Déconstruire la jalousie : les émotions perturbatrices

Définition des émotions et attitudes perturbatrices

Le bouddhisme range la jalousie parmi l’une des « émotions et attitudes » dites « perturbatrices ». Elles sont définies comme des états d’esprit ou des dispositions du cœur qui nous font perdre notre sérénité et nous handicapent au point de nous priver de notre sang-froid. Si on y réfléchit, quand on est vraiment attaché à une chose ou à quelqu’un, ou qu’on est en colère ou jaloux, nous n’avons certainement pas l’esprit en paix, n’est-ce pas ? En quelque sorte, nous perdons le contrôle de nous-mêmes, parce que toutes sortes de besoins fous nous viennent à l’esprit qui nous font faire ou dire certaines choses que nous finissons par regretter souvent après coup. Ces émotions et attitudes perturbatrices peuvent nous pousser à agir de façon vraiment destructrice et blessante envers les autres, et s’avérer également autodestructrices au bout du compte. En dernier ressort, nous sommes perdants.

Naturellement, des cultures différentes définissent et caractérisent différemment les émotions, et ces émotions recouvrent un vaste éventail de sentiments eux aussi différents. C’est comme de découper un gâteau en portions de tailles variées. Par exemple, en langue tibétaine, laquelle tire souvent ses définitions du bouddhisme indien, on parle seulement de jalousie, alors qu’à l’Ouest on fait une distinction entre jalousie et envie.

La jalousie : une partie d’un problème plus vaste

Quand on analyse les remèdes que le bouddhisme suggère pour gérer la jalousie, on voit qu’ils ne traitent qu’une partie d’un problème plus large. On doit examiner soigneusement de quoi parle chaque culture, car, afin de traiter des problèmes sous-jacents plus vastes, il se peut qu’on ait à appliquer des méthodes bouddhiques qui n’entrent pas dans la catégorie de la jalousie.

Le bouddhisme définit la jalousie comme faisant partie de l’hostilité, attitude où l’on se focalise sur les accomplissements des autres, leurs bonnes qualités, leurs possessions, leur famille et leur statut, tout en étant nous-mêmes incapables de supporter ces accomplissements. Quand nous sommes jaloux, nous ne pouvons pas supporter que les autres aient accompli ou possèdent certaines choses, pour la raison simple que nous sommes attachés à notre propre situation. Donc, quand nous sommes jaloux, il se peut qu’on se focalise, en particulier ou en général, sur les bonnes qualités des autres. Cela peut être leur intelligence, leurs beaux livres, leur richesse, leur réussite. Ça peut être aussi le simple fait qu’ils aient eu un enfant mâle alors que notre famille n’en a pas. Pour nous, c’est insupportable, dès lors l’élément émotionnel le plus fort qui entre en jeu, c’est le ressentiment par rapport au fait que l’autre personne ait ces choses. Du fait que nous sommes attachés à notre propre situation, il s’agit fondamentalement pour nous de nous sentir juste navrés. C’est de ça qu’il s’agit quand le bouddhisme parle de jalousie ; le contraire de la jalousie serait de se réjouir des succès de l’autre personne. 

L’envie : un mélange de jalousie et de convoitise

De toute évidence, nos expériences de la jalousie peuvent se révéler plus vastes que ça, et nous pourrions qualifier celle que nous venons d’évoquer plus haut comme une des formes de jalousie. En tenant compte des autres formes, on pourrait y inclure ce qu’on appelle « l’envie ». Dans le bouddhisme, on définit cette dernière comme une autre émotion perturbatrice, à savoir la convoitise. La convoitise est un désir démesuré, un désir vraiment excessif d’une chose que quelqu’un d’autre possède.

Si on regarde dans un dictionnaire anglais [et français] au mot « envie », on verra qu’il s’agit de la conscience douloureuse et amère d’un avantage vécu par quelqu’un d’autre, associée au désir de jouir du même avantage. En plus de notre incapacité à supporter les réalisations des autres, nous voulons encore les posséder nous-mêmes. Souvent, bien que pas toujours, cela comporte quelque chose de plus déplaisant. L’envie, en tant que mélange de jalousie et de convoitise, mène souvent à la concurrence. Certains d’entre vous sont peut-être familiers avec la présentation de Chögyam Trungpa Rimpotché du « cadre de conscience de l’espace de Maitri » [l’espace de bonté fondamentale], dans lequel il discute de la jalousie comme étant l’émotion perturbatrice qui nous pousse à devenir hautement compétitif et à travailler fanatiquement à surpasser les autres, voire à nous surpasser nous-mêmes.

En outre, il se peut qu’à cela s’ajoute le souhait que les autres soient privés de ce qu’ils ont, comme s’ils ne le méritaient pas. On pourrait se dire par exemple : « Pourquoi devraient-ils avoir ce travail ? C’est moi qui le mérite, pas eux ! » N’est-ce pas ainsi que nous le ressentons parfois ? Selon le bouddhisme, il s’agit là d’une émotion perturbatrice différente, et nous devons allez voir dans une catégorie différente pour découvrir comment la gérer.

Clairement, quand nous faisons l’expérience de l’une de ces émotions perturbatrices que nous pourrions étiqueter comme étant de la « jalousie », nous devons analyser nos sentiments afin de mettre en place une stratégie qui nous permette de la gérer et de la surmonter. Quels sont tous les ingrédients qui entrent dans la composition de nos sentiments ? Autrement dit, « jalousie » est un peu trop englobant. Cela inclue tant de choses, et nous verrons que cela recouvre encore plus de choses que celles dont nous avons discuté jusqu’à présent.

La course de chevaux

Du fait que nous sommes jaloux ou envieux de ce que les autres ont accompli, nous nous forçons, ou nous forçons celles et ceux qui travaillent sous nos ordres à en faire toujours plus. Un bon exemple nous est fourni par l’esprit de compétition extrême qu’on rencontre dans les affaires et dans le sport. C’est particulièrement puissant dans le domaine des sports ! Le bouddhisme débat de cet aspect de la compétition en se servant du symbole d’un cheval pour figurer la jalousie. Quand un cheval court avec d’autres chevaux, il ne supporte pas qu’un autre cheval coure plus vite. Quand le cheval est irrité parce qu’un autre cheval coure plus vite que lui, la vision bouddhique relierait plutôt ce comportement à du ressentiment qu’à de la jalousie. Le bouddhisme ne parle pas vraiment en termes de compétition réelle dans l’optique de gagner. C’est plus du genre : « Pourquoi ce cheval court plus vite que moi ? Je dois courir plus vite. » C’est la raison pour laquelle ils font la course.

Bien que dans le bouddhisme la jalousie soit étroitement liée à la concurrence, la jalousie ne conduit pas forcément à la compétition. Par exemple, sommes-nous vraiment en rivalité avec telle autre femme ou tel autre homme pour obtenir la personne que nous voulons ? Quel est l’enjeu ici ? Avec un niveau bas d’estime de soi, nous pourrions être jaloux des autres sans même pour autant essayer de concourir, avec une attitude du genre : « Bon, je ne pourrai vraisemblablement même pas essayer de trouver quelqu’un qui m’aimerait ? Je ne pourrai vraisemblablement pas obtenir un bon travail, pourquoi même en faire la demande ? » Mais, malgré tout, nous sommes toujours jaloux de celles et ceux qui ont de bons métiers.

Par ailleurs, nous pourrions être en rivalité mais sans pour autant qu’il y ait de la jalousie derrière. Par exemple, certaines personnes aiment se mesurer dans les sports simplement pour le plaisir d’en jouir, mais sans chercher à marquer des points. Ils n’entrent en compétition avec personne. Toutefois, plus souvent que le contraire, nous associons jalousie et compétition. Dans le bouddhisme, on voit qu’on associe les deux attitudes de manière assez différente de celle à laquelle on y pense d’ordinaire.

De l’importance de considérer les autres de manière égale

Le grand maître indien Shantideva offre une présentation [de la jalousie] dans laquelle on est habituellement jaloux de ceux qui se trouvent dans une position plus élevée, en compétition avec ceux qui sont nos égaux, et arrogant envers ceux d’un statut inférieur. Toute la discussion sur la façon de surmonter la jalousie consiste à apprendre à considérer la totalité des autres de manière égale. Tout le problème vient de ce que nous ne considérons pas les gens avec équanimité. C’est probablement assez différent de la façon dont on penserait aborder la question.

Je suis spécial

Fondamentalement, nous devons en rabattre sur notre conception du « moi », car le bouddhisme souligne que le véritable problème vient de ce sentiment que nous avons tous de nous dire « je suis spécial ». Soit je suis meilleur que tout le monde, soit je suis pire que tout le monde, ou bien c’est que les autres pensent que je suis pire que tout le monde mais qu’ils se trompent. L’inégalité survient dans ce cas du fait qu’on pense « je suis spécial », ce qui signifie que je ne suis pas comme les autres, et que les autres ne sont pas comme moi.

Nous pouvons considérer cela du point de vue de notre jalousie. Il se peut que nous pensions que nous sommes la seule personne qui puisse faire un travail de façon correcte, comme d’apprendre à notre ami(e) à conduire, et que nous devenions jaloux quand toute autre personne lui montre. Un autre exemple serait, si nous sommes dans une classe et que nous estimons que nous sommes les seuls capables de répondre à une question, d’être jaloux et vexés quand quelqu’un d’autre le fait à notre place. Tout ceci vient du fait que nous pensons que nous sommes « spécial ». C’est nous qui devrions répondre, et personne d’autre. Cela ne conduit pas nécessairement à de la compétition cependant, n’est-ce pas ?

Un autre exemple c’est quand nous ressentons ou pensons « je suis le seul qui doit foncer dans la vie. Je dois être celui qui gagne, je suis celui qui doit être riche », devenant envieux si quelqu’un d’autre réussit. Nous devenons alors concurrents et devons surpasser l’autre personne, même si de notre côté nous ne sommes encore que modérément performant.

Il y a là une grande différence, et nous devons l’analyser par nous-mêmes. Quand nous n’avons pas une chose qu’une autre personne possède, alors nous sommes jaloux. C’est légèrement différent du cas où nous avons une certaine somme d’argent mais que nous sommes jaloux que l’autre personne en ait plus. Dans ce cas il y a de l’avidité au même titre que de la rivalité, nous aurons donc une stratégie différente pour gérer la chose. Dans tous les cas, derrière tout cela, il y a un sentiment puissant du « moi » et une forte préoccupation, malgré tout, à propos de « moi » seulement. La réalité c’est que nous ne considérons pas les autres de la même manière que nous. Nous sommes « spéciaux ».

Le remède est l’équanimité

Il existe une stratégie offerte par le bouddhisme concernant cette jalousie, cette rivalité et cette arrogance : c’est de considérer tout le monde de manière égale. En vérité, il n’y a absolument rien de spécial à propos de « moi », car tout le monde possède les mêmes aptitudes fondamentales. Cela fait référence au fait que nous avons tous la même nature-de-bouddha, la capacité à développer notre potentiel le plus élevé. Coiffant le tout, tout le monde a le même souhait d’être heureux et de réussir, tout comme celui de ne pas être malheureux et de ne pas échouer. Tout le monde a le même droit à être heureux, et à ne pas être malheureux. De ce point de vue, il n’y a rien de spécial à « mon » propos.

L’amour : « Puisse tout le monde être heureux et avoir les causes du bonheur »

Tout cela, nous le relions à l’amour, amour que le bouddhisme définit comme le souhait que tout le monde soit heureux de manière égale et possède équitablement les causes du bonheur. En réalité, l’amour est la manière de surmonter la jalousie. Quand on apprend que tout le monde est égal du point de vue de cette nature-de-bouddha et qu’on commence à s’ouvrir à l’amour, on est plus enclin à voir la manière dont on se relie à tous ces gens différents, qu’ils soient plus prospères que nous, ou n’aient réussi en rien.

Shantideva enseigne que même si quelqu’un a beaucoup mieux réussi que nous, si on souhaite vraiment que tout le monde soit heureux, alors on se réjouira et on sera heureux que cette personne ait réussi. On souhaitera également aider nos semblables à réussir plutôt qu’à entrer en concurrence avec eux, en aidant par exemple tous les autres élèves dans une classe en vue de passer un examen plutôt que de voler les livres pour soi dans la bibliothèque de telle sorte qu’ils ne puissent pas les lire. Quant à celles et ceux qui réussissent moins bien que nous, on essaiera de les aider à réussir plutôt que de jubiler et d’éprouver de manière arrogante que nous sommes meilleurs qu’eux.

Émotions fondées sur la théorie et émotions qui s’élèvent spontanément

En vérité, ces méthodes bouddhiques sont d’un niveau très avancé, et elles sont spécialement difficiles à appliquer. Ceci est dû au fait qu’il y a deux formes d’émotions perturbatrices. Il y a celles qui s’élèvent automatiquement, dont tout le monde, même les chiens, font l’expérience. Par exemple, si un nouveau bébé arrive dans la maison, le chien de la famille peut devenir jaloux. Puis, il y a les émotions perturbatrices fondées sur la théorie [le dogme, la doctrine], qui surgissent pour les avoir apprises et reçues d’une sorte de système. Cela peut venir de la propagande, de la religion, ou de la culture, ou de quelque chose dans la société qui nous enseigne à être jaloux. Un système nous enseigne une certaine façon d’envisager le monde qui déclenche la jalousie, et la rend encore plus forte.

Si on examine ce qui surgit automatiquement, on découvre que la plupart des enfants aiment gagner de façon spontanée, et pleurent quand ils perdent. Cela surgit automatiquement dans presque toutes les cultures. À l’Ouest, c’est difficile pour nous car la jalousie et la rivalité sont renforcées, affermies et même récompensées par nombre de nos valeurs culturelles occidentales. Par exemple, la culture occidentale enseigne le capitalisme comme la meilleure forme naturelle pour une société démocratique, laquelle contamine notre manière de penser, même quand nous abordons les relations personnelles. Sous-jacente à cela se tient la théorie de la survie du mieux adapté que nous ne remettons jamais en question mais assumons comme étant absolument correcte. Cela place la compétition comme la force directrice fondamentale de la vie, plutôt que, par exemple, la croyance bouddhique que l’amour et l’affection sont les forces motrices fondamentales de la vie.

Difficultés accrues dans la culture occidentale

Cette insistance culturelle occidentale quant à la survie du mieux adapté augmente l’importance du succès et du vainqueur. Cette obsession est de surcroît renforcée par la compétition sportive et la glorification des athlètes de haut niveau, ainsi que des gens les plus riches dans le monde. Ce n’est pas nouveau ; l’exaltation des riches et des athlètes (voyez les Jeux Olympiques) remonte très loin dans notre culture. Elle imprègne toutes les couches de la société, n’est-ce pas ? Nous sommes obsédés par le football, et les joueurs de football sont nos héros. Il est comique de penser qu’on a un champion du monde de boxe, catégorie poids-lourds, mais qu’on n’a pas de champion du monde de la compassion. Avoir une Coupe du monde de la Compassion, voilà qui serait vraiment intéressant !

Toute cette façon de penser est même plus insidieuse encore quand on considère notre système occidental de vote pour nos dirigeants politiques, lequel repose aussi sur la jalousie, la rivalité et le fait de se vendre comme candidat en rendant publique la manière dont nous valons mieux que nos rivaux. Cette méthode est même considérée comme digne de louange et comme une chose que le monde entier devrait adopter.

Il est intéressant d’imaginer ce qui arriverait si on essayait de transposer ces valeurs dans la société tibétaine. La société tibétaine valorise l’humilité et méprise vraiment quiconque dit qu’il est meilleur qu’un autre. Faire cela est considéré comme un très mauvais trait de caractère. La démocratie et faire campagne pour gagner des voix sont deux choses totalement étrangères et qui ne marchent pas dans ce type de société. Personne ne voterait jamais pour quelqu’un qui dirait : « Je vaux mieux que cette personne. » Au lieu de cela, on dirait probablement : « Je ne suis pas si qualifié, je ne suis pas si bon. » C’est réellement assez différent ! Cela ne fait juste que souligner combien nos valeurs sont culturellement spécifiques. Elles ne sont pas universelles. On entend le Dalaï-Lama se décrire comme un simple moine et dire de lui qu’il ne sait rien. Et c’est le Dalaï-Lama qui dit cela ! 

Il est clair que, quand la jalousie, la compétition et l’orientation vers le succès ont été si fortement mis en avant par la propagande de notre culture depuis l’époque de la Grèce ancienne et au-delà, il est difficile d’aller instantanément vers les méthodes bouddhiques consistant à se réjouir de la victoire des autres. Dans les méthodes bouddhiques d’entraînement de l’esprit, la pratique consiste à donner la victoire aux autres et de totalement prendre sur soi la défaite. Pour nous Occidentaux, c’est une pilule réellement difficile à avaler !

Réévaluer les valeurs culturelles

En tant qu’Occidentaux, une bonne façon de commencer consiste à réévaluer la validité de nos valeurs culturelles ainsi que les formes de jalousie et de compétition fondées sur les théories qui sont les nôtres. Si on les analyse en profondeur, on peut voir comment elles contaminent nos relations personnelles et comment nous traitons les autres. En proie à la concurrence, nous devons réussir ; en conséquence, dans les relations personnelles, nous devons obtenir la plus belle princesse ou le plus beau prince sur son cheval blanc. Alors, tout le monde nous admirera, n’est-ce pas ainsi ? Pensez-y, combien parmi nos parents seraient réellement heureux si nous épousions quelqu’un de vraiment riche. Si on se mariait avec une personne vraiment bonne mais sans aucun argent, sans doute ne seraient-ils pas aussi heureux. Je pense à nombre d’entre nous à l’Ouest, souvent nous pouvons être plutôt jaloux quand quelqu’un d’autre se trouve un(e) riche partenaire, et nos parents peuvent être assez jaloux d’autres familles dont les enfants ont de riches partenaires. 

Donc, tout d’abord, c’est une bonne idée de réévaluer nos valeurs culturelles, pour voir si ce sont vraiment des choses que nous pouvons accepter, ou s’il s’agit juste de bonne vieille propagande.

Un exemple nous aidera à voir la relativité de notre jalousie culturellement héritée et de notre sentiment de compétition, c’est celui d’un marché indien ou bazar. En Inde et au Moyen Orient, et bien sûr historiquement à l’Ouest, on trouve ces marchés où, étal après étal, échoppe après échoppe, la même marchandise est proposée à la vente, depuis les vêtements jusqu’aux bijoux en passant par les légumes, etc. Tous les vendeurs restent assis les uns à côté des autres, buvant du thé et bavardant tout au long de la journée. Le cadre mental derrière ça, c’est que cela dépend du karma si on fait de bonnes affaires ou non. Si les choses marchent bien pour vous, c’est votre karma. Si elles ne marchent pas, c’est encore votre karma. 

Ils ne pensent pas : « Comment puis-je surpasser les autres ? » Il s’agit d’une chose culturellement héritée. En vérité, il existe une loi allemande vous interdisant de mettre une boutique à côté d’une autre qui vendrait exactement la même chose. Vous pouvez attaquer en justice le propriétaire qui loue l’autre emplacement pour installer une boutique du même type. Cela dépend beaucoup de la culture. Nous pourrions penser que la façon dont nous faisons les choses est la façon dont le monde entier les fait, ou comme il devrait les faire. Nous devons dépasser cela.

La jalousie, en tant qu’intolérance à la rivalité ou à l’infidélité

Tous nous faisons l’expérience d’une certaine forme de jalousie au travail ou avec les amis, etc. Mais, à l’Ouest, nous parlons d’une forme légèrement différente de jalousie qui nous procure plus de souffrance. Si vous regardez à « jalousie » dans un dictionnaire, on dit qu’il s’agit d’une « intolérance à la rivalité, ou à l’infidélité ». Par exemple, nous éprouvons de la jalousie si notre partenaire flirte ou passe beaucoup de temps avec les autres. Il y a intolérance comme si l’autre personne était infidèle simplement en voulant être avec quelqu’un d’autre. Il s’agit là d’un(e) rival(e).

Un autre exemple que nous avons déjà mentionné est celui du chien quand un nouveau bébé arrive dans la maison. Le bébé est le rival en ce qui concerne l’attention du maître. Le maître va jeter des os au bébé et non au chien. Comme pour la jalousie telle que définie par le bouddhisme, il y a un élément de ressentiment, ajouté à un fort sentiment d’insécurité et de méfiance.

L’insécurité

Dans le bouddhisme, la manière de gérer l’insécurité constitue une discussion entièrement différente. Si nous nous sentons en insécurité, alors, quand un(e) partenaire est avec quelqu’un d’autre, nous devenons jaloux. Nous sommes peu sûrs de nous et de notre valeur, ou de son amour pour nous. Il y a aussi un manque de confiance vis-à-vis de notre partenaire et la peur que ce « moi » risque d’être abandonné.

De nouveau, pour gérer ce genre de jalousie, nous devons devenir conscient de l’égalité de tout le monde, mais d’un point de vue légèrement différent. En réalité, pour nous Occidentaux, c’est un peu plus facile à gérer dans la mesure où cet aspect n’est pas aussi culturellement chargé que certains autres. Il s’agit d’un sentiment spontané. Nous n’avons donc pas besoin de gérer au bagage culturel qui viendrait se greffer dessus. Personne n’a besoin de nous apprendre à nous sentir en insécurité, bien que je sois sûr que certains diront que notre enfance exerce quelque influence. Par exemple, un bébé qui est constamment porté sur le côté ou dans le dos de sa mère, comme cela se fait habituellement en Asie, se sent de loin plus en sécurité qu’un bébé qu’on laisse juste livré à lui-même dans son berceau. Imaginez ce que c’est pour un bébé que d’être dans une poussette quand la mère traverse la rue. Vous voyez toutes ces grosses voitures bruyantes qui vont et viennent, mais vous ne voyez pas la mère. Comment le bébé est-il supposé se sentir en sécurité ? D’une certaine façon, l’insécurité naturelle est renforcée culturellement, mais il s’agit là d’une tout autre discussion.

En matière d’insécurité, on doit penser à l’égalité de tous en rapport avec un certain aspect de notre nature-de-bouddha. Ce facteur est que le cœur a la capacité d’aimer tout le monde. Cela peut nous aider grandement avec la jalousie car on voit qu’il est parfaitement naturel pour un(e) ami(e) ou un(e) partenaire d’avoir la capacité d’aimer et de se comporter très amicalement avec de nombreuses personnes, pas seulement une. Et, s’il vous plaît, ne prenez pas cela comme une approbation de la proximité sexuelle. Au lieu de penser que « je » suis la seule personne exclusive à occuper la place la plus importante dans le cœur de notre partenaire ou ami(e), nous élargissons la situation. De bien des manières il nous faut alors développer la compassion quand nous nous sentons ainsi, parce que nous ne comprenons pas la capacité de la nature-de-bouddha à être amicale et chaleureuse envers tout le monde.

Pas seulement un(e) seul(e)

Vidéo : Telo Rinpoche — « Surmonter la jalousie dans nos relations »
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Tout d’abord, c’est de l’astrologie que j’ai appris cet intéressant aperçu. Nous sommes toujours à la recherche de l’être spécial, et avec l’astrologie il se peut que nous cherchions à harmoniser les planètes et trouvions quelles planètes aspectent favorablement notre Vénus. Mais si vous y réfléchissez, il doit y avoir des millions et des millions de personnes dont la Vénus aspecte bien la nôtre. Qu’y a-t-il de si spécial à propos de tel être particulier ? Pourquoi y aurait-il seulement un prince ou une princesse ici-bas qui puisse m’aimer ?

Il est réellement important d’ouvrir nos cœurs à tous. Si notre partenaire n’est pas dans cette disposition, alors nous devons avoir de la compassion à son égard. C’est une chose qu’il ou elle doit apprendre. Quand nous ouvrons nos cœurs, cette personne dont nous sommes tellement jaloux qu’elle soit avec quelqu’un d’autre, prendra moins de place dans nos vies. Elle n’est pas la seule personne au monde que nous pouvons aimer. Avec un cœur ouvert, nous pouvons avoir une incroyable quantité d’amour pour nos amis, nos partenaires, nos animaux de compagnie, nos parents. Nous pouvons aimer notre pays, notre peuple, la nature, notre Dieu, notre passe-temps, notre travail. La liste est longue.

Nous pouvons gérer tous ces objets de notre amour, car notre cœur est assez grand pour tous. Nous pouvons exprimons notre amour – et ceci est un point important – d’une façon appropriée qui corresponde à chaque personne ou chose que nous aimons. Bien entendu, nous n’exprimons pas notre amour à notre chien de la même manière que nous l’exprimons à notre mari ou notre épouse, ou à nos parents. En vérité, si notre partenaire sexuel est infidèle, ou même s’il n’a pas de relation sexuelle avec d’autres gens mais qu’il passe tout son temps en dehors de la maison ou avec d’autres amis, ce n’est jamais une réponse émotionnelle utile de se sentir jaloux ou possessif. Cela n’arrange pas la situation.

Quand on réagit avec jalousie et possessivité, c’est en partie dû à l’influence culturelle. Si on pense à une épouse japonaise traditionnelle et à une épouse occidentale traditionnelle, confrontées à la situation où le mari sort beaucoup avec d’autres hommes de son bureau, elles en feront l’expérience émotionnelle de manière assez différente. Leur culture est différente, on doit donc à nouveau examiner dans quelle mesure la réponse est culturelle, et dans quelle mesure il s’agit d’une réponse naturelle automatique. Cela peut s’avérer d’une réelle importance dans les mariages entre cultures différentes. Nous avons souvent tendance à minimiser les influences culturelles dans nos émotions. C’est également pertinent quand on a un couple composé de partenaires de différentes générations, car ils peuvent avoir des valeurs différentes également.

Ouvrir nos cœurs

Si on pense que l’amour et l’amitié étroite ne peuvent avoir lieu qu’avec une seule personne exclusivement, et si cette personne a un(e) autre ami(e) et qu’alors il n’y a plus de place pour moi, il s’agit là de jalousie. Nous devrions voir que tout ceci repose sur un « moi » solide qui se considère comme spécial. À quoi donc alors ressemblerait un bouddha, quand il aime tous les êtres de manière égale ?

Quand un bouddha est avec quelqu’un, il ou elle est concentré(e) à cent pour cent sur cette personne. Sa Sainteté le Dalaï-Lama est un excellent exemple d’amour égal envers tout le monde, et chaque année, chaque jour même, il est en rapport avec tellement de gens différents. Toutes celles et ceux qui le rencontrent expriment ce sentiment que quand ils sont avec lui, il est absolument concentré sur eux, mais non en vous fixant du regard d’une de ces façons intenses et terrifiantes. Son cœur est juste totalement à cent pour cent avec vous. Même quand il regarde autour de lui dans le public, on a d’une certaine façon cet extraordinaire sentiment. Cela vous fait presque sentir spécial, mais pas d’une façon bizarre, égocentrique. C’est juste parce qu’il est à cent pour cent concentré avec son cœur sur chaque personne qu’il rencontre. Ce n’est pas un sentiment diffus, du seul fait qu’il y a là beaucoup, beaucoup de monde tout autour. On se sent littéralement ravi par une certaine énergie d’amour quand Sa Sainteté vous regarde tout simplement. C’est ce vers quoi nous devons tendre !

Il s’agit là d’un point incroyablement important. Sa Sainteté insiste toujours sur le fait que le moyen pour dépasser des sentiments comme la jalousie, la rancune, etc., se fait réellement grâce à la compassion et l’ouverture du cœur en nous.

Mais, à notre stade, il est encore difficile pour la plupart d’entre nous d’ouvrir nos cœurs ne serait-ce qu’à une seule personne quand nous ne sommes pas sûrs qu’elle ne va pas nous blesser. Donc, c’est à peine si nous ouvrons nos cœurs. Comment, à partir de là, nous ouvrons-nous à tous les êtres dans l’univers ? Si nous nous ouvrons lentement et réalisons qu’il n’y a rien à craindre, que nous pouvons aimer plus d’une personne, alors la douleur qu’une certaine personne ne nous aime pas en retour ne sera pas si dure. Après tout, tout le monde n’aimait pas le Bouddha Shakyamouni, donc qu’espérons-nous, que tout le monde va nous aimer ?

Je trouve cet exemple du Bouddha Shakyamouni très utile. Il y a tellement d’histoires au sujet de son cousin, Devadatta, qui le haïssait réellement. Devadatta était toujours jaloux du Bouddha et essayait de lui nuire de toutes sortes de façons. Il est bon de penser à ça. Quand quelqu’un nous critique ou ne nous aime pas, que pouvons-nous espérer ? Voyez l’exemple actuel de Sa Sainteté le Dalaï-Lama et des Chinois. Imaginons que nous avons toute une nation, un gouvernement tout entier, et des tonnes de propagande diffusées partout dans le monde et répandant la haine contre nous. Si une personne ne m’aime pas, ou si elle va avec quelqu’un d’autre, ce n’est pas grave. Quand on en voit la relativité, ce n’est pas la fin du monde. Pensez à l’expression anglaise : « il n’y a pas qu’un seul poisson dans l’océan ».

L’absence de peur

On a parfois l’idée que si nous ouvrons nos cœurs à beaucoup de gens, alors nos relations personnelles seront moins satisfaisantes. Mais il n’y a rien à craindre. Nous serons juste moins collant et moins dépendant d’une seule relation qui soit gratifiante en tout. Nous passerons moins de temps avec chaque individu, mais chaque personne sera un engagement total.

Nous en venons aussi à réaliser qu’il en va de même avec l’amour de notre ami(e) à notre égard. Il n’y a aucune raison de penser que s’il (ou elle) a d’autres amis, cela signifie que son amour pour nous est, d’une certaine façon, dilué. Pourquoi les gens n’auraient-ils pas beaucoup d’amis ? Cela ne veut pas dire qu’il y aura moins d’amour pour nous, comme si l’amour était comme de la nourriture dans un réfrigérateur. L’amour n’a rien à voir avec ça.

Dissiper le mythe

À nouveau, nous en arrivons à un phénomène culturel, comme quoi nous entretenons ce mythe qu’une personne sera le complément spécial, parfait pour nous, notre autre moitié qui nous complétera de toutes les manières, avec qui nous pourrons partager chacun des aspects de notre vie. C’est un mythe irréaliste. Il vient de Platon, un philosophe de la Grèce ancienne, qui disait qu’à l’origine nous formions tous des sortes de boules, des « sphères », mais qu’à un certain moment nous avons été coupés en deux. Cela donne comme objectif dans la vie de trouver notre autre moitié, qui sera le complément parfait et fera de nous à nouveau un « tout ». Il semble que c’est ce mythe qui se tient derrière toute l’histoire occidentale du romantisme. Malheureusement, tout comme le Père Noël ou le Lapin de Pâques, il s’agit d’un mythe. On a ici le Prince charmant sur son cheval blanc, qui est le concept occidental du romantisme, mais il n’en va pas de même dans les autres cultures.

Nous projetons l’espoir que cette autre personne sera notre autre moitié. Mais quand elle ne se confond pas avec nous, ne passe pas tout son temps avec nous ou ne partage pas tous ses secrets avec nous, alors nous devenons jaloux. Nous sommes contrariés et éprouvons de la colère. Si elle partage la moindre petite chose de sa vie avec quelqu’un d’autre, nous sommes très jaloux. Mais quand on y pense, c’est plutôt déraisonnable d’espérer que nous allons être en mesure de partager chacun des aspects de nos vies avec juste une personne. Une attitude plus réaliste serait de trouver un groupe qui puisse partager notre intérêt particulier, par exemple, dans les sports. Pourquoi devrions-nous attendre de notre épouse qu’elle partage notre intérêt pour le football ?

Cela devient plus intéressant quand nous ne partageons pas chaque petit aspect de notre vie avec juste une personne. Les gens ont tellement d’intérêts variés qu’il est bon de les partager avec des gens différents. De la sorte, nous apprenons des choses. Si nous n’avons pas cette attente mythique d’une relation gratifiante en tout point, cela diminue alors notre susceptibilité à la jalousie.

Déconstruire la jalousie

Nous avons examiné certaines manières de commencer à déconstruire nos problèmes émotionnels. Quand nous sommes la proie d’une émotion perturbatrice, nous pouvons commencer par l’analyser au lieu d’en faire cette grosse chose solide – la jalousie ! Si nous faisons cela, elle devient cette chose solide et pesante, avec des lignes tout autour. Quand on commence à analyser, on voit que la jalousie est constituée de différentes parties, comme le ressentiment, l’avidité, des attentes déraisonnables. Il y a des éléments issus de notre culture, il y a la concurrence, un peu de mauvaise estime de soi, et de l’insécurité. Nous pouvons déconstruire ces composantes, et ce n’est plus aussi lourd, ce n’est plus ce gros monstre. Nous pouvons alors commencer à appliquer différentes stratégies pour gérer les différents aspects en jeu.

La puissante médecine de l’ouverture du cœur

Dans le bouddhisme, la compréhension du vide (la vacuité) et la manière dont le « je » et le « tu » existent sont considérées comme le plus puissant médicament que l’on puisse appliquer. Un autre remède, sur lequel Sa Sainteté insiste toujours, consiste à ouvrir son cœur. C’est là où l’on voit que nous avons la capacité d’aimer tous les êtres. On ne parle pas d’avoir des rapports sexuels avec tout le monde. On entend par là entretenir une relation chaleureuse, amicale, ouverte avec un grand nombre de gens. Et si une relation ne fonctionne pas, alors ça va, rien de grave. On peut se sentir triste pour l’autre personne du fait qu’elle ne réalise pas que le cœur peut s’ouvrir à un grand nombre de gens. Une heure passée avec quelqu’un où nous sommes totalement présents en y mettant tout notre cœur, est plus épanouissante qu’une vie tout entière passée avec quelqu’un en ayant nos cœurs totalement fermés, n’est-ce pas ? 

Questions

Comment pouvons-nous aider une personne jalouse ?

Cela dépend si la jalousie de la personne est dirigée contre nous, comme dans le cas où nous ne lui accordons pas assez de temps, ou si elle est dirigée contre quelqu’un d’autre. Le remède général pour quelqu’un qui est jaloux de nous, par exemple, et qui se sent contrarié parce que nous ne passons jamais assez de temps en sa compagnie mais passons beaucoup de temps avec les autres, revient au même que d’avoir notre cœur pleinement engagé quand nous sommes avec cette personne. Nous pouvons donner l’explication suivante : « J’ai un grand nombre d’autres choses à faire, mais je peux t’accorder un certain temps. » C’est une façon de dire non et de fixer certaines limites sans que la personne se sente abandonnée. Bien sûr, si vous êtes marié avec quelqu’un, alors c’est différent. Vous devriez essayer de partager votre petit déjeuner ou d’avoir une activité commune chaque jour. Ce ne sera peut-être pas grand chose mais au moins nous pouvons accorder à notre conjoint une certaine durée de temps.

Ma sœur me demande constamment de l’appeler tout le temps au téléphone, et je ne le fais pas. Je l’appelle tous les samedis à une certaine heure, et elle peut compter sur ça. Alors nous parlons pendant une heure et je suis pleinement avec elle pendant cette heure. Malgré tout, durant la semaine, elle me demande toujours de l’appeler, et je lui dis simplement que je lui parlerai le samedi qui vient. De cette façon elle ne se sent pas abandonnée ni rejetée. Je considère que c’est la meilleure manière de procéder. Pendant le temps où vous êtes avec la personne, ne regardez pas votre montre sans arrêt, en vous demandant si vous pouvez vous échapper car vous êtes tellement occupé. Au lieu de cela, soyez avec la personne à cent pour cent, de tout votre cœur. Cela aide grandement. Le mot clé est : « c’est notre temps à nous, notre moment spécial » – d’ordinaire cela est convaincant.

Dans une situation où il y a concurrence, on n’a pas vraiment envie d’avoir un moment spécial avec cette personne, en particulier si on a réussi quelque chose ou quand on a été récompensé pour cette chose, et qu’elle en est jalouse. Comment gérer cela ?

Il est important ici de déconstruire l’identification du « je » avec cette situation particulière. La récompense est juste un tout petit aspect. Vous avez peut-être reçu une récompense dans le domaine sportif, académique, artistique, mais vous pouvez toujours faire remarquer qu’il y a de bien meilleurs athlètes, savants ou artistes que vous. Il existe des millions de qualités et il y aura toujours quelqu’un de meilleur que vous dans la plupart de ces disciplines. De même, faites savoir qu’il ne s’agit pas de la seule chose à votre propos : « Tu me connais. En dehors de celle-ci, il y a bien d’autres choses me concernant, pour lesquelles j’ai gagné une récompense. »

Mais qu’en est-il s’il y a des commentaires narquois ?

Les sarcasmes surgissent ordinairement quand il y a un sentiment de basse estime de soi. En pointant du doigt les domaines dans lesquels les gens sont meilleurs qu’eux, cela renforce leur estime de soi. Ils nous rabaissent car ils se sentent attaquer et qu’ils pensent qu’ils ne sont bons à rien. Vous pourriez vouloir mettre en avant le prix que vous avez dû payer pour gagner cette récompense. Mettons que vous avez dû entreprendre une incroyable série d’entraînements pour gagner une compétition sportive, ou faire une quantité de recherches inimaginables, ou passer beaucoup de temps à travailler, et que vous auriez souhaité avoir du temps pour faire ce qu’ils font. Ce n’est pas comme si vous deviez vous vanter en disant : « Oh, j’ai investi beaucoup de travail, contrairement à vous », mais dites-le de manière plus réaliste : « Bon, ce n’était pas si dur, j’ai fait de gros sacrifices mais ce n’était pas si dur de gagner. » Vous relativisez la chose, la rabaissant du haut niveau où tout est  tellement merveilleux. Par ailleurs, en admirant chez eux quelque chose que vous n’avez pas, cela les met sur un plus grand pied d’égalité avec vous.

Il est important également de ne pas faire de vous une victime. Je me poserai en tant qu’exemple. Dans ma vie, j’ai accompli beaucoup en termes de voyage, d’études ainsi que dans le genre de travail que j’ai mené. Souvent de vieux amis d’enfance et de collège me disent qu’ils auraient souhaité avoir fait ce que j’ai fait, et réaliser ce que j’ai accompli. Ils diront que tout ce qu’ils ont fait n’était qu’une forme d’entreprise fructueuse, comme d’élever une famille, des choses de ce genre. Je leur dirai : « Voyez le prix que j’ai payé : je ne me suis jamais marié, je n’ai jamais eu de famille », et ils me diront : « Oui, mais ce n’est pas si important. » Pour ma part, je dirai toujours : « Si, c’est aussi important dans une vie. Si on met toute son énergie dans une chose, alors on n’est pas capable de la mettre dans quelque chose d’autre. J’admire que vous ayez eu vos expériences dans la vie. De cette façon vous pouvez partager avec moi ce que vous avez appris, et je peux partager avec vous ce que j’ai appris. »

Dès lors nous sommes sur un pied d’égalité, il n’y a pas de « pauvre moi » parce que je ne me suis jamais marié. Je suis parfaitement heureux dans ma vie. Mais, en nous plaçant sur un même plan, du fait que nous avons tous deux réalisé quelque chose, alors la jalousie et l’envie s’en trouvent totalement diminuées. La clé est d’avoir et de montrer du respect pour eux. En aucune façon je ne suis une meilleure personne à cause de ce que j’ai fait. Nous devons aider l’autre personne à voir ses propres qualités.

Il s’agit aussi d’un aspect sain de la jalousie. Cela vous fait travailler à quelque chose ou questionner la façon dont vous avez fait les choses auparavant.

Je suppose que cela pourrait marcher avec certaines personnes de dire qu’il y a un côté sain à la jalousie qui pousserait la personne à travailler plus dur, une forme d’émulation. Je ne nierai pas que cela pourrait marcher avec certains. Mais on doit faire attention ici parce que, à dire vrai, « on joue avec le feu ». Cela pourrait conduire facilement à une expérience de compétition lourde, où on essaie de surpasser les autres ou soi-même. Nous pourrions être poussés à faire de mieux en mieux et à atteindre notre meilleur. C’est un peu dangereux car cela renforce très fortement le sentiment du « moi ». « Je dois faire mieux. » Pourquoi ? À cause de « moi ».

Dans le bouddhisme, on a cet objectif d’atteindre l’illumination, le stade d’évolution le plus élevé possible. La motivation, toutefois, n’est jamais parce que nous voulons être le meilleur que nous pouvons être. Nous sommes poussés à nous améliorer afin de pouvoir mieux aider les autres, non par jalousie, en compétition avec nous-mêmes. C’est beaucoup plus sain et cela conduit à moins d’émotions perturbatrices. Quand on veut faire de mieux en mieux pour soi-même, cela accroît les émotions perturbatrices. On se punit et on se force sans savoir quand faire une pause. Assurément, dans toute la voie du Mahayana, il y a une grande somme de sagesse.

Par ailleurs, une motivation compétitive et jalouse est un parcours très lourdement émotionnel. Le sentiment du « je ne suis pas assez bon, j’aurais dû mieux faire » est noué par la culpabilité. Atteindre l’illumination pour aider les autres n’est pas une course. Il est utile d’avoir des outils structurels pour déconstruire nos émotions afin de voir ce qui est réellement en jeu. Une fois qu’on a fait ça, nous ne devrions pas nous enfermer dans des catégories mais affronter véritablement nos vies. 

Je peux vous faire partager l’exemple d’une bonne amie à moi qui est psychiatre à Philadelphie. Elle travaille avec certaines des populations les plus violentes, et s’occupe de jeunes entre dix-huit et vingt-quatre ans vivant dans les parties les plus déprimantes de cette ville. C’est sa spécialité et elle est celle qui réussit le mieux dans sa capacité à traiter avec ces populations, et ceux-ci l’aiment de manière absolue et ne peuvent attendre pour lui parler. Ce sont des gens qui sont déjà sans domicile fixe, qui ont plusieurs enfants âgés de dix-huit ans pour la plupart, certains avec des problèmes de drogue et de prostitution, d’autres séropositifs au VIH. Personne n’est capable d’atteindre ces gens sauf elle. 

Naturellement ses collègues lui demandent toujours quel est son secret, comment peut-elle réussir à ce point à communiquer avec ces jeunes gens. Tout d’abord, dit-elle, quand elle est avec eux, elle l’est à cent pour cent, et elle ne met de pas de frontières temporelles. Si vous deviez leur dire : « OK, votre temps est fini, maintenant partez s’il vous plaît », vous ne savez jamais si l’un d’entre eux ne sortira pas un pistolet pour vous tuer, car ils peuvent devenir très violents. Donc, la première règle consiste à être avec la personne. Un de leurs gros problèmes, c’est que personne n’a jamais vraiment eu de temps à leur consacrer.

Ensuite, dit-elle, elle ne les range pas dans des catégories. Elle dit que tout le système psychiatrique est fondé sur le remplissage de documents pour les compagnies d’assurance, car vous devez établir et poser un diagnostic. Telle personne est schizophrène ; telle autre, quelque chose d’autre. Les catégories apprises à l’école peuvent être utiles non seulement à des fins d’assurance mais comme directives utiles pour gérer différentes maladies. Cependant, quand vous commencez à penser aux gens en termes de catégories, ce n’est pas efficace. Vous devez oublier tout ça et juste traiter avec la personne, être ouvert à elle, et prendre en compte sa situation individuelle.

C’est pareil pour la gestion de nos propres problèmes émotionnels. Nous avons une analyse générale ou une stratégie, mais ensuite nous devons traiter avec nous-mêmes comme avec de simples êtres humains. Nous ne sommes pas une catégorie, un article mis « dans le commerce, posé là sur une étagère, et proposé à la vente », mais des êtres humains. C’est comme si nous étions des alcooliques, il est important dans ce cas de s’identifier comme « je suis un alcoolique », mais ce qui arrive souvent c’est qu’on est tellement enfermé dans l’identité d’un alcoolique qu’on devient dépendant des groupes d’entraide, etc. Nous sommes terrifiés à l’idée de quitter les groupes et de prendre en charge nos vies. Bien qu’au départ il soit utile de partager des thérapies avec d’autres, il est également crucial pour les gens de réaliser que nous sommes des êtres humains avec de nombreux aspects, et de s’entendre simplement avec la vie. Nous ne devrions pas rester coincés dans une catégorie mais vivre nos vies.

Résumé

Si nous voulons surmonter nos émotions perturbatrices, comme la jalousie, nous voyons qu’il est réellement important d’analyser d’abord nos sentiments. Il y a diverses formes de jalousie et, bien entendu, chacune demandera une méthode différente pour la contrer.

Quand on regarde un peu plus profondément, on en vient à réaliser que la jalousie est en fait juste un symptôme d’un problème beaucoup plus vaste. C’est uniquement parce que nous sommes fondamentalement confus sur la manière dont nous et les autres existons que nous pouvons à l’occasion devenir jaloux. À cause de cette confusion, nous devenons réellement attachés à notre propre situation, en pensant que nous sommes toujours le perdant et que les autres sont toujours les gagnants, ou encore que les amis devraient toujours avoir du temps pour nous et ne pas le passer avec d’autres.

Quand on ouvre son cœur et son esprit, en voyant comment le « je » et le « tu » existent véritablement, on peut commencer à créer une vie pleine de relations épanouissantes avec une grande variété de gens, et faire en sorte que les sentiments de jalousie qu’on éprouve diminuent.

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