Le renoncement et le développement d’un objectif de bodhichitta

Versets 9 à 12

Travailler à la libération

(9) Dans la mesure où les plaisirs des trois plans de l’existence compulsive sont des phénomènes qui périssent en un rien de temps, telle la rosée à la pointe des herbes, la pratique d’un bodhisattva est de nourrir un vif intérêt pour le suprême et immuable état de la libération.

Nous écoutons nos gourous et lisons tant de livres et, bien que nous y trouvions et en tirions une grande force d’inspiration, je pense que souvent nous nous sentons également un peu bloqués quelque part. Je pense que ce verset traite de cela. D’une certaine façon, nous sommes un peu comme des insectes. J’essaie ici de me servir d’un exemple ; je ne suis pas en train de dire que nous sommes des insectes ! Allumez une bougie et voyez combien d’insectes sont attirés par elle, comment ils tournoient autour de la flamme, puis meurent de leur attirance pour la flamme. Tous les efforts du samsara, toutes les choses que nous faisons et dans lesquelles nous plaçons nos efforts sont similaires. Mus par l’attirance, nous prenons plaisir à ce que nous faisons, mais, au bout du compte, quand tout est fait, ce n’est rien de plus qu’un simple souvenir.

Imaginez que votre patron vous octroie une année de congé, et que vous puissiez passer ce temps à faire tout ce que vous voulez. Vous visiteriez tel ou tel endroit, mangeriez des nourritures étonnantes, rencontreriez des gens merveilleux. Vous profiteriez de cette année puis vous reviendriez, et tout le monde vous demanderait : « Qu’avez-vous fait ? De quoi avez-vous le plus profité ? » « Je suis allé à tel et tel endroit. » Tout ce que vous partageriez ne serait plus qu’un souvenir. C’est tout ce qui nous reste : des souvenirs.

Le grand maître Shantideva a dit que tout revient à faire l’expérience d’un rêve, et que tout deviendra mémoire, simple souvenir. Nous prenons tant de photos de nous et les mettons en ligne pour avoir plus de « like ». Mais qu’est-ce que cela nous apporte ? Tout ce que nous obtenons, c’est quelques « like » et peut-être un commentaire disant « merveilleux ! » Et c’est tout.

Quand je donne à mon chien de la bonne nourriture, je vois les autres chiens qui le regardent. Ils l’admirent, ou peut-être sont-ils jaloux ! Mais mon chien me regarde toujours pendant que je mange, en se disant probablement : « Magnifique ! Quelle chance il a ! » Et moi je considère ces millionnaires qui mangent des plats sophistiqués tous les jours et peuvent sans effort acheter tout ce qu’ils désirent quand ils veulent. Pour eux, bien des choses que nous voulons et dont nous avons besoin, on les leur donne gratuitement !

Ensuite il y a ceux qui sont très riches, comme Bill Gates, lesquels pourraient maintenant avoir l’impression que les gens ici-bas sont plus heureux même si nous n’avons pas beaucoup d’argent. Ils se sentent probablement contraints du fait de leur célébrité et de leur richesse. Quoi qu’ils fassent, on en parle aux informations, cela devient public. Même leurs fils et leurs filles ne peuvent rien faire librement à cause des paparazzi. Quand nous faisons de mauvaises choses ou de bonnes choses, qui s’en soucie réellement ? Nous avons plus de liberté. C’est ce que les gens riches constatent quand ils nous regardent.

Quand un grand pratiquant médite et atteint shamatha, son esprit devient si contrôlé, l’état de son esprit devient si subtil qu’il parvient à un stade où il n’y a plus ni excitation ni souci, juste la paix. Nous pouvons atteindre ce sommet. Une fois que nous l’avons atteint, nous avons réellement le sentiment d’être le plus heureux. Mais il y a une date de péremption. Vous devez revenir. Cet état d’esprit ne dure que le temps de la méditation. 

J’ai regardé un enseignement de ma vie passée, le précédent Serkong Rimpotché, sur YouTube. Une merveilleuse question qu’il a posée à ses étudiants était : « Combien de temps continuerez-vous dans le samsara ? » Nous devons sans cesse revenir, encore et encore. Lors d’un séjour en France, quelques personnes l’avaient invité à monter en haut de la Tour Eiffel. Il a dit : « Laissez-moi rester en bas, vous, allez-y, grimpez, et profitez. » Indirectement, il leur donnait un enseignement. Il montèrent et jouirent des vues sur Paris. Quand ils redescendirent, il leur demanda : « Qu’avez-vous apprécié le plus ? » Ils répondirent : « Nous pouvions voir la ville tout entière ! » Il répliqua : « En somme, ce que vous avez le plus apprécié, vous l’avez laissé et vous vous êtes contenté de redescendre. Je n’ai réellement pas envie de faire ce genre de chose. »

Tel est le samsara. La vie est faite de hauts et de bas. Nous devons parfois l’apprendre des mains d’autres gens ou de ce que l’environnement naturel nous donne. Quelquefois nous sommes en bonne santé, quelquefois malades. Le bodhisattva Gyalse Togmé Zangpo dit dans le texte que toutes les expériences des trois royaumes ne durent qu’un moment. À notre âge – je suis moi-même dans la trentaine –, nous avons été confrontés à de nombreux problèmes dans nos vies. Parfois nous avons beaucoup pleuré et crié. Mais maintenant tout est fini. C’était juste un moment. Que nous ayons pris refuge ou non, que nous soyons bouddhistes ou non, nous pouvons tous voir cela. Tout ce que nous avons expérimenté nous apparaît maintenant comme du passé. Et puis il y a le futur, ce qui advient. Nous continuerons à affronter le bon et le mauvais dans notre vie. Au moment de la mort, nous dirons que tout a passé en un instant, dans un éclair. Cela est sûr. C’est pourquoi Gyalse Togmé Zangpo a dit que tout le bonheur des trois royaumes ne dure qu’un instant et disparaît vite comme des gouttes de rosée à la pointe des herbes.

Maintenant, la question est : « Y a-t-il quelque chose de mieux que ça ? » Gyalse Togmé Zangpo dit oui, il existe une meilleure chose, et c’est le suprême et immuable état de la libération.

Nous devons nous rappeler le premier enseignement du Bouddha sur les quatre nobles vérités. Il a enseigné sur la souffrance et a dit que nous devrions savoir ce qu’est la souffrance. Pour bien connaître la souffrance, nous devons connaître sa cause. Dès lors, nous ne devons pas perdre espoir, car la troisième vérité est la cessation. Il s’agit de la libération, la libération permanente. Une fois atteinte la cessation, peu importe le genre de souffrance, celle-ci ne reviendra pas. Aucune des émotions négatives ne peut plus jamais revenir. Nous possédons cet esprit intelligent, si donc nous voulons réellement déployer des efforts dans un domaine, nous devrions diriger notre effort dans le développement de notre esprit.

Pour atteindre la libération, nous devons étudier et réaliser le vide. Seul le vide peut nous aider à atteindre la libération. Physiquement et mentalement, je dirais que nous sommes pour 50% négatifs et pour 50% positifs. Parfois, c’est le négatif qui se manifeste, parfois le positif. Quand nous atteindrons la libération et serons débarrassés de tout le négatif, qu’est-ce qui nous garantit que le négatif ne refera pas surface ? Je me suis posé la question depuis que je suis jeune. Je ne suis pas sûr de quelle garantie il s’agit ! Quand on ôte toutes les émotions négatives et la saisie du soi, quelle est la garantie qu’un petit microbe ne vit pas caché en nous et ne grandira pas à nouveau un jour ?

Par chance, le grand maître Dharmakirti nous a donné de nombreux exemples. Une fois que nous pratiquons l’absence de soi et le vide, ils agissent comme antidotes à toutes nos émotions négatives et à notre saisie d’un soi. Ce n’est pas comme l’eau bouillante qui, une fois atteint le point d’ébullition, finalement se refroidit dès que vous éteignez la source de chaleur. Ici, le vide n’a pas de limite.

Sa Sainteté le Dalaï-Lama est une telle source d’inspiration pour moi. Il parle beaucoup avec les scientifiques. Au cours de l’une de ces conférences, une femme a présenté des recherches menées sur des nourrissons. On leur a montré des personnages animés. Quand un personnage était tenu dans les bras par un autre personnage, la réaction automatique du nourrisson était de sourire, et les aires du cerveau associées à l’amour s’allumaient. Mais quand les scientifiques montraient aux nourrissons un personnage en train de faire du mal à un autre, automatiquement les nourrissons manifestèrent des réactions de mal-être et de détresse. Ce que nous pouvons comprendre de cette expérience, c’est que la nature innée des nourrissons est « innocente ». Ou, du moins, qu’ils ont une façon de penser innocente, non partiale. On ne leur a pas appris que chérir autrui est bien et que leur faire du tort est mal. Mais leurs réactions naturelles face aux animations montrent que notre nature est quelque chose de positif, de bon.

Cela nous donne un grand espoir. Sa Sainteté a dit que quand il a appris cela venant des scientifiques, il a eu le sentiment que : « Désormais, je peux faire quelque chose. » Cela devint une base pour tout. Sa Sainteté a reçu un enseignement direct sous la forme de la recherche de ces scientifiques et de la part de gens sans aucune foi dans le bouddhisme, et il s’agissait du fait que l’humanité possédait naturellement quelque chose de très positif à l’intérieur d’elle. Il y a un grand espoir dans le fait que la nature des êtres sensibles soit positive. Nous pouvons appeler cette positivité naturelle la « nature-de-bouddha ». C’est là un magnifique enseignement que nous donnent les scientifiques et Sa Sainteté le Dalaï-Lama.

Développer un objectif de bodhichitta

(10) La pratique d’un bodhisattva consiste à développer l’objectif de la bodhichitta pour libérer des êtres sans nombre, car, si nos mères, qui ont été bonnes pour nous depuis des temps sans commencement, souffrent, que pouvons-nous faire en ne considérant (juste) que notre propre bonheur ?

La pratique de tous les bodhisattvas est de susciter et d’éveiller la bodhichitta. Le but est d’apporter la liberté au nombre infini des êtres sensibles. Comment un bonheur véritable pourrait-il jamais être trouvé quand nos mères, qui ont pris si profondément soin de nous au cours des âges, ressentent une telle douleur ?

Il ne s’agit pas juste de cette vie, mais de toutes nos vies. Dans toutes nos vies, nous avons eu une mère qui a pris soin de nous et a été tellement bonne avec nous. Si nous avons des difficultés à reconnaître la pureté de l’amour de notre mère dans cette vie et à penser en termes d’éons et de vies sans fin, alors il vaudrait peut-être mieux oublier ce verset et sauter au suivant.

Mais pensons à la bonté de notre mère dans cette vie. En vérité, la chose numéro un la plus extraordinaire que chacun de nous a expérimentée est la bonté de nos mères. Avant d’être né, pendant la grossesse, elle ne s’est jamais demandé qui était en elle ou n’a pensé : « Je ne veux pas de cet étranger à l’intérieur de moi. » La majorité des mères, même chez les animaux, ne se demandent pas qui est à l’intérieur. Elles ne se posent aucune question. Et cependant la mère fera tout pour protéger le bébé à l’intérieur d’elle, avant même de l’avoir jamais rencontré. Pendant neuf mois, les mères font très attention à ce qu’elles font, à ce qu’elles mangent, à ce qu’elles boivent. Même à son propre détriment, la mère fera tout ce qu’elle peut aussi longtemps que cela aidera le bébé. Essayez d’y penser maintenant et ressentez la bonté de votre mère. Ce genre de bonté ne peut pas être payée de retour en lui donnant une bonne nourriture, des vêtements coûteux à porter, ou une belle maison. Même si vous deveniez millionnaire et lui donniez une maison à dix millions de dollars, cela ne pourrait approcher ni se comparer à la bonté de votre mère. Nous ne pouvons pas la comparer. Pendant neuf mois, elle nous a porté sans avoir de doute. Et après notre naissance, elle a pris soin de nous alors que nous ne pouvions ni marcher, ni parler, et elle nous a éduqués. Bien entendu, le père apporte son aide également, mais en général, à cet âge, nous sommes plus connectés physiquement avec la mère. Et nous pouvons dire aussi que, de manière générale, la mère ressent plus d’affection et d’amour pour l’enfant.

Si nous méditons sur ce point, il n’y aura aucun doute possible à propos de la bonté de notre mère. Une fois nés, nos mères se préoccupent incessamment de nous. Jusqu’à leur mort, le souci des mères n’est pas seulement pour nous mais pour tout ce qui nous regarde. Nos partenaires et nos enfants, elle veut également en prendre soin. Nos mères veulent s’en occuper comme si c’étaient les leurs. Si vous pouvez imaginer le genre de bonté de votre mère, pouvez-vous imaginer ressentir cette même bonté envers tous les êtres sensibles ? Aucune chance ! Certaines personnes que j’ai rencontrées à l’Ouest semblent avoir des problèmes avec leurs mères. Ce sont des cas individuels. Mais, en règle générale, nous pouvons véritablement dire que nos mères ont été incroyablement bonnes pour nous.

Ces derniers temps, je dis souvent aux plus jeunes que prendre refuge dans le Bouddha, le Dharma, et le Sangha peut passer au second plan. Pour la majorité d’entre eux, ils ne sont tout simplement pas intéressés par les vies futures. Ils veulent juste vivre une vie agréable et normale. Parfois donc, on a l’impression que de parler du Bouddha, du Dharma et du Sangha est une perte de temps car cela ne les intéresse pas du tout.

C’est pourquoi le Bouddha a dit : « N’enseignez pas à ceux qui n’ont pas de foi. » Donc, au lieu de cela, je leur dis toujours que s’ils veulent avoir une vie samsarique parfaite, ils ne doivent pas oublier la bonté qu’ils ont reçue dans cette vie, à savoir l’amour de leurs mères. Ils devraient se focaliser dessus et commencer chaque journée en y réfléchissant. Pour nous, bouddhistes, qui avons pris refuge, le père et la mère ne concernent que cette seule vie. Le gourou, le Bouddha, le Dharma, le Sangha, eux, sont là jusqu’à ce que nous atteignions l’illumination. C’est notre priorité.

Maintenant, en vous rappelant la bonté de la mère de cette vie, essayez de ressentir que tous les êtres sensibles ont été nos mères au cours des vies passées. Et pensez qu’ils pourraient devenir nos mères dans une vie future. Bien qu’ils ne soient pas nos mères dans cette vie, essayez de ressentir la même chose envers d’autres êtres sensibles comme s’ils étaient votre mère.

Les gens qui se souviennent de leurs vies passées ont des parents dans cette vie, mais ils se souviennent également des parents de leur vie passée. Si vous vérifiez avec eux, ils auront le sentiment que leurs parents de cette vie et ceux de leur vie passée sont égaux. Biologiquement, ils ne sont pas les parents de cette vie, mais ils ont l’impression de les « connaître », et il ne leur est pas difficile de dire « maman » à la mère de leur vie précédente, car ils s’en souviennent.

Mais l’important n’est pas de s’en souvenir ou non. Parfois, il vaut mieux ne pas se souvenir de tout ! Nous avons fait tant de mauvaises choses, mieux vaut ne pas se les rappeler. Mais, tous ces autres êtres sensibles nous ont donné tant, et maintenant, nous avons beaucoup à leur rendre. Pas seulement de l’argent, des vêtements et une éducation. Un simple sourire et une démonstration de patience sont un meilleur cadeau que ces choses physiques. En revanche, ce que nous devons réellement faire, c’est de commencer à travailler à les libérer de l’existence récurrente incontrôlable.

Le Bouddha a dit que quand nous éprouvons une puissante aversion envers quelqu’un, toutes les bonnes connexions que nous avions auparavant avec cette personne dans de nombreuses vies antérieures seront automatiquement détruites. Je ne suis pas sûr de cela, car je ne peux pas voir si c’est vrai. Mais il y a une logique derrière cela. Je la ressens fortement. Une fois que vous avez un conflit avec quelqu’un, cela peut ruiner toute une vie d’amitié. Après un pugilat, cela demande tellement d’effort ne serait-ce que de sourire à cette personne. Même si nous sourions à l’extérieur, ce qui se passe à l’intérieur est indescriptible. Nous pouvons voir dans cette vie comment les connexions peuvent être totalement rompues. Notre ami(e) bien-aimé(e) d’autrefois devient quelqu’un d’absolument horrible et déchaîne en nous une haine irrépressible. Nous souhaitons ne l’avoir jamais connu(e). Toutes ces choses sortent non seulement de notre bouche, mais aussi de notre esprit. Je peux voir comment ces sortes d’émotions négatives puissantes pourraient trancher net des connexions non seulement dans cette vie mais aussi dans les vies suivantes. Ce que nous avons construit est totalement gâché. C’est de ce point qu’il s’agit quand le Bouddha dit que de puissantes émotions négatives comme la colère détruiront les connexions que nous avons construites ensemble. Cela détruira l’équivalent de cent éons de notre mérite.

S’échanger avec autrui

(11) La pratique d’un bodhisattva est d’échanger purement notre bonheur personnel contre la souffrance des autres, car (toutes) nos souffrances, sans exception, viennent du fait de désirer notre bonheur personnel, tandis qu’un bouddha pleinement illuminé naît de l’attitude de souhaiter que les autres aillent bien et soient heureux.

Quand vous êtes très heureux, n’oubliez pas que le Bouddha nous a instruit sur le bonheur et la loi de causalité. Le bonheur que nous avons à sortir avec nos amis, avec lesquels nous pouvons tout partager, et avec qui nous pouvons bavarder, boire et danser, et qui nous donnent le sentiment de nous procurer tant de plaisir, est-ce du bonheur réel ? Maintenant, je ne suis pas du tout en train de dire que ce n’est pas une part du bonheur. Ça pourrait l’être. Mais faites un pas en arrière et pensez à la raison pour laquelle nous aimons nos amis ? Nous disons qu’ils sont importants pour nous, mais ce n’est pas entièrement correct. Nous disons qu’ils sont importants uniquement parce qu’ils augmentent notre sentiment de bonheur. Donc, s’ils nous rendent heureux, nous les considérons comme des amis.

Puis, nous pouvons faire un pas de plus en arrière et nous demander : « Pourquoi suis-je important ? Pourquoi est-ce que je veux toujours être heureux ? » C’est parce que nous nous sentons importants. En fin de compte, il s’agit tout le temps de « moi, moi, moi ». Nous ne le disons pas à haute voix, mais c’est là, profondément en nous. Bien sûr, nous sommes importants. Mais, malgré tout, toutes les décisions que nous prenons, les gens que nous aimons, tout tourne autour de « moi ».

Cela ne poserait pas de problème si toutes nos vies se passaient bien, et que nous étions toujours heureux. Mais il n’en est pas ainsi. Même si nous ne pensons qu’à nous et à notre bonheur, nous récoltons toujours de la souffrance. C’est pourquoi Gyalse Togmé Zangpo dit que toutes les souffrances que nous éprouvons viennent du fait de rechercher le bonheur pour soi seul. Telle est la clé.

À l’opposé se situent les bodhisattvas. Au lieu de penser seulement à eux-mêmes, ils pensent uniquement au bien-être de tous les êtres sensibles. Dans une élection, tous les candidats disent : « Je ne suis qu’un simple serviteur au service du peuple. » C’est comme ça qu’ils gagnent les élections ! Mais une fois élus, ils agissent de façon complètement différente. Ils ne sont pas sincères. Les bodhisattvas pratiquent toujours sincèrement. Ils ont réalisé que la souffrance vient de ne penser qu’à soi. Les bodhisattvas mettent les autres en premier, et eux-mêmes en second.

Il y a quelques jours, j’ai assisté à un pugilat dans la rue ; non pas un combat physique mais un pugilat avec beaucoup de cris et d’injures. J’écoutais et je m’ennuyais parce qu’il semblait qu’ils ne se battraient jamais. Ha ! Ha ! Je plaisante bien sûr ! Je les écoutais donc, et l’un a dit : « Dis “pardon” et le problème est réglé. » L’autre était quelqu’un de très buté et a dit : « Non, je ne dirai pas “pardon”. » Fondamentalement, ils se battaient à propos du mot « pardon ». C’est ça l’égo. Dire juste « pardon » aurait tout résolu, mais un des gars n’était pas prêt de laisser tomber.

Si quelqu’un est contrarié par un bodhisattva, ce dernier s’excusera automatiquement, peu importe la raison. Si vous placez les autres en premier et vous-même en second, alors automatiquement vous penserez : « Il se peut que j’ai mal agi », et vous vous excuserez. Mais si vous vous mettez en premier, et les autres en second, quand quelqu’un se met en colère après vous, vous ne ferez pas attention, ou vous voudrez juste contrattaquer. Il est temps de changer cette façon de penser.

Placer les autres en premier ne veut pas dire qu’ils deviennent notre patron et que nous devenons de pauvres petites choses qu’on peut piétiner. Ce n’est pas du tout comme ça. En fait, penser comme un bodhisattva requiert une force et un courage incroyables. Sa Sainteté le Dalaï-Lama dit toujours que les bodhisattvas sont très intelligents car ils savent comment s’aimer eux-mêmes. Nous dépendons des autres. Si nous pouvons rendre les autres heureux, nous aussi nous le serons. « Moi » est inclus dans « nous » tous. C’est la raison pour laquelle s’échanger avec autrui est très important.

Le comportement d’un bodhisattva : gérer les préjudices

(12) La pratique d’un bodhisattva consiste, même si quelqu’un sous le pouvoir d’un grand désir vole ou pousse les autres à voler notre richesse, à lui dédier nos corps, nos ressources, et nos actions constructives des trois temps.

Oubliez un instant les autres versets, et imaginez que quelqu’un qui ne croit pas au bouddhisme voie celui-ci. Il pensera que c’est la chose la plus insensée jamais pensée ! Il y a des limites, et, dira-t-il, nous ne devrions pas tolérer ce genre de comportement. Ils m’ont volé, ils ont dit du mal de moi, ils m’ont frappé. C’est pourquoi nous devons attaquer ces gens en justice. Nous devons nous venger d’eux ! C’est ainsi que pensent les gens normaux. Mais les bodhisattvas donne tout facilement. Pourquoi ? Pour eux, c’est facile et naturel ; ce n’est pas du tout quelque chose d’insensé que de le faire. Pour nous ce serait une folie. Nous ne sommes pas prêts de faire cela. Je ne suis pas prêt à ça.

Assurément, nous aimerions suivre les pas des bodhisattvas, et nous les admirons profondément. Mais nous sentons que nous n’y sommes pas prêts. Nous ne pouvons pas juste tout donner aussi facilement. Nous devons donc nous demander pourquoi nous ne sommes pas prêts. La raison est assez simple. C’est parce que nous ne considérons pas tous les êtres sensibles comme aussi précieux que les bodhisattvas le font. C’est ce qu’écrit Guéshé Langri Tangpa dans les Huit Versets sur l’entraînement de l’esprit : « Les êtres sensibles sont très spéciaux à mes yeux, ils sont pareils à un trésor. Grâce à eux, j’obtiens la pleine illumination. Ils sont le plus précieux des trésors. » 

Les bodhisattvas voient d’immenses qualités chez tous les êtres sensibles. Le précédent Serkong Rimpotché a dit lors de l’un de ses enseignements que la bonté du Bouddha, des bodhisattvas, de nos gourous et des êtres sensibles est équivalente. La bonté de tous les êtres sensibles est égale à celle des bouddhas et des bodhisattvas. La bonté des êtres sensibles est incommensurable. Si on ne voit pas la bonté de tous les êtres sensibles, il peut s’avérer assez difficile de voir leurs bonnes qualités.

Pour nous accoutumer à l’idée de tout donner, il est également bon de penser à l’impermanence. Il se pourrait que nous ayons des millions de dollars sur notre compte, mais quand le moment est venu de quitter ce monde, rien de cet argent ne viendra avec nous. Il ira aux enfants, et aux associations caritatives, ici et là. Il se pourrait même que les enfants nous rendent visite quand nous serons à l’hôpital, peut-être avec un peu de tristesse, mais probablement avec des buts plus vastes. Ils essaieront d’obtenir tout l’argent pour eux ! Peut-être que le testament est déjà signé. Que cela nous plaise ou non, nous devons tout donner. Nous ne pouvons pas dire à nos enfants : « S’il vous plaît, envoyez-moi tout cela au ciel. »

Donc, peu importe ce qu’ils ont, les bodhisattvas sont prêts à le donner à quiconque en a besoin. Il y a un guéshé, un de mes amis qui est un grand pratiquant, et qui était un étudiant de ma vie passée. Quand mon maître était jeune, il est allé voir ce guéshé et lui a demandé des conseils pour méditer sur l’impermanence. Le guéshé a dit : « Je ne sais pas. » C’était quelqu’un de très humble. Mon maître a insisté plusieurs fois, mais tout ce que le guéshé a dit était : « Rien ne sort de mon cerveau. » Mon maître pensa donc à prendre congé et lui en demanda la permission. Mais le guéshé lui demanda de rester et finit par lui servir du thé et par lui donner à déjeuner et à dîner. Finalement, mon maître dit : « Je devrais partir, la nuit tombe et il se fait tard. » Ce guéshé vivait dans une grotte en haut de la colline. Le guéshé lui dit donc : « D’accord, tu devrais partir maintenant. » Il sortit alors quelque chose de dessous son lit pour le donner à mon maître. Il s’agissait de 200 roupies, ce qui représentait une grande somme pour l’époque. Il donna également à mon maître une paire de chaussettes. Le guéshé dit : « Que cela te plaise ou non, pense à la manière dont tu devras tout laisser derrière. Auparavant, que peux-tu faire ? Prépare-toi. » Pour mon maître, ce fut un enseignement tellement incroyable. 

Quand nous mourons, nous devons tout abandonner. Nous n’avons pas le choix. Donc, d’une certaine façon, ne vaut-il pas mieux commencer à tout donner dès maintenant ? Vous pouvez tout aligner ici même et je peux vous distribuer les choses une par une ! Je peux alors voir votre bonheur de mes propres yeux. Ce serait plutôt héroïque, non ? Et, pareillement, nous pouvons souhaiter que nous offrons tout simplement aux autres tous les potentiels positifs que nous avons accumulés. C’est comme d’ouvrir un compte bancaire au nom de tous, et je vous donne à tous 1000 dollars dans cette vie. Mais dans la prochaine, je vous en prendrai 3000 ! Ha ! Ha ! Je plaisantais juste, ce n’est pas correct du tout.

Dédicace

Mon objectif principal ici est de vous apporter ma propre façon de penser et de vous montrer combien cette pratique est importante. Si je peux délivrer un peu de ce que j’ai appris de mes maîtres et exprimer les grandes qualités que j’ai vues chez mes gourous, alors c’est magnifique. Si cela vous aide, alors c’est encore mieux. Même si ce n’est pas le cas, cela me procure le merveilleux sentiment de servir mes maîtres. Ce qu’ils ont partagé avec moi ne sera pas perdu. Ma propre pratique est seulement de l’ordre de 1% des100% qu’ils m’ont transmis, mais si je peux partager ces magnifiques enseignements avec vous, j’ai le sentiment d’accomplir un grand travail pour eux. Je me sens très reconnaissant.

S’il vous plaît, dédiez tous les potentiels positifs que nous avons créés aujourd’hui à la longue vie et à la bonne santé de Sa Sainteté le Dalaï-Lama. Nous ne devrions pas perdre de temps avec Sa Sainteté, car il se fait vieux. Il est venu sous une forme humaine. Il est dans ses quatre-vingt ans maintenant, et bientôt il sera dans ses quatre-vingt dixièmes années. Nous ne pouvons pas ignorer la réalité. Il ne sera plus capable d’enseigner très longtemps. Nous avons été habitués à avoir deux sessions par jour, mais dorénavant nous n’avons plus qu’une session. Nous ne devons donc pas être paresseux. Quand nous écoutons Sa Sainteté, il est certain que nous trouverons beaucoup plus d’inspiration en nous.

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