La causalité, son schéma et son application dans l’analyse bouddhique

Souffrance et renaissance

Les enseignements bouddhiques nous proposent des méthodes pour surmonter différents types de souffrance. Premièrement, nous avons la souffrance générale du malheur, qui peut accompagner nos expériences sensorielles ou mentales. Nous avons également un problème avec notre bonheur ordinaire, car il n'est jamais satisfaisant, nous n'en avons jamais assez, et nous nous en lassons rapidement, ce qui se transforme en malheur. Si nous mangeons trop de notre plat préféré, au début nous pouvons être heureux, mais après un certain temps, nous devenons très malheureux. Ces hauts et ces bas de notre vie, avec lesquels nous nous sentons parfois malheureux, parfois heureux, sont des choses qui se produisent à chaque renaissance récurrente incontrôlable que nous avons, quelle que soit la vie que nous puissions avoir. La proportion et l'intensité du bonheur et du malheur varient bien sûr en fonction de la forme de vie que nous avons et, plus profondément, en fonction des divers potentiels karmiques qui ont conduit à cette renaissance. À un niveau plus profond, nous avons ce que l'on appelle la souffrance omniprésente, c’est la souffrance d'avoir cette renaissance récurrente incontrôlable qui sert de base à l'expérience du malheur et de ce que l'on appelle le bonheur contaminé.

Les douze liens de la coproduction conditionnée

Lors notre discussion sur les causes de maturation, nous avons vu que tout le mécanisme de la renaissance repose sur notre soif d'obtenir, sous une forme ou une autre, le bonheur ou le malheur dont nous faisons l'expérience. Rappelez-vous, nous avons parlé des douze liens de la coproduction conditionnée, et nous avons vu que nous accumulons les causes de maturation, qui sont les émotions perturbatrices et les comportements destructeurs ou constructifs contaminés qui en découlent, lesquels peuvent laisser derrière eux diverses tendances ou legs karmiques, selon le point de vue sous lequel nous voulons les qualifier. Ensuite, au moment de la mort, lorsque nous éprouvons du bonheur, du malheur ou une sorte de sentiment neutre, nous avons soif de ne pas être séparés de ce bonheur, nous avons soif d'être séparés du malheur, ou nous avons soif que ce sentiment neutre ne dégénère pas. Ensuite, surgit une émotion ou une attitude perturbatrice d’obtention. Il y en a toute une liste, mais fondamentalement, nous pensons par rapport à un « moi »: « Je ne veux pas être séparé du bonheur. » Cela active ces tendances karmiques en combinaison avec ces deux éléments : la soif et l'émotion ainsi que l'attitude d’obtention. Cela active ce que l’on appelle le karma de projection, lequel génère alors la poussée nécessaire pour que le continuum mental poursuive sa renaissance samsarique. Et lors de cette renaissance, nous ferons également l'expérience de plus de malheur et de bonheur contaminé. Tout cela est dû au premier des douze liens de la coproduction conditionnée, à savoir notre inconscience [ignorance] de la façon dont nous existons et dont le soi existe par rapport à nous-mêmes et aux autres.

La confusion et l’importance de la déconstruction et d'une compréhension correcte

En vue de surmonter les renaissances récurrentes incontrôlables, d’obtenir la libération, puis d’aller au-delà pour atteindre l’illumination, nous devons comprendre toute cette présentation détaillée des deux vérités et du soi, ainsi que l'explication détaillée de la causalité. Nous sommes confus sur la manière dont nous existons et sur la manière dont les autres existent, ce que nous montre le point de vue Prasangika. En outre, nous sommes également confus à propos de l'ensemble de la réalité, c’est-à-dire des deux vérités. Enfin, nous sommes confus au sujet de ce dont nous faisons l’expérience au regard des diverses causes qui contribuent à l'apparition des différents composants des agrégats de chaque moment de notre expérience. C'est parce que nous sommes confus à ce sujet — soit que nous l’ignorons, soit que nous le comprenons de manière erronée — que nous sommes la source profonde de tous nos problèmes. Il est donc très important de déconstruire les apparences trompeuses que nous avons à propos de tout ce que nous expérimentons à chaque instant. Cela signifie :

  • déconstruire les apparences elles-mêmes — pour cela, nous devons comprendre les deux vérités,
  • déconstruire l'apparence trompeuse de nous-mêmes qui faisons l'expérience des deux vérités,
  • déconstruire, en termes de causalité, la manière dont ces apparences apparaissent et quelles en sont les différentes causes,
  • comprendre également comment tout cela surgit de manière dépendante en fonction de ces causes, conditions et parties,
  • intégrer tout cela pour établir comment nous existons.

Tous ces sujets s'imbriquent de manière très pragmatique, même si, lorsque nous les examinons point par point, ils peuvent sembler représenter un défi intellectuel. Il est toujours important, lorsque l'on aborde ce type de matériel, d'en comprendre l'objectif. Comme je l'ai dit, le but de l'enseignement du Bouddha n'est pas d'ennuyer les gens ou de les embrouiller, mais de les aider à surmonter la souffrance. Par conséquent, lorsque l'on étudie ce matériel et qu'on l'approfondit, il est très important de toujours l'aborder du point de vue de la manière dont il peut nous aider et aider les autres à surmonter divers types de souffrances et, au niveau le plus profond, à surmonter cette souffrance omniprésente qui consiste à prendre des renaissances récurrentes incontrôlables et à faire l’expérience de toujours plus de malheur, de problèmes, de bonheur contaminé et d’insatisfaction. Comment puis-je également aider les autres à se libérer de cette souffrance ?

Combien de temps cela va-t-il prendre ? Lorsque nous entendons dire qu'il faudra trois milliards d'éons d'accumulation de force positive, cela nous aide à ne pas nous décourager. Nous pourrions penser que cela nous décourage, mais en fait, cela nous aide à ne pas nous décourager. Pourquoi nous décourageons-nous ? Nous nous décourageons lorsque nous attendons des résultats instantanés. Lorsque nous n'obtenons pas de résultats immédiats ou de résultats après un ou deux ans, nous nous décourageons. Cet enseignement sur le temps que cela va prendre nous aide à développer la force et l'effort héroïque nécessaires pour continuer, encore et encore, peu importe le temps que cela prendra.

Cet effort héroïque est le terme sanskrit virya, qui est parfois traduit par « persévérance joyeuse », terme que j’ai aussi utilisé. Pourtant, c’est une traduction légèrement incomplète. Si l’on regarde le mot sanskrit, il est lié au mot vira, qui signifie « héros ». Il est lié au mot latin vir qui signifie « homme », et en français, nous avons le mot viril. La connotation ici est donc celle d'un effort héroïque, viril, dont les femmes sont évidemment tout à fait capables, cela n'a rien à voir avec le genre. Cet effort héroïque puissant est comme une armure qui va nous protéger du découragement. La connotation de ce terme est donc qu’il nous faut beaucoup de courage pour nous engager sur la voie de la libération et de l’illumination. Bien sûr, nous devons persévérer et bien sûr nous devons trouver de la joie dans ce que nous faisons, ne pas trouver cela repoussant, comme une tâche désagréable que nous devons accomplir. Enfilons donc nos armures et revenons à la suite de cette présentation de la causalité.

Les différentes parties qui composent notre expérience

Ce que nous essayons de décrire ici, c'est la manière dont les différents éléments des cinq agrégats qui composent chaque moment de notre expérience sont apparus. Prenons un moment d'expérience. Le point important, si nous pensons du point de vue de la renaissance et au fait que nous engendrons de plus en plus de problèmes, est le niveau de bonheur ou de malheur dont nous faisons l’expérience à ce moment-là. Nous devons veiller à ne pas développer cette soif, puis cette forte pensée centrée sur le « moi » et qui s’identifie à ce qu’il se passe, pour ne pas que cela devienne une grande illusion de l’égo. « Il faut que je me débarrasse de cela », « moi, moi, moi », « mon bonheur », « je dois être heureux », « je dois arriver à mes fins », « tout le monde doit faire attention à moi », ce genre d'expérience.

Nous savons tous comment cela peut dégénérer en « je suis malheureux parce que tu ne fais pas attention à moi », « tu devrais faire attention à moi », « tu devrais m’aimer », « aime-moi pour moi-même, pas pour autre chose », et cela ne fait que dégénérer de plus en plus. Nous sommes alors malheureux et cela ne fait que perpétuer nos problèmes, n'est-ce pas ? « Aime-moi pour ce que je suis », comme s'il pouvait y avoir un moi qui existe indépendamment de notre corps, de notre esprit, de notre personnalité, etc. Nous connaissons cette façon de penser. Et puis, il y a toute cette compulsion, vous devez dire quelque chose et vous le dites à l'autre personne — c'est le karma. Le karma est cette compulsion qui vous pousse à dire quelque chose, et vous n'avez pas le contrôle, il y a donc une émotion perturbatrice qui est là. Ensuite, toutes sortes d'ennuis surviennent lorsque l'on dit quelque chose qui, en réalité, fait que la personne s’éloigne encore plus.

Lorsque nous sommes heureux ou malheureux, ce qui est le cas à chaque instant — à un certain niveau, cela fait partie des agrégats — nous devons comprendre d'où cela vient, quelle en est la cause. Nous devons comprendre que nous avons cette cause de maturation qui provient d'un comportement constructif contaminé ou destructeur, ce qui signifie qu'il s'agit d'un comportement dominé par une émotion perturbatrice et une attitude perturbatrice. D'où cela vient-il ?

Il y a eu des causes omniprésentes et des causes de statut égal. En fait, il y a toute une tendance à être ainsi ;, il y a une tendance à une certaine émotion perturbatrice qui vient de cas antérieurs où nous avons pris une mauvaise habitude. [Avec ce début d’analyse,] nous comprenons comment cela s'est produit.

Il y a eu ces tendances karmiques qui ont engendré le bonheur ou le malheur — la source natale, la miche de pain qui sort du four — et les tendances des émotions perturbatrices qui ont engendré la colère ou l'attachement. Tout cela provient de ces causes d'obtention.

Il s'agit de toutes ces conditions contributives agissant simultanément. « Cette personne est venue me voir et m'a ignoré » puis « elle a fait ceci ou cela » — tout cela s'inscrit dans cette autre catégorie de causes agissantes. C'est une circonstance dans laquelle cet incident, au cours duquel j'ai dit « tu ne m’aimes pas » et ainsi de suite, s'est produit. Rappelez-vous que les causes agissantes comprennent tout ce qui n'est pas le résultat et qui a contribué d'une manière ou d'une autre à ce qui s'est produit.

Et, bien sûr, il y a aussi les causes antécédentes indirectes, comme la mère de cette personne. Si la mère de cette personne n'avait pas donné naissance à cette personne, cette personne ne serait jamais venue me dire ceci ou cela. Il y a donc toutes sortes de causes et de conditions.

N'oublions pas que nous avions ces causes immédiates, puis les causes à long terme. La cause immédiate — et nous pouvons également penser en termes de conditions — est ce que cette personne m'a dit. Mais la cause à long terme est l'ensemble de l'histoire de notre relation, ce qui est très important à garder à l'esprit. Souvent, nous oublions l'étendue de notre relation avec quelqu'un et toute son histoire. Nous nous contentons de prendre l'événement immédiat qui s'est produit et d'identifier toute la relation à cela, en oubliant toutes les bonnes choses et les aspects positifs de cette relation, n'est-ce pas ? Nous agissons ainsi parce que nous ne comprenons pas les causes immédiates et les causes à long terme, les circonstances dans leur ensemble, etc. Notre vision est tout simplement trop étroite.

Nous avons également des causes congruentes. Au moment où nous sommes mécontents de ce que l'autre personne a dit, ou du fait qu'elle nous a ignoré, nous avons tendance à considérer ce moment comme quelque chose de vraiment solide, comme s'il ne s'était pas produit en plusieurs fois. Nous devons revenir au Vaibhashika. Bien sûr, il y a des parties, mais il semble qu'il n'y en ait pas. Nous nous référons ici à des parties de ce moment d’expérience où nous identifions ce moment entier au malheur. Il y a la conscience primaire, il y a un ensemble, un réseau, d'autres facteurs mentaux qui contribuent à ce moment d’expérience et qui constituent les causes congruentes. Si nous comprenons tous les facteurs mentaux impliqués, nous n'identifions pas ce moment uniquement au malheur. Nous prêtons attention à ce que la personne a dit. Peut-être que je n'ai pas été très attentif et que je n'ai pas bien entendu ce qu'elle a dit. Et il y a là une forme d’inconscience. Dans le fait que cette personne m’ait ignoré, je n'étais pas conscient qu'elle était peut-être occupée à autre chose ou qu'elle avait peut-être mal à la tête, je n'en avais aucune idée. Il y a donc également de l’inconscience sur le moment ainsi que de la naïveté, et peut-être aussi l'humeur dans laquelle je suis, laquelle contribue à ce mécontentement et provient de ce qui s'est passé plus tôt dans la journée. Par exemple, je suis vraiment fatigué ou quelque chose ne s'est pas passé comme je le voulais au travail. Tout cela contribue donc au malheur.

Nous déconstruisons tous les éléments qui composent ce moment. Ainsi, au lieu de considérer ce moment de manière simpliste — « je suis malheureux, la cause en est que tu m'as ignoré », point final — nous comprenons la portée beaucoup plus étendue de la situation et, en conséquence, nous n'en faisons pas toute une histoire.

De quel côté se trouvent les causes ?

Nous pourrions nous demander si cette analyse nous amène à conclure que nous sommes la cause de tout ce qui nous arrive. Ce n'est pas le cas. Revenons aux systèmes philosophiques. Si l'on considère la question du point de vue du Chittamatra, il n'y a pas de phénomènes établis de l'extérieur, et nous n'avons donc affaire qu'à notre esprit. Cependant, même dans le contexte du Chittamatra, l'autre personne est dûment établie. Nous savons que ce n'est que dans le contexte de notre cognition de la personne que nous pouvons parler d'elle. Mais même dans le cadre du Chittamatra et dans le contexte de notre cognition, cette autre personne a une existence dûment établie, et l'apparition de cette personne est le résultat de toutes sortes de causes et de conditions de son côté. Tout n’est donc pas de ma faute, son comportement n'est donc pas de mon ressort, ce n'est pas mon karma qui l’a poussée à m'ignorer. Rappelez-vous, c’est mon karma qui fait que je fais l'expérience qu'elle m'ignore, mais c'est son karma qui fait qu'elle m’ignore.

Ainsi, lorsque nous analysons, nous comprenons toutes les causes de mon côté et du côté de l'autre personne, ainsi que la façon dont cette combinaison est apparue s’est produite de manière dépendante. Lorsque nous comprenons tout cela, nous ne sommes pas contrariés. Nous sommes généralement contrariés parce que nous sommes naïfs, nous ne savons pas comment nous existons et nous projetons quelque chose d'impossible. Or, avec une compréhension correcte, nous ne développons pas d'émotion perturbatrice. Pour rappel, l’apparition d’une émotion perturbatrice nous fait perdre la paix de l'esprit et la maîtrise de soi, de sorte que nous faisons quelque chose de stupide de manière compulsive. Avec une compréhension correcte, nous gardons notre calme, nous gardons notre maîtrise de soi et nous sommes alors capables de gérer la situation.

Nous pouvons nous sentir malheureux, mais cela est dû à des causes karmiques antérieures. Comme je l'ai dit, ce n’est pas grave si je suis malheureux. Parfois, je suis malheureux, il n’y a rien de spécial à cela. Ne vous laissez pas perturber par cela. Avec un état d'esprit calme, occupez-vous de la situation, de ce qui vous préoccupe. Faites ce qui est approprié et de cette façon, vous n'agirez pas de manière compulsive.

Méditer sur la coproduction conditionnée de la causalité

Il est important de savoir comment méditer sur ce dont nous avons parlé. Dans le bouddhisme, il existe de nombreux types de méditation. Une division est appelée shamatha et une autre vipashyana. Vous avez peut-être déjà entendu ces termes.

  • Shamatha est une méditation où l'esprit se calme et s'apaise : il est calme et apaisé par rapport au relâchement mental, à l’agitation de l’esprit, ainsi qu’à la distraction, etc. L'esprit est stable, il reste sur l'objet et ne bouge pas, c’est la concentration parfaite. Le corps et l'esprit se sentent très légers et flexibles, ils peuvent être utilisés pour n'importe quoi.
  • Vipashyana s'ajoute à l’état de shamatha, pour être capable de discerner les détails les plus fins. Littéralement, le terme vipashyana signifie « un état d'esprit exceptionnellement perceptif ».

Tels sont les états finaux de ces deux pratiques, mais nous pouvons dès à présent nous exercer à les atteindre. Comment méditer sur tout ce dont nous avons parlé ?

  • Nous devons entendre parler de cette analyse de la causalité et obtenir des informations correctes.
  • Ensuite, nous devons y réfléchir et la comprendre correctement.
  • De plus, nous devons non seulement la comprendre, mais aussi croire qu'elle est vraie et que c'est quelque chose d’utile, et vouloir être capable de maîtriser ce système.
  • Ensuite, nous nous exerçons à l'analyse. Comme nous le disions, nous analyserons de quoi est composé ce moment précis, etc. Nous ne pouvons pas faire cela dans le feu de l’action, alors que nous interagissons avec quelqu'un, mais nous pouvons le faire plus tard, lorsque nous réfléchissons, nous nous asseyons et nous analysons ce qui s'est passé et nous le déconstruisons.
  • Une fois que nous nous sommes familiarisés avec cette déconstruction, la pratique de shamatha consiste à se concentrer sur une situation particulière avec une certaine compréhension. Cette compréhension est que ce moment que nous avons analysé s’est produit en fonction d'un grand nombre de parties et de causes.

Il y a quatre niveaux de coproduction conditionnée. Tout d'abord, le niveau des douze liens de la coproduction conditionnée, qui détaille ce système très complexe de bonheur et de malheur, de karma, etc. Ensuite, nous avons la dépendance à l'égard des causes : toutes les petites parties de ce que nous avons vécu proviennent de causes différentes et dépendent également de certaines parties. Enfin, il y a le fait que nous étiquetions mentalement cette situation comme un « problème ». Le problème est ce à quoi l’étiquette « problème » fait référence. Il n'y a cependant rien du côté de toutes ces parties et causes qui l'ait établi comme un problème de son propre côté.

Nous avons donc compris cela, et tout ce que nous faisons avec shamatha, c'est nous concentrer sur cette situation en comprenant qu'elle s’est produite de manière dépendante en relation aux douze liens, aux causes, aux parties ainsi qu’à l’étiquetage mental. Sans toutefois discerner aucun de ces détails, nous comprenons simplement qu'elle a surgi de manière dépendante. Ce n'est qu'une fois que nous avons obtenu cette concentration parfaite que nous pouvons discerner tous les détails sans perdre notre concentration, c'est ce que l’on appelle vipashyana. Cela étant, si nous avons pratiqué encore et encore et pris cette habitude bénéfique par la méditation — c'est le sens de la méditation — de shamatha en nous concentrant sur le problème, et en ayant à l’esprit qu’il est une production en dépendance, alors dans notre vie quotidienne nous pouvons appliquer cette compréhension dans une situation, même avant d'avoir atteint l'état complet de concentration parfaite qu’est shamatha.

Voici une situation d’exemple : je suis heureux, mais quelque chose commence à me contrarier. À ce moment-là, nous appliquons la présence attentive [pleine conscience]. La présence attentive est la colle mentale qui nous permet de nous souvenir de ce que nous avons développé pendant la méditation. Ainsi, nous voyons, nous nous concentrons et nous comprenons que cette situation a surgi sur la base des douze liens, des causes, des parties et de l'étiquetage mental. Nous n'avons pas besoin d'analyser les détails, cela n'a pas d'importance à ce stade, mais nous avons besoin de compréhension. Le simple fait de dire qu'il s'agit de la coproduction conditionnée ne signifie rien, ce n'est qu'une catégorie audio, ce n'est qu'un mot, mais aucune signification ne lui est associée. Nous avons besoin d'une compréhension correcte de ce que signifie la coproduction conditionnée dans ce moment, même si nous ne discernons pas tous les détails. Nous pourrions en discerner certains si nous le voulions, mais pas au moment même, ce n'est pas pertinent. Ainsi, simplement grâce à cette compréhension, nous pouvons dissoudre nos difficultés et retrouver le calme. Ensuite, nous utilisons notre intelligence pour faire ce qu'il est intelligent de faire dans cette situation, et non pas d’agir de manière compulsive.

La véritable méditation de pleine conscience consiste donc à essayer de toujours garder cette compréhension à l'esprit, ce qui signifie s'en souvenir, ce que signifie la colle mentale, de sorte que dans n'importe quelle situation, quoi qu'il arrive, nous comprenons qu'elle a surgi de manière dépendante. Si nous le voulons, nous pouvons l'analyser, mais même sans analyse détaillée, nous comprenons de quoi il s'agit. Si nous devenons vraiment très avancés avec vipashyana, alors à chaque instant nous serons également capables de discerner toutes les causes, mais c'est un niveau très avancé.

C'est la même chose en ce qui concerne la compréhension du soi qui fait l’expérience de ce moment. Encore une fois, si nous avons compris cela, de même que les deux vérités qui sont impliquées, si nous avons compris cela et travaillé avec cela, alors à ce moment-là, nous sommes capables de garder la pleine conscience de cela également. C'est shamatha centré sur le vide [vacuité]. Nous n'avons pas besoin de discerner tous ces détails [au moment où l’action se produit], nous devons les discerner avant, pour qu’à ce moment-là, nous éliminions d’un coup toute cette confusion.

Le danger, bien sûr, est de devenir négligent et d'oublier le sens. Nous devons donc nous familiariser avec le sens encore et encore, ce qui signifie que nous devons continuer à pratiquer encore et encore. Il nous faut faire un effort héroïque à cause [de la force] de l'habitude de notre confusion et de notre compulsivité. Ces habitudes sont très, très fortes, et elles se produisent ainsi depuis des temps sans commencement. Rappelez-vous que le soi et le continuum mental n'ont pas de commencement, ils accumulent donc une force énorme qui doit être surmontée. C'est la raison pour laquelle nous l'avons mentionné précédemment : nous devons construire ce réseau de force positive par la méditation et en faisant des choses pour aider les autres. Cela permet d'accumuler une force positive qui contrebalance la force négative de nos habitudes négatives passées.

Questions

Faire face à des situations relatives au soi

Si vous vous trouvez dans une situation qui concerne votre propre personne, n'est-il pas utile de prendre de la distance par rapport à la situation en imaginant qu'au lieu que la situation m'arrive à moi, elle arrive à un de mes amis ?

Si nous avons une vue fausse et incorrecte du soi, alors ce serait la même chose d’analyser la situation en imaginant qu'elle m'arrive ou qu'elle arrive à quelqu'un d’autre. Mais, bien sûr, la force de la contrariété sera moindre s'il s'agit de quelqu'un d'autre que de soi-même. Dans un sens, il peut donc être plus facile d’analyser la situation en procédant de cette manière, mais il faut tout de même analyser.

Au lieu de faire face à ce genre de situation en considérant que « cela t’arrive à toi plutôt qu’à moi », je trouve qu'une façon plus constructive est de procéder à une analyse « impersonnelle », plutôt que de prendre les choses personnellement. Nous devons comprendre ce que signifie « impersonnel ». Il y a toujours un soi impliqué, mais vous ne le prenez pas personnellement du point de vue de « moi, moi, moi », ce faux « moi », « pourquoi cela m'arrive-t-il à moi ? »

Je vais vous donner un exemple : vous êtes au travail et votre patron vous hurle dessus : « Travaillez plus vite, nous avons beaucoup à faire ! Pourquoi êtes-vous si lent ?! » et ainsi de suite. Ne le prenez pas personnellement. Autrement dit, ne considérez pas que tout est centré sur « moi, moi, moi », pensant à la situation sous le seul angle de « moi ». « Pourquoi me crie-t-il dessus ? » C’est ce que signifie prendre les choses personnellement. Considérez plutôt la situation de manière impersonnelle, en se demandant si le patron est affecté par telle ou telle condition, ce qui lui est arrivé le matin avec sa famille, comment se porte l'économie et un million d'autres causes — toutes ces causes agissantes. Analysez également de votre côté : peut-être que je fais quelque chose de mal, peut-être que je travaille trop lentement, peut-être que j'ai été distrait par les e-mails, Facebook ou Twitter, ou qui sait ce qui se passe en même temps sur notre écran d’ordinateur. Ainsi, le soi est toujours impliqué dans la situation et vous voyez ce que vous pouvez faire pour l'améliorer et ce qui se passe avec le patron, afin de comprendre et de gérer la situation de manière intelligente. C'est ce que j'entends par « prendre les choses de manière impersonnelle ». Vous êtes toujours impliqué, mais tout ne tourne pas autour de « moi ».

Pensée conceptuelle et idées

Au cours de notre vie, nous avons certains concepts, par exemple le concept d'homme ou de femme, et ces concepts changent tout au long de notre vie. Est-ce que c'est parce que j'ai ces concepts, en particulier au moment de la mort, qu'ils sont la cause de la soif d’obtenir un certain type de renaissance et de ne pas obtenir un certain type de renaissance, produisant ensuite la renaissance proprement dite ?

Ce dont vous parlez, c'est de la pensée conceptuelle, et la pensée conceptuelle, comme nous l'avons vu, repose sur des catégories. Une idée est quelque chose qui représente la catégorie. C'est ce qu'est une idée. Ainsi, vous avez une catégorie homme ou une catégorie femme et vous avez quelque chose qui la représente, c’est votre idée de ce qu'un homme ou une femme devrait être.

Cette idée change-t-elle ?

Vous pouvez changer ce qui représente la catégorie. L'idée change, mais pas la catégorie : c'est toujours la catégorie homme ou femme. Voyez-vous comment le bouddhisme analyserait ce que vous dites ? Il y a la catégorie homme ou femme, et puis il y a votre idée de ce qu'est un homme ou une femme, qui représente donc la catégorie. Cette représentation peut changer au cours de votre vie ; elle peut évoluer. La question est donc de savoir ce qui provoque la soif et l'une de ces attitudes d’obtention ? Si j'ai un attachement particulier à un certain type de vie — j'aimerais renaître en tant qu'homme ou femme — comment cela affecte-t-il l'ensemble du processus ? Cela se complique un peu.

Vous avez une idée d'un homme ou d'une femme, disons une femme, et vous pensez à une femme. Avec cette idée — ce qui pour vous représente une femme ou la féminité — vous exagérez les bonnes qualités et vous identifiez la féminité avec ces qualités positives et ignorez les qualités négatives, les défauts. C'est sur cette base que l'on développe un attachement pour devenir une femme. Sur cette base, votre comportement, votre façon de parler et d’autres facteurs sont affectés. De cette manière, vous accumulez des potentiels karmiques, des tendances karmiques.

Au moment de la mort, nous éprouvons un sentiment, heureux ou malheureux — nous avons soif de ce sentiment — « je veux ce sentiment » ou « je ne veux pas ce sentiment », puis l'accent mis sur « moi, moi, moi » — « je ne veux pas ceci » ou « je le veux », « je ne veux pas mourir » et d'autres pensées similaires surgissent au moment de la mort pour de nombreuses personnes — et cela activera un ensemble de tendances karmiques. L'une d'entre elles qui pourrait être activée est la tendance karmique qui découle de votre comportement fondé sur l'attachement d’être une femme. Cela affectera votre type de renaissance, s'il est vraiment dominant, et vous renaîtrez en tant que femme.

Il ne s'agit pas nécessairement d'un processus samsarique. Si vous pensez au récit de Tara, ce Bouddha sous la forme d'une femme, qui, sans attachement, sans exagération, et afin d'aider les femmes, a fait le vœu de toujours renaître en tant que femme pour encourager les femmes sur leur chemin spirituel. Sur la base de ce souhait de renaître en tant que femme, elle est toujours née en tant que femme par la suite, mais pas d'une manière samsarique.

La différence importante est de savoir si nous avons une vision irréaliste du fait d'être une femme ou un homme, dans laquelle nous ne regardons que le côté positif et ignorons les défauts, ou si nous avons une vision réaliste. Dans la vision réaliste, il n'y a pas de problème ; tout a des aspects positifs et des défauts.

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