Déconstruire la jalousie : il n’y a ni « moi » spécial ni « toi » spécial

De manière ultime, la jalousie ne vient pas des autres mais de trop penser à soi. Dès lors qu’on s’attache de plus en plus à un aspect particulier de notre vie, quiconque fait ne serait-ce que légèrement mieux dans ce domaine, une telle personne deviendra une cible pour notre jalousie. Sous-jacent à tout cela se tient le « moi ». Nous verrons ici comment il n’y a véritablement rien de tellement spécial à notre sujet ou au sujet de n’importe qui d’autre, et la manière dont nous pouvons nous servir de cette compréhension pour nous aider à surmonter les émotions perturbatrices.

Passer en revue les aspects de la jalousie

Notre discussion sur la jalousie nous conduit maintenant à une discussion à propos du « soi ». Comprendre comment nous existons, et comment tous les autres existent, est central en ce qui concerne les questions entourant la jalousie.

Comme nous l’avons vu, le bouddhisme définit la jalousie comme une forme d’hostilité, une attitude émotionnelle qui se focalise sur les accomplissements des autres. Cela peut être leur intelligence ou leurs possessions, leur belle apparence ou leur richesse, leur réussite ou leur statut. Cela peut se focaliser sur leurs relations, le fait par exemple qu’ils aient un(e) partenaire ou des enfants, contrairement à nous. Nous ne pouvons pas supporter qu’ils aient ceci ou cela, et nous sommes dans l’incapacité de souffrir leurs accomplissements.

Ce ressentiment repose sur l’attachement à notre propre situation et à nos propres performances. Par exemple, nous considérons la quantité d’argent que nous avons sur notre compte en banque, et nous savons que les autres en ont plus. Nous exagérons les qualités positives et l’importance d’avoir plus d’argent à la banque, faisant de cette situation un des aspects les plus cruciaux de la vie, et nous fondons alors le sentiment de notre valeur personnelle dessus. Nous pouvons faire cela avec intelligence, élégance et détente. Toutefois nous ne supportons pas que quelqu’un d’autre fasse mieux que nous dans ce domaine. C’est ça la jalousie, et son contraire c’est de se réjouir de ce que les autres ont réalisé.

La question du « moi »

Comprendre ces aspects de la jalousie est le premier niveau pour traiter le problème. Cependant, derrière tout cela se tient la question du « moi ». En dernier ressort, c’est ce sur quoi nous devons travailler pour être sûrs que nous ne devenons pas jaloux. Ce qui est fautif, c’est la manière dont nous sur-exagérons un aspect de la vie et fondons le sentiment de notre estime et de notre valeur personnelles dessus. C’est seulement sur cette base que nous devenons jaloux, et cela nous amène à la question de l’identité du soi : « Qui suis-je ? » Comment nous définissons-nous ? Est-ce en fonction de notre argent, de notre bonne apparence, ou de notre position dans la vie ? Beaucoup de gens fonctionnent ainsi, n’est-ce pas ? « Je suis un médecin », « je suis un parent », « peu importe ce qu’on est ».

En agissant ainsi, nous surinvestissons le « moi », le définissant comme une chose solide qui pourrait avoir une identité solide. Nous croyons qu’elle est le vrai « moi », et que c’est cette chose qui est le vrai « moi ». Elle devient alors la seule chose qui compte dans la vie, et nous rejetons tout le reste comme sans importance. C’est seulement cette chose, c’est-à-dire combien d’argent nous avons à la banque, qui compte réellement. Pour beaucoup d’entre nous, c’est ce que nos parents nous ont dit !

Il est important de reconnaître que cela ne concerne pas juste les choses matérielles, comme l’argent, la position sociale, etc., mais que cela concerne également l’affection. Certains parmi nous pourraient penser que la chose la plus importante dans la vie est de recevoir de l’affection ou de l’amour. On pense alors que quelqu’un d’autre en bénéficie et pas nous, et nous fondons notre sentiment d’estime de soi là-dessus. C’est plus subtil que les choses matérielles. Bien entendu, nous sommes follement jaloux si tous les gens que nous connaissons ont de merveilleux partenaires amoureux, tandis que nous, nous sommes seul à la maison. Nous devons également traiter ces questions plus subtiles pour être vraiment sûrs d’éradiquer ce problème de jalousie.

Une réflexion : l’importance excessive accordée à un aspect de notre vie

Prenez un moment pour réfléchir à ceci. La plupart d’entre nous avons fait l’expérience de moments ou de périodes de jalousie. Nous avons eu des phases dans notre vie où la jalousie nous a rendus misérables. Essayons d’identifier dans notre expérience ce qui la sous-tend. Quelle était cette chose que nous considérions comme la plus importante dans la vie, devenant jaloux si nous ne l’avions pas ou que quelqu’un d’autre en avait plus ? Réfléchissez-y. Est-ce que cette chose est vraiment la plus importante dans la vie, et la seule qui me décrive, et qui suis-je ? « Je suis quelqu’un qui n’a pas de partenaire », par exemple. Est-ce la seule chose que nous pouvons dire à notre propos ? Si nous devions mourir et que quelqu’un devait résumer notre vie en une phrase, est-ce cela que nous aimerions avoir pour épitaphe ? Est-ce la seule chose de nous dont nous aimerions que les autres se souviennent ? En raisonnant de la sorte, c’est une bonne façon de voir la stupidité de la chose.

En rendant la chose stupide, nous voyons la sottise qu’il y a à se focaliser sur une seule chose. Quand nous pensons : « Voilà qui je suis, il s’agit de la chose la plus importante, et je ne peux pas supporter que quelqu’un d’autre soit meilleur que moi », cela nous aidera à voir tout le comique de la chose et à le surmonter. Si vous ne voyez pas combien c’est ridicule, alors il est très difficile de s’en défaire. Prenez un moment pour réfléchir ainsi en partant de votre propre expérience personnelle de la jalousie.

[méditation]

Convoitise, envie, avidité, piètre estime de soi, et autres émotions perturbatrices

Si vous avez pris un moment pour réfléchir, il se pourrait que vous ayez entrevu ce à quoi le bouddhisme fait appel quand il parle de jalousie. En Occident, on parle aussi d’envie, mais il n’existe pas de mot séparé pour dire cela en sanskrit et en tibétain. L’envie surajoute à la jalousie ce que le bouddhisme appelle la « convoitise », où non seulement nous surinvestissons un domaine de la vie et ne pouvons supporter quand quelqu’un est meilleur que nous, mais où nous voulons également l’avoir pour nous. C’est ça l’envie. Nous sommes envieux.

Cela donne lieu à deux situations. En premier lieu, cela peut être que nous ne disposons pas de telle ou telle chose, et que nous voulons avoir ce que quelqu’un d’autre a. En second lieu, il se peut que nous en ayons déjà une certaine quantité, qui en fait pourrait suffire, mais, comme nous sommes avides, nous en voulons plus parce que l’autre personne en a plus. Dans ce second cas, cette avidité conduit à la compétition, qui nous fait souhaiter surpasser l’autre personne.

Il y a beaucoup d’autres états émotionnels perturbants qui sont associés et s’élèvent à partir de cet aspect très basique qu’on définit comme étant la jalousie. Pourtant, sous tous ces états, on trouve ce même problème lié à notre concept du « moi ». Nous pensons que nous sommes spéciaux. Nous pensons que nous sommes importants. Ainsi, nous devrions toujours être le premier et toujours avoir le meilleur. Nous ne considérons pas les autres comme des égaux ou ne pensons certainement pas qu’il serait bien que les autres aient les mêmes choses que nous. Dû à ce puissant sentiment d’un « moi », nous devons être meilleur qu’eux.

Comme nous l’avons vu, de nombreux aspects de notre société renforcent la jalousie et la compétition. Nous glorifions les champions sportifs, les célébrités, les milliardaires, dans des magazines qui les montrent à grand renfort de publicité. Pareil à une maladie, cela contamine notre attitude sur la manière de mener nos vies, de gérer notre travail et nos relations. Si seuls les plus adaptés et les plus forts survivent, alors nous devons simplement entrer en compétition avec tout le monde, et être jaloux quand quelqu’un fait mieux.

Toutefois, la jalousie n’est pas toujours associée à la concurrence, car parfois la jalousie tourne autour de notre valeur personnelle. Si on a une piètre estime de soi, laquelle, à cause de raisons diverses, est un problème endémique dans la culture occidentale, on peut devenir très jaloux de ce que les autres ont réalisé. Cela ne conduit pas vraiment à la compétition, mais à un sentiment du genre : « Il me serait probablement impossible de réaliser cela, je ne suis pas assez bon. » Nous n’essayons même pas, et finissons par nous sentir mal. Nous sommes vraiment désolés pour nous de constater que tout le monde réussit tellement bien tandis que « moi, je suis un raté, un perdant ». C’est une autre façon où cet aspect de surinvestissement et de préoccupation à propos de « moi » se manifeste sous forme de jalousie.

Différences de centre d’intérêt à l’Ouest

Dans le bouddhisme, nous analysons la jalousie en prenant comme centre d’intérêt les accomplissements des autres, ce qui nous rend hostile à leur égard. Il y a d’autres formes de jalousie dont nous faisons l’expérience avec un centre d’intérêt légèrement différent. Le point de fixation se situe sur quelqu’un qui donne quelque chose à quelqu’un d’autre et pas à moi. C’est relié à cela mais légèrement différent : « Vous avez donné votre amour et votre affection à quelqu’un d’autre mais pas à moi. » Nous ne sommes pas vraiment fâchés ni contrariés à l’égard de la personne qui a reçu amour et affection, au lieu de cela nous le sommes à l’égard de la personne qui ne nous l’a pas donné à nous. Elle l’a donné à quelqu’un d’autre. Nous faisons souvent ce genre d’expérience, n’est-ce pas ?

C’est assez contradictoire quand on y réfléchit, car comment pourrions-nous espérer que la personne contre laquelle nous sommes en colère change tout simplement d’avis et nous aime désormais, alors que nous dirigeons toute cette colère et cette jalousie contre elle ? C’est autodestructeur et naïf à la fois, mais c’est souvent notre stratégie. Il est très peu vraisemblable que la personne se mette à dire soudainement : « Oh oui ! Désolé, dorénavant je t’aimerai », alors que nous sommes fâchés, criant après elle et lui disant : « Pourquoi au nom du ciel sors-tu avec quelqu’un d’autre ?! Reste à la maison avec moi ! » Si cette personne reste à la maison, ce sera uniquement par culpabilité ou parce ce qu’elle se sent désolée pour nous. Toutefois, est-ce bien satisfaisant ? Elle n’est pas vraiment avec nous, car son esprit et son cœur sont avec quelqu’un d’autre. Au bout du compte, nous continuerons à être malheureux du fait que notre problème n’aura pas été résolu.

Prenez un moment pour voir si vous avez suivi ce genre de stratégie. Jusqu’à quel point cela a-t-il réussi ? C’est seulement quand nous pourrons en rire que nous verrons combien c’était ridicule, tout en reconnaissant que ce n’était pas une façon de résoudre les problèmes. Même si nous sommes jaloux et en colère, la solution est de ne pas l’exprimer. La question est de se débarrasser de ces sentiments par d’autres moyens.

Solidification du « moi » et du « toi »

Rappelez-vous que la définition de « jalousie » dans le dictionnaire anglais [et français] est « une intolérance à la rivalité ou à l’infidélité ». Quand quelqu’un donne quelque chose à notre rival et pas à nous, nous ressentons que c’est malhonnête. À nouveau, il y a deux variantes de ce sentiment. Ce pourrait être qu’il nous a donné une fois quelque chose et qu’il ne le fait plus, ou qu’il ne nous l’a jamais donné en première instance. C’est beaucoup plus douloureux s’il nous l’a donné auparavant et ne le fait plus, c’est ce qu’on entend le plus souvent à l’Ouest par l’idée de déloyauté. Nous pourrions souhaiter néanmoins que quelqu’un nous aime, même s’il ne nous a jamais aimé.

De nouveau, nous surestimons un aspect de la vie quand, en recevant l’affection de quelqu’un, nous en faisons la chose la plus importante. Tout repose sur un sentiment très puissant du « moi ». « Je » veux recevoir de l’affection et je ne me soucie de rien ni de personne d’autre. Ce qui pourrait être plus fort encore que la solidification du « moi », c’est la solidification du « toi ». Nous voulons que cela vienne de « toi » seulement, et peu importe si dix autres personnes, ou cent, m’aiment. Ça ne compte pas. « Je veux seulement que ce soit toi qui m’aimes. ». Si cette personne ne veut pas, alors c’est comme si personne ne nous aimait.

C’est faux, malgré tout. Si on y réfléchit, même s’il se peut qu’il existe une infime possibilité, dans la plupart des cas il est hautement improbable que personne ne nous aime. On se sent toujours désolé pour soi et on pense que personne ne nous aime, même si notre mère nous aime, ou nos amis, ou notre chien. Il y a tellement d’êtres qui nous aiment d’une façon ou d’une autre. Nous sous-estimons cela quand nous surestimons l’amour possible d’un seul individu. Nous ne voulons recevoir de l’amour que de « toi » seul.

Méditation : Qu’y a-t-il de si spécial à propos de moi, et qu’y a-t-il de si spécial à propos de toi ?

C’est assez problématique, en particulier si nous en avons fait l’expérience plusieurs fois au cours de notre vie avec des personnes différentes. « Voilà celui ou celle qui doit m’aimer. » Qu’y a-t-il de si spécial à propos de cette personne ? Le fait que quelqu’un doive m’aimer et non quelqu’un d’autre, cela vient en parallèle avec la question de savoir ce qu’il y a de si spécial à mon propos. On a donc ces deux questions : qu’y a-t-il de si spécial à propos de moi, et qu’y a-t-il de si spécial à propos de toi ?

Y a-t-il une base réelle pour laquelle cette personne devrait m’aimer et personne d’autre ? Y a-t-il une raison pour laquelle il est si important qu’elle m’aime, et que quiconque d’autre qui m’aime ne compte pas ? Ce sont des questions très profondes qui nous font reconsidérer la façon d’envisager le monde, la façon de nous voir et la façon de voir les autres. Existe-t-il une forme de confusion fondamentale qui sous-tende tous ces problèmes émotionnels ?

[méditation]

C’est important à reconnaître car alors on sait ce sur quoi on doit vraiment travailler pour se libérer au niveau le plus profond de ces problèmes émotionnels, en sorte qu’ils ne reparaissent plus jamais. Nous ne voulons pas seulement nous en débarrasser quand ils surgissent, mais nous voulons prendre des mesures préventives plus profondes afin qu’ils ne réapparaissent pas au premier plan. La seule façon dont nous pouvons vraiment faire ça est de comprendre pleinement comment nous existons, comment les autres existent, comment le monde existe. Grâce à cela, nous pouvons stopper toutes nos projections inconscientes de l’ordre du mythe ou du fantasme.

La possessivité

Nous pouvons constater que la jalousie est très souvent connectée à la possessivité quand nous voulons que des choses ou des personnes nous appartiennent, et seulement à nous. Nous pouvons nous servir de l’image d’un magnifique oiseau sauvage que nous attirons sur le rebord de notre fenêtre avec des graines et des miettes de pain. Maintenant, quelle est notre attitude vis-à-vis de cet oiseau sauvage ?

En fait, il s’agit d’un oiseau libre. Quand il vient à notre fenêtre, nous pensons : « Comme il est beau et merveilleux ! » Nous pouvoir jouir de la beauté du moment que cet oiseau sauvage passe avec nous. Si nous avons beaucoup de chance, l’oiseau se sentira à l’aise à notre fenêtre au point de faire un nid dans le jardin et de rester pour la saison. Nous pouvons jouir alors de la présence d’un oiseau sauvage pendant toute une saison. Mais, finalement, après quelques temps ou une fois la saison passée, l’oiseau s’en ira et s’envolera. Après tout, c’est un oiseau libre et sauvage. Si l’oiseau revenait, ne serait-ce pas merveilleux ? Pour autant, ce n’est pas le seul oiseau sauvage à la ronde et il serait déraisonnable de vouloir que seul cet oiseau particulier revienne. Si un autre arrive, nous pouvons également jouir de la beauté de cet oiseau pour la brève période de temps où il pourrait rester avec nous.

Si nous avons souffert de la jalousie en pensant : « Je veux que seul cet oiseau vienne à moi, et n’aille chez personne d’autre. Et je ne veux d’aucun autre oiseau, juste celui-là », ce serait stupide. Du point de vue bouddhique, nous devrions nous réjouir que, dans ses voyages annuels d’oiseau, d’autres gens aient été assez bons pour le nourrir également. Comme je l’ai dit, si l’oiseau revient, c’est un cadeau en prime.

Mais si, une fois l’oiseau revenu à notre fenêtre, nous essayions de le capturer, il serait très effrayé, n’est-ce pas ? Il s’envolerait au loin et ne reviendrait jamais. Si nous réussissons à l’attraper et le mettons dans une cage, comment cet oiseau sauvage pourrait-il être heureux ? On l’a mis en cage parce qu’on le veut pour « soi », mais comment l’oiseau se sentirait-il à l’aise ? Fera-t-il un nid et pondra-t-il un œuf dans la cage ? Non, il ne le fera pas.

Beaux oiseaux sauvages : une image utile

Cela peut constituer une image très utile des êtres aimés qui arrivent dans nos vies, et même de nos enfants. Ils sont tous comme des oiseaux sauvages qui viennent dans nos vies pour une courte période ; mais, parce qu’ils sont libres, ils vont et viennent, ici et là. Ils ont d’autres amis. S’ils reviennent plus tard au cours de la vie et continuent de nous faire visite, c’est réellement merveilleux. Nous pouvons jouir du temps que nous passons ensemble maintenant, et s’ils reviennent plus tard nous pouvons jouir de cela aussi.

Si, d’un autre côté, nous sommes jaloux qu’ils interagissent avec d’autres gens, ou jaloux qu’ils ne nous donnent pas tout leur temps, comment cela affecte-t-il notre relation ? Quelle sorte d’issue pouvons-nous espérer si nous leur demandons de rester à la maison, de toujours être avec nous, et de ne pas avoir d’autres amis ? Si nous essayons de les attraper et de les encager, est-ce que nous ne les effraierons pas au point de les faire s’échapper ? Si nous faisons en sorte de garder les autres en cage, de quelle façon seront-ils heureux ? Et quel genre de bonheur finirons-nous par avoir en vérité ?

Il est vraiment précieux de voir les êtres que nous aimons, quels qu’ils soient, comme de beaux oiseaux sauvages qui arrivent dans nos vies, et de simplement jouir du temps que nous passons ensemble. Bien sûr, tous auront d’autres amis et d’autres intérêts. Il se peut qu’ils restent avec nous longtemps, ou nous quittent bientôt. Si nous aimons vraiment cette personne, nous espérerons vraiment et nous réjouirons que leurs amis soient aussi bons avec eux que nous l’avons été. N’est-ce pas ?

Méditation : appliquer ceci à nos vies

C’est une manière beaucoup plus saine d’envisager les relations ; elle nous aide à éviter des problèmes de jalousie et de possessivité, lesquels nous empêchent véritablement de profiter pleinement du temps dont nous disposons. N’avez-vous jamais fait une visite à quelqu’un que vous n’avez pas vu depuis un moment, seulement pour l’entendre se plaindre que vous ne puissiez pas rester plus longtemps plutôt que de se contenter de jouir du temps que vous passez ensemble ? Pensez-y et essayez d’appliquer l’image de l’oiseau sauvage aux êtres que vous aimez, particulièrement à ceux dont vous êtes spécialement jaloux quand ils passent leur temps avec d’autres et leur témoignent de l’affection.

[méditation]

Une autre perspective sur l’oiseau sauvage

Notre estime de soi contribue grandement à créer notre compréhension de qui nous sommes, de ce qu’est ce « je ». Parfois nous essayons de mettre les autres dans des cages, mais souvent nous nous retrouvons de l’autre côté. Nous sommes l’oiseau sauvage que quelqu’un essaie de mettre en cage. Comment pouvons-nous gérer cette situation ?

Tout d’abord il est toujours très important d’être clair à propos de la réalité de la situation. En particulier dans les relations et les mariages, chaque personne a une idée différente de ce que la relation implique et quelles en sont les limites. Nous devrions être clairs à ce sujet, sans quoi l’une des personnes peut espérer quelque chose qui ne se produira pas, ou qui est totalement différente de la manière dont nous voyons les choses.

C’est important pour les deux participants à la relation. Cependant nous devons éviter l’extrême d’avoir à constamment négocier le contrat et donc de le renégocier, et de sans cesse parler de la relation et de la façon de nous y relier, plutôt que de simplement la vivre. Il est bon d’être honnête et de ne pas garder des questions par devers soi, faisant en sorte que l’autre sache quand nous sommes vraiment blessés. Mais nous devons essayer de faire cela sans avoir l’intention cachée que l’autre personne se sente coupable, et de la forcer à faire ce que nous voulons.

Ce sera facile une fois que nous connaissons les effets de notre comportement au sujet duquel nous sommes très souvent naïfs. Parfois, nous paraissons penser que nous pouvons agir de la façon qui nous plaît, qu’importe la façon, et que cela n’affectera personne, comme si personne n’avait de sentiments ou n’était blessée sauf nous. Mais il y a certaines limites en matière de fidélité sexuelle, etc., que nous aimerions garder, les autres limites pouvant être un peu plus souples.

Si un domaine de la relation ne fonctionne pas, nous ne devrions pas jeter la personne à la poubelle. Même si vous obtenez un divorce, cela ne veut pas dire que vous devez cesser d’aimer la personne ou d’en prendre soin. Nul besoin de voir quelqu’un tous les jours, mais les relations n’ont pas besoin d’être tout ou rien, et on peut les redéfinir. D’un point de vue bouddhique, il existe une certaine connexion karmique entre les gens, et vous ne pouvez pas les jeter aux orties.

Si notre partenaire nous blesse vraiment, en trichant par exemple, nous pourrions dire : « Je suis réellement blessé(e) par ton comportement et peut-être devrions-nous nous séparer. Je ne veux pas te perdre en tant qu’ami(e), mais donne-moi du temps. Après quelques mois, je me serai calmé(e) et pourrai gérer cette situation, et alors j’aimerais continuer à être ton ami(e). Je me soucie de toi, sinon je ne me serais jamais engagé(e) dans cette relation dans un premier temps. » C’est une manière beaucoup plus mûre de gérer la situation peu importe de quel côté nous sommes, car personne ne vivra jamais dans un conte de fée dans lequel on serait heureux pour toujours. Cela n’arrive tout simplement pas.

Si nous n’avons pas à traiter d’un problème sexuel mais d’une question de temps où quelqu’un nous réclame tout notre temps, alors nous pouvons lui accorder une quantité de temps fixée à l’avance que nous pouvons passer avec lui. Si on peut se fier à ça, alors tout va bien, car la personne pourra toujours compter dessus. Elle ne se sentira pas abandonnée ni rejetée, et si, quand nous sommes avec elle, nous sommes là à cent pour cent avec notre cœur et notre esprit, alors c’est encore mieux. S’il vous plaît réfléchissez à cela.

[méditation]

Accepter la monnaie de quelqu’un d’autre

Afin d’être plus sûr(e) de l’amour de quelqu’un, nous pouvons nous servir d’une autre image utile. Nous pouvons penser à la manière dont les gens expriment et donnent leur amour en utilisant l’analogie du genre de monnaie avec lequel les gens nous paient. Comme il arrive parfois, nous devons rester souples quant à la manière dont les gens nous paie, et flexibles quant à la manière dont les autres nous expriment leur amour et leur affection.

Il se peut que nous voulions être payés en euros, mais la personne n’ait que des dollars, dès lors comment peut-elle nous payer ? Autrement dit, elle ne peut pas nous aimer exactement comme nous voulons qu’elle le fasse. Mais nous devons accepter sa monnaie, ou ce qu’elle est capable de nous donner, et réaliser que c’est simplement son expression de l’amour. C’est ce qu’elle est en mesure de faire. C’est pareil si nous sommes de l’autre côté, quand nous disposons d’une certaine monnaie et que nous sommes incapables de donner à la personne l’affection qu’elle aimerait recevoir dans la monnaie qu’elle préfère.

Nous devrions être suffisamment flexibles pour que ça se passe bien quand on nous dit : « Désolé, je n’ai pas assez d’argent maintenant, ni le temps. Je suis trop occupé et ne peux vous rencontrer cette semaine. » Avec de la souplesse, nous sommes en mesure de comprendre l’autre personne du point de vue de la quantité d’argent dont elle dispose et de la quantité de temps qu’elle peut nous donner. Bien entendu, la même chose s’applique à nous quand nous n’avons tout simplement pas d’argent à offrir.

C’est une image utile même si l’amour et l’attention ne sont pas des marchandises qu’on achète et qu’on vend. Elle peut toujours nous aider dans nos problèmes d’insécurité. Cela ne va pas jusqu’à le racine profonde de notre véritable mode d’existence, mais c’est néanmoins un moyen utile pour gérer temporairement une situation. La véritable question est de reconnaître la monnaie que l’autre personne essaie d’offrir, car parfois nous ne la connaissons même pas : « Je n’ai que faire de zlotys polonais, je veux de la vraie monnaie, du véritable argent ! »

Un exemple courant est celui d’un couple marié avec enfants. Celui ou celle qui reste à la maison pour prendre soin des enfants se plaint que celui des deux qui gagne de quoi manger ne s’occupe pas d’eux et ne passe pas assez de temps avec eux. Il, ou elle, ne reconnaît pas que celui qui gagne le pain du ménage manifeste son souci en travaillant de longues heures pour subvenir aux besoins de la famille. C’est sa monnaie d’échange. Par ailleurs, celui ou celle qui veille à la subsistance se plaint de ce que celui des deux qui reste à la maison ne montre pas assez de sollicitude à son égard quand il ou elle revient le soir à la maison. Il [dans le cas de l’homme] ne reconnaît pas que son épouse paie avec la monnaie qui consiste à prendre soin de la maison et des enfants. Chacun utilise une monnaie différente pour montrer son souci et sa préoccupation, et chacun doit apprendre à accepter la monnaie de l’autre.

La médecine correcte

Quand on étudie le vide, ou vacuité, et la manière de l’appliquer, on voit combien importante et cruciale est cette compréhension. C’est un remède extrêmement puissant. Dans de nombreuses situations, toutefois, il peut s’avérer préférable d’appliquer un médicament plus faible, et petit à petit, lentement, d’aller plus en profondeur.

Vide et perception dualiste

Le gros problème avec le vide, ce sont nos projections, lesquelles comportent deux aspects.

  • L’un est que notre esprit fait apparaître automatiquement les choses d’une façon qui ne correspond pas à la réalité ;
  • L’autre est que nous prenons cette apparence pour vraie et croyons qu’elle correspond vraiment à la réalité.

C’est automatique ; ce n’est pas quelque chose que nous faisons consciemment. Nous y croyons parce que nous avons l’impression de faire l’expérience de la réalité. C’est ainsi que nous en faisons l’expérience, et fondamentalement, profondément, véritablement, nous croyons que cela correspond à la réalité. C’est un problème si profond que nous pensons presque toujours que nos façons de sentir doivent être vraies. Ce que nous ressentons doit être vrai ; nous ne le remettons même pas en question.

Si nous considérons la jalousie, l’esprit projette l’apparence dualiste d’un « moi » et d’un « toi » sous forme de catégories solides. Apparemment il y a un « moi » concret qui, de manière inhérente, mérite de réaliser quelque chose, mais ne l’a pas réalisé. De manière inhérente, nous ressentons : «  Je mérite cela et je ne l’ai pas eu. Toi, là-bas, tu ne le méritais pas, mais tu l’as eu. » C’est cela qu’on ressent, n’est-ce pas ? Cela fait mal et c’est pourquoi nous croyons que c’est vrai.

C’est vraiment confus car inconsciemment nous ressentons que le monde nous doit quelque chose, et que c’est déloyal et malhonnête quand ce sont les autres qui l’ont à notre place. Nous pensons que ce n’est pas juste. C’est une question affreuse à poser, mais pourquoi le monde serait-il juste ? Du côté de l’univers, existe-t-il une « justice » inhérente ? C’est plutôt une idée occidentale, associée à « Dieu est juste », l’idée qu’il y a une justice dans l’univers. Mais tout le monde ne pense pas ou ne croit pas cela.

Bien que ce sentiment d’injustice soit culturellement renforcé, il en existe une forme spontanée.

Ici, on divise le monde en deux catégories solides, celles des « gagnants » et des « perdants ». C’est cela le dualisme. Dans la pensée biblique, cela équivaut aux pécheurs et aux vertueux. On a les gagnants et les perdants solidement coincés dans leurs boîtes, avec de pauvres « moi » dans la boîte des perdants. C’est vraiment comme ça qu’on le ressent, et c’est pourquoi c’est si horrible. Il y a seulement deux boîtes ; avec le dualisme, on est soit dans l’une, soit dans l’autre.

Se ranger soi-même dans des catégories solides et permanentes

On se met dans une catégorie permanente, solide, et, ici bien entendu, permanent veut dire que ça ne changera jamais – que c’est pour toujours. Nous sommes dans la catégorie solide permanente des « perdants » et les autres sont dans la catégorie solide permanente des « gagnants ». Cela nous rend non seulement amers, mais nous nous sentons condamnés. C’est comme si nous avions été punis, et c’est totalement injuste. Souvent, notre perception est tellement déconnectée de la réalité qu’on commence à penser qu’il se pourrait qu’on soit le seul dans la boîte des perdants, car on est tellement préoccupé par une pensée centrée sur soi. On se sent triste pour soi-même et on souffre comme s’il y avait quelque chose existant de manière inhérente à propos de « moi » qui fait de moi un perdant, pensant que nous devons rester ainsi pour toujours.

Naïveté au sujet de la causalité

C’est compliqué non seulement parce nous ne comprenons pas comment les autres et nous-mêmes existons, mais aussi parce que nous sommes naïfs à propos de la loi de cause et d’effet. Cela se tient souvent derrière la jalousie et l’envie. Telle personne qui a reçu de l’avancement au travail ne le méritait pas car elle ne le valait pas, et rien à son sujet n’aurait pu être la cause qu’elle ait cette promotion que nous n’avons pas eue. Nous nions la causalité. Nous ressentons que nous aurions dû l’avoir sans rien faire ou que nous ne l’avons pas obtenue, même si nous avons fait beaucoup pour l’avoir. Nous n’avons pas eu notre récompense et c’est injuste. Au-delà du très petit nombre de causes que nous avons pu déceler, nous ne voyons pas les très nombreuses forces et les facteurs causals en jeu.  

Parfois, il semble que ce genre de pensées est renforcé culturellement dans les états socialistes. Du seul fait que vous êtes né dans un pays socialiste, vous estimez que vous méritez d’obtenir de l’état certaines choses sans avoir à rien faire pour ça. Cela contamine notre sentiment comme quoi nous devrions tout mériter. Si vous considérez toute cette idée de ce que nous estimons mériter, c’est assez intéressant. Est-ce que quelqu’un mérite une chose, ou est-ce que les choses arrivent sans aucune cause ? Cela va loin ! On peut constater cela chez les adolescents qui testent leurs parents pour voir jusqu’à quel point ils peuvent mal se conduire, si leurs parents les aimeront toujours.

Croyances délicates

Reconnaissons en trois étapes les projections que nous avons à propos des cases de gagnants et de perdants. Premièrement, est-ce que nous divisons le monde, et est-ce vrai que le monde est divisé en gagnants et en perdants ? Deuxièmement, est-ce que je crois que l’univers doit être loyal et juste ? Enfin, est-ce que je crois pour ma part que je mérite fondamentalement quelque chose, par exemple que je devrais être aimé sans aucune raison, peut importe mon égoïsme et combien horrible je suis ?

[réflexion]

On commence à mettre au défi nos croyances quand on se demande pourquoi l’univers devrait être juste ou pourquoi on mérite une chose sans cause d’aucune sorte. Pourquoi les choses devraient-elles être ainsi ? Il est difficile de donner une réponse et nombreux sont ceux parmi nous qui diront simplement que la raison est que « ça devrait l’être ». Ce qui se traduit par : « c’est ainsi que je veux que ce soit ».

L’apparence ne correspond pas à la réalité, même si nous pensons que c’est la façon dont les choses doivent apparaître. Simplement parce que nous pensons qu’il devrait y avoir un Père Noël, par exemple, il n’y a aucune raison pour qu’il y en ait un et qu’il soit comme ça. C’est un fantasme. Cependant, quand on regarde la vacuité du Père Noël, nous devrions comprendre ce qu’il y a vraiment là.  Quand nous voyons un Père Noël dans un magasin, il y a là quelqu’un habillé en Père Noël. En fait, il n’y a pas de Père Noël, mais la personne habillée en Père Noël est toujours là. C’est juste que cette apparence ne correspond pas à la réalité. La vacuité ne nie pas les choses, elle nie seulement notre croyance dans l’apparence projetée. Pour être plus précis, simplement parce qu’une personne apparaît comme un Père Noël ne prouve pas qu’elle soit le Père Noël. C’est cela que réfute une compréhension de la vacuité.

Méditation : l’apparence ne correspond pas à la réalité

Ainsi, du simple fait d’avoir le sentiment que je suis un perdant, cela ne prouve pas que j’en sois un. Même si vous me cataloguez comme perdant, cela ne veut pas dire que j’en suis un. Si je n’ai pas réussi dans un projet, c’est que je n’ai pas réussi. C’est tout. Je suis un être humain qui essaie, et cela ne peut être nié. Digérez cela pendant un moment.

[méditation]

Simplement parce qu’une personne est arrivée en retard ou ne vous a pas appelé, ce n’est pas une preuve qu’elle ne vous aime pas. On peut le ressentir ainsi, mais cela ne prouve pas réellement que « tu ne m’aimes pas ». C’est stupide de penser ça, et il existe un mot parfait en allemand pour cela : Quatsch [c’est absurde !]. Ça peut être un mot clé utile pour se rappeler à nous-mêmes le moment où nous partons dans ce genre de délire. Cela ne correspond en rien à la réalité. 

Quand quelqu’un est en retard ou ne se montre pas, il y a cette peur disproportionnée que nous avons été abandonné. Mais c’est une bêtise ! La réalité est simplement que la personne est en retard et ne s’est pas montrée. Telle est la réalité. Nous pouvons essayer d’en trouver la raison sans penser : « Oh, pauvre de moi, j’ai été abandonné, personne ne m’aime. C’est arrivé à nouveau, je suis un tel perdant. » Quatsch !

Simplement par ce qu’on ressent qu’on a été abandonné et qu’on est toujours le perdant, cela ne prouve pas qu’on a été abandonné et qu’on est un perdant. Cela démontre seulement que nous ressentons et pensons que c’est vrai et que ça correspond à la réalité, et donc que cela fait mal. Si nous cessions de penser que c’est vrai, cela ne nous ferait pas aussi mal, et, finalement, on ne ressentirait plus rien. En fin de compte, nous verrions que cette personne est juste en retard, ou a rencontré quelqu’un d’autre, peu importe. Alors, nous ferions avec. Si nous avons un ami qui est toujours en retard, nous lui disons de venir plus tôt ou nous fixons une limite en lui disant que nous l’attendrons jusqu’à une certaine heure, et qu’ensuite nous partirons sans lui. Tout est clair et nous poursuivons notre vie. Nul besoin de nous rendre misérable en croyant à des bêtises.

Vouloir contrôler

Ce qui se tient le plus souvent en arrière-plan, c’est l’idée fausse, fortement renforcée culturellement, de toujours vouloir être en situation de contrôle. Je trouve cette idée particulièrement forte chez les Allemands. Tout doit être sous contrôle. Si tout est en ordre et si tout est clair, alors on peut se sentir en sécurité. C’est également absurde. Personne ne peut avoir le contrôle de la vie, car la vie est de très loin trop complexe avec beaucoup trop d’événements qui arrivent et affectent tout le reste. Nous devons reconnaître et admettre les très nombreux niveaux de sottises et d’attentes irréalistes.

Résumé 

Quasiment tous, nous surinvestissons le « moi ». De fait, il est naturel pour nous de croire que nous sommes le centre de l’univers, et que toutes les choses tournent autour de nous. En plus de cela, nous surajoutons quelque chose comme notre belle apparence, notre intelligence ou notre richesse, pensant que c’est la chose la plus importante nous concernant. Et c’est là que réside notre plus gros problème : le « moi » solide, beau et riche.

Quand on pense de la sorte, nous devenons possessifs avec nos amis, jaloux si nous voyons qu’ils passent du temps et prennent du plaisir avec d’autres. Si nous relevons le défi de cette croyance, laquelle est de toute façon totalement erronée, nous altérons radicalement notre perspective. C’est la raison pour laquelle la compréhension de la vacuité est vue comme la plus puissante et la plus efficace des médecines non seulement pour la jalousie mais pour toutes les émotions perturbatrices.

Top