Dans la discussion sur les modes de connaissance des choses et les objets qui sont connus, nous avons abordé la division entre la cognition conceptuelle et la cognition non conceptuelle. Ces points nous amènent au sujet de ce que l'on appelle les généralités (spyi) et les particularités ou instances (bye-brag). Ces termes, en particulier les généralités, sont assez difficiles [à comprendre] car ils comportent de nombreuses subdivisions, et il est vraiment difficile de trouver un terme qui puisse s'appliquer de manière satisfaisante à tous les types de généralités et particularités que nous avons ici.
Les généralités
Une manière de mieux décrire ce qui est réellement impliqué dans ces généralités serait de parler de synthèses mentales. Autrement dit, il s'agit d'une synthèse de diverses choses en une entité plus vaste. Selon la tradition Guéloug, certaines se produisent naturellement, comme la synthèse de parties en un tout, et d'autres sont des créations mentales, comme la synthèse de nombreuses créatures d'apparence différente dans la catégorie conceptuelle animaux. Les traditions non Guéloug affirment que toutes les synthèses sont créées mentalement, mais la création mentale n'a pas besoin d'être un processus actif.
Permettez-moi de donner un exemple très simple, celui des animaux. Nous n'avons pas besoin de passer en revue tous les cas de toutes les créatures que nous voulons rassembler en un seul groupe, puis, après les avoir toutes rassemblées, nous disons : « D’accord, je vais appeler toutes ces créatures des animaux. » Nous ne sommes pas obligés de le faire. Il ne s'agit pas nécessairement de les nommer, mais de les rassembler en un groupe. Donner un nom à ce groupe, c'est autre chose.
Il est très intéressant de voir comment nous apprenons à connaître ces groupes. Si nous pensons à un bébé, il place presque tout [ce qu’il connaît] dans le groupe des aliments comestibles (tout ce qui peut être mis en bouche). Plus tard, il doit apprendre qu'il y a certaines choses qui n'appartiennent pas à ce groupe. Quoi qu'il en soit, nous n’allons pas entrer dans ce sujet très intéressant de la manière dont nous apprenons ces groupes.
Cependant, le terme « synthèse » ne fonctionne pas toujours. On pourrait parfois utiliser le mot « catégorie », parfois le mot « généralité ». Nous verrons quels sont les différents types et à quoi ils se réfèrent. En tibétain ou en sanskrit, il y a un mot qui fait référence à tout cela. Il s'agit ici d'un phénomène partagé en commun par les individus auxquels il est imputé. Telle est sa définition. Cela signifie qu'il est imputé. C'est ce que j'entends par synthèse mentale. Nous avons tous ces êtres individuels, ces créatures, ces choses qui marchent, ou quoi que ce soit d'autre, nous les regroupons et nous imputons conceptuellement la catégorie animaux sur la base de tous ces êtres. Ainsi, une synthèse mentale est imputée sur ces éléments particuliers, conceptuellement étiquetés. Cependant, « étiqueté » ne signifie pas nécessairement de manière verbale, ni que quelqu'un doive activement imputer la synthèse. Réfléchissez-y un instant.
(Pause)
Restons-en à la présentation Guéloug. Certaines synthèses sont des phénomènes fonctionnels, des phénomènes non statiques qui changent d'un moment à l'autre et sont affectés par des causes et des conditions. Par exemple, un corps est une synthèse de ses parties, il est un phénomène d'imputation qui ne peut exister et être connu que sur la base de ses parties. Personne n'a besoin d'assembler puis d'imputer un corps entier sur la base de quatre membres [et d’un tronc] pour qu'il y ait un corps entier. Il existe également d’autres groupes, tels qu'une équipe de football, qui doivent être constitués à partir de leurs membres. D'autres synthèses sont des phénomènes non fonctionnels, des phénomènes statiques qui ne changent pas d'un moment à l'autre et qui ne sont pas affectés par des causes et des conditions. Il s'agit de catégories, comme la catégorie animal, une étiquette mentale attribuée à de nombreuses espèces.
Les généralités sur les objets conventionnels
Les synthèses mentales de la collection [d’un objet]
S’agissant des objets conventionnels, on distingue tout d'abord une synthèse de la collection (tshogs-spyi). Une synthèse de la collection se réfère à un tout, un tout en tant que phénomène d'imputation sur la base de parties. Si l'on reprend la distinction Sautrantika-Svatantrika, certaines sont des formes construites (bsags-pa'i gzugs), elles sont des formes de phénomènes physiques qui sont construites à partir de leurs particules constitutives et/ou de leurs parties constitutives. Les particules et les parties se connectent les unes aux autres, comme les membres et le tronc de notre corps, pour former une masse entière (gong-bu). Tout comme les membres grandissent avec l'âge, le corps dans son ensemble change et grandit avec l'âge.
D'autres sont des formes groupées (bsdu-pa'i gzugs), celles dont les parties constitutives ne sont pas reliées entre elles, comme une forêt, composée d'un groupe ou d’un ensemble d'arbres. Une forêt s'agrandit ou se rétrécit en fonction du nombre d'arbres qui la composent.
Les synthèses mentales du type [d’un objet]
L'autre type de synthèse fonctionnelle en rapport avec les objets conventionnels est une synthèse du type (rigs-spyi) [d’un objet]. Il s'agit de savoir de quelle sorte ou de quel type d'objet il s'agit. À quel genre appartient-il ? À quelle espèce appartient-il ? Il peut s'agir d'une machine, d'un animal ou d'un ordinateur.
Nous avons l'ordinateur dans son ensemble, l'ordinateur en tant qu'objet global, un phénomène d'imputation sur la base de toutes ses parties, et il existe de nombreux types d'ordinateurs différents. Rappelez-vous, nous avions notre Dell noir et notre Mac gris. Le type de chose qu'ils sont est la synthèse mentale [du type], laquelle est également un phénomène d'imputation sur la base de ces ordinateurs. Le type de chose qu'ils sont est ordinateurs. Les ordinateurs font-ils quelque chose ? Est-ce qu'ils changent d'un moment à l'autre ? Un ordinateur peut-il taper ceci et cela ? Pas tout seul, à moins que nous n'appuyions sur une touche. Un ordinateur peut-il traiter ceci et cela ? Un ordinateur peut-il se briser ? La question de savoir si nous devons l'aider ou non est différente, mais le fait est que qu’un ordinateur fait quelque chose.
Nous entrons ici dans un panel de questions en rapport avec la causalité. L'ordinateur ne peut rien faire par lui-même. La cause pour laquelle un ordinateur fait quelque chose est un agent qui lui fait faire quelque chose. Qu'est-ce qui, [en tant que personnes], nous permet de faire quelque chose ? L'oxygène. La nourriture. Il y a beaucoup de choses qui entrent en compte. Cependant, c'est une question tout à fait différente en termes de causalité. Il est très intéressant de penser à la différence entre un ordinateur et un esprit. Nous avons besoin d'une personne distincte de l'ordinateur pour le faire fonctionner. Avons-nous besoin de quelqu'un de distinct de l'esprit pour le faire fonctionner ? Non. C'est le concept de l'âme que l’on réfute dans le bouddhisme, à savoir que l’âme est séparée de l'esprit et qu'elle le fait fonctionner d'une manière ou d'une autre, comme on fait fonctionner un ordinateur.
Nous avons donc une synthèse de la collection [d’un objet] et une synthèse du type [d’un objet]. Il existe d'autres aspects qui concernent l’ensemble [d’un objet]. Par exemple, une phrase a des parties, mais toutes les parties n'existent pas en même temps ou ne se produisent pas en même temps, n'est-ce pas ? Lorsque nous entendons un mot, chaque syllabe se produit à un moment différent. Lorsque nous entendons la seconde syllabe, nous n'entendons plus la première, il s'agit d'une synthèse dans le temps. Lorsque nous avons une synthèse de la collection, d’un tout — par exemple, de l'ordinateur — ce n'est pas seulement une synthèse de ses parties qui se produisent toutes en même temps, car l'ordinateur n'existe pas pour un seul moment, n'est-ce pas ? Un ordinateur en tant que tout et en tant que type d'objet est un phénomène d'imputation qui dure en tant que continuum aussi longtemps que cet objet existe. Même si, d'un moment à l'autre, il vieillit et se rapproche de la panne, nous avons toujours cette synthèse de la collection, cet ordinateur dans son ensemble, et il reste un ordinateur, c'est ce qu'il est.
Les synthèses mentales de l’objet
Il existe également une synthèse mentale de l’objet (don-spyi). Elle concerne les informations sensorielles. Que voyons-nous lorsque nous regardons l'ordinateur ? Nous voyons une forme colorée, une forme de boîte noire. Cependant, un ordinateur n'est pas seulement une forme noire, n'est-ce pas ? C'est un objet qui imprègne toutes les informations sensorielles le concernant. Notre ami est en train d’utiliser un ordinateur dans l'autre pièce et nous entendons les cliquetis des touches du clavier. Entendons-nous l'ordinateur ? Oui. L'objet ordinateur est également un phénomène d'imputation sur la base de ce son. Que nous soyons aveugles ou non, lorsque nous tenons l'ordinateur dans notre main, nous le touchons et nous avons une sensation physique. S'agit-il également d'un ordinateur ? Oui.
Un ordinateur est une synthèse de l’objet sur la base de tous ces différents types d'informations ou données sensorielles. C’est ce que nous appelons un objet conventionnel (tha-snyad spyod-yul, objet conventionnel de sens commun). Un objet conventionnel est un phénomène d'imputation sur la base de toutes les informations fournies par chacun de nos sens, ainsi que de toutes les parties et de leur séquence, pour le temps qu’elles durent. C'est ce qu’est un objet conventionnel, dans notre cas, l’ordinateur. Vous comprenez ? Tous nos objets, tout ce que nous voyons, sont ainsi, n'est-ce pas ?
Les généralités relatives au langage
Les généralités suivantes sont des phénomènes statiques et comprennent les catégories audio et de signification. Les synthèses non statiques peuvent être connues à la fois de manière non conceptuelle et conceptuelle, tandis que les généralités statiques ne peuvent être connues que de manière conceptuelle.
Les catégories audio
Commençons par les catégories en rapport avec le langage, que j'appelle les catégories audio (sgra-spyi). Prenons le son du mot « ordinateur ». La force avec laquelle quelqu'un le prononce n'a pas d'importance. Lorsque nous entendons le son de ce mot, il existe de très nombreuses variantes de ce que nous pourrions entendre. Il peut s'agir d'une voix d'homme, de femme, d'enfant, ou d'une voix d'ordinateur. Le son pourrait être prononcé par de nombreux types de voix différents, à des niveaux sonores différents, et même avec des accents différents. D'une manière ou d'une autre, nous avons rassemblé toutes ces données dans cette catégorie audio qui est le son du mot « ordinateur ». Sinon, comment comprendre que deux personnes prononcent le même mot ? Comment reconnaître qu'elles disent la même chose ? Le son n'est pas le même, ce qui implique une catégorie audio. Pour pouvoir comprendre ce que quelqu'un dit ou ce que différentes personnes disent, nous devons le comprendre à travers le filtre d'une catégorie audio, de sorte que, d'une manière ou d'une autre, nous mettions ensemble toutes les différentes variations du son que nous entendons de ce que nous considérons comme le même mot. Il en est ainsi, pas vrai ? Ce type de catégorie est statique ne change pas.
Il n'en est pas fait mention dans les textes ou dans l'analyse, mais je pense que l'on pourrait faire l'analogie avec le mot « ordinateur » écrit. Il peut être écrit en différentes couleurs, en différentes tailles de police, en écriture manuscrite, en lettres imprimées. D'une certaine manière, nous voyons toutes ces variantes comme le mot « ordinateur », comme la représentation du mot « ordinateur » écrit. Je pense que c'est assez similaire ici. Pensez-y. C'est vraiment étonnant de voir comment nous connaissons quoi que ce soit.
Même si ces catégories de mots, ces catégories audio, ne changent pas, nous devons les avoir apprises. Enfants, nous avons dû apprendre le mot « ordinateur ». Nous pourrions être en train d'écouter une langue sans la comprendre, et nous serions même incapables d’assembler des mots à partir de cette langue, n'est-ce pas ? C'est particulièrement vrai lorsqu'elle est parlée très rapidement. Nous devons les apprendre. Bien sûr, nous pouvons aussi les oublier. Si vous avez étudié une langue dans votre enfance et que vous ne l'avez pas beaucoup pratiquée, vous l’aurez complètement oubliée plus tard dans votre vie.
Les catégories des significations
Lorsque nous sommes capables d'appréhender conceptuellement des catégories audio, ces mots — et il ne s'agit pas nécessairement de mots, il peut s'agir par exemple du son du moteur de notre voiture — nous pouvons soit savoir ce qu'ils signifient, soit ne pas savoir ce qu'ils signifient. Il existe ce que l’on appelle les catégories de signification (don-spyi), qui est le même terme que la synthèse de l’objet dont nous avons parlé précédemment. Autrement dit, lorsque nous entendons le son d'un mot et que nous le reconnaissons comme appartenant à une catégorie audio, nous pouvons également le classer dans une catégorie de signification de ce que le mot veut dire ou dans une catégorie d'objet de ce à quoi le mot se réfère.
Par exemple, si nous entendons le mot « ordinateur » pour la première fois, ou si nous apprenons le mot « ordinateur » en zoulou, nous n'aurons aucune idée de sa signification. Quelqu'un nous apprend le mot, et nous demande de le répéter, ce que nous faisons. Ou nous l’apprenons en chinois, et nous répétons le mot. Là encore, nous n'avons aucune idée de ce que cela signifie. Néanmoins, nous pouvons distinguer deux personnes différentes qui le disent de deux voix différentes, nous pouvons distinguer qu'elles disent le même mot. Nous savons qu'elles disent le même mot. Nous n'avons aucune idée de ce qu'il signifie ou de ce à quoi il se réfère. Nous connaissons, nous percevons ces sons que ces deux personnes différentes prononcent par l'intermédiaire d'une catégorie audio, du fait qu’elles disent le même mot. Ou encore, nous entendons plusieurs sons qui proviennent du moteur de notre voiture. Nous savons que c'est un moteur de voiture, nous reconnaissons le son du moteur, mais nous ne savons pas que cela signifie que quelque chose ne va pas avec la voiture. Nous ne savons pas ce que cela signifie. C'est un drôle de son, nous entendons un drôle de son. Nous ne savons vraiment pas ce qu'il signifie, mais c'est un drôle de son.
Nous pourrions ajouter à cette catégorie audio, une catégorie de signification ou une catégorie d'objet, ce que cette catégorie audio signifie et ce à quoi elle se réfère. À bien des égards, la signification et l'objet sont à peu près identiques, même si, dans certains cas, nous pouvons les différencier. Quoi qu'il en soit, nous entendons le mot « ordinateur » et nous savons ce qu'il signifie : il désigne un type de machine capable de faire ceci ou cela, et il fait référence à cet objet posé ici sur la table. Comme nous l'avons vu, nous pouvons le représenter dans notre pensée, par le biais d’un caractère spécifique, d'un aspect mental, d'un hologramme, qui le représentera pour nous. Dans le cas d’une pensée verbale, il peut représenter le son du mot.
Nous pensons « ordinateur », et dans notre conscience mentale, nous avons ce que nous décririons comme le fait d’entendre dans notre esprit le son mental du mot « ordinateur ». C'est ce que dit la petite voix dans notre tête, du moins c'est ainsi que cela apparaît. Nous pensons à la catégorie audio du mot « ordinateur », qui n'a pas de son, c’est une catégorie générale dans laquelle nous pourrions inclure la façon dont le mot est dit et prononcé par n'importe qui. Cependant, lorsque nous le pensons, nous spécifions jusqu'à un son mental particulier, un hologramme mental sonore, qui pour nous va représenter cette catégorie lorsque nous y pensons, c’est-à-dire cette voix dans notre tête que l’on croit entendre mentalement et qui dit « ordinateur ».
Nous avons une catégorie audio d'un mot, le son d'un mot et le mot. Ce sont trois choses différentes. Un mot est une synthèse de la collection des syllabes, un phénomène d'imputation sur la base des syllabes, or-di-na-teur. Quatre syllabes. Réfléchissez-y. Que se passe-t-il lorsque nous disons « ordinateur » dans notre esprit ? Rappelez-vous qu'il n'y a pas de petit moi séparé, assis dans notre tête avec un microphone, qui dit cela. Toutes ces choses ne font que surgir, elles se produisent simplement. Il n'y a pas de personne séparée de cela, qui les fait se produire, comme quelqu'un de séparé de l'ordinateur, assis et tapant [sur le clavier].
Nous avons cette catégorie audio. Lorsque nous pensons, cela peut être représenté par un son mental, un son mental spécifique, et pas seulement par la catégorie générale. Si nous savons ce qu'est un ordinateur, alors, en plus de cette catégorie audio lorsque nous pensons « ordinateur », il y aura également une catégorie de signification, et cette catégorie de signification fera également référence à une catégorie d'objet. Il s'agit de la signification de ce qu'est un ordinateur et de l’objet qui le représente.
Nous pensons « ordinateur », donc nous pensons verbalement. Il n'est pas nécessaire qu'il s'agisse d'une pensée verbale, car nous pourrions simplement visualiser un ordinateur. Quoi qu'il en soit, c’est très intéressant si l'on y réfléchit. Lorsque nous pensons que « huit plus sept font quinze », avons-nous vraiment une image mentale des chiffres 8 et 7, des signes plus et égal, et du nombre 15 ? C'est très intéressant. Ou bien, en regardant ces trois stylos sur la table, nous pensons que cela fait trois. Eh bien, il y a trois choses ici, et nous pensons « trois », mais nous n'avons pas nécessairement le mot « trois » ici, et pourtant nous comprenons « trois ». Nous n'avons même pas besoin de les compter. C'est très intéressant de voir comment l'esprit fonctionne, comment nous connaissons les choses.
Lorsque nous commençons à penser à un chien, il est évident que nous pensons tous à un type de chien différent. Ou que diriez-vous d'un « bon moment » ? « Je passe un bon moment. » Qu'est-ce que cela signifie pour chacun d'entre nous ? Cela peut signifier quelque chose de différent et faire référence à un objet différent, qui pour nous signifie un bon moment, n'est-ce pas ? Pour quelqu'un d'autre, ce n'est peut-être pas un bon moment. Existe-t-il quelque chose de tel qu’un bon moment ? Existe-t-il ? Tout le monde a une idée de ce qu'est un bon moment, cela ne signifie pas nécessairement que tout le monde y mettrait la même étiquette. Ce n'est pas la même chose qu'un phénomène inexistant, comme un monstre. Ensuite, nous entrons dans toute la discussion philosophique : est-ce que quelque chose est un bon moment de son propre côté, ou est-ce qu’il l’est en relation à notre concept d'un bon moment ? S’il était un bon moment de son propre côté, tout le monde devrait le considérer comme tel. Nous pouvons assister à ce que nous considérons comme une conférence vraiment ennuyeuse, et quelqu'un considérera que c'est un bon moment, mais pour nous, c'est une torture, ce n'est pas du tout un bon moment.
Il y a de très nombreuses implications à cela, sur lesquelles je ne veux pas m'étendre, mais cela devient un sujet d’analyse très, très profond. Pouvons-nous parler de l'objet lui-même comme d'une synthèse du type, ou s'agit-il également d'un processus d'étiquetage ? Pour moi, cette chose est un ordinateur, tandis que pour mon fils de deux ans, c'est un jouet, ce n'est pas du tout un ordinateur. Qu'est-ce que c'est ? Et qui sait ce que le chat pense que c’est ?
Les éléments individuels
Mais assez de ces généralités ou catégories. Passons à autre chose. Les éléments individuels sont des cas particuliers qui s'inscrivent dans l'une de ces catégories, et qui peuvent s'inscrire dans un grand nombre de catégories différentes. Avec nos différents systèmes philosophiques bouddhiques, nous analysons avec une grande attention — et ce n'est pas un sujet si facile — où se trouvent les caractéristiques déterminantes (mtshan-nyid) qui nous permettraient de classer correctement quelque chose dans telle ou telle catégorie. Ces caractéristiques se trouvent-elles du côté de l'objet ? N'existent-elles que dans le dictionnaire ? Ont-elles été inventées par des personnes ? Qu'est-ce qu'une caractéristique déterminante ? Ce n'est pas si simple. Avec l'ordinateur, nous pourrions peut-être dire : « Eh bien, il fait ceci et cela, et il est composé de ceci et cela. » Mais qu'en est-il d'une émotion ? En effet, nous ressentons tous quelque chose de très différent lorsque nous éprouvons de l'amour, par exemple.
La mémoire
La pensée conceptuelle à l'aide de catégories nous amène au thème de la mémoire, que nous allons donc aborder brièvement.
Tout d'abord, les mots « mémoire », « se souvenir », « se rappeler » ou encore « présence attentive » [pleine conscience] sont tous identiques en tibétain et en sanskrit (dran-pa, Skt. smṛti). L’idée qu’exprime ce terme est celle d’une sorte de colle mentale nous permettant de rester fixés sur quelque chose afin de ne pas le perdre de vue. Telle est la définition. Il ne s'agit pas ici de stocker des informations ou de faire remonter un souvenir de sa mémoire. Nous parlons du moment où nous nous en souvenons réellement.
Un exemple est celui de notre présence ici, au Tibet Center. Le fait d’être ici au Tibet Center et d'entendre toute notre discussion sur l'ordinateur perdu est en train de se produire. Plus tard, cette discussion ne se produira plus, mais nous pourrons nous en souvenir.
J’essaie de simplifier, car cela devient vraiment très complexe. Se souvenir de quelque chose fonctionne comme une tendance (sa-bon). Si nous pensons à notre colère, nous ne sommes pas toujours en colère. Parfois, la colère en tant qu'état mental, en tant que facteur mental, se manifeste ; elle se produit réellement, et parfois elle se poursuit simplement en tant que tendance. Une tendance est l'un de ces phénomènes changeants qui ne sont ni une forme de phénomène physique ni une façon d'être conscient de quoi que ce soit, comme le temps ou le moi. Même si le sens littéral de ce mot [en tibétain] signifie « graine », il ne faut pas penser qu'il s'agit d'un objet matériel. Une tendance est un phénomène d'imputation sur la base d'une série d'incidents similaires. Nous étions en colère à ce moment-là, et après un certain temps, nous étions de nouveau en colère, et après plus de temps encore, nous étions de nouveau en colère. Il y a eu tous ces cas [particuliers] de colère, et comment les rassembler ? Nous dirions qu’il y a une tendance à se mettre en colère. C'est en quelque sorte une abstraction. Chaque fois que nous nous mettons en colère, ce n'est pas exactement la même chose, n'est-ce pas ? Il s'agit de cas individuels dans cette catégorie plus large qu'est le fait d’être colère. Nous avons ici un autre bon exemple de cas [particuliers] et de généralité, ou de catégorie.
C'est le même type de chose en ce qui concerne la mémoire. Nous avons écouté cette discussion ici au Tibet Center. Plus tard, nous nous souvenons de ce qui s'est passé. Nous nous en souvenons, or qu'avons-nous ? Il y a cette catégorie d'objet qui est d'être au Tibet Center et d'écouter cette conférence. Grâce à cela, nous disposons d'un caractère spécifique qui va nous permettre d'obtenir un hologramme mental représentant le fait d'être au Tibet Center. Un hologramme mental va apparaître, qui va représenter pour nous ce que c'est que d’avoir été ici et d’avoir écouté cette conférence. Ce qui est intéressant, c'est qu'à chaque fois que nous nous souvenons d'avoir été ici, l'hologramme mental qui le représente apparaît différemment. Nous nous souvenons de quelque chose d'autre. Nous ne nous souvenons pas toujours exactement de la même chose, n'est-ce pas ? Cependant, nous regroupons tout cela de manière générale dans le fait de se souvenir d’avoir été là.
De plus, nous ne nous en souvenons pas tout le temps. Nous n'y sommes pas attentifs — se souvenir, c'est être attentif — et nous n'avons donc pas de colle mentale attachée à cette pensée conceptuelle, en nous accrochant à cette généralité, à cette catégorie d’avoir été là et à quelque chose qui la représente en permanence. Lorsque nous nous en souvenons, il n'y a pas de colle mentale. S'y accrocher, c'est la présence attentive. Nous nous accrochons à la généralité — avoir été là — et à une représentation mentale, l'hologramme mental. Il peut s'agir de quelque chose de mentalement visuel. Il peut s'agir de se souvenir du son de ma voix. Cela peut être n'importe quoi : « Je me souviens d’avoir été confus. » Nous pouvons nous souvenir de tout ce qui peut représenter le fait d’avoir été là. Parfois, cependant, ce que nous nous représentons mentalement comme le fait d’avoir été là lorsque nous nous souvenons ne s'est pas produit du tout. Il s'agit alors d’une mémoire fausse.
Quoi qu'il en soit, comment pouvons-nous rassembler tous ces exemples de se souvenir d’avoir été là ? Ce ne sera jamais exactement la même image mentale parce que cela ne se produit plus. Nous ne pourrions jamais nous souvenir de ce qui n'est plus. Ce n'est pas valide. Cela a expiré. C'est comme notre lait qui est périmé. C'est fini.
Nous dirions que nous avons tendance à nous souvenir ; c'est le même mot (sa-bon). En Occident, nous dirions qu'il s'agit d'un souvenir, mais nous ne parlons pas d'un engramme imprimé quelque part dans notre cerveau. Il y a peut-être une contrepartie physique à cela. Nous n'écartons pas cette possibilité. Cependant, dans le bouddhisme, nous ne parlons pas de l’engramme sans pour autant le nier, car il n'est pas contradictoire avec ce dont nous parlons. Nous parlons toujours de ce qui se passe du point de vue de l'expérience — ce dont nous faisons l’expérience — nous ne décrivons pas toutes ces choses d’un point de vue chimique.
Il y a donc une tendance. Quelle serait la circonstance qui provoquerait, à partir de cette tendance, un moment où l'on se souviendrait effectivement de l'événement ? Ce pourrait être le fait d'entendre le mot « ordinateur » qui le déclencherait. Ce serait une circonstance, laquelle fait partie de notre discussion sur la causalité, et ce serait une condition antérieure immédiate (de-ma-thag rkyen). Le fait d'entendre le mot « ordinateur » précède immédiatement le fait de se rappeler d’avoir été là. C'est comme le chien qui entend la cloche. C'est très intéressant, n'est-ce pas ? Tout le monde ne se souvient pas d'avoir été là, et chaque fois que nous entendons le mot « ordinateur », nous pouvons vivre quelque chose de complètement différent, nous pouvons ne pas penser du tout au fait d’avoir été là.
Cela devient une question très intéressante, à laquelle je ne peux pas répondre immédiatement, mais pourquoi, pour certaines personnes, le fait d'entendre le mot « ordinateur » déclenche-t-il le souvenir d'avoir été là et pour d'autres, non ? C'est probablement lié à toutes les émotions — l'attachement, la force de ces émotions, la confusion, etc. — présentes au moment où s’est déroulée l’action, et qui, comme nous le dirions dans nos langues occidentales, nous ont marqués.
En outre, nous ne sommes pas parfaitement présents et attentifs, ce qui signifie que notre colle mentale est assez faible. Nous nous laissons distraire, la colle mentale se relâche et nous cessons de nous souvenir, nous oublions. Oublier signifie « cesser de se souvenir ». Notre concept occidental de l'oubli est un peu différent du concept bouddhique. « J'ai oublié » signifie que je ne pourrai jamais m'en souvenir. Par exemple, lorsque nous essayons de nous concentrer sur quelque chose, notre esprit s'égare et nous oublions de nous concentrer sur l'objet — notre présence attentive est faible — et nous devons ramener notre attention. Même si nous pensons avoir vraiment oublié quelque chose, il se peut que, plus tard dans la vie, quelque chose le déclenche et que nous nous en souvenions à nouveau. Cela arrive, n'est-ce pas ? « J’ai oublié que cela s’est passé ». Et puis, un jour, quelqu’un nous rappelle ce que nous avons fait au lycée il y a 40 ans, et soudain nous nous en souvenons. C'est très intéressant lorsque les autres se souviennent de quelque chose dont nous ne nous souvenons pas. « Je ne me souviens pas avoir dit cela. Je ne me souviens pas avoir fait cela. » Qui sait quelle mémoire est juste ?
La représentation mentale peut donc ne pas être très précise. Le fait que nous ne nous souvenions plus, bien que nous ayons toujours cette tendance qui nous permettrait de nous souvenir à nouveau, n'est pas dû à un quelconque mécanisme de défense, c’est parce qu'il y a un défaut dans notre présence attentive et que nous ne pouvons pas la maintenir. Si nous étions parfaitement présents et attentifs, nous pourrions la maintenir aussi longtemps que nous le voudrions. Nous n'avons pas une pleine conscience parfaite. Nous n'en avons pas le contrôle, mais nous pourrions le faire. Si nous en avions le contrôle, nous pourrions dire : « J’arrête de me souvenir [de ceci ou de cela] », et nous cesserions d'y penser, cela ne reviendrait pas de manière intempestive alors que nous sommes occupés à autre chose.
C'est un état très avancé, n’est-ce pas ? « Je ne vais pas penser qu'il y a un monstre dans le placard. » C'est très difficile à faire. Si nous étions vraiment présents et attentifs, nous pourrions rester attentifs à quelque chose — comme nous concentrer sur un objet — aussi longtemps que nous le voudrions, et lorsque nous déciderions d'arrêter d'y être attentifs, nous nous arrêterions et nous n'y penserions plus. Pour nous, c'est très difficile. Par exemple, nous avons eu une relation avec quelqu'un, nous avons rompu et nous y pensons. Sommes-nous vraiment capables de dire : « J’y ai pensé pendant cinq minutes. Maintenant, je ne vais plus y penser et je ne vais plus m'en souvenir. » Nous n'en sommes pas capables. Cependant, si nous avions vraiment un esprit développé, nous serions capables d'être attentifs à quelque chose pendant un certain temps et d’arrêter de l’être ensuite à notre guise. Si nous étions un bouddha, nous serions capables de rester présents et attentifs à tout pour toujours et sans confusion.