Harmoniser notre vie : révision & concentration sur nos pères

Questions

Ajouter les Quatre Incommensurables à la méditation

Dans notre dernière session, nous avons essayé de nous exercer en nous focalisant sur nos mères. Y a-t-il des questions à propos de la méditation, du processus, etc. ?

Peut-on dire que la méditation sur les quatre incommensurables est liée à cette pratique que nous venons juste de faire au sujet de nos mères ?

À vrai dire, ils ne sont pas complètement sans rapport, mais l’accent est totalement différent. Avec les quatre incommensurables, nous dirigeons notre amour et notre compassion vers les autres. Ici, nous n’orientons pas réellement nos sentiments vers les autres. Au lieu de cela, l’exercice est plus étroitement relié au souvenir de la bonté de l’amour maternel, à la bonté que nous avons reçue de nos mères. Ce n’est pas que l’objet soit différent. L’objet de concentration est le même, mais la façon dont notre esprit s’y relie est différent : avec les quatre incommensurables, nous dirigeons vers cet objet un sentiment d’amour et de compassion, etc. Dans le cas de l’exercice que nous faisons, nous apprécions les bienfaits que nous en avons reçus. L’objet est le même, mais ce que l’esprit fait avec l’objet est différent. 

Cela illustre très bien pourquoi Tsongkhapa insiste sur le fait que si nous voulons générer un certain état d’esprit positif grâce à l’accoutumance, la principale chose que nous devons savoir consiste en deux points : sur quoi nous concentrons-nous, et de quelle manière l’esprit s’y relie. Il s’agit donc ici d’un bon exemple : nous avons le même objet de concentration mais avec une façon de s’y relier différente. Nous pouvons aussi avoir le cas contraire où l’objet change mais où la manière dont l’esprit s’y relie est la même, comme de faire le même exercice que nous venons de faire mais en se focalisant plutôt sur notre père que sur notre mère.

Vue d’ensemble de l’entraînement dans son entier

S’il vous plaît, pourriez-vous clarifier les étapes ?

Oui. Nous devons nous familiariser avec les étapes parce que ce que nous avons laissé de côté en route c’est d’appliquer maintenant la même méthode à différents objets de concentration. Il y a toute une longue liste d’objets que nous devons prendre en considération. Laissez-moi juste faire la liste de ces choses afin que vous ayez une idée de l’envergure de cette pratique.

Pour chacun de ces objets de concentration :

  • Nous amenons à l’esprit une image de la personne ou une représentation de l’objet.
  • Si nécessaire, nous évoquons les défauts ou les qualités négatives de la personne ou de l’objet. Nous voyons qu’ils se sont manifestés en fonction de causes et de circonstances, et nous décidons qu’il n’y a aucun bénéfice à rester à se plaindre de ces fautes. Puis, sans nier ces travers ou défauts, nous mettons de côté toute considération ultérieure à leur sujet.
  • Ensuite, nous évoquons les bonnes qualités de la personne ou de l’objet, ainsi que les bonnes qualités que nous avons tirées de notre interaction. Nous nous concentrons sur ces faits avec une ferme conviction.
  • Puis, nous reconnaissons les bienfaits que nous avons tirés de la personne ou de l’objet en ce qui concerne les choses que nous avons apprises. Nous nous concentrons alors sur ces faits avec une appréciation et un respect profonds.
  • Et nous essayons alors de nous sentir inspirés afin des les développer plus avant.

Telle est la façon dont nous nous relions à l’objet, et maintenant nous l’appliquons à de nombreux objets différents.

Le premier groupe toucherait les membres de la famille, la mère, le père, les frères et les sœurs, ainsi que d’autres membres proches de la famille depuis l’enfance. Cela pourrait inclure les grands-parents, les oncles, les tantes, etc. Ce sur quoi nous nous focalisons ici, c’est notre enfance et les débuts de notre développement.

Puis nous nous concentrons sur notre pays natal, notre région, notre culture, enfin sur la religion dans laquelle nous sommes nés, si tel est le cas. Ce point est particulièrement important et pertinent pour quiconque délaisse sa religion d’origine au profit du bouddhisme, par exemple. Très souvent, les gens ont tendance à jeter un regard rétrospectif sur leur religion d’origine pour n’y voir que des choses négatives et, en vérité, à un niveau très profond, cela peut créer de grands troubles émotionnels. Il est donc très important de reconnaître les choses positives héritées de cette religion d’origine.

Ici, je dois introduire un élément très utile que l’on ne trouve pas dans les enseignements bouddhiques, et qui vient d’un courant de la psychologie appelé « thérapie contextuelle ». Il traite de toute la question de la loyauté. Ce qu’on a découvert, du moins cliniquement, c’est qu’il existe un grand besoin en nous, êtres humains, d’être loyal à quelque chose, comme notre milieu culturel. Ce qui arrive souvent, c’est que nous avons une « loyauté mal placée ». Nous nous focalisons seulement sur les aspects négatifs de notre milieu culturel, comme notre religion d’origine, par exemple, et nous les rejetons, mais inconsciemment ce qui arrive c’est que nous restons toujours loyaux envers ces aspects négatifs. Si, donc, notre religion d’origine était très étroite d’esprit et sectaire, et que nous l’avons rejetée, d’une certaine façon nous copions ces mêmes qualités, souvent inconsciemment. Autrement dit, nous devenons très étroit d’esprit et sectaire en ce qui concerne la nouvelle religion que nous avons adoptée.

Plus cliniquement, on trouve ce phénomène quand des parents disent toujours à leur enfant : « Tu n’es bon à rien ; tu es un raté », et : « Tu ne feras jamais rien. » Afin d’être loyal avec cela, l’enfant agit de fait en devenant un criminel ou un drogué, quelque chose de ce genre, parce que s’il est loyal envers la façon dont les parents l’ont appelé, inconsciemment il ressent qu’il est accepté par les parents pour cette raison. C’est ainsi que cela fonctionne au niveau psychologique. L’approche thérapeutique pour cette personne est donc de rendre celle-ci capable de reconnaître les choses positives de son arrière-plan culturel, afin qu’au lieu d’être loyale envers les aspects négatifs, elle puisse être loyale envers les aspects positifs.

Cette intuition venue de la thérapie contextuelle a également façonné la formation de ce type d’exercice. Il ne s’agit pas spécifiquement d’un enseignement bouddhique, mais cela s’intègre très bien dans les enseignements bouddhiques pour ce qui est de mettre l’accent sur le fait de se souvenir de la bonté de nos mères, ou amour maternel. Dans la méditation en sept parties sur la causalité et la bodhichitta, que faisons-nous lors de l’étape au cours de laquelle nous développons cette appréciation de l’amour que nous avons reçu et souhaitons redonner ? Si nous transposons cela en termes de thérapie contextuelle, nous reconnaissons l’amour que nous avons reçu et nous allons y être loyal et étendre cet amour pas seulement à notre prochaine génération mais à tout le monde. Cette intuition sur la question de la loyauté est très cohérente avec l’enseignement bouddhique.

Bien. Le prochain point de focalisation du processus consiste à prendre en considération les domaines majeurs d’étude que nous avons étudiés. À l’école, nous avons appris beaucoup de choses différentes : musique, sport, langues, sciences, etc. Nous passons en revue tous les bénéfices que nous en avons tirés pour essayer de tous les intégrer. Si nous avons étudié un peu l’histoire et la géographie au lycée, cela nous aura été profitable pour comprendre le monde. 

Il se pourrait qu’il soit plus stimulant de voir les bénéfices que nous avons obtenus en étudiant l’algèbre au lycée, mais nous devons y réfléchir. Nous devons réellement examiner le fait : « Ai-je appris quelque chose avec l’algèbre ? » Nous voyons peut-être qu’en résolvant une équation, nous utilisons une méthode que nous pouvons transposer dans la vie réelle pour analyser une situation et voir les composantes qui l’ont provoquée. C’est une façon de penser qui a très bien pu nous être profitable. Vous saisissez l’idée. Nous pourrions reconsidérer l’algèbre du lycée et dire : « Ce fut une complète perte de temps ; c’était tellement ennuyeux. Je détestais cela », mais cela n’a certainement pas contribué à l’intégrer dans nos vies comme partie de notre éducation. Mais, si nous considérons cela autrement en nous disant : « Eh bien ! j’en ai tiré une certaine façon d’analyser les situations. Je ne nie pas le fait qu’à l’époque c’était peut-être ennuyeux et que j’ai détesté cela, mais, néanmoins, j’en ai appris quelque chose. Je suis donc heureux de l’avoir étudiée. »

Le prochain domaine sur lequel on se focalise est celui des maîtres qui ont contribué de manière significative à notre développement, à la fois sur des questions spirituelles et non spirituelles. Ce point est également évoqué dans les enseignements bouddhiques. Quand nous réfléchissons à nos maîtres spirituels, nous prenons aussi en compte le maître qui nous a enseigné à lire. Si l’on ne nous avait pas appris à lire, alors nous n’en serions pas capables, bien évidemment. Nous nous servons beaucoup de la lecture dans notre étude spirituelle et dans la vie de tous les jours, et donc la personne qui nous l’a enseignée a contribué grandement à notre complet développement.

Puis, nous considérons nos partenaires ainsi que nos enfants et petits-enfants si nous en avons. Nous pouvons aussi étendre notre regard aux divers partenaires que nous avons eus jusqu’à la personne avec qui nous sommes actuellement. Si nous sommes divorcés, nous pouvons nous concentrer sur le partenaire de mariage ou les partenaires que nous avons eus. Précédemment, nous nous sommes penchés sur les membres de la famille qui nous ont influencés durant l’enfance, mais désormais on se penche sur celles et ceux qui nous ont influencés au cours de l’âge adulte.

Après cela, l’étape suivante consiste à ne pas juste considérer les amis, filles ou garçons, avec qui nous avons eu des relations amoureuses, mais également nos amis proches, passés et présents, en nous focalisant spécialement sur toutes celles et ceux qui nous ont aimés.

L’étape qui vient ensuite consiste à réfléchir aux phases significatives de notre vie, y compris aux influences de santé et aux facteurs économiques, ainsi qu’aux différents endroits où nous avons vécu et voyagé. Par exemple, à différents moments de notre vie, il se peut que nous ayons vécu dans différents lieux ou dans la même ville, mais dans des appartements ou des maisons différentes. Et, au cours de notre vie, il se peut qu’il y ait eu des phases où nous n’avons pas eu beaucoup d’argent et d’autres où nous en avons eu beaucoup, d’autres encore où nous avons dû faire face à une grave maladie, d’autres enfin où nous étions en excellente santé. Nous examinons donc ces différentes phases et voyons quels bienfaits nous avons tirés de ces différentes expériences. Je pence qu’ici nous pouvons inclure des éléments comme d’appartenir à tel club social ou de mise en forme, ou d’avoir un passe-temps comme la photographie, peu importe. Pour ce qui est des emplois, nous devons aussi inclure les différents métiers et postes que nous avons exercés. 

Si nous avons quelques notions dans ce domaine, nous pouvons aller plus loin et prendre également en considération des situations de vies antérieures, situations que nous pouvons déduire des schémas de notre vie présente. Tout cela s’intègre harmonieusement avec les enseignements bouddhiques sur le fait de se réjouir. Nous nous réjouissons des choses positives que nous avons faites dans le passé, et dont le résultat se traduit dans les bonnes qualités que nous avons maintenant. Que nous parlions d’éducation ou des choses constructives que nous avons accomplies dans une vie précédente, lesquelles ont occasionné le fait que nous jouissions présentement d’une précieuse renaissance humaine, ce sont tous des éléments sur lesquels nous nous concentrons en nous réjouissant. Au sein de notre pratique bouddhique, nous sommes heureux à leur sujet. Il s’agit d’une démarche presque similaire. Et si nous avons étudié et sommes au courant de choses comme l’astrologie ou la numérologie, nous pouvons aussi prendre cela en compte, de même que les divers bénéfices que nous avons reçus de la position natale de Vénus, de Mars, ou de la lune, etc., les divers aspects de notre thème astrologique, ou n’importe quelle combinaison de nombres de nos différents noms. 

En tant que première étape de l’exercice de ce processus, ce sont donc là les divers domaines auxquels nous appliquons cette méthodologie. C’est comme dans Développer une sensibilité équilibrée : chacun des exercices peut prendre plusieurs mois pour en venir à bout, car chaque exercice possède un très grand nombre d’étapes.

La deuxième étape de ce processus considère la manière dont nous faisons s’intégrer véritablement toutes ces choses ensemble. Tout d’abord nous devons reconnaître et collecter tous les morceaux. Une fois accomplie la première étape de façon complète, nous n’avons pas besoin de la refaire encore et encore. Une fois que nous avons réuni toute l’information sur les choses positives que nous avons tirées de toutes ces autres sources, et que nous avons développé un puissant sentiment d’appréciation à leur propos, ce que nous devons alors réellement répéter encore et encore, c’est le processus de les faire se rassembler, s’harmoniser. Nous devons toutes les assembler en un tout intégré concernant la manière dont notre façon d’être actuelle a surgi en dépendance de ces facteurs positifs, et pas seulement des facteurs négatifs.

Dans la prochaine session, je définirai le processus grâce auquel nous intégrons tout cela. Mais cela vous donne une vue générale du processus dont il est question ici. Il s’agit d’un processus très large et très complet, mais dont je suis de plus en plus fermement convaincu qu’il peut être très bénéfique en tant que base de travail à la fois pour le « Dharma allégé » et le « Dharma authentique, « pur sucre », que l’on travaille juste pour cette vie ou pour les vies futures, pour la libération et l’illumination.

Gérer le fait d’avoir été maltraité

Quand on s’implique dans ce processus, au début nous reconnaissons les défauts de la personne ou de la situation, et nous avons la ferme intention de ne pas nous y complaire ni de nous plaindre, mais juste de les reconnaître puis de passer à l’appréciation des choses positives. Que se passe-t-il si ces choses négatives nous hantent et nous reviennent même si, en réalité, nous ne le voulons pas et qu’elles deviennent un frein à notre pratique ? Que devrions-nous faire ?

Je suppose que vous vous référez ici à une situation dans laquelle les diverses méthodes pour pacifier l’esprit, les méthodes de lâcher prise, ou de voir ces pensées comme des nuages dans le ciel, ou de laisser les choses se calmer comme les vagues dans un océan, ne sont pas suffisamment efficaces dans notre cas. Il existe de nombreux moyens différents pour se calmer. Mais si ceux-ci ne marchent pas, alors que fait-on ? C’est votre question. Et nous pouvons donc penser à des exemples où ce pourrait être le cas.

Disons que nous avons été physiquement ou sexuellement abusé par un parent, un grand-parent, ou par quelqu’un. Gardez à l’esprit que je ne suis pas un thérapeute et que je n’ai donc pas d’expérience clinique, mais comme j’ai pu le comprendre, dans ce genre de situation, ce qui serait probablement le mieux, en particulier d’un point de vue bouddhique, ce serait de mettre temporairement de côté cette personne et de travailler sur tous les autres aspects, à savoir les bienfaits que nous avons reçus des autres gens, l’amour, la bonté dont nous avons été l’objet. Car, souvent, si une personne a été abusée, ce qu’on lui a enfoncé dans la tête, c’est : « Je ne suis bonne à rien ; je mérite en quelque sorte d’être abusée. » Si elle peut renforcer tous les bienfaits et la bonté qu’elle a reçus des autres, cela peut peut-être alors contrer ces sentiments et raffermir un peu l’image qu’elle a d’elle-même. Elle aura alors le courage d’affronter dans sa tête la personne qui l’a abusée, d’accepter la malhonnêteté d’avoir été abusée, puis de dépasser l’outrage et d’être capable de reconnaître les qualités de cette personne aussi bien. Quand nous acquérons un sentiment plus positif de notre force et de notre image, souvent nous acquérons aussi la force de gérer les expériences traumatiques de notre passé. 

D’autre part, quelqu’un qui a été maltraité ne fait d’habitude confiance à personne. Et donc si cette personne peut apprendre à apprécier toute la bonté, l’amour et les bienfaits qu’elle a reçus des autres, cela aide à contrer ce sentiment selon lequel : « Je ne peux faire confiance à personne. » Un autre phénomène que l’on voit parfois avec les gens qui ont été maltraités, c’est qu’ils s’identifient si fortement au fait d’avoir été la victime qu’ils réclament quasiment des autres que ceux-ci les récompensent. Autrement dit : « Vous devez me donner toujours plus et encore plus, parce que, pauvre de moi, j’ai été la victime. Donc, vous autres les parents, achetez-moi une nouvelle maison, gâtez-moi, etc. » C’est très destructeur et donc, si nous pouvons réaliser que nous avons reçu une grande somme de bienfaits des autres, non pas comme victime, mais juste en général, cela pourrait aussi aider à briser ce syndrome comme quoi : « Je suis la victime, c’est pourquoi je mérite d’être traité spécialement. »

Je pense parfois, quand on analyse comment nous pourrions nous comporter dans une situation vraiment extrême, que cela nous donne une certaine perspective sur la manière de gérer des situations moins dramatiques dont on pourrait faire l’expérience. Par exemple, notre associé nous a escroqué en affaires, ou mon précédent mari, ou mon épouse, m’ont trahi dans le mariage. Je veux dire qu’en général, ces choses sont moins graves que d’avoir été sexuellement abusé ou physiquement maltraité.

L’importance de l’équanimité

Appliquons maintenant tout ce processus à notre père. Nous l’avons fait pour notre mère ; appliquons-le à notre père.

Je pense qu’il est particulièrement important de travailler à la fois avec notre mère et avec notre père, car, de manière plus spécifique, à mesure que nous grandissons – à moins bien sûr que nos parents aient divorcé et que nous n’ayons été en contact qu’avec l’un des deux, ou que nous ayons été élevés par un parent célibataire, ou que l’un soit décédé, quelque chose de cet ordre – ils constituent les plus fortes influences que nous avons eues. Il est donc important d’avoir une vision équilibrée de ce que nous avons reçu d’eux. 

Si nous avons été élevé par un seul parent et que l’autre parent n’a pas fait grand-chose pour nous, ou si l’un de nos parents est mort quand nous étions jeune, nous pouvons essayer de voir ce que nous avons appris de cette situation. Quel bénéfice avons-nous tiré de l’expérience ? Par exemple, si l’un de nos parents est mort quand nous étions jeune adolescent et que nous ayons dû grandir plus vite, il se peut que cela nous ait poussé à assumer une plus grande part de responsabilité dans notre vie. Bien que ce processus soit plutôt aisé à effectuer avec quelqu’un avec qui nous avons eu une relation très bonne et positive, il est de loin plus difficile d’essayer de le faire avec quelqu’un avec qui nous avons eu une relation difficile.

Mais, pour en revenir à la question précédente, s’il s’agit de quelqu’un avec qui il est trop difficile de travailler, laissez de côté cette personne jusqu’à ce que vous soyez devenu un peu plus fort dans cette pratique. Vous pourrez alors revenir vers elle. Je pense que cela sous-tend toute l’importance, dans le bouddhisme, que l’on met dans les méditations sur l’amour, la compassion et la bodhichitta. Or le fondement de ces méditations est l’équanimité. À moins de pouvoir nettoyer notre esprit de l’attraction, de la répulsion – ici la répulsion étant la haine de cette personne avec qui nous avions des relations difficiles – et de l’indifférence, à moins donc d’avoir cette fondation de l’équanimité, nous n’allons pas être en mesure de diriger l’amour et la compassion à la manière totale du Mahayana, laquelle consiste à l’orienter de manière égale vers tout le monde.

Par ailleurs, cela souligne la signification du fait qu’avant d’essayer de pratiquer selon la motivation de portée avancée, nous devons pratiquer en suivant les stades antérieurs. Si on considère la structure schématique du lam-rim qui précède ce niveau avancé du Mahayana, on trouve la portée intermédiaire, dans laquelle on travaille à surmonter – jusqu’à un certain point du moins – nos émotions perturbatrices : l’attachement, le désir, l’avidité, l’hostilité, etc. À moins d’avoir des notions de base en ce domaine, il sera très difficile d’accomplir la première étape des pratiques de niveau avancé de l’équanimité. Cela ne marchera pas si on se contente de se dire : « Que l’attachement, la répulsion et l’indifférence s’en aillent ! » Nous devons prendre assez sérieusement le fait qu’il s’agit de paliers progressifs, qu’il y a des étapes, et qu’il y a une raison à cela. La pratique bouddhique n’a pas été institué comme ça, sans raison.

Se concentrer sur notre père

Bien. Travaillons avec notre père.

Tout d’abord, nous devons mettre en place le cadre mental et émotionnel pour faire l’exercice, à savoir un esprit apaisé et un cœur bienveillant. 

  • En premier, nous nous calmons. Comme nous l’avons expliqué auparavant, la méthode la plus simple consiste en une sorte de lâcher prise.
  • Puis nous introduisons l’attitude bienveillante : « Je suis un être humain comme tout le monde. Je veux être heureux ; je ne veux pas être malheureux. Je me préoccupe de cela et donc je prends soin de moi en essayant de m’apporter plus de bonheur. Ce n’est pas que j’aie à le gagner, ou à le mériter, ou qu’on me donne la permission d’être heureux. C’est juste la pente naturelle à suivre, telle une plante poussant vers le soleil. » 
  • Puis nous pensons à notre père. Si nous pouvons nous le représenter en esprit, c’est très bien. Sinon, ne vous tracassez pas à ce sujet.
  • Essayez de vous rappeler ses défauts et ses qualités négatives et essayez de comprendre comment ils se sont manifestés à partir de causes et de circonstances en fonction de son passé et de l’époque à laquelle il a vécu, etc. 
  • Maintenant, décidez qu’il n’y a aucun bénéfice à demeurer sur ces fautes et, sans les dénier, mettez-les de côté.

À ce stade, si nous éprouvons qu’il est utile de pardonner ses fautes à notre père, c’est très bien. Le pardon est issu d’un cadre conceptuel différent du cadre bouddhique, mais aucun mal à cela. Le pardon a plus à voir avec nos propres sentiments ; les défauts du père sont juste un fait, c’est quelque chose de neutre. Du point de vue bouddhique, plutôt que de pardon, ce dont nous avons besoin pour surmonter le ressentiment et le fait de garder rancune, c’est de compréhension.

  • Ensuite, nous nous rappelons les bonnes qualités de notre père, ainsi que celles que nous pourrions avoir héritées de notre interaction avec lui. Ici, nous devons penser non seulement aux bonnes qualités que nous pourrions avoir apprises de lui, mais également quelles bonnes qualités nous pourrions apprendre de lui, qu’il soit vivant ou non à cette heure.
  • Nous nous concentrons sur ces bonnes qualités comme autant de faits, c’est-à-dire ce que nous avons appris, avec la ferme conviction que cela est vrai.
  • Puis, nous reconnaissons les bienfaits que nous avons tirés de nos pères : ce qu’ils nous ont appris, ce que nous en avons obtenu, et nous essayons de nous concentrer dessus avec une profonde gratitude et un profond respect.
  • Nous essayons de nous sentir inspirés pour développer davantage ces qualités. Inspirés par son exemple, nous nous sentons encouragés, éclairés, pleins d’énergie. À votre guise, vous pouvez imaginer de la lumière jaune émanant du cœur de votre père et entrant dans votre propre cœur, et vous remplissant d’inspiration et de force pour développer ces qualités. C’est le cadeau qu’il nous fait.
  • Maintenant notre mère se joint à lui, et nous nous rappelons toutes ses bonnes qualités et ce que nous en avons appris, et de la lumière jaune émane d’elle également, vers nous, et nous remplit d’inspiration pour les développer plus avant. C’est le cadeau qu’elle nous fait tout autant.
  • En combinant ces deux lumières, sentez-vous encouragés et éclairés afin de développer ces choses de plus en plus.
  • Ressentez que, emplis de cette lumière, vous irradiez et êtes capables d’inspirer tous les autres afin qu’ils développent ces qualités tout aussi bien.
  • Nous laissons cela pénétrer en nous. Puis nous retournons lentement à notre état d’esprit habituel.
  • À nouveau, nous pensons que toute compréhension, toute force positive que nous avons tirées de ceci, puissent-elles s’approfondir de plus en plus et agir comme cause pour être en mesure d’aider réellement les autres aussi pleinement que possible.

Juste un dernier commentaire ici pour ceux qui seraient familiers avec certains types de méditations tantriques du bouddhisme. Peut-être avez-vous remarqué que nous suivons la même exacte structure ici que quand nous travaillons avec une figure-de-bouddha, comme Chenrezig. Nous sommes pleins de compassion que nous irradions et envoyons à tout le monde. Ici, nous travaillons avec les sources plus ordinaires de ces qualités que nous avons reçues de diverses personnes et de divers aspects de notre vie. Pour la plupart d’entre nous, cela sera probablement de loin plus accessible alors de travailler avec la forme idéalisée de ces qualités sous l’aspect d’une figure-de-bouddha. Cela pourrait servir de marchepied à ce type de pratique.

Demain, nous travaillerons avec certaines de ces autres catégories d’objets dont nous avons tiré un bénéfice et qui possèdent de bonnes qualités. Mais pour votre propre pratique, il serait bon d’étendre ce que nous avons fait ici à d’autres membres de la famille qui vous ont influencés depuis que vous avez grandi. Pour terminer, nous imaginons tous les membres de notre famille autour de nous, tous émanant de la lumière jaune dans notre direction, et nous ressentons la totalité intégrale de toutes les choses merveilleuses dont nous avons bénéficié de leur part. Tel est véritablement notre héritage.

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