Kalachakra : cycles du temps et karma
Le mot kalachakra signifie cycles du temps. Son système présente trois de ces cycles : externes, internes et alternatifs. Les cycles externes et internes traitent du temps tel que nous le connaissons normalement. Les cycles alternatifs comportent un ensemble de pratiques permettant de se libérer des deux premiers. Les structures des cycles externes et internes sont analogues, à l'instar du parallèle entre macrocosme et microcosme évoqué dans la philosophie occidentale. Cela signifie que les mêmes lois qui régissent l'univers s'appliquent également aux atomes, au corps et à notre expérience de la vie. Les pratiques des cycles alternatifs suivent également cette structure afin de nous permettre de nous engager avec ces forces et de les surmonter de manière efficace. Ce mimétisme est, en fait, l'un des traits caractéristiques de la méthode du tantra anouttarayoga.
Le bouddhisme définit le temps comme une mesure du changement. Par exemple, un mois est la mesure des changements qui interviennent à la fois à l’extérieur, par la lune qui tourne autour de la terre, mais également à l’intérieur, par le cycle physiologique menstruel féminin. Ces changements sont cycliques du fait de la répétition de ces phénomènes, bien que les événements de chaque cycle ne soient pas complètement identiques. À l'extérieur, l'univers passe par des cycles cosmiques, astronomiques, astrologiques et historiques. Au niveau interne, le corps traverse des cycles physiologiques, dont beaucoup ont des répercussions sur nos états mentaux et émotionnels. En outre, tout comme les univers se forment, s'étendent, se contractent, disparaissent puis se reforment, les êtres individuels connaissent des renaissances continuelles, en passant par les étapes successives de la conception, de la croissance, du vieillissement et de la mort. Tout ceci se répète encore et encore.
Normalement, le passage du temps exerce un effet débilitant. En vieillissant, notre vue, notre ouïe, notre mémoire et notre force physique s'affaiblissent progressivement et nous finissons par mourir. En raison d'un attachement compulsif et d'une confusion à propos de qui nous sommes et comment nous existons, nous renaissons sans aucun contrôle à travers ce même processus, et nous devons à chaque fois réapprendre tout ce que nous savions auparavant. À mesure que nos vies se déploient dans le temps, les potentiels karmiques de nos actions passées mûrissent à des moments astrologiques, historiques et de cycles de vie adéquats pour donner naissance aux divers événements que nous vivons. Certains de ces événements sont agréables, mais beaucoup ne le sont pas. Il semble que nous ayons peu de choix quant à ce qui se passe dans notre vie.
En bref, les cycles externes et internes du temps délimitent le samsara, à savoir les renaissances récurrentes et incontrôlables, parsemées de problèmes et de difficultés. Ces cycles sont mus par des impulsions d'énergie, connues dans le système de Kalachakra sous le nom de « vents karmiques ». Le karma est une force intimement liée à l'esprit et naît de la confusion à propos de la réalité. En imaginant que nous, les autres et tout ce qui nous entoure existent de la manière dont notre esprit les fait apparaître, c’est-à-dire comme si des identités concrètes et permanentes étaient établies à l'intérieur de chaque être ou de chaque chose, nous agissons sur la base de cette confusion avec attachement, colère ou une sorte d’entêtement stupide. Nous avons en tête ce genre de pensée : « Je suis absolument comme ceci, ces objets ou ces personnes sont absolument comme cela, je dois posséder ces choses et me débarrasser de celles qui me dérangent », et ainsi de suite. Toute action physique, verbale ou mentale commise sur la base d'un tel mode de pensée rigide et confus construit des potentiels et des habitudes karmiques. Dans des circonstances appropriées, ces potentiels ou « graines de karma » mûrissent sous la forme d'impulsions impérieuses qui nous contraignent à répéter ces actes et à reproduire les mêmes types de situations. Nous pouvons facilement le constater si nous examinons attentivement le comportement impulsif qui se cache derrière les événements personnels et historiques que nous vivons. Combien de personnes passent d'un mauvaise relation à un autre, et combien de pays enchainent les crises sans en tirer de leçon ?
Les potentiels karmiques, en fait, donnent lieu à un large éventail d'impulsions qui affectent nos vies. Les potentiels karmiques collectifs issus des actions antérieures d'un très grand nombre d'êtres, dont nous-mêmes, donnent lieu, par exemple, à l'évolution d'un univers avec des environnements et des formes de vie spécifiques dans lesquels nous et ces êtres renaîtrons par la suite. Ces potentiels collectifs sont également à l'origine des impulsions qui déterminent les lois physiques et biologiques qui régissent cet univers, des conditions climatiques de ses planètes jusqu'aux habitudes de vie de chaque espèce qui s'y trouve. Ils sont également à l'origine des impulsions qui sous-tendent le comportement instinctif quotidien caractéristique de chaque forme de vie.
Dans ce contexte, les potentiels karmiques individuels, au point de jonction adéquat des cycles internes de chaque être, à savoir après chaque mort, donnent lieu à l'impulsion de renaître dans un environnement spécifique avec un corps particulier. Cette impulsion est en relation avec un moment de l’évolution particulier du cycle externe d'un univers. Nous ne pouvons pas renaître sous la forme d'un dinosaure dans une forêt vierge alors que cette forme de vie et ce milieu sont déjà éteints. Tous ces facteurs qui mûrissent à partir du karma sont en concordance et produisent le type d’être dans lequel nous faisons l'expérience de la maturation de nos potentiels karmiques personnels passés, qui se traduisent sous la forme des comportements impulsifs que nous adoptons dans notre vie. Né dans une nation en guerre, nous devenons spontanément un soldat, nous bombardons les villages ennemis et un jour nous sommes tués au combat. Les nombreux niveaux des cycles externes et internes du temps s'entrecroisent donc de manière complexe.
En bref, le temps n'a ni début ni fin. Il y a toujours eu et il y aura toujours des changements, que l'on peut qualifier comme le passage du temps. Les univers, les civilisations et les formes de vie animées naissent et disparaissent continuellement. La forme qu'ils prennent dépend des actions, et donc de l'esprit de ceux qui les ont engendrées. C'est pourquoi il existe une adéquation logique entre le corps et l'esprit des êtres et leur environnement. On naît poisson ou humain pour vivre les événements de la vie dans l'eau ou dans l'air, et non l'inverse. Cependant, comme l'esprit des êtres est sous l'influence de la confusion, les corps, les mentalités et les environnements qui résultent des actions karmiques qu'ils commettent ont un effet restrictif et préjudiciable sur eux. Ces facteurs limitent leurs capacités à faire le bien et à être bénéfique aux autres. Les personnes qui ont subi les épidémies de peste au Moyen Âge ne pouvaient pas faire grand-chose pour contrer les horreurs auxquelles elles étaient confrontées.
La libération des cycles du temps du Kalachakra
Les cycles alternatifs du temps impliquent une série progressive de pratiques méditatives du tantra anouttarayoga. Ils servent non seulement d'alternative aux cycles externes et internes, mais aussi de moyen de s'en libérer. Cependant, la possibilité de s'affranchir du temps ne signifie pas que celui-ci n'existe pas ou que l'on puisse vivre et être bénéfique aux autres en dehors du temps. Le temps, en tant que mesure du changement, est également une mesure des cycles d'actions d'un bouddha. Se libérer du temps signifie se débarrasser de la confusion, et de ses instincts, qui produisent sans cesse nos impulsions, ou karma, lesquels nous livrent à la merci des ravages du temps. Une fois libres, nous ne sommes plus affectés par le froid glacial de l’hiver, les éclipses, les guerres, etc., qui reviennent périodiquement. Nous ne sommes plus non plus limités par le type de corps qui est sous le contrôle de forces biologiques périodiques, comme la faim, les pulsions sexuelles, la fatigue ou le vieillissement. Grâce à la pleine compréhension de la réalité, il devient possible, au contraire, de générer des cycles de formes qui profitent aux autres au-delà de toute limite imposée par le temps.
Le processus commence par l'initiation de Kalachakra. Une fois l’initiation correctement reçue, nous nous engageons dans la phase de génération, puis nous accomplissons une pratique de méditation par étapes sous la forme de la figure-de-bouddha appelée Kalachakra. Grâce à ces deux étapes, nous accédons au niveau le plus subtil de notre esprit et l'utilisons pour voir la réalité. En restant continuellement concentré sur la réalité, nous éliminons à jamais la confusion dont découle les impulsions instinctives, ce qui nous libère des cycles externes et internes du temps. Cela est possible car notre tantra de base, notre esprit individuel de claire lumière, sous-tend chaque moment d'expérience et, comme le temps, est sans fin. Une fois que notre esprit le plus subtil est libéré de la cause la plus profonde donnant naissance aux impulsions d'énergie qui perpétuent les cycles du temps et l'asservissement à ceux-ci, au lieu de cela, les corps d'un bouddha, sous la forme de Kalachakra, peuvent advenir.
La diffusion du Kalachakra
Pour décider s'il convient de recevoir la transmission de pouvoir de Kalachakra, il est utile de connaître l'origine de ces enseignements et l'histoire de leur diffusion. Nous aurons alors la certitude que ses méthodes ont été testées et approuvées au fil du temps.
Selon la tradition, le Bouddha a enseigné le tantra de Kalachakra il y a plus de 2 800 ans dans l'actuel Andhra Pradesh, dans le sud de l'Inde. Les souverains du pays septentrional de Shambhala en étaient les principaux auditeurs et ont préservé ces enseignements dans leur pays. Au Xe siècle, deux maîtres indiens, dans des expéditions distinctes, ont tenté d'atteindre Shambhala. En chemin, chacun d'entre eux eut une vision de cette terre pure, au cours de laquelle il reçut la transmission de pouvoir du Kalachakra et les outils nécessaires pour le pratiquer. Chacun a diffusé ces enseignements en Inde, qui diffèrent légèrement dans leur présentation. Kalachakra, qui est l'un des derniers systèmes de tantra à avoir vu le jour, a rapidement gagné en importance et en popularité dans les universités monastiques de la plaine centrale du Gange, puis, peu après, dans celles du Cachemire. Quatre styles de pratique ont fini par émerger. Les maîtres de ces régions ont ensuite enseigné le tantra de Kalachakra dans le nord de la Birmanie, dans la péninsule Malaise et en Indonésie, mais il s'est éteint dans ces régions au XIVe siècle.
Accompagnés de traducteurs tibétains, les maîtres indiens ont également transmis le tantra de Kalachakra au Tibet. Trois lignées de transmission principales se sont formées entre le XIe et le XIIIe siècle. Chacune d’elle a enseigné un corpus différent des quatre versions indiennes, introduisant de légères différences supplémentaires dues à la traduction. Les lignées, combinant différents éléments de ces trois transmissions, se sont transmises jusqu'à aujourd'hui à travers les traditions Sakya et Kagyou, puis Guéloug. Étant donné que l'école Nyingma du bouddhisme tibétain ne transmet que les textes indiens qui ont atteint le Tibet et ont été traduits avant le début du IXe siècle, il n'existe pas de lignée Nyingma directe de Kalachakra. Toutefois, des maîtres Nyingma ultérieurs ont reçu et conféré l'initiation de Kalachakra à partir d'autres lignées, notamment celle de Rimé (un mouvement non sectaire du XIXe siècle), et ont écrit des commentaires sur tous les aspects des enseignements. En outre, il existe une variante de Kalachakra propre au dzogchen, la pratique de la grande complétude.
Parmi les quatre traditions tibétaines, Kalachakra est le plus important au sein de l’école Guélougpa. L'étude, la pratique et les rituels de Kalachakra ont fait l'objet d'une attention particulière au XVe siècle à Tashilhounpo, le monastère des premiers Dalaï-Lamas, puis des Panchen-Lamas, dans le Tibet central. Au milieu du XVIIe siècle, il s'est répandu dans ce que les Mandchous ont rapidement appelé la « Mongolie intérieure », où les Mongols ont construit le premier collège monastique consacré spécifiquement à Kalachakra. Au milieu du XVIIIe siècle, il y avait des collèges de Kalachakra à la cour impériale mandchoue de Pékin, puis à Tashilhounpo, dans l’Amdo (nord-est du Tibet) et dans la « Mongolie extérieure ». Au cours du XIXe siècle, les Tibétains et les Mongols de Mongolie intérieure et extérieure ont transmis le tantra de Kalachakra aux Mongols bouriates de Sibérie qui, à leur tour, au début du XXe siècle, l'ont diffusé aux Mongols kalmouks de la Volga et aux Turcs sibériens de Touva. Comme dans les autres régions mongoles et en Amdo, de larges départements des grands monastères de chacune de ces régions se sont consacrés à la pratique de Kalachakra.
Cet enthousiasme des Mongols, des Amdos et des Tuviniens pour Kalachakra est peut-être dû à l'identification de leurs pays avec la légendaire terre nordique de Shambhala. Depuis plus d'un siècle, de nombreux Russes ont également adopté cette croyance à la suite de leurs contacts avec les Bouriates et les Kalmouks. Madame Blavatsky et Nikolai Roerich, par exemple, ont donné à Shambhala un rôle de premier plan dans la théosophie et l'agni yoga, les traditions ésotériques qu'ils ont respectivement fondées. Agvan Dorjiev, l'envoyé bouriate du treizième Dalaï-Lama à la cour impériale russe, a convaincu le dernier tsar, Nikolaï II, d'approuver la construction d'un temple bouddhique à Saint-Pétersbourg en lui expliquant le lien entre la Russie et Shambhala.
Kalachakra a également fait l'objet d'une attention particulière dans les instituts médicaux et astrologiques des quatre traditions bouddhiques tibétaines au Tibet même, en Mongolie et dans d'autres régions d'Asie centrale. En effet, les calculs permettant de compiler le calendrier tibétain et de déterminer les positions planétaires, une grande partie de l'astrologie tibétaine et une certaine partie des connaissances médicales tibétaines découlent des enseignements externes et internes de Kalachakra. Le calendrier mongol, ainsi que les systèmes astrologiques et médicaux, ont ensuite découlé des systèmes tibétains. Kalachakra est donc l'équivalent bouddhique du « saint patron » de ces sciences.
Kalachakra et la lignée des Dalaï-Lamas
Nombreux sont celles et ceux qui se demandent quel est le lien entre Sa Sainteté le Dalaï-Lama et Kalachakra, et pourquoi Sa Sainteté donne si souvent cette initiation. Sa Sainteté affirme modestement qu'il n'y a pas de relation particulière entre la lignée des Dalaï-Lamas et Kalachakra, bien que les Dalaï-Lamas soient considérés comme des incarnations de l'un des souverains de Shambhala. Néanmoins, le premier, le second, le septième, le huitième et l'actuel quatorzième Dalaï-Lamas ont manifesté un vif intérêt pour le système de Kalachakra. Depuis l'époque du septième Dalaï-Lama, au début du XVIIIe siècle, les pratiques rituelles et de méditation de Kalachakra sont devenues des spécialités du monastère de Namgyal, le monastère personnel des Dalaï-Lamas au palais du Potala à Lhassa.
Un maître peut transmettre l’initiation de Kalachakra autant de fois qu’il le souhaite, il n'y a aucune restriction à ce sujet. Il n'y a par conséquent aucune raison particulière pour laquelle l’actuel Dalaï-Lama la confère si fréquemment. Sa Sainteté a déclaré qu'il était heureux de la donner quand on le lui demandait, à condition que les circonstances soient favorables. Depuis 1970, il a conféré l’initiation de nombreuses fois en Inde, ainsi qu'en Amérique du Nord, en Europe, en Mongolie et en Australie. Plusieurs autres grands maîtres des traditions Guéloug, Kagyou, Sakya et Nyingma l'ont également conférée à grande échelle. La lignée dans laquelle l'initiation de Kalachakra est reçue ne fait guère de différence. Elles nous permettent toutes d'étudier et de pratiquer le vaste éventail de ses enseignements.
Kalachakra et la paix dans le monde
Nous entendons souvent dire que l’initiation de Kalachakra est destinée à la paix dans le monde. Certaines personnes choisissent même Kalachakra plutôt que d'autres systèmes tantriques en raison de cette association. Mais quel est le lien exact entre Kalachakra et la paix, et pourquoi tant de personnes prennent part à cette initiation ? Bien que les initiations aux autres tantras ne soient destinées qu'à un petit nombre de disciples à la fois, il existe une tradition historique qui consiste à conférer l'initiation de Kalachakra à de larges audiences. Historiquement, le Bouddha l'a d'abord transmise au roi de Shambhala et à son entourage de quatre-vingt-seize souverains secondaires. Avec le temps, leurs descendants l'ont conférée à l'ensemble de la population de Shambhala afin de l'unir contre la menace d'une éventuelle invasion et d'éviter la défaite. C'est l'origine de l'association du pouvoir du Kalachakra avec la paix mondiale et de la tradition de le transmettre à un grand nombre de participants.
Selon la présentation des cycles historiques de Kalachakra, des hordes barbares envahissent périodiquement le monde civilisé et tentent d'éliminer toute possibilité de pratique spirituelle. Une invasion future est prédite pour l'année 2424 de notre ère, où il est dit qu'il y aura une nouvelle grande guerre mondiale. À ce moment-là, l'aide viendra de Shambhala pour vaincre les barbares. Un nouvel âge d'or se lèvera, avec toutes les conditions propices à la pratique spirituelle, notamment de Kalachakra. Tous ceux qui ont précédemment reçu l'initiation de Kalachakra renaîtront à ce moment-là du côté des vainqueurs. La plus grande motivation pour recevoir l'initiation est de pouvoir pratiquer les méthodes de Kalachakra dès maintenant afin d'atteindre l'illumination dans cette vie même. Néanmoins, les gens ont traditionnellement afflué vers l'initiation avec la motivation de planter des graines karmiques pour se connecter à cet âge d'or futur afin d'achever leur pratique à ce moment-là.
Le royaume de Shambhala
Étant donné que Shambhala joue un rôle de premier plan dans le système de Kalachakra, la plupart des gens sont curieux de savoir ce qu'est réellement Shambhala et où il se trouve. C'est sans doute d'une déformation du nom « Shambhala » que l'écrivain romantique occidental James Hilton a tiré le mythe de Shangri-la, un paradis terrestre caché. Bien qu'il puisse exister un endroit dans ce monde représentatif de Shambhala, il ne s'agit pas de la véritable terre légendaire. Shambhala ne se trouve pas sur cette planète, ni même dans un monde lointain. Il s'agit cependant d'un royaume humain dans lequel tout est propice à la pratique spirituelle, notamment du tantra de Kalachakra.
Des maîtres de méditation ont écrit des guides, en sanskrit et en tibétain, pour atteindre Shambhala. Ils décrivent ce périple sur le plan physique jusqu'à un certain point seulement. Le voyageur doit ensuite répéter des millions de mantras et d'autres pratiques spéciales afin d'atteindre le but final. Le voyage vers Shambhala est donc avant tout un voyage spirituel. Le but de l'initiation de Kalachakra n'est pas d'atteindre Shambhala ou d'y renaître, mais, comme toutes les autres pratiques bouddhiques du Mahayana, le « vaste véhicule », d'atteindre l'illumination ici et maintenant, pour le bénéfice de tous. L’initiation plante les graines qui nous permettent d'atteindre ce but et aident à purifier certains des obstacles internes les plus grossiers qui empêcheraient sa réalisation.
Se préparer pour recevoir l'initiation
Supposons que nous développions un intérêt pour Kalachakra en ayant une vision générale du contenu de ses enseignements, de son histoire et de sa relation avec la paix dans le monde. Nous devons maintenant évaluer si nous sommes réellement prêts à recevoir l'initiation et à nous lancer dans sa pratique, ou s'il est préférable d'y assister en tant qu'observateur intéressé. Le plus raisonnable est de fonder notre décision sur notre degré de préparation. Bien qu’accumuler des centaines de milliers de prosternations, de répétitions du mantra de Vajrasattva et ainsi de suite soient extrêmement utiles, la préparation principale doit être basée sur le lam-rim, les voies progressives du comportement, de la communication, de la pensée et du sentiment qui mènent à l'illumination.
La première étape consiste à prendre dans la vie la direction sûre, saine et positive, indiquée par les bouddhas, leurs enseignements et la communauté de celles et ceux qui sont bien avancés dans cette direction. Généralement traduite par « la prise de refuge », cette direction consiste à travailler sur nous-mêmes pour surmonter nos problèmes et acquérir les qualités nécessaires pour être bénéfiques aux autres autant que possible. Choisir cette direction dans la vie signifie mener notre vie sur la base de la compréhension et de la confiance dans les lois de cause et d'effet, en relation avec notre comportement. Pour éviter la souffrance et les problèmes, nous nous abstenons d'agir de manière destructive, et pour connaître le bonheur, nous agissons de manière constructive.
La préparation la plus importante au tantra consiste à s'efforcer de développer les trois principaux aspects de la voie : le renoncement, la bodhichitta et la compréhension du vide (vacuité). Le renoncement est la volonté d'abandonner les problèmes et leurs causes, et repose sur une forte détermination à se libérer de la souffrance qu'ils engendrent. Par exemple, parce que nous sommes totalement dégoûtés d'être seuls et frustrés, nous sommes prêts et déterminés à renoncer non seulement à nos relations malsaines avec les autres, mais aussi à nos traits de personnalité négatifs et à l'image confuse et déformée que nous avons de nous-mêmes, qui rendent nos relations non satisfaisantes. La bodhichitta est un cœur déterminé à atteindre l'illumination, en surmontant toutes nos négativités et en réalisant notre plein potentiel, pour le bien de tous. Ce cœur est motivé par l'amour et la compassion pour tous les êtres, et par un sentiment de responsabilité pour les aider autant que possible à surmonter leurs problèmes et à atteindre un bonheur durable. Le vide, lui, signifie la réalisation de l'absence de modes d'existence erronés.
Habituellement, nous imaginons que nous, les autres et tous les phénomènes existent d'une manière impossible qui ne correspond pas à la réalité. Nous fabriquons mentalement des fantasmes plus ou moins subtils et nous les projetons sur nous-mêmes et sur toutes celles et ceux qui nous entourent. Par exemple, nous imaginons que nous sommes nés pour perdre, que nous ne pourrons jamais réussir à établir ou à maintenir une relation satisfaisante avec qui que ce soit, et que nous sommes responsables de tout nos échecs, indépendamment des autres et des circonstances extérieures. À un niveau plus subtil, nous sommes préoccupés par nous-mêmes, pensant que nous existons comme un « moi » solide à l'intérieur de notre tête. Nous craignons que personne ne nous aime et que tout le monde nous rejette. Confondant ces fantasmes avec la réalité, nous agissons par ignorance et par l'insécurité qu'elle génère. Avant même qu'un conflit n'éclate, nous sommes si nerveux et autocritiques que nous faisons en sorte que la relation échoue. Notre comportement non seulement construit et renforce un modèle de potentiels karmiques pour que des problématiques similaires mûrissent dans nos relations futures, mais il déclenche également la maturation des potentiels karmiques passés sous la forme de rejets actuels.
Avant d'entrer dans la pratique tantrique, nous devons au minimum prendre conscience que les niveaux les plus grossiers de nos projections ne font référence à rien de réel. Personne n'est un perdant né et aucune relation n'est vouée à l'échec. Cette compréhension découle d'une vision valide de la réalité, ou « vue correcte » de la vacuité, qui doit être en adéquation avec l’un des systèmes philosophiques du Mahayana enseignés par le Bouddha : le Chittamatra ou un des nombreux Madhyamaka. Selon ces systèmes, non seulement nous-mêmes, mais aussi toute chose sont dépourvues d'existence propre. Ces différents systèmes diffèrent principalement en fonction de leur explication du vide et de son niveau de subtilité.
Pour se préparer au tantra, il faut avoir foi et confiance dans les méthodes tantriques en général, et en particulier dans celles de sa classe la plus élevée, l'anouttarayoga. Nous devons avoir la conviction qu’elle constitue le moyen le plus efficace d'atteindre l'illumination. Toute personne ayant cette confiance, l'état d'esprit des trois principaux aspects de la voie et une expérience suffisante du lam-rim est appelée un « réceptacle approprié » pour recevoir l’initiation de Kalachakra. Il nous appartient de juger personnellement si nous sommes suffisamment préparés.
Bref aperçu de l'initiation de Kalachakra
L’initiation s'étend sur plusieurs jours. Le premier jour est une cérémonie préparatoire, suivie généralement de deux ou trois jours de transmission de pouvoir proprement dite. La partie la plus importante des procédures initiales consiste à prendre refuge et à prendre les vœux de bodhisattva et les vœux tantriques. Sans ces trois éléments, nous ne pouvons pas recevoir la transmission de pouvoir, même si nous pouvons en être témoins et en retirer un grand bénéfice. L’initiation en elle-même implique une procédure complexe qui consiste à s'imaginer se transformer en une série de formes spéciales, à entrer dans le mandala de la figure du bouddha Kalachakra et à y faire l'expérience d'une série de purifications, ainsi que de l'éveil et de l'amélioration de nos potentiels pour le succès futur de la pratique. Le mandala est un énorme palais à plusieurs étages, dans lequel et autour duquel se trouvent 722 figures, dont un couple principal au centre. Le maître qui confère l’initiation apparaît simultanément sous la forme de toutes ces figures, et pas seulement sous celle du personnage central. Ainsi, tout au long du processus, nous nous visualisons, ainsi que notre maître et notre environnement, d'une manière très particulière.
Les étapes de l'initiation sont extrêmement complexes et, sans familiarité, toutes ces visualisations peuvent être assez ardues. Mais si, en tant que réceptacle approprié, nous prenons les vœux avec une sincérité totale et que nous avons au moins le sentiment, soutenu par une foi solide, que toutes les visualisations se produisent réellement, nous pouvons être sûrs que nous recevons l’initiation. Une fois cette base assurée, l'étape suivante consiste à rechercher des instructions supplémentaires et à essayer, aussi sincèrement que possible, de parcourir le chemin complet de l'illumination tel qu'il est présenté dans le tantra du Kalachakra.