La précieuse vie humaine et l’abandon de l’obsession pour cette vie

Versets 2 à 4

Aujourd’hui, vous allez m’écouter parler. Mais les mots qui sortent de ma bouche ont déjà été prononcés par le Bouddha lui-même de nombreuses fois et par Sa Sainteté le Dalaï-Lama également. Gyalse Togmé Zangpo, l’auteur du texte, nous enseigne indirectement.

Pour l’instant, en tant qu’amis du Dharma, nous avons écouté Sa Sainteté et nos autres maîtres en de multiples occasions, mais nous sommes toujours aussi durs que des rocs. Peu de changement ! Quand nous récitons la prière de refuge, essayons de penser aux Trois Joyaux et aux raisons pour lesquelles prendre refuge. Nous prenons refuge parce que nous sentons que c’est nécessaire, pas juste pour être bénéfique, à nous, à notre famille, à notre pays, mais pour le bien de tous les êtres sensibles. Tous les êtres sensibles ont le droit d’être heureux et de ne pas être malheureux. Gardez cela à l’esprit. C’est ainsi que nous gardons tous les êtres sensibles dans notre cœur. Dès lors, quand nous réciterons la prière de refuge, ce ne sera pas juste des mots vides de sens proférés par la bouche, mais cela viendra réellement du cœur. Mettons maintenant en place notre motivation en prenant refuge. 

Jusqu’à mon illumination, je prends refuge en les Bouddhas, le Dharma, et la plus Haute Assemblée. Par la force positive de ma générosité et du reste, puissé-je atteindre la bouddhéité pour le bien de tous les êtres.

Tirer parti de notre précieuse vie humaine

(2) La pratique d’un bodhisattva est de quitter notre pays natal où l’attachement envers les amis nous ballotte comme sur des flots ; où la colère envers les ennemis nous consume comme du feu ; où la naïveté, en sorte que nous oublions ce qui doit être adopté et abandonné, nous enlise dans les ténèbres.

Nous pouvons dire qu’il n’y a rien de particulièrement mal à aimer et éprouver de l’attachement pour notre famille et à ne pas aimer nos ennemis. Mais tout cela est relatif. Nous devons être capables d’établir des frontières. Bien entendu, il doit y avoir une certaine dose d’amour et d’attachement dans le soin qu’on prend de nos familles. Sans quoi, pourquoi même s’en soucierait-on ? Et, assurément, si quelqu’un dit du mal de nous ou de notre famille, nous accusant faussement de faire quelque chose de mal, nous pouvons dire : « Non, je n’ai pas fait ça ! Vous m’accusez à tort ! »

Ce verset parle de ce dont nous souffrons tous : l’attachement et le fait de s’accrocher. Le problème est que nous ne sommes pas capables de lâcher prise. Ce que nous devons faire, c’est  lâcher prise, mais nous ne le pouvons pas. Un bon exemple vient de l’un de mes maîtres. Sa sœur était mariée, mais le couple allait mal car son mari la trompait. Elle avait le cœur brisé, et, un jour, elle appela mon maître alors que j’étais assis à côté de lui. Ils commencèrent à parler et il écoutait très attentivement. Il me fit comprendre qu’il voulait que j’écoute, même si l’appel était très personnel, et je me demandais s’il n’essayait pas de m’enseigner indirectement ! Elle se plaignait donc, et il écoutait. Puis, il lui posa une seule question : « Aimes-tu beaucoup ton mari ? » À travers ses larmes, elle répondit : « Bien sûr que je l’aime. » Il dit alors : « S’il est heureux avec quelqu’un d’autre, pourquoi ne le laisses-tu pas partir ? »

C’est une chose tellement difficile à faire, mais en vérité, c’est cela le pur amour. Ce genre de choses nous arrivera et nous est très vraisemblablement déjà arrivé dans nos propres vies et dans celles de nos familles. Si la personne n’est pas pratiquante, elle pensera probablement que nous avons un cœur de pierre ! Quel est donc le remède quand nous sommes confrontés à de sérieux problèmes comme ceux de la sœur de mon maître ? À vrai dire, quand nous avons à faire face à n’importe quel problème, il y a toujours deux façons de faire : s’accrocher ou lâcher prise. Chaque fois que nous nous sentons perdu(e), désespéré(e) et seul(e), il ne doit pas en être ainsi. Le problème est que nous nous accrochons toujours. Nous sommes incapables de lâcher prise. Tel est le samsara.

Mon maître a prodigué ses conseils à sa sœur de nombreuses fois, et elle a finalement décidé de lâcher prise. Elle a dit à son mari : « Bon, si tu veux être avec une autre femme, va avec elle, sois libre ! » Aujourd’hui, six ou sept ans plus tard, son mari l’apprécie réellement et éprouve un amour pur à son égard. J’ai rencontré son mari et nous avons parlé ensemble du conseil de mon maître et de la manière dont elle l’a mis en pratique, et il a beaucoup pleuré. Il avait le sentiment d’avoir commis une chose terrible. Tel est le pouvoir de la pratique. Ce n’est pas facile, mais nous pouvons le faire aussi. 

Le verset dit que notre attachement à la famille et aux amis agit comme un torrent. L’attachement fait s’assembler les choses. Le Bouddha a dit que nous avons obtenu notre corps à cause de l’attachement. Notre esprit pense constamment : « J’aime ça, j’ai besoin de ceci, je veux ceci, je n’aime pas cela », encore et encore. Tel est notre attachement. Il est si puissant. Même quand nous nous mettons en colère, c’est souvent à cause de l’attachement à nous-mêmes et à nos possessions. Nous voyons que quelqu’un dérange nos affaires et, immédiatement, nous nous mettons en colère. Une fois calmé, nous réalisons probablement combien stupide nous avons été et que nous n’aurions pas du agir ainsi. Toutes ces actions physiques et mentales se manifestent pour nous « protéger » de quelque chose. C’est la raison pour laquelle nous nous battons. Quelqu’un dit quelque chose de mal à notre sujet, et nous ne pouvons pas nous contrôler. Tout ce que nous voulons, c’est détruire cette personne.

Mais, quand on y réfléchit, quand quelqu’un dit des paroles dures et que nous voulons nous battre avec la personne, c’est par les mots que nous sommes contrariés. Ne devrions-nous donc pas nous battre avec les mots ? Mais nous ne réfléchissons pas clairement, et nous perdons le contrôle. Dans S’engager dans la conduite d’un bodhisattva, Shantideva dit que nous nous mettrions dans une grande colère si quelqu’un nous battait avec un bâton. Mais nous ne nous mettons pas en colère après le bâton – le véritable agent qui nous blesse physiquement – nous nous mettons en colère après la personne qui brandit le bâton. Shantideva continue en disant qu’en vérité, de même que nous ne nous mettons pas en colère après le bâton mais avec la personne qui le tient, de même nous devrions diriger notre colère sur ce qui contrôle la personne : sa propre inconscience, sa colère, son attachement. Ce serait logique et ferait sens, mais il nous est difficile de penser de cette façon.

Quand nous ressentons de la colère et de l’aversion, nous ne pouvons pas voir la situation clairement. Quand nous ressentons un fort attachement, nous nous accrochons et nous sentons désespérés. J’ai des problèmes avec l’attachement, et j’interroge toujours l’un de mes maîtres à ce propos. Je ne lui demande jamais de me donner des enseignements sur le lam-rim ! Je lui dis : « J’éprouve des sentiments pour telle ou telle femme. J’ai déjà essayé d’appliquer certains des enseignements, mais cela ne m’aide pas beaucoup, donnez-moi des astuces. » Ce ne sont pas tous les maîtres qui peuvent donner des réponses directes à de telles questions. Et j’ajoute : « S’il vous plaît, ne me faites pas un sermon sur l’impermanence ! » Le conseil typique est de penser à l’impermanence et à la façon dont le corps est fait de sang, d’os, etc. Allons donc ! Même si vous allez sur un lieu de crémation à l’air libre et que la cervelle s’échappe du cadavre, cela n’aidera pas. J’ai tellement d’amis qui sont médecins et qui trompent leur femme. Tous les jours, ils pratiquent des opérations et extraient des organes, malgré tout ils on toujours un fort attachement pour le corps humain !

Donc, ce maître très bon me dit toujours que l’attachement est notre pire ennemi. Quand on parle d’attachement, notre esprit devrait automatiquement en voir les inconvénients. Le premier inconvénient de l’attachement est que nous essayons d’obtenir une chose coûte que coûte, mais il n’y a aucune garantie que cela réussisse. Nous tombons amoureux puis nous voyons l’objet de notre affection donner des rendez-vous à d’autres gens, et cela entraîne tellement de peine. Telle est la première douleur de l’attachement.

La deuxième chose est que même si nous obtenons quelque chose, il n’y a pas de limite à notre attachement. Voyez combien de relations capotent après seulement quelques mois ou même après de nombreuses années. Nous nous accrochons toujours à quelque chose de nouveau et d’excitant, et pas seulement à des relations mais à de la nourriture, des gadgets, des appareils électroniques, des vêtements. C’est la raison pour laquelle Apple fait de telles affaires, grâce à notre attachement ! Même si nous avons déjà toutes sortes d’habits à porter, nous voyons une nouvelle mode et pensons : « Je me dois d’avoir ça, moi aussi ! » Nous ne sommes jamais satisfaits, et cela veut dire que nous ne pouvons jamais « gagner ». Nous n’arriverons jamais au point où nous serons satisfaits et dirons « assez est assez ».

Mon maître disait que, bien entendu, personne ne pense ainsi quand on est en plein dans l’attachement, mais que c’est la manière dont nous devons essayer de nous entraîner. Il ne s’agit pas de ne pas tomber amoureux ou de ne pas acheter un nouveau téléphone, mais nous devons être conscients des inconvénients et être prêts à y faire face.

Gyalse Togmé Zangpo dit que nous devrions quitter notre pays natal. Qu’est-ce que cela veut dire. Devrions-nous abandonner nos familles ? Rendre nos passeports ? Devrais-je partir loin de ma terre natale de Spiti, en Inde ? Non, ce n’est pas ce que ça veut dire. En vérité, cela signifie abandonner notre saisie, notre attachement et notre colère. Et quand nous les sentons venir, nous les laissons passer. Dès lors, si notre ami dit quelque chose de bien ou de mal à notre sujet, nous sommes prêts à l’accepter et à ne pas agir de manière insensée. Si notre ami nous ennuie ou nous blesse – à vrai dire, nous-mêmes ne sommes pas parfaits –, alors pourquoi notre ami devrait-il l’être ? Si notre ennemi nous hait et dit de mauvaises choses à notre propos, il y a suffisamment d’espace pour que nous passions outre. Quitter notre terre natale veut dire laisser derrière nous l’ornière de nos manières habituelles de réagir avec attachement et colère.

C’est comme quand je dis mes prières et fais mes pratiques. Il y a chez moi une tendance à penser spécialement au bonheur de mes parents, de mes assistants et mécènes. Mais ce n’est pas la bonne chose à faire. Notre motivation quand on fait nos prières devrait être impartiale, comme celle des bouddhas et des bodhisattvas. Si je prie seulement pour ma famille et ceux qui me sont chers, et oublie tous les autres êtres innombrables, il s’agit alors d’attachement. C’est comme de grossir notre terre natale. Donc, quitter notre patrie est une chose mentale, et non une chose physique. 

Atteindre la stabilité mentale grâce l’isolement

(3) La pratique d’un bodhisattva est de nous appuyer sur le retrait et l’isolement, en se débarrassant d’objets préjudiciables de telle sorte que les émotions et attitudes perturbatrices soient progressivement entravées et bloquées ; par manque de distractions, nos pratiques constructives s’accroissent naturellement ; en clarifiant notre conscience, notre certitude dans le Dharma grandit.

Nous agissons normalement ainsi, n’est-ce pas ? Quand nous avons des problèmes en famille ou au travail, nous voulons courir nous réfugier dans un endroit solitaire, ou partir en randonnée, peu importe. Et le week-end est une chose très importante à l’Ouest. Vous voulez en profiter en visitant une plage ou une forêt, ou en faisant un barbecue. Le samedi passe très vite. Et le dimanche aussi ! J’ai étudié au Canada, donc je connais ça. Les jours de la semaine se passent à travailler avec notre patron et nos collègues. En conséquence, durant le week-end, nous ressentons le besoin de courir dans un endroit isolé nous réfugier avec notre famille, ou peut-être même sans notre famille. Dans ce lieu, nous voulons trouver une certaine paix de l’esprit. D’un côté, il s’agit d’un pas dans la bonne direction, mais ce n’est vraiment pas suffisant. C’est un peu comme de s’enivrer et de s’évanouir, puis après quelques heures, tout redevient normal et nous devons à nouveau affronter la réalité. Mais nous faisons cela encore et encore, et encore.

Les boddhisattvas se rendent dans des endroits isolés pour se préparer et être prêts à combattre les problèmes et les obstacles. En l’absence de distraction, on gagne naturellement en force. C’est pourquoi le Bouddha a institué la voie monacale de moine et de nonne, car en général on est moins distrait par la vie samsarique quand on est moine ou nonne. Le Bouddha a établi un certain nombre de restrictions. Il y a de nombreuses choses que vous pouvez ou non faire. Toutes ont pour but d’aider notre pratique à se dérouler sans heurts. 

Les bodhisattvas ont besoin d’aller dans des endroits isolés et d’y demeurer en équilibre méditatif, mais ne peuvent pas rester ainsi toujours. C’est le Bouddha qui l’a dit. Les bodhisattvas peuvent se mettre en méditation d’équilibre afin de combattre les émotions perturbatrices, en se concentrant sur le vide. Ils peuvent rester ainsi des semaines, des mois, mais non des années ou des éons. Dans les soutras, il est dit que les bodhisattvas en méditation profonde sont réveillés par les bouddhas. C’est comme un claquement sec ou une sonnette d’alarme. Non pas une véritable sonnette, mais comme si c’était déjà programmé dans l’esprit du bodhisattva. Parfois nous remarquons que nous nous réveillons avant que le réveil ne sonne. Cela m’est arrivé aujourd’hui. Peut-être cinq minutes avant l’heure. C’est la même chose pour les bodhisattvas. Leur engagement est très fort. Leur objectif principal est d’aider les autres. Leur pratique est d’aider les autres. Ils ne peuvent donc pas partir et rester en méditation pour toujours.

Nous essayons de mettre nos pas dans ceux des bodhisattvas et de les suivre. Nous devons examiner nos émotions négatives et essayer de comprendre comment elles s’élèvent. Quel est l’antidote à nos émotions perturbatrices ? Nous commençons par développer shamatha, un état d’esprit calme et posé. Ce qui nous fait défaut ce sont des habitudes bénéfiques. Mais fort heureusement, tout est temporaire, nous pouvons donc changer. C’est comme les bulles de l’océan. Il y a tant de bulles magnifiques dans l’océan, elles surgissent quelques secondes, puis disparaissent. Quand nous écoutons les enseignements de grands maîtres comme Sa Sainteté, nous les écoutons le matin, mais dans l’après-midi ils ont tous disparus de nos esprits ! Pour être capable de les retenir, nous devons nous concentrer grâce à shamatha. Pour développer shamatha, nous ne pouvons pas continuer à vivre comme nous le faisons normalement. Nous devons réellement nous concentrer. C’est la raison pour laquelle les bodhisattvas se rendent dans des endroits isolés. Leurs émotions perturbatrices malsaines s’évanouissent progressivement et ils ont l’opportunité de se focaliser plus sur les avantages de la bodhichitta et du vide. C’est réellement faire porter tout l’effort sur shamatha.

Au fur et à mesure que nous pratiquons la vertu, nous gagnons automatiquement en force. Avec la claire concentration due à shamatha, notre conviction dans les enseignements se développe. Vous n’avez pas besoin d’essayer pendant très longtemps. Essayez juste un peu chaque jour, pendant une heure ou une demi-heure. Mais faites-le tous les jours, puis revenez aux enseignements de Sa Sainteté.

J’ai discuté une fois avec un ami, un laïc, à propos de ce que Sa Sainteté nous conseille de faire. Il a écouté et pratiqué. En vérité, il devrait être mon maître. Après une année, il est revenu et a dit : « Rimpotché, maintenant que j’écoute les enseignements de Sa Sainteté, je crois m’être beaucoup amélioré. » J’ai dit : « Que veux-tu dire par là ? » Il a répondu : « Il y a deux ans quand je l’écoutais, je ne faisais pas très attention, mais cette fois je me sens tellement en connexion avec lui, et les enseignements qu’il a donnés me procure un sentiment si incroyable que je ne peux l’exprimer. » Et il a ajouté : « Peut-être que Sa Sainteté s’est améliorée en tant qu’enseignant. » En réalité, Sa Sainteté est la même personne. C’est mon ami qui a changé à travers sa pratique.

Nous pouvons le faire aussi. Si nous nous concentrons, tant de bonnes choses peuvent se produire au sein de notre propre esprit. Hier, je parlais avec un ami. Quelqu’un avait dit quelque chose de très méchant sur lui et il ne pouvait pas dormir de la nuit. Tout ce qu’il voulait, c’était se battre avec lui. Je ne pouvais pas faire grand chose. Il devint très buté et partial au point que j’ai dû attendre qu’il se calme. Mais, si nous possédons notre propre pratique, nous n’avons pas besoin d’écouter les autres. Souvent quand des amis nous soutiennent, leur aide s’avère négative. Il se peut que nous disions à notre ami : « Cette personne a dit quelque chose de mal à mon sujet », puis il ajoute : « Oui, cette personne est très mauvaise ! » Cet ami veut nous aider et nous soutenir, mais en réalité il ne nous aide pas. Il se peut que quelqu’un ait dit du mal de nous, mais une fois que nos amis arrivent et nous soutiennent, la personne devient une mauvaise personne à 100%. Nous n’avons pas besoin de ce genre d’aide de la part des autres !

Je ne suis pas en train de dire que les amis qui essayent de nous aider sont animés de mauvaises intentions. Absolument pas. Mais leur manière de nous aider est totalement erronée. Quand nous avons nos propres pratiques, nous pouvons faire face à ces problèmes. Certains de mes amis ont des problèmes avec leur « ennemi », et je leur dis : « Non, non, il n’est pas comme ça, il a dit ça parce qu’il le sentait ainsi, et toi aussi tu as fait quelque chose de mal ». Alors, ils diront : « D’accord, il y a une part de vérité dans ton conseil, j’essaierai donc demain de lui sourire. » Plus tard, l’un d’entre eux m’a dit : « Je lui ai souri seulement quand il ne me regardait pas. » Bien, c’est du moins un début. 

Abandonner l’obsession pour cette vie

(4) La pratique du bodhisattva est d’abandonner le fait d’être totalement concerné par cette vie au cours de laquelle amis et relations, longtemps réunis, doivent se séparer et suivre leurs propres chemins ; la richesse et les possessions amassées avec effort doivent être laissées derrière ; et notre conscience, en qualité d’hôte, doit quitter notre corps qui lui sert d’auberge.

Nous accumulons tout de façon si puissante dans nos esprits. Il est ma famille, elle est mon amie, ils sont nos ennemis. Quand nous rendons tout tellement solide, c’est un signe que nous sommes préoccupés par la permanence. Nous pensons que tout est permanent. Nous devons laisser tomber cette idée.

Nous planifions nos vies comme si tout était permanent. Gyalse Togmé Zangpo dit que même si nous sommes proche de notre meilleur ami au point de partager la même assiette et d’échanger nos habits, arrivera un moment où nous devrons nous séparer. Peu importe la quantité d’argent que nous gagnons, les larmes et les efforts que nous déployons à en gagner, tout ce que nous avons amassé nous devrons le quitter. La chose la plus dure, c’est quand notre conscience quitte notre précieux corps. Notre corps est juste pareil à une auberge, mais nous ne voulons jamais entendre ces mots, moins encore y croire. Mais nos corps sont des gîtes d’accueil dans lesquels nous devons rester 60 ou 80 ans environ. 

Si vous regardez une vie, les amis changent l’un après l’autre, les choses que nous avons vieillissent et nous en achetons de nouvelles, notre corps change, ainsi que notre esprit. C’est déjà le signe que nous devrons tout laisser derrière nous. Nous achetons une maison, puis quelque temps après nous en achetons une plus agréable et mieux distribuée. Nous pouvons en changer sans trop de peine. Mais quand notre conscience doit quitter l’auberge de ce corps, cela cause une grande douleur. Nous n’avons toujours pas retenu la leçon. Nos ancêtres et grands-parents, et même des gens plus jeunes que nous, sont morts. Nous sommes tristes mais ne pensons jamais que cela aussi, un jour, nous arrivera. Nous avons toujours l’impression d’être permanents.

Pourtant, si vous regardez les informations télévisées, on parle sans arrêt de tel ou tel accident, où  des gens sont morts. Il se peut que nous les regardions et éprouvions des sentiments forts, mais si nous ne nous replaçons pas dans la situation, nous nous sentons plutôt en sécurité. Or tous ces gens morts dans l’accident ont également regardé les nouvelles auparavant et ont pensé exactement la même chose : cela ne m’arrivera pas. Nous ne savons jamais ce qui peut nous arriver. Mais, d’ordinaire, même si nous pensons à l’éventualité d’un accident nous arrivant, nous la refoulons. Nous ne pensons pas plus loin. 

Au Tibet, il y avait un grand maître, auteur de magnifiques poèmes. Il en écrivit un sur l’impermanence, où il disait que les humains étaient plutôt stupides, plus bêtes que des chèvres et des moutons. On conduit ces animaux chez le boucher qui coupera la tête des premiers, tandis que les suivants, alignés, trembleront de peur, sachant qu’ils vont être tués. Mais nous les humains nous allons aux funérailles avec des manteaux noirs et disons simplement : « Reste en paix ». Nous n’avons pas peur pour autant. D’une certaine façon, nous sommes donc plus stupides que les animaux. 

De quoi avons-nous peur ? Je ne suis pas en train de dire que nous devrions craindre la mort. Ici, Gyalse Togmé Zangpo, dit que nous devrions avoir peur de perdre notre précieuse vie humaine. En réalité, nous pouvons faire tellement de choses magnifiques avec notre vie, mais souvent nous sommes trop paresseux. Notre paresse prend le dessus, et puis, soudain, notre vie se termine. Pensez à toutes les bonnes choses que nous pourrions faire. Si nous examinons la raison pour laquelle nous ne les faisons pas, c’est parce que notre esprit est rempli par l’idée de permanence. Nous pensons que nous durerons toujours. C’est une manière de penser totalement erronée. Nous devrions penser à la maladie et à la mort, non au point d’en être effrayé, mais de telle sorte que nous ne gâchions pas la précieuse opportunité que nous avons avec cette vie. Cela permet aussi de nous sentir prêt quand quelque chose arrive. Nous devrions être prêts à mourir. Nous devrions être prêts à laisser nos familles derrière nous de façon très positive.

J’ai un bon exemple du temps où je vivais au Canada, et qu’on m’avait invité dans un hospice. Il y avait une dame dans la cinquantaine qui avait une tumeur au cerveau. Elle avait entendu dire qu’il y avait un rimpotché dans la région et elle voulait me rencontrer. J’ai pensé que peut-être elle avait peur de mourir. Elle m’a écouté très attentivement. Vous connaissez ma tendance à parler  sans interruption. Finalement, je me suis arrêté et elle a dit : «  J’ai étudié le bouddhisme pendant trente ans, et j’ai utilisé toute mon énergie pour pratiquer, et je n’ai pas la moindre peur de la mort. Je suis prête à mourir. J’ai peur parce que, à cause de la douleur dans mon corps, les médecins me donnent des drogues. Sous leur emprise, je ne peux pas penser à mes pratiques. Si je meurs sans penser au Dharma, qu’arrivera-t-il à ma vie future ? »

Je ne m’attendais pas à cela de sa part. J’ai appris de cette dame. Je suis resté assis en silence pendant cinq minutes, perdu dans mes pensées. Je me suis alors souvenu d’un des enseignements de Sa Sainteté, un merveilleux enseignement. Sa Sainteté a dit que l’influence de notre pratique est incroyable. Quand on tient quelque chose de très précieux dans nos mains, mettons que nous ayons le plus récent et le plus cher des iPhones, même si nous nous endormons, nous le saisissons automatiquement. Cela m’est arrivé ! Même si notre attention ne se porte pas là, automatiquement  il y a cette influence qui nous fait penser : « Je ne peux pas le lâcher, je dois le garder serré. » Quand ils lancent un nouvel iPhone, le boîtier et l’étui sont déjà en vente également. Ils savent comment fonctionne notre esprit. Après avoir dépensé tellement d’argent pour un nouveau téléphone, vous achèterez aussi un boîtier, car vous voulez le tenir et ne pas le lâcher. C’est la même chose avec notre pratique. Une fois que vous ressentez la bodhichitta ou le vide, vous ne les lâchez pas. Il ne s’agit pas ici de saisie, ou d’attachement. Il s’agit plus de voir combien cela est précieux. Quand vous avez un accident, vous n’avez pas le temps de pratiquer. Pas de pensées concernant le Dharma. Mais l’influence de votre manière de pratiquer est présente. Vous la tenez en vous. Je lui ai dit ça. Elle avait les larmes aux yeux. Elle m’a remercié d’être venu, et m’a dit qu’elle attendait cette réponse. Elle connaissait la réponse. En quelque sorte, elle avait juste besoin que quelqu’un d’autre vienne et la lui dise. Je voulais partager cela avec vous.

Top