant, la différence entre la claire lumière et rigpa. La claire lumière est le niveau le plus subtil de l'esprit, avec ou sans les souillures des répercussions karmiques, les habitudes et les tendances de l'ignorance ainsi que les émotions perturbatrices. Ces souillures ne font pas partie de la nature essentielle de notre activité mentale. Elles sont éphémères et peuvent être éliminées.
Au niveau de la base, l'esprit de claire lumière dont nous faisons l'expérience à la mort est encore marqué par ces souillures éphémères. Au niveau des voies avancées, les souillures éphémères sont partiellement éliminées. Au niveau résultant, elles disparaissent à jamais. Mais à ces trois niveaux, la nature essentielle de notre activité mentale est pure de ces souillures. Cet aspect pur, sans souillure, est rigpa, la « conscience pure ».
Les stades de génération et de complétude du tantra anouttarayoga
Dans la pratique réelle du tantra, en particulier dans le tantra anouttarayoga, nous simulons ce processus de la mort, du bardo et de la renaissance. Pour la mort, nous simulons le fait de descendre au niveau de claire lumière de l'activité mentale, que nous avons décrit comme étant comme la descente de l'escalier du samsara jusqu'au sous-sol. Une fois arrivés là, nous ne voulons pas remonter l'escalier du samsara, ce que nous ferions normalement à cause de nos habitudes d'ignorance activant les tendances karmiques qui entachent ce niveau de claire lumière. Pour éviter cela, nous nous concentrons sur le vide en simulant ce niveau de claire lumière de l'esprit. Cela nous permet de simuler la montée de l'escalier du nirvana vers l'illumination.
Le tantra anouttarayoga comporte deux étapes de pratique, le stade de génération, parfois traduit par stade de « développement » ou de « création », et le stade de complétude, parfois traduit comme stade « d’achèvement ». Au stade de génération, le premier des deux, nous ne sommes pas en mesure d'atteindre le niveau de claire lumière de l’esprit, et nous nous contentons de l'imaginer. De plus, nous n'avons qu'un niveau conceptuel de compréhension du vide et seulement un certain niveau de bodhichitta élaborée. À partir de notre simulation d'une cognition de claire lumière du vide, nous imaginons apparaître sous la forme d'une figure-de-bouddha, un yidam, similaire aux corps-de-formes que nous atteindrons. Cela se fait généralement en deux étapes : d'abord sous une forme simple, puis sous une forme plus complexe, comme un Samboghakaya et un Nirmanakaya.
Au stade de complétude, les outils sont maintenant prêts, nous avons atteint un état conjoint de shamatha et de vipashyana pour pouvoir accéder et manipuler les énergies subtiles de notre système énergétique subtil constitué des chakras et des canaux, de sorte que nous sommes finalement capables d'accéder au niveau de claire lumière de l'esprit avec une cognition non conceptuelle du vide. Nous sommes alors capables de générer un fac-similé de corps-de-forme à partir des vents d’énergie les plus subtils, bien qu'il nous faille encore parvenir à une véritable cessation des voiles qui obscurcissent encore notre esprit de claire lumière.
Tout cela est lié à la définition de l'activité mentale, qui est de donner lieu à des apparences cognitives avec un certain engagement cognitif. Au lieu que notre activité mentale donne lieu à nos apparences ordinaires, nous voulons qu'elle donne lieu à l'apparence pure d'une figure-de-bouddha, de son mandala et de l'environnement qui l'entoure. Non seulement nous nous générons dans l'aspect de ces apparences pures fondées sur les potentiels des facteurs de notre nature-de-bouddha pour donner lieu à notre propre illumination qui n'est pas encore advenue, mais nous pouvons également imaginer tout le monde comme ces apparences pures de figures-de-bouddhas, et ainsi de suite, sur la base de leurs facteurs de nature-de-bouddha. Voyez-vous comment, de cette manière, tout cela est lié à l'amour, à la compassion et à l'équanimité ?
Il existe de nombreuses façons de travailler sur ce sujet. Nous pouvons examiner les différentes explications. La tradition Sakya, par exemple, parle de l'inséparabilité du samsara et du nirvana. Cela fait référence à la capacité du niveau de claire lumière de donner naissance à la fois à des apparences samsariques et nirvaniques. Les deux types d'apparence ont la même nature d'être une apparence cognitive. Ils découlent tous deux de la fonction commune de création d'apparence de l'activité mentale. C'est pourquoi, lorsque nous visualisons que tout est pur autour de nous, ce n’est pas que nous soyons dans l’incapacité de traverser une rue parce que nous ne voyons pas les voitures arriver. Il ne s’agit pas d’être dans un monde parallèle, où nous perdrions notre bon sens. Ce dont nous faisons l’expérience est presque comme une superposition où nous pouvons voir simultanément les niveaux samsarique et nirvanique, et il s'agit alors de savoir sur lequel nous mettons l'accent. Sinon, nous ne pouvons pas fonctionner.
Comme le soulignent les enseignements sur le vide, nous devons comprendre le vide comme signifiant la coproduction conditionnée. Ces deux notions ne se contredisent pas. Le vide n'entrave pas la fonctionnalité des choses, au contraire, elle leur permet de fonctionner. Faire ces visualisations ne devrait pas être une méthode pour effacer tout ce qui se passe autour de nous. C’est, au contraire, une façon de voir ce qui est possible à partir du potentiel dont chacun, ainsi que l’environnement, sont pourvus, plutôt que de surimposer notre vision habituelle mais impossible de la façon dont les choses existent.
En bref, ce que nous voulons avoir à ce niveau de la pratique du tantra est un fac-similé de ce qui se passera au niveau résultant. Au stade de génération, cela se fait par l’imagination, en imaginant ou en créant quelque chose avec notre imagination. Au stade de complétude, nous sommes réellement capables de faire surgir quelque chose des énergies les plus subtiles. En outre, nous accumulons de plus en plus de force positive, non seulement lors de nos sessions de méditation assise, mais aussi en agissant pour aider les autres, en plus d'imaginer que nous les aidons. Il ne suffit pas d'imaginer ou de visualiser, nous devons réellement faire quelque chose.
Le renoncement
Grâce à des pratiques répétées, à l'accumulation d'un potentiel positif de plus en plus important et à une conscience profonde dédiée à notre illumination, nous sommes finalement en mesure d'atteindre l'état d'illumination d'un bouddha, dans lequel tous les prétendus « obscurcissements » qui entachent notre esprit de claire lumière ont disparu. Nous avons réussi à mettre un terme à tous les niveaux subtils des obscurcissements, de sorte qu'aucune apparence impure ne surgit à nouveau. En y réfléchissant, nous pouvons voir très clairement que le renoncement fait partie de l'ensemble du processus. Nous devons renoncer à l'apparence ordinaire et au processus de renaissance ordinaire. Le mot tibétain traduit par « renoncement », ngejung, signifie devenir certain et ferme. C'est pourquoi je le traduis comme une détermination à être libre.
En passant, nous pouvons nous demander, dans le processus de développement du renoncement, quel est l'état émotionnel qui accompagne le renoncement ? N'oubliez pas que nous avons cinq agrégats, ce qui signifie que tout état d'esprit est le résultat d'un ensemble de facteurs. Quelle est donc l'émotion qui accompagne le renoncement ? En travaillant sur le plan pratique, nous pouvons développer une certaine colère envers nous-mêmes. « Oh, c'est tellement stupide ; pourquoi suis-je impliqué là-dedans ? » Nous pouvons être dégoûtés et en avoir assez de quelque chose. Ce type d’émotion fait partie du processus de renoncement. Toutefois, être en colère contre quelque chose ou contre nous-mêmes, pensant que nous sommes si stupides, est une émotion perturbatrice qui n’a rien à voir avec le fait de renoncer.
Par exemple, lorsque nous voulons arrêter de fumer, nous pouvons penser : « J'ai craqué et j'ai repris une cigarette. Je suis tellement fatigué, déçu et dégoûté de moi-même. » Ceci est une vision très négative de nous-mêmes et ce n'est pas un état d'esprit avec lequel nous pouvons vraiment développer le renoncement. Un état d'esprit qui semble fonctionner est la lassitude. « Je suis tellement las de m'énerver. Je suis tellement fatigué d’être inquiet, de manger compulsivement, j'en ai assez. » Nous perdons l’intérêt envers certaines choses et ce n'est que par lassitude et par perte totale d'intérêt que nous les abandonnons. C’est différent que d’être en colère ou plein de dégoût. C'est une façon plus naturelle de se détourner de certaines choses et il nous faut y réfléchir et y travailler à partir de notre propre expérience, en particulier lorsque nous sommes confrontés aux problèmes récurrents et incontrôlables du samsara.
Dans le contexte du tantra, nous devons donc également développer le renoncement, c'est-à-dire la détermination à nous libérer de toutes nos apparences ordinaires et de notre attachement à celles-ci. Pour ce faire, nous devons nous en lasser, nous lasser de remonter continuellement l'escalier du samsara à chaque fois que nous mourons, sans jamais savoir dans quel endroit du samsara nous finirons. Nous devons nous en désintéresser totalement.
La transformation et la fonction des figures-de-bouddha
Une grande partie du tantra est liée à la transformation, en particulier de l'apparence du corps avec lequel nous émergeons de la claire lumière. Comme nous l'avons dit, l'un des avantages du tantra est qu'au lieu de nous concentrer sur notre corps ordinaire, nous nous concentrons plutôt sur notre propre apparition en tant que figure-de-bouddha. Avec notre corps ordinaire, nous n'avons pas d'objet stable sur lequel nous concentrer. Nous avons telle ou telle douleur, et ainsi de suite, alors qu'une figure-de-bouddha ne change pas et n'a pas de douleur. Avec une figure-de-bouddha comme objet de concentration, nous avons toujours la même chose à laquelle revenir et sur laquelle nous concentrer lorsque notre esprit s'égare.
Il est également important de comprendre la fonction de ces figures-de-bouddha et la raison pour laquelle elles se présentent sous ces différentes formes. Elles sont assez étranges de notre point de vue conventionnel. Pourquoi voudrions-nous nous visualiser avec quatre, six ou vingt-quatre bras, avec tous ces visages et toutes ces jambes, en tenant toutes ces choses ? Est-ce vraiment ce que nous voulons faire ?
Pour comprendre ces figures-de-bouddha, nous devons examiner la description des corps-de-bouddha dans lesquels elles se transformeront. J'essaie parfois de décrire le processus d’apprentissage du Dharma comme le fait de réunir les pièces d’un puzzle, et la pratique du tantra n’y déroge pas. Notre tâche consiste donc à assembler les pièces du puzzle. Plus il y a de pièces, plus l'image est grande. Ces pièces se combinent de plusieurs façons, pas seulement d'une seule. Une autre pièce du puzzle du tantra concerne les fonctions des corps-de-bouddha. Les corps-de-formes remplissent les objectifs des autres tandis que le Dharmakaya remplit nos propres objectifs.
Nous pouvons commencer à réfléchir à tout cela dans ce que l'on appelle la « méditation analytique ». C'est ce qui nous permet d'aller très loin dans notre compréhension et notre pratique : analyser, discerner et essayer de comprendre en quoi consiste notre pratique. Sa Sainteté le Dalaï-Lama dit toujours que la méditation analytique est le principal type de méditation que nous devons pratiquer, et que c'est ce qu'il fait toujours lui-même.
Il nous faut de la concentration, c'est vrai, mais ce n'est pas la chose principale qui nous fait avancer sur la voie. Il s'agit simplement d'un outil qui se développera. Nous n'avons pas besoin d'attendre d'avoir une concentration parfaite pour acquérir une certaine compréhension. La concentration doit s'accompagner de cette compréhension. Il ne s'agit pas de se concentrer pour le plaisir. Un musicien ou un athlète peut se concentrer. Un lion traquant une antilope peut se concentrer. Un enfant jouant à un jeu vidéo peut se concentrer. Cependant, dans notre cas, c’est la compréhension, et non simplement la concentration, qui permet de se débarrasser de l’ignorance.
Nous voulons aider les autres avec ces corps-de-formes. C'est la seule raison pour laquelle nous nous présentons sous une forme physique. Il s'agit d’être bénéfique et d’accomplir les objectifs des autres. Nous apparaissons sous cette forme parce qu'elle fournit aux autres une méthode pour surmonter la souffrance et atteindre l'illumination. C'est le seul but de ces manifestations et c'est aussi le but de notre activité d'éveil. Je préfère parler « d' influence d’éveil », parce qu'un bouddha n'a pas besoin de faire quoi que ce soit. Comme le soleil, un bouddha exerce cette influence d’éveil de nombreuses manières : pour calmer les choses, pour stimuler leur croissance, pour les contrôler et pour mettre fin aux actions nuisibles. Ce sont les quatre types d'influence que nous voulons exercer.
Par ailleurs, le terme « imagination » est une bien meilleure façon de traduire « visualisation », car ce que nous faisons n'est pas seulement visuel. Nous faisons appel à tous les sens, aux émotions et à tout le reste. Nous imaginons que nous avons cette influence d’éveil. Nous avons tous ces bras, ces jambes et ces visages parce qu'ils sont une représentation graphique de toutes les choses que nous voulons tisser ensemble et que d'autres devront tisser ensemble. Nous ne nous générons pas dans le corps-de-forme d'un bouddha pour notre propre bien, ou pour notre propre bénéfice. Nous le faisons pour le bénéfice des autres. C'est une chose à laquelle il faut réfléchir et qui n’est, à vrai dire, pas si étrange.
Tout comme nous pensons pouvoir tirer des bienfaits de la méditation avec ces figures, il en est de même pour tout le monde. Les gens sont différents et nous devons être capables d'avoir différentes figures possédant différents nombres de bras, de jambes et de visages, parce qu'il y a tellement de choses qui doivent être tissées ensemble.
Par exemple, il y a les 37 facteurs ou pratiques qui mènent à la libération ou à l'illumination et qui sont répartis sur les cinq voies, comme la voie de l'accumulation ou du développement, etc. Ces voies sont partagées par le Hinayana, le Mahayana et toutes les écoles du bouddhisme. Comment les garder à l'esprit ? Nous pouvons le faire en nous visualisant comme une figure telle que Vajrabhairava, également appelé Yamantaka, qui possède 34 bras ainsi que le corps, la parole et l'esprit représentant ces 37 facteurs. Dans la pratique de Vajrayogini, 36 dakinis sont en cercle autour de la figure principale dans le mandala, ce qui fait un total de 37 figures. Lorsque nous représentons ces différents points sous une forme graphique, nous devons garder à l'esprit que cela aide les autres, pas seulement nous, mais tout le monde, à pratiquer de cette façon. Ces 37 pratiques sont ce dont les autres auront besoin. En parallèle, nous avons également les 37 pratiques du bodhisattva. Nous voulons nous engendrer sous cette forme pour le bénéfice des autres afin qu'ils puissent, tout comme nous le faisons, l'utiliser comme une méthode. N'oubliez pas qu'avec le tantra, nous nous imaginons déjà au niveau du résultat, et non au niveau de la voie, même si le pratiquer est en soi un cheminement. Réfléchissons-y quelques instants.