Questions et réponses
Commençons notre session par quelques questions.
Karma
Je me demande si cette déclaration est juste ou non : Toute perception que nous avons au moyen de nos six sens, en association avec les facteurs mentaux, sont notre karma, le karma que nous avons accumulé dans le passé. Est-ce que les perceptions que je perçois par le biais de mes six sens sont karmiques ou non ?
Eh bien non, à vrai dire. Par karma, ce dont nous parlons, c’est simplement de l’envie [du fort désir]. L’envie accompagnera la perception sensorielle ou la pensée mentale, et poussera la conscience et les facteurs attenants à faire quelque chose de plus avec son objet le moment suivant. Il existe plusieurs théories et différentes présentations du karma dans le bouddhisme, mais selon la moins compliquée, le karma est toujours cet envie mentale.
Nous avons des karmas mentaux, physiques et verbaux, autrement dit des envies qui nous poussent à commettre une action du corps, de la parole ou de l’esprit. Issues des diverses actions produites par le karma, nous avons, en tant que leurs conséquences, diverses tendances ainsi que des forces positives et négatives, etc., lesquelles mûrissent sous divers aspects. Sous quelles formes mûrissent-elles ? Par exemple, elles mûrissent sous la forme de ce que nous aimons et avons l’intention de faire, et cela est similaire à ce que nous avons fait auparavant. Consécutivement, ce qui s’ensuit, en même temps que l’intention, serait l’envie qui nous pousse à faire cela.
Prenons pour exemple un comportement destructif comme de gronder quelqu’un. Dans cette situation, ce que nous avons envie de faire, c’est de le réprimander. Cette personne vient juste de dire ou de faire quelque chose, et nous pensons que c’était mal et donc nous avons envie de la gronder. Cette envie que nous ressentons de la réprimander est ce qui mûrit à partir de tendances antérieures d’agir et de répondre de cette façon. Ce qui s’ensuit est l’intention de véritablement gronder cette personne ou, souvent, ce pourrait être l’intention d’y réfléchir avant afin de décider de le faire. Si tel est le cas, alors, en même temps que cette intention nous avons l’envie de penser à la gronder. On appelle cela « l’envie karmique incitative », ou pulsion karmique incitative, car elle peut faire advenir par la suite une autre envie karmique de la réprimander pour de vrai, malgré le fait que, bien sûr, il se peut que nous changions d’avis et décidions plus tard de ne pas le faire.
Associée à cette intention on aurait une émotion accompagnatrice positive ou négative. L’intention accompagnée de cette émotion sont ce qu’on appelle des « motivateurs » ou, simplement, une motivation. Dans ce cas, il s’agit de la « motivation causale ». Cette motivation causale pourrait être, par exemple, que nous voulons corriger la personne. Elle commet des fautes, or nous nous occupons beaucoup d’elle. Il y a donc un aspect compatissant dans notre intention de la réprimander. Nous aurons alors une série de pensées, déclenchées par la pulsion karmique incitative, qui dit : « Je vais gronder cette personne. La prochaine fois que je la verrai, je la gronderai pour de vrai. »
Suite à cela, quand nous verrons la personne, avec l’intention de la réprimander, nous aurions ce qu’on appelle « une impulsion karmique pressante ». C’est cette forte envie qui nous pousse, le moment suivant, dans l’action verbale de la gronder.
Au moment où nous avons pensé réprimander la personne, l’intention était de le faire, et la motivation était peut-être la compassion. La compassion est ce qu’on appelle la motivation causale. Toutefois, quand nous nous trouvons pour de vrai dans la situation et éprouvons l’envie qui nous pousse vraiment à dire quelque chose, à nouveau, l’intention est de gronder la personne. Cependant, parce que nous sommes dans le feu de l’action, l’émotion sous-jacente en réalité pourrait être de la colère. C’est souvent le cas. Nous avions une prétendue bonne motivation au départ, mais au cœur de l’action, nous nous mettons en colère. C’est ce qu’on appelle la « motivation contemporaine ». Elle est contemporaine, ce qui veut dire qu’elle s’élève au moment même où nous étions sur le point de nous engager dans l’action et où nous nous y engageons vraiment.
L’envie, l’intention et l’émotion accompagnatrice vont toutes continuer car nous avons besoin d’une chose qui nous pousse à continuer de réprimander la personne. Cependant, la remontrance s’est transformée en cris à son égard. Finalement, quelque chose va devoir changer. Il y aura l’envie de cesser de crier après elle, d’y mettre un terme en même temps que la motivation pour laquelle nous cesserons de crier. C’est un processus continu.
Quand on parle des conséquences et du résultat karmique de tout cela, on peut voir que parce que la motivation et la véritable envie sont ici des facteurs différents, ils peuvent avoir des résultats différents. Du fait que nous crions des mots durs, etc., sur la personne, cela pourrait produire un résultat. Néanmoins, la motivation causale est la compassion, et cela donnera un type de résultat différent.
Nous pouvons voir avec cet exemple que la motivation pour penser à faire une chose et la motivation avec laquelle nous la faisons vraiment pourraient être assez différentes. Il est d’une grande importance de comprendre ce que nous entendons par motivation dans le bouddhisme. Nous installons notre motivation avant un enseignement. Cela signifie en vérité à la fois une intention et une émotion accompagnatrice. L’intention est d’atteindre l’illumination pour aider les autres. L’émotion qui se tient derrière est la compassion. Cette combinaison est ce qu’on appelle la motivation dans le bouddhisme. Souvent en Occident, on pense que la motivation concerne juste l’aspect émotionnel.
Pour passer en revue brièvement cette explication, le karma n’est pas l’action. Le karma est le facteur mental à l’origine de l’envie qui nous entraîne dans l’action. L’action elle-même est la séquence de comportement à laquelle l’envie conduit. Toutefois, ce que nous percevons au moment où tout cela arrive n’est pas le karma.
Néanmoins, peut-être que ce que vous essayiez de demander implique quelque chose d’autre. En Occident, nous utilisons le mot « karma » dans un sens très lâche, et ainsi nous dirions que c’est notre karma d’avoir vu tel ou tel objet ou d’avoir eu un accident, peu importe. Peut-être est-ce cela que vous demandez ? Donc ici en Occident, nous appelons aussi le résultat du karma, par le même mot « karma ».
Est-ce que nos expériences et nos perceptions sont le résultat du karma ? Par exemple, je vous vois et vous écoute en train de poser une question. Le fait que vous soyez entré dans la pièce et m’ayez posé une question n’est pas le résultat de mon karma. Je n’en suis pas responsable. Vous êtes responsable de cela. Cela peut paraître drôle, mais beaucoup de gens ont cette mauvaise conception à propos du karma. Ils pensent que quand quelqu’un est renversé par une voiture, c’est le karma de la personne qui a fait que quelqu’un les a renversés avec une voiture. Ce n’est pas ainsi. Ce en quoi le karma mûrit, c’est vous dont je fais l’expérience de vous voir entrer dans la pièce et poser une question. Cela vient de mon karma. En revanche, le fait d’entrer dans la pièce et de poser une question, c’est le résultat de votre karma.
Mais ne sur-exagérons pas le karma comme étant la cause de ce qui arrive. Il s’agit juste d’un des facteurs en jeu. Il y a aussi la cause que quelqu’un a organisé ce cours, que quelqu’un a construit cette maison, que quelqu’un a piloté l’avion qui m’a conduit ici, et aussi que quelqu’un ait inventé l’avion. Il y a de nombreuses, nombreuses causes. Dans l’analyse bouddhique, il y a en vérité vingt différents types de causes qui ont lieu dans ce qui arrive.
Les trois critères d’un label mental valide
Quand un hologramme mental s’élève dans mon esprit, quand je vois une personne ou une situation, comment est-ce que je discrimine si cela correspond à la réalité ?
Quand l’apparence – un hologramme mental – s’élève, comment discriminons-nous le fait qu’elle corresponde ou se réfère à la réalité ? Selon le grand maître indien Chandrakirti, il y a trois critères à satisfaire afin d’établir qu’une cognition est valide.
Premier critère : une convention
Le premier consiste à ce qu’il y ait une convention. Qu’est-ce qu’une convention ? Par exemple, chez les êtres humains, ils existe la convention que quand ils sont heureux ils sourient. Avec les chiens, il y a la convention qu’ils sont heureux quand ils remuent la queue. Les humains ne remuent pas la queue. C’est un exemple ridicule, mais il existe des conventions d’ordre général et des conventions individuelles particulières. C’est pourquoi quand nous avons parlé des façons dont notre activité mentale fonctionne, l’une d’elles consiste à assembler les choses en un schéma et de veiller à ce qu’elles s’organisent de manière équitable en un schéma. Fondamentalement, il y a certains schémas qui sont des conventions.
Il y a des conventions générales. Comme je l’ai dit, il y a le fait de sourire. Cela peut être aussi une grimace quand le visage est ridé si nous sommes préoccupés ou que quelque chose va mal. Il y a donc certaines expressions, y compris de plus générales, et d’autres qui pourraient même être spécifiques de certaines cultures.
En outre, il peut en exister de très spécifiques. Quand quelqu’un est contrarié, nous devons connaître la personne. Avec cette personne, la convention pourrait être qu’elle se met à parler beaucoup. La convention d’une autre personne pourrait être qu’elle ne dit pas un mot ; elle est très calme et se tient en retrait. Cela doit correspondre de façon valide à une convention qui soit appropriée.
C’est très délicat car nous pourrions ranger un certain schéma de comportement de quelqu’un dans la mauvaise convention et l’interpréter incorrectement. Mettons que notre convention de quelqu’un qui nous aime et la manière dont il nous montre son amour est de dire fréquemment : « Je t’aime » et nous tienne dans ses bras et nous prodigue une affection physique. Cependant, cela pourrait ne pas être la convention de l’autre personne, de la façon dont elle exprime et montre son amour. Il se pourrait qu’elle tienne réellement à quelqu’un, etc., mais qu’elle ne soit pas physique. Cependant, du fait qu’elle ne fait pas montre d’affection physique et qu’elle ne dit pas : « Je t’aime » tout le temps, l’apparence, ou l’hologramme, est qu’elle ne nous aime pas. Toutefois, c’est une erreur parce que nous rangeons son comportement dans la mauvaise convention.
Pour utiliser une analogie à laquelle est parvenu un psychologue, nous devons apprendre à accepter d’être payé dans des monnaies différentes. Nous voulons être payés en Lats [la monnaie de la Lettonie], alors qu l’autre personne paie en Euros. Nous devons apprendre à accepter l’autre monnaie et reconnaître son équivalence.
Deuxième critère : Ne pas être contredit par un esprit qui voit validement la vérité conventionnelle
Ensuite, le deuxième critère est que l’apparence ne soit pas contredite par un esprit qui voit validement la vérité conventionnelle. Un exemple de ceci pourrait être le fait que nous pensions avoir entendu quelqu’un dire quelque chose de réellement méchant, peu importe de quoi il s’agit, mais que nous ne l’avons pas entendu correctement. Quand nous demandons à quelqu’un d’autre qui l’a entendu de bien vouloir répéter ce qui a été dit, en vérité il s’agissait de quelque chose de complètement différent. Nous avons entendu de manière incorrecte. Donc, c’était contredit par un esprit ou par quelqu’un qui avait validement entendu ce qui avait été dit. C’est pourquoi il est très important quand quelque chose d’étrange se passe que nous demandions plus d’informations ou que nous demandions à quelqu’un de répéter ce qui s’est dit et confirme que nous n’avons pas entendu de travers, mal compris ou que nous ne regardions pas. Par exemple, nous voulions que notre amie éteigne le four et elle l’a fait alors que nous ne regardions pas. Nous l’accusons alors de ne l’avoir pas éteint parce que nous ne l’avons pas vue le faire.
Troisième critère : Ne pas être contredit par un esprit qui voit validement la vérité la plus profonde
Le troisième critère est de ne pas être contredit par un esprit qui voit validement la vérité la plus profonde. Il y a plusieurs niveaux à cela, mais examinons la chose à un niveau très simple. Supposons que quelqu’un dise quelque chose de mal à notre sujet, ou ne se rende pas à une rencontre ou à un rendez-vous, et alors nous perdons de vue tout ce qui a fait notre relation et notre histoire, et nous en sommes juste bouleversé et concrétisons le fait en disant : « Tu ne m’aimes plus et notre histoire est terminée », etc. Ceci est contredit en voyant la vérité la plus profonde, à savoir qu’il s’agit juste d’un petit incident dans une relation tout entière. Il vaut mieux ne pas exploser et exagérer toute l’affaire.
D’autres questions ?
Les conventions générales
Ma question concerne les conventions générales. Si tout le monde dans un certain groupe change une convention, est-ce que cela signifie que nous pouvons changer la réalité ? Par exemple, nous pouvons traire le dessin d’une vache, et le reste à l’avenant.
En fait, non. Je ne pense pas que cela soit le cas. Simplement parce que tout le monde pense que nous pouvons traire le dessin d’une vache, cela ne veut pas dire que tout le monde le puisse.
Cependant, que serait un changement de convention ? Quand j’étais enfant et que je rencontrais un ami, nous nous serrions peut-être la main, mais, en particulier aux États-Unis, il y avait peu de contact physique. Toute cette génération était élevée selon les coutumes de leurs parents pour la plupart et ne faisait pas montre de beaucoup d’affection physique. Bien entendu, il y avait des exceptions. Leurs parents vivaient à la génération de la dépression économique avant et durant la Seconde Guerre mondiale, et cela les affectait. Puis, ma génération a réagi dans le sens opposé et a changé. Nous décidâmes que nous aimions les démonstrations d’affection physique et, avec le temps, la convention a changé. Quand nous rencontrions un(e) ami(e), nous nous prenions dans les bras.
Ce changement de convention peut être compris de différentes manières. L’étreinte était comprise très différemment quand j’étais enfant, et une poignée de main est comprise très différemment aujourd’hui. Maintenant, quand quelqu’un se contente de nous serrer la main, il y a de grandes chances qu’il s’agisse juste d’une connaissance et non réellement d’un(e) ami(e). À l’époque où les gens se serraient juste la main ou ne faisaient rien, si nous enlacions quelqu’un cela aurait été interprété comme une sorte d’avance sexuelle. Il y a, de tout évidence, de nombreux exemples similaires. Les choses changent tout le temps, n’est-ce pas ?
Exercices pour ajuster les dix facteurs mentaux innés
Il y a des exercices que nous pouvons faire, et le premier nous montre qu’il est possible d’ajuster nos facteurs mentaux. Nous travaillerons avec chacun de ces dix facteurs mentaux, et ce que nous découvrirons est la manière dont différents facteurs mentaux modifieront la force d’autres facteurs mentaux.
L’envie (le fort désir) : exercice
Nous commencerons par les envies. Nous regardons juste tout autour de la pièce, et il se peut que par hasard nous voyions ce chandail que j’ai mis au milieu de notre cercle, mais ce n’est ni si intéressant que ça ni en rapport avec quoi que ce soit. S’il vous plaît, faîtes cela.
Il n’y a aucune raison particulière de regarder le chandail, sauf peut-être la curiosité. « Pourquoi a-t-il mis ce chandail là alors qu’il fait si chaud et que nous transpirons ? » Imaginez malgré tout qu’il fasse très froid dans la pièce. C’est l’hiver, la pièce n’est pas chauffée, et nous avons froid. Dès lors, il y a beaucoup d’intérêt pour ce chandail. Clairement, dû aux circonstances, l’envie surgira de le regarder réellement avec intérêt, n'est-ce pas ? Si nous imaginons que nous avons froid, cela semble plutôt bien. Ce qui peut être confirmé par ceci, par cette envie, c’est que si nous sommes motivés par des considérations bienveillantes, si nous nous préoccupons d’une chose ou d’une personne, nous pouvons alors générer l’envie de savoir comment elles vont. C’est juste comme quand il faisait froid, nous avions l’envie de regarder le chandail. Si nous prenons vraiment soin d’une autre personne quand elle nous appelle au téléphone, nous ne parlerons de nous pendant tout la durée de l’appel. Nous aurons l’envie de lui demander comment elle va et ce qui lui est arrivé.
N'avons-nous pas tous des gens qui nous appellent et qui ne parlent que d’eux-mêmes ? Ils ne demandent jamais comment nous allons ni ne font montre d’aucun intérêt pour nous. Pas très gentil, n’est-ce pas ? Si nous nous soucions d’elle, nous pouvons en vérité générer cette envie de demander à l’autre personne : « Comment allez-vous ? » Nous prenons les autres au sérieux. Ce sont des humains et ils ont des sentiments eux aussi. Quelque chose s’est passé dans leur vie également, nous nous y intéressons donc. Laissons cela nous pénétrer. C’est très intéressant.
Il y a un peu plus d’une semaine, Sa Sainteté le Dalaï-Lama enseignait à Toulouse, en France, et il expliquait la différence de direction et d’écoulement de notre énergie entre ce que nous appelons en sanskrit, shamatha et vipashyana. Shamatha est un état d’esprit calme et stable, auquel on se réfère parfois par l’expression « quiétude mentale ». Vipashyana, ou vipassana en pali, est un état d’esprit exceptionnellement perceptif. Dans ces deux états d’esprit, nous aurions le même objet de focalisation.
Quand nous nous concentrons sur un objet tout en essayant de réaliser vipashyana, l’énergie est en expansion. Elle va au dehors, essayant de voir tous les détails de façon analytique. Par exemple, dans le cas qui nous occupe, nous réfléchissons à l’issue d’une telle envie. Nous avons appris qu’avec une motivation appropriée nous pouvons générer l’envie de demander à quelqu’un comment il va. Nous contemplons tous ces détails, toutes ses différentes facettes, et peut-être d’autres exemples, etc. De la sorte, l’énergie va vers l’extérieur et s’étend. Nous pourrions nous focaliser sur une chose qui est l’envie de demander à quelqu’un comment il va. La façon vipashyana de regarder la chose inclut tous les aspects de la motivation, à savoir qu’il s’agit d’un être humain, qu’il a des sentiments tout comme nous, qu’il se passe des choses dans sa vie, etc. C’est expansif.
Maintenant, avec shamatha, nous nous concentrons sur le même objet, dans le cas présent, l’envie de demander à quelqu’un comment il va. L’énergie se resserre, en se focalisant de plus en plus. Au lieu de sortir, l’énergie rentre. Je décris parfois cela comme « laissons-la nous pénétrer, absorbons-la ». C’est une expérience d’établissement accompagnée d’un « je peux le faire ». L’énergie est orientée vers tous les détails en se concentrant réellement sur cette seule chose. L’objet est le même mais la manière dont l’esprit s’engage envers lui est soit expansive soit rapprochée, sortante ou rentrante.
Je trouve cela vraiment magnifique. Au cours de toutes mes années d’étude et de pratique du Dharma, je n’ai jamais entendu une explication aussi excellente et claire sur la manière dont on fait réellement ces deux types de méditation, et sur ce qui se passe au niveau de notre énergie. C’est d’une très grande aide.
Bien, laissons cela pénétrer en nous. Nous nous focalisons sur le point crucial grâce auquel, avec une motivation appropriée, nous pouvons affecter n’importe quelle envie qui s’élève. Ce sera l’envie de demander à quelqu’un comment il va. Ce qui s’ensuit est de se focaliser sur la décision que nous allons essayer de faire cela. Nous pouvons nous en souvenir quand nous appelons quelqu’un ou que quelqu’un nous appelle. Quand quelqu’un vous appelle et vous demande comment ça va, nous pouvons en dire un peu, mais ne continuons pas pendant un quart d’heure. Au bout d’un moment, nous pourrions dire : « Bon, assez parlé de moi pour le moment. Et vous, comment allez-vous ? » Dès lors, nous en savons un peu à propos de l’autre personne et vice versa. C’est une vraie communication, mutuellement réceptive et sensible. Tandis que nous parlons de nous, moi, moi, moi, alors, dû à notre souci de l’autre – rappelez-vous notre préoccupation bienveillante – l’envie surgira de lui demander : « Comment allez-vous ? »
La distinction : exercice
Avec la distinction, nous pouvons distinguer de nombreuses choses quand nous regardons autour de la pièce. En nous servant à nouveau de l’exemple du chandail, si nous nous y intéressons, nous distinguerions le chandail de l’arrière-plan. Et si nous étions intéressés par la mode, nous pourrions vérifier l’encolure et voir s’il s’agit d’une col en V ou ras-du-cou. Nous voulons distinguer cela, n’est-ce pas ? De plus, si on s’y intéresse, nous pouvons distinguer les manches de la partie principale du chandail.
De même, si on s’y intéresse, nous pourrions choisir de distinguer l’expression sur le visage de quelqu’un. D’habitude, nous n’y faisons même pas attention, mais si nous sommes réellement intéressés de savoir comment va cette personne, alors nous faisons la distinction. Il semblerait qu’elle n’aille pas si bien aujourd’hui, par exemple. Ou bien, à la seule façon dont elle est habillée, il y a quelque chose qui ne va pas de toute évidence. Mais nous devons distinguer cela. Nous pouvons choisir de le faire, et le faire vraiment. Ici tout est interconnecté. Nous distinguons des choses parce que nous les considérons comme importantes.
Une personne ne s’est pas peigné les cheveux, par exemple. Sa convention normale est de se peigner les cheveux, bien qu’un tas de gens de nos jours ne se peignent jamais. De là où je viens en Allemagne, personne ne se peigne les cheveux. Les gens n’y attachent pas trop d’importance. Ici, en revanche, il semble que tout le monde se peigne les cheveux. Nous pourrions accorder trop d’importance à cette observation des cheveux non peignés, et la ranger dans la mauvaise convention. Nous pourrions penser que cette personne est réellement en mauvaise état, aussi ne s’est-elle pas peignée. Cela pourrait aussi se ranger dans la convention qu’elle était très occupée et qu’elle n’a pas eu le temps de se peigner. Clairement, la façon dont nous interprétons ce que nous distinguons est très importante. Ne faites pas une montagne de tous ces détails, mais observez-les, distinguez-les.
L’attention : exercice
Ensuite, le prochain facteur à pratiquer est l’attention. Regardons autour de la pièce et remarquons que certaines choses retiendront notre attention et que nous nous engageons à nous focaliser dessus. D’autres choses ne captent pas notre attention et nous n’en prenons pas note. Certaines personnes accordent une prodigieuse attention à ce que les autres portent comme vêtements. D’autres n’y accordent pas la moindre regard et n’y font jamais attention. De nouveau, que considérons-nous comme important ? Ce dont nous prenons soin affecte ce à quoi nous faisons attention. C’est pourquoi, si nous devions changer ce que nous considérons comme important et pertinent pour nous, alors nous pouvons changer ce à quoi nous faisons attention.
Revenons à notre exemple du chandail. Disons que nous sommes allergiques aux poils de chat et que nous voulons mettre le chandail ; nous examinerions de très près le chandail pour distinguer si oui ou non il n’y a aucun poil de chat sur le chandail. Pourquoi ferions-nous cela ? Nous le ferions parce que nous sommes allergiques aux poils de chat. Il y a l’intérêt, et ce à quoi nous faisons attention, le genre d’attention soutenue que nous prodiguons pour voir s’il y a des poils de chat dessus.
S’il vous plaît, essayez cela et voyez pour vous-même si vous faites attention au chandail juste normalement, puis changez, et faites-y attention parce qu’il y a du poil de chat dessus. C’est une façon complètement différente d’y faire attention, n’est-ce pas ? « Y a-t-il du poil de chat dessus ? Peut-être y en a-t-il de l’autre côté ? » Nous aurions alors l’intention de regarder de l’autre côté. Sans notre préoccupation à propos du poil de chat, nous ne soucierions pas de savoir s’il y a du poil de chat de l’autre côté. Pourquoi diable penserions-nous jamais vouloir regarder l’autre côté de ce chandail ?
De manière similaire, mettons que quelqu’un soit malade, nous ferions attention à sa façon de marcher. Marche-t-il avec stabilité ? Vacille-t-il sur ses pieds ? Nous ferions attention à différentes choses. Cela changerait, et de nouveau nous pouvons changer cela intentionnellement.
Un autre exemple est de faire attention à la quantité et à la vitesse à laquelle nous mangeons. Mettons que nous ayons le problème de manger trop et trop vite. Si nous mangeons trop vite, alors nous ne recevons pas de notre cerveau le signal que nous sommes repus. Nous sommes allés au-delà de ce point avant que le cerveau n’envoie vraiment le message comme quoi nous sommes rassasiés. À quelle fréquence faisons-nous attention à la vitesse à laquelle nous mangeons ? Pour la majorité d’entre nous, ce n'est pas très fréquent.
Certaines fois, c’est vraiment une grande question de sensibilité. N’avez-vous jamais mangé avec quelqu’un qui mange réellement très lentement ? Une personne qui se saisit de la fourchette, joue avec la nourriture, en prend une petite bouchée et commence à parler et repose la fourchette ? Entre chaque bouchée, elle repose toujours la fourchette et nous devenons fous parce que nous voulons partir, tout en pensant : « Finissez-en ! »
Cependant, ce pourrait-être l’inverse. Nous sommes avec quelqu’un qui gobe sa nourriture comme un chien, et nous nous sentons bizarre de prendre plus de temps. De nouveau, nous devons faire attention à notre façon de manger. Quant à l’autre personne, est-elle pressée ? Veut-elle un agréable déjeuner de loisir qui va prendre deux ou trois heures, ou doit-elle retourner travailler ? Après avoir déterminé ce point, alors, si nous ne pouvons réellement pas manger vite, soyons assez sensibles pour dire : « N’attendez pas que j’aie fini. Je mange lentement. » Laisser le choix aux autres, c’est être sensible. Une fois encore, on en revient à l’attitude bienveillante et à calmer notre esprit pour être capables de faire attention à plus qu’à notre seule conversation. Nous prenons soin, nous faisons donc attention. Nous distinguons. Peut-être que l’autre personne consulte sa montre et il est clair d’après son langage corporel qu’elle a réellement besoin de partir déjà. Faites attention à cela. Distinguez-le. Nous pouvons décider de le faire et nous pouvons la faire.
La conscience du contact et le sentiment d’un certain niveau de bonheur ou de malheur
En ce qui concerne la conscience du contact, rappelez-vous qu’il s’agit de faire une différence entre un objet plaisant, déplaisant ou neutre. Ceci est affecté par de nombreuses autres variables, n’est-ce pas ? Quand nous considérons une chose comme quelque chose que nous aimons, il est alors agréable d’entrer en contact avec elle. Nous sentons l’odeur de notre nourriture préférée en train d’être préparée, et alors nous l’aimons. Nous éprouvons donc une conscience du contact plaisante avec cet objet parce que nous avons l’habitude de l’aimer, c’est donc agréable. Quand nous faisons attention à quelque chose dont nous ne nous soucions pas, alors c’est déplaisant.
Mettons que nous sommes végétariens et que nous passons devant la boutique d’un boucher avec tous ces morceaux de viande qui pendent. Du fait que nous ne nous préoccupons pas de viande et avons peut-être des pensées fortes à ce sujet, il est alors très déplaisant de voir cette viande pendue dans la boutique du boucher, n’est-ce pas ?
À nouveau, c’est quelque chose qui peut changer.
Exercice # 1
Pratiquons encore comme nous l’avons fait en regardant le chandail. Regardons consciemment le chandail comme notre vêtement préféré qu’une personne bien-aimée a tricoté pour nous. Quand nous le regardons avec cette attitude, alors, bien sûr, il est très agréable de le voir et nous en sommes heureux. Il nous rappelle la personne aimée qui l’a tricoté pour nous. Même s’il fait chaud et que nous n’avons aucune intention de le porter maintenant, malgré tout il est bon de le voir. « Ah ! c’est ma mère qui l’a tricoté pour moi. » C’est particulièrement vrai si notre mère est décédée, comme dans mon cas. J’ai une écharpe que ma mère m’a tricotée et cela me procure toujours un grand plaisir de la voir et de la porter.
Cela s’intègre très bien avec l’entraînement bouddhique qui consiste à reconnaître tout le monde comme ayant été notre mère. Qu’il s’agisse de notre mère, de notre père ou de notre meilleur(e) ami(e) est sans rapport avec le sujet en vérité. La question est que chaque fois que nous voyons quelqu’un, c’est agréable. « C’est vraiment bien de vous voir. » On remarque cette qualité chez Sa Sainteté le Dalaï-Lama. Peu importe qui il rencontre, c’est un tel plaisir pour lui. Il est si heureux de rencontrer quelqu’un, de voir quelqu’un. Grâce à ce genre d’entraînement, la conscience du contact avec toute personne que nous rencontrons, y compris la mouche qui entre dans notre chambre, est réellement plaisante.
Dans le bouddhisme, il y a tant de façons de s’entraîner comme de voir que nous sommes reliés à tout le monde, que d’une certaine façon tout le monde a été bon avec nous, que tout le monde est égal, que tout le monde veut être heureux, etc. De ce point de vue, chaque fois que nous avons une conscience du contact avec quiconque, c’est plaisant, c’est bien, et alors nous nous sentons heureux. D’habitude, quand une personne nous importune et nous ennuie, plutôt que déprouver un sentiment automatique du genre : « Oh ! pas vous encore », au lieu de cette réaction, cela devient plaisant. Nous pouvons dire honnêtement : « C’est gentil d’avoir appelé, mais pour le moment je suis occupé. Parlons une autre fois. » Même avec quelqu’un qui représente un grand défi, nous pouvons nous réjouir que notre professeur de patience se soit manifesté.
En vérité, c’est très profond. Un changement d’attitude peut véritablement affecter la manière dont nous expérimentons les choses dans la vie. Est-ce agréable, ou pas très agréable ? Est-ce plaisant ou déplaisant ? Nous pouvons vraiment changer cela.
Je vais vous donner un exemple extrême tiré de ma propre expérience. J’avais coutume d’avoir une démangeaison chronique, et le plus drôle c’est que quand je commence à en parler, elle se manifeste à nouveau. Cette terrible démangeaison chronique se situait au niveau de la tête, et personne ne pouvait comprendre ce qui la causait. Dans tous les cas cependant, l’attitude à son égard est très importante, car d’habitude on considère une démangeaison comme une souffrance terrible. Nous devons l’anéantir en la grattant, ce qui, bien entendu, ne fait qu’empirer la démangeaison dans le cas d’une démangeaison chronique. Toutefois, quand j’en étais capable, ce qui n’était pas toujours le cas, si je considérais la chose comme du plaisir, cela m’aidait. En fait, c’est parce qu’en réalité il ne s’agit pas de douleur, mais de plaisir très intense. Comme c’est trop, nous devons y mettre fin et le détruire. Cependant, quand je me détendais suffisamment et trouvais le moyen de considérer la chose comme une sensation agréable, je pouvais alors la gérer. Clairement, il s’agit d’un changement d’attitude, lequel affecte grandement la manière dont nous expérimentons les choses.
Il y a tant de facteurs que nous pouvons changer. C’en est presque stupéfiant. À mesure que nous vieillissons, nous avons des courbatures et des douleurs. Nos articulations nous font mal, notre dos également, et le reste à l’avenant. Une fois encore, si nous y faisons attention en en faisant une chose réellement horrible, nous sommes misérables. La chose à laquelle nous devons nous entraîner est de noter que quand nos hanches nous font mal, par exemple, nous pouvons penser : « Et alors ? » Nous n’avons pas à y faire trop attention. Nous pouvons nous focaliser sur quelque chose d’autre dans notre expérience qui se produit en même temps que la douleur dans la hanche, et cela peut être agréable, et nous pouvons en profiter, même si nos hanches nous font mal. C’est ce qu’on appelle « apprendre à vivre avec ». C’est une leçon très importante à apprendre, car nombreux parmi nous seront ceux qui auront des rhumatismes et des douleurs à différents moments de leur vie. Notre vieil ami dans le fond de la pièce est d’accord. C’est ainsi qu’on gère la chose.
Exercice # 2
Revenons à notre exemple du chandail. Focalisons-nous maintenant sur le chandail en tant que nuisance. C’est une nuisance car il laisse du duvet de laine sur notre chemise quand nous le portons. Quand on considère ainsi la chose, le fait que nous n’aimons pas vraiment porter ce chandail parce qu’il laisse toujours du duvet sur notre chemise, alors sa vue est déplaisante. Disons que nous avons plusieurs chandails dans notre tiroir, et que celui-là nous évitons de le porter. La manière dont nous considérons les choses fait une grande différence.
Je pense à d’autres exemples. Nous avons pris du poids au cours des années, et les habits préférés que nous avions, que ce soit une chemise ou une veste qui nous allait bien, voilà qu’elles ne nous vont plus. La manière dont nous faisons l’expérience de les voir est très différente, n’est-ce pas ? C’est la raison pour laquelle, ici, tout est une variable.
À nouveau, cette conscience du contact peut changer, dans la mesure où il s’agit d’une chose variable. Elle peut être très agréable. Par exemple, nous sommes heureux de voir quelqu’un mais nous distinguons également qu’il est perturbé, et ce n’est pas très plaisant de le voir ainsi. Nous ne sommes pas très heureux de le voir bouleversé. Dans ce cas, nous avons des sentiments mélangés. De quoi sommes-nous heureux ? De quoi sommes-nous malheureux ? Dans cet interaction, du fait que nous sommes vraiment heureux de voir notre ami et qu’il est agréable de le voir, et malgré le fait qu’il ne soit pas plaisant qu’il soit bouleversé et que nous ne soyons pas très heureux à ce propos, nous ne laissons pas ce sentiment dominer le fait qu’il est agréable de le voir. Si nous devions nous focaliser trop puissamment sur le déplaisir de voir notre ami bouleversé et que nous y accordions trop d’importance, cela peut alors se détériorer en la volonté de ne pas l’entendre parler de ses problèmes. Le sentiment est que nous avons assez de nos propres problèmes, et qu’alors sa compagnie n’est plus agréable. De toute évidence, la priorité et l’importance que nous donnons à ces choses sont vraiment cruciales de telle sorte que nous puissions rester sensibles à cette personne. En conséquence, nous écoutons ses problèmes, et nous essayons de gérer le fait qu’il soit perturbé, et il est agréable d’être en mesure d’aider cette personne parce qu’il est agréable d’être avec elle.
Pensez-y en partant de votre propre expérience. Sommes-nous capables de maintenir une sorte d’équilibre ? Nous sommes avec quelqu’un et nous aimons réellement cette personne. C’est bon d’être avec elle, mais elle est réellement perturbée. Elle a un problème, et ce n’est pas très plaisant. Laissons-nous l’aversion et la tristesse de son problème prendre le dessus, et, désormais, c’est ennuyeux et déplaisant de se trouver avec elle ? En un sens, émotionnellement sinon vraiment physiquement, nous la rejetons. Pensez-y un moment en partant de votre propre expérience. Ce n’est pas si facile à équilibrer, n’est-ce pas ?
Nous sommes ennuyés par cette personne quand nous sommes agacés par l’humeur dans laquelle elle se trouve. Ce sont deux choses assez différentes, n’est-ce pas, que la personne et son humeur ? Quand il s’agit de notre propre enfant, alors cela devient encore plus intéressant. Si nous prenons réellement soin de quelqu’un, il est bon d’être avec lui. Peu importe ce que nous faisons. Peu importe l’humeur dans laquelle nous sommes ou le problème que l’un ou l’autre pourrait avoir, il est toujours bon d’être ensemble. Si nous pouvons distinguer cela, alors cela nous permet d’être avec quelqu’un indépendamment de ce qui se passe. Alors, nous pouvons avoir un genre d’amitié réellement ferme et stable.
Intérêt, pleine conscience et concentration
Quand nous regardons autour de la pièce, naturellement il y a des choses qui nous intéressent plus que d’autres. Quand nous voyons quelque chose d’intéressant, notre attention s’y porte sans effort, la pleine conscience s’y accroche et grâce à la concentration cette attention demeure rivée sur l’objet parce qu’il est intéressant. Rappelez-vous, nous trouvons de l’intérêt à une chose quand on se focalise sur de bonnes qualités. Les bonnes qualités pourraient être que c’est divertissant, drôle ou instructif. Par exemple, il est plaisant d’être avec une personne, il s’agit donc d’une bonne qualité. Une bonne qualité peut être aussi que nous pourrions aider quelqu’un. Dès lors, il y a un intérêt plus grand dans la manière dont nous pouvons venir en aide.
Ce facteur de l’intérêt veut dire que plutôt que de toujours rechercher les mauvaises qualités et de se focaliser sur ce que nous n’aimons pas, nous recherchons les bonnes qualités dignes d’admiration. C’est très important. Cela ne signifie pas que nous dénions le fait qu’il n’y ait pas de mauvaises qualités ou des faiblesses chez quelqu’un. Cependant, se focaliser juste sur elles et critiquer toujours, et le reste à l’avenant, engendre une expérience très déplaisante, n’est-ce pas ? Quand nous critiquons et nous plaignons, nous ne sommes pas heureux. Mais quand on se focalise sur des qualités positives, des bonnes qualités, alors c’est très plaisant. Il est agréable d’être avec la personne. Ça ne l’est pas quand on se contente de critiquer. Est-ce que cela a du sens ?
Qu’en est-il de quelqu’un qui aime se plaindre tout le temps ? Je suis sûr que nous connaissons tous des gens dont le seul mode de communication est de se plaindre du temps qu’il fait, de leur maison, de leurs amis, d’eux-mêmes, des autres, de tout. Sont-ils heureux ? Non, ils ne sont pas heureux de se plaindre. Pourquoi se plaignent-ils ? Est-ce qu’ils aiment se plaindre ?
Ils aiment cela.
Vraiment ? Qu’aiment-ils ?
Ils veulent attirer l’attention, je pense.
Ils aiment l’attention qu’ils obtiennent en se plaignant mais la véritable activité de se plaindre est une expression d’insatisfaction. Si nous pouvions comprendre cela, alors quand nous nous trouvons avec quelqu’un qui se plaint tout le temps, c’est un peu plus tolérable car nous pourrions comprendre que fondamentalement ces gens sont très seuls d’ordinaire et qu’ils veulent de l’attention. En gardant cela à l’esprit, nous pourrions d’une certaine façon détourner la conversation de leur plainte. Que faisons-nous ici ? Nous modifions ce que nous distinguons. Au lieu de distinguer tous les mots de leur plainte, plutôt déplaisants à écouter, nous distinguons leur solitude et leur besoin d’attention. Nous nous occupons de cet aspect plutôt que de nous occuper de leur plaintes. De nouveau, toutefois, l’équilibre est très important.
Je pense à l’exemple d’une personne très âgée et seule. Nous allons la voir ou l’appelons, et ce ne sont que plaintes, mais en réalité c’est une expression de la solitude. Pour le moment, nous devons lui laisser le temps de se plaindre un peu. Nous ne disons pas seulement : « Taisez-vous ! » ou l’interrompons après la première phrase en disant : « Allons faire une promenade », ou autre chose, en dominant complètement la direction de l’échange. Nous devons être sensibles à son besoin de se plaindre. De nouveau, que changeons-nous à ce stade ? Tel est le point important de tout ce week-end, le fait que nous puissions modifier ce qui nous intéresse.
Je me souviens d’une amie qui se plaignait tout le temps, et quand j’étais avec elle, elle se plaignait du fait qu’elle ne pouvait pas trouver le bon tissu pour faire de nouveaux rideaux à sa fenêtre. Je n’avais aucun intérêt d’aucune sorte pour ses rideaux, il n’y avait donc aucun moyen pour que je sois intéressé par quel tissu elle serait capable d’obtenir, ou quelle boutique vendait ce tissu ni quelle boutique ne l’avait pas. Nous avons donc aborder ce point au cours de l’entretien. Nous pouvons donc modifier l’interaction avec cette personne en faisant d’une rencontre réellement torturante quelque chose d’un petit peu plus productif et de pas aussi négatif.
Exercice
Une fois encore, travaillons avec notre ami, le chandail. Cette fois, nous imaginons que le chandail devient le dernier chandail à la mode. Nous regardons le chandail, et alors nous sommes réellement intéressés par lui parce qu’il est vraiment élégant et que nous voulons être dans le vent. Si nous nous y intéressions réellement, notre pleine conscience resterait fixé sur lui, s’y accrocherait et notre concentration y demeurerait, car nous sommes réellement intéressés par lui. Grâce à un changement de notre attitude, cela devient beaucoup plus facile de vraiment nous focaliser et nous concentrer sur une chose. Nous devons la trouver intéressante, ce qui signifie lui trouver une sorte de bonne qualité. Avec la mode, la commercialisation veut que nous l’achetions et le portions, et ainsi d’être à la mode. La propagande est qu’alors tout le monde nous aimera.
La discrimination
Travaillons un peu sur la discrimination, en particulier lorsqu’elle accompagne la cognition conceptuelle. Dans ce cas, la conscience discriminante ajoute de la certitude à la catégorie que nous distinguons comme étant la catégorie appropriée dans laquelle ranger ce que nous discriminons grâce à la perception sensorielle. Quand nous regardons autour de la pièce, nous discriminons automatiquement diverses choses selon ce que nous considérons comme important. C’est ainsi que nous les observons. Pour certains d’entre nous, il pourrait être très important que tout soit net et arrangé correctement. Nous discriminons donc que le thangka, la peinture sur toile roulée, est de travers sur le mur, et alors, bien sûr, une intention surgirait de vouloir la redresser pour qu’elle soit parfaitement verticale. D’autres ne le remarquent pas, et ne le verraient même pas. Ils ne le distingueraient même pas, encore moins le fait qu’elle soit de travers.
Que discriminons-nous tandis que nous regardons autour de la pièce ? Nous pourrions discriminer si les fleurs sont fraîches ou fanées, par exemple. Si c’est important pour nous, nous pourrions discriminer combien de personnes il y a dans la pièce. Si ce n’est pas important, jamais nous ne songerions à compter combien de gens sont présents dans la pièce. Combien y a-t-il d’hommes, combien y a-t-il de femmes ? Est-ce réellement important pour nous ? Si tel était le cas, si nous procédions à un recensement, alors non seulement nous les distinguerions, mais les discriminerions également, et en ferions le décompte spécifique.
Qu’est-ce que chacun de nous discrimine ? Cela montre réellement ce que nous trouvons important. C’est très intéressant. Cela révèle ce qui nous chagrine. Si nous regardons la vaisselle après un repas, est-ce que cela nous ennuie ou non si on la lave immédiatement ou si on la laisse jusqu’au lendemain matin ? Dans la chambre des enfants, est-ce que cela nous ennuie que les jouets soient éparpillés partout sur le sol ou non ? Que discriminons-nous ?
Exercice
Travaillons une fois de plus avec le chandail, imaginons que nous voulons l’acheter. Maintenant, du fait que nous voulons l’acheter, nous voudrions alors discriminer et vérifier si c’est la bonne taille. Avant de le vouloir, nous n’aurions peut-être même pas prêter beaucoup d’attention à sa grandeur, mais maintenant nous voulons discriminer s’il nous ira ou non. De plus, nous discriminons : « Quel est prix sur l’étiquette ? » Quelquefois, nous nous contentons de marcher dans la boutique et de regarder les articles parce que c’est amusant, mais maintenant nous voulons réellement l’acheter, et nous devons vérifier le prix sur l’étiquette, nous discriminons donc. Nous pourrions discriminer en regardant si cela nous ira. Il est intéressant de constater combien essentiellement nous n’avons pas besoin de verbaliser pour discriminer. Nous ne verbalisons pas : « Est-ce trop grand ou trop petit ? » Soit nous savons juste que cela nous ira, soit, quand nous ne savons pas, cela nous amène au facteur mental suivant, l’intention. « Je vais l’essayer et voir si cela va. »
Nous devons reconnaître que tout ce dont nous parlons est ce qui est impliqué dans notre vie ordinaire de tous les jours. Il ne se passe rien d’exotique. Cependant, parce que nous pouvons changer la manière dont nous interagissons avec ce chandail – dans le cas présent, nous discriminons quelque chose à son propos – cela confirme que si nous sommes pareillement motivés, nous pouvons décider de regarder l’expression de quelqu’un avec discrimination. Nous voulons déterminer : est-ce que cette personne est de bonne ou de mauvaise humeur ? Est-elle occupée ou non ? Est-ce le moment approprié pour lui parler de tel ou tel sujet, ou est-ce inapproprié ?
Il est très important d’être en mesure de discriminer le moment correct pour discuter d’une chose avec quelqu’un. Disons que nous avons un problème dans notre relation amoureuse ou un problème personnel. Nous n’en parlons pas juste à n’importe quel moment, car peut-être que l’autre personne est fatiguée, occupée, de mauvaise humeur, ou qu’il y a quelque chose qui rendrait la discussion improductive. Nous devons réellement discriminer. « De quoi a-t-elle l’air ? Quelle tête fait-elle ? Est-elle fatiguée ? » Essayez de décider. C’est une affaire de sensibilité, d’être sensible au bon moment pour discuter d’une chose avec quelqu’un.
Avec toutes ces analyses sophistiquées, ces listes, toute cette matière que nous trouvons dans les enseignements bouddhiques, on parle en fait de choses très pratiques dont nous pouvons nous servir dans les situations de tous les jours. C’est juste une question de savoir comment les appliquer. Si nous sommes bouddhistes, et que nous avons orienté notre vie dans cette direction, le Bouddha, le Dharma, le Sangha, qu’est-ce que cela signifie ? Cela veut dire que nous acceptons tout ce que le Bouddha a enseigné pour le bien de tous les êtres. Si telle est notre hypothèse, alors si les bienfaits d’un enseignement ne s’avèrent pas si évidents, nous essayons de procéder à des investigations et de les comprendre. Il doit y avoir une certaine application pratique, sinon, pourquoi le Bouddha se serait-il contenter de donner juste une liste ? Il n’y a aucune raison. Souvent, ce que pourrait être le bénéfice n’est pas très évident. Nous devons examiner la chose de plus en plus profondément, discuter avec les autres, tirer parti de l’expérience d’autrui, etc.
L’intention
Bien, investiguons le dernier facteur mental dans notre liste, l’intention. Fondée sur ce que nous discriminons, sur l’intérêt, etc., alors l’intention se manifeste automatiquement. Nous discriminons que la pièce est chaude, et l’intention est donc d’ouvrir la fenêtre. Ou bien nous discriminons que les fleurs sont fanées, l’intention est donc d’en acheter de nouvelles.
Exercice
Avec notre ami le chandail, nous discriminons qu’il nous va et que nous pouvons nous le payer, l’intention est donc de l’acheter. Nous regardons maintenant le chandail avec l’intention de l’acheter. Il s’agit juste d’un facteur mental, n’est-ce pas ?
De la même façon, quand nous interagissons avec quelqu’un, nous sommes intéressés de savoir comment il va, nous lui accordons une plus grande attention. Nous distinguons l’expression de son visage, à partir de cela et du ton de sa voix nous discriminons s’il est contrarié, et alors notre intention est de lui parler gentiment pour essayer de l’aider, de lui demander peut-être : « Qu’est-ce qui vous tracasse ? », etc. Cette intention s’élève, et alors l’envie nous pousse à nous engager de telle ou telle façon avec la personne.
Il se peut qu’elle ne dise rien. C’est très intéressant. Cela pourrait même se produire au téléphone. Elle ne dit pas réellement que quelque chose la tracasse, mais à cause de notre intérêt et du fait que nous distinguons et discriminons que quelque chose ne rentre pas dans la convention comme quoi tout va bien, mais se range dans la convention comme quoi quelque chose la tracasse, alors, même si ce n’est pas le sujet de la conversation, nous demandons : « Quelque chose ne va pas ? Vous semblez préoccupée par quelque chose. » Nous pouvons le déduire du ton de la voix ou de la façon dont elle s’exprime. En posant la question, nous confirmons que ceci est vrai ou ne l’est pas. Peut-être que nous sommes dans l’erreur et qu’il s’agissait d’une apparence trompeuse. Il se peut qu’elle dise : « Non, en vérité, je ne suis pas contrariée ; je suis juste réellement fatiguée. » Toutefois, nous avons obtenu de plus amples informations, et la conversation peut continuer en tenant compte de cette influence. Nous pouvons tout simplement suggérer de parler une autre fois, ou tout autre solution.
Bref résumé
En bref, si nous sommes conscients de tous ces facteurs mentaux et des composantes qui fabriquent chaque moment de notre expérience, et réalisons qu’ils peuvent tous être ajustés, sans ce sentiment dualiste d’un « moi » assis dans la tête devant un tableau de bord, alors, comme je l’ai dit, nous nous contentons juste de faire les choses. Générez simplement plus d’intérêt pour le chandail ou pour ce que l’autre personne dit en se focalisant sur un autre aspect de ce qui se passe. Plutôt que sur la complainte ennuyeuse, comme nous l’avons mentionné, focalisons-nous sur un autre aspect, le fait qu’elle se sente seule. Nous le faisons tout simplement.
En outre, le mieux est, bien sûr, d’être capables de le faire sans émettre de commentaires verbaux dans notre tête du genre : « Oh ! Cette personne est réellement bouleversée. Je ferais mieux de parler plus gentiment. » Nous n’avons pas à commenter de la sorte. Faites-le tout simplement. Alors c’est plus spontané et naturel. Cela coule plus facilement. La raison en est que dès que nous commençons à commenter : « Oh ! Elle est bouleversée. Je ferai mieux de parler plus gentiment », alors ce grand « moi » commence à surgir, et peut-être qu’alors nous nous soucions de savoir si elle nous aimera ou non si nous disons cela, ou que peut-être nous commettrons une faute, etc. Cela ajoute du stress à la situation. Les choses se passent alors moins en douceur.
Préparation à la session suivante
Cela nous amène à la fin de notre session. Dans la prochaine session, j’aimerais introduire deux exercices. Pour l’un, j’installerai des photos tirées de magazines que je découperai, et nous pourrons pratiquer l’ajustement de nos facteurs mentaux tout en regardant ces gens. Pour l’autre, nous pourrons utiliser un miroir si vous en avez un, et nous ferons cela en nous regardant nous-mêmes, en regardant l’expression de notre visage, etc.
Sans le miroir, il y a un autre exercice où nous essayons juste de remarquer comment nous nous sentons, ce qui se passe au niveau de nos sentiments, de notre humeur, etc. C’est un petit peu plus difficile que de regarder dans le miroir car c’est plus subtil, mais si nous n’avons pas de miroir, on peut le faire ainsi. En fait, cette méthode est beaucoup plus pertinente en vérité, car nous ne nous regardons pas souvent dans un miroir. Parfois, c’est utile pour être capables de simplement vérifier comment nous allons. Souvent nous ne remarquons pas ou ne faisons pas vraiment attention au fait que nous sommes fatigués ou réellement stressés, or il est important d’en être conscients, de le distinguer, et de prendre les mesures pour y faire face avant que cela ne devienne réellement critique. Toutefois, on le fait de façon équilibrée, sans être hypocondriaque. Il ne s’agit pas de prendre notre pouls ou de mesurer notre pression sanguine toutes les dix minutes. Ce n’est pas comme ça.
Pour l’instant, nous terminons par une dédicace. Nous pensons que quelles que soient la compréhension et l’énergie positive issues de cette discussion, puissent-elles s’approfondir de plus en plus et agir comme cause pour développer une sensibilité équilibrée, et finalement atteindre la libération et l’illumination pour le bien de tous.