Les dix facteurs mentaux qui accompagnent chaque moment d’expérience

Avoir un esprit apaisé et une attitude bienveillante

Dans le développement d’une sensibilité équilibrée, il y a de nombreux paramètres différents impliqués dans le fait d’être soit insensible, soit trop sensible vis-à-vis de nous-mêmes ou d’autrui. Cela concerne la manière avec laquelle nous sommes attentifs aux situations, à notre façon d’y répondre et aux effets de notre propre comportement.

Que ce soit en termes d’attention ou de réponse, en ce qui concerne les deux nous devons voir un esprit apaisé et une attitude bienveillante. Nous devons être en mesure de prêter attention, et, par conséquent, nous devons apaiser notre esprit de toutes sortes de distraction, de commentaires, de jugements, d’idées reçues, et d’émotions inappropriées comme la peur et la nervosité. Tout cela doit être calmé afin de prêter attention et de répondre de manière égale et appropriée par nos actes et notre ressenti émotionnel. De toute évidence, quand nous pensons à autre chose ou que nous sommes réellement nerveux ou effrayés, il est alors très difficile d’être attentif et, de ce fait, très dur de répondre sous une forme adéquate et équilibrée.

Il en va de même à propos l’attitude bienveillante. Une attitude bienveillante veut dire respecter l’autre, en comprenant qu’il s’agit d’un être humain avec des sentiments tout comme nous. Il est affecté par ce que nous faisons. Ses sentiments sont blessés, tout comme les nôtres, etc. Clairement, si nous ne prenons pas soin de l’autre personne ou de sa situation ou de la manière dont elle se sent, et le reste à l’avenant, nous ne lui prêterons certainement pas attention, et même si nous la remarquons, nous ne prenons pas la peine de répondre. 

Cet esprit en paix et cette sollicitude sont les deux ailes servant à l’entraînement complet d’une sensibilité équilibrée.

Prendre de la distance par rapport au contenu de notre activité mentale

D’une certaine manière, nous devons nous désengager de nous-mêmes et, en un sens, prendre du recul par rapport au contenu de notre expérience et de notre activité mentale afin d’être en mesure de développer une sensibilité équilibrée. Ceci doit être compris de manière correcte, car cela peut donner lieu à un peu de confusion. 

Il n’est pas très facile de venir en aide à quelqu’un si nous sommes toujours en colère après lui, en nous accrochant toujours à lui, réclamant sans cesse des choses, et en étant égoïste, etc. C’est la raison pour laquelle nous devons garder une légère distance par rapport à ce niveau et nous calmer à un niveau plus profond. À ce niveau-là, nous pouvons avoir accès aux éléments fondamentaux que nous possédons tous pour répondre et être attentifs d’une manière équilibrée. Cela signifie que nous devons prêter attention à l’activité mentale fondamentale en jeu plutôt qu’au contenu de cette activité.

Au niveau le plus fondamental, cette activité mentale est la manifestation d’un hologramme mental de quelque chose que nous voyons, comme lors d’une perception visuelle, ou d’un son, d’une odeur, voire d’une émotion. Il y a un hologramme mental ainsi qu’un engagement mental à son égard. En fait, il s’agit de la même activité, décrite simplement de deux façons. Il ne s’agit pas, par exemple, qu’une pensée s’élève et que nous la pensions. Le surgissement d’une pensée et le fait de la penser sont la même chose. Il n’y a pas de « moi » séparé qui observe, contrôle, ou fait que la chose se produise. Il n’y a pas un petit esprit pareil à une machine avec ce « moi » pianotant sur le clavier et faisant se manifester les pensées ou faisant advenir la vision. Cela arrive tout simplement.

Bien entendu, nous sommes la personne qui pensons et voyons. Ce n’est pas quelqu’un d’autre, et ce n’est pas comme s’il n’y avait personne du tout. Toutefois, même quand nous pensons : « Que devrais-je faire maintenant ? » ou : « Qu’est-ce que les gens pensent de moi ? », tout ce qui se passe est une pensée qui surgit avec comme contenu le son mental de ces mots. Il n’y a pas de petit « moi » assis dans notre tête dans une espèce de chambre, lequel est en train maintenant de penser ça en appuyant sur des boutons et voilà que la pensée se manifeste. Néanmoins, quand nous pensons à nous sous la forme de ce petit être, tel un extraterrestre assis dans notre tête, alors, bien sûr, cela devient un objet d’intense préoccupation et d’insécurité. Qu’est-ce que les gens vont penser de ce petit « moi » ? Comment faisons-nous pour que ce « moi » soit en sécurité et fasse que les gens « m’» aime ?

Nous nous soucions de quelque chose qui est réellement presque une fiction. La science, bien entendu, serait d’accord avec ça. On ne peut pas trouver une espèce de petit « moi » assis quelque part dans notre tête ou, si nous le voyons à la manière tibétaine, localisé dans notre cœur. Il n’y a personne assis là-derrière et qui regarde à travers nos yeux. Néanmoins, quand nous pensons : « Qu’est-ce que les gens pensent de moi ? », ce n’est pas quelqu’un d’autre qui le pense. Conventionnellement, bien sûr, nous faisons cela. Nous sommes responsables de ce que nous pensons, faisons, et disons. 

Comment communiquer avec les autres de manière sensible

Bien entendu, quand ces hologrammes mentaux se manifestent, nous devons également vérifier si leur apparence est trompeuse ou exacte afin d’être capables d’y répondre de façon appropriée. Pour ce faire, nous pouvons travailler avec certaines des caractéristiques de base de cette activité mentale. Toutefois, en travaillant avec elles, une fois encore, il est très important de ne pas concevoir un petit « moi » assis dans notre tête face à toutes les composantes de notre activité mentale et actionnant des manettes et des boutons. Il ne s’agit pas d’un « moi » dualiste séparé qui désormais joue le rôle de contrôleur et ajuste les choses en fonction de ce qui arrive.

Si nous devions tomber dans ce genre de fonctionnement très dualiste avec ce type de matériel, nous deviendrions ce qu’on appelle un monstre de contrôle, et cela deviendrait vraiment très artificiel. Ce n’est en aucune façon naturel. S’il vous plaît, n’en faites pas un usage comme avec un réseau social ou un téléphone portable, etc. Ce n’est pas comme s’il y avait un « moi » ici, et que nous allions communiquer, en appuyant sur ces boutons et ce clavier, avec un « vous » apparaissant sur un écran ou sous forme de nom. Cela ne se passe pas ainsi. Nous avons besoin d’un contact d’humain à humain si nous voulons être vraiment sensibles aux autres et ne pas avoir cette distance que l’illusion d’un moi derrière une console d’ordinateur nous procure. En vérité, c’est quelque chose de très important à réaliser.

Beaucoup de gens se donnent à fond dans tout ce phénomène de la communication virtuelle avec les autres par le biais de Facebook, de courriels, de textos, peu importe. Il est très intéressant de réellement s’examiner : comment communiquons-nous avec les autres ? Comment notre concept de communication et de sensibilité aux autres est altéré en particulier dans le cas où nous pouvons éteindre nos appareils quand nous ne sommes pas d’humeur à communiquer ? Sommes-nous réellement sensibles et réceptifs à quelqu’un quand il s’agit juste de quelles petits mots abrégés dans un message SMS ?

Il pourrait s’avérer plutôt utile de prendre une minute ou deux et de nous observer. Il se peut que certains parmi nous ne soient pas du tout dans ce mode de communication, mais il y en a tellement qui le sont. Quelle est notre attitude ? Quelle est notre expérience de cette façon de communiquer ? Est-ce réellement devenu notre conception de la communication et de la façon de traiter avec les autres ?  À cause de l’influence due à l’utilisation de ce genre de média, est-ce que cela a modifié notre manière de communiquer quand nous sommes avec quelqu’un en chair et en os ? 

Par ailleurs, prêtons-nous une attention de qualité à quelqu’un quand nous sommes toujours préoccupés par ce qui arrive sur notre page Facebook ou dans notre messagerie ? Quelle est la profondeur et le sens de notre réponse quand elle se limite au nombre de « pouces en l’air » et de « likes » ? Est-ce que tout ce que nous voulons dans notre communication avec les autres, c’est de récolter un certain nombre de « likes » et d’en avoir plus sur notre page que quelqu’un d’autre ?

Prenons un moment pour réfléchir à notre propre situation personnelle. Il se pourrait qu’une instruction particulière soit d’examiner combien de fois par jour nous consultons nos courriels ou notre page Facebook . À quelle fréquence vérifions-nous nos textos, et à quelle vitesse y répondons-nous, indépendamment de la personne avec qui nous nous trouvons et de ce que nous faisons ? Est-ce que nous nous préoccupons le moins du monde d’interrompre ce que fait l’autre personne quand nous envoyons un message ? Nous en soucions-nous ? Est-ce qu’une telle pensée effleure-t-elle même notre esprit ? Regarder un écran d’ordinateur, ou tout autre appareil de ce genre, c’est comme de regarder dans un miroir. Fondamentalement, c’est nous voir nous-mêmes, et nous paraissons devenir si importants que nous pouvons interrompre n’importe qui avec n’importe quelle chose que nous voulons dire.

Prenez un moment, s’il vous plaît, pour y réfléchir.

Je pense que la conclusion à laquelle nous pouvons arriver est qu’une vraie communication d’humain à humain requiert une franchise, une véritable implication et un sorte de serment à s’engager avec une autre personne. Ce n’est pas comme si nous avions cette barrière de protection de nous dire que si nous ne ressentons pas l’envie d’avoir affaire avec cette personne, alors nous nous contentons d’éteindre notre machine.

Les cinq premiers facteurs mentaux

Quand on traite de cette activité mentale, considérant notre expérience en termes d’activité mentale moment après moment après moment, alors si on analyse, nous découvrons que dans chaque moment d’expérience de nombreuses composantes sont impliquées. Ces composantes sont ce qu’on appelle les facteurs mentaux. Selon l’analyse bouddhique, dix d’entre eux fonctionnent tout le temps. Quand on peut apprendre à les identifier et à les reconnaître dans notre expérience de chaque instant dans nos rapports avec les autres ou simplement avec nous-même, on peut également noter si chacun d’entre eux est en équilibre. Fonctionnent-ils en harmonie les uns avec les autres, ou y a-t-il un déséquilibre qui nécessite d’être corrigé ?

De nouveau, je n’insisterai jamais assez sur le fait que nous ne le faisons pas en tant que « moi » séparé qui observe et émet un jugement comme un professeur ou un policier ou une policière en demandant : « Vous devez faire ceci, et puis cela », et ensuite nous faisons les changements. Nous les faisons tout simplement.

Prenons un exemple simple pour servir de démonstration : s’il vous plaît, tournez votre tête vers un mur. Maintenant, comment exactement avons-nous fait cela ? Y avait-il le sentiment d’un « moi » séparé qui en a décidé et qui ensuite a tiré les ficelles comme une marionnette et fait tourner notre tête ? Je doute que ce soit la manière dont nous en avons fait l’expérience. Nous l’avons juste fait, nous avons tourné nos têtes.

Mettons que nous ne faisons pas réellement attention à ce que cette personne est en train de dire, et nous avons des pensées du genre : « Oh, je veux réellement m’en aller d’ici, j’aimerais qu’elle s’arrête de parler. » Comment change-t-on cela ? Nous arrêtons tout simplement. Nous faisons simplement plus attention. Ce n’est pas comme s’il y avait un « moi » qui devait tourner le cadran de la machine « attention », ni comme s’il y avait un « moi » qui était le contrôleur et un autre « moi » qui devait être contrôlé et qu’un troisième « moi » fasse plus attention. Cela ne se passe pas comme ça. Nous le faisons tout simplement.

Est-ce que cela fait sens ? Pouvez-vous vous relier à cela ? Cela paraît très simple, mais en vérité ce n’est pas si facile, en particulier quand nous nous sentons soucieux. « Que devrais-je faire ? Est-ce que je le ferai correctement ? Je ne veux pas commettre de faute. » Dès lors, on a l’impression qu’il y a un « moi » qui doit manipuler et contrôler, n’est-ce pas ? Quand nous expérimentons les choses de cette façon, en passant par toute sorte de préoccupations, alors il ne s’agit pas d’un état d’esprit très heureux, n’est-ce pas ? Il s’agit d’un état d’esprit très déplaisant.

Cela ne veut pas dire que nous ne faisons pas attention. Bien sûr, nous faisons attention ! Mais nous n’avons pas à faire l’expérience d’être attentif de cette façon dualiste et contrôleuse. Nous le faisons tout simplement. Tels sont l’art et la manière grâce auxquels nous travaillons avec ces facteurs mentaux. Nous faisons les choses tout simplement. Nous sommes plus attentifs et montrons plus d’intérêt pour l’autre personne. Nous le faisons tout simplement, sans ce commentaire sous-jacent sur l’ennui de ce qu’elle peut dire. Même si c’est ennuyeux, cela ne fait rien. Si cette autre personne considère cela comme suffisamment important pour qu’elle le dise, alors nous y portons intérêt.

Passons maintenant en revue ces dix facteurs mentaux. Il ne s’agit pas de leur ordre traditionnel mais d’un ordre légèrement modifié utile à la pratique de cet entraînement.

Les envies

En premier, il y a l’envie (sems-pa). Une envie est le facteur mental qui, alors qu’il se focalise sur un objet, pousse notre conscience et ses facteurs attenants à s’engager dans une action envers ou avec cet objet le moment suivant. On peut le décrire comme une sorte d’aimant ou de locomotive. Nous avons une envie irrépressible de nous gratter la tête. Nous avons un puissant désir de regarder dans cette direction. Nous avons un besoin urgent de bouger et de changer de position sur notre chaise. Tel un aimant, il nous pousse à faire quelque chose dans le moment qui suit. On peut le constater clairement quand on interagit avec quelqu’un. Il se pourrait que nous ayons juste envie de partir en courant et de lui dire de se taire, ou tout autre chose. Cependant, nous pouvons contrôler cette envie, ou nous pouvons l’orienter vers l’envie de rester tranquille et d’écouter patiemment ce qu’il dit. Dans certains systèmes bouddhiques, on identifie cette envie avec le karma.

La distinction

Ensuite, vient le fait de distinguer (’du-shes). Ce facteur est impliqué dans la manière dont nous traitons un champ sensoriel. Par exemple, nous avons un champ sensoriel pour la vue ou l’ouïe, et nous devons être capables de distinguer certaines caractéristiques dans ce champ sensoriel. Si nous devions penser au champ sensoriel visuel comme à une énorme masse de pixels colorés ou, à une échelle plus grande, à des formes colorées, nous devons alors être en mesure de distinguer un trait caractéristique afin d’assembler ces pixels et ces formes colorées en une sorte d’article ; sinon, nous ne pouvons le gérer. Nous n’avons pas nécessairement besoin de lui donner un nom. Ce serait conceptuel. Nous n’avons pas non plus besoin de lui donner un sens. Cela aussi serait conceptuel. 

Il y a de la distinction dans la pensée conceptuelle, quand nous distinguons que telle chose convient à tel ou tel nom, ou à cette catégorie. Toutefois, si nous avons affaire à quelqu’un, nous devons certainement être capables de distinguer sa tête de l’arrière-plan environnant, n’est-ce pas ? Sans quoi, cela n’a pas de sens. Ou bien, s’il y a une foule de personnes, afin de s’adresser à une personne, nous devons distinguer les formes colorées qui composent sa tête, l’image visuelle de sa tête, des autres gens qui se trouvent autour. Nous ne les assemblons pas de façon bizarre et arbitraire, n’est-ce pas ?

Cependant, nous pouvons opérer des distinctions à un niveau beaucoup plus raffiné en ce qui concerne l’expression d’un visage ou la façon de se tenir de quelqu’un. Nous ne leur attribuons pas un nom mais nous nous contentons de les distinguer comme des éléments qui, de toute évidence, nous fournissent une information sur la manière de se relier à cette personne. Paraît-elle ennuyée ? Paraît-elle stressée ? A-t-elle l’air malade ? A-t-elle l’air fatiguée ? Cela revient à distinguer une catégorie. Tout d’abord, malgré tout, nous devons juste distinguer l’expression de son visage. Assurément, nous devons distinguer le son de sa voix du bruit du trafic dans la rue. Nous devons essayer de distinguer le ton de la voix car cela nous fournit beaucoup d’information sur son état émotionnel, son niveau de stress, ou son niveau de confiance en soi, n’est-ce pas ? Tout cela est grandement véhiculé par la manière dont elle s’exprime, n’est-ce pas ? Nous devons distinguer cela de tout le reste.

L’envie nous amène à considérer la vue de la personne ou à écouter le son de sa voix, et alors, au sein du champ sensoriel, nous distinguons certains traits caractéristiques.

L’attention

Le facteur suivant est l’attention (yid-la byed-pa). Quelle quantité d’attention allons-nous accorder à ce que nous percevons ? Prêter attention consiste à s’engager avec un objet spécifique dans un champ sensoriel particulier ou à s’engager dans un état émotionnel particulier ou une pensée. Cela nous force à nous focaliser ou à considérer cet objet d’une certaine façon. Nous pourrions y faire attention soigneusement ou de manière détendue. Tous ces facteurs mentaux peuvent varier sur une échelle allant du plus faible au plus fort. Il se pourrait que nous fassions très attention ou très peu.

Comment nous engageons-nous avec cet objet ? Un autre facteur mental entre alors en jeu. Nous engageons-nous d’une manière très critique ? Nous engageons-nous de manière très ouverte ? Tout ceci décrit la manière dont nous faisons attention à l’objet.

La conscience du contact

Après cela, nous avons un facteur un peu délicat appelé « conscience du contact » (reg-pa). On le traduit habituellement par contact, mais on ne parle pas ici de contact physique. On parle d’un facteur mental. La manière dont on le définit est qu’il différencie s’il s’agit d’un objet de cognition agréable, neutre, ou déplaisant. Cela sert de fondation pour faire l’expérience de cet objet avec un sentiment de bonheur, de malheur, ou d’indifférence.

Nous pouvons différencier une personne d’une autre et la différencier comme un objet plaisant. En conséquence, nous nous sentons heureux quand nous voyons cet objet, cette personne. Un autre exemple consiste à entendre des mots et à les différencier comme des mots plaisants ou déplaisants. Dans le cas de mots déplaisants, il se pourrait que nous nous sentions malheureux. Ou bien, si c’est du simple bavardage, bla bla bla, dans ce cas c’est neutre et nous ne nous sentons pas super heureux ou super malheureux.

C’est intéressant, en vérité, quand on y réfléchit. Ici, on ne parle pas de porter un jugement. Pensez-y. Quand nous voyons quelqu’un, est-ce agréable ou désagréable de le voir ? Il pourrait s’agir de la même personne. Parfois, il est agréable de la voir, parfois non. Sur cette base, il arrive alors parfois que nous soyons heureux ou malheureux de la voir. D’un point de vue bouddhique, nous décririons cela en termes de situation karmique. Toutefois, nous pourrions aussi élargir la chose et dire qu’elle est affectée par de nombreux facteurs causaux et que, d’une certaine façon, quand nous entrons en contact avec cette personne, cet objet ou ces mots, c’est agréable. Quand nous sommes occupés, ou que nous avons pris un bon repas, ou peu importe, cela affecte la manière dont nous entrons en contact avec une expérience, n’est-ce pas ?

Il existe de nombreux paramètres qui pourraient affecter la manière dont nous entrons en contact avec quelqu’un. Entrons-nous en contact de manière plaisante ou déplaisante, ou d’une façon agréable ou pas très agréable ? Disons par exemple : est-ce agréable ou désagréable de voir notre enfant ? Nous pourrions être très occupé, et notre enfant arrive et nous agace, créant tout un cirque ou tout autre forme de dérangement. Alors, c’est déplaisant. Cependant, cela est affecté par le fait que nous sommes très occupé et soucieux de quelque chose d’autre. Fondamentalement, nous pensons à nous, à moi, moi, moi, et nous ne voulons pas être interrompu. Tandis que si nous prenions plus d’intérêt à l’enfant, alors ce ne serait pas désagréable de le voir. C’est agréable de le voir car nous nous soucions de lui.

Toutes ces choses interagissent les unes avec les autres. Elles travaillent en réseau. Si nous étions plus intéressés par quelqu’un, nous distinguerions et ferions plus attention à l’expression de son visage et au ton de sa voix, n’est-ce pas ? Cela nous aiderait à être capable de répondre de manière appropriée. Cela est dû au fait que la manière dont l’activité mentale fonctionne est d’engranger des informations. Nous devons prendre en compte plus d’information. L’information est là et nous n’avons qu’à la distinguer et à y faire attention.

Ressentir un certain niveau de bonheur ou de malheur

On a la conscience du contact, et ensuite nous avons la sensation (ou sentiment) (tshor-ba). La sensation fait référence au fait de ressentir un certain niveau de bonheur ou de malheur. Ces derniers n’ont pas besoin d’être spectaculaires. Ils pourraient être d’un niveau très bas et c’est ordinairement le cas. Toutes ces choses se produisent tout le temps.

Par exemple, nous voyons cette peinture sur le mur et il s’agit d’une conscience du contact plaisante, et nous sommes heureux de la regarder. Quelques moments plus tard, ce n’est plus très agréable, et nous ne sommes pas aussi heureux de continuer à la regarder. Ce n’est pas que nous soyons réellement triste ou malheureux, mais nous sommes suffisamment insatisfait pour que l’envie nous vienne de bouger la tête et de regarder une autre peinture.

Un autre exemple pourrait se présenter quand nous entendons quelqu’un parler, or il s’agit d’une conscience du contact agréable, et nous sommes heureux d’écouter. Tout va bien et nous nous sentons à l’aise. La dimension du bonheur peut être aussi juste le simple fait de se sentir à l’aise. Toutefois, quand cela ne devient plus très agréable, nous sommes malheureux, et l’envie nous vient alors de regarder ailleurs ou de penser verbalement à quelque chose d’autre, dès lors nous ne faisons plus attention. Au lieu de distinguer un sens aux sons qui sortent de la bouche de la personne, cela devient une sorte de bruit de fond. Nous distinguons notre façon de nous sentir et nous sous sentons ennuyés, fatigués et agités. Nous faisons cette distinction, du moins en français, quand nous entendons les mots de quelqu’un et que nous ne les écoutons pas vraiment.

Reconnaître ces cinq facteurs

Il s’agit des cinq premiers facteurs mentaux. Tout d’abord, pareil à un aimant, le désir nous pousse à nous engager dans une activité quelconque. Bien entendu, il pourrait y avoir de la volonté, ou bien nous pourrions décider de regarder un objet. La décision est un autre aspect et elle ajoute de la certitude à ce que nous faisons. Toutefois, même si nous avons la volonté de faire une chose, il ne s’agit toujours pas d’un « moi » séparé, assis dans notre tête, qui prend la décision. Cela fait juste partie de chaque moment. En résumé, il y a l’envie, la distinction, l’attention ou l’engagement avec l’objet, la conscience du contact, qu’elle soit agréable ou désagréable, et le sentiment d’un niveau de bonheur ou de malheur. Ce sont les cinq premiers de la liste. Prenons un peu de temps pour en faire l’expérience et nous familiariser avec ce dont nous parlons.

Notez que quand nous regardons quelque chose, c’est plaisant, nous sommes satisfaits, il n’y a rien de mal à le regarder, mais ensuite il y a l’envie de regarder quelque chose d’autre, puis quelque chose d’autre. Il y a toujours un désir en cours qui provoque un changement dans ce que nous percevons.

Regardez autour de la pièce, s’il vous plaît, et ne vous contentez pas de faire pivoter votre tête. Regardez une chose, et notez le moment où vous n’avez plus envie de la regarder, puis regardez quelque chose d’autre. Cela se produit tout naturellement, n’est-ce pas ?

Quand vous vous lassez de regarder une chose et que vous regardez autre chose, la distinguez-vous du mur ?

Il y a des peintures dans cette pièce, dans lesquelles nous pouvons distinguer une couleur d’une autre et nous en faisons un élément. Il y a un lotus et il y a un bouddha. Nous faisons cela avant même de lui donner un nom. Nous n’avons pas besoin de lui donner un nom dans notre tête car nous savons qu’il s’agit d’un lotus. En premier, nous l’assemblons pour en faire un élément, puis conceptuellement cela se range tout seul dans la catégorie lotus. Tout ceci est non verbal et cette distinction opère tout le temps, sans arrêt.

Nous pouvons y accorder une attention soutenue, ou y porter très peu d’attention. Il y a même un type d’attention qui consiste à ne plus vouloir regarder une chose plus longtemps. Après cela, une envie surgit de regarder autre chose. Alors que nous restons à la regarder, à un certain niveau nous pourrions dire que c’est agréable et que nous sommes heureux de la voir. Nous sommes à l’aise. C’est une bonne chose de la regarder. Puis, ce n’est plus aussi confortable ; ce n’est plus aussi plaisant, et alors nous regardons quelque chose d’autre.

C’est encore plus intéressant quand on applique cela au fait d’écouter quelqu’un ou d’être avec quelqu’un. Pendant que nous écoutons ce que je suis en train de dire maintenant et ce que le traducteur est en train de dire, y a-t-il un désir d’écouter ou y a-t-il une envie de faire autre chose ? Pendant que nous sommes assis à écouter, il peut y avoir l’envie de faire autre chose, que ce soit de changer notre position, de nous gratter la tête, de réfléchir à quelque chose d’autre ou de prendre des notes.

Distinguons-nous juste le son des mots en leur donnant un sens ? Notre attention pourrait être distraite et nous écouterions le bruit du trafic dans la rue. À quoi faisons-nous attention ? Faisons-nous attention au son des mots ou faisons-nous attention à nos genoux qui commencent à nous faire mal ? À quoi faisons-nous attention ? Cela change tout le temps, n’est-ce pas ? Il se pourrait que nous ayons une sensation à l’arrière de notre tête qui nous démange et que nous voulions la gratter, et l’envie surgit de se gratter.

Est-il agréable d’écouter le son de ma voix ou le son de la voix de la personne qui traduit ? Y a-t-il un sentiment de bonheur et d’être à l’aise ou pas très à l’aise ? Quand nous ne comprenons pas l’anglais, par exemple, est-ce le même type d’expérience d’écouter de l’anglais que d’écouter le traducteur parler dans la langue qui est comprise ? 

C’est très intéressant. Qu’est-ce qui est plaisant ? Qu’est-ce qui est déplaisant ? Quelqu’un pourrait avoir une voix très désagréable, le son de sa voix, et donc ce n’est pas très agréable de l’écouter, mais nous sommes intéressés. Certains traducteurs parlent d’une voix très ennuyeuse, sans expression, et ce n’est pas très plaisant de les écouter. En vérité, ils peuvent être très ennuyeux à écouter, mais si nous sommes réellement intéressés parce que nous voulons savoir ce qui se dit, alors c’est agréable malgré tout.

Ces facteurs peuvent s’intégrer les uns aux autres de nombreuses manières différentes. Parce que nous sommes intéressés, cela supplantera le fait qu’écouter la voix n’est pas si agréable. Cela relève de la sphère de l’attention. Comment faisons-nous attention à quelque chose ? Est-ce que nous y faisons attention comme étant important ou sans importance ? Il se peut que quelqu’un ait une voix ennuyeuse et monotone mais si nous considérons ses mots comme importants, nous faisons alors attention au sens de ce qu’il dit et mettons de côté aisément comme non pertinents nos sentiments à propos de sa voix.

Il s’agit là d’un type de situation. Écouter une traduction n’est pas quelque chose que nous faisons tout le temps. Cependant, nous interagissons avec les gens tout le temps, fort heureusement, à moins de vivre totalement isolé par nous-même. Quelquefois, la manière dont les autres parlent peut s’avérer réellement plutôt déplaisante. Il y a certaines personnes qui ne cessent de se répéter, par exemple, ou bien elles parlent si doucement que nous devons tendre l’oreille afin de les entendre. Ou bien leur voix est si forte qu’elle nous fait sursauter. Dans ce genre de situation, que considérons-nous comme important ou non important ? Est-ce le ton de la voix, le fait qu’elles se répètent constamment, ou le problème auquel elles font face dont elles veulent discuter ?

À nouveau, comment faisons-nous attention ? Que distinguons-nous comme le foyer principal de notre attention ? Toutes ces choses sont des variables et peuvent changer. C’est là tout l’enjeu et l’essence de ce genre d’entraînement : voir que dans chaque moment de notre expérience il y a tous ces facteurs, or nous n’en avons couvert que cinq sur les dix jusqu’à présent. Tous interagissent les uns avec les autres, s’affectent mutuellement, et peuvent être modifiés. Chacun est une variable. Ils peuvent être ajustés d’une façon qui optimisera notre interaction saine et bénéfique avec quelqu’un, c’est ce que j’appelle avoir « une sensibilité équilibrée ».

De plus, nous devons être sensibles non seulement à l’autre personne mais à nous-mêmes. Nous devons parvenir à un équilibre et ceci est très important à garder à l’esprit quand nous ajustons ces facteurs mentaux. Nous pouvons aussi distinguer que nous sommes réellement fatigués, par exemple, et c’est une sensation pas très heureuse plutôt déplaisante. Nous pouvons l’ignorer, nous pouvons essayer de ne pas prêter attention au fait d’être si fatigué, mais parfois cela devient vraiment fort, en particulier si nous essayons de garder la bouche fermée quand nous baillons, etc., et c’est alors très déplaisant. Quelquefois, nous devons être sensibles à nous-mêmes dans cette situation. L’autre personne est en train de parler de tous ses problèmes et difficultés, et nous devons expliquer que nous sommes réellement fatigués, et qu’il devient très difficile pour nous d’écouter. Bien entendu, nous nous excusons, et nous pouvons exprimer que nous souhaiterions réellement pouvoir écouter, mais que nous sommes réellement épuisés et qu’il est difficile d’avoir une attention soutenue. Nous avons besoin d’une petite pause et d’en parler plus le lendemain. Sans quoi, nous ne prêtons véritablement pas attention à l’autre personne. Si nous sommes vraiment honnêtes, d’habitude la plupart des gens répondront favorablement et seront d’accord.

Nous avons donc maintenant ces cinq premiers facteurs mentaux. Prenons à nouveau un moment pour les digérer. Passons en revue la liste : nous avons les envies (de forts désirs), la distinction, l’attention, la conscience du contact, et le sentiment d’un niveau de bonheur ou de malheur. Afin de reconnaître ces choses, ce que nous devons faire c’est simplement d’analyser ce moment, le moment présent.

Qu’est-ce qui constitue notre expérience de ce moment ?

Quelle est l’envie (le fort désir) ?

Que ressentons-nous l’envie de faire ?

Que distinguons-nous ? Distinguons-nous notre humeur, ou ce qu’il y a sur le mur, ou distinguons-nous un son ? Que distinguons-nous ?

Quel genre d’attention y accordons-nous et à tout le reste ?

Est-ce plaisant, déplaisant ? Ressentons-nous un niveau bas de confort, de bonheur, d’inconfort, ou de malaise ? Que se passe-t-il à ce moment-même ? 

En vérité, quand on analyse de cette façon, il devient assez clair qu’il n’existe pas de « moi » séparé de tout cela. Y a-t-il un « moi » qui n’a pas de sentiment de plaisir, de distinction, de désir ? Un « moi » qui est juste un blanc, un vide, qui d’une certaine façon se connecte à un sentiment de bonheur ou de malheur, ou au fait de distinguer, ou à une envie de faire quelque chose ? Un « moi » qui, quand nous l’examinons en propre, par lui-même, existe de manière complètement séparée de tout cela, avec rien ? Quand on analyse, il est quasiment impossible qu’un tel « moi » existe.

Pourtant, nous nous sentons heureux. Ce n’est pas quelqu’un d’autre qui le ressent, et ce n’est pas juste du bonheur. Bien sûr, nous nous sentons heureux, mais il ne s’agit pas d’un « moi » qui existe séparément, totalement déconnecté du bonheur ou du malheur, et qui entrerait comme ça dans la pièce et se connecterait avec un sentiment de bonheur ou de malheur. Ceci a d’énormes conséquences pour notre vie émotionnelle, en particulier si nous sommes obsédés par cette quête du bonheur, comme s’il y avait un « moi » totalement dissocié du fait de se sentir heureux ou malheureux, et qui maintenant voudrait se connecter au sentiment de bonheur. Cela peut nous rendre réellement soucieux et très contrarié. Il y a fort à parier que très certainement nous voulons être heureux. Tout le monde veut être heureux. Cependant, faites simplement ce qui est essentiel pour l’être. 

De bien des façons, l’analogie avec un ordinateur est très utile. Parfois, nous avons juste besoin de le redémarrer. Cette humeur dans laquelle nous nous trouvons ou cette complète obsession avec moi, moi, moi, est pareille à un programme ou un logiciel qui ne fonctionne pas correctement. Sous-jacent à tout ce dont nous faisons l’expérience se tient un niveau très subtil de l’esprit qui fournit de la continuité à notre expérience. Redémarrer, c’est retrouver ce niveau très subtil puis redémarrer dans un état d’esprit différent. Recommencer à neuf tout simplement, dans la fraîcheur. Quand on s’y entraîne, on peut le faire. Nous pouvons redémarrer à n’importe quel moment, et nous pouvons le faire vite. Ce n’est pas si exotique.

Nous avons vraiment besoin de cette aptitude quand nous interagissons avec quelqu’un et que nous devenons tout excités, stressés ou nerveux. Nos épaules se soulèvent et notre voix est très forte et nous réalisons : « Erreur. Erreur. Quelque chose dysfonctionne. » Alors nous redémarrons. « Bon, d’accord ! » Nous nous calmons. Nous baissons les épaules, etc. Cela prend seulement une microseconde à faire une fois entraîné. Une fois que nous sommes plus calmes, nous pouvons parler de manière beaucoup plus détendue. C’est comme ça que nous gérons la situation. Nous le faisons tout simplement.

C’est ce que nous développons quand nous commençons à travailler avec ces facteurs mentaux et réalisons que notre humeur, notre état d’esprit, toutes ces choses peuvent être modifiées. Nous n’avons pas besoin de le faire en qualité de contrôleur. Nous le faisons tout simplement et nous en sommes parfaitement capables. 

Les cinq facteurs mentaux suivants

Passons en revue les cinq facteurs mentaux suivants.

L’intérêt

Le premier des cinq facteurs suivants est l’intérêt, ou la considération [l’égard] (mos-pa). La considération [l’estime] est un mot difficile, mais c’est la véritable traduction du mot. Ce n’est pas le mot tibétain ou sanskrit pour intérêt, mais c’est pour une grande part son équivalent. La considération a à voir avec le fait de reconnaître à l’objet un certain niveau de bonnes qualités. Telle est la définition. Quand nous considérons quelque chose comme ayant un certain niveau de bonnes qualités, nous disons souvent qu’il s’agit d’un objet intéressant. Quand quelque chose est digne d’intérêt, alors nous nous y intéressons, puis nous y faisons alors attention. Si nous considérons qu’il ne possède pas beaucoup de bonnes qualités, ce n’est pas très intéressant. L’intérêt est en vérité un paramètre qui nous permet de distinguer ou non des bonnes qualités dans une chose.

Par exemple, nous sommes en interaction avec quelqu’un et cette personne parle de manière vraiment ennuyeuse, en se répétant, etc. Nous avons distingué le fait que nous étions plutôt ennuyé, et nous avons une envie urgente de quitter la pièce. Nous n’éprouvons aucun intérêt pour ce qu’elle dit. Cela signifie que nous ne considérons pas ce qu’elle dit comme intéressant ou possédant une quelconque bonne qualité. Que distinguons-nous ici ? Distinguer le ton de sa voix ou le fait qu’elle se répète n’est probablement pas très intéressant. Cependant, quand nous distinguons son état émotionnel, et ce qu’elle essaie de communiquer, et qu’en plus, nous tenons à cette personne, nous distinguons alors de bonne qualités et, en conséquence, nous avons de l’intérêt.

Toute la variable d’éprouver de l’intérêt est connectée avec la capacité à distinguer un certain aspect qui possède de bonnes qualités, qualités que nous considérons comme importantes et dont nous nous soucions. Nous pouvons observer cela très facilement quand nous allons dans un magasin. Par exemple, nous voyons un bel habit ou une veste, et nous distinguons la qualité du tissu, la coupe, la ligne, etc. Toutefois, si nous disposons d’une quantité d’argent limitée, alors la coupe n’est pas la chose principale à présenter un intérêt. Ce qui est intéressant, c’est la bonne qualité du prix. Est-ce un bon prix ou non ? « C’est à vendre. C’est de bonne qualité. C’est réellement intéressant. » C’est ce que nous distinguons. C’est ce à quoi nous faisons attention. Le critère selon lequel ce n’est pas notre couleur favorite est acceptable et nous pouvons faire avec.

En résumé, l’intérêt est un facteur qui concerne ce que nous distinguons comme étant une bonne qualité, et quelle variable est importante à nos yeux. Les choses sont plus ou moins importantes dues à de nombreux facteurs tels que, si nous nous servons de notre exemple, la quantité d’argent que nous avons, et si oui ou non nous nous sentons concernés par la mode. De nombreuses choses affectent ce que nous considérons comme important. Quand nous n’avons pas beaucoup de temps, et que nous ne pouvons pas vraiment passer une heure à faire des courses, la première chose que nous voyons, si elle convient, nous l’achèterons. Il est intéressant de voir quel choix nous faisons si le magasin ferme dans cinq minutes ou si nous disposons de beaucoup de temps pour faire des courses. Il s’agit là d’une variable assez différente, n’est-ce pas ? Donc, ce que nous considérons comme important et combien d’attention nous accordons aux choses, etc., dépendent de tellement de causes et de conditions.

La pleine conscience

Le facteur suivant est habituellement traduit par pleine conscience (dran-pa). Il s’agit d’un terme difficile. Je l’appelle la colle mentale. C’est l’activité mentale qui consiste à maintenir la saisie sur un objet une fois que notre attention se focalise dessus. Rappelez-vous, avec l’attention on s’engage envers un objet, et dorénavant la pleine conscience s’en empare et ne le laisse pas s’échapper. Elle nous aide à ne pas lâcher prise alors que, bien entendu, notre esprit ne cesse de vagabonder. C’est grâce à la pleine conscience que nous voulons travailler pour nous accrocher à cet objet et garder notre attention fixée sur lui.

Souvent, nous avons réellement besoin de travailler avec elle pour conserver notre attention sur ce que dit la personne. Nous avons besoin de cette colle mentale pour ne pas commencer à penser à autre chose, en particulier quand nous ressentons l’envie de penser à autre chose ou de commenter : « C’est vraiment stupide », « C’est vraiment ennuyeux », peu importe. Il y a alors un type d’attention qui la fait revenir. Nous ramenons notre attention, et nous nous y accrochons avec pleine conscience.

Tout ceci fait partie d’un large spectre. La pleine conscience peut être soutenue, une fixation vraiment stable, ou très faible. Elle peut être trop intense, comme si nous étions perché au-dessus la personne. C’est aussi une faute, n’est-ce pas ? Elle doit être équilibrée, ni trop tendue, ni trop lâche.

Le facteur de l’attention l’accompagne. En ce qui concerne cette pleine conscience, à quoi faisons-nous attention ? Souvent, les gens hypersensibles font réellement attention. Ils écoutent vraiment intensément, attendant que l’autre personne dise quelque chose qu’ils trouveront insultant ou blessant, etc. Il s’agit là d’un genre de pleine conscience très déséquilibrée.

La concentration

Ensuite, il y a le facteur mental de la concentration (ting-nge-‘dzin). La concentration consiste à se fixer mentalement sur un objet, autrement dit, à rester sur l’objet. La pleine conscience consiste à se saisir de l’objet et la concentration à demeurer sur l’objet. Il se pourrait que nous demeurions sur l’objet, notre attention reste là, mais que la saisie soit très faible. Deux paramètres entrent en jeu ici.

Cela arrive à tout le monde. Par exemple nous regardons la télévision ou un film, or nous tombons de sommeil, mais nous voulons vraiment voir le programme parce que c’est réellement très intéressant. Nous essayons vraiment de nous accrocher. Dans ce cas, la pleine conscience est forte, mais nous ne pouvons pas la maintenir. La concentration n’est pas là, nous piquons du nez constamment. Ce sont deux paramètres différents, deux facteurs mentaux différents. 

La discrimination

Vient ensuite la discrimination ou conscience discriminante (shes-rab). La discrimination ajoute de la certitude à ce que nous distinguons. Telle est sa définition. C’est ce qu’on traduit habituellement par sagesse. Cette traduction peut prêter à confusion. Nous distinguons une caractéristique comme étant ceci et non cela. La discrimination décide de façon catégorique entre deux alternatives. C’est ceci et ce n’est définitivement pas cela. Voici ce que je vais faire et non cela. C’est bénéfique et sans dommage.

Maintenant, bien entendu, nous pouvons être complètement certains à propos d’une chose et être totalement incorrects. Ce que nous discriminons n’a pas nécessairement besoin d’être correct. Par exemple, nous avons un échange avec quelqu’un, et nous distinguons le ton de sa voix et l’expression de son visage, et le reste à l’avenant. Il y a un caractère déterminant à ce propos. Nous sommes certains qu’il est contrarié. Nous sommes convaincus qu’il est émotionnellement bouleversé, alors qu’en fait, il se pourrait qu’il ait un mal de tête ou l’estomac barbouillé, et qu’il s’agisse juste d’un trouble physique. Ce n’est en rien émotionnel. Pire encore, nous pourrions discriminer qu’il est contrarié par nous, quelque chose que nous avons fait, alors qu’il pourrait être contrarié par quelque chose de totalement différent. Il a cassé un verre au cours de la journée, le verre s’est brisé et cela l’a contrarié et n’a rien à voir avec nous. 

Cependant, afin de savoir quoi faire, de décider quoi faire, la manière de répondre et d’interpréter ce que nous percevons, nous avons cette conscience discriminante. Elle ajoute de la certitude à ce que nous percevons. Cela se produit tout le temps. À vrai dire, c’est réellement assez stupéfiant. Nous regardons ces formes colorées sur le mur, et nous les distinguons en assemblant une certaine suite de formes colorées, puis conceptuellement nous les rangeons dans la catégorie « porte ». Nous sommes tout à fait certains de distinguer qu’il s’agit d’une porte, et nous en traversons le seuil. Nous pourrions nous tromper et nous écraser contre le mur ! La façon dont nous avons besoin d’avoir cette certitude afin de marcher en passant par la porte est prodigieuse. Devrions-nous appeler cela de la sagesse ? Même une vache peut le faire. Elle peut marcher en passant par la porte de l’étable. Elle ne s’écrase pas contre le mur, n’est-ce pas ?

Un participant : Parfois, c’est un mur en verre.

Si c’était du verre, alors, bien que la vache puisse distinguer l’espace vide entre l’étable et la porte ouverte du mur et le discriminer avec certitude non conceptuellement quand elle regarde l’étable, elle ne pourrait pas disposer du cadre conceptuel correct pour y ranger ce qu’elle voit, comme un oiseau qui se jette sur la vitre d’une fenêtre. Ce dernier n’a pas le concept d’une vitre. Dans ce cas, il s’agit de discrimination et de considération incorrectes. Sa certitude qu’il s’agit d’un espace ouvert est incorrecte et il l’appréhende mentalement et le considère incorrectement comme un espace ouvert. Cela nous arrive aussi parfois avec le verre. 

L’intention

Enfin, le dernier de ces cinq facteurs est l’intention (‘dun-pa). L’intention est le souhait ou le dessein de commettre un acte spécifique envers ou avec un objet particulier. Une envie, cependant, nous pousse à le faire, et non pas l’intention en elle-même. L’intention pourrait être, par exemple, le souhait de posséder tel objet particulier. Nous avons distinguer l’objet parmi d’autres et l’avons discriminé de telle sorte que maintenant nous sommes certains que c’est ce que nous voulons. Il y a l’intention de l’avoir, ou de faire quelque chose avec, ou d’atteindre un objectif désiré. Nous distinguons une certaine sensation physique. Nous la discriminons avec certitude et la rangeons dans la catégorie conceptuelle correcte de ce que c’est. Mettons, par exemple, qu’il s’agisse de la faim. Ce qui s’ensuit est l’intention de réaliser un certain but, d’aller peut-être vers le réfrigérateur, d’ouvrir la porte et de prendre quelque chose pour le manger. C’est très simple. Cela nous arrive tout le temps.

Comment ces dix facteurs s’impliquent dans notre relation avec nous-mêmes et les autres

Tous ces facteurs sont impliqués dans nos interactions avec les autres et dans la manière dont nous nous traitons. Nous devons être en mesure de distinguer comment nous nous sentons et avoir une certaine discrimination de ce dont il s’agit vraiment, un début de certitude et l’intention de la façon dont nous allons gérer cela.

Par exemple, de toutes les sensations physiques que nous expérimentons, la sensation de la chaise en dessous de nous, la sensation de nos vêtements sur nous, la sensation de la température de la pièce, parmi toutes ces choses, nous distinguons que nos épaules sont soulevées. La façon dont nous tenons nos épaules, c’est ce que nous distinguons. Il s’agit d’une sensation physique. Il y a de la tension dans les muscles. Puis, nous ajoutons de la certitude, à savoir que les muscles de nos épaules sont tendus. Ils se soulèvent. Suite à cela, vient l’intention de les rabaisser, de se détendre.

Il est très utile de travailler avec ces facteurs mentaux. À quoi allons-nous faire attention ? Que considérons-nous comme intéressant ? Il est intéressant de prendre conscience de ce que font nos muscles, de comment nous nous sentons quand il y a du stress dans nos muscles. Pourquoi est-ce intéressant ? C’est une qualité importante car elle nous fait nous sentir stressés. Dès lors, nous les rabaissons.

Pour répéter brièvement notre deuxième série de cinq facteurs mentaux, on a l’intérêt, la pleine conscience, la concentration, la discrimination et l’intention. Cela fait dix.

Remarques de conclusion

Dans notre prochaine session, nous répondrons à quelques questions à propos de ces facteurs. C’est toujours la meilleure façon de commencer une nouvelle session car tout le monde est somnolent, moi y compris, cela devient donc un petit peu plus intéressant. Qu'y a-t-il d’intéressant au sujet de ces facteurs mentaux ? Quelle est leur bonne qualité ? Eh bien, cela offre à l’assistance une chance de dire quelque chose et de participer. Je suis curieux et prends plaisir à entendre ce que les autres pensent. C’est une bonne qualité que celle de se préoccuper de ce que les autres pensent, de ce qu’ils ont à dire, et de ce que pourrait être la réponse. Cela nous poussera à faire un peu plus attention aux questions et aux réponses plutôt que de faire attention à l’engourdissement que l’on ressent encore après avoir mangé et à la chaleur de la pièce, car c’est une journée d’été ensoleillée.

Ces facteurs mentaux sont impliqués dans tous les moments de notre expérience, et si nous en étions conscients, nous pourrions alors modeler les situations de telle façon qu’ils optimiseraient l’expérience. Une fois encore, il se pourrait bien que l’on ressente qu’il y ait un « moi » séparé, assis dans la pièce et dans notre tête, se demandant : « Comment puis-je capter l’intérêt des gens par une journée chaude juste après le déjeuner ? », cela ne se passe pas comme ça. Il y a seulement le processus de pensée qui se passe. Des pensées surgissent au sujet de quoi faire et de la manière de gérer les choses. Des décisions sont prises et nous les effectuons. Ce n’est pas comme s’il y avait un « moi » séparé, totalement distinct du fait d’être là, et impliqué dans cette conférence, et qui décide ensuite d’agir d’une manière ou d’une autre. Bien qu’on puisse en avoir l’impression, c’est cela qui est trompeur.

Terminons là, et nous continuerons lors de la prochaine session.

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