Arrière-plan historique et rareté des enseignements

Introduction aux trois différents types de Dharma

En général, les enseignements du Dharma peuvent être divisés en enseignements du Hinayana et enseignements du Mahayana. Le mot « dharma » signifie « chose qui détient sa propre nature ». Toutefois, penser aux dharmas comme à n’importe quelle chose qui prend ou s’empare de n’importe quelle autre chose est une définition trop large et peut prêter à confusion. Un œil, par exemple, se saisit d’objets dans le sens cognitif de les prendre comme objets de cognition. Ce n’est pas la signification d’une chose qui détient sa propre nature dans le sens où ce qui compte pour elle c’est d’être un élément individuel.

Cependant, le Dharma dont nous parlons aujourd’hui, ce ne sont pas les dharmas dans le sens de n’importe quel phénomène qui détiendrait sa propre nature individuelle. Dharma est un mot sanskrit qui a la connotation de « tenir » ou, dans le contexte d’aujourd’hui, de « retenir ». On peut le comprendre à trois niveaux :

  • Premièrement, cela fait référence à quelque chose qui nous retient de la souffrance que personne ne souhaite éprouver. Plus spécifiquement, le Dharma est quelque chose qui nous retient en particulier de la souffrance de chuter dans l’état malheureux d’une renaissance inférieure.
  • Deuxièmement, dans une perspective un peu plus élaborée, d’une manière générale, on peut aussi avoir le mot Dharma dans le sens de ce qui nous retient de la souffrance de toute renaissance samsarique récurrente incontrôlable.
  • Troisièmement, une compréhension encore plus avancée, en fait une chose qui nous retient d’avoir une attitude d’amour de soi ou d’égoïsme, et de ce fait nous procure une paix considérable.

Telles sont les trois différentes conditions dont le Dharma nous retient, les trois différentes manières par lesquelles le Dharma peut aider à restreindre les causes de notre souffrance.

La pratique du Dharma

Si nous allons plus loin dans la signification du mot Dharma et dans ce que veut dire pratiquer le Dharma, ce n’est pas, par exemple, s’intéresser aux vêtements, à la nourriture, à la renommée, au statut social, et à toutes ces choses de cette vie. Avoir celles-ci pour notre intérêt exclusif n’est pas la pratique du Dharma. S’il n’existait pas une chose telle que les vies futures, alors il serait normal d’être concerné par cette seule vie, mais tel n’est pas le cas. Il y a des vies futures.

Même si nous ne pouvons pas arriver à une conclusion ou décision définitive quant à l’existence des vies futures, néanmoins, nous ne pouvons pas non plus arriver à une conclusion définitive quant à leur inexistence. C’est pourquoi si nous sommes quelqu’un qui travaille à faire bénéficier et à améliorer les vies futures à compter de la prochaine et des suivantes, on peut dire de nous que nous sommes un(e) « pratiquant(e) du Dharma ».

Concernant quelqu’un qui travaille à améliorer les vies futures et les suivantes, cela peut être fait de deux façons : nous pouvons travailler à faire profiter nos propres vies futures, ou nous pourrions avoir pour but d’en faire bénéficier les vies futures de tous les êtres. Si nous ne sommes pas concernés par le fait de travailler seulement pour nous-mêmes mais souhaitons travailler à libérer tout le monde de la souffrance et apporter le bonheur à tous dans la durée, et si tout type d’actes positifs que nous prenons est dirigé vers ce but, une telle orientation est le Dharma du Mahayana, le Véhicule Vaste. C’est de cela dont nous parlons aujourd’hui. 

Ce genre d’attitude grâce à laquelle nous souhaitons que tout le monde soit heureux et séparé de la souffrance est, en fait, quelque chose qui peut être développé sur nos continuums mentaux. Nous pouvons développer cela au moyen de la méditation et de la pratique dans la vie quotidienne. Autrement dit, nous pouvons accumuler cette attitude en nous familiarisant avec elle.

Développer la bodhichitta, la conscience discriminante du vide et la conduite correcte

Si nous avons ce souhait que tous soient heureux et libres de souffrance, et si nous visons à atteindre l’actualisation de l’illumination afin d’être en mesure que cela arrive, nous avons l’attitude connue comme le « mobile illuminant de la bodhichitta ». Toutefois, se contenter de développer cette motivation ou objectif de bodhichitta sur nos continuums mentaux n’est pas suffisant. Nous avons également besoin de la conscience discriminante (shes-rab, sagesse) du vide (de la vacuité).

Cette conscience discriminante qui comprend le vide doit être dénuée des deux extrêmes du nihilisme et de l’absolutisme. Aussi, nous avons besoin d’une excellente et complètement parfaite vue correcte du vide. Afin de développer cette vue correcte, nous devons développer la concentration d’absorption libre de lourdeur mentale et de distraction. En plus d’une vue pure et correcte et d’un état méditatif approprié, nous avons besoin du type de conduite, ou actions, juste et parfait. Nous devons suivre les actes énoncés par le Bouddha à propos de ce qui est bénéfique et ne pas agir d’une manière jugée comme préjudiciable par le Bouddha.

Afin de nous aider à pratiquer de cette façon, grâce à une complète synthèse d’une vue correcte, d’une manière correcte de méditer et d’une façon d’agir appropriée, et afin de développer ces trois comportements sans qu’aucun ne fasse défaut, je vais enseigner un texte qui traite de ce sujet. Il est intitulé Une lampe sur la voie vers l’illumination (Byang-chub lam-gyi sgron-ma, skt. Bodhipathapradipa) du maître indien Atisha.

Motivation correcte pour écouter l’explication du texte

L’attitude que nous devrions avoir quand nous écoutons ces enseignements est celle grâce à laquelle nous souhaitons entendre ces enseignements pour les pratiquer et les réaliser afin d’être bénéfiques à tous les êtres. Nous devrions avoir un souhait très puissant d’être véritablement capables de comprendre ces enseignements, d’en réaliser nous-mêmes tous les points, et d’en faire une réalité à l’intérieur de nous. C’est avec cette attitude que nous devrions écouter ces enseignements. 

Afin d’en comprendre tous les points et de les transformer en une façon vivante de penser, de parler et d’agir, nous devons vraiment les mettre tous en pratique. Pour être capables de pratiquer le chemin, nous devons d’abord le connaître. Afin de connaître le chemin, nous devons d’abord l’entendre. Cependant, cela ne suffit pas de simplement connaître le chemin, nous devons le mettre véritablement en pratique. De même, ce n’est pas assez de le mettre juste en pratique, nous devons le parcourir jusqu’à son terme.

Nous ne devrions pas penser que nous serons capables d’obtenir de pleines réalisations après quelques mois ou quelques années, mais penser à travailler sur une longue période, nous améliorant progressivement, vie après vie après vie. Finalement, au terme de ce très long processus, nous atteindrons l’illumination. Cela commence par entendre parler des enseignements et les écouter attentivement, avec l’attitude d’avoir l’intention de mettre en pratique tout ce que nous entendons.

Par exemple, les textes déclarent que nous devrions nous abstenir de prendre la vie des autres et qu’il y a nombre d’inconvénients et de terribles conséquences qui découlent de l’acte de tuer. Les textes déclarent également que si nous nous abstenons de tuer, nous aurons une longue vie. Nous devrions penser : « À partir de maintenant, j’arrêterai de tuer. » De cette façon, nous devrions penser à mettre immédiatement à exécution ce que nous entendons. 

De même, quand il est dit que si nous avons des pensées malfaisantes et nourrissons de la mauvaise volonté envers les autres, c’est extrêmement négatif, aussi devrions-nous abandonner cette façon de penser. Nous devrions penser : « Je vais abandonner la mauvaise volonté et les pensées nuisibles envers les autres », et éprouver du regret pour ce que nous avons fait dans le passé. Nous devrions aussi prendre la résolution de ne plus jamais agir de la sorte à nouveau dans le futur. De cette façon, nous devrions mettre immédiatement en pratique ce que nous entendons.

Quand le texte dit que nous devrions avoir des pensées bienveillantes envers les autres et les aider, nous devrions penser : « C’est réellement ce que je dois faire. Je dois développer ce mobile illuminant de la bodhichitta sur mon continuum mental. Oui, c’est exactement ce que je dois faire. » Telle est la façon dont nous devrions aborder l’écoute des enseignements.

D’un autre côté, écouter seulement pour obtenir une connaissance intellectuelle des faits et des contenus des enseignements n’est pas du tout correct. Être savant dans les enseignements, dans le seul but de les connaître, n’est pas suffisant. Ce dont nous avons besoin, c’est d’une combinaison de trois choses :

  • La première est d’être versé dans le sujet
  • La deuxième est d’être très correct et strict dans notre conduite et notre éthique
  • La troisième est d’être très bon et chaleureux dans notre façon de penser.

Nous devons être savant, strict et chaleureux. De ces trois qualités, la plus importante n’est pas d’être savant, mais d’être strict dans notre éthique et notre conduite. Bien entendu, il vaut mieux avoir les trois, mais si nous ne le pouvons pas, alors mieux vaut avoir les deux dernières. De fait, si quelqu’un est très savant mais agit de manière négligente et indisciplinée, cela ne fera pas l’affaire.

Ceci est une introduction au sujet et maintenant nous allons entrer dans le corps principal de l’enseignement. 

Introduction au texte

L’auteur de ce texte, Une lampe sur la voie vers l’illumination, est Atisha, Dipamkara Shrijnana. Le texte commence par le titre en sanskrit, Bodhipathapradipa, et en tibétain, Byang-chub lam-gyi sgron-ma, ou Une lampe sur la voie vers l’illumination en français. Si on essaie de coupler les deux langues, le sanskrit et le tibétain, alors bodhi en sanskrit est byang-chub en tibétain, voulant dire « état purifié », dans ce cas « illumination ». Patha est lam en tibétain, voulant dire « chemin » ou, plus pleinement, « cheminement d’esprit conduisant à un état purifié ». Pradipa est sgron-ma en tibétain, qui veut dire « lampe ».

Les cinq chemins : les cinq chemins de l’esprit

L’état purifié d’illumination fait référence à la conscience omnisciente sur le continuum mental d’un bouddha. On désigne aussi cette conscience omnisciente comme « cheminement d’esprit n’ayant plus besoin d’entraînement » (mi-slob-lam, le chemin où l’on n’apprend plus). Avant de réaliser ce chemin sans plus d’apprentissage, nous devons réaliser les quatre chemins préalables du Mahayana qui nécessitent un entraînement ultérieur supplémentaire. 

D’abord vient un chemin où l’on accumule (tshogs-lam, le chemin d’accumulation), suivi d’un chemin de mise en œuvre (sbyor-lam, le chemin de la préparation). Parmi les chemins des êtres ordinaires et des êtres hautement réalisés, les aryas (les êtres nobles), ces deux premiers sont les chemins des êtres ordinaires. Une fois atteint le chemin de la préparation, nous aurons une réalisation conceptuelle du vide. Toutefois, avant cela, il y a le chemin d’accumulation, grâce auquel nous accumulons un état d’union entre un esprit calme et posé de shamatha, fruit d’une concentration d’absorption parfaite, et l’esprit exceptionnellement pénétrant de vipashyana. Ce chemin d’accumulation est divisé en trois niveaux, chacun possédant trois stades : les trois chemins d’accumulation initiaux, les trois chemins d’accumulation intermédiaires, et les trois chemins d’accumulation avancés.

Ce n’est qu’une fois obtenu le chemin d’accumulation de niveau avancé que nous acquérons une cognition conceptuelle stable du vide ; alors que, avec les chemins d’accumulation initial et intermédiaire, nous n’avons que des moments occasionnels au cours desquels nous avons une réalisation conceptuelle du vide. Cependant, une fois que nous réalisons le chemin d’accumulation de niveau avancé, notre compréhension conceptuelle du vide sera stable.

De même, nous avons aussi cette cognition conceptuelle stable du vide grâce à un chemin de préparation, mais maintenant nous appliquons l’état unifié de shamatha et de vipashyana que nous avons obtenu grâce au chemin d’accumulation pour nous concentrer sur notre compréhension stable. Quand cette concentration sur le vide se fait avec une pure cognition non conceptuelle, nous avons atteint un chemin de vision (mthong-lam, le chemin de la vision). On l’appelle « chemin de la vision » parce que, grâce à lui, nous voyons une chose de manière fraîche et non conceptuelle, chose que nous ne voyions pas auparavant avec juste une cognition conceptuelle du vide. Après cela, quand nous nous familiarisons et méditons de plus en plus sur cette façon de voir le vide non conceptuellement, cela se fait grâce à un chemin d’accoutumance de l’esprit (sgom-lam, le chemin de la méditation).

À partir du chemin de la vision et au-delà, les chemins plus élevés sont connus comme les « chemins des aryas », les nobles chemins qui constituent la quatrième noble vérité, les véritables chemins.

Les dix niveaux des terres d’un bodhisattva

Partant du chemin Mahayana de la vision et au-delà, on entre dans un schéma divisé en dix niveaux d’esprit (sa, skt. bhumi) propres aux aryas bodhisattvas, connus comme « les dix niveaux des terres de l’esprit », les « dix bhumis ». La progression à travers ces niveaux d’esprit propres aux aryas bodhisattvas commence par la réalisation du chemin Mahayana de la vision.

Les noms des dix niveaux de bhumis ou terres de l’esprit sont :

  1. Suprêmement Joyeuse (rab-dga’-ba)
  2. Immaculée (dri-med)
  3. Illuminatrice ou Radieuse (’od-byed-pa)
  4. Étincelante de lumière (’od-’phro-ba)
  5. Difficile à purifier (sbyang dka’-ba)
  6. Anticipatrice (mngon-du phyogs-pa)
  7. Loin en allée (ring-du song-ba)
  8. Inébranlable (mi-g.yo-ba)
  9. Excellement intelligente (legs-par blo-gros)
  10. Nuage du Dharma (chos-sprin).

Les dix niveaux de ces bhumis d’esprit sont connus comme les « chemins nécessitant un entraînement supplémentaire ultérieur ». Nous les développons à mesure que nous progressons depuis le chemin de la vision jusqu’au chemin où il n’y a plus rien à faire, la conscience omnisciente d’un bouddha pleinement illuminé.

Quand nous marchons le long d’une route ou d’un chemin durant le jour, nous avons le soleil qui rend le chemin visible et l’éclaire. La nuit, il se peut qu’on ait des lampadaires ou des lumières électriques ou quelque éclairage de ce genre. Similairement, ce texte agit comme une lampe pour rendre clairs tous ces chemins et niveaux des bhumis de l’esprit dont nous venons juste de parler et qui mènent à l’état illuminé d’un bouddha.

Telle est la connotation et la signification du titre du texte, Une lampe sur la voie vers l’illumination, ou mieux peut-être, Lampe pour les chemins d’esprit vers l’illumination – un titre qui en lui-même possède un sens vaste et profond. Les mots avec lesquels le texte présente le sujet sont peu nombreux, mais leur sens est d’une très vaste portée. Bien que le texte lui-même n’ait que sept pages dans cette particulière édition, la signification essentielle des enseignements des soutras et des tantras dans leur totalité y est incorporée sous une forme hautement condensée. Dans la mesure où le point principal est la manière de dompter notre esprit, il contient des instructions pratiques à mettre en œuvre, immédiatement applicables par nous.

Brève introduction à la cosmologie bouddhique

Pour apprécier la rareté et le côté précieux de la vie humaine pleinement dotée dont nous disposons et notre opportunité d’écouter ces enseignements, il est utile de jeter un regard sur l’histoire de l’univers. L’âge du monde dans lequel nous vivons présentement est connu à juste titre comme « l’éon fortuné ». En général, il y a deux sortes d’éons ou ères : une ère de lumière ou époque lumineuse, et une ère d’obscurité. Au cours des ères sombres, les bouddhas ne se manifestent pas et le Dharma est absent. En revanche, au cours des ères lumineuses, les bouddhas se manifestent et sont présents, et il y a des enseignements du Dharma. L’éon particulier dans lequel nous vivons est connu comme « l’éon fortuné » parce que, dans cet éon, 1000 bouddhas se manifesteront et viendront dans notre monde.

Qu’est-ce qui constitue un éon, un kalpa en sanskrit ? Un grand éon comporte 80 éons intermédiaires. Un éon intermédiaire est la durée d’une vie humaine dans le Continent Méridional, durée allant de 10 à 80.000 ans avec retour à 10, changeant d’une année tous les siècles. Ces 80 éons intermédiaires sont divisés en quatre groupes – éons d’évolution (de formation), éons de persistance (de maintien), éons de désintégration et éons de vide – 20 pour chacun de ces groupes.

On pourrait se demander : « Comment ceux-ci sont-ils constitués ? » Vasubandhu en donne la description dans son Trésor de sujets spéciaux de connaissance (chos mngon-pa’i mdzod, skt. Abhidharmakosha). Il y explique que durant le premier éon intermédiaire des 20 éons intermédiaires d’évolution – la première série de 20 – un système de monde ou univers se forme. À partir d’un vide ou vacuité, la première chose qui se forme est connue comme un « mandala de vent », fait de l’énergie du vent. Par-dessus, vient ensuite la formation d’un mandala liquide ou d’eau, puis celle d’un mandala solide ou de terre. Après quoi, à la suite d’une grande pluie, on a la formation d’océans.

Telle est la description du texte. En premier, l’univers matériel ou environnement s’édifie et, ensuite, au cours des 19 éons intermédiaires suivants, l’évolution des formes de vie pour l’habiter prend place. Ces deux événements se produisent grâce à la force des potentiels karmiques collectifs généraux partagés par tous les êtres qui renaîtront dans cet univers. C’est de cette manière qu’un univers, tant l’environnement que les êtres qui l’habitent, survient. Cela prend 20 éons intermédiaires pour que le processus soit complet. Il y a un nombre incalculable d’univers, existant simultanément, mais chacun à des stades différents de leurs vies.

Les êtres humains de cette première période étaient d’un genre spécial. À cette époque, le soleil et la lune ne s’étaient pas encore formés. Les gens se ressemblaient tous, sans aucune distinction sexuelle, et étaient capables de voir grâce au rayonnement de leur propre corps, lequel émettait de la lumière. Les gens avaient des perceptions extrasensorielles ainsi que des pouvoirs supraphysiques. Ils n’avaient pas besoin de manger de nourriture grossière mais au lieu de cela se nourrissaient de la nourriture de la concentration en un point. La durée de vie des humains à cette époque était littéralement d’un nombre quasi incalculable, car il n’y avait ni soleil ni lune pour mesurer le passage du temps. En vérité, « incalculable » ou « indénombrable » est le nom pour la plus grande unité finie quand on compte par 10, 100, 1.000, 10.000, etc. De cette façon, si on augmente cela par dix jusqu’à la puissance 60, cela serait de fait la durée de vie des gens vivant à cette époque. Ainsi, « indénombrable » est plus de l’ordre du « milliard ».

Au cours du dernier des 20 éons intermédiaires d’évolution, apparut sur la terre une sorte de sol comestible, en réalité sans doute une espèce de mousse, conjointement au développement chez certaines personnes d’un appétit, dû à des potentiels karmiques antérieurs, pour des saveurs. Ces gens examinèrent cette excroissance en la touchant avec leurs doigts, en la léchant et, de cette façon, commencèrent à la manger. Ils la trouvèrent vraiment délicieuse, mais en commençant à lécher et manger cette mousse, finalement leurs corps perdirent leur lustre, leur brillance et leurs qualités lumineuses. À ce stade, le soleil, la lune et les étoiles s’élevèrent dans le ciel et, à cause de l’atténuation du potentiel positif que les êtres avaient accumulé, leur durée de vie diminua progressivement, passant d’un nombre incommensurable à celui de 80.000 ans.

Pendant cette période, cette mousse comestible sur le sol s’appauvrit, et les gens commencèrent alors à manger les fleurs de certains arbres. Leurs corps devinrent de plus en plus grossiers et finalement les gens se mirent à manger des nourritures de plus en plus médiocres. En conséquence de manger des nourritures grossières, leurs corps commencèrent à produire des déchets liquides et solides. Le résultat fut qu’ils développèrent un conduit urinaire et un tube digestif. C’est ainsi que leurs corps formèrent des organes sexuels et d’autres organes pour l’élimination des déchets.

Jusqu’à cette époque, la naissance de ces êtres humains se faisait par transformation miraculeuse. Ils apparaissaient simplement tout constitués, entiers ; cependant, une fois qu’ils eurent développé des organes sexuels et qu’ils s’engagèrent dans la copulation, les gens commencèrent à naître d’une matrice. Ceux qui s’adonnaient à la copulation étaient critiqués par ceux qui ne s’y livraient pas et ainsi les gens commencèrent à construire des maisons pour cacher leurs activités sexuelles du regard des autres. 

Les gens mangeaient de plus en plus, et chaque espèce de fleurs sur laquelle ils comptaient comme source de nourriture s’appauvrit. Finalement, les gens commencèrent à récolter d’avance ce qu’ils mangeraient le lendemain et le jour suivant. De cette façon, ils commencèrent à récolter ces fleurs et à les thésauriser. À cause de toutes ces provisions, inévitablement les fleurs s’épuisèrent et on n’en trouvait plus. 

Après cela, un genre de plante commença à pousser qui n’avait pas besoin d’être plantée ni cultivée. C’était un genre de plante qui poussait juste à l’état sauvage et qui était également très savoureuse. De nouveau, on en fit des réserves, en conséquence ces plantes ne poussèrent plus à l’état sauvage comme auparavant. Elles ne poussaient que si les gens les plantaient et les cultivaient vraiment en vue de les moissonner. Ceci fut à l’origine du développement de l’agriculture, et de la plantation de récoltes.

Le résultat fut que les gens commencèrent à morceler les champs et à penser en termes de « mon champ » et « ton champ » et des disputes surgirent. On avait besoin d’un tiers officiel pour régler ces différends, les gens se réunirent donc pour en choisir un. Le premier roi s’appelait Mahasammata (Kun-gyi bkur-ba), « L’Honoré par un grand nombre ». C’est à partir de cette époque que les gens commencèrent à être divisés en quatre castes, à la manière des Indiens.

Au cours de ce processus dans son entier, la durée de vie des êtres humains avait décru régulièrement jusqu’à atteindre désormais 80.000 ans. Ce fait et le début de la lignée des premiers rois marquèrent le commencement du premier des 20 éons intermédiaires de persistance. C’est seulement au cours de la période d’un éon intermédiaire de persistance, quand la vie humaine décroît d’une année par siècle, de 80.000 à 10 ans, que les bouddhas se manifestent et apparaissent dans cet univers.

Une fois encore, ce grand éon actuel est connu comme « l’éon fortuné » car au cours de ses éons intermédiaires de persistance, 1.000 bouddhas se manifesteront et viendront. Quand la vie humaine sur le Continent Méridional atteignit 80.000 ans, au début du premier éon intermédiaire de persistance, ce fut l’époque de la venue de Krakucchandra (’Khor-ba ’jig), le premier Bouddha de cet éon. Le deuxième Bouddha, Kanakamuni (gSer-thub), vint quand la durée de la vie humaine atteignit 60.000 ans. Le troisième Bouddha, Kashyapa (’Od-srung), vint quand la durée de la vie humaine atteignit 20.000 ans. Quand la durée de la vie humaine atteignit 100 ans, ce fut l’époque où le quatrième Bouddha, l’actuel Bouddha Shakyamouni, se manifesta et apparut.

Les cinq dégénérescences

De plus, durant ce processus dans son entier, tout le monde rapetissait. La taille des êtres humains et des animaux diminuait à mesure que la durée de vie se réduisait. Le quatrième Bouddha, le Bouddha Shakyamouni, vint pendant la période connue comme les « cinq dégénérescences » (snyigs-ma lnga, les cinq détériorations).

Quelles sont ces cinq ? Ce sont la dégénérescence :

  • Du temps
  • De la durée de vie
  • Des opinions
  • Des émotions perturbatrices
  • Des êtres.

En ce qui concerne la dégénérescence du temps, on peut comprendre cela par la manière dont dans le passé il y avait de nombreux trésors dans la mer et comment maintenant ils se trouvent amoindris. Cela fait référence au fait que les ressources naturelles sont appauvries ou épuisées. C’est ce qu’on entend par l’expression « époque dégénérée ».

De même, la deuxième dégénérescence, celle de la durée de vie, fait référence au raccourcissement de plus en plus grand de la durée de vie. De nos jours, il y a très peu de gens qui vivent au-delà de 100 ans. 

Les vues ou opinions dégénérées font référence au fait qu’il y a un grand nombre de gens qui ne croient pas à la causalité, qui disent qu’il n’existe rien de tel que des vies passées ou futures, et qui disent que ça ne sert à rien de pratiquer n’importe quelle sorte de Dharma ou de pratique spirituelle. Ils pensent que la seule chose qui compte c’est cette vie, et ils travaillent seulement dans cette optique. Ce genre d’attitude est un exemple de vues dégénérées. 

La dégénérescence des émotions perturbatrices fait référence au fait que même les gens qui essaient de pratiquer le Dharma éprouvent une grande quantité de colère, d’attachement et autres émotions perturbatrices.

La dégénérescence des êtres vivants fait référence, par exemple, aux êtres humains qui deviennent de plus en plus petits à mesure que la durée de vie raccourcit. Cela continuera jusqu’à ce que les êtres humains vivent une vie complète en seulement 10 ans – la durée de vie sera à ce point courte. Cela se passera à la fin du premier des 20 éons de persistance. Les gens de cette époque seront très agressifs et se battront constamment entre eux. C’est à ce moment-là que le cinquième des 1.000 bouddhas de cet éon viendra, le Bouddha Maitreya. Influencés par ses enseignements, les gens commenceront à les mettre en pratique. En conséquence, la durée de la vie humaine augmentera graduellement grâce à la force du potentiel karmique positif partagé que les gens accumulent. La durée de la vie humaine continuera alors de s’accroître jusqu’à atteindre 80.000 ans. Une fois qu’elle aura atteint ce pic de 80.000 ans, elle commencera à nouveau à décroître une fois de plus.

Ce cycle de croissance et de décroissance se produit dans chacun des 18 éons intermédiaires suivants. On les appelle les « 18 courbes du temps ». À mesure que la durée de vie s’amenuise jusqu’à une durée de 10 années dans chacun des éons intermédiaires subséquents, le reste de ces 1.000 bouddhas viendra. Au cours du dernier de ces 20 éons intermédiaires de persistance, seule se produira la partie du cycle au cours de laquelle la durée de vie s’accroît.

Vingt éons intermédiaires de désintégration et de vide

À la suite de quoi, une fois épuisée la force du potentiel karmique positif des êtres, cela marquera le début des éons intermédiaires de désintégration quand l’environnement sera détruit et que les êtres qui y vivent connaîtront l’extinction. Au cours de chaque grand éon, il y a plusieurs manières pour qu’un univers soit détruit. Une des manières, par exemple, est que, due à la force du potentiel négatif collectif accumulé par les êtres qui y vivent, un deuxième soleil apparaît dans le ciel, puis un troisième, et finalement sept soleils. Par la force de la chaleur de ces soleils, l’univers matériel dans sa totalité se dessèche dans un premier temps, puis se consume. C’est ainsi qu’il est détruit. Le processus de désintégration dans son entier, par exemple par le feu, se produit pendant une période de 20 éons intermédiaires. Ils sont connus comme les 20 éons intermédiaires de désintégration.

Quand il ne reste plus rien et que tout n’est plus qu’un vide complet, lequel dure pour une autre durée de 20 éons intermédiaires, ceux-ci sont connus comme les « éons intermédiaires de vide ». Ainsi, il existe 80 éons intermédiaires pour faire un grand éon au cours duquel a lieu ce cycle composé de quatre phases : évolution, persistance, désintégration et vide. 

Éons sombres et éons pareils à des étoiles

Une fois que notre grand éon particulier composé de 80 éons intermédiaires prendra fin, à nouveau il y aura encore 60 grands éons de durée similaire aux nôtres. Tous seront des éons sombres, chacun durant également 80 éons intermédiaires. Ils sont connus comme les « éons sombres » car, durant cette grande quantité de temps, aucun Bouddha n’apparaîtra en eux. Après cela, il y aura un autre grand éon appelé l’ « éon pareil à une étoile », au cours duquel 20.000 Bouddhas se manifesteront et viendront.

Si l’on considère tous ces différents types d’éons, alors les éons au cours desquels un Bouddha n’apparaîtra pas sont de loin beaucoup plus fréquents que les éons au cours desquels des Bouddhas apparaissent. En outre, c’est seulement pendant les 20 éons intermédiaires où un univers se maintient que les Bouddhas se manifestent vraiment et apparaissent dans le monde. Cela ne se produit dans aucun des autres éons intermédiaires. De même, au sein des 20 éons intermédiaires de persistance, les Bouddhas ne viennent dans le monde que durant la moitié au cours de laquelle la durée de vie humaine décroît, et non au cours de la moitié où elle croît. Donc, quand on parle de ces courbes du temps, c’est seulement durant les parties descendantes des courbes des éons de persistance, quand les durées de la vie humaine décroissent, que les Bouddhas apparaissent véritablement.

Le quatrième Bouddha, le Bouddha Shakyamouni

Quand on y pense, on réalise combien il est rare qu’un Bouddha se soit réellement manifesté dans ce monde, que nous ayons atteint l’excellente base de travail d’une vie humaine à un tel point de jonction dans le temps, et que nous ayons la bonne fortune d’être en mesure de rencontrer les enseignements d’un tel Bouddha. Si on demande : « Quels enseignements particuliers du Dharma avons-nous rencontrés ? », nous avons rencontré les enseignements qui furent délivrés par le quatrième des 1.000 Bouddhas de ce grand éon particulier, le Bouddha Shakyamouni.

Se contenter de voir une statue d’un bouddha ou un texte bouddhique ne constitue pas une rencontre avec le Dharma du Bouddha. Que veut dire vraiment rencontrer le Dharma ? C’est ce que nous faisons ici aujourd’hui. Qu’est-ce que cela veut dire par rapport à notre venue ici aujourd’hui ? Nous sommes venus ici car tous nous avons vu que peu importe combien de confort matériel nous pouvons avoir, cela n’apporte pas un bonheur sûr et durable. Nous sommes venus en quête d’un genre de bonheur qui excède de loin celui qu’on peut obtenir par le seul progrès matériel. Nous sommes venus chercher des enseignements dans ce but. C’est cela qui constitue une rencontre avec le Dharma.

Parmi les 1.000 Bouddhas de cet éon, certains seront répartis, selon le système des castes indiennes, entre ceux qui apparaîtront dans la caste des brahmanes et ceux qui apparaîtront dans la caste des rois. Le Bouddha Shakyamouni vint dans une caste royale. Le nom qu’on lui donna à sa naissance fut celui de prince Siddhartha. Son père était connu comme le roi Suddhodana. Sa mère était Mayadevi. À cette époque, la grande richesse de cette famille royale était considérable si on pense à la richesse de l’Inde dans le passé. 

Un jour, le jeune prince Siddhartha partit en tournée dans le royaume pour voir ce qui se passait à l’extérieur. Alors qu’il voyageait, il rencontra quelqu’un qui portait un cadavre. Quand il demanda ce que c’était, on lui dit que quelqu’un était mort, et qu’on emportait le corps. Siddhartha devint très triste. Puis, continuant son voyage, il vit une personne malade. Puis, il vit quelqu’un de très âgé et de tout courbé. Quelque temps après, il vit un mendiant renonçant, un shramana (dge-sbyong), à peine vêtu. Il se dit que peu importait combien de prospérité matérielle il aurait, finalement la condition humaine est telle qu’elle se résume à des souffrances de cette sorte : la mort, la maladie et la vieillesse.

Cette expérience détourna son esprit de toute la splendeur et richesse matérielle dont il jouissait dans son palais. Il alla voir Namdrag l’Ancien (rNam-grags), fit couper ses cheveux et devint un mendiant renonçant célibataire. Il s’engagea dans de très rigoureuses pratiques ascétiques pendant six ans, puis, le quinzième jour du quatrième mois, à Bodh Gaya, il manifesta son illumination. Le quatrième jour du sixième mois, le Bouddha se rendit à Varanasi (Bénarès) et là, il donna le premier tour de la roue du Dharma. Après avoir mis en route ce premier tour de ses enseignements, la Bouddha enseigna pendant de nombreuses années et finalement trépassa à Kushinagar.

Nagarjuna

Après cela, il y eut une lignée de succession de tous ceux qui détenaient tous les enseignements du Bouddha, à commencer par Mahakashyapa (’Od-srung chen-po) se succédant en une suite de « sept patriarches des enseignements » (bstan-pa’i gtad-rabs bdun).

Au cours des siècles suivants, les enseignements du Mahayana, qui n’avaient pas été transmis publiquement, déclinèrent dans le sens où ils devinrent de moins en moins disponibles. Mais vinrent alors les « deux grands maîtres qui ouvrirent la voie pour le char de la tradition (Mahayana) » (shing-rta’i srol-’byed chen-po gnyis), Nagarjuna et Asanga. Nagarjuna vint ainsi que le Bouddha l’avait prophétisé. Grâce à Nagarjuna et à ses enseignements, le Dharma du Mahayana recommença de s’épanouir grandement.

Nagarjuna fut l’auteur de six grands textes sur le Madhyamaka ou la Voie du Milieu. Connus collectivement comme la Colletion des six textes sur le raisonnement (Rigs-tshogs drug), le principal d’entre eux est les Versets racines sur le Madhyamaka, appelés « conscience discriminante » (dBu-ma rtsa-ba shes-rab, skt. Prajna-nama-mulamadhyamaka-karika). Les cinq autres sont :

  • La Précieuse Guirlande (Rin-chen ’phreng-ba, skt. Ratnavali)
  • La Réfutation des objections (rTsod-pa zlog-pa, skt. Vigrahavyavarti)
  • Les Soixante-Dix Versets sur le vide (sTong-nyid bdun-bcu-pa, skt. Shunyatasaptati)
  • Le Sutra appelé le « Finement Tissé » (Zhib-mo rnam-’thag zhes-bya-ba’i mdo, skt. Vaidalya-sutra-nama)
  • Les Soixante Versets sur le raisonnement (Rigs-pa drug-cu-pa, skt. Yuktishashtika).

Ces six textes eurent pour conséquence que les enseignements du Mahayana, spécialement ceux sur le Madhyamaka, s’épanouirent grandement. Des deux lignages, le lignage des enseignements profonds et le lignage des enseignements vastes et exhaustifs, le lignage des enseignements profonds fut transmis de cette façon à travers Nagarjuna.

Asanga

Le second de ces deux lignages, le chemin des enseignements vastes et exhaustifs, passa par Asanga, le deuxième des deux très grands maîtres qui ouvrirent la route pour le char de la tradition Mahayana. La mère d’Asanga était une femme brahmane appelée Prakashashila (Rab-gsal ngang-tshul-ma). Dans sa jeunesse, elle forma le souhait de donner naissance à des fils qui feraient que le Dharma croisse et s’épanouisse. C’est pourquoi elle prit un mari dans la caste royale régnante, et le fils qu’elle eut de cette union fut Asanga.

Durant son enfance, Asanga demanda à sa mère : « Quel était le métier de mon père ? Que faisait-il ? » Sa mère lui dit : « Peu importe le métier de ton père. J’ai prié pour donner naissance à un fils comme toi, non pour qu’il poursuive des buts mondains, mais pour qu’il répande et fasse avancer les enseignements du Dharma. En outre, parmi les enseignements du Dharma, j’ai prié pour que tu sois capable de promouvoir les enseignements du Mahayana. » Dans ce but, Asanga s’engagea dans une pratique méditative pour obtenir une vision directe ou réalisation de la déité de méditation Maitreya.

Après douze longues années de méditation, il réalisa finalement une vision de Maitreya qui le mena dans le royaume céleste de Tushita. Asanga y resta pendant plusieurs années. Il reçut de nombreux enseignements de Maitreya, qu’il consigna plus tard par écrit, de mémoire. On les connaît comme les Cinq Traités du Dharma de Maitreya (Byams-chos sde-lnge). Quels sont ces cinq textes ? Ce sont :

  • Un filet de réalisations (mNgon-rtogs rgyan, skt. Abhisamayalamkara)
  • Un filet de soutras du Mahayana (Theg-pa chen-po mdo-sde rgyan, skt. Mahayanasutralamkara)
  • Différencier le milieu des extrêmes (dBu-mtha’ rnam-’byed, skt. Madhyantavibhanga)
  • Le Sublime Continuum éternel (rGyud bla-ma, skt. Uttaratantra)
  • Différencier les phénomènes et leur vraie nature (Chos-dang chos-nyid rnam ’byed, skt. Dharmadharmatavibangha). 

Asanga demeura dans le royaume céleste l’équivalent d’une matinée des dieux. Quand il revint sur terre, au royaume des humains, il constata que cinquante ans s’étaient écoulés. Après son retour dans le monde humain, Asanga en personne écrivit de nombreux textes. Le résultat de son activité fut que les enseignements du Mahayana s’épanouirent encore plus et que le lignage des enseignements vastes et exhaustifs se perpétua.

Atisha

Les enseignements de Nagarjuna se transmirent dans la lignée des enseignements profonds au maître indien Vidyakokila. C’est à travers lui qu’Atisha reçut ces enseignements de Nagarjuna. La lignée du côté d’Asanga passa à travers une succession de grands maîtres jusqu’à un maître appelé Maitriyogi. C’est à travers lui qu’Atisha reçut le lignée d’Asanga. Ainsi, Atisha détenait toutes les instructions des deux lignées en provenance de Nagarjuna et d’Asanga. 

Atisha lui-même naquit au sein d’une grande famille royale du Bengale. Sa famille était extrêmement riche et prospère. Malgré tout, il vit qu’il n’y avait aucune essence dans les choses mondaines. Il détourna complètement son esprit de ces richesses et se rendit à l’université monastique de Nalanda, où il reçut l’ordination de moine. Il étudia très dur et devint un pandit très savant.

Il examina très soigneusement quelles seraient les meilleures méthodes pour réaliser l’illumination le plus vite possible afin d’être bénéfique à tous les êtres vivants. Il advint en plusieurs occasions, alors qu’il circumambulait le grand stoupa à Bodh Gaya, que les statues du stoupa s’adressèrent à lui. Une fois, une statue dit à Atisha que la meilleure méthode pour réaliser l’illumination rapidement était de développer un mobile illuminant et un objectif de bodhichitta. Atisha avait déjà un certain niveau de développement de bodhichitta sur son continuum mental, mais recherchait les instructions complètes pour être en mesure de porter ce développement à son terme complet.

Aussi loin qu’il put, il chercha donc quelqu’un qui avait les instructions complètes pour accomplir cela. Il entendit dire que ces instructions étaient détenues par le grand lama Serlingpa, aussi appelé Dharmakirti Shri, dans l’actuelle Sumatra en Indonésie. Il alla donc à la rencontre de ce grand maître à Sumatra pour recueillir ces instructions complètes. À cette époque, on ne disposait pas de grands navires comme aujourd’hui ; il s’y rendit au moyen des bateaux alors disponibles. Cela prit douze mois pour faire ce difficile voyage en mer depuis l’Inde jusqu’à Sumatra afin de rencontrer son gourou. Atisha resta là pendant douze années et écouta toutes les instructions sur le sujet. Puis il retourna en Inde.   

Au Tibet, à cette époque, il y avait déjà eu la précédente floraison du Dharma, telle qu’elle fut initiée par les efforts de Gourou Rimpotché, le grand Padmasambhava, et par Shantarakshita, l’éminent abbé de Nalanda. Grâce à leurs efforts, l’école Nyingma, celle de l’« Ancienne Tradition », s’était largement épanouie eu Tibet. Néanmoins, ses enseignements s’étaient mis à décliner. Ils étaient pratiqués sous une forme erronée et dégénérée et, en conséquence, une répression du Dharma eut lieu.

Dans la partie occidentale du Tibet, connue sous le nom de Guge, il y avait deux rois qui étaient parents. L’un était Yéshé Wo (Ye-shes ’od) et l’autre était JanchubWo (Byang-chub ’od), son neveu. Souhaitant la reviviscence du Dharma au Tibet, tous deux avaient envoyé de nombreux émissaires en Inde pour être en mesure d’étudier le Dharma. Excepté un petit nombre d’entre eux, la plupart furent incapables de supporter la grande chaleur et les conditions difficiles de l’Inde et ne purent mener à bien leurs projets. Il y avait débat en ce temps-là pour savoir qui serait la meilleure personne en Inde, le maître le plus érudit qui conviendrait et serait capable de faire refleurir à nouveau et de répandre les enseignements au Tibet. On disait à cette époque qu’il n’y aurait pas de meilleure personne qu’Atisha. C’est la raison pour laquelle ces rois cherchèrent par tous les moyens à inviter Atisha à se rendre au Tibet.

Malheureusement, dans cette même région, sur les terres frontalières du Tibet, il y avait un autre roi qui captura Yéshé Wo et le jeta en prison. Son neveu, Jangchub Wo, se mit en relation avec ce roi et lui demanda de relâcher son oncle Yéshé Wo. Le roi lui dit : « Si vous m’apportez la quantité d’or égale au poids du corps de votre oncle, alors je le relâcherai. »

Jangchub Wo alla partout, cherchant à réunir assez d’or pour contenter cette demande, mais il fut seulement capable de rapporter le poids d’or égal au corps de son oncle jusqu’au niveau du cou. Le roi qui retenait Yéshé Wo captif lui dit qu’il devait apporter plus d’or équivalent au poids de la tête également. Jangchub Wo devrait collecter encore plus d’or.

Avant de se mettre à nouveau en route, Jangchub Wo alla parler avec son oncle Yéshé Wo là où on le retenait prisonnier. Il frappa à la porte et dit : « Si je voulais, je pourrais mener une guerre contre ce royaume et ainsi obtenir votre libération. Mais cela causerait de grands dommages à la vie des êtres de cette région, je ne pense donc pas agir ainsi. » Puis il poursuivit et dit : « J’ai donc cherché une méthode paisible pour obtenir qu’on vous relâche. Le roi m’a dit d’apporter de l’or en quantité égale au poids de votre corps. Je n’ai toujours pas assez d’or pour honorer cette requête. Je dois encore en trouver suffisamment pour votre tête. Je vais me mettre en route pour monter une autre expédition. Veuillez, s’il vous plaît, attendre jusque-là. »

Yéshé Wo, le vieux parent, dit à son neveu : « Je ne pensais pas que tu étais capable de pareilles tâches car tu es si jeune. Mais tu es extrêmement courageux et brave de chercher les moyens de trouver cet or pour obtenir ma libération. Mais si tu utilises tout cet or que tu as collecté pour mon propre bien-être, ce serait un gâchis. Cela ne serait pas d’un grand profit pour le Triple Joyau. C’est pourquoi ne le dépense pas pour moi. Sers-toi plutôt de cet or pour être en mesure d’envoyer quelqu’un en Inde et d’inviter le grand maître érudit Atisha à venir au Tibet. Cela fera que le Dharma sera florissant une nouvelle fois. Dis aussi à Atisha qu’il doit venir car j’ai sacrifié ma vie pour cette cause, invite-le et ramène-le au Tibet. » 

Jangchub Wo regarda son oncle par une petite fente de la porte. Il vit la manière dont son oncle était complètement attaché et enchaîné, et dans une condition physique très difficile et pitoyable. C’est ainsi que le roi Yéshé Wo sacrifia sa vie afin d’être capable d’être bénéfique aux enseignements. Jangchub Wo envoya Nagtso, le traducteur, pour inviter Atisha à se rendre au Tibet. Le nom de Nagtso Lotsawa était Tsultim Gyalwa (Nag-mtsho Lo-tsa-ba Tshul-khrim rgyal-ba).

En Inde, Atisha reçut des visions de Tara, laquellefit plusieurs prophéties : « Si tu vas dans le pays du Nord, au Tibet, tu feras en sorte que les enseignements du Dharma s’épanouiront et se répandront là. Tu auras un disciple au Tibet dont le nom sera Upasaka (le « laïc »), et il s’emploiera à ce que les enseignements fleurissent tout particulièrement dans ce pays. Toutefois, ta durée de vie sera écourtée de vingt ans ; mais, néanmoins, tu procureras un grand bienfait aux êtres vivants et aux enseignements dans cette contrée. »

Atisha sentit que s’il pouvait s’y rendre et être d’un grand bénéfice aux enseignements et aux êtres vivants, peu importait que sa durée de vie fût amputée de vingt années. Il sentit qu’il devait y aller. Il se lança dans l’expédition périlleuse d’aller au Tibet, passant par le Népal, puis il y demeura pendant dix-sept ans avant de trépasser. 

Au Tibet, comme l’avait prophétisé Tara, il rencontra son disciple, le laïc Dromtonpa Gyalwa Jungne (’Brom-ston rGyal-ba’i ’byung-gnas), qui était une incarnation de Chenrezig, c’est-à-dire d’Avalokiteshvara. Le roi du Dharma, Jangchub Wo, demanda à Atisha de donner des enseignements sur le refuge et sur la loi de cause et d’effet. Ce texte, Une lampe sur la voie vers l’illumination, fut composé par Atisha pour satisfaire cette demande. C’est la raison pour laquelle il est dit dans le premier paragraphe du texte, Pressé par mon excellent disciple, Jangchub Wo, en référence au fait que cet enseignement fut requis par ce grand roi. 

Le lignage de ces enseignements fut primitivement transmis à son disciple, Dromtonpa. La lignée continua à travers Dromtonpa et divers très fameux et savants guéshés Kadampa, comme Guéshé Potawa et ses disciples. Le lignage a continué d’être transmis jusqu’à nos jours.

Ainsi, on peut voir comment les rois de l’ancien temps déployèrent de grands efforts pour faire en sorte que divers maîtres érudits et traducteurs se rendent au Tibet. Ils ne se souciaient pas de combien d’argent, de richesse et de difficulté étaient dépensés dans ces efforts. Tout cela avait pour but de faire en sorte que l’enseignement du Dharma vienne au Tibet et s’y épanouisse.

La rareté de rencontrer les enseignements du Bouddha

Il y a une raison au fait d’expliquer toute cette histoire, et c’est une chose à laquelle nous devrions réfléchir plus avant. La question est d’avoir le sentiment et la reconnaissance de combien rare est le fait de rencontrer véritablement les enseignements du Bouddha. Cette histoire est aussi une bonne introduction pour aborder l’enseignement et connaître son arrière-plan historique.

Top