L’éthique bouddhique dans le service social

Le rôle de l’éthique sur la voie du service social est un sujet très important si nous souhaitons nous engager dans les diverses sortes de professions ayant pour but d’aider les autres. Que ce soit dans le service social réel ou dans l’éducation ou dans les soins de santé, l’éthique en constitue un aspect très important. De tout évidence, quand on essaye d’aider les autres, nous devons nous abstenir de leur causer le moindre tort, et essayer de notre mieux de les assister dans la mesure de nos moyens même si nous ne connaissons pas vraiment les meilleures méthodes. Car chaque personne que nous essayons d’aider, bien entendu, est un individu, et ce qui conviendrait à l’une ne conviendrait pas forcément à l’autre. Donc, travailler dans n’importe quel type de profession d’assistance sociale requiert une grande somme de connaissance, de sensibilité à autrui, or la base de tout cela, c’est l’éthique.

L’autodiscipline éthique

Le bouddhisme parle de l’éthique en termes d’autodiscipline. Afin de mettre véritablement un système d’éthique en pratique, de toute évidence nous avons besoin de discipline. Les deux sont donc intimement connectés. Et cette discipline ne consiste pas à se comporter comme un policier ou une policière en imposant de force la discipline ou la loi aux autres, nous dirigeons plutôt cette discipline vers nous, ce qui bien sûr requiert de notre part de surmonter paresse et indifférence ainsi que toutes sortes d’obstacles au fait de se discipliner. Cela veut dire que même si nous savons quels sont les principes éthiques que nous devons suivre – or nous avons la motivation de les suivre vraiment – nous devons malgré tout surmonter toute difficulté que nous pourrions rencontrer dans leur véritable mise en pratique. Ce sujet de l’éthique est donc un sujet très vaste, et il comporte un très grand nombre d’aspects différents pour lesquels nous devons nous entraîner afin de les mettre en pratique de manière efficace.

Le bouddhisme distingue trois types d’autodiscipline éthique. Le premier est la discipline de s’abstenir d’avoir un comportement destructeur. Ce dernier ne se limite pas aux seules actions physiques, mais aussi à notre parole, la manière dont nous communiquons avec les autres, et il inclut également notre attitude, notre façon de penser, aussi bien. Nous pourrions nous contenter d’aider quelqu’un par routine mais nourrir dans notre esprit toutes sortes de mauvaises pensées à son égard. Pour nous abstenir de cela, nous avons donc aussi besoin de discipline éthique.

La deuxième sorte de discipline est celle de s’engager dans un comportement constructif, et elle se focalise principalement sur ce que nous faisons en vue d’exercer notre capacité à être en mesure d’aider les autres. Cela signifie étudier, s’entraîner, faire toutes les diverses choses nécessaires afin d’être bien qualifié dans notre profession. Cela veut dire se mettre à jour en ce qui concerne notre carrière et ne pas se contenter de se reposer sur ce que nous avons appris il y a des années. Cela demande une grande somme de discipline, en vérité, afin de se former en continu et d’apprendre les nouvelles méthodes développées dans notre domaine. En fait, ce n’est pas si facile, car si nous travaillons toute la journée à aider les autres, c’est assez épuisant et cette mise à jour est une chose que nous devons faire après les heures de travail.

Le troisième type d’autodiscipline éthique est la discipline de s’engager vraiment à aider les autres.

Il s’agit donc de s’abstenir d’avoir un comportement destructeur, de s’engager dans un comportement éducatif constructif, et d’aider les autres pour de vrai. Tels sont les trois domaines de l’autodiscipline éthique sur lesquels le bouddhisme insiste, et je pense que cela est pertinent dans tous les secteurs du service social. Examinons un petit peu plus en profondeur ces trois domaines.

S’abstenir d’avoir un comportement destructeur et s’engager dans un comportement constructif 

Qu’est-ce qu’un comportement destructeur ? Dans les enseignements bouddhiques, le comportement destructeur est expliqué comme une forme d’action, que ce soit par le biais de  notre corps, de notre parole, ou de notre façon de penser, action motivée par une émotion ou une attitude perturbatrice. Quant à la manière dont cela affecte les autres, nous ne pouvons pas en être réellement sûrs, car parfois, même ce que nous faisons avec une bonne motivation peut causer du tort à quelqu’un d’autre parce que nous commettons une faute par exemple ; nous essayons d’aider cette personne, mais elle ne tient pas réellement compte de notre conseil, ce genre de chose.

Agir sous l’influence de la colère

Donc, en réalité, ce qu’on peut dire avec certitude c’est que, si notre motivation est destructrice ou perturbée, alors il est sûr que c’est destructeur. Par exemple, nous sommes contrariés par la manière dont quelqu’un se comporte ou mène sa vie, et donc, en essayant de l’aider en qualité de travailleur social, nous crions après lui : « N’agis pas comme ça ! Ne prends pas de drogues ! », peu importe le motif. Mais il y a de la colère derrière notre manière de le traiter. Non seulement cela nous empêche de penser clairement à quelle serait pour lui la meilleure aide, mais les gens sont sensibles, ils peuvent sentir notre colère, et ils réagissent ordinairement d’une piètre façon si nous sommes fâchés après eux. Ce n’est pas si facile parce que le travail social requiert une grande somme de patience. Nous essayons d’aider les autres, nous leur donnons de bons conseils, etc., et ils n’en tiennent pas compte. Et nous devenons frustrés, bien sûr, car nous ne sommes pas patients, et en perdant notre patience il est très facile de se mettre en colère et de les gronder, de leur crier après. Ou bien si nous sommes dans des services de santé : « Pourquoi ne prenez-vous pas vos médicaments ? Qu’est-ce qui ne va pas chez vous ? » Ce genre de chose. Il est très facile de perdre son sang-froid.

Développer de la compassion pour les autres

Dans de telles situations, nous devons vraiment développer de la compassion, réalisant que cette pauvre personne est confuse ; elle est dans un état si difficile qu’elle ne peut pas recevoir de bons conseils. Nous ne pouvons pas forcer les autres à suivre nos conseils. La seule chose sur laquelle nous pouvons vraiment travailler c’est sur nous, afin de trouver une méthode plus habile, de voir comment nous pouvons réellement convaincre cette personne de changer ses manières. Mais si nous sommes submergés par la colère, la frustration et l’impatience, cela devient véritablement un obstacle majeur pour réfléchir clairement à la meilleure façon de communiquer avec cette personne.

Agir sous l’influence de l’attachement

Le deuxième type d’émotion perturbatrice est l’attachement et le désir. Nous sommes tous des êtres humains, après tout. Nous avons des désirs. Nous sommes attirés par certaines personnes. Il peut s’agir d’une attirance sexuelle envers certaines des personnes comme nos clients, que nous essayons d’aider, ou il peut s’agir d’un genre d’attirance de type maternel ou paternel envers un enfant : « Oh ! comme il est mignon, comme il est adorable », etc. Dans un cas comme dans l’autre, cela pourrait nous empêcher d’être plutôt strict avec cette personne, ce que nous devons être parfois quand nous essayons de l’aider. Ou bien, du fait que nous sommes tellement attirés par cette personne, d’une certaine façon, consciemment ou inconsciemment, nous la rendons dépendante de nous afin de pouvoir passer plus de temps avec elle. Nous devons éviter cela. Bien entendu ce n’est pas si facile car, comme je l’ai dit, nous sommes humains, et naturellement nous perdons notre sang-froid, et nous trouvons également certaines personnes attirantes.

Développer l’équanimité

Ce sur quoi on insiste toujours dans l’entraînement bouddhique, c’est sur le développement de l’équanimité, ce qui veut dire de ne pas être sous l’influence ni de l’attirance ni de la répulsion envers toute personne que nous essayons d’aider, ou d’ignorer certaines personnes qui ont vraiment besoin d’aide (il s’agit ici de la troisième variante), mais plutôt d’avoir envers tout le monde une attitude égale et ouverte. Cela veut dire avoir une attitude égale envers ceux qui sont faciles à aider, envers ceux qui sont difficiles à aider, envers ceux avec qui il est plutôt agréable de se trouver, et envers ceux en compagnie de qui il est désagréable d’être. La méthode pour être en mesure de développer cela consiste à voir que nous sommes tous égaux : tout comme moi, tout le monde veut être heureux, personne ne veut être malheureux. Personne ne veut être ignoré.

En réalité, ce qui me vient à l’esprit, c’est qu’il y a des gens qui veulent juste être laissés seuls. Ils ne veulent pas de notre aide. Ce sont les cas les plus difficiles. Et cela représente un défi de ne pas se sentir rejeter ni de le prendre personnellement. En particulier, je pense aux vieilles personnes dans les maisons de retraites qui ne sont pas coopératives pour prendre leurs médicaments ou faire les diverses choses qu’elles doivent faire. Mais même si elles ne veulent pas de notre aide et veulent rester seules, malgré tout nous devons avoir cette attitude égale envers elles et ne pas les ignorer.

Plus puissant même que de juste penser : « Tout le monde veut être heureux, personne ne veut être malheureux » est le fait de considérer tout le monde comme s’il était notre parent ou notre ami le plus proche. Cette personne dans la maison de retraite pourrait être ma mère ou mon père, et je ne voudrais pas les ignorer ou les maltraiter. Nous pouvons également nous dire : « Un jour je serai dans une maison de retraite et je ne voudrais pas que quelqu’un m’ignore ou me traite mal. » Ou, si nous avons à faire à des enfants : « Celui-ci pourrait être mon enfant. » Ou encore, s’il s’agit de quelqu’un de mon âge : « Cette personne pourrait être mon frère, ma sœur, mon ami proche. » Cela nous aide à développer une attitude plus ouverte et équitable, en considérant que tout le monde est d’une importance égale.

Agir sous l’influence de la naïveté

Un autre état d’esprit perturbateur est la naïveté. La naïveté signifie, par exemple, que nous sommes trop occupés pour réellement nous renseigner en détail sur quelqu’un avec qui nous travaillons, et donc, à cause de notre inconscience, de notre naïveté à propos de la situation, nous ne gérons vraiment pas très bien notre relation avec cette personne. Rappelez-vous, tout être est un individu et chacun a sa propre histoire, son propre bagage, et ce n’est pas très facile, quand nous avons à faire à tant de clients dans la journée et que nous n’avons pas vraiment le temps, de faire alors attention à chacun d’entre eux. Cependant, quelle que soit la situation de travail où nous nous trouvons, quelle que soit la quantité de temps que nous pouvons consacrer à chaque individu, il est important d’en savoir le plus possible sur cette personne. Plus nous en savons sur quelqu’un, et plus nous serons capables de l’aider au mieux. Mais si nous ne nous en soucions pas, ou si nous sommes trop fatigués, ou paresseux, alors notre capacité à aider quelqu’un s’en trouve très, très limitée. Cela veut dire que, pendant que nous travaillons, nous ne devons pas toujours penser à nous et à nos propres problèmes personnels, mais nous sentir réellement concernés par l’autre personne. Cela implique donc de s’abstenir de penser, etc., d’une manière qui rendra notre travail inefficace, ce qui dans un sens est destructeur et nuisible à notre travail. Si je pense juste : « Oh, j’ai un souci à la maison avec telle ou telle chose », alors vous ne faites pas attention à votre client.

Agir sous l’emprise d’émotions qui submergent

Il y a de nombreux états d’esprit ainsi que des états émotionnels qui peuvent rendre notre travail moins efficace. Mis à part ces émotions perturbatrices que je viens de mentionner, il y a aussi la situation où certaines personnes souffrent d’hyperémotivité. Si nous sommes hyperémotifs et juste submergés par des sentiments puissants, disons que nous avons à faire à des gens qui ont été blessés dans un accident, etc., et que nous-mêmes, nous nous mettons à pleurer, etc., nous ne pouvons probablement pas venir au secours de ces gens. Cela demande un équilibre très délicat pour ne pas aller aux deux extrêmes. L’un est d’être émotionnellement froid, de ne rien ressentir, l’autre est de réagir aux choses de façon hyperémotive, de telle sorte que nous ne pouvons pas alors faire notre travail.

Pour nous aider à ne pas juste nous en tenir à l’extrême de la froideur et de l’absence de sentiment, nous devons nous rappeler que tout le monde répond chaleureusement au contact humain. On ne veut pas être traité par quelqu’un qui est pareil à une machine. Un sourire, le simple fait de prendre la main des gens, s’ils sont dans un lit d’hôpital, par exemple, ce genre de chose ajoute une touche humaine, chaleureuse, très importante pour aider les autres.

D’un autre côté, si nous sommes trop émotionnels nous devons alors réaliser que d’être hyperémotif ne concerne en fait que moi : « Oh, je ne peux pas le supporter. C’est trop. C’est tellement affreux. » Fondamentalement nous pensons à nous. Nous ne pensons pas à l’autre. Nous pensons à la manière dont nous nous sentons en réponse à la situation. Si notre enfant se blesse et que nous devenons hystérique et ne faisons que pleurer, nous ne pouvons même pas aider l’enfant, et en fait cela lui fait peur. Nous devons rester calme afin d’être en mesure de calmer notre enfant et penser clairement à ce que nous devons faire pour l’aider (mettons qu’il s’est coupé et qu’il saigne abondamment).

Tous ces points que je mentionne maintenant rentrent dans la catégorie de l’autodiscipline éthique afin de s’engager dans un comportement constructif. Autrement dit, nous devons nous exercer aux méthodes qui nous aideront à ne pas aller aux types d’extrêmes dont nous venons juste de parler. Le comportement constructif n’est pas juste la continuation de l’éducation, c’est aussi travailler sur nous-mêmes afin d’être capables de développer également les outils émotionnels pour être en mesure d’aider les autres de façon efficace et équilibrée. Or le bouddhisme offre un large éventail de méthodes qui peuvent nous aider dans ce domaine.

S’engager à aider les autres

Surmonter la paresse

Afin de s’engager dans le troisième type d’autodiscipline éthique, à savoir aider vraiment les autres, nous devons bien entendu surmonter la paresse. Il y a de nombreux aspects à la paresse. L’un est d’être distrait par d’autres choses. « Mon programme de télévision préféré est en cours, je regarderai donc plutôt ça, car je l’aime vraiment, que de me lever et de vous aider », par exemple. Ou encore, être distrait par des choses qui sont carrément banales est une forme de paresse. « Je préférerai rester au lit un petit peu plus longtemps plutôt que de me lever et d’aller travailler. » Il s’agit de paresse, n’est-ce pas ?

Ensuite, une autre forme de paresse est la procrastination, remettre les choses à plus tard, ne pas les faire sur le champ. Si nous sommes impliqués dans n’importe quel type de travail, je pense que vous savez que le travail tend à s’accumuler en piles. Il en vient de plus en plus. Cela n’arrête pas. Si nous ne nous occupons pas des choses quand elles arrivent, disons sur notre ordinateur, que ce soit des courriels, ou sur notre bureau, peu importe, cela ne fait que s’accumuler de plus en plus et par la suite c’est presque un tsunami de travail qui nous balaye et nous submerge car il y a tout simplement tellement à faire. Si nous sommes dans une profession d’affaires exigeante, nous ne pouvons pas remettre les choses au lendemain. Nous devons traiter les choses au jour le jour, jour après jour, jour par jour.

Maintenant, bien sûr, cela requiert ce qu’on appelle la persévérance enthousiaste. La persévérance, c’est de continuer tout simplement, même si nous sommes fatigués ; nous devons terminer. Mais il y a un certain point où nous devons réellement prendre du repos, car nous ne traitons plus notre travail ou les autres de manière efficace ; nous sommes juste trop fatigués. Un des principes importants dans notre capacité à soutenir nos efforts sur une longue période est de savoir quand nous avons besoin de prendre du repos et de le prendre véritablement sans se sentir coupable. Mais, bien sûr, cela ne veut pas dire tomber dans l’extrême de se traiter comme un bébé et de prendre trop de repos. C’est une forme de paresse : juste prendre du repos parce que c’est plus agréable que de travailler.

Prendre du repos requiert de se connaître suffisamment bien pour savoir ce qui nous aidera à nous détendre et à régénérer notre énergie. Pour certains, cela peut être juste de faire une sieste ou d’aller dormir. Pour d’autres, cela pourra être de sortir prendre un peu d’air frais, de faire une petite marche. Pour d’autres, ce sera de regarder un film ou la télévision. Pour d’autres encore, ce sera de cuisiner. Il y a tellement de choses que chacun de nous trouvons délassantes, comme lire, ou tout autre chose. Peu importe. Le point c’est de se connaître soi-même et de savoir quand nous devons faire une pause et ce qui nous aidera à nous détendre, et en plus, une fois que nous nous sommes suffisamment reposés, d’avoir la discipline de nous lever et de retourner au travail.

Une des choses qui nous empêchent de retourner travailler, c’est de se dire : « Je n’en ressens pas l’envie. » Pour cela nous devons travailler sur notre motivation. Nous essayons d’aider les autres. Ce que nous faisons est d’une utilité pour les autres. Si nous avions besoin d’aide, nous n’aimerions pas que la personne sur qui nous comptions soit trop occupée, ou trop fatiguée, ou si elle devait finir de regarder son programme de télévision avant de venir nous aider. Tout comme nous n’aimerions pas que quelqu’un d’autre sur qui nous comptions pour nous aider agisse de la sorte, les gens ressentiraient la même chose à notre égard s’ils comptaient sur nous. Il s’agit d’une méthode bouddhique très importante, qui consiste à se mettre à la place de l’autre personne et de voir si nous aimerions que quelqu’un nous traite de la manière dont nous le traitons.

Nous avons examiné deux formes de paresse, la paresse d’être simplement distrait par des choses banales, et la paresse de remettre les choses à plus tard. Le troisième type de paresse concerne les sentiments d’insuffisance, d’infériorité : « Je ne suis tout simplement pas assez bon. Je ne peux pas faire cela. C’est trop. » C’est un grand obstacle. Dès lors, en fait, il se pourrait que nous ne sachions pas comment aider quelqu’un. Cela arrive. De fait, cela peut se produire assez fréquemment quand on travaille dans les services sociaux, par exemple. Mais d’éprouver que : « Je suis incompétent, que je ne suis bon à rien » et nous battre psychologiquement et émotionnellement, cela ne nous aidera pas du tout, parce qu’en vérité c’est une forme de paresse. C’est paresseux dans le sens où nous n’essayons même pas avec plus de force ; nous nous contentons de conclure : « Je ne suis pas assez bon. » 

Nous ne sommes pas des bouddhas, du moins pas encore, et donc, bien entendu, nous ne savons pas ce qui est le mieux pour les autres. Nous commettons des erreurs. Nous sommes des humains. Mais la question est de continuer d’essayer, de ne pas abandonner par paresse. Et de consulter les autres, si les autres sont disponibles, pour nous donner des conseils sur la manière d’aider si nous ne trouvons pas quelque chose d’efficace. Bien que nous devions prendre la responsabilité d’aider les autres sous notre garde, nous devons également éviter l’extrême de ressentir : « Je suis le saint sauveur et vais sauver tout le monde. » Étant donné que cela peut dévier facilement en un besoin inconscient de rendre tout le monde dépendant de soi et reconnaissant parce qu’on les a sauvés, nous devenons jaloux et envieux si quelqu’un d’autre les aide et que ce n’est pas moi qui l’ai fait. Mais, si notre motivation est réellement que l’autre personne soit aidée et en tire un bienfait, alors peu importe qui l’aide. La question pour elle est qu’elle arrive à surmonter son problème. Et si nous trouvons que nous ne sommes pas réellement capables – je veux dire objectivement incapables – d’aider cette personne, il est très important que nous ne nous sentions pas fiers et laissions notre fierté nous empêcher de lui recommander d’aller voir quelqu’un d’autre dont nous pensons qu’il pourrait l’aider mieux que nous ne le pouvons. 

Donc, réaffirmer notre motivation est une méthode très importante sur laquelle le bouddhisme revient encore et encore. Ici, notre motivation quand on est dans n’importe quel type de travail social, est que la personne soit aidée à surmonter son problème et délivrée de tout problème quel qu’il soit. Et cela ne veut pas dire que ce soit nécessairement moi qui le fasse, bien que, comme je l’ai dit, nous prenons la responsabilité suivante : « Je vais essayer d’aider du mieux que je pourrai. » 

Développer une attitude bienveillante

L’éthique dépend pour une très grande part de ce qu’on appelle une attitude bienveillante : « Je prends soin de l’effet de mon comportement sur les autres. » Il ne s’agit pas juste pour moi de faire un travail et de gagner un salaire, et que je ne me soucie pas, en réalité, des autres ou de savoir si ce que je fais est utile ou non. Et nous devons également prendre soin de l’effet de notre comportement sur nous-mêmes. Cette attitude bienveillante repose sur une réelle compréhension et une prise au sérieux de la causalité. Nous agissons d’une certaine façon, avec un certain type de motivation : cela aura un certain type d’effet, et nous sommes pleinement convaincus qu’il y a un effet. C’est cela que veut dire être sérieux à ce sujet et s’en soucier. Ce que nous faisons a réellement un effet sur les autres, et sur moi aussi bien. 

Donc, une fois que nous nous sommes engagés dans cette discipline d’aider les autres, qui est la troisième sorte de discipline éthique, à ce stade il est de la plus haute importance d’avoir cette attitude bienveillante. Mais l’attitude bienveillante se tient aussi derrière cette forme de discipline éthique qu’est l’engagement d’avoir un comportement constructif. « Je me soucie d’être efficace dans mon travail, c’est pourquoi j’aurai la discipline de poursuivre mon éducation et mon entraînement », par exemple. Et cette attitude bienveillante est aussi derrière la discipline éthique de s’abstenir d’avoir un comportement destructeur. « Du fait que je prends soin de l’effet de mon comportement sur les autres et sur moi-même, je ne veux pas causer de tort. » Plus spécifiquement : « Je ne veux pas faire de mal en agissant sous l’influence de la colère, de l’attirance, de la naïveté, et de la jalousie », de toutes ces choses, ou p ar orgueil : « Même si je ne sais pas comment aider, je prétends que je le sais. »

Pour avoir cette attitude bienveillante, nous devons avoir un sens basique des valeurs, des valeurs éthiques, et un sentiment de respect pour les bonnes qualités et pour ceux qui les ont. Autrement dit, nous portons nos regards vers ceux qui, dans notre domaine d’aide aux autres, sont excellents – que nous pensions à Mère Teresa, ou à tout autre personne – et nous avons une grande admiration et du respect pour une telle personne, et nous en faisons notre modèle. Peu importe que nous ayons ou non rencontré la personne pour de vrai. Mais nous nous tournons vers ces personnes parce que nous avons un sens des valeurs. Nous considérons la façon dont elles ont vécu leurs vies comme une chose de valeur, que nous respectons. Par ailleurs, on réalise qu’on a tous les outils de travail de base pour devenir ainsi. Dans les enseignements bouddhiques, on y fait référence comme étant les facteurs de la nature-de-bouddha. « J’ai un corps. J’ai une capacité à communiquer. J’ai un cœur, des sentiments. J’ai un intellect : je peux comprendre des choses, leur trouver une solution. J’ai des aptitudes. Je suis capable d’apprendre. » Nous avons donc toutes ces qualités en nous. Ce sont nos matériaux de travail. Nous réalisons donc que nous pouvons vraiment devenir comme ces figures inspirantes. Nous avons donc du respect pour nous-mêmes, un sentiment d’amour propre, de dignité, et cela nous permet de prendre soin réellement de l’effet de notre manière d’agir et de nous exercer à l’autodiscipline éthique. Il s’agit de ce sentiment qui nous fait dire : « Bien sûr, je peux toujours faire mieux. Bien sûr, je peux aider. » Et nous considérons cela comme une valeur positive.

Ce sont donc quelques-unes de mes pensées, fondées sur les enseignements bouddhiques, du rôle de l’éthique sur la voie du service social. Si c’est le genre de domaine dans lequel vous vous lancez dans vos études, il s’agit là d’une merveilleuse occasion de faire quelque chose de vraiment positif, de faire de votre vie une contribution majeure. Faire ce genre de travail rend la vie pleine de sens et digne d’intérêt car nous sommes véritablement bénéfiques aux autres. De retour à Berlin, en Allemagne, où je vis, j’ai quelques étudiants qui sont engagés dans ce type de travail. Un de mes étudiants travaille dans un foyer, un établissement pour gens extrêmement handicapés mentalement – le syndrome de Down, ce genre d’enfants. Il prend soin de ces enfants, les aide dans leurs vies. Un autre de mes étudiants est une infirmière en charge de personnes âgées handicapées. Ce sont de merveilleuses occupations. Cela demande, bien entendu, une grande quantité de patience et de discipline, mais cela en vaut vraiment la peine, de même, bien sûr, qu’un puissant sens de l’éthique. J’ai donc pour vous une grande admiration si c’est dans cette direction que vous orientez vos vies.

Questions

Y a-t-il une méthode bouddhique qui puisse nous aider à gérer des états d’esprit destructeurs tels que la méfiance ?

Se méfier des autres est pareil à la paranoïa, toujours à se dire : « Les gens sont contre moi. Je me demande vraiment quelles sont leurs intentions ? », le reste à l’avenant. Deux aspects sont présents ici. L’un est l’insécurité qui pousse à toujours s’inquiéter que quelqu’un soit contre moi, que quelqu’un aille me faire du mal. Cela repose sur l’insécurité. Et l’autre aspect est l’hypersensibilité, le fait de surréagir.

Maintenant, pour surmonter l’insécurité, on peut traiter ce problème à plusieurs niveaux. L’un serait, de manière générale, d’avoir simplement confiance en notre capacité à gérer tout ce qui arrive dans la vie. Je trouve particulièrement utile l’exemple du Bouddha Shakyamouni. « Tout le monde n’aimait pas le Bouddha, donc, en ce qui me concerne, que puis-je espérer ? » C’est totalement irréaliste. Il est impossible de plaire à tout le monde. Le Bouddha ne l’a pas pu, je ne dois donc pas m’attendre à ce que je sois capable de plaire à tout le monde et que tout le monde m’aime. Je fais de mon mieux, je suis animé d’une bonne intention, et qu’ils aiment ou non cela, c’est leur problème. Je trouve que cela est très utile. Et, bien sûr, plus nous nous entraînons, et plus nous avons d’expérience à mesure que nous vieillissons, et en général on se sent alors un peu plus en sécurité. Quand on est jeune, un adolescent en quête d’approbation, voulant qu’on nous aime, il est assez naturel dans ce cas de se sentir un peu plus en insécurité.

Nous devons réaffirmer les bonnes qualités que nous avons. Cela ne veut pas dire dénier ou ignorer nos défauts, mais si nous les grossissons de façon démesurée alors nous nous sentons en très grande insécurité. Mais personne n’a que des défauts ; nous avons tous des bonnes qualités, et il est important de toujours nous les rappeler. Cela ne veut pas dire être fier et arrogant à leur propos, mais d’avoir confiance en soi.

Quand on est hypersensible, qu’on surréagit, qu’on est tellement bouleversé par telle ou telle chose, à nouveau on doit raisonner en ces termes : « Cela ne sera d’aucune aide pour quiconque. » Cela nous handicape dans notre capacité à gérer la vie, et cela met tout le monde autour de nous très mal à l’aise. Plus nous pensons aux autres, dans n’importe quel type de situation que nous rencontrons, et plus nous sommes attentionnés, et calmes, dans notre manière de répondre émotionnellement aux choses. L’exemple souvent utilisé est celui d’une mère. Une mère peut être très contrariée par une chose, mais si elle doit s’occuper des enfants, leur faire à dîner, elle surmonte sa grande contrariété et, en vérité, elle fait ce qui doit être fait pour les aider. 

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