Comprendre la culture tibétaine traditionnelle
Pour les Occidentaux qui s’engagent dans le bouddhisme – en particulier le bouddhisme tibétain – il est important d’avoir quelques éléments d’appréciation de la culture traditionnelle dont il est issu. Sans une compréhension du contexte dans lequel le bouddhisme a surgi et de la manière dont il nous est parvenu, nous nous exposons potentiellement à une prodigieuse somme de malentendus.
Nous n’avons pas besoin d’adopter la culture tibétaine ou une quelconque culture asiatique – nous n’avons pas besoin d’être comme des singes imitant une autre culture. Il n’est absolument pas nécessaire de changer notre régime d’alimentation, notre façon de nous habiller, ni quoi que ce soit de ce genre. Mais ne serait-ce qu’une faible connaissance du cadre d’origine conduira à moins de projections et de confusion de notre part.
Dans la culture tibétaine traditionnelle, comme dans n’importe quelle culture, les gens naissent au sein d’un réseau particulier de croyances culturelles. Les gens tiennent pour acquises certaines choses comme le karma, la renaissance, et l’existence d’êtres illuminés (éveillés). Il y a une estime et un respect très grands pour celles et ceux qui choisissent de devenir moines ou nonnes, qui consacrent leur vie entière à l’étude et à la pratique des enseignements du Bouddha.
Les laïcs, eux, même s’ils n’avaient pas la possibilité d’étudier vraiment le bouddhisme, avaient coutume de réciter des mantras ou d’effectuer des circonvolutions autour d’objets sacrés. Ils apportaient une aide matérielle aux monastères, recevaient à l’occasion des initiations de longue vie, demandaient aux moines de venir accomplir des rituels chez eux, etc. Tout le monde s’accordait sur le fait que si on voulait réellement étudier, on devait se consacrer à plein temps à cette tâche et devenir moine ou nonne.
Perspective de la culture occidentale
Nous autres, en Occident, ne partageons pas ces croyances. La grande majorité d’entre nous ne croit pas aux renaissances ni au karma, et si nous disons que nous croyons au karma, nous le confondons avec l’idée de fatalité ou de destin, ce qui est tout à fait incorrect. Quand nous pensons au Bouddha, nous en faisons l’équivalent de Dieu, tandis que d’autres représentations de bouddhas deviennent semblables à des saints auxquels on offre des prières et des cierges, comme s’ils étaient des icônes dans une église.
Certes, la plupart d’entre nous ne souhaitent pas devenir moine ou nonne. En règle générale, à l’Ouest, les Occidentaux qui le deviennent ne font pas l’objet d’un grand respect, ce qui est dommage. En tant que laïcs, nous supposons que nous serons capables de retirer l’essentiel de l’étude, de la pratique et des enseignements, alors qu’en réalité nous n’avons pas de temps. Nous avons un travail, allons à l’école, avons une famille et une vie sociale. Nous revenons chez nous après le travail, sans doute après être restés assis dans des embouteillages, et nous sommes fatigués. Aussi, même si nous voulons apprendre, et nous rendre, qui sait, à un enseignement le soir, nous sommes si épuisés que nous nous endormons. En outre, dans le meilleur des cas, nous disposons tout au plus d’une ou deux soirées par semaine. De fait, cela constitue un gros problème.
Aborder la pratique du bouddhisme avec des attentes réalistes
D’un point de vue réaliste, tout dépend de ce que nous attendons. Ce n’est pas une pilule agréable à avaler, mais la pratique du bouddhisme est difficile. Cela implique de travailler sur nos personnalités afin de les débarrasser d’habitudes négatives telles que l’égoïsme, la colère, l’avidité – tous ces vilains trucs que le Dalaï-Lama appelle les « fauteurs de trouble ». Ce sont là les choses qui créent la plupart de nos problèmes, à nous et aux autres. La pratique du bouddhisme implique également de s’entraîner à développer des habitudes plus constructives, ce qui, en réalité, est difficile. L’égoïsme et la colère ne disparaissent pas juste comme cela, en assistant à une conférence une fois par semaine ou en nous asseyant une demi-heure par jour pour méditer. Pour la majorité d’entre nous, même y consacrer cette simple demi-heure semble une durée considérable. C’est pourquoi, maintenant que le bouddhisme est arrivé à l’Ouest, nous devons adopter une attitude réaliste à son égard.
Au début, les raisons pour lesquelles nombre de gens sont attirés par le bouddhisme sont peu favorables aux progrès. Il y a ceux qui pensent que c’est à la mode, la dernière tendance. Il va de soi que les modes ne cessent de changer, ce n’est donc pas une raison durable pour se tourner vers le bouddhisme. D’autres y viennent parce qu’ils sont attirés par l’exotisme – ils ont peut-être lu des choses sur la façon dont les Tibétains percent des trous dans le front des gens pour leur ouvrir un troisième œil, ou des choses de cet ordre.
Il m’est arrivé de traduire une fois pour Nechung Rinpotché à New York. Quelqu’un dans l’audience, qui avait l’air d’avoir pris de la drogue, s’est levé et a dit : « Si je comprends bien, l’Atlantide se situe sous la terre et on y trouve des soucoupes volantes qui sortent de son centre par la bouche des volcans, ma question est donc de savoir si la Terre est creuse ? » Le Lama l’a regardé de manière très, très sérieuse, et a dit : « Non, en réalité, la Terre est plate et carrée. Question suivante ! » C’était une réponse habile, car en vérité elle était encore plus bizarre que la question. Si nous recherchons l’exotisme, nous serons déçus au bout d’un moment. Bien que la culture tibétaine est très différente de nos cultures européennes, il n’y a rien de vraiment mystérieux en elle.
Certaines personnes se tournent vers le bouddhisme parce qu’elles sont désespérées, en quête d’un remède miraculeux susceptible de régler un problème physique ou émotionnel. C’est une approche très dangereuse parce que le fait d’avoir ce genre d’attente et d’espoir place l’individu à la merci de toutes sortes d’abus possibles. Il y a des gens qui disent : « Lama, lama, dites-moi seulement les paroles magiques à prononcer, je ferai n’importe quoi ! » Ceci pourrait conduire à des conséquences plutôt fâcheuses.
Maintenant, même si initialement nous entretenons ces sortes de motivations, celles-ci peuvent être modifiées. Bon nombre d’entre nous viennent au bouddhisme par curiosité, ou, peut-être, à cause d’une connexion karmique qui nous y a conduits inconsciemment.
Attitude correcte pour aborder le bouddhisme
Pour quelqu’un qui voudrait s’orienter vers le bouddhisme et l’étudier, si l’on se réfère aux textes traditionnels, on y trouve de nombreuses descriptions de la bonne attitude à avoir. Aryadéva, un maître indien d’autrefois, a dit qu’un disciple potentiel doit d’abord être impartial, cela veut dire dénué de préjugés, et doté d’un esprit ouvert. Il n’est d’aucun secours de penser : « Bon, j’ai lu quelques ouvrages, donc je sais tout ; tout ce dont j’ai besoin c’est d’un glaçage sur le gâteau comme finition. » Il n’est pas bon d’entretenir des idées bizarres à propos du bouddhisme et de penser que tout est là, ou bien d’être sectaire et de penser : « C’est ma religion, ma secte, ma tradition. Tous les autres ont tort. » Nous devons garder l’esprit ouvert et nous dire : « Je veux apprendre. »
Aryadéva a dit ensuite qu’il faut faire preuve de bon sens. Il faut être capable de voir dans les enseignements ce qui est raisonnable et ce qui ne l’est pas. L’exemple traditionnel qu’on donne est le suivant : si on lit dans un texte qu’il faut porter des vêtements chauds et dans un autre des vêtements très légers, c’est à nous d’utiliser notre bon sens. Nous en déduisons que les vêtements chauds sont à porter en hiver, et les autres en été.
Le bouddhisme est vraiment destiné à nous aider à penser par nous-mêmes. Il ne s’agit pas d’avoir l’esprit militaire comme lorsqu’un instructeur nous dit quoi faire et que nous lui répondons « oui monsieur ! » sans nous poser aucune question. Dans le bouddhisme, ce n’est pas la façon de faire. Nous pouvons nous renseigner sur les qualifications d’un maître spirituel, sur sa manière supposée d’enseigner et d’agir, et, si l’on s’aperçoit qu’il agit en contradiction avec les codes de bonne conduite, nous utilisons notre bon sens pour nous dire que quelque chose ne va pas. Nous posons alors des questions et enquêtons sur ce qui se passe.
La troisième chose dont nous avons besoin est de faire montre d’intérêt – un intérêt sincère – envers les enseignements du Bouddha. Un grand maître sakya du nom de Sonam-tsemo a écrit un texte intitulé La Porte d’entrée aux enseignements, qui fait mention de trois choses nécessaires pour aborder les enseignements bouddhiques et développe en fait les points évoqués par Aryadéva. L’une des choses principales est de reconnaître la souffrance dans nos vies – en d’autres termes, pourquoi nous intéressons-nous au bouddhisme ? Est-ce juste par curiosité, pour avoir quelque chose à dire et pouvoir bavarder avec des amis autour d’une tasse de café ? Ou est-ce parce que nous avons réfléchi à notre vie et constaté qu’elle comporte des difficultés et des problèmes ? Ou bien parce que nous avons parfois des émotions négatives et que nous souhaitons sincèrement nous en sortir au lieu de juste vivre avec ? En psychologie, il y a de nombreuses approches qui disent : « Bon, la vie est dure, votre situation est difficile mais vous devez apprendre à vivre avec sans trop vous plaindre ». Mais ce n’est pas le but du bouddhisme ! Ce que nous voulons, c’est nous en sortir, complètement !
Donc, nous reconnaissons qu’il y de la souffrance dans nos vies et nous souhaitons sincèrement nous en sortir ; puis, ce qu’il nous faut, c’est une connaissance des enseignements du Bouddha et une certaine conviction qu’ils nous montrent la sortie. C’est de cela qu’il s’agit quand on parle de renoncement. Nous renonçons d’une manière fondamentale – nous voulons nous débarrasser de notre souffrance et de ses causes. Nous sommes complètement d’accord pour les abandonner, et nous nous tournons vers le bouddhisme comme le moyen de nous aider à nous en sortir. En gros, c’est cela le refuge – c’est orienter nos vies dans cette direction-là.
Même si, en tant qu’Occidentaux, nous ne sommes pas en mesure de consacrer tout notre temps à la pratique bouddhique en devenant moines ou nonnes, et devons faire face aux contraintes du travail, de l’école, de la famille, du trafic routier, etc., malgré cela, si nous gardons à l’esprit ces trois points mentionnés par les grands maîtres indiens et tibétains, nous pouvons bénéficier grandement des enseignements du Bouddha.
La quantité de temps que nous sommes en mesure d’allouer à la pratique bouddhique est, pour l’essentiel, proportionnelle à la compréhension que nous en avons. En réalité, pratiquer le bouddhisme ne veut pas dire prendre une demi-heure pour s’asseoir tranquillement et réciter des choses en se réfugiant dans une sorte de monde de rêve. C’est peut-être ce que font beaucoup de gens, mais ce n’est qu’une forme d’évasion. Et, bien que cette sorte de fuite puisse les aider à se détendre, ils ne savent pas vraiment comment appliquer les enseignements bouddhiques dans leur vie quotidienne. Cela devient un peu schizophrène – il y a la pratique d’un côté et la vie « réelle » de l’autre. Un exemple classique qui est souvent cité est celui d’un homme qui pose une question à quelqu’un en train de méditer, et ce dernier se met en colère et répond : « Ne m’embête pas ! Va-t-en ! Je médite sur l’amour ! »
Appliquer les enseignements bouddhiques à notre vie de tous les jours
Plus nous étudions et comprenons les enseignements bouddhiques, plus nous comprenons comment ils s’appliquent à notre vie de tous les jours. Bien sûr, cela suppose d’écouter d’abord les enseignements, ce qui peut se révéler être un casse-tête. Nous glanons des petits bouts par-ci par-là et c’est de notre responsabilité de les faire s’assembler parce que les morceaux peuvent s’appareiller de plusieurs façons et non d’une seule. Du fait que la vie est compliquée et variée, les enseignements bouddhiques et les pratiques sont également très profonds, très vastes et très complexes. Aussi devons-nous procéder à de nombreuses lectures et utiliser notre bon sens pour les faire s’ajuster. Et si nous ne comprenons pas tout de suite quelque chose, au lieu de simplement le rejeter, nous continuons à y réfléchir avec un esprit ouvert. Un des sujets qui entrent dans cette catégorie est le karma. Au lieu de le rejeter catégoriquement, nous pouvons nous dire : « D’accord, pour le moment je ne comprends pas. Je laisse ce sujet de côté pour un temps et j’y reviendrai plus tard, pour voir quelle compréhension j’en aurai alors. »
Après avoir assemblé quelques-unes des pièces du puzzle, nous devons réfléchir à l’ensemble, en aspirant à obtenir une compréhension plus vaste. C’est là qu’intervient à nouveau le bon sens. Si quelque chose nous paraît vraiment insensé, vraiment étrange, alors nous devrions poser des questions. Si aucun maître à qui nous puissions nous adresser n’est disponible, il y a de très nombreux livres et, bien entendu, Internet. Bien sûr, là aussi il y a beaucoup de bêtises, aussi devons-nous toujours faire attention. Si les documents consultés prennent une tournure mystique et tournent à l’occulte – laissez tomber ! Certains grands maîtres peuvent être hautement évolués, mais ne peuvent certainement pas léviter ou accomplir des miracles !
Poser des questions
Si nous avons un enseignant bouddhiste à notre disposition et d’un accès facile, poser des questions peut s’avérer d’une grande aide, mais seulement si on l’interroge au bon moment. Il convient, dans un premier temps, d’obtenir toutes les informations. C’est comme d’assister à une conférence, on attend la fin pour poser des questions. Il n’est pas raisonnable, dès qu’on entend une phrase, de bondir aussitôt et de poser une question sans savoir ce qui va suivre.
Traditionnellement, dans le bouddhisme tibétain, les moines ne posent pas beaucoup de questions directement au maître. Au lieu de cela, ils débattent entre eux, parfois aussi avec le maître. Le processus d’apprentissage est donc très interactif : chacun doit débattre. On ne peut tout simplement pas rester assis dans son coin et écouter passivement.
Les sessions de débat sont truffées de questions ardues qui nous font réfléchir sur notre propre compréhension. Cela nous pousse dans nos retranchements et débusque toute contradiction dans notre raisonnement. C’est vraiment important car jamais nous ne mettons en cause notre propre compréhension comme d’autres peuvent le faire, car nous abandonnons très vite. À la fin d’une séance de débat nous nous retrouvons avec une bonne compréhension du sujet et n’avons plus de doutes ni de questions. Alors seulement sommes-nous en mesure d’assimiler et de méditer sur le sujet.
D’une certaine façon, en Occident, la manière dont nous posons des questions n’est pas propice au développement personnel. Nous posons une question afin d’avoir une réponse, c’est tout. Ce n’est pas la méthode bouddhique qui est de laisser les étudiants essayer de résoudre la question par eux-mêmes afin qu’ils développent leur propre esprit. Bien sûr, c’est difficile dans un monde où on veut une réponse immédiatement après avoir posé la question sur un moteur de recherche – le style tibétain traditionnel est très différent.
Que nous fassions des débats formels ou non, nous pouvons avoir des discussions entre nous sur les enseignements bouddhiques. Par exemple, à la fin d’un enseignement, les étudiants peuvent se réunir par groupe de deux et discuter l’un avec l’autre de ce qu’ils ont retenu de l’exposé. S’il y a quelque chose que nous ne comprenons vraiment pas ou n’arrivons pas à élucider, nous pouvons nous adresser à l’enseignant. Dans le même temps nous devons nous attendre à ce que le maître nous interroge d’abord sur notre propre compréhension, chose que beaucoup de gens en Occident n’aiment pas car cela ressemble à passer un examen comme à l’école.
Toutefois, les débats sont très vivants et drôles. Quand quelqu’un dit une bêtise, tout le monde s’esclaffe – c’est un excellent exercice pour rabattre un égo un peu trop fort. Le débat dure suffisamment longtemps pour que chacun finisse par dire quelque chose de stupide et qu’on se moque de lui, et personne n’est vexé. En Occident, si tous les élèves dans la classe s’étaient mis à rire quand nous disions une chose fausse ou stupide, cela aurait très certainement renforcé notre manque d’estime de nous-mêmes. Souvent, il semble que bon nombre d’Occidentaux souffrent d’un manque d’amour propre, alors que c’est un phénomène très rare chez les Tibétains. En réalité, ils ont parfois l’air d’avoir une opinion un peu trop haute d’eux-mêmes ! C’est pour cela que, pour les Tibétains, peuple de montagnards qui pensent qu’ils ont toujours raison, le fait de débattre avec d’autres personnes qui se moquent d’eux, les aide vraiment à redescendre.
Laisser de côté notre bagage culturel
Dès lors qu’on aborde le bouddhisme, on doit rester conscient du bagage culturel qu’on transporte avec soi, susceptible de rendre confuse notre pratique. Rappelons-nous que selon Aryadéva, la première qualité d’un disciple est d’être impartial, c’est-à-dire d’aborder le bouddhisme sans idées préconçues. Souvent nous avons des attitudes inappropriées par rapport aux enseignements bouddhiques, dues à notre milieu d’origine, qu’il soit religieux ou non, et cela se reflète jusque dans la traduction des termes avec lesquels nous apprenons les concepts bouddhiques. Vertu et non-vertu, mérite et péché, bien et mal – souvent ces termes véhiculent tout le concept de culpabilité prédominant dans de nombreuses religions occidentales, nous poussant à croire que si nous ne pratiquons pas nous sommes « mauvais ». Ce dernier point génère d’énormes problèmes dans notre pratique. Ce genre d’idées vient de religions fondées sur des lois édictées par une autorité supérieure et sur une éthique fondée sur l’obéissance. Si on obéit, on sera récompensé, sinon on sera puni. C’est également le cas pour les athées – au temps de l’Union soviétique, soit on était un membre du parti communiste, soit on était un mauvais élément. C’est la même chose, la même mentalité.
En revanche, dans le bouddhisme, quand nous agissons de manière destructive, ce n’est pas parce que nous sommes « mauvais » et que nous devrions nous sentir coupables, mais c’est parce que nous avons au fond de nous cette confusion fondamentale. Nous ne nous rendons pas compte qu’agir d’une certaine façon va nous causer des problèmes incalculables. C’est pourquoi la réaction vis-à-vis de quelqu’un qui commet des actes horribles, n’est pas « tu es coupable et tu iras en enfer », mais la compassion. Ensuite, bien sûr, il y a aussi le fait que certaines religions ont cette idée d’une Vérité Unique, ce qui signifie qu’il n’y a qu’une seule voie possible et que tout le reste est dans l’erreur. C’est une cause de problèmes, et c’est la raison pour laquelle le Bouddha a enseigné une très grande variété de chemins pour aider les gens, car c’était utile et absolument nécessaire.
Cela n’aide pas de croire que quelque chose est vraiment difficile parce que cela provient de tel ou tel milieu, de telle religion ou de telle culture. Le point principal est d’être conscient que certaines façons de penser sont limitées pour des raisons culturelles seulement, dues à une culture ou une religion, et qu’il n’y a pas lieu de les projeter sur le bouddhisme.
Une approche ouverte
Il est toujours sage de garder les pieds sur terre quand on aborde le bouddhisme. Quand bien même certaines images que nous rencontrons en étudiant le bouddhisme tibétain peuvent nous sembler totalement étrangères, cela ne signifie pas pour autant qu’elles sont bizarres et appartiennent au monde occulte ; elles sont tout simplement différentes. Un jour, quand que je traduisais pour Serkong Rinpotché en train d’expliquer comment les Tibétains pratiquent le calcul, lequel est un peu différent de notre façon de le pratiquer en Occident, j’ai fait cette remarque : « Ouh ! c’est vraiment étrange », il me réprimanda par ces mots : « Ne sois pas si prétentieux. Ce n’est pas étrange ; c’est différent. Dire que c’est étrange n’est qu’une marque d’arrogance. »
Une fois que nous avons compris quelque chose des enseignements, alors, à travers la méditation, nous en faisons une habitude bénéfique. La méditation n’est pas quelque chose que nous faisons assis sur un coussin dans notre chambre ; c’est quelque chose que nous pouvons faire partout, tout au long de la journée. Nous pouvons également réfléchir aux enseignements bouddhiques à tout moment. En revanche, si nous n’écoutons pas beaucoup d’enseignements ou ne consacrons pas du temps à réfléchir et à essayer de les comprendre, nous serons envahis par le doute et les hésitations. Comment faire des progrès dans ces conditions ?
Vaincre le découragement
Dans la pratique du bouddhisme, il est très important de se rappeler que la nature de la vie est d’avoir des hauts et des bas. C’est particulièrement vrai en ce qui concerne notre vie de tous les jours et notre pratique quotidienne. Certains jours cela se passera très bien, d’autres non. Parfois nous n’aurons aucune envie de pratiquer, d’autres fois nous serons enthousiastes. C’est tout à fait normal.
Quand les choses ne se passent pas bien, en fait, qu’espérons-nous ? Ce ne sera jamais le paradis. Il n’y a aucun moyen pour que notre pratique du bouddhisme devienne linéaire et aille de mieux en mieux jusqu’à vivre heureux pour toujours comme dans un conte de fées. Même après de très nombreuses années, nous nous énervons encore contre des choses. L’important alors est de ne pas se décourager.
Peu importe qu’on soit laïc, moine ou nonne, nous ne pouvons pas nous attendre à avoir des résultats immédiats, même si nous pratiquons vingt-quatre heures par jour. Notre égoïsme et autres habitudes négatives sont très forts, mais nous pouvons toujours travailler dessus petit bout par petit bout. Comme le disait le grand maître indien Shantidéva : « L’époque où mes émotions perturbatrices pouvaient me désarçonner est révolue. Dorénavant, j’ai décidé de m’en défaire, et je ne vais pas baisser les armes. »
Pour voir si nous avons progressé, le Dalaï-Lama dit que nous ne devrions pas envisager la pratique sur le court terme. Il faut considérer une période de cinq années, si c’est là la durée de notre pratique, pour s’apercevoir que, certes il y a eu des hauts et des bas, mais au bout du compte, après tout ce temps, n’y a-t-il pas un progrès dans la façon dont nous gérons nos problèmes, notre tristesse, notre colère, etc. ? Si on arrive à rester un peu plus calme face aux difficultés de la vie, alors on a fait quelques progrès.
Mais ce peu de progrès n’est pas assez. On ne devrait pas s’en satisfaire. Quand on pense à la nature vaste de l’esprit, nous reprenons confiance dans le fait qu’il est possible de se débarrasser de tout ce fatras qui est la cause de nos problèmes. Nous en avons des exemples vivants, telle la personne du Dalaï-Lama et bien d’autres encore, qui peuvent nous inspirer et nous servir de modèles quant à ce qu’il est possible de réaliser. Qu’ils aient atteint l’illumination (l’éveil) ou non – comment pourrions-nous en juger ? –, nous pouvons juste constater la façon dont ils sont capables d’affronter les difficultés de la vie. Songez au Dalaï-Lama et à ces millions de gens en Chine et ailleurs qui le considèrent comme la pire personne au monde, et pourtant ça ne l’affecte absolument pas ! Tandis que pour la plupart d’entre nous, si quelqu’un pense de nous des choses affreuses, nous sommes tellement contrariés que nous pouvons à peine le supporter.
Même si nous n’avons jamais rencontré ou vu le Dalaï-Lama en chair et en os, nous pouvons consulter des livres ou regarder des vidéos de lui. Ce sont de grandes sources d’inspiration, et c’est cette inspiration qui nous permet de continuer quand les temps sont durs et de traverser les phases difficiles quand nous nous retrouvons au plus bas, dans cette vie faite de hauts et de bas.
Se transformer intérieurement sans avoir à se déguiser
Un autre point important au sujet de la pratique du bouddhisme en Occident, ou ailleurs en général, se trouve exposé dans le lojong, les « enseignements sur l’entraînement de l’esprit ». Ce qu’il nous est demandé de faire, c’est de nous transformer intérieurement tout en restant complètement normal à l’extérieur. Ce qui veut dire que le travail porte sur notre esprit, nos attitudes et notre personnalité. On ne se promène pas en arborant à la ronde une vingtaine de cordons rouges autour du cou, tout chargés de rosaires ou affublés d’accoutrements exotiques. Les gens qui nous verraient penseraient qu’il y a quelque chose de bizarre chez nous. Il n’y a rien de mal à porter des cordons rouges ou des chapelets si c’est bon pour nous, mais on peut les mettre dans son sac ou dans sa poche, on n’a pas besoin de les montrer au monde entier. Les enseignements tantriques insistent beaucoup sur le fait de garder ces objets à l’abri des regards car si on les affiche, les gens pourraient en rire ou se moquer. Et si on est amené à expliquer, cela aura pour effet d’en chasser toute dimension sainte ou sacrée. Quand cela reste du domaine privé et personnel, cela devient une chose spéciale, et c’est tout ce qu’il nous faut. D’autre part, en gardant un aspect extérieur normal, la majorité des gens peuvent entrer facilement en contact avec nous, et ceci est très important.
Rester humble
Comprendre la culture d’où le bouddhisme est issu permet de ne pas avoir d’exigences et d’attentes déraisonnables envers soi-même et envers les maîtres. Cela nous rend plus humbles parce que nous nous rendons compte que nous n’avons pas l’avantage de croire d’emblée au karma, etc., et que, donc, nous avons besoin de faire des efforts pour pouvoir le comprendre. Nous voyons que nous avons reçu une éducation occidentale qui nous fournit les outils pour réfléchir clairement sur ces sujets. Et nous admettons que, bien qu’incapables de nous consacrer pleinement à l’étude du fait que nous devons assurer une vie pratique, nous pouvons malgré tout faire des progrès. En dernier ressort nous n’avons pas de demandes excessives du genre : « Je veux juste une pilule magique qui me fera tout comprendre instantanément ! », au lieu de cela nous pensons : « Je dispose d’une certaine quantité de temps, je ferai ce que je peux avec. »
Résumé
Si on aborde le bouddhisme sans comprendre la culture traditionnelle à travers laquelle il nous parvient, cela peut nous rendre perplexes à son sujet. Nul besoin pour nous de changer d’habits, de coiffure ou de bijoux ; en fait, il n’y a rien à changer dans notre apparence extérieure. Avec un esprit ouvert et la détermination de comprendre les enseignements, la chose la plus importante pour nous est de travailler à la transformation intérieure de notre propre esprit.