Après avoir réaffirmé la direction dans laquelle vous voulez aller, vous réaffirmez votre motivation de bodhichitta. Il y a deux aspects qui construisent une motivation, et qu’on traduit par ce mot. En réalité, le mot tibétain pour motivation (kun-slong) signifie « une chose qui nous fait nous lever et aller vers un but ». Il y a donc deux parties : l’une est le but, l’objectif ; l’autre est l’état émotionnel qui nous pousse à atteindre ce but. La motivation comporte ces deux aspects.
Ici, l’objectif n’est pas seulement de s’engager dans une direction sûre jusqu’à la libération, car le but de la direction sûre est triple :
- Soit la libération, ce qui signifie devenir un arhat, en tant que shravaka – c’est-à-dire un auditeur des enseignements quand les enseignements du Bouddha sont disponibles à la ronde,
- Soit la libération en tant que pratyekabouddha – pendant les âges sombres quand les bouddhas ne sont pas présents et que vous devez vous fier juste à vos instincts,
- Soit en tant que bodhisattva – visant l’illumination, pas seulement la libération.
La direction sûre comprend ces trois buts possibles.
Dans l’optique du Mahayana, nous visons l’illumination ; toutefois, nous devons atteindre la libération afin d’atteindre l’illumination. Donc, ne pensez pas que l’objectif des shravakas ne soit pas pertinent. On peut viser l’objectif des shravakas [la libération] avec la motivation mahayaniste de l’amour et de la compassion, etc., néanmoins il vous faudra réaliser ce dernier but également [l’illumination]. Et il se peut que cela prenne une prodigieuse quantité de temps – trois éons incalculables – d’accumulation de force positive afin de l’atteindre. Nous aurons donc probablement à pratiquer pendant les âges sombres quand les enseignements ne seront pas disponibles, et nous aurons besoin d’avoir de puissants instincts pour être en mesure de pratiquer en tant que pratyekabouddhas. Ce n’est donc pas sans pertinence.
Je pense qu’il est important de ne pas avoir l’attitude arrogante suivante : « Oh ! Je veux être un bodhisattva. Je veux obtenir l’illumination. Et ces êtres inférieurs, les shravakas et les pratyekabouddhas, non seulement ils ne valent pas la peine qu’on les respecte, mais ils sont dépourvus d’intérêt. » Ils ne sont pas inutiles, en particulier les pratyekabouddhas – or ce sont ceux que les gens ignorent le plus d’ordinaire. Mais si vous y réfléchissez vraiment, si vous pensez à la quantité de temps que cela prendra pour atteindre l’illumination, il est sûr que nous serons présents au cours des âges sombres. Maintenant, vous pourriez dire : « Bon, les bouddhas enseignent dans une infinité d’univers. Donc, quand nous faisons l’expérience d’un âge sombre ici, un bouddha sera en train d’enseigner dans un autre endroit, et nous pourrions y renaître », vous ne le savez jamais cependant. Vous ne savez jamais où vous allez renaître. « Même si les bouddhas ne sont pas présents et que les enseignements ne sont pas disponibles, puissent mes instincts être assez puissants malgré tout pour me pousser dans cette direction sûre. »
Je pense que les gens qui ont vécu sous les régimes antireligieux les plus virulents ont une petite idée de la pertinence de ce que je viens juste d’expliquer.
Maintenant, en ce qui concerne la bodhichitta, l’objectif est l’illumination. Et, une fois encore, le bouddha que nous visualisons devant nous, inséparable du maître spirituel, représente l’illumination, le but. Et l’émotion qui nous pousse vers lui est l’amour, la compassion, et cette résolution exceptionnelle comme quoi nous prenons la responsabilité non seulement d’aider les autres à travers les hauts et les bas de la vie mais également l’engagement de les amener jusqu’à la libération et l’illumination. C’est la raison pour laquelle j’insiste toujours sur ce point quand je parle de motivation. Il ne s’agit pas seulement de notre aide habituelle quand ils ont faim, etc., mais de les aider à dépasser le support de la souffrance de la souffrance et de la souffrance du changement (le genre de bonheur ordinaire), et notamment la souffrance toute-imprégnante [omniprésente] (la renaissance récurrente incontrôlée). On prend donc la pleine responsabilité de les aider tout au long du chemin pour surmonter cela. Telle est la résolution exceptionnelle.
Toutefois, nous ne visons pas à réaliser l’illumination du Bouddha Shakyamouni ni l’illumination en général, c’est notre propre illumination individuelle que nous cherchons à réaliser. Et bien que cette illumination ne se soit pas encore produite, elle peut cependant se produire sur la base de la pureté naturelle de l’esprit, sa vacuité – le fait qu’il soit possible d’atteindre les véritables cessations de la souffrance et de ses causes – et de ce qu’on appelle les deux réseaux (les deux collections) de force positive et de conscience profonde (la sagesse). Si nous sommes convaincus que le but est atteignable du point de vue de la pureté naturelle de l’esprit, etc., alors les divers facteurs de la nature-de-bouddha serviront de causes en relation avec ce but. (Une cause, après tout, ne peut seulement être une cause qu’en relation avec la possibilité qu’elle ait un effet).
En réalité, plus on y réfléchit profondément, mis à part tout le côté émotionnel de la compassion, de l’amour, etc., l’objectif de la bodhichitta requiert une prodigieuse somme de compréhension – fondée sur cette direction sûre de la véritable cessation et sur le vrai chemin conduisant à ce que ce soit possible – compréhension de la causalité et de la vacuité de la causalité quant à la façon dont les divers facteurs de mon propre continuum mental peuvent servir de causes pour faire que cela arrive, pour amener ce résultat. Ce sujet devient un sujet très profond dans lequel, malheureusement, nous n’avons pas le temps d’entrer. Mais quand nous parlons de la bodhichitta, la conventionnelle et la plus profonde, c’est la compréhension de la vacuité qui est la plus profonde. Elle est vraiment très importante à acquérir afin que l’objectif de la bodhichitta conventionnelle visant à notre illumination individuelle soit ferme.
Désormais, le gourou et le Bouddha face à nous, inséparables l’un de l’autre, représentent l’objectif vers lequel nous tendons. C’est très intéressant. On a ce commentaire de Gampopa : « Quand j’ai réalisé l’inséparabilité de mon propre esprit avec le maître spirituel et le Bouddha, alors j’ai compris le mahamudra. »
Selon les instructions de Serkong Rinpotché, après avoir réaffirmé notre direction sûre et notre objectif de bodhichitta, nous pouvons faire l’une des pratiques suivantes :
- Nous pouvons imaginer qu’un double du Bouddha Shakyamouni se dissoud en nous.
- Nous nous transformons en Bouddha Shakyamouni avec un HUM dans notre cœur.
- Nous émanons de multiples rayons lumineux, ce qui a pour effet de purifier, de transformer, et d’amener tous les êtres à un état de bouddhéité, lesquels se transforment en Shakyamouni (on les imagine donc tous sous l’aspect de Shakyamouni Bouddha).
Puis nous réalisons, nous comprenons qu’il s’agit juste d’une visualisation : ils ne sont pas encore illuminés (pas plus que nous, d’ailleurs). Pourquoi donc ne sont-ils pas illuminés ? Parce que, pour commencer, ils ne possèdent pas l’équanimité. Cela conduit, par progression logique, à la méditation sur les quatre incommensurables :
1. L’incommensurable équanimité – « Comme ce serait merveilleux s’ils possédaient l’équanimité. Puissent-ils la posséder. Je ferai en sorte de la leur apporter. Inspirez-moi, Ô Bouddha, pour que cela arrive. »
2. L’incommensurable amour – « Puissent-ils tous être heureux et avoir les causes du bonheur. »
3. L’incommensurable compassion – « Puissent-ils tous être délivrés de la souffrance et des causes de la souffrance. »
4. L’incommensurable joie – pas seulement les sortes habituelles de souffrance et de bonheur, mais : « Puissent-ils atteindre la félicité de l’illumination et n’en être jamais séparés. »
On passe ensuite aux instructions plus ordinaires, à l’étape suivante qui est :
- Le Bouddha visualisé en face de nous devient de plus en plus petit et s’absorbe en nous entre les sourcils puis disparaît comme du beurre fondu. C’est une pratique au parfum moins tantrique.
- La visualisation alternative fait que le Bouddha s’élève, et quand, dans l’étape suivante, on visualise le champ de mérite abondant, le bouddha redescend pour s’y fondre.
Il y a donc deux variantes.