La pratique de l’amour : comparaison entre bouddhisme et islam

Toutes les religions partagent un but commun

Toutes les religions partagent le message commun de l’amour, de la patience, du pardon, du dépassement de l’égocentrisme et de l’égoïsme. C’est une chose que toutes les religions enseignent en commun et qui est la base du dialogue inter-religieux. Les philosophies et les méthodes sous-jacentes pour enseigner ces qualités peuvent être différentes, mais le but est le même. Toutes les religions du monde ont pour objectif d’améliorer la qualité de la vie et d’apporter le bonheur aux individus et à la société. Une fois posé cela comme terrain commun et avoir reconnu qu’il existe des différences philosophiques, la question est de savoir comment encourager et développer l’harmonie religieuse, harmonie dont le monde d’aujourd’hui a grandement besoin.

Quand on considère les mondes du bouddhisme et de l’islam, ils ont interagi et se sont recoupés aussi bien historiquement que présentement dans différentes parties du monde telles que l’Inde, l’Asie centrale et du Sud-Est, et, de nos jours, de nombreux immigrants musulmans viennent en Europe et en Amérique du Nord. Nous avons des contacts beaucoup plus étroits avec ces sociétés et ces cultures. Elles rencontrent et interagissent non seulement avec des gens de milieu juif et chrétien, mais également bouddhiste. Il se peut que certains parmi nous, ici, aujourd’hui, qui viennent d’un milieu bouddhiste, trouvent intéressant de savoir comment comparer ces deux religions.

Dans la perspective de l’harmonie inter-religieuse, il s’agit d’un domaine dans lequel Sa Sainteté le Dalaï-Lama se sent très engagé. Il insiste toujours fortement sur le fait que la base de cette harmonie repose sur l’éducation. Quand les gens sont sans information ou souvent mal renseignés au sujet d’autres religions, alors il y a de la peur et de la défiance. Les gens ont tendance à identifier une religion tout entière avec un très petit groupe que Sa Sainteté appelle les « fauteurs de trouble ». On les retrouve dans toutes les sociétés et dans toutes les religions.

C’est très regrettable ; c’est pourquoi la base de l’harmonie religieuse est l’éducation. En s’appuyant sur l’éducation, il peut y avoir du respect si nous comprenons les philosophies des uns des autres et les façons de cultiver ces qualités positives que nous partageons tous. Ce sont les qualités universelles de l’amour, de la compassion, du pardon, etc. À cette fin, examinons ces deux religions et voyons ce qu’elles disent du développement de l’amour, à commencer par l’islam.

Les principes fondamentaux de l’islam

Le pur besoin inné de suivre Dieu

Au centre de tout, dans l’islam, il y a Dieu, le créateur. Dieu créa les hommes et les femmes animés d’une pure prédisposition, ou inclination, ou pulsion innée à se soumettre à Dieu et à suivre sa volonté. À nos yeux, il se peut que nous trouvions cela un peu étrange, mais si on y réfléchit d’un point de vue biologique, nous avons été créés par nos parents, notre mère, et il y a chez l’enfant une pulsion innée à se connecter à la mère, de telle sorte que l’enfant, dans le cas des mammifères, se tournera automatiquement vers le sein pour téter et en tirer sa nourriture, etc. Il existe ainsi un besoin de se rapprocher de notre créateur.

C’est la raison pour laquelle ce besoin qu’on trouve dans l’islam, bien que pris à un niveau supérieur, n’est pas une idée si étrange dans son aspect inné, presque comme un aimant, celle d’attirer les gens vers leur créateur et de suivre et se soumettre à la volonté de Dieu. Même si on examine le monde animal, l’enfant suivra sa mère. Il s’agit là d’un instinct, et c’est l’objet de la discussion.

Toutefois, Dieu créa aussi les humains doués de libre arbitre et d’intellect. Sous l’influence de l’intellect, avec le libre arbitre, l’âme peut choisir soit d’obéir à Dieu, soit d’être sujette aux émotions négatives nées de la désobéissance à la volonté de Dieu. Cela devient très égocentrique. On trouve ce genre de développement chez les enfants également. Il y a cette volonté propre de désobéir aux parents, etc.

Cela conduit à un comportement négatif, interdit par Dieu et, comme résultat, à un accroissement et à une accumulation de taches noires autour du cœur. Cela crée un voile entre le cœur et le message de Mahomet. Le cœur devient hermétique à la vérité de Dieu, mais dans la mesure où c’est l’âme qui exerce le libre-arbitre, c’est à l’âme d’exercer le libre-arbitre de l’intellect pour ôter les taches du cœur. Grâce à l’intellect, on discerne et voit ce qu’est ou n’est pas la volonté de Dieu, et on a le choix de la suivre ou non.

Cet effort pour ouvrir le cœur est décrit comme un combat. Tel est le sens du mot « jihad ». Bien que dans différentes formes d’islam il y ait de nombreux niveaux pour lesquels on peut employer le mot « jihad », la signification centrale est celle d’un combat ou d’une lutte pour surmonter l’influence des émotions négatives, la désobéissance à la volonté de Dieu et à la poursuite d’une vie éthique par manque de foi ou sous l’emprise de la convoitise ou de la colère.

Les trois dimensions de l’islam

Que signifie suivre la volonté de Dieu ? Cela veut dire faire preuve d’une adoration sincère pour Dieu. Dans l’islam, cela comprend ce qui est connu comme étant les trois dimensions de l’islam. Ce sont la soumission, l’abandon à la volonté de Dieu, puis la foi, et, très important dans l’islam, un concept appelé « l’excellence ».

La soumission

Soumission veut dire accepter comme vérité absolue qu’il n’y a pas de Dieu autre que Dieu et que Mahomet est son messager, [son « prophète »]. Cela signifie également connaître et suivre les lois de Dieu, la Charia. « Charia » est le mot arabe pour dire la manière éthique de mener sa vie. Particulièrement central pour suivre la volonté de Dieu est le fait de mener une vie éthique telle qu’elle est définie par la Charia. Cela veut dire prier cinq fois par jour, ce qui constitue une force incroyablement puissante pour unifier une société.

Dans les sociétés islamiques très strictes, tout s’arrête cinq fois par jour. Au village des Pruniers de Thich Nhat Hahn, il y a la cloche de la pleine conscience qui sonne régulièrement pour qu’on se souvienne de devenir conscient de ce que l’on fait. On peut comprendre cela à beaucoup de niveaux, mais ici il ne s’agit pas d’un simple petit village isolé mais d’une société tout entière qui s’arrête cinq fois par jour pour se souvenir de suivre la volonté de Dieu et de mener une vie éthique.

J’ai une voyagé en Afrique et dans le monde islamique pour le compte du Dalaï-Lama afin d’en savoir plus sur ce que nous pouvons apprendre d’eux. À Zanzibar, une des choses intéressantes, c’était qu’ils se servaient de cette stricte discipline islamique pour aider les drogués à surmonter leur addiction. Plutôt que de mener la vie d’un drogué, si une personne a un emploi du temps très strict à respecter, programme qui possède une base éthique, cela l’aide grandement à donner une structure à sa vie. Quand on est dépendant de la drogue, on perd toute structure dans la vie. Cela donne beaucoup à réfléchir car on trouve le même problème au Tibet. Si on donne aux drogués quelque chose à accomplir, ce qu’on appelle ngondro en tibétain, incluant des prosternations, etc., si on leur donne une routine stricte, cela peut s’avérer très utile.

Ainsi donc, suivre la volonté de Dieu et vivre une vie éthique signifie :

  • Prier cinq fois par jour.
  • S’acquitter d’un impôt pour les pauvres, chose que tous les musulmans font pour le bien-être général de la société.
  • Jeûner pendant le [mois de] Ramadan ; cela est également vu comme une forme de djihad, de bataille intérieure pour surmonter l’attachement à la nourriture, à la boisson, etc. On adopte cette discipline pendant cette période en ne suivant pas son attachement à la nourriture, aux distractions, etc., mais en menant une vie très vigilante durant le mois consacré à  Dieu.
  • Il y a aussi un pèlerinage consistant à se rendre dans les lieux saints de l’Islam et à rejouer certains des événements de la vie de Mahomet. Bien entendu, cela remet à l’esprit les enseignements qu’il a révélés dans le Coran.

La foi et l’excellence

La deuxième dimension, la foi, veut dire accepter les vérités fondamentales de l’islam et l’infaillibilité du Coran, la parole de Dieu.

La troisième, l’excellence, est extrêmement pertinente dans notre discussion sur l’amour. On la traduit ordinairement par « amour », et elle signifie tant l’excellence dans le caractère que dans les actes au service de Dieu. Dieu a créé l’humanité avec cette excellence, d’excellentes qualités de caractère ainsi que l’aptitude à servir Dieu. Dieu possède un sentiment de proximité et d’amour envers l’excellence qu’il a créée dans l’humanité. Ces excellentes qualités incluent l’amour et la capacité à prendre soin des autres. Les actions au service de Dieu signifient agir avec amour envers tout ce que Dieu a créé. Faire cela équivaut à une forme d’adoration de Dieu.

C’est une approche et une conception très intéressantes de l’amour. En aimant les créations de Dieu, c’est une manière de servir Dieu et de réaliser pleinement l’excellence que Dieu a placée en chacun de nous en servant ses créations. Un des mots arabes pour amour évoque le sentiment de proximité avec l’excellence, tandis qu’un autre mot évoque un sentiment de proximité qui s’exprime par la conduite et les actions envers les autres. On en apprend beaucoup en s’appuyant sur le sens des mots et en se fondant uniquement sur le Coran lui-même. On regarde les mots utilisés pour amour, et ils ont ces connotations : des sentiments de proximité avec l’excellence et de proximité exprimée par la conduite et les actions envers les autres.

Agir avec amour envers les autres est un acte de libre arbitre. Les gens peuvent se servir de leur intellect pour faire un choix dans ce sens. Ils suivent leur prédisposition intérieure pour suivre leur proximité avec Dieu. C’est très intéressant. Dieu nous crée, il dispose cette sorte d’aimant en nous pour nous attirer auprès de notre créateur, il crée aussi le libre arbitre pour choisir, et il y a également toutes les tentations, ce genre de choses. Le moyen par lequel on devient proche de Dieu pour accomplir cette nature innée se fait par l’amour, le service et l’aide envers les autres. Cela peut se faire en s’acquittant d’un impôt pour les pauvres ou par d’autres moyens d’assistance sociale au sein de la société musulmane. Ce qui est également très intéressant ici, c’est que chaque membre de l’humanité est une création de Dieu à part égale. Il y a un sentiment d’égalité pour tous. Tout le monde possède un esprit et un cœur marqués du sceau de cette prédisposition innée qui peut attirer chacun vers Dieu. 

Dieu comme Juge, comme Celui qui châtie, et comme le Miséricordieux qui pardonne

Par ailleurs, allant de pair avec l’éthique dans l’islam, Dieu juge tout le monde avec une égale honnêteté et n’aime que ceux qui se soumettent à la volonté de Dieu, ce qui conduit à vivre une vie éthique en accord avec la Charia. Pour l’amour et le bien-être de la société en tant qu’un tout, Dieu punit ceux qui désobéissent, causent du tort et font le mal. C’est la raison pour laquelle, afin de servir Dieu, et en tant que signe d’amour, l’humanité se doit de faire respecter les lois de la Charia. Ainsi, les lois et la justice jouent un rôle crucial dans la société musulmane.

Dans toutes nos sociétés occidentales ainsi que dans le monde judéo-chrétien, nous avons également un code de lois issu de l’Ancien Testament. Il y a le jugement et la récompense ; la société nous aime et prend soin de nous si nous obéissons aux lois et nous punit si nous désobéissons. D’un point de vue occidental, ce n’est pas du tout un concept étranger.

Si l’on s’engage dans ce combat intérieur, ce jihad contre son propre égocentrisme, lequel nous fait nous détourner de Dieu et de l’amour de Dieu, mais qu’on se repent sincèrement, alors on gagne le pardon de Dieu. Cela joue un rôle central dans l’islam ; Dieu est le Compatissant, le Miséricordieux, celui qui pardonne toujours. Dieu pénètre le cœur de ceux qui font le mal, et qui veulent se repentir, en les aidant à se repentir, puis il leur pardonne. 

On peut considérer ce point en le comparant au bouddhisme ; le repentir implique de sentir du remords. Nous regrettons ce que nous avons fait ; et nous nous repentons en laissant tomber tous les griefs que nous pourrions avoir envers ceux qui nous ont fait du mal en nous causant du tort. Puis, par un acte vertueux de dédommagement, nous réparons en faisant quelque chose pour contrer les méfaits que nous avons commis, et nous prenons la résolution de ne jamais plus répéter la mauvaise action à nouveau. C’est tout à fait similaire à ce qui est clairement exprimé dans le Coran.

La Charia et le pardon

Les tribunaux de la Charia impliquent aussi le pardon. Il s’agit là d’un incroyable aspect de la Charia dont on n’entend guère parler. On parle juste de ce que sont les châtiments, lesquels sont plutôt sinistres, mais la victime d’un crime ou la famille de la victime ont le choix. Elles peuvent toujours choisir soit une punition stricte, soit obtenir une forme de compensation – des chèvres et des chameaux autrefois, ou une compensation monétaire, ou le pardon. Elles peuvent pardonner. Si la famille ou la victime pardonnent à la personne qui a commis le crime à leur encontre, on la libère.

Cette pratique du pardon dans le cadre légal est également un excellent acte méritoire rendu à Dieu. Ce n’est pas rien et c’est intéressant du point de vue de l’imposition de la loi de la Charia. Parfois les gens deviennent très confus à l’Ouest. Pourquoi, quand il existe une forme aussi stricte de loi, et que cet aspect du pardon est ordinairement inconnu, pourquoi une société voudrait-elle cela ? La chose dont on doit tenir compte dans des endroits comme la Somalie, où la société est contrôlée par des chefs de guerre et où règne le chaos – ce qui la rend horriblement dangereuse – c’est que les gens veulent un certain sens de l’ordre. Ce qui ressort de leur culture, c’est la Charia. S’ils ont cela, alors les gens peuvent se sentir en sécurité. Ils savent qu’on tranchera la main d’un voleur. Cela décourage vraiment le vol bien plus que d’être simplement jeté en prison. C’est cette promesse d’un certain ordre qui est très attrayante.

D’autre part, quand on voyage en Afrique, on voit que la religion qui progrsse le plus est l’islam. On pourrait se demander pourquoi ? La raison que les gens invoquent, c’est qu’il y a [dans l’islam] un sentiment d’égalité, une fraternité, où tout le monde est égal. Quand ils pensent à l’Ouest, ils pensent au pouvoir colonial dans lequel il n’y avait absolument aucun sens de l’égalité entre les Blancs colonialistes et les Africains. Dans de nombreux pays d’Afrique, ce sentiment d’égalité constitue un grand attrait et le charme de l’islam.

Dans l’islam, quand les gens développent de l’amour pour l’univers et l’humanité de la façon la plus pure, leur amour n’est pas pour l’univers ou pour l’humanité en et pour elle-même. Dans l’islam, il s’agit de l’amour de Dieu et de l’excellence que Dieu a créée. Telle est la pensée philosophique qui se tient derrière l’amour. Développer l’amour de cette façon, en s’appuyant sur l’égalité de tous, permet un développement très vaste de l’amour. Ce n’est pas comme si on aimait une personne et pas l’autre. Aussi longtemps que les gens s’efforcent vers le bien et vers cette sorte d’excellence, alors l’amour qu’on ressent s’adresse à tout le monde. Dieu a créé cette qualité excellente et cette bonté en chacun de nous, et cela permet aux gens d’aimer tout le monde. Si les gens agissent de façon violente sous le coup de la colère et de la convoitise, on les encourage tout d’abord à se repentir et à revenir à un mode de vie éthique. Telle est la base philosophique qui sous-tend l’amour dans l’islam.

Les principes fondamentaux du bouddhisme

Quand on se tourne vers le bouddhisme, on trouve une conceptualisation assez différente de la manière de développer l’amour, mais, plus intéressant à faire, est de constater combien de points communs il y a entre les deux religions.

Qualité innée de la nature-de-bouddha sans commencement ni Dieu créateur

Dans le bouddhisme, tous les êtres possèdent la pure nature-de-bouddha sans commencement. Cela leur permet de devenir eux-mêmes des bouddhas. Dans l’islam, la pure nature innée permet aux gens de devenir proche de Dieu, et, dans certains ordres Soufi, d’aller jusqu’à se fondre en Dieu, mais jamais de devenir Dieu eux-mêmes. Tandis que, dans le bouddhisme, cette nature innée, la nature-de-bouddha, permet à tout le monde de devenir un bouddha. Ce sont là des visions et des explications différentes d’un type de phénomène très similaire. 

Dans le bouddhisme, personne n’a créé chez les êtres cette nature-de-bouddha. Elle est simplement là, par nature, sans commencement. Dans l’islam, c’est Dieu qui a créé cela. C’est une autre façon de voir la chose car si on demande si Dieu a un commencement, Dieu est également  sans commencement. On en arrive toujours à une absence de commencement comme réponse ultime, mais, dans le bouddhisme, il n’y a pas ce genre de Dieu créateur.

Selon le bouddhisme, les gens ont également des bonnes qualités telles que la compassion ainsi qu’un intellect capable de discriminer entre ce qui est utile et ce qui est nuisible. Le bouddhisme et l’islam sont d’accord sur ce point, la science également convient qu’il s’agit là d’une partie de nos instincts innés, l’instinct de prendre soin de soi – l’instinct de survie – et de prendre soin des autres membres de l’espèce. Cela n’entre pas en contradiction. Nous avons tous la capacité de discriminer entre ce qui est utile et ce qui est nuisible.

La discipline éthique

Dans le bouddhisme, la discipline éthique se fonde sur la compréhension de savoir quelles actions apportent la souffrance et lesquelles apportent le bonheur. Le Bouddha les a enseignées ; il ne les a pas créées comme Dieu le fit dans l’islam avec les lois éthiques de cause et d’effet. Dans le bouddhisme, grâce à la conscience discriminante, on est capable d’analyser et de discerner pour soi-même ce qui est utile et ce qui est nuisible. Telle est la façon dont l’intellect est utilisé, alors que dans l’islam on conceptualise la chose différemment. On se sert de l’intellect pour décider soit d’obéir, soit de désobéir à la volonté de Dieu d’aimer toutes les créatures et de mener une vie éthique.

Dieu a créé les lois du comportement éthique, et dans l’islam Dieu rend son jugement  en récompensant ou en punissant. D’après le bouddhisme, la souffrance découle automatiquement d’une conduite destructrice, tandis que le bonheur découle automatiquement d’un comportement constructif. Si on agit sous l’influence des émotions perturbatrices et de l’ignorance alors, dû aux lois naturelles de la causalité, cela entraînera de la souffrance ; alors que dans l’islam c’est Dieu qui nous punit pour ça. Il s’agit du même type de résultat, mais expliqué différemment.

Pareillement, dans le bouddhisme, si l’on se réfrène d’agir sous l’influence de ces émotions perturbatrices, c’est considéré comme constructif. Si l’on aide les autres avec amour et compassion, cela apportera le bonheur. Du point de vue islamique, Dieu nous récompense ; on se rapproche de Dieu et de notre propre nature innée. C’est similaire, mais c’est une question de savoir comment fonctionne la causalité, la relation de cause à effet. C’est une question difficile et un point à comprendre réellement. Dans le bouddhisme, on dit simplement que c’est ainsi que les choses sont, et on croit que le Bouddha est une source valide d’information fondée sur d’autres choses que le Bouddha a dites. Dans l’islam, on accepte simplement que Dieu a créé cela, et que c’est infaillible et vrai.

La foi et le refuge dans le Bouddha

En vérité, dans le bouddhisme, la foi repose sur la logique et la raison afin de démontrer à soi-même que le Bouddha est une source valide d’information. Après tout, le Bouddha a dit de questionner et d’analyser par et pour soi-même ce qu’il a dit. Selon l’islam, on exige de chacun une foi et une soumission totale. C’est assez différent. Une fois qu’on a confiance dans le Bouddha comme source valide d’information, on prend refuge. Refuge veut dire la direction sûre que l’on donne à sa vie, laquelle nous rapproche de manière fondamentale de notre nature-de-bouddha. C’est cela qui nous protégera du mal et du fait de se sentir perdu, de s’égarer.

On peut expliquer cela d’un point de vue islamique, dans le sens où nous avons besoin d’une forme de direction dans nos vies. Toutefois, contrairement à l’islam, le refuge dans le Bouddha ne signifie pas que nous adorons Bouddha, bien que nombre de personnes puissent envisager cela sous cet angle. Si on considère cette question du point de vue des enseignements, il ne s’agit pas de foi aveugle, du genre « Bouddha, Bouddha, comme vous êtes merveilleux », pas plus qu’il ne s’agit de soumission comme cela existe dans l’islam.

Si on creuse plus profondément, cela devient très intéressant car que veut dire vraiment se soumettre à Dieu ? Cela signifie dépasser son propre égocentrisme ou volonté propre, en pensant que nous savons tout, que nous savons ce qui est le mieux. Que dit-on dans le bouddhisme ?

On dit qu’on doit surmonter ce grand délire égotiste comme quoi nous sommes le centre de l’univers, la créature la plus importante, ce genre de chose.

De nouveau, il s’agit simplement d’une saveur différente de ce que nous devons faire. Nous devons capituler, dans un sens, cesser de nous accrocher à ce concept solide d’un soi [indépendant]. Dans le bouddhisme, il y a un soi, bien entendu, mais pas ce truc solide qui doit toujours n’en faire qu’à sa tête, toujours avoir raison, toujours être le premier, toujours accaparer l’attention de tout le monde, et tout le reste à l’avenant. Cela nous met dans tellement de tourments et de difficultés dans nos vies. Nous devons y renoncer et l’abandonner. Ce sont des saveurs et des conceptualisations philosophiques différentes, mais les résultats sont très semblables.

Refuge dans le Dharma et fondement de la discipline éthique

Le mot « Dharma » signifie « mesure préventive », quelque chose qui nous retient de souffrir. Ce Dharma nous est indiqué par les enseignements du Bouddha. Les enseignements sont une chose qu’on analyse afin de découvrir la vérité en eux. Il ne s’agit pas d’une foi inconditionnelle comme dans le Coran et la Charia. Le Dharma n’est pas un livre sacré ou un système de lois, un système juridique. Il est intéressant que les Chinois aient traduit le mot « Dharma » par le mot chinois « loi », et qu’ils aient regardé le bouddhisme à travers ce qu’on peut appeler des lunettes chinoises et l’aient compris du point de vue de la culture confucéenne.

En tout cas, la loi ne joue pas un rôle central dans le bouddhisme indien ou tibétain comme elle le fait à l’Ouest dans nos traditions islamo-judéo-chrétiennes. Il n’existe pas vraiment de lois à suivre ou l’idée que si on obéit à la loi, alors on est une bonne personne. Or, on a cela à l’Ouest. Cela vient non seulement de l’arrière-plan biblique mais également de la société de la Grèce ancienne. Si on suit les lois, on est un bon citoyen. Soit les lois ont été édictées par Dieu, soit par un législateur, mais néanmoins ce rôle des lois de l’éthique est très central et repose sur l’obéissance.

Par contraste, dans le bouddhisme, l’éthique n’est pas fondée sur l’obéissance. Elle s’appuie sur l’usage du pur discernement pour comprendre que si on agit de manière destructrice, cela aura pour conséquence des problèmes – tant pour la société que pour nous-mêmes. Prenons  l’exemple de tuer des insectes : quand on analyse la chose, si, quand quelque chose bourdonne autour de nous, notre premier instinct est de l’écraser et de tuer, alors nous devons réfléchir à ce premier mouvement. C’est comme un chien ; si on le frappe, il grognera ou aboiera. Sommes-nous pareils à un chien ? Face à ce que nous n’aimons pas, quelle que soit la chose, est-ce que notre premier instinct est de frapper, de faire mal et de tuer ? On peut donc voir qu’au-delà du fait d’être destructeur, de causer du malheur et des problèmes, il existe une certaine sagesse. Frapper immédiatement toute chose considérée comme étrangère, cela ne favorise certainement pas la production d’un esprit très calme et paisible.

Pensons simplement à notre attitude, à quel point de contrariété absolue nous parvenons, si nous essayons d’aller dormir et qu’il y a un moustique qui bourdonne autour de nous ; la plupart des gens veulent juste le chasser et l’attraper. C’est ce genre de chose que l’on discerne. Ce n’est pas parce que c’est contraire à la loi de tuer un moustique et que, si nous ne le tuons pas, nous sommes un bon citoyen, ou un bon musulman, ou un bon chrétien.

Il s’agit d’un concept différent, et cette approche de l’éthique nous donne beaucoup à réfléchir. Qu’est-ce qui se tient derrière notre comportement éthique ? De nouveau, juste en aparté, quand j’enseignai l’éthique bouddhique à Berlin où je vis, j’ai demandé à mes étudiants pourquoi ils ne volaient pas. Certains ont répondu que c’était par peur de renaissances pires, ce genre de chose. J’ai demandé si c’était là vraiment la motivation. Personne n’y croyait réellement. Mettant cela de côté, j’ai redemandé : « Pourquoi ne volez-vous pas ? » La réponse qui vint fut que cela n’était pas bien. Telle est la raison.

C’est exactement ce que dit le bouddhisme, à savoir que derrière le comportement éthique il y a un sens de dignité et d’estime de soi, le fait que nous ayons assez de respect pour nous-mêmes pour ne pas agir de cette façon. Cela se reflète sur nous, sur notre famille, sur nos valeurs, sur tout. C’est ce que le bouddhisme dit être le fondement d’un comportement éthique. Avec ce sous-bassement, grâce à la capacité de notre merveilleux intellect humain, nous discernons et choisissons entre ce qui est utile et ce qui serait nuisible. Nous ne voulons pas faire ce qui est nuisible car nous avons trop de respect pour nous-mêmes pour agir de cette façon. Tel est le merveilleux chemin proposé par le bouddhisme. Il ne s’agit pas d’une question d’obéissance. En fin de compte, bien sûr, nous avons un comportement éthique, mais comment nous en approchons-nous, là est la question. On a donc le refuge dans le Bouddha, le refuge dans le Dharma, et ensuite le refuge dans le Sangha.

Le refuge dans le Sangha comparé à la fraternité islamique

Le Sangha est la communauté de celles et ceux qui sont sur le chemin, ainsi que de celles et ceux qui sont des êtres hautement réalisés. Ce n’est pas seulement son identification conventionnelle avec la communauté monastique. Y a-t-il un équivalent dans l’islam ? Peut-être que la fraternité entre tous les musulmans agit en tant que communauté de soutien. La fonction principale du Sangha est de nous fournir des encouragements dans le sens où il y a d’autres personnes en chemin pour devenir bouddha. Il est très difficile de se relier à un bouddha avec toutes les qualités que possède un bouddha, or voici qu’il y a des gens qui s’efforcent dans cette direction et qui ont fait certains progrès, aussi nous ne sommes pas seuls. Cela nous offre un certain soutien en tant que communauté.

Dans l’islam, il existe une fraternité, une sororité de tous les musulmans. Peu importe que vous soyez riche ou pauvre, tout le monde s’habille pareil quand on effectue le pèlerinage [à la Mecque] par exemple. Il y a ce sens de l’égalité. Dans le bouddhisme, ce qui est intéressant, c’est qu’on ne porte pas de jugement moral sur celles et ceux qui ne sont pas sur le chemin ; d’où l’absence de nécessité de leur pardonner ou d’essayer de les convertir. Dans l’islam, c’est un peu différent.

Similarités entre nature-de-bouddha obscurcie et voiles recouvrant le cœur

Le bouddhisme soutient qu’en dépit de notre pure nature-de-bouddha l’esprit est obscurci par l’inconscience ou ignorance de la véritable nature de la réalité. Nous avons ces obscurcissements, et la nature-de-bouddha est obscurcie par les nuages de l’ignorance. Cela paraît très semblable à ce qu’affirme également l’islam. Il parle des émotions perturbatrices et dit que le cœur est voilé, et il décrit les voiles qui recouvrent le cœur. Dans le soufisme, une subdivision de l’islam, on parle d’ôter ces voiles. Il s’agit du même type de métaphore. Cette ignorance conduit à l’égocentrisme, aux émotions perturbatrices négatives et au comportement destructeur.

Dans le bouddhisme, on peut ôter ces obscurcissements et enlever les voiles qui recouvrent notre véritable nature en comprenant la réalité et en développant l’amour, la compassion et la bodhichitta. La bodhichitta est cet esprit qui se concentre sur notre propre illumination individuelle, laquelle ne s’est pas encore produite mais peut advenir sur la base de la nature-de-bouddha. Ce n’est pas si différent que le fait de se focaliser sur Dieu. Dieu et Bouddha sont, bien sûr, assez différents, mais cette idée de se concentrer sur l’objectif de sa pure nature innée qu’on cherche à approcher et à réaliser, cette idée agit comme une force d’attraction très puissante tant chez les bouddhistes que chez les musulmans.

Le développement de l’amour dans le bouddhisme comparé à l’islam

Définition de l’amour

L’amour dans le bouddhisme est défini comme le souhait que les autres possèdent le bonheur et les causes du bonheur. Il se fonde sur la compréhension de l’égalité de tous les êtres les uns avec les autres et avec nous-mêmes, et dans le fait que tout le monde veut être heureux. Personne ne veut être malheureux. Tel est le but de la vie, la poursuite du bonheur. Les plantes poussent et cherchent la lumière du soleil dans leur poursuite du bonheur ; nous pourrions aller loin dans nos descriptions poétiques de ce qu’est, dans la vie, la poursuite du bonheur en général.

Le développement de l’amour

Dans le bouddhisme, le souhait que les autres soient heureux se fonde sur la compréhension que tous les êtres ont la capacité d’être heureux car tous nous avons la nature-de-bouddha. Plus encore, nous possédons tous le même droit à être heureux. À nouveau, nous avons quelque chose de similaire dans l’islam. Cela repose aussi sur l’interdépendance de chacun et la reconnaissance et l’appréciation de la bonté que nous avons reçue de tous les autres. Dans l’islam, l’accent n’est pas tant sur la bonté que nous avons reçue des autres que sur celle que nous avons reçue de Dieu, qui nous a tous créés. C’est considérer l’égalité de tous sous un angle légèrement différent.

Dans le bouddhisme, on développe l’amour au moyen de la considération du bonheur des autres. Nous travaillons à toujours nous améliorer en vue d’être en mesure de les aider en atteignant l’illumination. Aimer et servir les autres n’est pas un acte d’adoration du Bouddha, alors que dans l’islam aimer et servir les autres est un acte d’adoration de Dieu. Toutefois, en agissant ainsi, on aide les autres et le résultat est le même.

En aimant les autres, nous accumulons la force positive pour devenir nous-mêmes un bouddha. Dans ce sens, nous nous rapprochons de la bouddhéité, mais pas à la manière de l’islam, laquelle consisterait à se rapprocher du Bouddha lui-même. Il y a une grande différence entre l’objectif de la bouddhéité et le fait de devenir nous-mêmes des bouddhas, et le fait de s’approcher au plus près du Bouddha. Dans le bouddhisme, on ne se concentre pas sur le Bouddha en tant que l’individu qu’il était. Le Bouddha est très important en tant que maître et non en tant qu’un créateur qu’on adore.

Causalité naturelle comparée au châtiment de Dieu

Pour aimer les autres, nous devons dépasser le fait de se chérir. C’est la même chose dans l’islam avec le jihad, le combat intérieur contre l’égocentrisme et la désobéissance à la volonté de Dieu. Toutefois, dans le bouddhisme, il n’est pas requis de demander au Bouddha de nous pardonner  nos péchés ou nos mauvaises actions, ou d’avoir agi par ignorance. Quand nous voyons les autres agir de façon négative et destructrice, ce n’est pas parce qu’ils sont mauvais ou désobéissants. C’est parce qu’ils se sont rendus confus par ignorance et qu’ils ne comprennent pas vraiment ce qu’ils font ni les conséquences de leurs actes. On se sert de ce point de vue comme base pour la compassion. Ce n’est pas que nous leur pardonnions, en un sens, mais que nous les comprenons et, par ce genre de moyen, que nous développons amour et compassion à leur égard.

Donc, quand la souffrance découle d’actes destructeurs, il ne s’agit pas d’un châtiment mais d’une conséquence naturelle des lois de cause et d’effet. Nous ne prenons pas sur nous de décréter les lois de Dieu en punissant les autres. Au Tibet et en Inde, même dans ces sociétés bouddhistes, il existait assurément un système de lois ; toutefois, ce dernier ne repose pas sur des lois sacrées créées par Dieu ni sur le fait que nous exécutons sur terre le travail de Dieu en renforçant la volonté de Dieu. C’est tout à fait différent.

Parallèles entre le bouddhisme et l’islam à propos du repentir

Pareillement à ce qu’on trouve dans l’islam, il existe dans le bouddhisme une repentance, et il est assez intéressant de voir quels sont les parallèles :

  • Dans les deux traditions, on doit reconnaître nos fautes, celles commises par ignorance dans le bouddhisme et non par désobéissance comme dans l’islam.
  • Nous éprouvons du regret, comme dans l’islam.
  • Nous prenons la résolution de ne pas répéter nos mauvaises actions, comme dans l’islam.
  • Nous réaffirmons la direction positive que nous avons prise dans la vie. Ce n’est pas tout à fait la même chose que de demander pardon à Dieu, mais cela réaffirme quelque chose de positif. En demandant le pardon de Dieu, nous nous tournons à nouveau dans cette direction positive.
  • Enfin, nous contrecarrons les fautes par des actions positives. C’est pareil dans l’islam.

Clairement, dans le bouddhisme, il y a beaucoup de choses similaires à l’islam et beaucoup de choses différentes. Au bout du compte, les deux traditions enseignent l’amour, la compassion, la patience, le pardon, etc. Quand on peut reconnaître et appréciez ces points communs partagés par ces deux grandes religions du monde, alors en dépit des différences philosophiques, nous avons une base pour le dialogue, l’harmonie religieuse et l’apprentissage mutuel.

Questions et réponses

L’apprentissage mutuel

Je pense avoir un souvenir du Dalaï-Lama parlant du dialogue avec d’autres croyances où il recommandait souvent de ne pas essayer de convertir les autres, mais de les inspirer au sein de leur propre foi. Il vaut mieux faire usage de sagesse, en sorte qu’ils envisagent leur propre foi d’une autre manière. Comment abordez-vous le dialogue ?

Comme je l’ai dit, et comme le dit également le Dalaï-Lama, il y a beaucoup de choses que les religions peuvent apprendre les unes des autres. Par exemple, le bouddhisme est très riche en méthodes pour développer la concentration, l’amour et la compassion, etc. Ainsi, les ordres contemplatifs trouvent qu’ils peuvent apprendre beaucoup du bouddhisme. On voit, en particulier dans les monastères catholiques, que les gens viennent apprendre la méditation afin de pouvoir s’en servir dans leur propre religion.

Le Dalaï-Lama dit toujours, spécialement à propos du christianisme, que les bouddhistes tibétains, en particulier, peuvent apprendre le service social pratiqué par les communautés monastiques. C’est une chose qui, pour diverses raisons géographiques, ne s’est jamais beaucoup développée au Tibet dans le sens où des religieux feraient l’école, s’occuperaient d’orphelinats, d’hospices pour les personnes âgées, d’hôpitaux, etc. On voit que ce sont là des leçons qu’on peut définitivement apprendre et tirer des activités de Mère Theresa.

Voilà le genre d’échange. Comme je l’ai dit, j’ai rapporté le phénomène dont j’ai été témoin à Zanzibar, de l’islam utilisant un type de pratique spirituelle très programmé pour aider les personnes droguées à se rétablir. C’est une chose très utile. De cette façon, il s’établit un échange très fécond entre les religions, sans tentative de se convertir les unes les autres.

Ce qui intéresse particulièrement le Dalaï-Lama, c’est d’avoir des entretiens privés avec les contemplatifs vraiment sérieux de chacune des religions pour rassembler et comparer des notes de leur expérience. Ce serait vraiment merveilleux si cela pouvait se faire.

Les valeurs universelles

Il semblerait, dans cette comparaison détaillée avec l’islam, que vous disiez que sans doute ne devrait-on pas être satisfait de nous-mêmes au point de penser que le bouddhisme est le meilleur. Bien que cette façon de voir paraisse très positive, toute forme de croyance à tendance à être satisfaite d’elle-même. Ouvrir les portes à l’islam est une manière d’ouvrir les portes sur d’autres choses.

Oui, je suis complètement d’accord. Le Dalaï-Lama dit qu’il n’y a pas de religion qui soit meilleure pour tous, de même qu’il n’y a pas de meilleure nourriture pour tous, mais on peut décider ce qui est le mieux pour soi, quel est le bon chemin. On ne peut pas l’imposer aux autres. On trouve ces valeurs universelles fondamentales dans toutes les religions et elles sont valables pour tous, même pour ceux qui ne suivent aucune religion. C’est ça qui est important. Ce par quoi Sa Sainteté se sent particulièrement concernée, c’est de quelle manière inculquer ces valeurs universelles fondamentales de l’amour, de la compassion, de la patience, du pardon, c’est comment promouvoir ce dialogue et comment introduire ces valeurs universelles dans le système éducatif. La manière de mettre véritablement en œuvre cela dans le monde est de commencer par enseigner ces valeurs fondamentales aux jeunes enfants dans les écoles. Cela peut se faire simplement, par exemple : si on commence à se mettre en colère ou à se sentir frustré, en comptant jusqu’à dix ou en se focalisant sur trois de nos respirations, ou encore en parlant plutôt qu’en se battant.

Certains éducateurs en Inde et en Amérique développent des cursus pour introduire graduellement cela dans les systèmes éducatifs, de manière respectueuse, comme le dit Sa Sainteté, et séculière, ce qui veut dire en étant respectueux de toutes les religions, sans faire de distinction de l’une par rapport à une autre. 

Le concept d’illumination existe-t-il dans l’islam ?

Dans l’islam, quand vous avez parlé de la compréhension ou de la pratique qui consiste à essayer de se rapprocher de Dieu ou de se fondre en lui, existe-t-il une compréhension de l’illumination, et si c’est le cas, comment l’entend-on ?

Se rapprocher de Dieu est une pratique qu’on trouve dans l’islam de façon générale, tandis que se fondre en Dieu est une croyance qu’on trouve seulement dans certains ordres du soufisme, un sous-groupe au sein de l’islam. L’illumination dépend de la manière dont on la définit. Si on la définit de façon spécifiquement bouddhique, on peut dire alors que les autres [ceux qui se disent bouddhistes] tendent vraiment vers cet objectif. Un de mes maîtres exprime cela très élégamment en disant : si nous prions pour aller dans un paradis chrétien, nous n’atterrirons pas dans un paradis bouddhique, et si nous prions pour aller dans un paradis bouddhique, nous n’atterrirons pas dans un paradis chrétien.

Dans chaque religion, il y a un but qu’on essaie de réaliser : être le meilleur type de personne, la plus éthique, la plus aimante, et plus encore. Cependant, on ne peut pas dire qu’en suivant un tel chemin, nous atteindrions les objectifs particuliers définis spécifiquement par une autre religion.

Est-ce que cela signifie que c’est dans leur concept de paradis que réside l’illumination ?

Tandis qu’on est vivant, il y a le fait d’être la meilleure sorte de personne, vient ensuite une période presque semblable au bardo, un « entre-deux », avant le jugement dernier au cours duquel on a un pressentiment de ce qui va arriver, puis il y a le jugement dernier, et alors oui, il y a le paradis. Dans l’islam, il s’agit là du genre d’objectif le plus élevé.

Quand on examine la littérature bouddhique du Kalachakra, il y est fait mention de l’islam, car il existait déjà une interaction à cette époque. Dans toute la littérature du Kalachakra, deux choses seulement sont mentionnées au sujet des temps réputés comme étranges. Une de ces choses est que le ciel et l’enfer sont éternels, et que le concept d’impermanence n’existe pas. Du point de vue bouddhique, une renaissance dans un ciel [paradis] dure pendant une période de temps prodigieuse, mais ensuite elle se terminera et la vie dans un autre état de renaissance s’ensuivra. L’autre chose, dont il est fait mention, que les textes du Kalachakra trouvent étrange, est que les musulmans pensent que la manière halal d’abattre les animaux pour avoir de la viande est une forme de sacrifice fait à Dieu. Car, du fait qu’en égorgeant les animaux, ils disent « Bismillah, au nom d’Allah », les bouddhistes interprétent cela comme un sacrifice sanglant fait à Allah, et ils pensent que ce n’est pas correct. De toute évidence, il s’agit là d’une incompréhension des règles diététiques au sein de l’islam. À part cela, ils n’émettent aucune autre objection. On ne dit rien à propos d’un créateur, rien. En vérité, cela dit beaucoup.

Est-ce que tout le monde peut atteindre l’illumination ?

Il y a juste tellement de textes qui disent des choses différentes comme ce soutra qui mentionne le fait qu’il existe des gens qui ne possèdent pas la nature-de-bouddha. Il y a beaucoup de choses qui changent, mais si quelqu’un n’a pas la nature-de-bouddha, alors cette personne ne peut pas changer. Il y a eu une époque où on avait ce genre de concepts conflictuels.

La façon dont je l’ai entendu expliquer n’est pas qu’ils n’ont pas la nature-de-bouddha. Tout d’abord, nous devons examiner ce qu’est la nature-de-bouddha. Il s’agit des facteurs qui permettront à quelqu’un de devenir un bouddha, facteurs qui se transforment en les diverses qualités d’un bouddha. Il s’agit du réseau de forces positives, parfois traduit par « collection de mérites », et du réseau de conscience profonde, parfois appelé « collection de sagesse ». Tout le monde possède cette force positive en agissant d’une manière positive fondée sur la compassion et sur la manière dont l’esprit fonctionne, grâce à la compréhension, etc.

En opposition à ce réseau de force positive, on a ce qu’on pourrait appeler « un réseau de potentiel négatif » issu d’actions négatives. Nous pouvons nous débarrasser de tout le potentiel négatif, mais toute la question est de savoir si oui ou non nous pouvons nous débarrasser en quelque sorte de tout le potentiel positif de telle façon que nous serions incapables d’atteindre la bouddhéité. Telle est la question. Le débat porte sur la question de savoir si oui ou non on peut perdre une grande part de ce potentiel positif, ou s’il y a toujours quelque chose qui demeure à ce niveau. C’est autour de cette question que se situe tout le débat.

Il y a un autre débat à ce propos : si nous atteignons la libération en tant qu’arhat, est-ce une voie sans issue, ou pouvons-nous aller de l’avant pour devenir un bouddha ? Quand on dit qu’on ne peut pas devenir un bouddha, c’est quand on considère que devenir un arhat est une impasse.

Il est important d’examiner un nombre toujours plus grand de commentaires et d’explications sur ce que cela veut dire vraiment. Comme ce serait ennuyeux de se dire que certains sont condamnés pour toujours à être libérés sans pouvoir devenir des bouddhas, comme s’il s’agissait  de pauvres arhats au paradis, et qu’on se sentirait désolés pour eux. Mais le Bouddha a vu très clairement que les gens sont différents. Quand on regarde la vie du Bouddha, il allait avec son groupe de moines chez les gens. Il était invité à déjeuner et les gens lui servaient un bon repas ainsi qu’à son groupe de moines, puis on lui demandait d’enseigner quelque chose après avoir déjeuné. Alors, le Bouddha enseignait et, en fonction de la mentalité des gens qui l’avaient invité, il enseignait en conséquence de telle sorte qu’ils soient en mesure de comprendre.

De cette façon, si on regarde les noms des soutras, un grand nombre portent le nom de la personne pour qui le soutra fut enseigné comme faisant partie du nom du soutra. Tout le monde n’était pas au même niveau, avec les mêmes antécédents et la même compréhension. C’est pourquoi il y eut de nombreuses formes d’explications ; ce qui démontre une grande sagesse.

Peu de gens se détournent du bouddhisme pour l’islam

Il semble qu’un grand nombre de gens venant du christianisme ou du judaïsme se tournent vers le bouddhisme, mais peu en provenance de l’islam. Avez-vous une opinion à ce sujet ?

Tout d’abord, dans nombre de sociétés islamiques, si une personne abandonne l’islam, c’est la pire des choses possibles. Dans certaines sociétés, une personne peut être sévèrement punie pour ça. Le Dalaï-Lama a souligné l’importance d’une information correcte, et m’a encouragé à aider à répandre le message de l’harmonie inter-religieuse. Je me suis surtout concentré sur l’harmonie entre bouddhistes et musulmans, et j’ai donné des conférences dans plusieurs endroits différents du monde islamique. Une fois, j’ai fait une conférence sur le bouddhisme au Caire, en Égypte, et environ trois cents étudiants sont venus de leur plein gré pour y assister. Ils ont dit qu’ils étaient affamés d’information et qu’ils voulaient apprendre quelque chose.

Sa Sainteté m’a fortement encouragé à rendre disponibles quelques enseignements bouddhiques de base dans les principales langues islamiques. Jusqu’à présent, nous l’avons fait dans six d’entre elles, et de nombreuses personnes les lisent. Nous analysons les différentes langues sur notre site Internet pour voir quels sont les articles les plus populaires. En arabe, par exemple, c’est « Comment gérer la colère ». C’est une chose pour laquelle on n’a pas besoin d’être bouddhiste pour en bénéficier. Le bouddhisme possède de nombreuses méthodes utiles pour surmonter la colère et sur la manière de gérer la peur, ce genre de choses. En Iran, en Perse, l’article le plus populaire concerne la façon de méditer. Ils sont très intéressés par ce sujet. En Indonésie, où l’on trouve une vaste population de bouddhistes chinois ainsi qu’une population musulmane, ils sont très intéressés par les articles concernant l’interaction entre les deux religions.

Il y a clairement un intérêt. Par ailleurs, ce qu’on trouve au Pakistan, c’est qu’il y a un grand nombre de jeunes qui sont plus que rassasiés par toute la violence et la terreur, et pensent que cela suffit comme ça. Ils sont à la recherche de quelque chose qui leur donne une forme de paix de l’esprit. Aussi longtemps qu’on présente les méthodes bouddhiques d’une façon qui n’essaie pas de convertir quelqu’un, c’est acceptable. Personne n’a à abandonner l’islam ou le christianisme, mais le bouddhisme a beaucoup à offrir au monde et c’est ce que nous essayons de faire. C’est ce que le Dalaï-Lama essaie de faire en faisant la promotion des valeurs universelles utiles à tout un chacun.

Aussi longtemps qu’on ne réduit pas le bouddhisme à ces seules valeurs universelles, ce qui serait déloyal envers le bouddhisme, ça va. La sagesse du Bouddha, la sagesse du Tibet, est une part de l’héritage mondial, et il est très important de la rendre aussi accessible et durable que possible. Beaucoup de gens sont impliqués dans cet effort, y compris moi-même.

Vacuité et soi conventionnel

Merci pour ces enseignements. Mes collègues et moi-même avons voyagé pendant huit heures simplement pour y assister. Vous avez fait mention d’un soi, et normalement on entend parler de la vacuité d’existence inhérente et de l’absence d’identité du « je », etc. Pouvez-vous expliquer la différence ?

D’un point de vue bouddhique, il y a un soi. On ne dit pas qu’il n’y a pas de soi, mais le soi est quelque chose qui dépend du corps, de l’esprit, des émotions, etc. Toutes ces choses changent tout le temps. On ne peut pas dire que le soi est juste le corps ou juste l’esprit ou juste les émotions, ou l’intellect, ou ceci, ou cela. Toutefois, sur cette base, nous pouvons dire qu’il y a un « moi ». Toutes ces différentes choses sur lequel ce « moi » est fondé changent tout le temps. Notre état émotionnel change, notre corps croît sans arrêt. Si nous examinons le corps, chaque cellule dans le corps est différente. Tout change ; il ne reste pas une seule cellule de quand nous étions un bébé. Il y a un soi, mais il change de moment en moment en moment en dépendance du corps et de l’esprit. Mais il n’existe pas une chose telle qu’un soi indépendant du corps, de l’esprit, des émotions, etc., et qui ne change pas d’instant en instant tout comme le corps, l’esprit, etc., changent d’instant en instant.

Est-ce que cela veut dire qu’il n’y a pas de permanence ?

Il n’y a ni commencement ni fin, donc dans ce sens chaque soi individuel est éternel, mais ce n’est pas quelque chose qui ne change pas. Le problème vient de ce que le mot « rtag-pa » en tibétain, qu’on traduit par « permanent », a deux significations. L’un des sens est « pour toujours, à jamais », et là le bouddhisme acquiesce. Il n’y a ni commencement ni fin, même en tant que bouddha. L’autre sens est « qui ne change pas », mais le soi change de moment en moment. Bien que le « nous » en tant que bébé et le « nous » en tant qu’adulte soit toujours « nous », nous ne pouvons pas dire que le « nous » en tant qu’adulte soit exactement identique à celui du bébé. Nous avons changé. Dans ce sens, le soi change de moment en moment, mais il est éternel car il dure pour toujours. Là est la confusion, car le mot tibétain tiré du sanscrit a deux sens. 

Influence hindoue ou bouddhique sur le soufisme

Vous avez fait mention du soufisme. Je parierais qu’on y trouve plus de parallèles avec le bouddhisme. Le soufisme a une relation et une connexion difficiles avec le courant principal de l’islam, bien qu’il soit proche de lui. Certaines personnes [chez les soufis] ont le concept de renaissance. Pensez-vous qu’il y a une sorte de connexion historique, car j’ai un maître soufi du nord-est de la Perse, en Asie centrale ? L’islam était assez puissant quand il est arrivé dans cette région. Dans vos recherches, avez-vous trouvé une quelconque connexion historique ?

Il semble qu’il y ait une influence un peu plus claire de l’hindouisme sur le soufisme, en particulier dans les régions afghane, pakistanaise, indienne et du Cachemire. Il y a eu une influence dans le domaine du yoga, des choses de ce genre. Il existe des récitations chantées, des répétitions de formules et de noms et on peut dire que c’est comme la récitation de mantras, que l’on trouve également dans l’hindouisme. La question est de savoir d’où vient l’influence, est-ce de l’hindouisme ou du bouddhisme ? L’évidence des faits pencherait plutôt en faveur de l’hindouisme. Toutefois, il y a certaines choses qui rappellent le bouddhisme, mais ce serait plutôt en matière de tombes des maîtres soufis. Certains disent qu’il s’agit d’un type de stoupa. Les méthodes de méditation, elles, semblent dériver plus de l’hindouisme.

Il y a plusieurs choses dans le soufisme qui sont très intéressantes. Quand on parle de l’amour, les soufis se servent encore d’un autre mot qu’on ne trouve pas dans le Coran, mais qui a plus une connotation de « beauté ». Il y a chez eux une aspiration naturelle et un profond désir de retourner se fondre en Dieu et dans sa beauté. Cet amour de la beauté s’exprime par la musique. Cette dernière joue un rôle vraiment central dans le soufisme, qu’on ne retrouve pas dans le bouddhisme où l’on a des récitations psalmodiées, etc., lesquelles ne servent pas de véhicule pour se rapprocher du Bouddha.

On doit examiner les différents aspects du soufisme qui pourraient être similaires. Il y a la méditation et la récitation semblable à celle des mantras, le fait de vivre en communauté avec un maître, mais on trouve cela tout aussi bien dans l’hindouisme. C’est difficile à dire, mais l’Asie centrale a certainement joué le rôle de creuset où ces trois cultures – le bouddhisme, l’hindouisme et l’islam – ont interagi les unes avec les autres.

Comparer les processus de la mort 

Pourriez-vous dire un mot sur la manière de se préparer à mourir dans le Coran ? Est-ce qu’une personne doit regarder de la lumière ?

Je ne suis guère familier avec cette question, et je ne suis certainement pas un érudit du Coran. Je peux imaginer qu’il suffit de se souvenir de Dieu. J’ignore si ce qui se passe vraiment au moment de la mort est expliqué avec autant de détails que ceux qu’on trouve dans le bouddhisme, en particulier dans les enseignements des tantras. Je n’ai rien vu là-dessus, bien que cela ne signifie pas qu’il n’y ait rien. Je veux juste dire que je ne l’ai pas vu.

Si je demande cela c’est parce que j’ai vécu avec de nombreux étudiants à Dubaï, ville plutôt proche d’une culture islamique vraiment lourde. Je n’ai rien vu sur la question des femmes hormis le fait d’avoir une complète dévotion aux pères et de se tenir totalement prêtes à être livrées à des maris. À cette époque, et plus encore aujourd’hui, il y avait des étudiants et d’autres enseignants qui étaient réellement dévoués à ce genre de comportement, mais quand on en venait à la question de la mort, celle-ci n’était pas abordée. Cela ressemblait plutôt à : soyez réellement le meilleur possible dans la vie, et alors vous irez au paradis. Même pour y aller, c’est vraiment tout une affaire ; et comment se préparer à mourir ? J’ai été élevé dans une famille chrétienne, et il semble qu’il n’y ait aucun parallèle avec ce que le bouddhisme peut offrir en matière de préparation à la mort.

Quand on se prépare à mourir, le bouddhisme dit que les meilleures pensées à avoir sont celles du refuge, c’est-à-dire dans quelle direction nous voulons aller, et de la bodhichitta, c’est-à-dire tendre vers l’illumination, ainsi que les souhaits tels que d’être en mesure de rencontrer les enseignements, les maîtres, etc., et de pouvoir continuer sur le chemin spirituel. On meurt en pensant au Bouddha ou à notre maître spirituel. Similairement, dans l’islam, penser à Dieu comme pensée principale au moment de mourir reviendrait presque au même. On pourrait y voir un parallèle en vérité.

Dans l’islam, il existe des enseignements qui concernent tout particulièrement ce qui se passe après la mort. Il y a un registre qui tient le compte des actes positifs et des actes négatifs, et celui-ci est consulté après notre mort. Puis, nous allons dans une sorte de lieu de rétention semblable à ce qui viendra ensuite, terrible ou agréable selon, jusqu’au jour du jugement ; puis, tout le monde, sort à nouveau de la tombe, devant Dieu, et il y a alors le véritable jugement final. Ensuite, c’est  soit le ciel éternel, soit l’enfer éternel. 

Dans l’islam, on a coutume de penser ainsi. Si on est un bon musulman, on insistera beaucoup sur le fait de se repentir et de demander le pardon de Dieu pour toutes les choses négatives qu’on a faites. On fait cela aussi dans le bouddhisme. Si, par exemple, quelqu’un a violé les vœux de bodhisattva ou les vœux tantriques, etc., alors, avant de mourir, on cherchera à les renouveler afin de mourir avec des vœux rafraîchis et purifiés. Il est certain qu’on trouve cela. Il existe une idée similaire du regret et du désir d’effacer son ardoise avant de mourir. Je pense qu’on peut faire là un parallèle entre le bouddhisme et l’islam si l’on est un pratiquant sincère de la religion. Bien sûr, la plupart des gens ne le sont pas, mais si une personne l’est, c’est ce qu’elle ferait. 

On regarde ce qui vient ensuite par opposition au fait de ne pas vouloir lâcher prise de ce qu’on a. Il y a aussi, bien sûr, la question du martyre, et c’est encore une autre question.

Gestion de la colère et conflits de loyauté

Je travaille comme professeur dans une école à Oslo avec environ 60% d’élèves musulmans, pouvez-vous me dire quelque chose sur la colère, en particulier chez les garçons dans cette école ? Il y a de nombreuses guerres en cours dans le monde islamique, et beaucoup de colère en découle ici également. Ma fille est allée avec les filles à la mosquée, et il y a eu de terribles propos échangés et de mauvais comportements. Ce sont des gens qui ne vivent plus dans leurs pays d’origine, des enfants de la deuxième génération qui viennent du Pakistan, d’Afghanistan et de Syrie aussi maintenant. Que dois-je dire à ma fille ? C’est une tâche vraiment difficile ? Que pensez-vous de cette agressivité et de cette colère ?

De toute évidence, pour quiconque vient de ces parties du monde, même si on est issu de la deuxième génération, il existe une très grande frustration, quand on voit combien il y a de souffrance et de sang répandu. Cela, bien entendu, fait que les jeunes sont très bouleversés ; ils n’ont pas vraiment la capacité de gérer au mieux leurs émotions. Cela donne lieu souvent à des exhibitions de colère. L’un des problèmes psychologiques avec les minorités, qu’elles soient musulmanes ou composées d’autres migrants, est la question de la loyauté ; d’un côté, le pays d’accueil leur demande d’être loyaux à l’égard des lois du pays d’accueil, mais ils ont toujours leur propre culture et leur religion envers lesquelles ils estiment devoir être loyaux.

C’est très semblable au problème de la loyauté partagée chez les enfants dans un divorce. Il se peut qu’ils pensent qu’en étant loyaux envers la mère, ils sont déloyaux envers le père, et vice versa. La question est de savoir comment trouver l’harmonie qui leur permette d’être loyaux envers les deux. Ce qui se passe, par exemple, si on dit qu’on devrait seulement être loyal envers l’état et non envers sa culture d’origine et sa religion, alors, sans en être conscient, dû à ce besoin d’être loyal, on devient loyal envers les aspects négatifs de la culture d’origine inconsciemment. Cela se traduit en termes d’agressivité, etc.

D’un point de vue thérapeutique, il est utile de les rendre capables de reconnaître les choses positives envers lesquelles ils peuvent être loyaux dans leur contexte culturel, ce qui leur permettrait d’avoir une loyauté mixte dépourvue de conflit. Ça n’a pas besoin d’être l’une ou l’autre. C’est une question que la société a réellement besoin d’explorer. Dans certaines sociétés en Europe, on dit que les femmes ne peuvent pas porter le voile, etc. De leur point de vue, c’est horrible, et cela conduit vraiment à de la colère.

Quel est le gros problème avec le voile pour les femmes ? Si leur visage est complètement recouvert et qu’elles se trouvent à un procès dans un tribunal, en Amérique, par exemple, c’est la seule situation dans laquelle on leur demande d’ôter le voile, ou au volant d’une voiture, bien évidemment.

On doit voir quelles sont les valeurs que les gens héritent de la culture d’où ils viennent, qui pourraient s’ajuster harmonieusement à la société et ne soient pas un problème ou une source de conflit. Cela aiderait à résoudre cette agressivité. Pour un enfant, bien sûr, c’est difficile à comprendre. Peut-être pouvez-vous demander à votre fille, quand elle passe par un moment difficile, et si elle ne se sent pas frustrée et en colère, de ne pas dire alors des choses mauvaises qu’elle ne pense pas vraiment ? Vous pouvez l’aider à comprendre qu’ils ne veulent pas vraiment dire cela et que les gens disent souvent des choses quand ils sont contrariés. Parfois cela peut aider, mais cela dépend de l’âge de l’enfant.

Merci à vous tous. Ça a été un plaisir de discuter de ces choses avec vous, et j’espère que cela vous donnera matière à réfléchir.

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