Les deux autres niveaux de l’autodiscipline éthique

Révision

Au premier stade du développement spirituel, on s’entraîne à l’autodiscipline éthique en vue de se réfréner des comportements destructeurs. Notre but est d’éviter que les choses empirent non seulement dans cette vie mais également au cours des vies futures. Nous faisons tout notre possible pour avoir de meilleures renaissances et pour faire l’expérience des bonheurs qu’elles proposent. Nous sommes poussés à atteindre ce but par la crainte d’avoir à faire l’expérience de souffrances et de malheurs croissants. Mais nous comprenons qu’il existe un moyen de les éviter, à savoir en s’exerçant au contrôle de soi et en se réfrénant d’agir de manière destructrice. Quand on ressent l’envie de faire, de dire ou de penser à quelque chose de nocif, envie fondée sur une émotion perturbatrice comme l’avidité ou la colère, nous prenons conscience de ce sentiment et, dès lors, nous ne passons tout simplement pas à l’acte. Bien que nous ayons besoin de ralentir significativement notre rythme pour prendre le temps de saisir cet espace entre l’envie de faire quelque chose et le fait d’agir compulsivement – et c’est difficile au début assurément – nous sommes capables de nous entraîner à être capables d’en prendre conscience, et de le noter.

Pensez aux moments où vous êtes assis en train de faire quelque chose et commencez à vous ennuyer. L’envie vous prend alors de consulter votre page Facebook, ou de vérifier à nouveau les nouvelles sur votre téléphone, ou d’envoyer un message à un ami. À ce stade de notre développement, nous sommes en mesure de remarquer quand une telle envie s’élève et de décider clairement : « Si je passe à l’acte, mon travail ne sera pas fait et cela créera des problèmes. Par conséquent, peu importe l’envie que j’éprouve, je n’y céderai pas. »

Vidéo : Pr. Chönyi Taylor — « Défaire les schémas de l'addiction »
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Le deuxième niveau : travailler à dépasser toute forme de renaissance

Le niveau de motivation intermédiaire du lam-rim cherche à dépasser toute forme de renaissance récurrente incontrôlée. Rappelez-vous, c’est le sens du mot « samsara », c’est-à-dire une renaissance qui se répète de manière incontrôlée, pleine de problèmes, eux-mêmes se répétant de manière incontrôlée, et qu’on ne peut arrêter. Ce ne sont pas seulement les problèmes de la souffrance du malheur, mais aussi les deux autres aspects des véritables souffrances pointées par le Bouddha : la souffrance du changement et la souffrance omniprésente [ou toute-imprégnante].

Le bonheur ordinaire

La souffrance du changement fait référence au bonheur ordinaire ; malheureusement, ce dernier est associé à un grand nombre de problèmes à commencer par le fait qu’il ne dure pas – c’est pourquoi on l’appelle « souffrance du changement » – et qu’il ne donne jamais satisfaction, car nous en voulons toujours plus. Si nous en avons trop et qu’il dure trop longtemps, nous sommes incommodés et il se change en souffrance. Par exemple, le fait d’être dehors en plein soleil : c’est très agréable pendant un moment, mais on n’aimerait pas rester exposé au soleil brûlant pour toujours. Au bout d’un moment, c’est trop, et on doit se mettre à l’ombre. Ou encore, pensez à quelqu’un que vous aimez, et qui vous caresse et vous flatte la main. En vérité, si cette personne devait faire cela pendant trois heures sans s’arrêter, notre main s’en trouverait endolorie ! Ainsi, le bonheur ordinaire présente des problèmes. 

Notre bonheur ordinaire résulte d’actions constructives et positives, mais celui-ci est encore mêlé de confusion, comme dans l’exemple d’une personne perfectionniste et névrotique qui nettoie compulsivement sa maison et s’assure que tout est bien en ordre. Une fois le nettoyage terminé, elle est heureuse pendant un certain temps, puis l’insatisfaction s’installe et elle pense : « Ce n’est pas assez propre. J’ai négligé tel endroit. Je dois le nettoyer à nouveau. » Quel que soit le bonheur qu’une telle personne ressente, celui-ci ne dure pas très longtemps. Elle a toujours le sentiment que sa maison peut être plus propre. 

Le problème tout-imprégnant [omniprésent]

On appelle le troisième type de souffrance le « problème tout-imprégnant » [ou omniprésent]. Faisant référence aux renaissances récurrentes incontrôlées que nous prenons, il s’agit du fait que dans chaque renaissance nous endossons le genre de corps et d’esprit qui engendre automatiquement problèmes et difficultés. Réfléchissez-y. Avec le type de corps que nous avons maintenant, il n’y a aucun moyen de marcher sans poser le pied sur une créature quelconque et sans la tuer. Il n’y a aucun moyen de manger quoi que ce soit sans qu’un insecte, ou une autre créature, n’ait été tué dans la production de cette nourriture, même si on est végétarien. Notre corps tombe malade, et tant notre corps que notre esprit se fatiguent. Nous devons nous reposer ; nous devons manger ; nous devons gagner notre vie. Ce n’est pas facile, n’est-ce pas ?

Puis, dans notre prochaine vie, si nous sommes suffisamment chanceux, nous renaissons à nouveau comme être humain et voilà que nous sommes un bébé. Horrible chose ! On ne peut s’exprimer qu’en pleurant ; on ne peut rien faire par soi-même et on doit tout réapprendre à nouveau. C’est vraiment ennuyeux ! Et la chose horrible, c’est que nous devons refaire tout cela encore et encore un nombre incalculable de fois. Imaginons que nous devions retourner à l’école ! Est-ce qu’on aimerait y retourner un autre million de fois, faire des devoirs interminables à la maison et passer des examens sans fin ?

Tel est donc le problème tout-imprégnant [omniprésent] que nous avons comme conséquence des renaissances récurrentes incontrôlées. Même si nous renaissons dans de meilleures conditions, même si nous avons une précieuse renaissance humaine, nous aurons toujours ces mêmes problèmes. C’est de cela que nous cherchons à nous libérer, et pour y parvenir, nous devons éliminer toute forme de karma compulsif, non seulement le karma négatif mais également le karma positif.

Le bonheur qui découle de la libération

À nouveau, considérez notre bonheur ordinaire. Techniquement, on l’appelle le « bonheur contaminé », car il est entaché et empreint de confusion, dans le sens où il surgit de la confusion, est accompagné de confusion, et, à moins que nous ne changions d’attitude à son égard, génère encore plus de confusion. Au lieu de cela, ce que nous voulons, c’est obtenir un type de bonheur exempt de confusion. C’est là le genre de bonheur qui dure et donne satisfaction. C’est un type de bonheur complètement différent du bonheur ordinaire. C’est un bonheur qui provient du fait d’être libre de toute émotion perturbatrice. Il n’y a rien de confus en lui.

Prenons un petit exemple un peu à l’image d’un tel bonheur, sans pour autant être assurément identique : vous portez des chaussures trop serrées toute la journée. À la fin de la journée, vous enlevez vos chaussures et éprouvez un sentiment de soulagement. « Ah ! Me voilà délivré de cette contrainte douloureuse au niveau des pieds ! » C’est là un bonheur différent de celui qui consiste à manger quelque chose qu’on aime, n’est-ce pas ? Ce dont nous parlons, c’est quasiment d’un sentiment de soulagement d’être délivré des pensées névrotiques, libre de souci, d’insécurité, de toutes ces choses. Ne serait-ce pas merveilleux si on n’était jamais dans un état de déséquilibre émotionnel, en proie à un sentiment d’insécurité et d’inquiétude ? Quel soulagement ce serait !

C’est une allusion à ce dont nous parlions quand on évoquait la libération des renaissances récurrentes incontrôlées – la libération de toutes les véritables souffrances qu’impliquent de telles renaissances. Pour ce faire, nous devons surmonter la compulsion de toutes les formes de karma, pas seulement des formes destructrices. Nous devons même surmonter la compulsion à agir de façon positive. Il n’y a rien de mal à être propre et à essayer de bien faire les choses. Le problème surgit quand cela devient un syndrome compulsif, névrotique qui trouble notre paix intérieure et échappe à notre contrôle ; c’est de cela dont nous devons nous débarrasser.

Faire la distinction entre les émotions positives et une attitude perturbée

Quand nous agissons de manière positive, des émotions positives accompagnent ces actions, telles que :

  • Le détachement – le fait de ne s’accrocher à rien. C’est le contraire de l’attachement.
  • Ne pas vouloir faire de mal.
  • Ne pas faire preuve de naïveté – être sensible et attentif aux effets de notre comportement sur nous-mêmes et autrui.

Viennent ensuite d’autres facteurs mentaux constructifs qui accompagnent également tout comportement positif ou constructif :

  • Le respect des bonnes qualités et de ceux qui les possèdent.
  • Le contrôle de soi afin de se réfréner d’agir négativement.
  • Un sentiment moral de dignité de soi [d’amour-propre], de telle sorte que nous éprouvons du respect pour nous-mêmes et pour nos sentiments.
  • Une préoccupation quant à la façon dont nos actions se reflètent sur les autres.

Aucun de ces facteurs mentaux ne causent de trouble. Ils accompagnent nos comportements positifs et constructifs : nous ne cherchons pas en nous en défaire. Cependant, ici, le fauteur de trouble qui accompagne également notre comportement compulsif positif est une attitude perturbée. Pour le dire simplement, il s’agit de la saisie d’un « moi » solide. Par exemple, dû à la confusion sur notre mode d’existence, nous imaginons que nous existons en tant que « moi » sous forme d’une entité concrète, solide, dotée d’une identité permanente, comme quelqu’un qui doit être bon tout le temps, comme quelqu’un qui doit être parfait. « Je dois être bon. Je dois venir en aide. Je dois être utile. »

Un exemple classique nous est fourni par des parents qui ont des enfants adultes. Les parents veulent toujours être indispensables et utiles, aussi offrent-ils leur avis et leur aide, même quand leurs enfants n’en veulent pas. C’est compulsif dans la mesure où ils ont ce sentiment d’un « moi » solide et se disent : « Je n’ai de valeur et je n’existe que si mes enfants ont besoin de moi. » Ils s’accrochent à cela, à l’identité de ce « moi » solide, comme un moyen de faire que ce « moi » se sente en sécurité. C’est comme s’ils se disaient : « Si j’aide mes enfants, alors j’existe. »

L’émotion qui se tient derrière leur offre de conseil et d’aide est positive. Ils l’offrent parce qu’ils aiment leurs enfants. Ils veulent être bons et se rendre utiles. Il n’y a rien de mal à cela. Le trouble vient de leur attitude à propos d’eux-mêmes, à propos de ce « moi » : « En tant que personne, je n’ai de valeur que si mes enfants ont encore besoin de moi. » C’est cela qui engendre cet aspect névrotique et compulsif de leur offre d’aide même quand cette dernière est totalement non nécessaire et inappropriée.

On peut prendre conscience des moments où on fait l’expérience de cet aspect névrotique car, de nouveau, « émotion perturbée » et « attitude perturbée » font appel ici au même mot avec le même sens : celui de « perturbation ». Aussi bien l’attitude que l’émotion, toutes deux nous font perdre notre calme intérieur et notre sang-froid. Si vous êtes un parent qui avez ce sentiment à propos de vous-même : « Je n’ai de valeur en tant que personne que si je peux faire quelque chose pour mes enfants », qu’éprouvez-vous qui indique que vous manquez de paix intérieure ? C’est un sentiment d’insécurité. Comme vous n’êtes pas sûr de vous, il faut toujours que vous vous mêliez des affaires de vos enfants, dans la façon d’élever leurs propres enfants par exemple. De toute évidence, vous manquez de calme et de contrôle de vous-même, en dépit des émotions positives de préoccupation et d’amour présentes. C’est ce sur quoi l’autodiscipline doit travailler.

Dès lors, nous avons besoin d’autodiscipline éthique pour surmonter la compulsion de notre karma constructif positif, lequel n’apporte qu’un bonheur ordinaire – le bonheur de courte durée qui bientôt se change en une scène déplaisante. Quand, à cause d’un sentiment d’insécurité et d’une volonté de se rendre utile, on se sent porté, par amour, à donner notre avis indésirable et faire montre de préoccupation, on prend conscience que bien que cela puisse nous faire nous sentir heureux momentanément, cela se changera bientôt en désagrément quand notre fille exprimera son ressentiment à propos de ce que nous lui avons dit qui ne lui a pas plu. C’est pourquoi nous nous entraînons à l’autodiscipline et ne disons rien. Mais il est assez difficile de fermer sa bouche !

Le deuxième niveau d’autodiscipline éthique en accord avec la motivation de portée intermédiaire du lam-rim

Bien que l’usage du contrôle de soi – le premier niveau de l’autodiscipline éthique – puisse aider à éviter le problème de la souffrance du changement, comme nous l’avons vu ci-dessus, il y a toujours le problème omniprésent de la renaissance récurrente incontrôlée. Une version simplifiée de ce syndrome consiste à donner de manière répétée notre avis, et nous n’avons aucun contrôle dessus. Nous ne pouvons pas nous empêcher d’intervenir avec une bonne motivation – en l’occurrence l’amour – mais à partir d’un sentiment d’insécurité.

Pour véritablement surmonter la souffrance du changement et la souffrance omniprésente, nous devons appliquer le deuxième niveau d’autodiscipline éthique. Cela consiste à appliquer l’autodiscipline de se débarrasser de l’attitude perturbée et confuse de la saisie d’un « moi » solide. Il ne s’agit pas de ne plus vouloir rendre service ni de cesser d’aimer nos enfants, ce que nous cherchons à stopper c’est cette insécurité névrotique et cette saisie d’un « moi » solide qui se tiennent derrière notre comportement compulsif répétitif.

Prenons un exemple de ce sur quoi nous devons travailler, l’amour par exemple. La définition bouddhique de l’amour est le souhait que les autres soient heureux et jouissent des causes du bonheur, peu importe ce que les autres font. Toutefois, cela peut être empreint de confusion, d’attachement et d’insécurité. « Ne me quitte jamais ! » « Pourquoi ne m’as-tu pas appelé ? » « Tu ne m’aimes plus. » « J’ai besoin de toi. » « Moi, moi, moi. » Nous voulons malgré tout que l’autre personne soit heureuse, mais nous ne pouvons pas nous empêcher de lui dire : « Ne me quitte jamais » et « Tu dois m’appeler tous les jours ! » L’amour n’est pas le problème. Le problème est l’attachement à ce gros « moi » derrière tout ça. Au niveau de portée intermédiaire, nous nous servons de l’autodiscipline éthique pour surmonter cette attitude perturbatrice du « moi, moi, moi », attitude vouée à l’échec.

Réflexion sur le deuxième niveau d’autodiscipline éthique

Avant de passer au troisième niveau, pourquoi ne pas prendre quelques minutes pour digérer tout ça ? Essayez de discerner dans vos propres vies ce dont nous avons discuté. Comme le dit le proverbe bouddhique : « Ne dirigez pas le miroir du Dharma vers l’extérieur pour refléter les problèmes des autres (tels que ceux de nos parents), mais tournez-le vers l’intérieur pour vous regarder vous-même en face. » Essayez donc de discerner dans votre propre vie, dans votre propre expérience, même quand vous agissez de façon constructive, si vous le faites de manière névrotique autocentrée, et comment cela crée toujours des problèmes. Essayez de reconnaître le gros « moi » solide derrière ce syndrome qui fait qu’on se dit : « Je dois être parfait. Je dois être bon. Je dois rendre service. Je dois être indispensable et utile. » Reconnaissez les problèmes que cela crée.

Essayez de prendre conscience que nous n’avons rien à prouver. Nous n’avons pas à prouver que nous sommes une bonne personne en offrant toujours notre aide, même quand cette dernière n’est pas souhaitée. Nous n’avons pas à prouver que nous sommes quelqu’un de propre ou que nous sommes parfaits. Est-ce qu’on se dit : « Je suis propre donc je suis » ou « Je suis parfait donc je suis », à l’instar de « Je pense donc je suis » ? C’est uniquement parce que nous nous sentons en insécurité à propos de « moi, moi, moi » que nous avons l’impression que nous devons prouver que nous sommes bons et que nous avons de la valeur.

Vous n’avez rien à prouver. Réfléchissez-y. Qu’essayez-vous de prouver en étant si parfait, si bon, si propre, si productif ? Il n’y a rien à propos de quoi se sentir en insécurité, et il n’y a rien que vous ayez à prouver : tel est le grand secret. Faites les choses tout simplement ! Aidez les autres.

De toute évidence, ce n’est pas si facile de faire simplement usage d’autodiscipline et de dire : « Arrêtez de vous sentir en insécurité. » Cela demande de comprendre que l’insécurité repose sur la confusion à propos de notre mode d’existence, et que cette confusion ne repose sur rien qui corresponde à la réalité. Au sujet de quoi nous sentons-nous en insécurité ? Au sujet d’un mythe ! Le mythe que si je suis productif et utile, j’existe. Si je ne suis pas productif, est-ce que je cesse pour autant d’exister ? C’est plutôt bizarre, n’est-ce pas ? Qu’est-ce que je cherche à prouver en étant un bourreau de travail ? Si c’est pour aider les autres, tout va bien. Aidons les autres, mais pas de façon compulsive. Là est le problème. C’est ce à quoi nous devons mettre un terme. Tel est le deuxième niveau, ou le niveau de portée intermédiaire d’autodiscipline. On se sert de l’autodiscipline pour comprendre qu’il n’y a rien à prouver et, fort de cette compréhension, on chasse l’insécurité sous-jacente à notre comportement karmique compulsif.

Le troisième niveau : dépasser notre ignorance du karma des autres

Avec le niveau avancé de motivation du lam-rim, nous travaillons à dépasser notre ignorance du karma des autres. Nous voulons aider autrui. Si nous avons obtenu la libération, nous sommes délivrés des renaissances récurrentes incontrôlées de telle sorte que nous ne sommes plus compulsifs, nous n’agissons plus de manière destructrice, et nous n’avons plus l’envie névrotique d’agir compulsivement de façon constructive même quand c’est inapproprié. Malgré tout, bien que nous ayons le souhait puissant d’aider les autres, le problème est que nous ne savons pas quel est le meilleur moyen pour le faire. Nous ignorons l’arrière-plan et les raisons karmiques pour lesquelles les gens sont ce qu’ils sont maintenant. De même, nous ignorons quel effet aura ce que nous pourrions leur enseigner – non seulement l’impact sur eux mais sur tous les gens avec lesquels ils interagiront. Du fait que nous n’avons aucune idée de la suite qu’aura ce que nous leur conseillons ou enseignons, nous sommes très limités dans notre capacité à aider les autres.

Œuvrer pour le bénéfice d’autrui

Comment l’autodiscipline nous aidera-t-elle à sortir de cette impasse ? Tout d’abord, on doit travailler avec discipline à ne pas être apathique et complaisant. « Maintenant que je suis délivré de la souffrance, je vais juste rester là assis à méditer, dans un état de bonheur et de félicité continuel. » Nous avons besoin d’un surcroît de discipline pour œuvrer pour les autres. Au préalable, on a eu un avant-goût de cet état quand on a rencontré quelque succès significatif dans la méditation. On est assis, l’esprit libre de distraction et de torpeur, et c’est une source de grande félicité – pas dans un sens perturbant, mais on se sent vraiment bien. On est très heureux de rester dans cet état. Si on est vraiment un pratiquant avancé, on peut rester dans cet état pendant très longtemps, et si on est libéré, on pourrait rester ainsi pour toujours.

Qu’est-ce qui vous tire de cette complaisance et de ce contentement ? Dans le cas où vous êtes délivré de la renaissance récurrente incontrôlée, vous ne disposez même pas de ce type de corps ordinaire, vous n’avez donc jamais faim ou quoi que ce soit de cet ordre. Ce qui vous sort de cet état, c’est la pensée des autres. « Comment puis-je rester là assis dans un état de félicité où tout est merveilleux quand tous les autres sont misérables ? » On a besoin d’autodiscipline éthique pour dépasser le souci de notre seul bien-être et pour penser à travailler pour les autres.

Il est très significatif de voir que cela vient après l’étape où nous avons travaillé pour notre propre bénéfice. Si on essaie d’aider les autres alors que nous sommes toujours névrotiques et misérables, cela risque de créer des problèmes. Nous risquons d’être contrariés ou ennuyés quand les autres ne suivent pas nos conseils et qu’ils ne font pas de progrès suffisamment rapides. Ou bien nous nous attachons à eux, ou devenons jaloux s’ils vont vers un autre maître. Pire encore peut-être, nous sommes sexuellement attirés par eux, et cela crée d’énormes problèmes dans notre tentative de les aider. Nous devons vraiment travailler en premier sur nous-mêmes. Toutefois, ce n’est pas que nous devions être complètement libérés avant d’essayer de les aider – cela demanderait beaucoup de temps. La question est de ne pas négliger de travailler sur nous-mêmes tout en travaillant à aider les autres.

En travaillant sur nous-mêmes, nous avons encore besoin de nous focaliser sur nos émotions et nos attitudes perturbatrices ainsi que sur la compulsivité du karma. Nous avons encore besoin d’autodiscipline pour surmonter notre égocentrisme ; mais à ce stade nous avons également besoin de discipline pour travailler à dépasser les limitations de notre esprit, lesquelles nous empêchent d’être omniscient. Du fait que nous ne le sommes pas, nous ne voyons pas le tableau dans son entier ; nous ne voyons pas comment toutes choses sont interconnectées. Tout ce qui arrive est le résultat d’un très grand nombre de causes et de conditions, chacune d’entre elles ayant ses propres causes et conditions.

À notre stade actuel, nos esprits sont limités ; nous sommes incapables de voir la totalité des implications dans ce qui arrive aux autres. Pire encore, nous pensons qu’une seule cause suffit à produire un effet, en particulier quand nous pensons que c’est nous qui en sommes la cause. Par exemple, si une personne avec qui nous avons des relations tombe dans la dépression, nous imaginons que c’est de notre faute du seul fait que nous avons dit ou fait quelque chose. Cela ne correspond pas à la réalité. Tout ce qui arrive aux gens est le résultat d’un très grand nombre de causes, et ne dépend pas seulement de ce que nous avons fait. Ce que nous avons fait peut y avoir contribué – nous ne nions pas le fait – mais ce n’est pas comme si la chose avait surgi juste d’une seule cause. Ou bien peut-être qu’en essayant d’aider quelqu’un nous lui disons : « La cause de ton problème est que tu n’as pas reçu une bonne éducation. » Nous réduisons ce qui lui arrive comme étant le résultat d’une seule cause. Ou bien encore nous disons : « Tes problèmes viennent du fait que tes parents ont fait cela quand tu étais enfant. » Nous ne voyons pas le tableau dans son entier. Il est beaucoup plus vaste que cela.

Notre façon de penser ne correspond pas à la réalité

Nous avons besoins d’une compréhension beaucoup plus large que celle que nous avons actuellement. Le problème est que notre esprit projette des catégories pareilles à des boîtes, et que nous compartimentons tout dans ces boîtes. Nous isolons les choses comme si elles existaient dans des boîtes, indépendamment de tout le reste, et nous croyons que cela correspond à la réalité. Nous ne voyons pas l’interconnexion et l’interdépendance de toutes choses. « Ceci est la seule cause. Ceci est bien, ceci est mal. » Nous catégorisons.

À vrai dire, ce n’est pas ainsi que les choses existent. Les choses n’existent pas indépendamment de tout le reste. Nous devons avoir la discipline de comprendre que, bien que cela puisse apparaître ainsi, cela ne correspond pas à la réalité. En voici un exemple simple : vous êtes chez vous toute la journée avec les enfants. Votre partenaire rentre de son travail à la maison et ne vous adresse pas la parole. Il (ou elle) va simplement dans la chambre, ferme la porte et s’allonge. Dans notre tête nous rangeons notre partenaire dans la boîte « gens qui ne m’aiment pas ». En réalité, nous le (ou la) rangeons également dans les boîtes « personnes terribles » et « personnes désagréables ». Sous-jacente à cela, il y a notre préoccupation d’un grand « moi ». On met notre partenaire dans la case « personnes terribles » parce que « je » – moi, moi, moi – veux lui parler. Je veux, je veux, je veux ! Je veux quelque chose de lui (ou d’elle). Du fait que nous les rangeons dans une boîte, nous ne voyons pas l’interconnexion de toutes les choses dont ils ont fait l’expérience dans la journée avant de revenir à la maison et le lien avec la façon dont ils se sont comportés quand ils sont rentrés. Il se peut qu’ils aient eu une journée difficile au travail, ou que telle ou telle chose ait pu se produire sur le chemin du retour, etc., etc.

Combien de fois les choses nous apparaissent-elles ainsi ? Quelqu’un rentre à la maison et c’est comme s’il venait de nulle part – rien ne lui est arrivé avant qu’il n’arrive et tout commence au moment où il franchit la porte. Regardons la chose du point de vue d’en face. Si cette personne est celle qui est restée à la maison avec les enfants et que c’est nous qui rentrons à la maison, comment les choses nous apparaissent-elles ? Nous trouvons là notre partenaire détendu et reposé comme si rien ne lui était arrivé pendant la journée avant notre retour.

Si on y réfléchit, bien sûr que ce n’est pas ainsi ! On parle de la façon dont notre esprit fait apparaître les choses. Il les fait apparaître comme si notre interaction avec notre partenaire commençait là, au moment même où nous franchissons la porte comme si rien ne s’était passé avant. Tout nous apparaît rangé dans les boîtes où nous catégorisons les choses. Cette habitude profondément ancrée en nous de mettre les gens, les choses et les situations dans des boîtes, est ce pour quoi nous avons besoin de discipline afin de la surmonter. Nous devons prendre conscience que cette vision compartimentée du monde ne correspond pas à la réalité. 

Pour être sûr que vous avez bien saisi la chose, prenons un autre exemple classique. Nous mettons les gens dans la case « mon partenaire » et ne prenons pas en considération le fait qu’ils puissent avoir des relations et des liens d’amitié avec beaucoup d’autres personnes en dehors de nous. Du fait que nous les plaçons dans cette boîte mentale, nous pensons : « Ils m’appartiennent, à moi seulement. Ils doivent être à ma disposition à tout moment, car c’est là leur seule fonction : celle d’être mon partenaire. Il n’y a rien d’autre qui se passe dans leurs vies. » Nous ne pensons pas à eux comme s’ils avaient des obligations envers leurs parents, ou comme s’ils avaient d’autres amis ou d’autres activités. Non, ils sont juste dans cette seule boîte. La chose horrible c’est qu’on a l’impression que c’est vrai, et qu’on croit que cela correspond à la réalité. Sur cette base, de toute évidence, nous développons de l’attachement à leur égard, et nous nous mettons en colère s’ils doivent rencontrer quelqu’un d’autre.

Le troisième niveau d’autodiscipline éthique en accord avec la motivation de portée avancée du lam-rim

Au niveau de la motivation de portée avancée du lam-rim, nous travaillons à atteindre l’état omniscient d’un bouddha pleinement illuminé afin de pouvoir aider tout le monde du mieux possible. Pour leur venir en aide au mieux, nous devons comprendre pleinement le karma de chaque personne. Nous devons comprendre la totalité de leur comportement compulsif passé, en plus de toutes les paramètres des causes et des conditions qui les ont affectés et les ont conduits à leur état actuel, et nous devons connaître les conséquences de tout ce que nous leur enseignons. Pour voir l’entière interconnexion des causes et des effets, en particulier les connexions causales à l’origine du karma, nous devons cesser d’isoler toutes les choses les unes des autres et les mettre dans les boîtes mentales des catégories, et imaginer que c’est ainsi qu’elles existent.

Ainsi, nous devons développer non seulement l’autodiscipline de l’éthique afin de dépasser le fait d’être seulement concernés par nous-mêmes mais, au lieu de cela, nous devons développer une préoccupation sincère à l’égard d’autrui. Nous avons également besoin d’autodiscipline pour réaliser que la façon dont notre esprit fait apparaître les choses dans des boîtes ne correspond pas à la réalité. Nous devons essayer d’avoir une vision d’ensemble, plus vaste, du tableau.

Réflexion sur le troisième niveau d’autodiscipline éthique

En accord avec la structure de la voie progressive du lam-rim, tels sont les trois niveaux d’autodiscipline éthique en connexion avec le karma :

  • La discipline de se réfréner de tout comportement compulsif destructeur.
  • La discipline de surmonter les émotions et les attitudes qui se tiennent derrière les comportements compulsifs, qu’ils soient négatifs ou positifs.
  • La discipline de dépasser les limitations dues à la manière trompeuse dont notre esprit fait apparaître les choses – cesser de penser de manière étriquée en mettant les choses dans des boîtes – et la discipline de ne pas être apathique et complaisant à l’égard de notre propre situation de telle sorte que nous puissions comprendre le karma des autres et que nous puissions les aider à le surmonter.

En faisant usage de la méditation de discernement, essayons de reconnaître comment notre esprit fait apparaître les choses comme si elles étaient dans des boîtes, isolées de tout le reste. Pensons aux personnes présentes dans cette pièce, ou, si nous lisons cela à la maison, pensons aux gens que nous avons vus dans le bus ou le métro. Nous les avons aperçus et c’est comme s’ils avaient surgi de nulle part. Ils se sont juste manifestés là, sous nos yeux, et ce qui s’est passé chez eux dans la matinée, s’ils ont ou non des enfants, s’il leur a été difficile d’arriver jusque-là – rien de tout cela ne nous est apparu. À cause de cela, nous ne savons pas vraiment dans quel état d’esprit ils sont, et nous ignorons quel effet aura sur eux toute parole que nous pourrions leur dire. Il se peut qu’ils soient très fatigués, ou soucieux, ou contrariés par les événements du matin, ou bien peut-être n’ont-ils pas assez dormi. Comment le savoir ? Quand les choses nous apparaissent comme si les gens avaient surgi de nulle part sans histoire personnelle, comment pouvons-nous savoir ce qu’il convient de faire pour leur venir en aide de la meilleure manière ?

D’une certaine façon nous ne devons pas accorder foi à ces apparences et, en fin de compte, cesser de faire en sorte que notre esprit perçoive les choses ainsi. Alors, même à ce stade, même si nous ignorons ce qui leur est arrivé ce matin-là, du moins pouvons-nous prendre en considération le fait que quelque chose s’est passé pour cette personne avant même que nous ne la voyions. Si nous sommes vraiment curieux, nous nous enquérons d’elle, je ne veux pas dire par là que nous menons une investigation scientifique. Je parle de se montrer vraiment attentif, avec amour et compassion : « Je souhaite que vous soyez heureux, et non malheureux. »

Essayons de reconnaître, alors, comment notre esprit fabrique ces apparences trompeuses. Essayons de voir combien elles sont limitées quand on croit qu’elles correspondent à la réalité, et comment cela crée des problèmes.

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