Révision
Comme je l'ai expliqué, les présentations des différents sujets métaphysiques dans le bouddhisme sont utiles pour nous aider à déconstruire les différents problèmes auxquels nous pouvons être confrontés. L'une des façons de déconstruire ce que nous vivons est de l'analyser au sein d'une expérience. Rappelez-vous, nous avons utilisé l'expérience de la mauvaise sacoche d'ordinateur à l'aéroport et du sentiment de colère que j'éprouve à l'égard de moi-même, pensant que je suis un parfait idiot. Nous avons vu que nous pouvons différencier ce qui existe de ce qui n'existe pas. Nous avons vu ce qui se passe, nous pouvons différencier ce qui se passe maintenant de ce qui ne se passe plus. Dans ce qui se passe maintenant, dans ce dont nous faisons l’expérience au moment présent, nous pouvons différencier les divers phénomènes statiques (comme les catégories) et les phénomènes fonctionnels (les choses qui changent), et à l'intérieur de cela, ce qui est et ce qui n'est pas (les phénomènes d'affirmation et les phénomènes de négation). Au sein des phénomènes fonctionnels, nous avons vu qu'une façon de les diviser est de distinguer les formes de phénomènes physiques, les façons d'en être conscient et les choses qui ne sont ni l'une ni l'autre, comme l'ordinateur, ma colère et moi. Pour ces phénomènes fonctionnels en particulier, un autre schéma de division, que nous n'avons pas abordé, est celui des cinq agrégats. Il s'agit simplement de cinq regroupements de ces phénomènes fonctionnels, et au moins un élément de chacun d'entre eux constitue chaque moment de notre expérience.
C'est très utile si nous voulons faire face à ce que nous vivons. En effet, ce qui se passe en ce moment est ce qui est pertinent, et dans ce qui se passe en ce moment, si nous pouvons voir toutes les différentes composantes, et réaliser que tout change à un rythme différent, qu'il y a tant de variables qui affectent notre présente expérience, alors cela nous aide à amoindrir la solidité que nous attribuons à cette situation. Lorsque nous avons déconstruit notre expérience, comme une humeur massacrante ou dépressive, alors cet état d’esprit devient moins monstrueux et nous pouvons y faire face.
Dans cette session, nous voulons examiner une autre façon extrêmement utile de déconstruire ce que nous vivons, du point de vue de la causalité. Passons en revue tous les facteurs impliqués, les différents types de causes, les différents types de résultats, etc., et appliquons-les à l'exemple de la mauvaise sacoche d'ordinateur.
La cause immédiate et les causes antécédentes
Voici la situation que nous analysons. Je n'ai pas mon ordinateur. Quelle est la cause immédiate (dngos-rgyu), également traduite par « cause directe » ? C'est ce qui a immédiatement provoqué cette situation. Ce qui a immédiatement provoqué la situation, c'est que j'ai pris la mauvaise sacoche. Cependant, un terme est ici traduit par « cause indirecte » (brgyud-rgyu), nous devons comprendre ce que signifie indirect. Cela signifie les causes antécédentes, la séquence d'événements qui ont conduit à la cause immédiate de récupérer la mauvaise sacoche. Quelles sont les causes antécédentes ? Le voyage en avion a été mouvementé, j'ai eu mal à la tête pendant le vol, l'attente pour les bagages a été longue et j'ai craint que la personne qui venait me chercher n'attende trop longtemps, puis j’ai été distrait par une conversation avec un autre passager. Tout cela a conduit à la cause directe : j'ai pris la mauvaise sacoche.
Les résultats immédiats et les résultats successifs
Nous avons le résultat immédiat (dngos-'bras), également traduit par « résultat direct ». C'est ce qui a suivi immédiatement le fait de ne pas avoir la bonne sacoche, de ne pas avoir mon ordinateur. Le résultat direct, c'est que je suis sorti de l'aéroport avec la mauvaise sacoche. Ensuite, ce qui est traduit dans notre affaire par le « résultat indirect » (brgyud-'bras) fait référence à tous les résultats successifs qui se sont produits de manière chronologique après cela. Je n'ai pas pu faire mon travail, j’ai dû appeler l'aéroport et y retourner pour essayer de récupérer mon ordinateur. Ce sont tous les résultats successifs qui ont suivi.
Il est très important, dans l'analyse de la situation, de voir toutes les choses qui ont conduit à ce qui s'est passé et toutes les choses qui l'ont suivi, dans une sorte de succession, afin de ne pas limiter notre façon de voir les choses à une période de temps limitée. Tout ce que nous vivons a un long antécédent de causes, puis une longue succession de résultats. Une chose en entraîne une autre, puis une autre, et encore une autre.
Les causes d'obtention et les conditions agissant simultanément
Ensuite, nous avons ce que l'on appelle ici la cause matérielle, que je traduis par la cause d'obtention (nyer-len-gyi rgyu), ainsi que la condition agissant simultanément (lhan-cig byed-pa'i rkyen). De quoi s'agit-il ? Permettez-moi tout d'abord de traduire la définition d'une cause d'obtention : c'est un facteur au sein d'un continuum individuel qui se transforme en la phase suivante du continuum. Qu'est-ce que cela signifie ? Tout d'abord, nous ne devrions pas penser, lorsque cela est traduit par cause matérielle ou cause substantielle, que ce type de cause est une chose solide, car ce n'est pas vraiment ce que le mot signifie. Il ne s'agit pas non plus de phases successives d'une chose solide. Littéralement, le mot signifie « obtention », c’est ce à partir de quoi nous obtenons le résultat. Il s'agit de quelque chose dans notre continuum mental à partir duquel nous obtenons cet élément — récupérer la mauvaise sacoche — en tant que son successeur. Dans la plupart des cas, cette chose cesse d'exister une fois que le successeur est apparu.
Quels sont les exemples de ce phénomène ? Un exemple serait la graine et la plante. À partir de la graine, nous obtenons la plante — c'est une succession — et lorsque nous obtenons la plante, nous n'avons plus la graine. Ou encore, la pâte crue est la cause d'obtention du pain cuit. Elle est la cause d'obtention dans le sens où nous obtenons le pain à partir d'elle. Mais nous devons veiller à ne pas parler de la substance du pain en termes d'atomes et de ce genre de choses. Nous ne parlons pas de cela. Nous parlons de ce qui nous permet d'obtenir l’objet. Dans ce cas, la pâte crue n'est plus là lorsque nous avons le pain, n'est-ce pas ? Cependant, elle se trouve dans la succession. C'est pourquoi nous utilisons le mot « succession », « continuum ».
Dans notre exemple, nous parlons de notre continuum mental. Il pourrait également s'agir d'un continuum général, mais nous parlons désormais d'un continuum mental. Parfois, cette cause d'obtention a cessé lorsque nous obtenons le résultat, mais parfois elle peut donner plus d'un résultat, de sorte qu'elle continuera à être là jusqu'à ce qu'elle ait épuisé tous ses résultats. En tibétain, le mot utilisé pour décrire ce dont nous parlons est le même mot que « graine » (sa-bon). Encore une fois, nous ne devrions pas y penser comme à une graine matérielle, je pense qu'il est préférable de le comprendre dans ce contexte comme des tendances et des potentiels.
Il y a une tendance à ne pas être attentif, n'est-ce pas ? C'est la raison pour laquelle j'ai pris la mauvaise sacoche, je n'étais pas attentif. Ensuite, j'ai une tendance à l'action destructrice qui consiste à prendre ce qui ne m'appartient pas et un potentiel à perdre mon ordinateur, à perdre mes biens, et j'ai aussi une tendance à me mettre en colère contre moi-même. Tous ces éléments sont les causes d'obtention, ou ce que l'on appelle ici les causes substantielles de l'incident qui s'est produit, de ce dont nous faisons l’expérience.
Quelles étaient les conditions agissant simultanément, ou les conditions contributives ? Qu'est-ce qui a contribué à cet incident ? Je ne portais pas mes lunettes et je parlais à quelqu'un d'autre. Ce sont les conditions clés qui se sont produites à ce moment-là et qui ont permis à cette situation de se produire.
Ainsi, nous commençons à voir que ce que nous vivons, ce qui arrive, dépend de beaucoup de choses qui se sont passées auparavant, de nos propres tendances dans notre continuum mental, des circonstances dans lesquelles les choses se sont produites, etc. Tout cela influe sur ce qui s'est passé. Prenons un moment pour intégrer tout cela. Le problème est que nous ne pouvons blâmer personne. Du fait qu'il y a tellement de facteurs en jeu, nous ne pouvons pas rejeter la faute sur l'un d'entre eux et nous sentir coupables.
Les six types de causes selon Vasubandhu
Nous disposons d'un système de six types de causes différentes. Bien que cela puisse sembler extrêmement compliqué, en particulier lorsque nous essayons de travailler avec les définitions spécifiques, il s'agit néanmoins d'un système très utile si l'on peut travailler avec au travers d’exemples pour voir de quoi il s'agit.
Les causes agissantes
Tout d'abord, nous avons les causes agissantes (byed-rgyu), qui se réfèrent à tout ce qui n'est pas le résultat réel. Cela signifie que tout ce qui nous arrive est lié à tout ce qui s'est déjà produit. Rien n'existe de manière isolée, tout est interconnecté. C'est le but de cela.
Quelles sont certaines de ces causes agissantes ? Il y a celles et ceux qui ont inventé les ordinateurs, je n'aurais pas pu perdre mon ordinateur si personne n'avait inventé l'ordinateur. Il y a toutes les personnes qui l'ont fabriqué. Il y a toutes les personnes qui ont fabriqué le plastique et extrait les métaux qui sont entrés dans la composition de l'ordinateur, ce genre de choses. Ensuite, j'ai acheté l'ordinateur, et donc il y a aussi le magasin où je l'ai acheté. Quelqu'un a dû construire le magasin et quelqu'un a dû me le vendre. Comment me suis-je rendu au magasin ? J'ai pris les transports en commun. Là encore, quelqu’un a dû les construire. Quelqu'un a dû conduire le métro, le U-Bahn que j'ai pris. Ce sont là autant de causes qui expliquent la perte de mon ordinateur. Et on peut également se pencher sur des choses vraiment élémentaires, comme le fait que mes parents m'ont donné naissance, que j’ai depuis vieilli et suis donc moins attentif à ce qui se passe. Si l'on commence à analyser tout cela, on se rend compte qu'il y a une quantité incroyable de facteurs qui sont des causes agissantes et qui, d'une manière ou d'une autre, sont responsables de ce qui s'est passé. Il est intéressant de noter que si l'un de ces facteurs n'est pas pris en compte, par exemple si personne n'avait inventé l'ordinateur, tout cela n'aurait jamais pu se produire.
Les causes simultanées
Le deuxième type de cause est la cause simultanée (lhan-cig 'byung-ba'i rgyu). Il s'agit de toutes les choses qui vont de pair avec ce qui se passe, en ce sens qu'elles soutiennent le résultat. Elles apparaissent en même temps que le résultat, dans un certain sens. Si nous y réfléchissons, mon bras qui récupérait la mauvaise sacoche et l'action de ramasser la sacoche, tout cela se produisait en même temps que le fait de récupérer la mauvaise sacoche. Aurais-je pu prendre la mauvaise sacoche et ne pas avoir mon ordinateur si je n'avais pas eu un bras pour saisir la sacoche ? Si le bras n'avait pas de muscles et que le sang n'y circulait pas, tout cela n'aurait pas pu se produire, n'est-ce pas ? Ou le fait de voir la sacoche, le fait de voir quelque chose sur le sol. Si je ne l'avais pas vu, je n'aurais pas pu la ramasser. Ensuite, le fait de la voir sans y prêter beaucoup d'attention, c'est ce qui était vraiment en jeu. Même si cela peut sembler un peu drôle, si nous y réfléchissons bien, toutes ces choses étaient impliquées. Encore une fois, si certaines d'entre elles avaient été absentes, cela ne se serait pas produit. Réfléchissez-y un instant.
Les causes de statut égal
Le troisième type de cause est connu sous le nom de cause de statut égal (skal-mnyam-gyi rgyu), ce qui signifie que les causes pour lesquelles les résultats sont des moments ultérieurs appartiennent au même type de catégorie du phénomène que les causes. Autrement dit, nous parlons d'un certain statut de la cause et de l'effet, et le statut — je vais expliquer à quoi ce statut fait référence — est le même pour la cause et pour l'effet. Il s'agit avant tout du statut éthique (rigs).
Pour comprendre à quoi cela fait référence, nous devons présenter un autre schéma de division des phénomènes. Tout d'abord, nous avons la division en choses contrariantes (zang-zing) et non contrariantes (zang-zing ma-yin-pa). Pour ce qui est des choses contrariantes, elles nous perturbent, elles nous bouleversent. Je vais vous donner la définition : quelque chose de contrariant est mêlé à la naïveté à propos de la réalité, et ce qui n'est pas contrariant n'est pas mêlé à cette naïveté. Il s'agit plutôt de cette division du samsara et du nirvana, de ce type de division des choses.
Qu'est-ce qu'une pensée contrariante ? Qu'est-ce qu'une pensée non contrariante ? Une pensée contrariante serait de penser par naïveté : « Je suis un parfait idiot. Je suis tellement stupide. Comment ai-je pu faire ça ? » Qu'est-ce qu’une pensée non contrariante ? « Je suis un être humain. Les êtres humains font des erreurs. Ces choses arrivent à cause de toutes sortes de causes et de conditions, etc. À quoi dois-je m'attendre ? Je vieillis. Ce genre de choses arrive. » Dans ce cas, il est important d'avoir les idées très claires.
Nous avons maintenant une division en trois : [les phénomènes] destructeurs, constructifs et neutres.
Les [phénomènes] destructeurs (mi-dge-ba) sont des choses qui vont mûrir en un malheur grossier ou dans le problème omniprésent de la poursuite de notre renaissance samsarique. Les [phénomènes] constructifs (dge-ba) sont ceux qui vont engendrer notre bonheur ordinaire, c’est la souffrance du changement. Ce bonheur ne sera pas satisfaisant, il ne durera pas, etc., mais il n'est pas aussi grave que le malheur. [Ces phénomènes] perpétuent aussi le samsara. Enfin, les [phénomènes] neutres (lung ma-bstan) ne sont ni l'un ni l'autre.
Il existe toute une liste de phénomènes destructeurs, analysés à différents niveaux de complexité. Nous avons cependant ce que l'on appelle les trois poisons (dug-gsum) : les trois attitudes empoisonnées de la colère (zhe-sdang), de l'avidité et de l'attachement ('dod-chags, désir ardent) et de la naïveté (gti-mug). Ici, il y a une différence entre la naïveté et l'inconscience (ma-rig-pa).
L'inconscience, parfois traduite par « ignorance », peut accompagner un état d'esprit constructif, destructeur ou neutre. Nous ne connaissons tout simplement pas, ou nous connaissons mal, ce qu'est la causalité ou la réalité. Si nous ne connaissons pas ou si nous connaissons mal la causalité, c'est un comportement destructeur. Nous pensons que voler va nous rendre heureux, or ce n'est pas le cas, car c'est quelque chose qui nous apportera des problèmes. Ensuite, l’inconscience de la façon dont nous existons, de la façon dont tout existe, peut être à l'origine de phénomènes destructeurs, constructifs ou neutres. Il y a donc deux types d'inconscience : l'inconscience de la causalité et l'inconscience de la réalité.
Le terme tibétain timuk, ou moha en sanskrit, est très difficile à traduire. Je l'appelle « naïveté ». Il fait référence à cette inconscience uniquement lorsqu'elle accompagne un comportement destructeur ou des phénomènes destructeurs. C'est une sous-catégorie. Il s'agit soit de ne pas connaître la causalité, soit de ne pas connaître la réalité lorsqu'elle accompagne un phénomène destructeur — c'est ce qu'on appelle la naïveté. Je ne vois aucun mot dans nos langues qui puisse signifier cela. L'implication d'un terme distinct ici est que la naïveté est bien pire lorsqu'elle est associée à quelque chose de destructeur. Je pense que cela montre — bien que cela devienne peut-être très technique — l'importance de connaître les définitions et de les comprendre, sinon, la terminologie devient trop confuse et nous ne savons pas vraiment de quoi ces termes parlent. Dans le bouddhisme, la terminologie est extrêmement spécifique.
Qu'est-ce qui est destructeur ? La colère, l'attachement, la naïveté, les actions qui en découlent et tous les facteurs mentaux qui accompagnent ces émotions perturbatrices. Tout cela est destructeur.
Par conséquent, ce qui est constructif, c’est l'amour, la compassion, ce genre de choses, lorsque ces états d’esprit sont mêlés à l’inconscience. « Je suis si merveilleux, je me suis rappelé ma sacoche », « je l'ai récupérée, je suis génial ! » C'est ce genre de sentiment. « Je vous suis tellement reconnaissant pour ça », mais avec le sentiment exagéré de « vous êtes tellement merveilleux » et d'en faire toute une histoire. Il s'agit de l’inconscience de la réalité mêlée à quelque chose d'assez constructif. Ce qui se cachait derrière cet incident, c'était un énorme sentiment de moi : « Oh, qu'est-ce que je vais faire ? », « je peux enfin travailler », etc. Il y a une grande pensée égocentrique derrière ce sentiment positif de reconnaissance et de gratitude. Cela conduit au bonheur, mais c'est un type de bonheur qui ne dure pas et qui n'est pas satisfaisant.
Ensuite, les phénomènes neutres. Les phénomènes neutres ne sont ni constructifs ni destructeurs. Ils peuvent faire partie de quelque chose de constructif ou de destructeur, mais sont néanmoins neutres en eux-mêmes. Il peut s'agir de l'attention, de l'intérêt, de l'intelligence, etc. En eux-mêmes, ces phénomènes sont neutres.
Dans notre exemple de prendre le mauvais ordinateur, ce qui serait destructeur serait la colère, « je suis en colère contre moi-même ». Ce qui serait constructif serait la patience dans cette situation. Ce qui serait neutre — littéralement, le mot est non spécifié (le Bouddha n'a pas précisé s'il s'agissait de quelque chose de destructeur ou de constructif) — ce qui n'est pas spécifié, c'est l'ordinateur. Ce qui est neutre, c'est l'ordinateur en lui-même. Le « moi », le « je » sont des phénomènes neutres, tout comme la présence attentive [pleine conscience].
Qu'en est-il de l'équanimité ?
L'équanimité serait constructive. Nous ne pourrions pas avoir la colère et l'équanimité en même temps. Cependant, nous pourrions avoir la présence attentive tout en étant en colère, ou nous pourrions avoir la présence attentive tout en étant très bon.
La cause de statut égal fait référence aux choses qui se sont produites avant ce qui se passe maintenant et qui sont du même statut — destructeur, constructif ou neutre — que ce qui se passe maintenant. Qu'est-ce que je ressens en ce moment ? Je ressens beaucoup de colère envers moi-même. « Je suis tellement stupide. Je suis tellement bête. Je suis un véritable idiot. » Quelles sont les causes de statut égal de ce sentiment ? Il s'agit de la frustration, de l'impatience, de la faible estime de soi, et de ce que nous appellerions des facteurs psychologiques ou émotionnels, qui sont impliqués dans tout ce syndrome de lourdeur et de colère contre soi-même. Vous comprenez ? Cela contribue également à ce que je vis en ce moment : je n'ai pas mon ordinateur, je suis en colère contre moi-même, j’ai pris la mauvaise sacoche d'ordinateur.
C'est utile. Cela nous a donné une idée de ce sur quoi nous devons travailler en nous-mêmes afin de ne pas nous énerver autant dans ces situations. C'est contrariant, ou ce n'est pas contrariant : « Je suis un être humain, ce genre de choses arrive. » Nous ne sommes pas contrariés. Ici, nous sommes équanimes d'une manière qui n'est pas contrariante. Une façon contrariante mais équanime serait de dire : « Pauvre de moi. Je suis un être humain. Ce genre de choses arrivent. Pauvre de moi. » C'est s'apitoyer sur son sort. J’ai un certain équilibre, mais je m'apitoie sur mon sort. C'est donc à l'ensemble de notre composition émotionnelle que se réfère cette cause de statut égal.
Les causes congruentes
Ce qui vient ensuite est la cause congruente (mtshungs-ldan-gyi rgyu). À quoi fait-elle référence ? Je l'appelle « cause congruente », et elle est consciente : elle se réfère à des façons d'être conscient de quelque chose. Il s'agit d'une sous-catégorie des causes simultanées, qui concerne les phénomènes ayant cinq points communs.
Dans l'exemple où je constate que l'ordinateur n'est pas le mien, certains facteurs mentaux accompagnent cette cognition, ce moment d'expérience. Nous parlons de choses comme l'attention, la distinction (je distingue ma sacoche de cette autre sacoche), la naïveté quant à la façon dont j'existe (je suis un parfait idiot), la colère, le malheur. Toutes ces choses sont réunies dans un même ensemble, dans ce moment d'expérience, dans ce dont je fais l’expérience, et elles ont cinq choses en commun. C'est ce que signifie « congruent ». Ces phénomènes partagent quelque chose ensemble. Qu'ont-ils en commun ?
- Ils visent toutes le même objet focal (dmigs-yul), l'ordinateur. La colère le vise, l'attention le vise, la distinction le vise, et mon malheur se concentre sur cet ordinateur, « ce n’est pas le mien ».
- Tous ces éléments sont liés au même aspect mental (dmigs-rnam). Autrement dit, lorsque je vois l’ordinateur, il y a tous ces rayons lumineux qui frappent mes yeux, ces impulsions électriques et chimiques vont à mon cerveau, et d'une certaine manière, mon cerveau crée un aspect mental, un hologramme mental, qui représente cet ordinateur. En fait, si nous pensons à ce phénomène mental, il vise un hologramme mental. Tous ces phénomènes congruents visent le même hologramme mental. C'est ainsi que fonctionne le cerveau, n'est-ce pas ?
- Ils s'appuient tous sur le même capteur cognitif (dbang-po). Dans ce cas, il s'agit des cellules photosensibles des yeux, et tous les phénomènes congruents fonctionnent donc toutes par ce biais.
- Ils se produisent tous en même temps (dus).
- Ils proviennent tous d'une seule classe homogène (ris-mthun), ce qui signifie que, dans le cas de chaque facteur mental, il n'y a qu'un seul exemplaire de chaque classe de facteur mental. Par exemple, il n'y a qu'un seul niveau de bonheur, et non deux, de même qu’il n’y a qu'un seul niveau d'attention, et non deux.
C'est une cause congruente. Tous ces facteurs mentaux font partie de l'expérience qui consiste à voir que ce n'est pas mon ordinateur et à se sentir en colère. Réfléchissons-y un instant.
[Pause]
Les causes motrices
La cause suivante est traduite ici par « cause continue » (kun-'gro'i rgyu), je l'appelle la cause motrice. En tibétain, le mot signifie littéralement « entraînant », c’est-à-dire qu’elle fait se mouvoir, qu’elle engendre. Soit elle continue, soit elle fait avancer quelque chose, nous pouvons la comprendre de deux manières. Lorsque le résultat se produit, il peut être ou non une continuation. Cependant, ce qu’il faut retenir ici, est que la cause motrice ne doit pas nécessairement appartenir à la même catégorie éthique que le résultat. S’il s'agissait d'une cause de statut égal, elle devrait appartenir à la même catégorie.
Nous pouvons donner l'exemple de l'attachement à mon ordinateur. Pourquoi suis-je si en colère ? Je le suis en raison de mon arrogance de penser que mon travail est si important ou de mon impatience face à ma vieillesse. Ces deux émotions perturbatrices ont le même statut, elles sont dans la même catégorie et elles sont destructrices comme ma colère. Néanmoins, il existe un facteur qui n'est pas destructeur, mais plutôt neutre, à savoir la préoccupation de soi. La préoccupation de soi est neutre, elle n'est pas spécifiée. Nous utilisons le terme « neutre » parce que c'est un mot facile à dire. Toutefois, le terme « non spécifié » est littéralement correct et plus spécifique, car cela signifie qu'elle peut être soit destructrice, soit constructive, soit neutre. Elle peut être n'importe laquelle de ces trois. Dans le cas de la préoccupation de soi, nous pouvons être préoccupés par nous-mêmes lorsque nous sommes en colère contre nous-mêmes. Nous pouvons nous préoccuper de nous-mêmes lorsque nous sommes si bons et si merveilleux avec tout le monde. Nous pouvons nous préoccuper de nous-mêmes pendant que nous déjeunons. Lorsque nous parlons de cet état non spécifié, il peut s'agir de l'une des trois possibilités suivantes : nous sommes en colère contre nous-mêmes, nous nous considérons comme si merveilleux et si bons, et nous sommes en train de déjeuner. Le fait de déjeuner est neutre. D'accord ? Il s'agit simplement d'un détail supplémentaire de l'arrière-plan émotionnel qui explique pourquoi nous nous sentons si mal.
Notre préoccupation personnelle serait une cause motrice du fait d’être en colère contre moi-même, et elle pourrait continuer alors que je récupère mon ordinateur et que je me sens si heureux avec moi-même.
Les causes de maturation
Nous avons ensuite la cause de maturation (rnam-smin-gyi rgyu). En allemand, nous avons une traduction plus complète qui est la suivante : cause de la maturation complète du fruit karmique. Il s'agit d’un phénomène destructeur ou constructif qui entraînera une situation non spécifiée comme résultat karmique.
Nous parlons ici de quelque chose que nous avons fait dans une vie antérieure et qui a laissé des tendances ou des potentiels karmiques, lesquels, une fois activés, ont entraîné ce que l'on appelle le karma de projection ('phen-byed-kyi las) pour notre renaissance actuelle. Sur notre continuum mental, il y a tous les potentiels karmiques de toutes les actions destructives et constructives que nous avons commises dans nos vies antérieures. Au moment de notre mort dans notre vie précédente, nous avions le désir de ne pas être séparés du bonheur et d'être séparés du malheur ; nous avions ce désir très fort. Nous étions alors en train de mourir. Nous avions aussi le désir de continuer à exister et, bien sûr, une certaine naïveté quant à la réalité, quant à la façon dont nous existons, n’est-ce pas ? Cet ensemble d'émotions et d'attitudes perturbatrices a activé ces potentiels karmiques, de sorte qu'une impulsion karmique a surgi, entraînant notre continuum dans une nouvelle renaissance.
Ce qui mûrit à partir de ces potentiels karmiques activés, ce sont les composants non spécifiés du corps et de l'esprit avec lesquels nous naissons. Nous naissons avec un corps et un cerveau qui font l'expérience de la vieillesse et d'une perte d’attention en vieillissant. Ce type de corps et de cerveau n’est pas spécifié : il peut aller de pair avec quelque chose de destructeur, la colère ; il peut aller de pair avec quelque chose de constructif, il peut aller de pair avec n'importe quoi. La cause de cela, la cause de maturation, est cet ensemble de potentiels karmiques qui a été activé au moment de notre mort dans la vie immédiatement précédente.
Voilà toutes les causes. Qu'en est-il des résultats ? Il existe cinq types de résultats.
Les cinq types de résultats selon Vasubandhu
Les résultats à maturité
Tout d'abord, nous avons le résultat à maturité (rnam-smin-gyi 'bras-bu), qui fait référence au résultat de la cause de maturation. Ces phénomènes sont non spécifiés, tels que notre corps et notre cerveau qui font l'expérience de la vieillesse et d'une perte d’attention à cause de la vieillesse. Cela fait partie de ce qui se passe, n'est-ce pas ? C’est ce qui résulte du passé et dont nous faisons l’expérience. Ce sont les résultats, ce que nous vivons.
Les résultats qui correspondent à leur cause
Les résultats qui correspondent à leur cause (rgyu-mthun-gyi ‘bras-bu) se rapportent soit à notre comportement ou à ce dont nous faisons l’expérience. Ici, si l’on réfléchit bien, la cause karmique d’un tel phénomène serait, en un certain sens, de prendre ce qui ne nous est pas donné — une action destructrice. Dans un sens plus fort, il s'agirait de vol proprement dit, ce qui a conduit à la tendance [correspondante]. Rappelez-vous, nous avions cette cause d'obtention, ou cause matérielle, de prendre des choses qui ne nous appartiennent pas — nous avons la tendance à faire cela. Cette tendance est née de l'action karmique consistant à prendre quelque chose qui ne m’appartenait pas. Le résultat correspondant à cette cause serait de prendre quelque chose appartenant à quelqu'un d’autre par incidence, c'est ce dont nous ferions l’expérience dans notre comportement similaire à cette action précédente que nous avons faite, ainsi que de faire l’expérience que quelqu'un prenne mon ordinateur.
Ce n'est pas mon karma qui pousse cette autre personne à faire cela. Cette autre personne a toutes ces causes qui se produisent de son côté et qui expliquent pourquoi elle prend quelque chose qui ne lui appartient pas. D'une manière ou d'une autre, ces deux éléments sont liés. Mon karma fait que je fais l'expérience que mon ordinateur est pris par quelqu'un d’autre, mon karma ne fait pas que l'autre personne prenne mon ordinateur. Il y a une différence. Nous ne pouvons pas mettre toute la culpabilité sur ce que j'ai fait dans une vie antérieure, parce que nous avons vu qu'il y a des milliers et des milliers d'autres causes passées qui sont impliquées dans ce qui se passe actuellement. C'est très utile pour surmonter la culpabilité. Tout n'est pas de la faute de l'autre, et tout n'est pas de ma faute, un million de choses sont arrivées, incluant le fait que quelqu'un ait inventé l'ordinateur. En fait, c'est très utile. Si nous pensons qu'il est stupide de blâmer la personne qui a inventé l'ordinateur, ou la personne qui nous l’a vendu, nous verrons qu'il est tout aussi stupide de se blâmer soi-même, « je suis si stupide », ou de blâmer cette autre personne qui a pris mon ordinateur.
Les résultats qui sont des états de séparation
Ensuite, nous avons les résultats qui sont la libération des émotions perturbatrices (bral-'bras). Il s'agit de résultats qui sont, littéralement, un état de séparation, et plus spécifiquement un état de séparation des émotions perturbatrices. Cependant, il ne s'agit pas seulement d'émotions perturbatrices, mais aussi de la saisie de l'existence véritable. Cette saisie se situe dans un schéma de classification différent, et n'est pas exactement une émotion perturbatrice. Il s'agit d'une chose plus large dont nous pourrions être séparés, que nous pourrions appeler, pour faire simple, les causes du samsara.
Un exemple de ce type de résultat serait une véritable cessation de la colère. Si nous atteignons l'état d'arhat, d'être libéré, nous serons alors complètement libérés de la colère. Ce serait ce type de résultat. On appelle cela un résultat, mais ce n’en est pas vraiment un. Du fait que cet état de séparation est un phénomène statique, qui ne change jamais et est éternel, nous parlons vraiment de l'atteinte de cet état de séparation. L'état de séparation n'est causé par rien, mais tous nos efforts sont la cause de l'atteinte de cet état. C'est une différence technique.
Les résultats créés par l'homme
Ensuite, nous avons ce que l'on appelle en allemand les résultats effectifs (skyes-bu byed-pa'i ’bras-bu), que j'appelle les résultats créés par l'homme. Il ne s'agit pas ici de quelque chose de karmique. Permettez-moi de vous donner des exemples : je ne peux pas faire mon travail. Le fait de ne pas pouvoir travailler est le résultat créé par l'homme qui s'est trompé d'ordinateur. Je me cogne le pied contre la table dans l'obscurité. Le résultat créé par l'homme est que j'ai mal au pied.
Les résultats dominants
Le dernier est le résultat dominant (bdag-po'i 'bras-bu), qui fait référence à une situation générale dans laquelle nous sommes nés (dans ce cas, cela implique un aspect karmique). Ici, il s'agirait, par exemple, de naître dans une société où les employés de l'aéroport aideraient les usagers à retrouver mon ordinateur perdu, où ils tiendraient des listes de passagers et de leur numéro de téléphone, et où les gens seraient honnêtes. Nous aurions pu naître dans une société où rien de tout cela ne se produit. Dans certains pays, si nous laissons par erreur notre ordinateur dans un aéroport, nous pouvons être sûrs qu'il sera volé, alors que dans d'autres pays, nous l’égarons et il se retrouvera aux objets trouvés.
Tels sont les différents types de résultats.
Les quatre conditions selon Vasubandhu
Les conditions causales
Nous avons les conditions causales (rgyu-rkyen). Ce sont les cinq types de causes autres que la cause agissante. Il s’agit d’une vaste catégorie de choses.
Les conditions antérieures immédiates
Nous avons la condition antérieure immédiate (de-ma-thag rkyen). Il s'agit des moments de conscience et des facteurs mentaux qui ont précédé le moment où j'ai pris le mauvais ordinateur. Cette activité mentale, ce qui se passait juste avant de voir cette sacoche sur le sol et de le prendre, a donné, dans un sens, un élan à l'activité mentale qui s'est produite pendant que je prenais la sacoche. C'est la condition antérieure immédiate.
Les conditions focales
Ensuite, nous avons une condition focale (dmigs-rkyen), c'est-à-dire la sacoche sur le sol contenant l’ordinateur, c'est ce sur quoi je me suis concentré lorsque j'ai pris la mauvaise sacoche. Je veux dire qu'il y avait la sacoche de cette autre personne sur le sol lorsque je l’ai prise.
Les conditions dominantes
La condition dominante (bdag-rkyen) fait référence aux cellules photosensibles des yeux, aux capteurs oculaires, grâce auxquels j'ai vu cette sacoche sur le sol et l'ai prise.
Conclusion
Telle est notre analyse de la causalité. Dans le texte d’Asanga, nous avons une liste de vingt causes différentes, notre analyse pourrait donc être encore plus complexe. Cependant, je pense que ce schéma est peut-être suffisant. J'espère que vous comprendrez que, bien qu'il s'agisse d'un schéma complexe, c'est quelque chose avec lequel nous pouvons travailler et que nous pouvons appliquer aux différentes situations que nous vivons. Il peut être très utile pour déconstruire les situations afin de ne pas faire toute une histoire horrible et monstrueuse de ce à quoi nous sommes confrontés. Nous pouvons voir les multiples choses dont découlent ces situations ainsi que les multiples résultats que nous expérimentons simultanément, et ensuite les traiter de manière beaucoup plus rationnelle.
Lorsque nous sommes suffisamment familiarisés avec cela, nous n'avons plus besoin de procéder à des analyses très spécifiques. Le simple fait de se rappeler que tout ceci est constitué d'un grand nombre de causes et de conditions différentes est utile, car s’engager dans une analyse plus approfondie pourrait prendre un certain temps. C’est donc le remède initial que nous appliquons, pour pouvoir ensuite procéder à une analyse plus détaillée. Cette première compréhension générale nous aide à nous calmer. Une fois calmes, avec un état d'esprit plus rationnel, nous pouvons procéder à l'analyse, laquelle nous donnera des indications sur ce que nous devons faire pour corriger la situation.