Introduction : Déconstruire le soi et les agrégats
Selon l'analyse bouddhique, le soi est imputé sur la continuité individuelle des cinq agrégats. Les agrégats sont constitués de tous les phénomènes non statiques — tout ce qui change d'un moment à l'autre — et n'importe quel phénomène non statique peut faire partie de notre expérience. Les phénomènes statiques, tels que les catégories, peuvent également faire partie de notre expérience, mais ils ne sont pas inclus dans les cinq agrégats. Le vide [vacuité] est l'absence d’existence de modes impossibles de toutes ces choses, qu'il s'agisse des modes impossibles de l’existence du soi ou des agrégats.
En ce qui concerne la déconstruction du soi, il est très important de rappeler que, même avec l'analyse Prasangika, nous continuons à dire qu’il y a un soi, du point de vue de la vérité conventionnelle. Toutefois, ce soi est comme une illusion. Il semble s'établir de son propre côté, mais ce n'est pas le cas, car c’est impossible. En jargon technique, nous dirions qu’il n'y a pas de référent trouvable qui soutienne l'objet référent de l'imputation.
Ce que nous devons déconstruire, ce sont les agrégats eux-mêmes. Nous devons les déconstruire non seulement pour comprendre comment ils existent au niveau le plus profond, mais aussi pour comprendre comment ils apparaissent au niveau conventionnel, et quelles sont leurs causes. Chaque moment de notre expérience est composé d'un grand nombre d'éléments, et chacun d'entre eux change à des rythmes différents. Ces éléments changent à des rythmes différents parce que chacun d'entre eux résulte d'un ensemble différent de causes et de conditions, bien qu’ils puissent partager en commun certaines de ces conditions. En outre, du fait que les causes et les conditions affectent et donnent lieu à ce dont nous faisons l’expérience, elles m'affectent également, parce que je suis étiqueté sur cela et que j'expérimente ces choses. Il est important de ne pas s’identifier à elles, de ne pas s'identifier à notre corps, à notre âge ou à l'une de ces choses, ou à divers jugements tels que « je ne suis pas bon », « je ne suis pas assez bon », etc. Ces jugements sur nous-mêmes sont des exemples d'étiquetage mental avec des catégories, et cet étiquetage mental peut être exact ou inexact. Nous les validons en fonction de conventions généralement acceptées par un groupe d’êtres, et elles ne doivent pas être contredites par les esprits qui voient la vérité conventionnelle et superficielle de manière valide ainsi que par les esprits qui voient correctement la vérité la plus profonde.
Je vais vous donner un exemple : il existe une convention selon laquelle vous n'êtes pas assez bon pour aller à l'université parce que vous n'avez pas tel niveau de notes à l'école. Cette convention est acceptée par une certaine société. Quiconque vérifie votre dossier serait d'accord pour dire que vos notes ne sont pas assez bonnes. Ce n'est pas que quelqu'un ait fait une erreur dans le dossier scolaire. Ce n'est pas non plus que vous existiez intrinsèquement comme quelqu'un qui n'est pas assez bon : non, vous n'êtes pas assez bon pour quoi que ce soit de votre propre côté, vous n'êtes qu'une personne terrible et incompétente. Or, il s’agit d’une manière impossible d’exister, contredite par un esprit qui voit correctement le niveau le plus profond. Il s'agit simplement d'une convention ou d'une catégorie de quelqu'un qui n'est jamais assez bon pour quoi que ce soit, mentalement étiquetée sur votre « moi » conventionnel comme étant votre véritable identité, et un esprit qui voit correctement la vérité la plus profonde contredirait cela.
Les six types de causes selon le Vaibhashika
Pour déconstruire les agrégats — ce dont nous faisons l'expérience — nous devons comprendre la présentation de la causalité : les causes, les conditions et les résultats. Nous pouvons alors comprendre le vide de la causalité, comment elle fonctionne, ce qui est primordial. Ce n'est pas que la cause et le résultat soient encapsulés séparément dans du plastique, sinon comment peuvent-ils se connecter ? Notre sujet, cependant, ne porte pas sur la vérité la plus profonde de la causalité mais sur la vérité conventionnelle, à savoir, quels sont les différents types de causes, d'effets et de conditions ? Examinons-les.
Il n'est pas surprenant que les diverses écoles et les systèmes philosophiques indiens aient des analyses différentes à ce sujet. Nous n'allons toutefois pas entrer dans tous ces détails, c’est beaucoup trop compliqué. Nous nous contenterons de présenter le système que l'on trouve dans l'école philosophique Vaibhashika, car il s’agit de l’analyse de la causalité la plus largement admise. Le Vaibhashika présente six types de causes. Je dois vous avertir : c'est très compliqué, et vous devez vraiment vous familiariser avec ce système sur une longue période de temps pour pouvoir le mémoriser et l'appliquer. Ne vous découragez donc pas. Il est possible de travailler avec ce système, mais il faut le connaître en profondeur.
Les causes agissantes
Nous avons tout d'abord les causes agissantes. Il s'agit de tous les phénomènes autres que le résultat lui-même, qui n'empêchent pas la production du résultat. Elles sont divisées en :
- causes agissantes fortes,
- causes agissantes faibles.
La cause agissante forte d’un germe est la graine. La cause faible serait la mère de l'agriculteur qui a planté la graine. Nous ne pourrions pas avoir de germe s’il n'avait pas été planté, et le germe ne pourrait pas venir de la graine si elle n'avait pas été plantée par quelqu’un, et si elle a été plantée par l'agriculteur, vous ne pourriez pas avoir l'agriculteur sans la mère de l'agriculteur et ainsi de suite. Cependant, la mère de l'agriculteur n'est pas la cause principale du germe. Dans le système Chittamatra d'Asanga, un autre grand maître indien, on trouve vingt types différents de ces causes agissantes. C'est très intéressant à étudier.
Nous disposons donc d'un large éventail de causes diverses qui remontent très loin dans le temps. Le Big Bang est en quelque sorte la cause de la germination. S'il n'y avait pas eu le Big Bang, il n'y aurait pas eu de germe. Nous pouvons remonter jusqu'aux dinosaures et aux plantes qui vivaient à l'époque des dinosaures. Si ces dernières ne s’étaient pas décomposées et n'avaient pas formé la terre, nous n'aurions pas eu de germe. Le champ d'application est donc très large. Si l'on y réfléchit, c'est en fait très profond, car cela implique que tout est interdépendant et interconnecté. Rien n'arrive tout seul. C'est l'un des aspects de la coproduction conditionnée : fondamentalement, les choses naissent et se produisent en dépendance de tout le reste.
En ce qui concerne nos agrégats, il s'agit de ce que je vois, de ce que j'entends, etc. Dans notre exemple, je vois le germe ou je vois la table. Ce que je vois, cela vient de tout ce qui remonte au Big Bang en tant que cause agissante. La conséquence importante de cela est la compréhension de l'immense réseau d'interdépendance. Considérons cette table en bois. Ses causes agissantes sont le bois dont elle est faite, toutes les personnes qui ont coupé les arbres et le bois, tous les animaux et les plantes qui, en se décomposant, ont formé le sol dans lequel les arbres ont poussé, les camions qui ont transporté le bois jusqu'à l'usine où la table a été fabriquée, les personnes qui ont construit les routes, celles qui ont construit les camions et celles qui ont extrait le minerai, lequel a ensuite été transformé en acier, puis en voitures et en camions qui ont amené la table jusqu'à vous.
Il est incroyable de constater la quantité de travail qui a été nécessaire pour que cette table ou ce bâtiment puisse voir le jour. Nous comprenons alors que tout le monde a dû être bon avec nous d'une manière ou d'une autre, que c'est le travail d'un nombre incroyable de personnes sur une période de temps incroyable qui nous permet de jouir de quoi que ce soit. Cela nous aide à développer notre compassion. Ils n'ont pas fait tout cela pour être bons avec moi, mais si tout le monde n'avait pas fait tout ce travail au cours de l'histoire, nous ne pourrions pas survivre. Nous bénéficions grandement du travail de toutes celles et ceux qui nous ont précédés, et c’est ce qui découle de la compréhension de ces causes agissantes.
Les causes simultanées
Ensuite, nous avons les causes simultanées. Il s'agit des éléments dont une chose est faite. Le système Vaibhashika définit comme ayant une relation de cause à effet (1) les éléments et les matériaux dont une chose est faite et (2) la chose elle-même. Bien qu'ils soient simultanés l'un par rapport à l’autre, ils se produisent en même temps.
Aucune des autres écoles n'accepte que les matériaux dont une chose est faite en soient la cause, elles disent simplement que le tout est attribué aux parties. Nous ne parlons pas de la farine, des œufs et du sucre dont est fait le gâteau, lesquelles étaient déjà là avant et ont permis d'obtenir le gâteau. Nous parlons du gâteau lui-même et des ingrédients qui sont là en même temps que le gâteau. C'est de cela dont nous parlons, comme de toutes les parties du corps, composé du système circulatoire, du système respiratoire et de toutes ces choses. De même, au sein d'une cognition, la conscience primaire et les facteurs mentaux qui l'accompagnent sont des causes qui apparaissent simultanément. La conscience ne peut pas exister seule, il existe d'autres facteurs mentaux qui permettent à la conscience de fonctionner. Ces facteurs mentaux apparaissent en même temps que la conscience, c’est l'une des cinq choses qu'ils ont en commun. On ne peut pas être conscient d'une vue sans être attentif à la vue, sans se concentrer sur la vue. Ces facteurs sont liés à la conscience primaire. Il s'agit donc de déconstruire quelque chose en fonction de ce qui le compose.
Les causes de statut égal
Nous avons ensuite les causes de statut égal. Il s'agit de causes pour lesquelles les résultats sont des moments ultérieurs dans la même catégorie de phénomènes qu'elles. Nous parlons ici de continuités. Il y a la continuité de la patience, la continuité de l'amour, la continuité de la colère : les moments antérieurs génèrent les moments suivants dans un statut égal de la chose. Et ils restent dans la même catégorie de phénomènes : destructeurs, constructifs ou non spécifiés (ni l'un ni l'autre, donc neutres ; cette catégorie neutre est appelée « non spécifiée ». Le Bouddha n'a pas précisé s'il s'agissait d'un phénomène constructif ou destructeur). Il peut donc s'agir de niveaux plus profonds de la même chose, par exemple des niveaux plus profonds de compréhension, mais ils ont le même statut puisqu'il s'agit de moments ultérieurs de quelque chose, donc de la causalité impliquée dans la génération de continuités.
Les causes congruentes
Nous avons ensuite les causes congruentes. Le terme « congruent » se réfère ici à des choses qui ont cinq points communs. Dans le système Vaibhashika, ces cinq points communs sont spécifiés comme (1) le même objet focal, (2) le même aspect mental, qui se réfère au fait de donner naissance au même hologramme mental. Ces causes congruentes sont donc également responsables de l'hologramme mental qui surgit. Ce n'est pas que chacun donne lieu à un hologramme mental distinct. (3) Elles s'appuient sur le même capteur cognitif. Ainsi, s'il s'agit de la vision, elles s'appuient toutes sur le pouvoir des cellules photosensibles des yeux. Les capteurs font d'ailleurs référence aux cellules, une forme de phénomène physique, un terme que l’on traduit généralement par « puissance sensorielle », lequel est assez vague. Il ne s'agit pas d'un pouvoir, mais de cellules physiques. Nous avons des cellules sensibles au son dans les oreilles, des cellules sensibles à l'odorat dans le nez, des cellules sensibles au goût dans la langue et des cellules sensibles à la sensation dans tout le corps, à l'exception des ongles et des cheveux. Ces cellules partagent donc ces caractéristiques. Les causes congruentes sont également (4) simultanées — la conscience primaire et les facteurs mentaux [fonctionnent ensemble]. (5) Enfin, elles sont identiques en ce sens que chacune naît de sa propre source natale (rdzas), de sa propre tendance. C'est la façon dont le Vaibhashika affirme ces cinq choses communes. Le Chittamatra a une opinion différente que nous n’aborderons pas.
Les causes congruentes sont donc une sous-catégorie des causes simultanées. Là encore, personne, à l'exception des Vaibhashikas, n'affirme qu'il s'agit d'un type de causalité, il s'agit simplement d'une référence à des parties. Les causes simultanées font donc référence aux éléments dont une chose est faite, à savoir les facteurs mentaux et la conscience dont une cognition est faite, tandis que les causes congruentes se réfèrent simplement à cette conscience primaire et aux facteurs mentaux qui composent un moment de cognition.
Les causes omniprésentes
Nous avons ensuite les causes omniprésentes, des causes présentes partout sur les trois plans d'existence. Une cause omniprésente se réfère uniquement aux émotions et attitudes perturbatrices qui génèrent d'autres émotions et attitudes perturbatrices ultérieures dans le même plan d'existence. Je ne veux pas entrer dans les détails des différents plans d'existence — il s'agit d’une explication supplémentaire liée à des états d'absorption de plus en plus profonds dans la méditation. Laissons cela de côté. Lorsque nous parlions des causes de statut égal, cela comprenait non seulement les émotions et les attitudes perturbatrices, mais aussi tout ce qui a une continuité. Aujourd'hui, nous ne parlons que des émotions et des attitudes perturbatrices, et elles ne doivent pas nécessairement avoir le même statut éthique, cela ne concerne que les causes de statut égal. Elles peuvent être soit destructrices, soit non spécifiées.
Certaines émotions perturbatrices sont toujours destructrices, comme la colère. Certaines sont non spécifiées, comme l'attitude trompeuse à l'égard d'un réseau transitoire [cinq agrégats]. Cette attitude trompeuse est l'état d'esprit qui projette un « moi » et un « mien » sur quelque chose qui se produit dans nos agrégats. L'attitude peut aller de pair avec des états d'esprit constructifs ou destructeurs et ne peut donc pas être spécifiée comme étant l'une ou l'autre chose. Par exemple, nous voyons une photographie de nous-mêmes. Ce n'est qu'un morceau de papier avec des pixels et des formes colorées, mais nous projetons sur elle un « moi » et nous considérons que c’est « moi ». Nous pourrions avoir une attitude négative qui accompagne cela, « j’ai l’air si vieux », mais nous pourrions alors développer de la compassion pour nous-mêmes et notre attitude trompeuse s’accompagne maintenant d’un état d'esprit positif.
Les causes de maturation
Le sixième type de cause est la cause de maturation. Une cause de maturation est un phénomène constructif contaminé ou destructeur. Par « contaminé », on entend, par exemple, le fait de bien travailler à l'école. Il s'agit d'un phénomène constructif, vous obtenez de bonnes notes. Mais s'il est contaminé, il s’accompagne [par exemple] de perfectionnisme. « Je ne suis pas assez bon, je dois faire encore mieux », et il est donc mélangé à la confusion sur la manière dont nous existons. Il s'agit d'un phénomène constructif contaminé.
Ce dont nous parlons ici avec les causes de maturation, c'est de tout le mécanisme du karma et de la renaissance. C'est complexe et cela implique les douze liens de la coproduction conditionnée :
- Nous sommes inconscients de la manière dont nous existons.
- Cela entraîne des émotions et des attitudes perturbatrices.
- Celles-ci conduisent à un comportement destructeur ou à un comportement constructif contaminé. Nous agissons sous l'effet d'une compulsion qui nous pousse à agir de cette manière.
- Il résulte de cette manière d’agir ce que l'on appelle littéralement des « graines karmiques ». Ce sont des tendances. Ces tendances sont une imputation sur [un objet]. Encore une fois, le fait de parler d’une imputation sur la conscience mentale ou sur la conscience fondatrice dépend de l’école philosophique sur laquelle on s’appuie. Le Prasangika dirait que c'est juste une imputation sur le simple « moi ». Quoi qu'il en soit, les graines karmiques sont une imputation. Elles font partie de ces choses que l’on appelle les variables incidentes non congruentes, elles sont non statiques mais ne sont ni une façon d'être conscient de quoi que ce soit, ni une forme de phénomène physique. Bien que nous utilisions le mot « graine », nous ne pensons pas qu'il s'agit d'une véritable graine physique.
- Ensuite, ces tendances sont transportées sur le continuum mental et, dans cette vie ou dans la suivante, elles sont activées. Lorsqu'elles sont activées, elles donnent naissance, en tant que résultat, à des éléments non obstructifs non spécifiés contenus dans les cinq agrégats des futurs états de renaissance.
Les phénomènes non spécifiés sont soit constructifs, soit destructeurs, selon qu'ils s'accompagnent ou non d'émotions perturbatrices. Certains d'entre eux entravent ou empêchent la libération et l'illumination, d'autres non. Certains, comme le corps, la conscience, les sentiments, etc., sont éthiquement neutres et peuvent aller de pair avec un état d'esprit constructif ou destructeur.
Si je tue quelqu'un, le corps est impliqué, la conscience est impliquée, un sentiment de bonheur ou de malheur est impliqué. De même, lorsque je suis en colère, mon corps et ma conscience sont présents. Je ne suis pas très heureux lorsque je me mets en colère, mon corps et ma conscience sont toujours là. Il en va de même lorsque j'agis de manière constructive avec cette inconscience. De même, si j'aide quelqu'un, que je suis bon et aimant, il y a toujours un corps, une conscience, un sentiment de bonheur ou de malheur. Et même lorsque je deviendrai un bouddha, il y aura toujours un corps, une conscience et des sentiments de bonheur. Selon le système, ces éléments sont non obstructifs, ils n'empêchent pas l'illumination ou la libération. Il existe cependant d'autres phénomènes non spécifiés qui peuvent également aller de pair avec des états d'esprit constructifs ou destructeurs, qui font obstacle à la libération ou à l'illumination, par exemple le fait de s'accrocher à un mode d'existence impossible.
Nous parlons ici des causes de ces éléments non obstructifs et non spécifiés dans une vie future. Autrement dit, quelle est la cause de la prochaine renaissance, de la future renaissance, du samsara ? Les agrégats de cette future renaissance contiendront l'inconscience et toutes les autres choses provenant des causes motrices et des causes de statut égal. Les émotions perturbatrices dans cette vie future découleront des causes motrices, tandis que les choses positives comme la patience et la concentration découleront des causes de statut égal. Enfin, les éléments du corps découleront des causes simultanées. Ce sont tous les différents types de causes. Les comportements constructifs et destructeurs sont à l'origine des tendances karmiques. Ces tendances karmiques, en tant que causes de maturation, seront responsables, lorsqu'elles seront activées au moment de la mort, des éléments non obstructifs et non spécifiés de l'état de renaissance suivant, à savoir le corps et ainsi de suite.
Comment une renaissance samsarique se développe-t-elle ? Nous examinons à présent d'autres aspects des douze liens de la coproduction conditionnée.
- Nous avons d'abord une base physique — disons que s'il s'agit d'un être humain, il y a un spermatozoïde et un ovule — et une conscience qui ne s'est pas encore différenciée en divers types de conscience ou de facteurs mentaux.
- Cette base physique se différencie ensuite en capteurs sensibles à la vue et au son, et la conscience se différencie en conscience visuelle, conscience auditive, conscience tactile, etc.
- Finalement, nous pouvons distinguer différents objets, comme un fœtus, de sorte que l'agrégat de la distinction prend forme. Nous avons une conscience de contact, ce qui signifie que sur la base de la distinction de quelque chose — encore une fois, à partir du karma — vient la conscience de ces objets que nous distinguons. Nous les ressentons comme agréables ou désagréables. Ainsi, si nous jouons de la musique agréable, le fœtus en entend une forme filtrée, c’est une conscience de contact agréable. S'il entend des bruits très forts et horribles, c'est désagréable et il donne un coup de pied.
- Puis, la prochaine chose qui vient est un sentiment de bonheur ou de malheur.
- À ce stade, nous naissons, et nous faisons l'expérience d'être heureux ou malheureux, cela se produit à nouveau à partir de ces causes de maturation, cela fait partie des agrégats, qui dépendent d'un comportement constructif ou destructeur.
- Nous vivons notre vie tout entière. Au moment de la mort, les tendances — les tendances karmiques, ce que l'on appelle les « graines » — doivent être activées afin de projeter le continuum mental pour qu'il se poursuive dans la vie suivante. Ce n'est pas comme si une âme sortait de votre corps pour entrer dans un autre, mais c’est la terminologie utilisée : elles projettent notre continuum dans la vie suivante.
Notre définition d'une cause de maturation joue sur le fait que ces tendances karmiques ou ces graines doivent être humectées, il faut les arroser pour qu'elles soient activées et qu'elles donnent naissance au germe. Dans notre contexte, le mot « humecté » signifie « activé ». Qu'est-ce qui active ces graines karmiques, ces tendances ? Il y a deux liens qui le font :
- Le premier est appelé « l’envie » [le fort désir].
C'est ainsi qu'il est généralement traduit, mais le mot sanskrit pour « envie » est le mot « soif » — « avoir soif de ». Il est un peu étrange que les choses soient humectées par la soif, mais quoi qu'il en soit, il s'agit de la soif. C’est le sentiment que nous éprouvons. Nous parlons de l'état d'esprit, du facteur mental — et non de la sensation physique — lié à la soif. Si nous avons du bonheur, nous avons soif de ne pas en être séparés, comme une personne assoiffée qui ne dispose que d’une petite goutte d'eau. Elle a tellement soif qu'elle se dit : « Je ne veux pas être séparée du bonheur de boire cette eau. » C'est la soif.
Si nous sommes malheureux, nous avons bien sûr soif de nous en libérer, comme une personne qui veut être séparée de la soif. Et si nous sommes dans une absorption méditative profonde, dans laquelle nous éprouvons un sentiment neutre, alors nous avons soif que cet état ne dégénère pas, qu'il ne disparaisse pas. Quel que soit l'état de soif dans lequel nous nous trouvons au moment de la mort, il commence à activer les graines karmiques. C'est pourquoi il est si important, que vous vous sentiez heureux ou malheureux — comme on dit en Inde, « c’est du pareil au même » — de ne pas être comme une personne assoiffée en ce qui concerne votre état de bonheur ou de malheur. « Je suis malheureux, et alors ? » Cela changera. Ne soyez pas cette personne assoiffée centrée sur elle-même. En somme, ne faites pas toute une histoire de votre bonheur ou de votre malheur, contentez-vous de ce qui vient, de travailler, de faire ce que vous avez à faire. Ce n'est pas si facile à mettre en pratique, mais c'est vraiment le conseil le plus élémentaire que l'on puisse donner. Il n'y a rien de spécial à se sentir malheureux, rien de spécial à se sentir heureux. Quelle importance ?
- Ensuite, nous avons le lien suivant ; il est généralement traduit par « la saisie », mais cela crée une confusion avec un autre terme, « la saisie de l'existence véritable », nous n'allons donc pas l'utiliser ici. Il s'agit plutôt d'une attitude d’obtention — c’est littéralement la traduction du mot — c’est « ce qui nous fait obtenir » ou « obtient pour nous » la renaissance.
Il s'agit d'une série de cinq types d'attitudes différentes, d’attitudes perturbatrices (l'une d'entre elles est une émotion perturbatrice). La soif a pour objet un sentiment ; nous ne voulons pas que ce sentiment disparaisse ou ne dégénère, ou nous voulons au contraire qu'il disparaisse. Dans une attitude d'obtention, l'objet est le « moi ». Nous pensons en termes de « moi » : « je n’en veux pas » ou « j'en veux » — et nous attribuons un « moi » et nous nous identifions à ce sentiment ; nous attribuons un « moi » et un « mien » sur les sentiments. Il y a toute une série de possibilités ici, lesquelles compléteront le processus d'activation des graines karmiques. L'attitude d'obtention active alors les graines et amène la prochaine renaissance.
Ainsi, dans la définition de la cause de maturation, il ne s'agit pas seulement d'un phénomène constructif contaminé ou d’un phénomène destructeur. Il ne s’agit pas seulement de la colère, le fait de tuer quelqu'un ou d'être perfectionniste. Cependant, la tendance qui en découle ne doit pas être dépourvue d’activation, c’est-à-dire qu’elle ne peut pas ne pas être activée, elle doit être activée, humectée par cette soif. C'est alors qu'elle donne le résultat. Il s'agit donc d'une cause de maturation.
Les quatre types de causes
Nous présentons ensuite la présentation des quatre causes. Nous avons abordé les six causes, nous avons maintenant une autre présentation qui n’en comporte que quatre.
Les causes directes ou immédiates
Nous avons une cause directe ou immédiate. Il s'agit d'une cause qui donne lieu à son résultat immédiatement après qu'elle se soit produite. Par exemple, vous vous cognez le pied et c'est la cause immédiate de l'apparition d'un bleu. Le résultat suit donc immédiatement la cause. Il s'agit d'une cause directe ou immédiate.
Les causes indirectes ou antécédentes
Nous avons ensuite les causes indirectes ou antécédentes. Il s'agit de causes qui donnent leur résultat après une longue succession d'événements ou après un long laps de temps. Par exemple, le tabagisme est la cause à long terme qui engendre le développement d'un cancer. Il ne s'agit pas de fumer une cigarette et d'être atteint d'un cancer le lendemain matin, n'est-ce pas ? Ce n'est pas comme se cogner le pied et avoir un bleu. Espérons que ce n'est pas le cas ! Il s'agit donc d'une cause antécédente à long terme, il faut fumer énormément pour qu’elle advienne. Et même si vous arrêtez de fumer après une longue période, vous pouvez toujours avoir un cancer.
C'est très important en ce qui concerne le karma : les graines karmiques peuvent prendre énormément de temps avant de mûrir. Lorsque nous parlons de karma, nous n'utilisons pas le terme occidental de « karma instantané ». Il n'existe pas de karma instantané, où le résultat karmique se produit instantanément. « Il pleut parce que je n’ai pas apporté mon parapluie » serait un tel « karma instantané ». Nous avons des concepts vraiment étranges, pourtant c’est ainsi que nous pensons.
Les causes d’obtention
Nous avons ensuite une cause d'obtention. C'est le même mot que « obtenteur ». Ce terme est malheureusement traduit par « cause matérielle », ce qui entraîne une énorme confusion. Lorsque l'on pense à une cause matérielle, on pense en fait aux causes simultanées, c’est-à-dire aux éléments, à la matière dont quelque chose est fait. Nous ne parlons pas du tout de cela ici. Ici, il s'agit de l'élément que l’on obtient en tant que successeur [à la cause], laquelle cesse donc d'exister lorsque son successeur a fini d’apparaître. Ainsi, par exemple, la graine est ce à partir de quoi nous obtenons le germe. Lorsque nous avons le germe, nous n'avons plus la graine. Il est évident que le germe n'est pas constitué de la graine, c’est pourquoi les appeler « causes matérielles » prête à confusion. La graine ou tendance karmique est donc la cause d'obtention à partir de laquelle nous obtenons la cognition de quelque chose, l'expérience de quelque chose.
Prenons un exemple simple. Vous avez un ticket pour le U-Bahn, pour le métro ou quel que soit le nom qu'on lui donne ici. C'est un ticket valable un mois, et je l'ai acheté au début de l'année pour toute l'année. Chaque mois, j'ai un ticket, et avec ce ticket, je peux obtenir autant de trajets que je veux, pas un seul trajet, mais autant de trajets que je veux pendant ce mois, tant qu'il est valide. À la fin du mois, ce billet n'est plus valide, il est périmé. Il a cessé d'offrir des trajets à son successeur. Les choses que vous obtenez de ce ticket, à savoir un trajet, ne sont évidemment pas constituées du ticket. C'est pourquoi on ne peut pas l'appeler la cause matérielle. Nous parlons donc ici de tendances ou de graines karmiques. Les graines karmiques donneront lieu à diverses expériences et ainsi de suite, elles donnent lieu à une succession d'expériences. Une fois que ces graines ont fini de mûrir, vous n'obtenez plus de choses qui mûrissent à partir d'elles, que vous obtenez à partir d'elles. Ainsi, par exemple, la pâte non cuite est la cause d'obtention de la miche de pain. Lorsque nous avons la miche de pain, il n'y a plus de pâte crue. La pâte crue n'est donc pas le matériau de la miche de pain, c’est ce dont on obtient la miche de pain, ce qui se transforme en miche de pain. En termes très généraux, nous parlons de quelque chose qui se transforme en quelque chose d'autre
Les conditions contributives agissant simultanément
La quatrième condition est une condition contributive agissant simultanément. Il s'agit d'une condition. Il s'agit donc de choses qui doivent exister avant l'apparition de quelque chose et qui contribuent à l'apparition, mais qui ne se transforment pas en ce qui apparaît. Ainsi, la graine se transforme en germe — c'est la cause d'obtention — mais l'eau et le soleil sont les conditions contributives agissant simultanément. Il faut qu'elles soient présentes en même temps.
Ainsi, si nous avons, disons, la tendance karmique à nous faire renverser par une voiture, c'est à partir de cette tendance que nous obtiendrons l'expérience de nous faire renverser par une voiture. Le corps, la conscience, la sensation et tout ce qui est impliqué dans l'expérience d'être renversé par une voiture sont les causes agissantes. Cependant, outre les diverses choses qui activeront cette graine de karma, il faut aussi les conditions contributives agissant simultanément, c’est-à-dire qu’il faut que quelqu'un conduise la voiture, que nous nous trouvions dans un endroit où nous pouvons être renversés par une voiture, et qu’il y ait des voitures. Nous ne pouvons pas être renversés par une voiture au milieu de la jungle de Nouvelle-Guinée. Notre karma n'est pas à l'origine du fait que l'autre personne monte dans sa voiture et nous percute, cela vient de son karma. Elle a le karma pour renverser quelqu'un avec sa voiture, les choses doivent interagir. Ce n'est pas moi qui ai causé le fait qu’elle me percute, c'est moi qui ai causé le fait d'être percuté. C'est très simple : je marchais dans la rue et la personne conduisait la voiture. Ce n'est pas moi qui conduisais la voiture, n'est-ce pas ? Il est donc très important de faire la différence entre les causes d'obtention de notre côté et les conditions simultanées de l'extérieur.
Autres types de causes
Nous pouvons mentionner rapidement deux autres types de causes. La cause d’ordre similaire : il s'agit de quelque chose qui sert de modèle à quelque chose d'autre. Par exemple, des verres qui sont fabriqués à partir d’un modèle. Il s'agit donc d'une cause d’ordre similaire. Nous avons également les sources natales, comme le four pour la miche de pain, comme l'utérus pour le bébé.
Un dernier point : gardez à l'esprit qu'une chose peut servir à plusieurs types de causes différentes. La même chose peut fonctionner comme cause de plusieurs manières différentes, ce n'est pas si simple.