Nous avons parlé des différents domaines ou sujets d'analyse dont nous disposons dans la présentation bouddhique de la métaphysique. Nous avons vu que tous ces systèmes d'analyse peuvent être utilisés à un niveau très pratique pour nous aider à déconstruire — d'abord pour comprendre, puis pour déconstruire — l'apparente solidité des expériences difficiles que nous rencontrons tous. En effet, tout ce que le Bouddha a enseigné vise la libération. Bien qu’à première vue, il puisse ne pas sembler évident que ces enseignements s'appliquent au processus de libération, il est néanmoins important de les étudier et de voir comment nous pouvons les appliquer.
Il est très important de ne pas se laisser décourager par la complexité de ce contenu, mais de travailler avec la confiance qu'il est destiné à être utile. La vie est compliquée, l'univers est compliqué, il ne faut donc pas s'imaginer qu'une façon de le comprendre sera moins compliquée. Une manière plus adéquate de l’exprimer serait peut-être de dire que la complexité des enseignements est proportionnelle à la complexité de la vie. Espérons que cela puisse nous aider à faire face à cette complexité avec plus d’aisance.
Le dernier sujet que nous aborderons ici concerne les différents types de relations entre différents phénomènes, car tout est lié d'une manière ou d'une autre, rien n'existe de manière totalement isolée de tout le reste. Pour comprendre comment tout fonctionne ensemble, il faut comprendre les différents types de relations que les choses peuvent avoir entre elles.
Deux choses identiques
Tout d'abord, nous avons le thème de l'un et du multiple. Littéralement, le terme un (gcig) signifie « la même chose », mais il est beaucoup plus précis dans ce contexte, il signifie « absolument identique ». Soit deux choses sont identiques (gcig), soit elles sont différentes (tha-dad). Quand on dit que deux choses sont identiques, cela ne veut pas dire qu'il s'agit d'une même chose désignée par deux noms différents (ming-gi rnam-grangs, synonymes). Ce qu'il faut comprendre ici, c'est que nous parlons de mots ou de noms, et qu'ils font référence à quelque chose. En fait, lorsque nous disons « un », nous faisons référence à un seul et même nom qui désigne une seule et même chose. C'est ce que signifie le terme identique.
Il est évident que deux choses distinctes comme la table et la chaise sont clairement différentes, elles ne sont pas la même chose. Cependant, si nous reprenons l'exemple de cette situation hypothétique que nous avons analysée — que j'ai pris la mauvaise sacoche d'ordinateur à l'aéroport, que je suis très en colère contre moi-même, que je suis si stupide et que je veux récupérer mon ordinateur — ce qui serait identique, ce serait mon ordinateur et mon ordinateur. Ils sont totalement identiques : il s’agit du même mot et du même objet. D'accord ? Maintenant, mon ordinateur et l'ordinateur d'Alex Berzin sont différents. N’est-ce pas ? Même s'ils font référence au même objet, ce sont deux choses différentes.
Voyons comment nous appliquons ce principe. J’appelle le service des objets trouvés de l'aéroport et je leur demande : « Avez-vous mon ordinateur ? » Cela aide-t-il ? Non. Je dois spécifier « l’ordinateur d'Alex Berzin », je ne peux pas dire « mon ordinateur », bien qu'il s'agisse de la même chose. Bien que cela puisse sembler un peu ridicule, la différence entre l’un et le multiple est pertinente, même si nous parlons du même objet.
Cette différence entre l’un et le multiple est très utilisée dans notre analyse du vide [vacuité]. Lorsque nous parlons de la relation entre moi et mon esprit, ou moi et mon corps, nous avons tendance à nous identifier à notre esprit ou à notre corps, ou à notre profession, ou à notre rôle dans la vie, comme celui d’être mère. Cependant, nous analysons ensuite : ces deux éléments sont-ils exactement les mêmes, identiques ? Moi et être mère ? S’ils étaient totalement identiques, nous aurions dû être mère dès notre naissance. Ou si moi et être mère étaient totalement séparés, alors qui est la mère si ce n'est pas « moi » ? De cette façon, nous voyons que moi et être mère, si nous les considérons comme deux choses solides encapsulées dans du plastique, ne sont ni totalement identiques, ni différentes.
La seule conclusion qui s'impose est que quelque chose ne va pas dans la façon dont nous concevons les phénomènes moi et être mère. Il est impossible qu'ils existent en tant qu'entités isolées, totalement indépendantes et encapsulées dans du plastique. Pour mieux comprendre les choses individuelles séparées, je les compare généralement à des balles de ping-pong. Soit nous avons une balle de ping-pong, soit nous avons deux balles de ping-pong, il n'y a pas d'autre possibilité. Lorsque nous parlons de moi et d’être mère, ou de moi et de mon esprit, ou encore de moi et de mon corps, soit il s'agit de la même balle de ping-pong, soit il s'agit de deux balles de ping-pong différentes. Si ces phénomènes sont comme des balles de ping-pong, il ne peut y en avoir qu'un ou deux. Or, ils ne sont ni l'un ni l’autre, la conclusion est donc qu’ils ne sont pas comme des balles de ping-pong. Il s'agit là d'un aspect très important de l'analyse du vide, c’est l’un des principaux raisonnements.
Nous avons vu que même si notre analyse ne porte pas sur le vide, à un niveau très concret, mon ordinateur et l’ordinateur d'Alex Berzin ne sont pas identiques. Ils sont différents. Si nous voulons récupérer notre ordinateur, nous ne devrons pas nous contenter de dire « mon ordinateur ».
Deux choses ayant la même nature essentielle
Le prochain terme est généralement traduit par deux choses ayant la même entité (ngo-bo gcig). Je préfère deux choses ayant la même nature essentielle ou partageant la même nature essentielle. La raison pour laquelle je n'utilise pas le terme « même entité » est qu'il donne la connotation de quelque chose de solide, d’une entité, et je ne pense pas que ce terme se réfère réellement à quelque chose de solide ici. Il s'agit de deux faits concernant le même aspect d'un phénomène considéré de deux points de vue cognitifs.
Prenons pour exemple la nature conventionnelle de mon ordinateur. D’un certain point de vue, c'est quelque chose qui est conditionné ou affecté par des causes et des conditions. D'un autre point de vue, il est impermanent, il se rapproche de plus en plus de sa fin. Nous dirions alors que ces deux faits concernant sa nature conventionnelle partagent la même nature essentielle. Autre exemple : nous parlons des deux vérités dans le bouddhisme. Les deux vérités concernant l'ordinateur sont que du point de vue conventionnel — la première vérité — il s'agit de mon ordinateur Dell noir, et du point de vue le plus profond — une autre vérité, un autre fait à son sujet, qui se réfère à la manière dont il existe — il est invariablement dépourvu d'existence inhérente en tant que cette chose solide, mon ordinateur, comme s'il m'appartenait avant même que je ne l'achète.
Si je connais l'un de ces deux faits, je ne connais pas nécessairement l'autre. Je peux comprendre que mon ordinateur a été fabriqué dans une usine, probablement par des travailleurs sous-payés dans une province chinoise. Je peux comprendre qu'il est composé de toutes sortes de pièces, mais je ne comprends peut-être pas qu'il est impermanent et qu'il se cassera inévitablement. N’est-ce pas ? Ou encore, je sais qu'il apparaît comme mon Dell noir, mais je pourrais ne pas du tout comprendre qu'il n'existe pas de son propre côté, par son propre pouvoir, comme étant intrinsèquement le mien. Lorsque je sais qu'il s'agit de mon ordinateur Dell noir, je ne sais pas nécessairement qu'il n'existe pas de son propre côté, par son propre pouvoir, comme étant intrinsèquement le mien. Si c'était le cas, il aurait dû exister ainsi avant que je ne l'achète, ce qui n'était manifestement pas le cas. Contemplez cela un instant.
Nous parlons ici de deux faits concernant le même aspect de quelque chose, car il est très utile de comprendre quelque chose de deux points de vue cognitifs différents. En effet, si nous pouvons voir le même aspect de quelque chose à partir de différents points de vue, nous gagnons grandement en perspicacité et en compréhension. Nous comprenons davantage. Ces deux choses qui partagent la même nature essentielle ne peuvent pas être identiques, sinon, il s'agirait du même fait. Ce sont deux faits différents à propos de la même chose.
Deux faits concernant des aspects différents d'un même objet ne partagent pas la même nature essentielle. Par exemple, l'apparence de l'ordinateur Dell noir et ce qui lui est arrivé, il a été perdu à l'aéroport. Il s'agit d'une relation tout à fait différente, n'est-ce pas ? Sa fabrication est due à des différentes causes ainsi que des parties qui le composent et il va finir par se désintégrer, c’est une relation tout à fait différente des faits c'est un Dell noir et je l'ai perdu à l'aéroport, même si toutes ces choses parlent de l'ordinateur, n'est-ce pas ? Vous comprenez ?
Deux choses inséparables
Si deux choses partagent la même nature essentielle, elles sont inséparables (dbyer-med). Inséparable signifie que si l'une est le cas, l'autre l'est aussi. Par exemple, naître de causes et de conditions et finir par se désagréger : si l'un est le cas, l'autre l'est aussi, si l'un est vrai, l'autre est vrai. Qu'en est-il de ces deux faits concernant deux aspects différents de l'ordinateur, sont-ils inséparables ou non ? C'est un Dell noir et je l'ai perdu à l'aéroport. Si l'un est vrai, l'autre est-il nécessairement vrai ? Ce n’est pas le cas.
Cette question peut s'avérer très utile à propos de nos possessions, de notre « moi » ou de toute autre chose. Si nous sommes nés, qu'est-ce qui est nécessairement impliqué ? Que nous allons mourir. Quelque chose qui est fabriqué se brisera un jour ou l'autre. Cependant, il n’y a pas d’implication directe entre naître, réussir dans la vie et le fait d'avoir un mariage heureux, n’est-ce pas ? Je pense qu'il est très utile de savoir ce qui est inséparable dans notre vie, dans nos attentes de la vie, et ce qui ne l'est pas. Pensez-y un instant. Souvent, nous nous attendons à ce que certaines choses se produisent : nous rencontrons ce partenaire, nous l'épousons et nous nous attendons à vivre heureux jusqu'à la fin des temps. Est-ce que [ces faits sont nécessairement] inséparables ? Non. Nous devons comprendre quels faits à propos de quelque chose partagent la même nature essentielle et lesquels ne la partagent pas. Essayez de penser à quelques exemples.
Très bien. Je pars en vacances et je m'attends à ce qu'elles soient merveilleuses. Ces faits partagent-ils la même nature essentielle ? Non. En revanche, je pars en vacances et les vacances vont se terminer partagent la même nature essentielle. Bien sûr, nous pourrions décider de rester en vacances pour toujours et ne jamais rentrer chez nous, de passer le reste de notre vie à Majorque ou ailleurs, mais alors ce ne sont plus des vacances, n'est-ce pas ?
Se sentir en jeune et en bonne santé aujourd’hui et je vais être jeune et en bonne santé pour toujours. Il est évident qu'il ne s'agit pas de la même nature essentielle. Et entre je suis jeune maintenant et que je connaîtrai la vieillesse ? Non, car nous pourrions mourir jeunes. Ma fille et la sœur de mon fils, qui ont la même mère et le même père, partagent la même nature essentielle. N'est-ce pas ? Qu'en est-il de mon mari et de mon meilleur ami ? Hum, eh bien…
Qu'en est-il de l'avant et de l'arrière de mon ordinateur ? Ou encore des deux faces d'une pièce de monnaie ? Elles sont inséparables (l'une ne va pas sans l'autre), mais elles ne partagent pas la même nature essentielle, car il s'agit simplement de deux points de vue visuels, et non de deux façons de comprendre ou de deux points de vue cognitifs. Il s'agit de deux aspects de son apparence, et non de deux faits concernant son apparence.
Qu’en est-il de la pièce de monnaie ?
Lorsque nous parlons de point de vue cognitif, je suppose que c'est un peu trompeur ou que cela manque de clarté. Il s'agit d'une compréhension différente. Nous comprenons que quelque chose est fait de parties, de causes et de conditions, et une autre façon de le comprendre est de dire qu'il est impermanent. Ce sont des façons différentes de comprendre.
Par exemple, j'ai perdu mon ordinateur. D'un certain point de vue, je pourrais considérer cela comme une tragédie et être très contrarié. D'un autre point de vue, je pourrais le considérer comme une merveilleuse occasion de m'exercer à la patience. Ce sont deux façons différentes de comprendre la situation, deux attitudes différentes que nous pourrions avoir à ce sujet. C'est tout à fait différent de l'avant et de l'arrière de l’ordinateur, car ce ne sont que deux parties de l'ordinateur. Mais le recto et le verso de la pièce sont également inséparables. On ne peut pas avoir le recto d'une pièce sans avoir le verso.
Peuvent-ils partager la même nature ?
Non. Ils ne partagent pas la même nature parce qu'il ne s'agit pas de deux façons différentes de comprendre, il s'agit simplement de deux façons différentes de regarder la pièce, de deux parties différentes de la pièce — la face avant et la face arrière. Autre exemple : Si nous avons une feuille de papier, il doit y avoir une face A et une face B de cette même feuille. S'il y avait plus de faces, il ne s'agirait pas d'une seule feuille de papier. N'est-ce pas ? Cependant, la face A et la face B ne sont pas identiques, elles sont évidemment différentes.
S'il s'agit d'une feuille blanche sur laquelle il n'y a rien d'écrit, peut-on établir qu'un côté de la feuille est le côté A et l'autre le côté B ?
Absolument pas. C'est un très bon exemple. Vous venez d'ouvrir la porte d’un vaste sujet. Maintenant que la porte est ouverte, je ne peux résister à l'envie d'expliquer les implications que vous venez de soulever. Bien que le vide ne soit pas notre sujet ici, c'est un aspect essentiel de l'enseignement bouddhique, permettez-moi de l’expliquer brièvement car c'est mon sujet préféré.
Établir l'existence des phénomènes
Lorsque nous parlons du vide, nous parlons de ce qui établit les choses. Il ne s'agit pas tant de savoir comment les choses existent, mais ce qui établit ce qu'elles sont et ce qui établit leur existence. Qu'est-ce qui établit qu'il s'agit de la face A et de la face B des deux côtés d'une feuille de papier vierge ? Est-ce quelque chose sur un des côtés de la feuille de papier vierge ? Non. On établit qu'il s'agit de la face A ou de la face B simplement par le pouvoir de l'étiquetage mental. Je vais appeler ce côté A et ce côté B, et je vais peut-être mettre un petit a et un petit b dessus pour m'aider à m'en souvenir. C'est ainsi que tout fonctionne. Qu'est-ce qui établit qu'il s'agit d'une table ? C'est un morceau de bois soutenu par des pieds. Qu'est-ce que c'est ? C’est établi en tant que table parce que nous avons une idée de ce qu'est une table et de ce qu'elle doit faire. Est-ce une table pour une fourmi ou pour une mouche ? Pour une fourmi ou pour une mouche, elle sera très différente. La différence ici, en ce qui concerne le vide, est que les choses ne sont pas simplement comme une feuille de papier vierge, attendant que nous les étiquetions comme ceci ou cela, mais que tout est établi au moyen de l'étiquetage mental.
Tout d'abord, permettez-moi d'expliquer un peu plus clairement ce que signifie « établir ». Établir (grub, Skt. siddha) ne signifie pas « fait par l'étiquetage mental », notre étiquetage mental ne transforme pas cet objet en table. Comment savons-nous qu'il s'agit d'une table ? Qu'est-ce qu'une table ? Il n'y a rien du côté de cet objet qui en fasse une table, il n’y a rien qui, par son propre pouvoir, en fasse une table. Si nous la démontons et que nous la regardons au microscope, la table se trouve-t-elle dans l'une ou l'autre de ses parties ? Qu'est-ce qu'une table ? La seule chose que nous puissions dire, c'est que nous avons ce mot ou ce concept de table, et une table est ce à quoi il se réfère, sur la base de toutes ces parties, de ces causes, et ainsi de suite.
Si nous ne l'appelions pas « table », s'agirait-il toujours d'une table ? C'est intéressant. Il existe une convention issue de ce groupe de personnes qui ont convenu qu'il s'agit d'une table. Ils ont ce concept, et ainsi de suite. Dans ce cas, nous pouvons dire qu'il s'agit bien d'une table, mais uniquement en fonction de la convention de ce groupe de personnes. Que nous sachions qu'il s'agit d'une table ou non n'a pas d'importance. Pour les termites, c'est un repas. Les termites sont les petits insectes qui mangent le bois. Pour nous, c'est une table, tandis que pour les termites, c'est de la nourriture. Cet objet n'est donc pas intrinsèquement établi en tant que table, ou en tant que nourriture, de son propre côté, mais seulement en dépendance du fait d'être étiqueté par une convention relative à un certain groupe d'êtres.
Il y a une convention qui est acceptée et connue de manière valide par un groupe, et elle peut fonctionner de cette manière pour ce groupe. Les choses ne sont pas plantées là comme des feuilles de papier vierges attendant d'être étiquetées mentalement. Le simple fait d'être une chose est déjà un étiquetage mental. En effet, si l'on investigue en profondeur, on s'aperçoit que tout est fait d'atomes, de particules et de particules subatomiques, de champs gravitationnels et d'énergie, et de toutes sortes d'autres choses. Y a-t-il une ligne de démarcation solide, comme du plastique — c'est pourquoi j'utilise l'image du plastique — qui sépare cette chose d'une autre, qui en fait une chose, comme une balle de ping-pong ? Il n'y a rien de tel, n'est-ce pas ? Encore une fois, c'est un étiquetage mental, l’objet est établi par la manière dont il est perçu, et cela fonctionne. Tout n’est pas comme une soupe dans laquelle tout est mélangé et indifférencié, les choses ne sont pas ainsi.
Qu'est-ce qui fait que c'est mon ordinateur ? Le fait que je l'ai acheté ? Pourtant, je peux aussi le perdre et quelqu'un d'autre peut se l'approprier et c'est alors son ordinateur. Qu'est-ce qui en fait un ordinateur ? Pour une mouche, est-ce un ordinateur ? Il s'agit d'un ordinateur uniquement en relation à l'étiquetage mental.
Avec l'étiquetage mental, nous avons trois choses. Nous avons l'étiquette mentale (btags), qui est un nom. Rappelez-vous, un nom peut être attribué à une catégorie. Nous avons la base sur laquelle il est étiqueté (gdags-gzhi, base de l'étiquetage), puis ce à quoi le nom ou le mot se réfère (btags-chos, objet référent).
Nous avons le continuum mental — le corps et l'esprit, et tout cela — qui est la base de l'étiquetage. Nous avons une catégorie générale, moi, à laquelle est associée une étiquette mentale, le mot ou le concept « moi » (nous dirions « concept » en Occident). C’est tout à fait spécifique, il y a une différence entre mon « moi » et votre « moi ». C'est un « moi » individuel spécifique. Ce « moi » est étiqueté à chaque instant de l’expérience du corps et de l'esprit. Le mot « moi » fait référence au moi conventionnel. Cependant, ce à quoi le mot fait référence et la base ne sont pas identiques, et c'est là que notre discussion sur la relation entre les choses devient cruciale. La relation entre une base d'étiquetage et l'objet référent de l'étiquetage est un type de relation particulier. Le moi, le moi conventionnel — ce à quoi le mot fait référence — est établi en termes d'étiquetage mental. Il n'y a pas de petit moi assis à l'intérieur de cette base (le continuum mental) qui établit le moi.
Quoi qu'il en soit, sans vouloir consacrer tout le cours à ce sujet, nous présentons ici quelques-uns des outils fondamentaux permettant de comprendre les relations entre les choses. En définitive, cela devient très très important dans notre discussion et notre analyse du vide et de la causalité, c’est en fait l'application de cela. Tout le processus de l'étiquetage mental et la relation entre ce qui est étiqueté et la base de l'étiquetage est un autre type de relation. Il n'en est pas encore question dans cette présentation, mais c’est ce vers quoi se concentrent d’autres présentations plus avancées.
Les phénomènes totalement équivalents [mutuellement inclusifs] et mutuellement exclusifs
Revenons aux faits inséparables. Deux faits inséparables partageant la même nature essentielle peuvent être soit totalement équivalents (don-gcig) l'un par rapport à l'autre, soit mutuellement exclusifs ('gal-ba). Totalement équivalent [ou mutuellement inclusifs] signifie que tout ce qui appartient à l'ensemble A appartient également à l'ensemble B. Si deux faits signifient fondamentalement la même chose, par exemple être conditionné ou affecté par des causes et des conditions et être impermanent, il s'agit de deux faits inséparables mais différents concernant le même aspect des choses, ils partagent la même nature essentielle et sont mutuellement inclusifs [équivalents]. Tout ce qui dépend de causes et de conditions est impermanent. Tout ce qui est impermanent est affecté par des causes et des conditions. D’accord ? La relation entre deux ensembles ou deux groupes est l’outil théorique fondamental largement utilisé dans l’analyse bouddhique.
Nous avons deux ensembles. La première possibilité est que tout ce qui se trouve dans un ensemble se trouve également dans l'autre ensemble. Dans notre cas, nous parlons de ces faits inséparables qui partagent la même nature essentielle. L'autre possibilité pour ce groupe est que ces deux faits s'excluent mutuellement (cela se rapporte au terme qui est traduit ici par « contradictoire ».) Cependant, le terme mutuellement exclusif signifie qu'il n'y a rien qui se trouve dans les deux ensembles. Il n’y a rien qui soit dans les deux. Par exemple, les deux vérités à propos de n'importe quoi. L'apparence, la vérité conventionnelle, mon Dell noir et le vide de cet objet, le fait qu’il n'existe pas, par son propre pouvoir, en tant que mien. Il n'y a rien qui soit les deux, mais ce sont des faits inséparables qui partagent la même nature essentielle.
Les phénomènes dichotomiques et non dichotomiques mutuellement exclusifs
Nous abordons maintenant le sujet des phénomènes contradictoires (phan-tshun spangs-'gal ; 'gal-ba), dont il existe plusieurs types. Ces termes se traduisent par contradiction logique directe (phan-tshun spangs-'gal-gyi dngos-'gal ; dngos-'gal, phénomènes dichotomiques mutuellement exclusifs) et contradiction logique indirecte (phan-tshun spangs-'gal-gyi rgyud-'gal, phénomènes non dichotomiques mutuellement exclusifs). Il s'agit de phénomènes contradictoires qui forment soit une dichotomie (la contradiction logique directe), soit qui ne forment pas de dichotomie. Comprenons bien ce que cela signifie.
Une dichotomie signifie que tout ce qui existe est soit dans une catégorie, soit dans l'autre. Comme mon ordinateur et ce qui n’est pas mon ordinateur. Est-ce que tout peut entrer dans ces deux catégories ? Dans quelle catégorie ou dans quelle boîte votre ordinateur entre-t-il ? Dans celle de ce qui n’est pas mon ordinateur. Et la table ? Ce n'est pas mon ordinateur, n'est-ce pas ? Le chien, la colère, eux aussi ne sont pas mon ordinateur. C'est une dichotomie. Tout peut être divisé en ces deux catégories. Il n'y a que deux possibilités.
Qu'en est-il des trois possibilités (mu-gsum, trilemme) ? Disons qu’en plus des deux boîtes mon ordinateur et votre ordinateur, il y a une troisième boîte, une troisième possibilité, ni mon ordinateur ni votre ordinateur, et nous mettrions le chien dans cette boîte. Il n'y a pas de quatrième possibilité. Il n'y a rien qui puisse se trouver dans deux de ces boîtes, mon ordinateur et votre ordinateur, à moins, bien sûr, que nous soyons copropriétaires de l'ordinateur et qu'il soit à la fois le mien et le vôtre. Quoi qu’il en soit, le chien ne peut pas être mis dans plus d'une boîte.
Mon ordinateur et votre ordinateur sont-ils opposés ? Dans un trilemme, deux des éléments peuvent être opposés. Mais dans ce trilemme, mon ordinateur, votre ordinateur et ni mon ordinateur ni votre ordinateur, mon ordinateur et votre ordinateur ne sont pas opposés — il pourrait s'agir de l'ordinateur de quelqu'un d'autre — mais ils s'excluent mutuellement. Ce n'est pas comme le chaud et le froid, qui sont opposés. Il y a le chaud, il y a le froid, et il y a tout le reste — ni chaud ni froid, comme le chien.
Qu’en est-il de quatre possibilités (mu-bzhi, tétralemme) ? Prenons mon ordinateur et les objets trouvés à l'aéroport. Il y a mon ordinateur, il y a les objets trouvés à l'aéroport, il y a des choses qui ne sont ni l'un ni l'autre, comme le chien, et il y a quelque chose qui pourrait être les deux. Mon ordinateur pourrait être à la fois dans la catégorie ou dans la boîte mon ordinateur et la boîte objets perdus. Cependant, s'il s'agit de mon ordinateur, il ne doit pas nécessairement se trouver parmi les objets trouvés à l’aéroport. Et il peut également y avoir des choses qui ne sont pas mon ordinateur parmi les objets trouvés.
Lorsque nous comprenons toutes les possibilités qui sont impliquées dans ce cas, cela nous aide à faire face à la situation, à l'analyser. Nous cherchons donc notre ordinateur. Est-il parmi les objets trouvés ? Nous appelons toutes les personnes qui étaient dans l'avion. Quelqu'un l'a-t-il pris ? Nous devons examiner toutes les boîtes dans lesquelles il pourrait se trouver, en fonction de ces possibilités. Là encore, ce système d'analyse est très, très largement répandu dans le bouddhisme.
Les phénomènes contradictoires incompatibles
Nous avons ensuite les phénomènes contradictoires incompatibles (lhan-cig mi-gnas 'gal), c'est-à-dire ceux qui rompent la continuité d'un autre phénomène. Par exemple, mon malheur de ne pas avoir mon ordinateur, puis mon bonheur de le récupérer. Le bonheur de l'avoir récupéré met fin au malheur de ne plus l'avoir, bien que nous puissions nous souvenir de ce malheur.
Application à l'exemple de l'ordinateur perdu
Avec notre exemple de l'ordinateur perdu, nous voyons qu'il y a de nombreuses applications différentes. Par exemple, nous accusons quelqu'un qui était avec nous à l'aéroport d'avoir pris notre ordinateur. Quelles sont les relations dans ce cas ? Nous pensons : « Si je ne l'ai pas pris, c'est que vous l'avez pris », comme s'il n'y avait que deux possibilités. C'est une erreur, n'est-ce pas ? En effet, il y a une troisième possibilité (quelqu'un d'autre l'a pris) et même une quatrième possibilité (personne ne l'a pris, je l'ai juste laissé par terre). Souvent, dans certaines situations, nous ne pensons pas qu'il existe d'autres possibilités. Nous pensons qu'il n'y a qu'une ou deux possibilités, et nous sommes alors très, très contrariés par la situation, n'est-ce pas ?
Il s'agit là d'un conseil bouddhique fondamental très, très important. Lorsque nous voulons faire quelque chose, ne nous contentons pas d'un plan A, prévoyons toujours un plan B et un plan C. En effet, si nous pensons que le plan A est la seule possibilité et qu'il ne fonctionne pas, nous sommes complètement perdus. Supposons que nous postulions à une université et que nous ne postulions qu'à une seule université parce que c'est celle où nous voulons vraiment aller. Si nous ne sommes pas acceptés, il ne nous reste plus qu'à travailler chez McDonald's parce que nous n'avons envisagé qu'une seule possibilité. En revanche, si nous postulons dans plusieurs universités et que nous ne sommes pas admis dans l'une d'entre elles, nous avons la possibilité d'être admis dans une autre. C'est ce qui ressort de ces outils théoriques. Le résultat peut se situer dans tel ou tel ensemble, mais il ne faut pas que ce soit « tout ou rien ».
Lorsque nous avons ce type d’entraînement et que nous devons faire face à la situation de la perte de notre ordinateur, nous analysons la situation : quelles sont les possibilités ? N'y a-t-il que deux possibilités ? N'y a-t-il qu'une seule possibilité ? Y a-t-il trois ou même quatre possibilités ? Cela nous aide beaucoup à faire face de manière logique à différentes situations et à résoudre différents problèmes.
Par exemple, nous pouvons aller ici et là pendant nos vacances, nous pouvons aussi n’aller qu’à un seul endroit, nous pouvons aller aux deux, ou nous pouvons aller ailleurs. Lorsque nous planifions nos vacances, nous avons ces possibilités, n'est-ce pas ? Disons que nous prévoyons d'aller à deux endroits. Il pleut tout le temps à l'un des endroits, alors nous allons à l'autre. S'il pleut là aussi, nous ne nous contentons pas de nous offusquer. Nous pensons à un troisième endroit où nous pouvons aller. S’il faisait vraiment beau au premier endroit, nous n'avons pas besoin d'aller visiter le second, nous pourrions rester là pendant toute la durée des vacances. Nous avons bien différentes possibilités. Lorsque nous sommes ouverts à différentes possibilités et que nous voyons toutes les permutations possibles, nous bénéficions d'une grande flexibilité. Cela rend la vie beaucoup plus facile.
Les phénomènes liés par la même identité
Le dernier groupe de relations que nous avons ici concerne les phénomènes liés par la même identité (bdag-gcig-tu 'brel) et les phénomènes dérivés (de-byung 'brel).
Les phénomènes liés par la même identité seraient mon ordinateur et rien d'autre que mon ordinateur. « Je veux récupérer mon ordinateur. Je ne veux rien d'autre que mon ordinateur. Je ne veux pas d'un autre ordinateur, d'un nouvel ordinateur, parce que toutes mes données étaient sur l'ancien. J'aime l’ancien. » Mon ordinateur et rien d'autre que mon ordinateur ont la même identité. Cependant, si nous insistons pour n'avoir rien d'autre que mon ordinateur, c'est un peu plus fort que de dire simplement : « je veux mon ordinateur », n’est-ce pas ? « Je ne me contenterai de rien d’autre. »
Les phénomènes dérivés
En ce qui concerne les phénomènes dérivés, il s'agit par exemple de mon ordinateur avant que je le récupère et quand je le récupère, ou de mon ordinateur avant que je le perde et maintenant quand je le récupère. Nous le vérifierions certainement pour voir s’il n’a pas été trafiqué ou altéré de quelque sorte, n'est-ce pas ? Nous voulons le comparer à ce qu'il était avant de le perdre. Quelqu'un a-t-il effacé des fichiers ? Quelqu'un a-t-il ajouté un virus ? Que s'est-il passé ? Ce présent ordinateur est un dérivé, il dérive du temps antérieur de ce même objet.
Utiliser ces données pour analyser et comprendre nos problèmes
En fait, nous sommes confrontés à toutes ces relations [entre les phénomènes] dans notre vie, que nous leur donnions un nom ou non, n’est-ce pas ? Il est intéressant de constater que nous confondons parfois ces deux derniers phénomènes liés, ces deux derniers types de relations. Prenons par exemple notre enfant lorsqu'il a 12 ans et lorsqu'il a 20 ans. Nous avons tendance à penser, à tort, qu'ils sont identiques — ils ont la même identité — alors qu'en fait, il s'agit d'un [phénomène] dérivé. L'enfant de 20 ans est une évolution ultérieure de l'enfant de 12 ans, et traiter l'enfant de 20 ans comme s'il avait encore 12 ans cause beaucoup de problèmes. Vous comprenez ?
Cela nous amène à la fin de notre exploration. Il existe évidemment de nombreux autres types de relations entre deux objets ou deux ensembles d'objets dont nous pourrions discuter, mais ce que nous avons parcouru est peut-être suffisant. L'objectif principal de tout cela est de montrer qu'il ne s'agit pas seulement de métaphysique théorique, mais qu'en réalité, toutes ces catégories sont destinées à nous aider à analyser ce qui se passe et à surmonter les problèmes et les difficultés.
Prenons par exemple la catégorie amis. Toutes les personnes appartiennent-elles à cette catégorie ? Ceux qui en font partie sont-ils totalement identiques ? Parfois, nous pensons que c'est le cas, que notre amitié devrait être exactement la même avec cette personne que nous venons de rencontrer qu’avec nos autres amis. Pourtant, ce n'est pas le cas, n'est-ce pas ? Ces amis entrent dans la même catégorie, mais ils sont particuliers par rapport à cette même catégorie. Quelle est la relation entre eux ? C'est le genre de choses pour lesquelles il faut appliquer ce type d'analyse pour répondre à ces questions, et également pour comprendre où est le problème dans notre relation : nous traitons notre enfant de 20 ans comme s'il avait 12 ans. Nous traitons cet ami comme s'il était identique à cet autre ami. C'est faux. C'est une erreur.
Qu'est-ce qui place cette personne dans la catégorie amis ? C'est un étiquetage mental, n'est-ce pas ? Est-elle seulement dans cette boîte ? Va-t-elle rester dans cette boîte pour toujours ? Quelles sont les possibilités de cette personne ? Elle peut être notre amie, notre ennemie, ou une personne neutre, ou quoi ? Cela devient particulièrement intéressant lors d'un divorce. Est-il possible que cette personne (que nous aimions probablement lorsque nous nous sommes mariés) puisse, après le divorce, être catégorisée non seulement dans la case mon ennemi, mais aussi dans la case mon ami ? Y aura-t-il deux ou trois possibilités, ou même davantage ?
Une autre possibilité est d'aller vivre dans une grotte et de se séparer.
Vous suggérez que la quatrième possibilité est d'aller vivre dans une grotte et de n'avoir aucune relation avec cette personne. Elle n’est alors ni mon ennemi, ni mon ami, ni mon ou ma partenaire, nous n'avons aucune relation avec elle. Toutefois, pour être plus précis, nous n'avons pas de relation actuelle avec elle, mais il existe bien une relation qui ne se produit plus, et nous ne pouvons pas la nier, surtout si elle implique des enfants. Cela influe sur le nombre de possibilités, d'un point de vue causal. Nous voyons quel type de cause est le fait que nous ayons des enfants. Cela complique toute l'équation, n'est-ce pas ?
Tous ces types de systèmes que nous avons introduits sont tissés ensemble pour faire face à une situation difficile. Par exemple, un divorce et le type de relation que nous allons avoir avec la personne dont nous divorçons.
Nous nous arrêterons là. Merci beaucoup.