Le rôle et l'importance de la volonté

Comment est-il possible de prendre une décision ?

Nous devons maintenant aborder la question suivante : comment prenons-nous une décision ? Comment une décision apparaît ? Nous avons deux désirs [souhaits], deux envies qui naissent de toutes sortes de circonstances : crier ou ne pas crier. Il ne s'agit pas du libre arbitre, car il n'y a pas de « moi » indépendant dûment existant, encapsulé dans du plastique, distinct de ces deux envies, qui surgit et qui existe séparément de cette indécision. N'oubliez pas que tout cela s’intègre dans les cinq agrégats. Au sein des cinq agrégats qui constituent notre expérience, ces deux désirs apparaissent, impliquant la cognition, la cognition mentale, l'indécision, puis le « moi » qui est étiqueté par-dessus.

Il n'y a rien de mal à cela. Ces cinq agrégats existent bel et bien. Il s'agit simplement de décrire ce qui constitue chaque moment de notre expérience. Ne pensez pas qu'il s'agit de sortes de boîtes sorties de nulle part qui catégorisent les choses. Ce n’est pas cela. Les cinq agrégats sont simplement un outil schématique qui nous permettent d'analyser chaque moment de notre expérience. À chaque instant, de très nombreux éléments se connectent les uns aux autres pour constituer ce moment d'expérience :

  • La conscience, soit visuelle, soit auditive, soit mentale.
  • Un certain niveau de bonheur ou de malheur.
  • Un certain niveau de distinction, sans quoi tout ne serait qu’un champ sensoriel indifférencié. Je dois être capable de distinguer la forme colorée de votre tête de la forme colorée du pull de la dame derrière vous, sinon, je ne peux pas faire face à ce qui se passe. On traduit généralement ce terme par « reconnaissance », ce qui n'est pas vraiment ce dont on parle. Il s'agit simplement de distinguer une chose d'une autre, de l'ensemble.
  • Il y a ensuite toutes les émotions et la concentration.

Toutes ces choses se produisent en même temps et constituent les cinq agrégats, que ce soit une forme que nous voyons ou un son que nous entendons, notre corps, etc. Nous pouvons mettre une étiquette « moi » sur cet ensemble. Je ne suis toutefois pas le mot « moi ». Je ne suis pas un mot. Je suis ce à quoi le mot fait référence. Le mot se réfère à moi sur la base de toutes ces choses.

C'est très important à comprendre. Je ne voulais pas vraiment m'étendre sur le sujet, mais c'est important, alors laissez-moi vous donner mon exemple classique. Prenons le film Star Wars. Il y a le nom, le titre du film, « Star Wars ». Star Wars n'est pas seulement un titre, Star Wars n'est pas le nom. La base n'est pas seulement les photogrammes en plastique [de la pellicule], mais chaque moment du film. Star Wars n'est pas qu'un seul moment du film, n'est-ce pas ? Les mots « Star Wars », l'étiquette « Star Wars », le titre « Star Wars » font référence au film, le film Star Wars, sur la base de tous les moments du film. Vous comprenez ?

Maintenant, il y a le moi. Je ne suis pas un seul moment de mon expérience, depuis mon enfance jusqu'à aujourd'hui. Je ne suis pas n'importe lequel de ces moments, et je ne suis pas le nom « moi » ou « Alex », mais ce nom se réfère à quelque chose sur la base d'une vie entière. C'est le « moi » conventionnel. Il y a une grande différence entre ce à quoi une étiquette ou un mot fait référence et ce qui correspond au mot. Ce qui correspond au mot est quelque chose d'encapsulé dans du plastique, comme dans un dictionnaire [où chaque mot est séparé et contient sa propre définition]. Les choses n'existent pas comme ça, dans ces petites catégories comme dans le dictionnaire : bon, mauvais, etc. C'est ce qui est absent lorsque nous parlons du vide, que les choses correspondent réellement aux mots et aux concepts. Cependant, les mots et les concepts renvoient à des choses, c'est ainsi que fonctionne le langage. Il y a une grande différence. C'est la clé pour comprendre la différence entre le « moi » conventionnel et le faux « moi ».

Ce qui est valide, c'est que les mots renvoient à quelque chose. Ce qui n'est pas valide, c'est que les choses correspondent à ce que les mots impliquent, c'est-à-dire des catégories fixes et délimitées, que les choses existent dans des boîtes : « amour », « haine », « chaleur ». Elles n'existent pas dans des boîtes. Qu'est-ce que l'amour ? Qu’est-ce que le sentiment d'amour ? Tout le monde a des expériences différentes, et nous pouvons dire : « Oui, j'ai de l'amour pour toi. » Cela fait référence à quelque chose. Nous ressentons effectivement quelque chose. Cependant, il n'y a pas une sorte de boîte « amour » qui correspond au mot et que nous ouvrons pour en prendre une partie afin de ressentir l’amour. Il est très important de comprendre cela. C'est vraiment l'essence.

Il n'y a pas de « moi » distinct de ce qui s’élève ici — le désir de crier, le désir de ne pas crier et l'indécision entre les deux. Le « moi » n'est que l'étiquette de tout cela. Il n'y a donc pas de libre arbitre, étant donné que le libre arbitre implique un « moi » séparé de tout cela.

D'autre part, ce n’est pas déterminé. En effet, lorsque nous parlons d'une décision qui n'est pas encore prise, nous pouvons savoir qu'elle n'est pas encore prise. Nous savons qu'elle n'est pas encore arrivée. Ce qui n'est pas encore arrivé est ce que nous comprenons. Prenons ce qui n’est pas encore arrivé de demain. Sur quoi se fonde ce qui n’est pas encore arrivé de demain ? Il se fonde sur l'absence de demain au moment présent. Sur la base de l'absence de demain au moment présent, nous pouvons imputer le fait que demain n'est pas encore arrivé. Nous pouvons reconnaître que la décision n'est pas encore prise sur la base de l’absence de décision au moment présent, mais nous ne pouvons pas imputer de manière valide la décision en cours sur la base de l'absence d’une décision en cours.

Je ne sais pas si je me suis bien exprimé. Prenons un exemple simple. Aujourd'hui est en train de se produire, il n'y a donc une absence de demain. Nous pouvons savoir que demain n'est pas encore arrivé. Cependant, sur la base de l'absence de demain aujourd'hui, nous ne pouvons pas imputer un demain qui se déroule actuellement, parce qu'il n'est pas encore arrivé. C'est pourquoi il n'est pas déterminé. C'est la véritable raison pour laquelle il n'est pas déterminé. En l'absence de quelque chose, nous ne pouvons pas dire qu'il y a la présence de quelque chose. En l'absence de quelque chose, nous pouvons seulement dire que quelque chose ne s'est pas encore produit. Quand cela ne s’est pas encore produit, on ne peut pas dire que c'est déjà en train de se produire et qu'on attend que cela apparaisse. Telle est l'analyse proprement dite.

Est-ce la même chose de dire : je peux dire qu'il y a une absence et qu'il y a un potentiel, mais je ne peux rien dire sur les qualités qui y sont liées, parce que ce n'est encore qu'un potentiel ?

C'est bien cela. C'est exactement comme cela que nous comprenons le karma, c'est-à-dire qu'il y a une tendance à ce que quelque chose se produise, à ce que nous criions. Cependant, il y a une partie du karma qui est ce qui n’est pas encore mûr du résultat qui mûrira lorsque les circonstances seront réunies. C'est pourquoi nous pouvons nous débarrasser des tendances, car lorsqu'il n'y a plus de circonstances qui permettent au karma de mûrir, nous ne pouvons plus dire qu'il y a un potentiel pour qu'il mûrisse.

En outre, comme ces tendances peuvent être influencées par de très nombreuses circonstances différentes, il existe de nombreuses possibilités de mûrissement éventuel. On entre alors dans le domaine de la mécanique quantique et des probabilités. Si cela vous intéresse, vous trouverez un article très complexe à ce sujet sur mon site web. Il s’intitule La connaissance du passé, du présent et de l’avenir par un bouddha. On y trouve une explication de ce qu'un bouddha connait réellement et de toutes les différentes possibilités de cognition selon la physique quantique. Mais attention, c'est l'article le plus difficile du site. Il est important, parce que sinon, nous nous retrouvons à nouveau dans la question de savoir : est-ce déterminé ? Le Bouddha le sait-il déjà ? Quoi qu'il en soit, continuons.

Ce n’est ni l'un ni l'autre des deux extrêmes du libre arbitre ou du déterminisme. Lorsqu'une décision présente se produit — c'est ainsi qu'il faut la comprendre, elle se produit — cela signifie que nous connaissons un choix (disons s'abstenir de crier) et que nous connaissons, avec une conscience discriminante correcte, que cette ligne de conduite est bénéfique. C'est ce qui se passe au moment de la décision. Dans le meilleur des cas, cette discrimination est fondée sur l'analyse des différents choix possibles. Ensuite, nous avons des facteurs mentaux qui sont impliqués dans cette analyse et qui étudient la situation en profondeur et examinent les détails. Je n'ai pas besoin d'entrer dans tous ces détails. Bien sûr, cela ne peut se produire que si nous avons pris l'habitude d'analyser, de sorte que la tendance à analyser donne lieu à ces facteurs, et nous devons avoir une motivation pour vouloir analyser.

On peut aller beaucoup plus loin, car on peut aussi analyser ce que j'ai envie de faire, ce que je veux faire et ce que j'ai besoin de faire. Par exemple, je suis au régime. Je passe devant la boulangerie. J'ai envie d'une part de gâteau au chocolat, mais je veux respecter mon régime, et je dois le respecter parce que j'ai de l'hypertension et que je dois perdre du poids. Vous analysez toutes les raisons. Pourquoi est-ce que je me sens comme ça ? Pourquoi ai-je envie de cela ? Pourquoi ai-je besoin de cela ? Puis vous analysez la validité de chacune de ces raisons. « Je dois perdre du poids pour être plus séduisant(e) et trouver un(e) partenaire. » Est-ce de la vanité ou autre chose ? Quelles sont les raisons pour lesquelles j'ai besoin de suivre un régime ? Pourquoi ai-je envie [d’une part de gâteau] ? « Parce que je suis très attaché au gâteau au chocolat. » Vous analysez les raisons valides.

Puis vous arrivez à une conclusion, qui est décisive. Vous vous concentrez sur une décision avec l'intention de la mettre en œuvre, avec une conscience discriminante correcte que cela sera bénéfique, et avec tous les autres facteurs mentaux qui soutiendront cette décision : la présence attentive [pleine conscience] du Dharma, la concentration, la patience, toutes ces choses.

Le rôle de la volonté

Quelle est la place de la volonté dans l'analyse d'une décision ? La volonté fait partie de la persévérance, l'une des six attitudes de grande envergure (six perfections), à savoir la persévérance semblable à une armure. C'est la persévérance qui permet de supporter les difficultés qui peuvent survenir dans la mise en œuvre de notre décision. « Peu importe la difficulté, je vais m'abstenir de crier ». C'est cela la volonté, n'est-ce pas ? C'est ce que nous ressentons principalement comme le fait de faire un choix. Cependant, la persévérance est un complexe de plusieurs éléments. Introduisons d'autres enseignements pour étoffer notre analyse.

Dans son Bodhicharyavatara (L’Engagement dans la conduite du bodhisattva), Shantideva explique les six facteurs qui entrent en jeu dans la persévérance :

  • Une vigueur et une force enthousiastes, accompagnées d'une forte intention de mettre en œuvre notre décision. La force dit : « Rrrr. Je vais le faire. »
  • La fermeté de ne pas revenir sur notre décision et la fierté avec laquelle nous pensons : « Je serai capable de mener à bien ma décision. »
  • Être satisfait et heureux de la décision que nous prenons. Sinon, plus tard, nous aurons des regrets et nous reviendrons en arrière — nous crierons au bout de trente secondes.
  • Le lâcher prise, ce qui, dans le cas d'une décision, signifie ne pas s'attarder sur la décision prise une fois qu'elle a été prise, mais passer à la suite. « J'ai décidé de ne pas crier », « j'ai décidé de ne pas aller au cinéma », « j'ai décidé de ne pas aller à la fête », peu importe, et de passer à l'étape suivante. Cessez d’y penser. Lâchez prise.
  • Accepter volontiers les difficultés que peut entraîner notre décision. « J'accepte qu'il soit difficile de s'abstenir de crier. Je l’accepte. » Il faut être prêt à l'accepter. Ne soyez pas naïf.
  • Prendre le contrôle de nous-mêmes pour surmonter la paresse et se dire : « Je vais le faire. »

Cette analyse de Shantideva sur ce qu'implique cette persévérance, sur le fait que nous allons réellement faire quelque chose, est remarquable. Tout cela est nécessaire pour prendre une décision. Nous n'analysons pas ici le choix banal de ce que nous allons manger pour le dîner. Nous décidons vraiment : « Dois-je agir de manière destructive ou ne pas agir de manière destructive ? » Toute notre illumination va dépendre de notre capacité à prendre cette décision, à faire cette discrimination. Toute notre illumination dépend de cela. Si nous ne pouvons pas prendre cette décision, c'est sans espoir. C'est là que tout commence.

Ensuite, dans l'Abhidharmasamuccaya, Asanga explique cinq autres aspects de la persévérance :

  • Un courage semblable à une armure. Nous avons besoin d'un courage à toute épreuve pour supporter les difficultés. Nous l’obtenons en nous rappelant la joie avec laquelle nous avons pris notre décision : « J'ai décidé de m'abstenir et j'en suis heureux. » Cela demande un grand courage. C'est un autre facteur.
  • Une application constante et respectueuse de nous-mêmes à la tâche de mettre en œuvre notre décision. « Respectueuse » signifie que je respecte ce que je fais. Je ne me dis pas : « Oh, ce que je fais est terrible. » Au contraire, je l'honore : « Ce que je fais vaut vraiment la peine, je m'abstiens de crier. » C'est très profond. Si nous avons une image négative de nous-mêmes, que nous pensons « je ne suis pas bon, je ne peux pas faire ça », cela ne fonctionnera pas. Nous devons nous respecter nous-mêmes et nous dire que nous pouvons agir d'une manière beaucoup plus saine.
  • Ne jamais se décourager ou se laisser abattre par sa décision.
  • Ne jamais s’en détourner.
  • Ne jamais devenir complaisant, par exemple en pensant : « Je me suis abstenu de crier une fois. C'est suffisant. »

Voici donc ce dont nous avons besoin selon l’analyse d’Asanga. Une forte persévérance signifie supporter les difficultés, et de faire [ce que nous avons choisi de faire]. « Je vais le faire. » C'est ce qu'implique une décision. Se contenter de prendre la décision sans la mettre en œuvre ne nous mène nulle part.

Tous ces facteurs et ces aspects de la persévérance s’interconnectent pour donner de la force et de l'énergie au processus de décision. Comment appelons-nous cet ensemble ? Nous l’appelons la « volonté ». Réfléchissez-y. Qu'est-ce que la volonté ? Pour la plupart des gens, c'est ce qui est impliqué dans un choix, « c’est ma volonté de faire cela ». Voici l'analyse de ce que cela implique. Il est évident que vous devrez relire cette liste plus tard. Je ne m'attends pas à ce que quelqu'un puisse s'en souvenir dès aujourd’hui. Le courage, la force : « Je ne vais pas faire marche arrière. Je ne vais pas me décourager. Je ne suis pas plein de doutes et de regrets », et tous ces autres facteurs, ainsi que le fait « d’être heureux et satisfait de mes choix. »

Lorsque tous ces facteurs que nous pouvons qualifier de « volonté » sont présents dans le moment de notre expérience où la décision est prise, ils font partie des cinq agrégats qui composent ce moment d'expérience où la décision est prise, puis nous imputons le « moi » conventionnel pour couronner le tout. Nous l'imputons, ou l’étiquetons — il y a beaucoup de mots différents pour le dire — et cela nous permet de faire l'expérience de cette décision de s'abstenir de crier comme « j'ai pris la décision ». C'est le « moi » conventionnel, « j'ai pris la décision », qui est étiqueté sur ce qui se produit maintenant, et c'est une imputation correcte, un étiquetage mental correct. C'est moi qui ai pris la décision, personne d'autre ne l'a prise. C'est valide, mais sans qu'il y ait un « moi » indépendant qui le fasse ou que la décision soit déjà là.

Nous pourrions attribuer différentes choses à ce complexe de ce qui se passe à ce moment, la prise de décision qui s’opère, le moment présent de la décision. Si nous attribuons le « moi » conventionnel sur cet ensemble, c'est correct. Si nous attribuons un « moi » dûment existant, un faux « moi », nous avons alors l'impression qu'il s'agit du libre arbitre, un « moi » distinct de tout cela a pris la décision, « je l’ai prise ». Nous attribuons ce « moi » séparé à ce qui s'est passé et nous disons alors : « C'est moi qui l'ai fait ». C’est la démesure de l’ego. Vous voyez la différence ? Tout dépend de la façon dont nous conceptualisons.

Comment conceptualiser ce qui s'est passé ? Soit c’est le « moi » conventionnel, « c'est moi qui l'ai fait, personne d'autre ne l'a fait », soit c’est le « moi » de l'ego démesuré et indépendant, « j'ai pris la décision », et qui implique le libre arbitre. Voyez ensuite ce qui résulte de l'imputation d'un faux « moi » à cette situation : l’orgueil surgit. « Je suis si bon, je suis si merveilleux. C'est moi qui ai fait ça. » Ou au contraire :  « J'ai été tellement stupide de faire ça. C'est ridicule. » Toutes les émotions perturbatrices naissent de l'étiquetage d'un « moi » dûment existant sur la prise de décision.

Si l'on étiquette le « moi » conventionnel, « j'ai pris la décision », que se passe-t-il ? Vous continuez, mais cela signifie que vous devez être détendus, détendus en ce qui concerne la discipline éthique, et non pas crispés : « Oh, je dois être bon. Le moi doit être bon et décider ceci », ou encore « j'ai fait ceci, et maintenant je suis si bon ». Vous êtes alors très rigides en matière d'éthique et dans vos choix. « Je dois être bon », c'est ce genre de sentiment et tout le reste qui sont impliqués dans le faux « moi ».

Ce qui est horrible, c'est que si nous imputons le faux « moi » à ce processus de prise de décision, nous avons l'impression que c'est le grand « moi », l'ego, qui a pris la décision. En terme technique, on l’appelle ceci la cognition trompeuse ('khrul-shes). Elle nous trompe, parce que c'est ce que nous ressentons. J'ai l'impression qu'il y a un « moi » séparé, assis au bureau derrière le tableau de contrôle dans ma tête, un petit « moi », et voici les décisions qui s'affichent sur le tableau, je décide et j'appuie sur le bouton. C'est ce que je ressens. C'est complètement absurde, n'est-ce pas ? Pourtant, c'est ce que l'on croit, n'est-ce pas ? C'est trompeur, et nous y croyons. Nous y croyons. Il s'ensuit des émotions perturbatrices et toutes sortes de choses. Les étapes pour surmonter cela consistent, lorsque ce sentiment apparaît, à dire : « C'est ridicule. Cela ne correspond pas à la réalité ». À mesure que nous nous habituons à cela, ce sentiment de « moi » séparé prenant la décision finira par ne plus apparaître.

Si nous imputons une décision dûment existante à la décision qui survient de manière dépendante, alors nous avons l'impression qu'elle a été déterminée. C'est là l'erreur. Qu’étiquetons-nous sur la décision qui a surgi ? Une simple décision conventionnelle produite en dépendance ou une décision dûment existante ? Si nous étiquetons une décision dûment existante, c'est qu'elle existait déjà, qu’elle était déterminée. Si nous avons vraiment l'impression que c'est le cas, nous le croyons. Nous disons alors : « Je n'avais pas le choix », « je n'ai pas pu m'en empêcher ». Nous trouvons toutes sortes d'excuses. Qu'est-ce qui se cache derrière cela ? Nous pensons que c'était déjà déterminé et qu'il y a un « moi » dûment existant, séparé de l'ensemble, qui est impuissant : « pauvre de moi ». C'est pourquoi l'étiquetage mental est très important.

La coproduction conditionnée

Le développement de la bodhichitta pour la première fois dépend de tout ce dont nous avons discuté et analysé : la précieuse renaissance humaine, le fait de s'abstenir d’adopter un comportement destructeur, et toutes les causes et conditions qui sont nécessaires pour cela. Pour résumer l’essentiel, tous ces facteurs et conditions peuvent être condensés en deux : la force positive et la conscience discriminante, nos deux réseaux. Les opportunités de les développer ne sont disponibles que dans les rares occasions où nous avons obtenu une précieuse renaissance humaine.

Vous constaterez que l’étape initiale du lam-rim, tirer parti de la précieuse renaissance humaine, devient beaucoup plus forte une fois que nous lui avons appliqué tout ce qui vient plus tard dans le lam-rim. « Je dois tirer parti de cette précieuse renaissance humaine à cause de toutes ces choses dont nous avons discuté. Ce n'est qu'à ce moment-là que je peux vraiment progresser. »

L'inspiration des bouddhas ne peut vaincre la compulsion de notre karma. Vous voyez à quel point il est important de comprendre ce dont nous parlons ici ? Si nous le traduisions différemment, cela donnerait : « Les bénédictions d'un bouddha ne peuvent pas surmonter nos actions. » Mais qu'est-ce que cela veut dire ? Nous parlons d'inspiration. Il n'y a qu'une certaine quantité d'énergie dans l'univers — on dirait que je vous parle de physique désormais — l'énergie de l'inspiration des bouddhas et l'énergie de la compulsion de notre karma, et l'une n'est pas plus forte que l'autre. Si la compulsion était plus forte que l'inspiration d'un bouddha, personne ne pourrait jamais atteindre l’illumination. Si l'inspiration pouvait annuler la compulsion, tout le monde devrait déjà être éveillé. Ces deux choses sont égales, et notre ignorance sans fin, notre inconscience, annule continuellement tous les progrès que nous avons accomplis.

Ce dont nous avons besoin, c'est de volonté, de volonté pour surmonter la compulsion du karma négatif afin de prendre les bonnes décisions avec une conscience discriminante correcte qui nous conduira finalement à développer la bodhichitta pour la première fois et à accumuler la force positive de l'illumination qui ne peut être ni épuisée ni détruite. Comme nous l'avons vu, la volonté se compose d'un réseau de nombreux facteurs, et elle dépend de nombreux facteurs qui découlent tous d'autres facteurs. La volonté est dépourvue d'existence auto-établie précisément parce qu'elle se produit en dépendance de nombreux facteurs qui découlent tous d'autres facteurs. La coproduction conditionnée est le meilleur raisonnement traditionnellement invoqué pour prouver le vide. Ce n'est pas comme si la volonté sortait du néant et que nous l'utilisions pour prendre la décision de ne pas crier. Il n’en est pas ainsi car elle se produit en dépendance de nombreux facteurs différents.

L'importance de la volonté

Tsongkhapa souligne l'importance de la volonté dans le Lam-rim chen-mo. Il le fait dans sa présentation des quatre forces possibles grâce auxquelles nous pouvons développer la bodhichitta pour la première fois. Il peut s'agir de n'importe laquelle d'entre elles, mais aussi de n'importe quelle combinaison. Il s’agit généralement d’une combinaison. C'est un enseignement brillant, que Tsongkhapa tire du Bodhisattvabhumi (Les Terres des bodhisattvas) d'Asanga.

1. La force de notre propre force — c'est la volonté — qui découle de nos propres efforts et de notre volonté. C'est une force que nous pouvons utiliser pour développer la bodhichitta pour la première fois. « Je vais le faire. »

2. La deuxième force est celle des autres, c'est-à-dire compter sur l'inspiration, le soutien et l'aide des autres, par exemple de la part de nos maîtres spirituels et de notre communauté spirituelle.

J'entends constamment cela de la part de mes étudiants. Ils se plaignent toujours de ne pas avoir de communauté spirituelle pour les soutenir. Je ne parle pas des gens d'ici à Hambourg, mais de ceux qui vivent en Russie ou en Ukraine, par exemple. « Nous n'avons pas de communauté. Nous n'avons pas de maîtres. Rien ni personne ne nous soutient, alors nous ne pouvons pas y arriver ». Ils sentent qu'ils ont besoin du soutien des autres pour avoir la force de s'engager sur la voie spirituelle. Ils puisent leur force dans les autres pour s'abstenir d'agir négativement et pour développer la bodhichitta. Bien sûr, c'est utile. C’est la raison pour laquelle nous avons le Joyau du Sangha parmi les Trois Joyaux.

3. La troisième force est la force de la cause. Cela signifie que nous nous sommes familiarisés avec les enseignements du Mahayana au cours de nos vies antérieures, de sorte que nous avons une inclination pour la bodhichitta. Cette inclination se manifeste lorsque nous entendons simplement parler du Bouddha, des enseignements, etc. Tout à coup, quelque chose s’éveille en nous et nous nous disons : « Waouh, c'est ce que je veux faire. »

Je suis sûr que beaucoup d'entre nous en ont fait l'expérience. C'est assez fréquent. Comment en êtes-vous venus au bouddhisme ?

4. La quatrième force est la force de l’application, qui consiste à s'habituer aux facteurs constructifs pendant une longue période de cette vie. Cela signifie travailler dur, se confier à un maître spirituel, penser au Dharma, méditer, toutes ces choses. Nous la développons par la force que nous déployons dans cette vie.

Tsongkhapa paraphrase Asanga et dit que le développement de la bodhichitta en s'appuyant sur notre propre force ou sur la force de la cause issue de vies antérieures sera ferme et persistera, il sera plus fort que si nous nous appuyons sur la force des autres ou sur l'effort que nous déployons dans cette vie. C’est très, très intéressant. Très profond. Pensez-y. Si nous nous sentons instinctivement attirés par les enseignements du Mahayana — « je me fiche de ce que font les autres, je vais le faire moi-même » — ce sera beaucoup plus ferme que si nous nous disons : « Oh, j'ai besoin d'une communauté, et je dois vraiment travailler dur. » C'est logique.

C'est pourquoi il est clair que la volonté joue un rôle important dans la décision de s'abstenir d'agir de manière destructrice. La volonté est très importante. Une prise de décision se produisant en dépendance, fondée sur une volonté se produisant en dépendance, n’est ni du libre arbitre ni du déterminisme.

Remarque supplémentaire

Plus nous avançons dans notre analyse, plus nous nous rendons compte que nous devons modifier notre discussion. En effet, depuis des temps sans commencement, nous avons non seulement développé la bodhichitta un nombre incalculable de fois, mais nous l'avons également abandonnée un nombre incalculable de fois. Par conséquent, nous devons modifier notre question. Plutôt que de demander : « Comment peut-on développer la bodhichitta pour la première fois ? », la question devient : « Comment peut-on ne pas abandonner la bodhichitta pour la première fois ? » La réponse à cette question est que la personne doit avoir pris les vœux de bodhisattva et ne pas les avoir perdus en abandonnant la bodhichitta. Notre analyse précédente reste valable, puisque tous les facteurs nécessaires pour développer la bodhichitta pour la première fois s'appliquent également pour ne pas abandonner la bodhichitta pour la première fois. Le principal ajout à notre analyse est donc la volonté de garder les vœux de bodhisattva « même au prix de notre vie ».

Résumé

En bref, pour conclure : tous les êtres n’ont pas encore atteint l’illumination car les innombrables décisions nécessaires pour développer la bodhichitta et ne pas l'abandonner pour la première fois ne se produisent que par la coproduction conditionnée. Si elles se produisaient par le libre arbitre ou par le déterminisme, tout le monde aurait déjà atteint l’illumination, ce qui n'est pas le cas. Lorsque nous posons la question : « Comment développer la bodhichitta et ne pas l'abandonner pour la première fois ? », la réponse est : « Au moyen de la coproduction conditionnée ».

Nous avons réussi à mener notre présentation jusqu’au bout. C'est incroyable. Il nous reste cinq minutes pour méditer sur ce sujet, car si j'ouvre le débat aux questions, c'est sans fin. Tout cela, cependant, doit nous mener à la réflexion et l’analyse. Même si vous n'avez pas tout suivi ou tout compris, j'espère que vous avez au moins appris ce qu'est le processus d'analyse.

La méditation analytique consiste à réfléchir aux enseignements pour les comprendre et s'en convaincre. Nous avons appelé cela la méditation analytique, mais la méditation analytique est en fait l'étape suivante. Cette analyse [pour comprendre et se convaincre des enseignements] fait partie du trio de l’écoute, de la réflexion et de la méditation. En fait, il s’agit de la seconde étape, la réflexion. La méditation intervient une fois que nous avons compris et que nous sommes convaincus. C’est alors que nous nous familiarisons avec la chose, c’est la méditation. Vous comprenez ? La méditation analytique, c'est lorsque nous sommes déjà convaincus, nous reprenons alors le raisonnement, simplement pour rafraîchir notre conviction, et ensuite nous restons concentrés sur le sujet. La méditation analytique consiste à reprendre et répéter le raisonnement. Nous avons déjà compris, nous sommes déjà convaincus. Le processus de réflexion consiste à passer par l'analyse afin de comprendre et d'être convaincu. C'est la seconde étape. C'est un processus d'assemblage des différentes pièces du puzzle. Plus nous assemblons de pièces, plus nous avons une vue d'ensemble, plus nous comprenons. Et plus nous faisons cela, plus nous sommes convaincus de l'esprit omniscient d'un bouddha et qu'il est incroyable que toutes ces pièces puissent s’emboîter d'innombrables façons. Cela nous aide de surcroît à nous efforcer d'atteindre l'illumination. C'est également ce que souligne Tsongkhapa.

Il ne nous reste plus qu'une minute, alors réfléchissons, et je contrôlerai ma compulsion d'en dire plus.

[Méditation]

Dédicace

Nous terminons par la dédicace. Rappelez-vous, nous avons, avec un peu de chance, accumulé de la force positive et une certaine compréhension par l’écoute de tout ceci. Si nous ne les dédions pas, elles iront par défaut dans le dossier de construction du samsara de notre ordinateur interne, et elles contribueront à améliorer le samsara. Par conséquent, nous devons consciemment les enregistrer dans le dossier de l'illumination, et ne pas les laisser aller par défaut dans le dossier du samsara. Les exemples absurdes sont très utiles. C'est la méthode bouddhique appelée prasanga. Même si la bodhichitta n'est pas sincère — tout l'intérêt étant qu’elle doit vraiment devenir sincère — nous avons ce que l'on appelle l'étape précédente, dont on pourrait dire qu’elle est un « fac-similé » de la bodhichitta — elle s’en rapproche. Cependant, il ne faut pas se contenter des mots : « Bla bla bla, je dédie ceci à l’éveil pour le bénéfice de tous les êtres. » Un perroquet pourrait en faire autant.

Quelle que soit la compréhension, quelle que soit la force positive qui a été accumulée à partir de cela, puissent-t-elles agir comme une cause pour atteindre l'illumination, et comme dans la prière de Shantideva, pas seulement pour que je l’atteigne (encore une fois, cela serait un peu égoïste) mais pour que tous les êtres l’atteignent.

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